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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Opsis Services aéroportuaires inc. c. Québec (Procureur général), 2025 CSC 17

 

 

Appels entendus : 11 décembre 2024

Jugement rendu : 30 mai 2025

Dossiers : 40786, 40791

 

Entre :

 

Opsis Services aéroportuaires inc.

Appelante

 

et

 

Procureur général du Québec et

directeur des poursuites criminelles et pénales

Intimés

 

- et -

 

Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario,

Association canadienne des télécommunications, Aéroports de Montréal,

Aéroport de Québec inc. et Association des banquiers canadiens

Intervenants

 

Et entre :

 

Services maritimes Québec inc. et Michel Fillion

Appelants

 

et

 

Procureur général du Québec et

directeur des poursuites criminelles et pénales

Intimés

 

- et -

 

Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario

et Association canadienne des télécommunications

Intervenants

 

 

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 85)

La Cour

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 


 

Opsis Services aéroportuaires inc.                                                               Appelante

c.

Procureur général du Québec et

directeur des poursuites criminelles et pénales                                               Intimés

et

Procureur général du Canada,

procureur général de l’Ontario,

Association canadienne des télécommunications,

Aéroports de Montréal, Aéroport de Québec inc. et

Association des banquiers canadiens                                                       Intervenants

‑ et ‑

Services maritimes Québec inc. et

Michel Fillion                                                                                                 Appelants

c.

Procureur général du Québec et

directeur des poursuites criminelles et pénales                                               Intimés

et

Procureur général du Canada,

procureur général de l’Ontario et

Association canadienne des télécommunications                                    Intervenants

Répertorié : Opsis Services aéroportuaires inc. c. Québec (Procureur général)

2025 CSC 17

Nos du greffe : 40786, 40791.

2024 : 11 décembre; 2025 : 30 mai.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau.

en appel de la cour d’appel du québec

                    Droit constitutionnel — Doctrine de l’exclusivité des compétences — Aéronautique — Navigation et bâtiments ou navires — Constats d’infractions signifiés à une entreprise offrant des services de sûreté aéroportuaire et à une entreprise œuvrant dans le secteur du transport maritime international leur reprochant d’avoir enfreint les dispositions d’une loi provinciale exigeant qu’elles possèdent un permis pour exploiter une activité de sécurité privée — La loi provinciale est‐elle constitutionnellement inapplicable aux entreprises en raison de la doctrine de l’exclusivité des compétences? — Loi constitutionnelle de 1867, art. 91, (10) — Loi sur la sécurité privée, RLRQ, c. S‑3.5.

                    Opsis Services aéroportuaires inc. (« Opsis ») est une entreprise qui offre des services de sûreté aéroportuaire. Elle exploite le centre d’appels d’urgence de l’aéroport international Pierre‑Elliot‑Trudeau à Montréal. Services maritimes Québec inc. (« SMQ ») est une entreprise qui œuvre dans le secteur du transport maritime international. Elle assure des opérations de chargement sur des navires transatlantiques à partir d’un terminal situé à La Malbaie. F est un employé de SMQ, il surveille et contrôle l’accès à l’installation portuaire. Opsis, SMQ et F ont reçu des constats d’infraction leur reprochant d’avoir contrevenu aux dispositions de la Loi sur la sécurité privée (« LSP »), une loi adoptée par la législature québécoise, qui exigeaient qu’ils possèdent un permis pour exploiter une activité de sécurité privée. Il est acquis qu’Opsis, SMQ et F ne se sont pas conformés aux exigences de la LSP. Ils ont cependant contesté leurs constats d’infraction au motif que la LSP leur est constitutionnellement inapplicable en raison de la doctrine de l’exclusivité des compétences puisque, selon eux, la LSP entrave le contenu essentiel de compétences fédérales exclusives.

                    Dans l’affaire impliquant Opsis, la juge de première instance a conclu que la doctrine de l’exclusivité des compétences n’était d’aucun secours et a entériné les plaidoyers de culpabilité. Ce jugement a été infirmé par la Cour supérieure qui a cassé les verdicts de culpabilité, estimant que l’ensemble de la LSP devait être déclaré constitutionnellement inapplicable à Opsis. Selon elle, la sécurité d’un aéroport fait nécessairement partie du contenu essentiel de la compétence fédérale en matière d’aéronautique, et les activités d’Opsis s’inscrivent dans ce contenu essentiel. Elle a conclu à la présence d’une entrave au contenu essentiel de la compétence fédérale, et estimé que les trois aspects du régime législatif provincial à l’origine de l’entrave ne pouvaient être facilement isolés du reste de la LSP. La Cour d’appel a infirmé la décision de la Cour supérieure et confirmé les verdicts de culpabilité. Elle a convenu que les activités d’Opsis s’inscrivent dans le contenu essentiel de la compétence du Parlement en matière d’aéronautique, mais a conclu que la LSP ne causait pas d’entrave au contenu essentiel de cette compétence.

                    Dans l’affaire impliquant SMQ et F, le juge de première instance a conclu que la LSP leur était inapplicable étant donné qu’elle entrave le cœur des compétences fédérales exclusives en matière de sûreté maritime et de relations de travail d’une entreprise fédérale, et il a acquitté SMQ et F. En appel, la Cour supérieure a conclu que le critère de l’entrave n’était pas respecté, et elle a déclaré SMQ et F coupables. La Cour d’appel a rejeté l’appel intenté par SMQ et F. Reprenant l’essentiel de ses motifs dans l’affaire impliquant Opsis, elle était d’avis que l’application de la LSP ne crée pas d’entrave.   

                    Arrêt : Les pourvois sont accueillis.

                    Des aspects du régime de permis mis en place par la LSP ont pour effet de donner au Bureau de la sécurité privée, l’organisme administratif créé par la législature provinciale, le dernier mot sur la manière de mener les activités de sécurité d’Opsis et de SMQ, qui sont au cœur d’une compétence fédérale exclusive. Ces aspects entravants de la LSP sont indissociables du reste de la loi, de sorte qu’il est nécessaire de déclarer celle‑ci entièrement inapplicable à Opsis, SMQ et F en vertu de la doctrine de l’exclusivité des compétences.

                    La doctrine de l’exclusivité des compétences permet de mettre le contenu essentiel d’une compétence exclusive — soit fédérale, soit provinciale — à l’abri d’une entrave de la part de l’autre ordre de gouvernement. Elle tire son origine de la notion d’exclusivité qui apparaît dans le texte des art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Bien qu’elle soit encadrée par des considérations de principe et des précédents, la doctrine de l’exclusivité des compétences joue un rôle essentiel en matière de fédéralisme, en ce qu’elle permet de maintenir un équilibre entre la nécessité d’une certaine souplesse intergouvernementale et le besoin de solutions prévisibles. L’application de la doctrine dépend de la satisfaction de deux conditions, soit (1) un empiètement sur le contenu essentiel — aussi appelé « cœur » — d’un chef de compétence exclusif de l’autre ordre de gouvernement, et (2) une entrave au contenu essentiel du chef de compétence exclusif. Le contenu essentiel d’une compétence est son contenu minimum élémentaire et irréductible. Cette notion permet d’identifier et de circonscrire l’autorité qui est absolument nécessaire afin de permettre au Parlement ou à une législature provinciale de réaliser efficacement l’objectif pour lequel la compétence a été attribuée. La jurisprudence servira souvent de guide utile afin de cerner le contenu essentiel d’un chef de compétence exclusif; toutefois, le fait que la jurisprudence n’ait jamais reconnu le contenu essentiel d’une compétence n’est pas déterminant.

                    Ce n’est pas n’importe quel degré d’empiètement qui entraînera l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences : il doit y avoir une entrave. Une entrave suppose la présence de conséquences fâcheuses, elle doit représenter davantage que de simples effets sans nécessairement équivaloir à une paralysie ou une stérilisation. Il doit s’agir d’une atteinte grave ou importante au contenu essentiel de la compétence exclusive du Parlement ou d’une législature provinciale. Il n’est pas nécessaire de démontrer qu’il existe un conflit entre les mesures législatives des deux ordres de gouvernement, ou même que l’ordre de gouvernement en faveur duquel joue cette doctrine exerce sa compétence exclusive. Afin que la prévisibilité soit assurée, il importe de tenir compte des effets de l’application de la loi litigieuse, que ceux‑ci se soient matérialisés ou non.

                    En ce qui concerne la première condition, dans l’affaire impliquant Opsis, il peut être déduit des indications de la jurisprudence de la Cour que la sécurité des aéroports, dans la mesure où elle est liée à la sécurité du transport aérien lui‑même, est au cœur de la compétence en matière d’aéronautique, soit une compétence exclusive du Parlement en vertu de son pouvoir de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada prévue à l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Les activités d’Opsis relèvent incontestablement du contenu essentiel de cette compétence en ce qu’elles sont liées à la sécurité du transport aérien lui‑même. L’application de la LSP aux activités d’Opsis permet de conclure qu’il y a empiètement sur le contenu essentiel d’un chef de compétence exclusif. Dans l’affaire impliquant SMQ et F, la Cour a jugé dans sa jurisprudence que les opérations à quai de déchargement et d’entreposage sont partie intégrante du transport maritime. Même en l’absence d’un précédent explicite à cet égard, il ne fait pas de doute que la sécurité des installations maritimes et de leurs opérations est au cœur de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires prévue au par. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867. Les activités de SMQ au terminal — et par extension les activités exercées par son employé F — s’inscrivent précisément au cœur de cette compétence fédérale exclusive. L’application de la LSP à SMQ et F constitue donc un empiètement sur le contenu essentiel d’un chef de compétence exclusif.

                    Quant à la deuxième condition, le pouvoir de suspendre, de révoquer ou de refuser de renouveler le permis d’agent octroyé au Bureau de la sécurité privée révèle clairement la potentialité d’une entrave. De plus, le pouvoir de donner à un titulaire de permis d’agence des directives entourant l’exercice de ses activités octroie au Bureau de la sécurité privée une large discrétion et a pour effet d’assujettir au contrôle d’un organisme administratif créé par la législature provinciale les activités qui relèvent du cœur d’une compétence exclusive du Parlement.

                    Le législateur québécois n’aurait pas adopté la LSP sans les dispositions entravantes, lesquelles sont véritablement indissociables du reste de la loi et essentielles au tout dans lequel elles s’inscrivent. Puisqu’une déclaration d’inapplicabilité ciblée risquerait de modifier la nature du régime législatif voulu par le législateur, la réparation appropriée consiste à donner une interprétation atténuée à l’ensemble de la loi, afin qu’Opsis, SMQ et F soient exclus de son champ d’application.

Jurisprudence

                    Arrêts examinés : Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3; Banque de Montréal c. Marcotte, 2014 CSC 55, [2014] 2 R.C.S. 725; Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536; Rogers Communications Inc. c. Châteauguay (Ville), 2016 CSC 23, [2016] 1 R.C.S. 467; Procureure générale du Québec c. IMTT-Québec inc., 2019 QCCA 1598, 30 C.E.L.R. (4th) 113; Commission de transport de la Communauté urbaine de Québec c. Canada (Commission des champs de bataille nationaux), [1990] 2 R.C.S. 838; arrêts mentionnés : Société québécoise des infrastructures c. Agences Robert Janvier ltée, 2020 QCCA 1140; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Marine Services International Ltd. c. Ryan (Succession), 2013 CSC 44, [2013] 3 R.C.S. 53; Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., 2007 CSC 30, [2007] 2 R.C.S. 610; Procureur général du Québec c. Carrières Ste‐Thérèse Ltée, [1985] 1 R.C.S. 831; Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, [2015] 1 R.C.S. 693; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217; Transport Desgagnés inc. c. Wärtsilä Canada Inc., 2019 CSC 58, [2019] 4 R.C.S. 228; Sharp c. Autorité des marchés financiers, 2023 CSC 29; Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134; Halton (Regional Municipality) c. Canadian National Railway Co., 2024 ONCA 174, 171 O.R. (3d) 41; Vancouver International Airport c. Lafarge Canada Inc., 2011 BCCA 89, 331 D.L.R. (4th) 737; Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327; Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Lafarge Canada Inc., 2007 CSC 23, [2007] 2 R.C.S. 86; Johannesson c. Rural Municipality of West St. Paul, [1952] 1 R.C.S. 292; Air Canada c. Ontario (Régie des alcools), [1997] 2 R.C.S. 581; Québec (Procureur général) c. Lacombe, 2010 CSC 38, [2010] 2 R.C.S. 453; Re Orangeville Airport Ltd. and Town of Caledon (1976), 11 O.R. (2d) 546; Tessier Ltée c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), 2012 CSC 23, [2012] 2 R.C.S. 3; ITO — International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752; Procureure générale du Québec c. Leclerc, 2018 QCCA 1567; Regina c. TNT Canada Inc., 58 O.R. (2d) 410; Aeroguard Co. c. British Columbia (Attorney General) (1998), 50 B.C.L.R. (3d) 88; Montréal (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2008 CSC 48, [2008] 2 R.C.S. 698; Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38, [2020] 3 R.C.S. 629; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96.

Lois et règlements cités

Code des professions, RLRQ, c. C‑26, art. 23.

Loi constitutionnelle de 1867, art. 91, 92.

Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, L.C. 2001, c. 26.

Loi sur l’aéronautique, L.R.C. 1985, c. A‑2.

Loi sur la sécurité privée, RLRQ, c. S‑3.5, art. 1, 2, 4, 6, 7, 8, 9, 12, 13, 16, 19, 27, 29, 30, 39, 41, 42, 69 à 74, 107 par. 6, 111 al. 1(2), (3), 112 al. 1(1), 114 à 122.

Loi sur la sûreté du transport maritime, L.C. 1994, c. 40.

Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, DORS/2011‑318, art. 115 à 118, 191.

Règlement sur la formation exigée pour l’obtention d’un permis d’agent pour l’exercice d’une activité de sécurité privée, RLRQ, c. S‑3.5, r. 2, art. 1.

Règlement sur la sûreté du transport maritime, DORS/2004‑144, art. 305, 306.

Règlement sur les normes de comportement des titulaires de permis d’agent qui exercent une activité de sécurité privée, RLRQ, c. S‑3.5, r. 3, art. 6.

Doctrine et autres documents cités

Brun, Henri, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet. Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2014.

Elliot, Robin. « Interjurisdictional Immunity after Canadian Western Bank and Lafarge Canada Inc. : The Supreme Court Muddies the Doctrinal Waters — Again » (2008), 43 S.C.L.R. (2d) 433.

Furey, John G. « Interjurisdictional Immunity : The Pendulum Has Swung » (2008), 42 S.C.L.R. (2d) 597.

Hogg, Peter W., et Wade K. Wright. Constitutional Law of Canada, 5e éd. suppl., Toronto, Thomson Reuters, 2024 (mise à jour 2024, envoi no 1).

Régimbald, Guy, et Dwight Newman. The Law of the Canadian Constitution, 2e éd., Toronto, LexisNexis, 2017.

Wilkins, Kerry. « Exclusively Yours : Reconsidering Interjurisdictional Immunity » (2019), 52 U.B.C. L. Rev. 697.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Gagnon, Ruel et Lavallée), 2023 QCCA 506, [2023] AZ-51930379, [2023] J.Q. n2767 (Lexis), 2023 CarswellQue 4698 (WL), qui a infirmé une décision du juge David, 2020 QCCS 4772, [2020] AZ-51736658, [2020] J.Q. no 19704 (Lexis), 2020 CarswellQue 15257 (WL), qui avait infirmé la déclaration de culpabilité prononcée par la juge de paix magistrat Fontaine, 2018 QCCQ 9803, [2018] AZ-51559548, [2018] J.Q. no 12791 (Lexis), 2018 CarswellQue 12123 (WL). Pourvoi accueilli.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Gagnon, Ruel et Lavallée), 2023 QCCA 325, [2023] AZ-51922271, [2023] J.Q. no 2764 (Lexis), 2023 CarswellQue 4699 (WL), qui a confirmé une décision du juge Bouchard, 2020 QCCS 3952, [2020] AZ‑51725525, [2020] J.Q. no 11214 (Lexis), 2020 CarswellQue 13328 (WL), qui avait écarté les acquittements prononcés par le juge Asselin, 2019 QCCQ 5447, [2019] AZ‑51626699, [2019] J.Q. no 7654 (Lexis), 2019 CarswellQue 8402 (WL). Pourvoi accueilli.

                    François Tremblay et Marie‑Philippe Lavoie, pour l’appelante Opsis Services aéroportuaires inc.

                    Sean Griffin, Geneviève Claveau et Jean‑Philippe Dionne, pour les appelants Services maritimes Québec inc. et Michel Fillion.

                    Luc‑Vincent Gendron‑Bouchard, Samuel Chayer et Frédéric Perreault, pour l’intimé le procureur général du Québec (40786).

                    François‑Olivier Barbeau et Frédéric Perreault, pour l’intimé le procureur général du Québec (40791).

                    Argumentation écrite seulement par Étienne Fafard‑Mongeau, pour l’intimé le directeur des poursuites criminelles et pénales.

                    Bernard Letarte et Lindy Rouillard‑Labbé, pour l’intervenant le procureur général du Canada.

                    Sean Hanley et Ravi Amarnath, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    Isabelle Vendette, Adam Goldenberg et Simon Bouthillier, pour l’intervenante l’Association canadienne des télécommunications.

                    Mathieu Quenneville, Elizabeth Cullen et Emy‑Jade Viens, pour les intervenantes Aéroports de Montréal et Aéroport de Québec inc.

                    Guy J. Pratte, Mathieu Lévesque et Patrick Cajvan, pour l’intervenante l’Association des banquiers canadiens.

                   Le jugement suivant a été rendu par

                   La Cour —

[1]                              Les présents pourvois donnent à notre Cour l’occasion de se pencher à nouveau sur les contours de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Depuis l’arrêt phare Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, la Cour a maintenu, pour les raisons qui y sont évoquées, une approche empreinte de précaution à l’égard de l’applicabilité et de la portée de cette doctrine. Malgré les hésitations de notre Cour à accroître le recours à cette doctrine, notre jurisprudence témoigne de son utilité toujours actuelle. Les motifs qui suivent s’inscrivent dans la continuité des arrêts rendus par notre Cour depuis Banque canadienne de l’Ouest

[2]                              Dans les deux affaires en question, les appelants ont reçu des constats d’infraction leur reprochant d’avoir contrevenu à certaines dispositions de la Loi sur la sécurité privée, RLRQ, c S-3.5 (« LSP »), une loi adoptée par la législature québécoise. Il est acquis que les appelants ne se sont pas conformés aux exigences de la LSP. Les appelants ont cependant contesté leurs constats d’infraction au motif que la LSP leur est inapplicable en raison de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Les juges de la Cour d’appel du Québec ont, à la majorité, rejeté les prétentions des appelants, qui les ont reprises devant notre Cour. Nous sommes d’avis d’accueillir les pourvois. Des aspects du régime de permis mis en place par la LSP ont pour effet de donner à l’organisme administratif créé par la législature provinciale le dernier mot sur la manière de mener les activités de sécurité des appelants qui sont au cœur d’une compétence fédérale exclusive. Ces aspects entravants de la LSP sont indissociables du reste de la loi, de sorte qu’il est nécessaire de déclarer celle-ci entièrement inapplicable aux appelants en vertu de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Avant d’aller au fond des choses, quelques éléments contextuels permettront de bien saisir l’origine de ces pourvois, qui ont évolué de façon parallèle.

I.               Mise en contexte

A.           Affaire Opsis

[3]                              L’appelante Opsis Services aéroportuaires inc. (« Opsis ») est une entreprise qui offre des services de sûreté aéroportuaire. Elle a obtenu de la société Aéroports de Montréal le mandat d’exploiter le centre d’appels d’urgence de l’aéroport international Pierre-Elliot-Trudeau. Les responsabilités d’Opsis à cet aéroport consistent notamment à : opérer les systèmes informatisés du centre d’appels, interpréter les différents signaux en provenance des écrans de surveillance, assurer une surveillance caméra des différents emplacements intérieurs et extérieurs afin de détecter des anomalies ou d’identifier les causes d’une alarme et effectuer la prise des appels d’urgence. Comme en ont abondamment discuté les juges de la Cour d’appel (2023 QCCA 506 (« motifs de la C.A. (Opsis) »), par. 15-29 et 120-130), les activités d’Opsis sont fortement encadrées par la législation fédérale. En particulier, le Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, DORS/2011-318, pris en vertu de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. 1985, c. A-2, impose de nombreuses exigences à l’exploitant d’un aérodrome tel l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau. Entre autres choses, ce règlement définit les exigences quant à la formation du personnel de sûreté de l’aérodrome (art. 115 à 118) et prévoit que l’exploitant d’un aérodrome doit établir et mettre en œuvre un programme de sûreté aéroportuaire répondant à plusieurs critères (art. 191).

[4]                              Le litige opposant les intimés et Opsis a pris naissance lorsque cette dernière a reçu deux constats d’infraction l’accusant d’avoir « exploité une entreprise offrant une activité de sécurité privée sans être titulaire d’un permis d’agence de la catégorie pertinente à l’activité offerte », contrevenant ainsi aux art. 4 et 114 LSP (d.a., vol. II, p. 1 et 5).

B.            Affaire SMQ

[5]                              L’appelante Services maritimes Québec inc. (« SMQ ») est une entreprise qui œuvre dans le secteur du transport maritime international. Elle assure des opérations de chargement sur des navires transatlantiques à partir du terminal de Pointe-au-Pic situé à La Malbaie. À titre d’employé, le rôle de l’appelant Michel Fillion consiste à surveiller et à contrôler l’accès à cette installation portuaire. Comme l’ont souligné les juges de la Cour d’appel (2023 QCCA 325 (« motifs de la C.A. (SMQ) »), par. 16-37 et 106-118), les activités de SMQ au terminal de Pointe-au-Pic sont fortement encadrées par la législation fédérale, notamment la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, L.C. 2001, c. 26, ainsi que la Loi sur la sûreté du transport maritime, L.C. 1994, c. 40, en application desquelles de nombreux règlements ont été pris. Par exemple, le Règlement sur la sûreté du transport maritime, DORS/2004-144, pris en vertu de la Loi sur la sûreté du transport maritime, prévoit qu’un agent de sûreté d’une installation maritime doit posséder, par formation ou expérience de travail, une série de connaissances (art. 305), dont celles en lien avec « les techniques de contrôle d’accès et de surveillance » (al. 305g)). De plus, ce règlement établit une liste de responsabilités incombant à l’agent de sûreté maritime (art. 306).

[6]                              Le litige opposant les intimés et SMQ ainsi que son employé, M. Fillion, a pris naissance après la réception de constats d’infraction signifiés par le Bureau de la sécurité privée (« Bureau »). Dans le cas de M. Fillion, il lui a été reproché d’avoir « exercé une activité de sécurité privée sans être titulaire d’un permis d’agent de la catégorie correspondant à cette activité », contrevenant ainsi aux art. 16 et 116 LSP (d.a., vol. VI, p. 85). Dans le cas de SMQ, il lui a été reproché d’avoir « eu à son service une personne visée par l’article 16 qui n’était pas titulaire d’un permis d’agent conformément à cet article », contrevenant ainsi à l’art. 117 LSP (p. 88).

II.            Historiques judiciaires

A.           Affaire Opsis

(1)          Cour du Québec, 2018 QCCQ 9803

[7]                              Opsis a plaidé coupable aux infractions dont elle était accusée sous réserve de la décision de la juge de première instance quant à la question constitutionnelle qu’elle a soulevée, à savoir que la LSP lui est inapplicable en raison de la doctrine de l’exclusivité des compétences. La position d’Opsis a été rejetée par la juge de première instance. Celle-ci a déclaré que la LSP vise essentiellement « à vérifier les bonnes mœurs de ceux qui pratiquent ces activités [de] sécurité et les conditions de solvabilité de l’entreprise qui requièrent un permis » (par. 16), ajoutant ensuite que la « preuve [était] muette sur l’impact que crée la loi sur les activités relatives à la sécurité aéroportuaire » (par. 21). La juge de première instance a en conséquence conclu que la doctrine de l’exclusivité des compétences n’était d’aucun secours à Opsis et a entériné ses plaidoyers de culpabilité.

(2)          Cour supérieure du Québec, 2020 QCCS 4772

[8]                              Le juge de la Cour supérieure a accueilli l’appel formé par Opsis. Il a d’abord déclaré que « [l]a sécurité d’un aéroport fait nécessairement partie du contenu essentiel de la compétence fédérale en matière d’aéronautique » (2020 QCCS 4772 (« motifs de la C.S. (Opsis) »), par. 72), et que les activités d’Opsis s’inscrivent précisément dans ce contenu essentiel. Le juge a ensuite conclu à la présence d’une entrave. Il est arrivé à cette conclusion au terme de l’analyse de trois aspects de la LSP et de ses règlements d’application : l’imposition de certaines normes comportementales aux employés d’Opsis, le pouvoir du Bureau de donner des directives contraignantes et les pouvoirs d’inspection et d’enquête attribués au Bureau. Enfin, le juge a estimé que l’ensemble de la LSP doit être déclaré constitutionnellement inapplicable à Opsis, car les trois aspects du régime législatif provincial à l’origine de l’entrave « ne peuvent être facilement isolé[s] du reste de la [LSP] » (par. 132). Il a ajouté qu’il « est difficile de concevoir que [le] législateur provincial ait eu l’intention d’appliquer un système de permis “à la pièce” et de priver ainsi le [Bureau] d’une partie de ses pouvoirs » (par. 132).

(3)          Cour d’appel du Québec, 2023 QCCA 506

a)              Motifs majoritaires

[9]                              Les juges majoritaires, s’exprimant par la plume de la juge Lavallée, ont infirmé la décision de la Cour supérieure. Ils ont convenu que les activités d’Opsis s’inscrivent dans le contenu essentiel de la compétence du Parlement en matière d’aéronautique, mais ont rejeté l’argument d’Opsis voulant que la LSP et ses règlements d’application causent une entrave au contenu essentiel de cette compétence. Ils ont reproché au juge de la Cour supérieure de s’être mépris « quant à l’intensité des effets nécessaires depuis Banque canadienne de l’Ouest pour conclure à une entrave ainsi qu’à l’égard du fardeau de preuve requis pour conclure à une entrave » (par. 166).

[10]                          En effet, pour les juges majoritaires, Opsis n’a pas démontré que l’établissement de normes de comportements par le régime législatif provincial permet au Bureau de dicter la manière dont les activités des employés d’Opsis devraient être menées. Conclure le contraire reviendrait à faire fi du caractère général de la LSP et de ses règlements d’application, en plus de « trancher un litige constitutionnel en se fondant sur des hypothèses et des conjectures » (par. 176).

[11]                          De façon analogue, selon les juges majoritaires, la simple possibilité pour le Bureau de donner des directives à Opsis ne constitue pas une entrave. Conclure à l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences sur la base d’une entrave « purement spéculative » risquerait d’accroître indûment la portée de cette doctrine (par. 202 (soulignement omis)). Dans la même perspective, les pouvoirs d’inspection et d’enquête du Bureau — qui permettent d’assurer le respect de la LSP et de ses règlements d’application — n’entravent pas davantage le cœur de la compétence fédérale en matière d’aéronautique (par. 207).

b)             Motifs dissidents

[12]                          La première partie des motifs du juge dissident, le juge Ruel, concerne un enjeu qu’il a lui-même soulevé. Selon le juge Ruel, « il y a lieu de distinguer les activités et services de sécurité publique, qui “protègent les biens et les espaces publics”, des services de sécurité privée, selon lesquels les agents de sécurité privée “travaillent pour leur employeur et pas nécessairement pour le bien commun” » (par. 42, citant Statistique Canada, Services de sécurité privés et services de police publics, décembre 2008 (en ligne)). Le juge dissident a en conséquence affirmé qu’il « ne croi[t] pas que la LSP s’applique aux activités d’Opsis à l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau, qui portent sur la sûreté et la sécurité publiques en matière aéroportuaire » (par. 61).

[13]                          Malgré cette conclusion à son sens déterminante, le juge dissident s’est penché sur la question de l’exclusivité des compétences dans la seconde partie de ses motifs. À l’instar des juges majoritaires, il a reconnu que « la sûreté et la sécurité aéronautiques font partie [du] contenu essentiel et irréductible » de la compétence fédérale en aéronautique (par. 67). Toutefois, contrairement à ses collègues, il n’a constaté aucune erreur dans le raisonnement du juge de la Cour supérieure.

[14]                          Cela dit, pour le juge dissident, une démarche distincte de celle qui a été empruntée par le juge de la Cour supérieure peut être suivie, puisque « [c]’est le régime provincial de sécurité privée au complet qui doit être mesuré à la compétence exclusive fédérale en matière d’aéronautique, non pas ses parties individuelles » (par. 70). En se fondant sur la vaste portée de la LSP, le juge dissident a conclu que l’application de cette loi aux activités d’Opsis « assujettirait de larges pans de la sûreté et de la sécurité aéronautiques et aéroportuaires au contrôle et aux “décisions largement discrétionnaires” du [Bureau] et du ministre provincial responsable » (par. 75). Cela constituerait une entrave, car cette éventualité « limiterait considérablement le pouvoir et la capacité du fédéral de réglementer entièrement et de manière cohérente la sûreté et la sécurité du transport aérien et des installations aéronautiques » (par. 77).

B.            Affaire SMQ

(1)          Cour du Québec, 2019 QCCQ 5447

[15]                          Le juge de la Cour du Québec a d’abord accepté que, selon les faits, SMQ et M. Fillion ont contrevenu à la LSP (par. 38). Néanmoins, il a par la suite fait droit aux arguments de SMQ et a conclu que cette loi et ses règlements d’application leur sont inapplicables étant donné qu’ils entravent le cœur des « compétences fédérales exclusives en matière de sûreté maritime et de relations de travail d’une entreprise fédérale » (par. 121). En arrivant à cette conclusion, il a constaté que l’application de la LSP et de ses règlements d’application engendre « des incertitudes au niveau de la mise en œuvre du plan de sûreté » (par. 126) et empêche SMQ « de procéder librement à l’embauche, au licenciement et à la formation de ses employés de sûreté et de sécurité » (par. 133). Aussi, le juge de la Cour du Québec a dit être d’avis que la doctrine de la prépondérance fédérale devait trouver application (par. 134-149). Il a déclaré les art. 16, 116 et 117 LSP inapplicables et inopérants à l’égard de SMQ et M. Fillion, et il a acquitté ces derniers.

(2)          Cour supérieure du Québec, 2020 QCCS 3952

[16]                          Le directeur des poursuites criminelles et pénales et la procureure générale du Québec ont interjeté appel avec succès. Pour l’essentiel, le juge de la Cour supérieure a conclu que le critère de l’entrave n’était pas respecté. À son avis, les pouvoirs du Bureau quant au permis d’agent et sa capacité à imposer des « mesures normatives [. . .] en matière de formation et d’embauche des employés de SMQ exerçant des activités en matière de sûreté maritime » constituent tout au plus « une forme de contrainte » (par. 93). Le juge a entre autres affirmé que la LSP et ses règlements d’application portent de façon générale sur « la probité de la personne qui requiert un permis et non pas sur l’application des règles de sécurité en matière maritime » (par. 106). Enfin, il a estimé que la doctrine de la prépondérance fédérale ne pouvait être invoquée.

(3)          Cour d’appel du Québec, 2023 QCCA 325

a)              Motifs majoritaires

[17]                          Les juges majoritaires, s’exprimant ici aussi par la plume de la juge Lavallée, ont rejeté l’appel intenté par SMQ et M. Fillion. Ils ont convenu que, malgré l’absence d’un précédent précis, « [u]ne large part des activités de SMQ » (par. 174) se rapportent au contenu essentiel de la compétence exclusive du Parlement en matière de « navigation, bâtiments ou navires (shipping) » (par. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867). Toutefois, reprenant l’essentiel de leurs motifs dans l’affaire Opsis, ils ont rejeté l’argument de SMQ selon lequel l’application de la LSP et de ses règlements d’application crée une entrave. Ils ont également refusé d’appliquer la doctrine de la prépondérance fédérale.

b)             Motifs dissidents

[18]                          Pour les mêmes raisons que dans l’affaire Opsis, le juge Ruel, en dissidence, a conclu que la LSP et ses règlements d’application n’étaient pas applicables à SMQ et M. Fillion, qui à son avis exercent non pas des activités de sécurité privée, mais des activités de sécurité publique. Quant à la doctrine de l’exclusivité des compétences, le juge dissident a accepté que la sécurité entourant les opérations de débardage maritime est nécessaire pour garantir la réalisation efficace des objectifs pour lesquels la compétence en matière de navigation, bâtiments ou navires a été attribuée au Parlement et fait donc partie de son contenu essentiel (par. 60‑62). Aussi, suivant son raisonnement dans l’affaire Opsis, le juge dissident a conclu que l’appel devrait être accueilli. En effet, puisque l’application de la LSP et de ses règlements d’application limite « considérablement le pouvoir et la capacité du fédéral de réglementer entièrement et de manière cohérente la sûreté et de la sécurité du transport et des installations maritimes » (par. 65), le critère de l’entrave était selon lui respecté. Vu cette conclusion, le juge dissident n’a pas abordé la question liée à la doctrine de la prépondérance fédérale. 

III.         Aperçu de la LSP et de ses règlements

[19]                          La LSP encadre l’exercice d’activités de sécurité privée dans divers secteurs (art. 1). Ceux-ci incluent le gardiennage, « soit la surveillance ou la protection de personnes, de biens ou de lieux principalement à des fins de prévention de la criminalité et de maintien de l’ordre » (art. 1 par. 1), et « les activités reliées aux systèmes électroniques de sécurité », dont les systèmes de surveillance vidéo (art. 1 par. 4). Il peut être dit de façon générale que cette « loi vise la protection du public » (Société québécoise des infrastructures c. Agences Robert Janvier ltée, 2020 QCCA 1140, par. 52). La juge Lavallée a relevé avec justesse quatre aspects de la LSP qui permettent de réaliser les objectifs du législateur québécois, soit « l’établissement d’un régime de permis, la création d’un organisme d’autorégulation, l’octroi de pouvoirs d’inspection et d’enquête, ainsi que l’édiction de mesures coercitives » (motifs de la C.A. (Opsis), par. 137). Ces quatre éléments seront abordés ci-dessous.

[20]                          Le régime de permis établi par la LSP comporte deux dimensions. La première a trait au « permis d’agence ». Toute personne qui exploite une entreprise offrant une activité de sécurité privée doit être titulaire d’un tel permis (art. 4). La demande de permis d’agence doit être présentée par une personne physique qui se consacre à temps plein aux activités de l’entreprise et qui la représente (art. 6). Cette personne doit satisfaire à diverses conditions : avoir de « bonnes mœurs », ne jamais avoir été reconnue coupable d’une infraction criminelle ayant un lien avec l’exercice de l’activité pour laquelle un permis est demandé, suivre la formation dispensée par le Bureau et « toute autre condition déterminée par règlement » (art. 7). Les deux premières conditions susmentionnées doivent aussi être respectées par le propriétaire de l’entreprise, par tout associé ou actionnaire qui a un intérêt important dans l’entreprise ainsi que par tout administrateur (art. 8). De plus, l’entreprise qui demande un permis d’agence doit posséder au moins un établissement au Québec, être solvable, détenir « une assurance responsabilité dont la couverture et les autres modalités sont fixées par règlement » et fournir « un cautionnement pour garantir l’exécution de ses obligations au montant et selon la forme déterminés par règlement » (art. 9).

[21]                          La seconde dimension de ce régime concerne le « permis d’agent ». Doivent être titulaires d’un tel permis « [l]a personne physique qui exerce une activité de sécurité privée ainsi que son supérieur immédiat » (art. 16 al. 1). Entre autres choses, le titulaire de permis d’agent doit avoir la « formation exigée par règlement », avoir de « bonnes mœurs » et ne pas avoir été reconnu coupable d’une infraction criminelle ayant un lien avec l’exercice de l’activité pour laquelle un permis est demandé (art. 19).

[22]                          La LSP crée un organisme d’autorégulation, le Bureau (art. 39). Le Bureau a pour mission de veiller à la protection du public et, à cette fin, ses responsabilités consistent notamment à voir à l’application de la LSP et de ses règlements d’application, à délivrer des permis d’agence et des permis d’agent et à dispenser la formation aux représentants des titulaires de permis d’agence (art. 41). L’un des pouvoirs clés octroyés au Bureau est celui de suspendre, de révoquer ou de refuser de renouveler les permis d’agence et d’agent. Ce pouvoir peut, entre autres, être exercé lorsqu’un titulaire de permis « ne satisfait plus aux conditions prescrites par la présente loi ou par un règlement pris pour son application pour la délivrance d’un permis », « fait défaut de verser les droits annuels » ou encore « a été déclaré coupable d’une infraction à une disposition de la présente loi ou d’un règlement pris pour son application » (art. 29 et 30).

[23]                          Dans le cas spécifique du permis d’agence, le Bureau peut, « à tout moment à des fins de protection du public », donner au titulaire d’un tel permis des directives entourant l’exercice de ses activités et exiger qu’il « remplace son représentant lorsqu’il ne satisfait plus aux conditions prévues à l’article 7 » (art. 42). En cas d’omission de respecter ces consignes, le Bureau peut exercer son pouvoir de suspendre, révoquer ou refuser de renouveler un permis d’agence (art. 29 par. 4 et 5).

[24]                          Dans le cas spécifique du permis d’agent, ce même pouvoir peut être exercé lorsque le titulaire « a contrevenu aux normes de comportement établies par règlement » (art. 30 al. 1(5)). Le règlement pertinent à cet égard est le Règlement sur les normes de comportement des titulaires de permis d’agent qui exercent une activité de sécurité privée, RLRQ, c. S-3.5, r. 3. En particulier, ce règlement précise que le titulaire du permis d’agent doit agir avec compétence et professionnalisme et, notamment, exercer ses fonctions en n’étant ni négligent, ni insouciant et en faisant preuve « du plus haut degré d’intégrité, de compétence, de vigilance, de diligence et de soin que l’on est raisonnablement en droit de s’attendre d’un titulaire de permis d’agent » (art. 6).

[25]                          En vertu de la LSP, le Bureau dispose en outre de pouvoirs d’inspection et d’enquête (art. 69 à 74). Un inspecteur autorisé peut par exemple pénétrer, à toute heure raisonnable, dans un lieu où une activité de sécurité privée est offerte ou exercée et « exiger des personnes présentes tout renseignement relatif aux activités offertes ou exercées en ce lieu et qui lui est nécessaire à l’accomplissement de ses fonctions » (art. 70). La LSP contient également diverses dispositions pénales prévoyant des amendes en cas de contravention à certains de ses articles (art. 114 à 122).

[26]                          Enfin, notons que la LSP prévoit que le gouvernement peut adopter certains règlements. Par exemple, il peut, après consultation du Bureau, déterminer « les normes applicables aux insignes et aux pièces d’identité ainsi que les caractéristiques des uniformes des titulaires de permis d’agent » ou encore « les normes et conditions d’utilisation d’équipements et d’animaux par un titulaire de permis d’agent, notamment la formation nécessaire » (art. 111 al. 1(2) et (3)). Il est aussi possible au gouvernement de « déterminer la formation exigée pour l’obtention d’un permis d’agent » (art. 112 al. 1(1)).

IV.         Questions en litige

[27]                          Les présents pourvois soulèvent trois questions :

1. La LSP et ses règlements d’application visent-ils les activités des appelants?

2. La LSP doit-elle être déclarée constitutionnellement inapplicable aux appelants en vertu de la doctrine de l’exclusivité des compétences?

3. La LSP doit-elle être déclarée constitutionnellement inopérante à l’égard des appelants en vertu de la doctrine de la prépondérance fédérale?

[28]                          La première question a trait à l’interprétation de la LSP tandis que les deux autres concernent l’applicabilité de doctrines d’ordre constitutionnel. Il s’agit de pures questions de droit assujetties à la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8). En outre, étant donné que la Cour estime que l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences règle le sort des appels, il ne sera pas nécessaire de se pencher sur la troisième question. 

V.           La LSP et ses règlements d’application visent-ils les activités des appelants?

[29]                          Avant d’amorcer l’analyse constitutionnelle suivant la doctrine de l’exclusivité des compétences, il convient de s’assurer que les faits particuliers de l’affaire concernée sont visés par la loi litigieuse (Marine Services International Ltd. c. Ryan (Succession), 2013 CSC 44, [2013] 3 R.C.S. 53, par. 40). Pour le juge dissident de la Cour d’appel, la LSP ne vise pas les activités de sécurité des appelants, puisque celles-ci sont de nature publique et non de nature privée (motifs de la C.A. (Opsis), par. 59; motifs de la C.A. (SMQ), par. 9). Selon lui, la nature publique des activités de sécurité des appelants découle du fait que leurs activités se déroulent dans des lieux publics, en l’occurrence des installations portuaires et aéroportuaires. Devant notre Cour, les appelants reprennent la dichotomie adoptée par le juge dissident. Avec égards, celle-ci n’existe pas dans la LSP. Un bref exercice d’interprétation suffit pour s’en convaincre.

[30]                          L’article 1 de la LSP dresse une liste d’activités auxquelles cette « loi s’applique ». L’article 2 de la LSP précise que cette loi ne s’applique pas lorsque les activités visées par l’art. 1 sont exercées par certaines personnes, notamment les agents de la paix. Il s’agit de la seule exception à l’art. 1 spécifiée par le législateur québécois. La LSP ne prévoit aucune exception à l’art. 1 sur la base, par exemple, de l’industrie dans laquelle l’activité est exercée. Ainsi, l’interaction des deux premiers articles de la LSP tend à indiquer que cette loi d’application générale vise des activités, mais que son champ d’application est limité par l’exemption prévue pour certaines personnes exerçant ces activités. Le fait que des entreprises privées assurent des activités de sécurité privée dans des lieux publics n’a pas d’incidence sur le champ d’application de la LSP. Dans les présents pourvois, il n’est pas contesté que Opsis et SMQ ont exercé des activités mentionnées aux par. 1 à 6 de l’art. 1 et qu’ils n’emploient pas des personnes visées par l’art. 2. 

[31]                          La distinction que suggère le juge dissident est par ailleurs contredite par la loi elle-même. En effet, si, comme l’écrit le juge dissident, la LSP ne vise pas les activités d’entités dans le domaine de la sécurité publique, suivant la définition qu’il donne de cette notion (motifs de la C.A. (Opsis), par. 42), certaines exceptions prévues à l’art. 2 qui concernent manifestement des personnes associées à la sécurité publique, comme les agents de la paix et les autres employés d’un corps de police, s’avéreraient inutiles. La règle d’interprétation voulant que le législateur ne parle pas pour ne rien dire (voir Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., 2007 CSC 30, [2007] 2 R.C.S. 610, par. 87, se référant à Procureur général du Québec c. Carrières Ste-Thérèse Ltée, [1985] 1 R.C.S. 831, par. 28) est une indication supplémentaire que la distinction faite par le juge dissident doit être écartée. Ce premier moyen d’appel est donc rejeté.

VI.         La LSP doit-elle être déclarée constitutionnellement inapplicable aux appelants en vertu de la doctrine de l’exclusivité des compétences?

A.           Principes généraux

[32]                          La doctrine de l’exclusivité des compétences permet de mettre le contenu essentiel d’une compétence exclusive — soit fédérale, soit provinciale — à l’abri d’une entrave de la part de l’autre ordre de gouvernement. Elle tire son origine de la notion d’exclusivité qui apparaît dans le texte des art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 (Banque canadienne de l’Ouest, par. 34) et est ainsi ancrée dans notre droit, la primauté de la Constitution écrite étant « l’un des préceptes fondamentaux de notre régime constitutionnel » (Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, [2015] 1 R.C.S. 693, par. 18; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 53).

[33]                          Dans l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest, notre Cour a indiqué que la doctrine de l’exclusivité des compétences devrait être appliquée avec retenue (par. 67). Cette approche s’explique par la tension qui existe entre cette doctrine et la conception moderne du fédéralisme coopératif, laquelle privilégie, « dans la mesure du possible, l’application régulière des lois édictées par les deux ordres de gouvernement » (par. 37 (en italique dans l’original); Banque de Montréal c. Marcotte, 2014 CSC 55, [2014] 2 R.C.S. 725, par. 63).

[34]                          Bien qu’elle soit « encadrée par des considérations de principe et des précédents », la doctrine de l’exclusivité des compétences continue de jouer un rôle essentiel en matière de fédéralisme, en ce qu’elle permet de maintenir « un équilibre entre la nécessité d’une certaine souplesse intergouvernementale et le besoin de solutions prévisibles » (Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536 (« COPA »), par. 58).

[35]                          Lorsque la doctrine trouve application, « les dispositions contestées demeurent valides, mais sont déclarées inapplicables aux matières qui relèveraient du contenu essentiel de la compétence exclusive de l’autre ordre de gouvernement » (Transport Desgagnés inc. c. Wärtsilä Canada Inc., 2019 CSC 58, [2019] 4 R.C.S. 228, par. 90; Marcotte, par. 64). Cela consiste à donner une interprétation atténuée aux dispositions contestées (Sharp c. Autorité des marchés financiers, 2023 CSC 29, par. 113, citant P. W. Hogg et W. K. Wright, Constitutional Law of Canada (5e éd. suppl.), § 15:15-15:16, et H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, Droit constitutionnel (6e éd. 2014), par. VI‑2.56).

[36]                          L’application de la doctrine dépend du respect de deux conditions, soit (1) un empiètement sur le contenu essentiel d’un chef de compétence exclusif et (2) une entrave au contenu essentiel du chef de compétence exclusif. Chacune de ces conditions, comme il en sera question dans les pages qui suivent, constitue une limite importante à la portée de la doctrine de l’exclusivité des compétences.

(1)          La première condition : un empiètement sur le contenu essentiel d’un chef de compétence exclusif

[37]                          Pour que la doctrine de l’exclusivité des compétences s’applique, il faut premièrement que la ou les dispositions contestées empiètent sur le contenu essentiel — aussi appelé « cœur » — d’un chef de compétence exclusif de l’autre ordre de gouvernement. Le contenu essentiel d’une compétence est son contenu « minimum élémentaire et irréductible » (Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749 (« Bell Canada (1988) »), p. 839; Banque canadienne de l’Ouest, par. 50; COPA, par. 35; Transport Desgagnés, par. 93). Cette notion permet d’identifier et de circonscrire « l’autorité qui est absolument nécessaire » afin de permettre au Parlement ou à une législature provinciale de réaliser efficacement l’objectif pour lequel la compétence a été attribuée (Banque canadienne de l’Ouest, par. 77; COPA, par. 35; Transport Desgagnés, par. 93). La considération d’éléments de preuve peut parfois aider à délimiter le contenu essentiel d’un chef de compétence exclusif (voir, p. ex., Rogers Communications Inc. c. Châteauguay (Ville), 2016 CSC 23, [2016] 1 R.C.S. 467, par. 66).

[38]                          Il est évident que la notion de contenu essentiel est « nécessairement plus étroite » que la notion de portée de cette compétence (Transport Desgagnés, par. 95; voir aussi Brun, Tremblay et Brouillet, par. VI-2.62). La jurisprudence servira souvent de « guide utile » afin de cerner le contenu essentiel d’un chef de compétence exclusif (COPA, par. 36, se référant à Banque canadienne de l’Ouest, par 77; Marine Services, par. 55). Il a été indiqué dans Banque canadienne de l’Ouest que l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences devrait, « en général », se limiter aux situations déjà traitées par les tribunaux (par. 77). Comme l’a constaté à juste titre la Cour d’appel du Québec, les mots employés par les juges Binnie et LeBel dans cet arrêt témoignent de l’intention « de privilégier le recours à la doctrine de l’exclusivité des compétences lorsqu’un précédent existe, sans pour autant nécessairement l’interdire dans les autres situations » (Procureure générale du Québec c. IMTT-Québec inc., 2019 QCCA 1598, 30 C.E.L.R. (4th) 113, par. 173).

[39]                          La jurisprudence postérieure à Banque canadienne de l’Ouest a maintenu la flexibilité de l’approche adoptée par la Cour (voir, p. ex., Rogers, par. 61, où est utilisé l’adverbe « généralement » et Transport Desgagnés, par. 93, où est utilisé l’adverbe « normalement »). Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134, la juge en chef McLachlin a par ailleurs souligné que le fait que la jurisprudence n’ait jamais reconnu le contenu essentiel d’une compétence « n’est pas déterminant », puisqu’il demeure possible que de nouveaux champs de compétences exclusifs soient éventuellement reconnus (par. 67).

(2)          La seconde condition : une entrave au contenu essentiel du chef de compétence exclusif

[40]                          Depuis Banque canadienne de l’Ouest, il est acquis que ce n’est pas n’importe quel degré d’empiètement qui entraînera l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences : il doit y avoir une entrave (par. 48; COPA, par. 43; Transport Desgagnés, par. 92). Une entrave suppose la présence de conséquences fâcheuses et, en ce sens, elle doit représenter davantage que de simples effets sans nécessairement équivaloir à une paralysie ou une stérilisation (Banque canadienne de l’Ouest, par. 48). Il doit s’agir d’une atteinte grave ou importante au contenu essentiel de la compétence exclusive du Parlement ou d’une législature provinciale (COPA, par. 45; Marine Services, par. 56, 60 et 64; Marcotte, par. 64; Rogers, par. 59 et 70).

[41]                          Le critère de l’entrave établit un juste équilibre et continue de refléter la « résistance grandissante à l’application générale de l’exclusivité des compétences compte tenu des notions contemporaines de fédéralisme coopératif et du besoin ressenti de favoriser l’efficacité plutôt que le formalisme » (COPA, par. 44). Qui plus est, pour que la doctrine de l’exclusivité des compétences trouve application, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’il existe un conflit entre les mesures législatives des deux ordres de gouvernement, ou même « que l’ordre de gouvernement en faveur duquel joue cette doctrine exerce sa compétence exclusive » (PHS, par. 59; voir aussi Banque canadienne de l’Ouest, par. 34; COPA, par. 52; Brun, Tremblay et Brouillet, par. VI-2.66; G. Régimbald et D. Newman, The Law of the Canadian Constitution (2e éd. 2017), §5.91).

[42]                          Déterminer s’il y a une entrave au contenu essentiel d’une compétence exclusive est une question de droit : l’analyse porte uniquement sur les effets de la loi de l’autre ordre de gouvernement sur le cœur d’une compétence exclusive (COPA, par. 57). Même si la preuve introduite par les parties s’avérera la plupart du temps éclairante, l’analyse n’en dépend pas. En effet, « l’analyse doit porter sur la compétence elle-même » (par. 48).

[43]                          Dans notre jurisprudence, il a été mentionné que l’entrave doit concerner le contenu essentiel de la compétence exclusive de l’autre ordre de gouvernement ou « l’élément vital ou essentiel d’une entreprise établie par lui » (Banque canadienne de l’Ouest, par. 48; voir aussi les par. 51-52). L’intervenante l’Association canadienne des télécommunications insiste sur l’importance de ce passage, qui sous‑entend que deux voies donnent ouverture à l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Toutefois, il importe de souligner que le point focal de la doctrine est le contenu essentiel de la compétence exclusive. De ce point de vue, évaluer de quelle manière la loi contestée affecte « l’élément vital ou essentiel » d’une entreprise est plutôt une démarche susceptible de signaler de façon concrète que la loi contestée a un effet entravant sur le contenu essentiel de la compétence exclusive (J. G. Furey, « Interjurisdictional Immunity : The Pendulum Has Swung » (2008), 42 S.C.L.R. (2d) 597, p. 601).

[44]                          C’est d’ailleurs ce qui a été suggéré dans l’arrêt Bell Canada (1988), lequel contient toujours des enseignements pertinents bien que, depuis l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest, ceux qui concernent le degré d’empiètement requis soient devenus obsolètes. En effet, le juge Beetz a bien exprimé que l’examen des effets d’une loi sur les activités d’une entreprise peut fournir des indices probants quant à la présence ou non d’un degré inacceptable d’empiètement :

Si l’application d’une loi provinciale à une entreprise fédérale a pour effet de l’entraver ou de la paralyser, c’est, à fortiori, le signe quasi infaillible que cette sujétion atteint l’entreprise dans ce qui fait sa spécificité fédérale et constitue un empiétement sur la compétence législative exclusive du Parlement. [p. 860]

[45]                          L’utilité d’une telle démarche est notamment illustrée dans l’arrêt Marcotte, où la Cour s’est intéressée aux effets concrets des dispositions contestées d’une loi provinciale sur les activités bancaires des parties appelantes avant de déterminer que ceux-ci étaient insuffisants pour conclure à une entrave atteignant le cœur de la compétence exclusive du Parlement sur les banques (par. 66-67 et 69). De même, dans l’arrêt Rogers, la Cour s’est penchée sur la façon dont la réglementation contestée nuisait de façon concrète aux activités d’une entreprise de télécommunication. Cet examen l’a amenée à conclure que la réglementation en question constituait une « atteinte grave et importante au cœur de la compétence fédérale en matière de radiocommunication » (par. 71-72). Cet arrêt témoigne du fait que, ultimement, l’étude des effets d’une loi contestée sur un élément vital ou essentiel d’une entreprise relève de l’analyse de la seconde condition nécessaire à l’applicabilité de la doctrine, c’est-à-dire la présence d’une entrave au contenu essentiel d’une compétence exclusive.

[46]                          Même si la preuve est muette à cet égard, il est possible de tenir compte des effets découlant de l’application de la loi contestée qui sont susceptibles de constituer une entrave :

     Quand il s’agit de décider s’il y a entrave, on ne peut faire abstraction des entraves ou des atteintes potentielles, surtout lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, de lois provinciales globales destinées à être complétées par un grand nombre de règlements, d’ordonnances ou d’avis de correction, ou encore susceptibles de produire sur l’entreprise des effets aussi bien majeurs que mineurs, mais impossibles à prévoir au moment où il faut statuer sur l’applicabilité de la loi, comme c’est le cas par exemple pour l’exercice du droit de refus.

 

(Bell Canada (1988), p. 862)

[47]                          Bien qu’il ait coulé beaucoup d’eau sous les ponts depuis ces commentaires du juge Beetz, ils demeurent d’actualité. L’arrêt COPA exemplifie bien ce constat. Dans cette affaire, deux citoyens avaient construit un aérodrome enregistré en vertu d’une loi adoptée par le Parlement. Cet aérodrome se situait dans une région agricole désignée. Toutefois, une disposition d’une loi provinciale sur la protection du territoire agricole interdisait d’utiliser un lot se situant dans une telle région à une fin autre que l’agriculture sans l’autorisation préalable d’un organisme administratif (par. 9). La Cour a conclu que cette disposition provinciale « entrave effectivement l’exercice du pouvoir fédéral de décider où et quand construire les aérodromes » (par. 47). En discutant de la nature de l’entrave, la juge en chef McLachlin n’a pas limité son analyse aux faits particuliers du pourvoi COPA; elle s’est penchée sur les effets de l’application de la disposition en cause :

     L’article 26 de la [Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, L.R.Q., c. P-41.1 (« LPTAA »)] limite, ou entrave, considérablement le pouvoir du Parlement de déterminer où des aérodromes peuvent être construits. Cet article de la LPTAA ne stérilise pas le pouvoir du Parlement de légiférer en matière d’aéronautique; la doctrine de la prépondérance permettrait au Parlement d’écarter par voie législative la législation provinciale sur le zonage dans le but de construire des aérodromes. Mais la LPTAA aurait tout de même des conséquences graves sur la façon dont la compétence peut être exercée. Au lieu du régime permissif actuel, le Parlement serait obligé de légiférer relativement à l’emplacement précis de chaque aérodrome. Une restriction de cette importance de la liberté de faire des lois constitue une entrave à l’exercice de la compétence du Parlement. [Italique omis; par. 48.]

[48]                          Un raisonnement analogue a été appliqué par le juge Gonthier dans l’arrêt Commission de transport de la Communauté urbaine de Québec c. Canada (Commission des champs de bataille nationaux), [1990] 2 R.C.S. 838, où ont été considérés les effets de l’application d’un régime de permis émanant d’une loi provinciale. Le juge Gonthier a conclu que son application « aurait pour conséquence de soumettre la mise en place, la substance et le maintien du service fédéral de transport au contrôle largement discrétionnaire de la Commission des transports et du gouvernement, alors que ces aspects sont de compétence fédérale exclusive » (p. 860). C’est aussi en s’attardant aux effets de l’application de législations contestées que des cours d’appel ont constaté la présence d’entraves (IMTT, par. 218-221; Halton (Regional Municipality) c. Canadian National Railway Co., 2024 ONCA 174, 171 O.R. (3d) 41, par. 75-76; Vancouver International Airport c. Lafarge Canada Inc., 2011 BCCA 89, 331 D.L.R. (4th) 737, par. 59).

[49]                          Par exemple, dans l’arrêt IMTT de la Cour d’appel du Québec, la doctrine de l’exclusivité des compétences a été invoquée par une entreprise exerçant des activités au cœur de la compétence du Parlement en matière maritime. Les articles contestés de la loi provinciale assujettissaient « les projets de développement à une autorisation provinciale discrétionnaire » ne pouvant être octroyée qu’à la suite d’une évaluation environnementale, ce qui permettait « au ministre de l’Environnement du Québec et au gouvernement du Québec d’autoriser ou non un projet, d’imposer les conditions d’une telle autorisation et même, depuis les amendements de 2017, de réglementer un projet à la pièce » (par. 206). Devant la Cour d’appel, le procureur général de la province prétendait que les tribunaux devraient « présumer que les autorités provinciales exerceront leurs pouvoirs discrétionnaires de façon à ne pas entraver le cœur d’une compétence fédérale » (par. 220). Cet argument a été rejeté de façon convaincante :

L’argument ne saurait tenir car cela aurait pour effet direct de contourner la compétence fédérale exclusive sur les propriétés publiques fédérales utilisées à des fins fédérales.

 

     En effet, le gouvernement du Québec ne détient aucune compétence constitutionnelle pour approuver des projets sur des propriétés publiques fédérales servant à des fins ou des activités liées à une compétence fédérale exclusive . . .

 

     . . . Le principe de précaution environnementale ne peut en soi servir de fondement à une évaluation environnementale par un ordre de gouvernement lorsque celui-ci n’exerce aucune compétence décisionnelle à l’égard d’un projet. Permettre à l’un ou l’autre des deux ordres de gouvernement d’exiger l’évaluation d’un projet relevant exclusivement de l’autre ordre sans qu’il doive y exercer un pouvoir décisionnel fondé sur une compétence constitutionnelle autrement valide mettrait en péril l’équilibre constitutionnel canadien. [par. 220-222]

[50]                          Nous souscrivons à cette approche. La prévisibilité joue un rôle clé dans « le bon fonctionnement du partage des compétences » (PHS, par. 65, se référant à Banque canadienne de l’Ouest, par. 23-24) et, afin qu’elle soit assurée, il importe de tenir compte des effets de l’application de la loi litigieuse, que ceux-ci se soient matérialisés ou non. Il doit en être ainsi étant donné que l’analyse relève essentiellement de l’interprétation de la loi de l’autre ordre de gouvernement. Il n’existe pas de raison valable d’adopter une attitude [traduction] « attentiste » (voir Halton, par. 76) lorsque l’interprétation d’une disposition ou d’un régime législatif révèle clairement le caractère potentiel (Bell Canada (1988), p. 862) d’une entrave au cœur d’une compétence exclusive.

B.            Application aux faits

(1)          Remarques préliminaires

[51]                          Rappelons que l’analyse du caractère véritable « précède l’examen de l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences et celle de la prépondérance fédérale, lesquelles présupposent la validité constitutionnelle de la loi ou de la mesure contestée » (Rogers, par. 35; voir aussi Banque canadienne de l’Ouest, par. 76; Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327, par. 17). Dans les présents pourvois, nul ne conteste que la LSP vise à réguler l’industrie de la sécurité privée et relève de la compétence des provinces en matière de propriété et de droits civils (par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867; motifs de la C.A. (Opsis), par. 134; motifs de la C.A. (SMQ), par. 95). Sa validité n’est pas en jeu.

[52]                          De plus, notre Cour a déjà suggéré qu’il est « en général » préférable d’entreprendre l’examen de la prépondérance fédérale avant celui de l’exclusivité des compétences en « l’absence de décisions antérieures préconisant son application à l’objet du litige » (Banque canadienne de l’Ouest, par. 78). Cette suggestion a été formulée afin de favoriser, dans la mesure du possible, l’application concomitante des lois adoptées par deux ordres de gouvernement. Des auteurs ont cependant critiqué cette suggestion, notant que l’applicabilité d’une loi devrait être considérée avant son caractère opérant (voir Hogg et Wright, § 15:16; R. Elliot, « Interjurisdictional Immunity after Canadian Western Bank and Lafarge Canada Inc. : The Supreme Court Muddies the Doctrinal Waters — Again » (2008), 43 S.C.L.R. (2d) 433, p. 495-496). En effet, il faut reconnaître que, dans la plupart des cas, cette dernière approche sera la plus logique et appropriée. D’ailleurs, dans tous nos arrêts postérieurs à Banque canadienne de l’Ouest ayant traité des deux doctrines, soit les arrêts Colombie-Britannique (Procureur général) c. Lafarge Canada Inc., 2007 CSC 23, [2007] 2 R.C.S. 86, COPA, Marine Services, Marcotte et Transport Desgagnés, la doctrine de l’exclusivité des compétences a été abordée en premier lieu. Cela dit, il n’est pas exclu que, dans certaines circonstances, il soit avantageux de considérer la doctrine de la prépondérance fédérale avant celle de l’exclusivité des compétences. Il arrive également que seule la doctrine de la prépondérance fédérale soit invoquée. Une partie n’est pas tenue de soulever d’abord, ni même de soulever du tout, la doctrine de l’exclusivité des compétences si elle choisit de fonder sa contestation exclusivement sur la doctrine de la prépondérance fédérale.

[53]                          En l’espèce, les débats ont surtout porté sur l’applicabilité de la doctrine de l’exclusivité des compétences et cette dernière a été abordée en premier lieu par les juges de la Cour d’appel dans l’affaire SMQ (par. 56 et 148). Ajoutons que, dans l’affaire Opsis, l’appelante présente pour la première fois devant notre Cour des arguments concernant la doctrine de la prépondérance fédérale, un enjeu sur lequel les tribunaux inférieurs n’ont pas eu l’occasion de se prononcer. Il existe de surcroît des précédents directement applicables à l’objet du litige dans l’affaire Opsis et, comme nous le verrons, applicables également à l’affaire SMQ par analogie. Dans ce contexte, il convient de passer directement à l’examen de la doctrine de l’exclusivité des compétences.

(2)          La première condition

a)              Affaire Opsis

[54]                          L’aéronautique constitue une compétence exclusive du Parlement en vertu de son pouvoir de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada (art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867). Elle a été reconnue comme une question d’importance nationale (voir COPA, par. 28-31, se référant à Johannesson c. Rural Municipality of West St. Paul, [1952] 1 R.C.S. 292, et à Air Canada c. Ontario (Régie des alcools), [1997] 2 R.C.S. 581, par. 72).

[55]                          Plusieurs précédents ont traité de façon plus précise du rapport entre cette compétence fédérale exclusive et les aéroports. Il est maintenant accepté que « la compétence fédérale en matière d’aéronautique comprend non seulement la réglementation de l’exploitation d’un aéronef, mais également la réglementation de l’exploitation des aéroports » (Air Canada, par. 72; COPA, par. 31). Comme l’a noté la juge en chef McLachlin, « les aéroports et les aérodromes canadiens forment un réseau de lieux d’atterrissage qui, ensemble, facilitent le transport aérien et assurent la sécurité » (COPA, par. 33). Le juge Estey a d’ailleurs reconnu il y a plusieurs décennies que, [traduction] « sous quelque considération pratique que ce soit, il est impossible de dissocier l’étape du vol de celles du décollage et de l’atterrissage, et il est donc totalement irréaliste, en particulier lorsqu’on examine la question de la compétence, de les traiter comme si elles étaient indépendantes les unes des autres » (Johannesson, p. 319; Québec (Procureur général) c. Lacombe, 2010 CSC 38, [2010] 2 R.C.S. 453, par. 27).

[56]                          Par ailleurs, dans l’arrêt Lafarge, les juges Binnie et LeBel ont cité avec approbation les commentaires du juge MacKinnon de la Cour d’appel de l’Ontario selon lesquels [traduction] « les aéroports constituent une partie intégrante et essentielle de l’aéronautique et de la navigation aérienne, et ils ne peuvent être dissociés de ce domaine de manière à relever d’une autre compétence législative » (par. 64, citant Re Orangeville Airport Ltd. and Town of Caledon (1976), 11 O.R. (2d) 546 (C.A.), p. 549).

[57]                          Il peut être déduit des indications de notre jurisprudence que la sécurité des aéroports, dans la mesure où elle est liée à la sécurité du transport aérien lui-même, est au cœur de la compétence en matière d’aéronautique. Cela coule de source, car « [s]ans mesure de sûreté et de sécurité, il n’y aurait tout simplement pas d’aviation civile » (motifs de la C.A. (Opsis), par. 12, le juge Ruel, dissident; voir aussi le par. 67). Ce constat fait d’ailleurs écho au passage de l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest suivant lequel « les transporteurs interprovinciaux et internationaux ont un intérêt vital et essentiel à pouvoir se poser dans un aéroport ou à accéder à un port sécuritaire » (par. 54).

[58]                          Les tâches associées au mandat d’Opsis à l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau incluent la surveillance caméra des emplacements intérieurs et extérieurs de l’aéroport et l’opération des systèmes informatisés du centre d’appels — dont certains peuvent provenir de la tour de contrôle (d.a., vol. II, p. 137; motifs de la C.S. (Opsis), par. 73). Ces activités relèvent incontestablement du contenu essentiel de la compétence en matière d’aéronautique en ce qu’elles sont liées à la sécurité du transport aérien lui-même. L’application de la LSP aux activités d’Opsis permet de conclure que la première condition à l’applicabilité de la doctrine est remplie. Il y a empiètement sur le contenu essentiel d’un chef de compétence exclusif.

b)             Affaire SMQ

[59]                          Aux termes du par. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867, la compétence sur la navigation et les bâtiments ou navires (shipping) est attribuée au Parlement. Celle-ci est vaste et « englobe les aspects de la navigation et des bâtiments ou navires qui se rapportent à des objets nationaux exigeant une réglementation uniforme dans tout le pays, sans égard à leur portée territoriale » (Marine Services, par. 61, citant Tessier Ltée c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), 2012 CSC 23, [2012] 2 R.C.S. 3, par. 22). Notre Cour a jugé que « les opérations à quai de déchargement et d’entreposage sont partie “intégrante” du transport maritime » (Lafarge, par. 35, citant ITO — International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752). Dans l’arrêt Lafarge, les juges Binnie et LeBel ont formulé les propos suivants à l’égard de ce chef de compétence exclusif :

     Historiquement, la compétence fédérale en matière de navigation et de bâtiments ou navires a été interprétée de façon libérale (Queddy River Driving Boom Co. c. Davidson (1883), 10 R.C.S. 222). Les intérêts locaux ne sauraient entraver les besoins du pays en matière de transport. Rien ne serait plus inutile qu’un navire auquel on refuserait l’espace nécessaire pour accoster ou prendre possession de son fret et qui serait ainsi condamné, comme le Flying Dutchman, à naviguer éternellement. Mentionnons au besoin, à l’appui de la thèse que les entreprises de transport ont besoin d’installations pour charger et décharger leur fret, la décision Attorney-General for Ontario c. Winner, [1954] A.C. 541 (C.P.). Une réglementation efficace des installations portuaires est aussi essentielle au secteur maritime que les aéroports le sont à l’aéronautique. [par. 64]

[60]                          Même en l’absence d’un précédent explicite à cet égard, il ne fait pas de doute que la sécurité des installations maritimes et de leurs opérations est au cœur de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires. Une installation portuaire joue pour les navires le même rôle que celui qu’un aérodrome joue pour les aéronefs. Tout comme en matière de transport aérien, « [s]ans mesures robustes et uniformes de sûreté et de sécurité, il ne pourrait y avoir de navigation et de commerce maritime » (motifs de la C.A. (SMQ), par. 60, le juge Ruel, dissident). La sécurité des installations maritimes est donc une condition absolument nécessaire afin que le Parlement puisse « réaliser l’objectif pour lequel la compétence législative exclusive a été attribuée » (COPA, par. 35, citant Banque canadienne de l’Ouest, par. 77).

[61]                          Les activités de débardage international de SMQ au terminal de Pointe-au-Pic — et par extension les activités de gardiennage exercées par son employé M. Fillion— s’inscrivent précisément au cœur de cette compétence fédérale exclusive. D’ailleurs, les tâches de surveillance exécutées par M. Fillion s’inscrivent dans un plan de sûreté exigé par la réglementation fédérale en matière de sûreté maritime et dont la conformité doit être approuvée par Transports Canada. Le lien entre la sûreté des installations maritimes et les opérations de SMQ, qui visent à assurer la sécurité du terminal de Pointe-au-Pic, est donc évident. L’application de la LSP aux appelants SMQ et M. Fillion constituent donc, comme dans l’affaire Opsis, un empiètement sur le contenu essentiel d’un chef de compétence exclusif.

(3)          La seconde condition

a)              Précisions méthodologiques

[62]                          Dans les présents pourvois, les intimés prétendent que, pour déterminer s’il y a entrave, la Cour devrait adopter une approche étroite consistant à examiner uniquement les dispositions relatives à l’obtention des permis d’agence et d’agent. Selon eux, ce devrait être le cas puisque les autres aspects de la LSP ne sont pas « en cause » (m.i. (Opsis), procureur général du Québec, par. 98-99; m.i. (SMQ), par. 31-32).

[63]                          Avec égards, un régime de permis comme celui mis en place par la LSP ne se prête pas à une analyse en silo. L’obtention d’un permis est bien souvent futile s’il ne peut être maintenu ou renouvelé. C’est donc en toute logique qu’un régime de permis sera généralement « envisagé globalement » (Commission des champs de bataille nationaux, p. 860), bien que cela puisse varier en fonction des particularités d’un litige et de la loi contestée. Cela étant dit, vu la portée restreinte de la doctrine de l’exclusivité des compétences, son application doit être limitée aux dispositions précises de la loi contestée qui entravent le cœur de la compétence exclusive (Marcotte, par. 65; IMTT, par. 274; voir aussi COPA, par. 15-16). 

b)             Les aspects litigieux de la LSP et de ses règlements d’application

[64]                          Bien que les appelants demandent que la LSP dans son ensemble soit déclarée inapplicable, leurs arguments ciblent des dispositions spécifiques qui, à leur avis, constituent des sources d’entraves au cœur d’une compétence fédérale exclusive. Pour faciliter l’analyse, nous traiterons séparément des divers aspects litigieux de la LSP afin de cerner avec précision les sources d’entraves. Il faut néanmoins garder à l’esprit que les dispositions contestées sont interreliées et font partie du tout que constitue la LSP, comme il en sera question dans la dernière partie des présents motifs. 

(i)            Les exigences relatives à l’obtention du permis d’agence

[65]                          Comme cela a été évoqué ci-haut (aux par. 21 et suiv.), en vertu de la LSP, la délivrance du permis d’agence est soumise à diverses conditions. Essentiellement, l’entreprise qui en fait la demande doit posséder un établissement au Québec, être solvable, détenir une assurance responsabilité et fournir un cautionnement selon la forme déterminée par règlement (art. 9). De plus, le représentant de l’entreprise doit avoir « de bonnes mœurs », ne jamais avoir été reconnu coupable d’une infraction criminelle et satisfaire à toute autre condition déterminée par règlement (art. 7 al. 1). Des exigences semblables s’appliquent au propriétaire de l’entreprise, à tout administrateur et à tout associé ou actionnaire qui a un intérêt important dans l’entreprise (art. 8). Le représentant de l’entreprise doit en outre « suivre la formation dispensée par le Bureau dans les six mois suivant la date de sa désignation à titre de représentant » (art. 7 al. 2). Enfin, la LSP prévoit certaines obligations reliées à l’obtention d’un permis, dont celles de verser les droits annuels fixés par règlement (art. 12) et d’afficher son permis ou une copie de celui-ci de manière à ce qu’il soit visible (art. 13).

[66]                          Une entreprise doit satisfaire à ces exigences d’ordre administratif afin d’exercer des activités visées par la LSP. Vu leur caractère impératif, lorsque ces exigences sont appliquées à une entreprise dont les activités sont au cœur d’un champ de compétence exclusif du Parlement, elles empiètent par la force des choses sur le cœur d’une telle compétence. Cela ne signifie pas pour autant que la seule existence d’un régime de permis suffit pour conclure à la présence d’une entrave entraînant l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences (Procureure générale du Québec c. Leclerc, 2018 QCCA 1567, par. 79-82; Halton, par. 73, se référant à Regina c. TNT Canada Inc., 58 O.R. (2d) 410 (C.A.)). Ce pourrait toutefois être le cas, par exemple lorsque les exigences relatives à l’obtention d’un permis sont déraisonnables au point de constituer une entrave. De même, si les frais liés à la formation des employés de l’entreprise sont excessivement élevés, il sera possible de dire que le permis est tellement restrictif qu’il peut [traduction] « être qualifié de tentative déguisée de réglementer ou de “stériliser” » des activités au cœur d’une compétence exclusive (Aeroguard Co. c. British Columbia (Attorney General) (1998), 50 B.C.L.R. (3d) 88 (C.S.), par. 23). Ce sera aussi le cas lorsque l’obtention du permis est subordonnée à l’exercice d’un large pouvoir discrétionnaire ayant pour effet de donner à l’autre ordre de gouvernement le dernier mot sur la possibilité d’exercer des activités se situant au cœur d’une compétence exclusive (voir Commission des champs de bataille nationaux, p. 859-860; IMTT, par. 218-222; Halton, par. 75‑77). Tout dépend du contexte législatif en question. 

[67]                          En l’espèce, il ne peut être affirmé que les conditions relatives à l’obtention du permis sont fâcheuses pour les activités d’une entreprise comme Opsis. Plusieurs de ces conditions ne visent qu’à faire en sorte que les services de sécurité privée sont offerts par des entreprises ayant une santé financière minimale. Celles relatives aux représentants, propriétaires, actionnaires ou associés importants et administrateurs sont également peu onéreuses. D’aucuns pourraient s’interroger sur la large portée du critère des « bonnes mœurs », mais celui-ci est balisé et octroie en réalité une discrétion limitée au Bureau. L’article 27 LSP tend à indiquer que ce critère doit être évalué à la lumière des vérifications effectuées par la Sûreté du Québec. Comme l’a souligné le juge de la Cour supérieure, ce critère « ne réfère pas à un simple jugement de valeur et [. . .] s’intéresse plutôt aux comportements délinquants ou à des faits révélant un manque de probité chez la personne concernée » (motifs de la C.S. (Opsis), par. 111, se référant à Montréal (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2008 CSC 48, [2008] 2 R.C.S. 698, par. 24-29).

[68]                          Les conditions relatives à l’obtention du permis d’agence n’ont en soi aucune incidence sur la façon dont Opsis doit mener ses activités, ni sur les normes en matière de sécurité aéroportuaire auxquelles elle doit se conformer. Dans cette perspective, il n’y a pas lieu — à ce stade de l’analyse — de conclure à l’existence d’une entrave au cœur d’une compétence exclusive du Parlement. Soulignons que l’appelante SMQ n’est pas concernée par les modalités d’obtention du permis d’agence, car elle n’est pas une entreprise qui offre des activités de sécurité privée (art. 4 LSP). 

(ii)          Les exigences relatives à l’obtention du permis d’agent

[69]                          En ce qui a trait aux exigences d’obtention du permis d’agent, la majorité des commentaires qui précèdent sont transposables. Un critère particulier auquel doit satisfaire la personne qui demande un permis d’agent est d’« avoir la formation exigée par règlement » (art. 19 par. 1 LSP), soit le Règlement sur la formation exigée pour l’obtention d’un permis d’agent pour l’exercice d’une activité de sécurité privée, RLRQ, c. S-3.5, r. 2.

[70]                          Dans le cas des activités exercées par les employés d’Opsis visés par la LSP (art. 16), le Règlement sur la formation n’impose aucune formation particulière (art. 1, a contrario). En ce qui a trait aux activités de gardiennage exercées par M. Fillion pour son employeur SMQ, une formation minimale de 70 heures est requise (art. 1 par. 1). Le fait d’exiger une certaine formation des personnes appelées à exercer des activités de sécurité privée a certes pour effet de restreindre le bassin d’employés potentiels d’entreprises telles Opsis et SMQ, mais on ne saurait dire que cela gêne sérieusement leurs activités. Pour cet aspect de la LSP, il n’y a pas lieu de conclure à l’existence d’une entrave. 

(iii)        Les exigences relatives aux normes de comportement

[71]                          L’article 30 al. 1(5) LSP prévoit notamment que le Bureau a le pouvoir de « suspendre, révoquer ou refuser de renouveler le permis d’agent d’un titulaire » lorsque ce dernier « a contrevenu aux normes de comportement établies par règlement ». Ce paragraphe doit être lu en corrélation avec l’art. 107 par. 6 LSP, qui précise que le Bureau « doit » déterminer par règlement « les normes de comportement applicables aux titulaires de permis d’agent dans l’exercice de leurs fonctions ». Le Bureau a pris, en application de cet article, le Règlement sur les normes de comportement. Une partie de l’art. 6 de ce règlement retient tout particulièrement l’attention :

6. Le titulaire d’un permis d’agent doit agir avec compétence et professionnalisme. Il doit exécuter les activités de sécurité privée pour lesquelles il est affecté et toutes les fonctions liées à ce travail en faisant preuve, entre autres, du plus haut degré d’intégrité, de compétence, de vigilance, de diligence et de soin que l’on est raisonnablement en droit de s’attendre d’un titulaire de permis d’agent.

 

     Dans l’exercice de ses fonctions, il ne doit pas, notamment :

 

     1° être négligent ou insouciant;

[72]                          Soulignons aussi que, aux termes de l’art. 118 LSP, « [q]uiconque, par un ordre, un conseil, une directive ou une politique, amène un titulaire de permis d’agent à contrevenir à une norme de comportement commet une infraction et est passible d’une amende de 500 $ à 5 000 $ ».

[73]                          Selon les juges majoritaires de la Cour d’appel, les normes de comportement édictées par règlement sont d’application générale et ne permettent pas au Bureau de contrôler la manière dont les employés d’Opsis ou de SMQ doivent exercer leurs activités (motifs de la C.A. (Opsis), par. 176; motifs de la C.A. (SMQ), par. 185). Conclure le contraire reviendrait à se fonder sur des « hypothèses et des conjectures » (motifs de la C.A. (Opsis), par. 176; voir aussi les motifs de la C.A. (SMQ), par. 222-223). Ce point de vue est partagé par les intimés. Les appelants invitent plutôt la Cour à adopter la position du juge dissident, qui estime que, en cherchant à intervenir auprès des titulaires de permis d’agent en ce qui concerne ces normes de comportement, le Bureau « se trouverait nécessairement à devoir régir et à appliquer les règles de la sûreté et de la sécurité aéronautiques » (motifs de la C.A. (Opsis), par. 81). Il parvient à la même conclusion dans l’affaire SMQ en ce qui a trait au cœur de la compétence maritime (par. 64).

[74]                          Nous arrivons à la même conclusion que le juge dissident. Le pouvoir de suspendre, de révoquer ou de refuser de renouveler le permis d’agent octroyé au Bureau par l’art. 30 LSP révèle clairement la potentialité d’une entrave. Le Bureau a le pouvoir d’assujettir les titulaires de permis d’agent à des normes de comportement dont lui seul détermine le contenu (art. 107 par. 6 LSP), et il lui revient d’évaluer si elles sont respectées ou non, quel que soit leur degré de généralité. En guise d’illustration, le Règlement sur les normes de comportement interdit à un titulaire d’être « négligent ou insouciant » dans l’exercice de ses fonctions (art. 6 al. 2(1)), et le Bureau a toute la latitude pour décider ce qui constitue un tel comportement négligent ou insouciant. Une contravention à ces normes, dont les contours sont établis par le Bureau, lui permet d’exercer les pouvoirs prévus par l’art. 30 LSP, lesquels entraînent nécessairement la cessation des activités de sécurité privée par le titulaire du permis d’agent (art. 16 LSP). 

[75]                          Le régime de permis d’agent établi par la LSP permet ainsi à un organisme administratif créé par la législature provinciale d’avoir « le dernier mot » sur la manière dont doivent être conduites des activités, y compris celles des appelants, qui sont au cœur d’une compétence fédérale exclusive, comme c’était le cas dans l’affaire COPA (par. 1 et 46-48). Dit autrement, ces activités se trouvent « à la merci » du Bureau (Commission des champs de bataille nationaux, p. 859). Or, l’un des objectifs de la doctrine de l’exclusivité des compétences est justement d’empêcher qu’un ordre de gouvernement puisse [traduction] « accomplir indirectement ce qu’il n’a pas le pouvoir d’accomplir directement » (K. Wilkins, « Exclusively Yours : Reconsidering Interjurisdictional Immunity » (2019), 52 U.B.C. L. Rev. 697, p. 712). Dès lors, nous n’avons pas de difficulté à conclure que, vu l’effet de l’art. 30 al. 1(5) LSP, qui doit être lu en corrélation avec les autres articles de la LSP relatifs aux normes de comportement, il y a en l’espèce entrave au contenu essentiel des compétences exclusives du Parlement en matières aéronautique et maritime.

(iv)        Le pouvoir du Bureau de donner des directives entourant l’exercice des activités d’un titulaire de permis d’agence

[76]                          À des « fins de protection du public », le Bureau peut notamment donner « à un titulaire de permis d’agence des directives entourant l’exercice de ses activités » (art. 42 par. 1 LSP). Puisqu’il est uniquement question du permis d’agence, ce pouvoir ne concerne que l’affaire Opsis. Le paragraphe 4 de l’art. 29 LSP prévoit que le titulaire du permis d’agence qui « omet de suivre les directives que le Bureau lui donne » peut voir son permis être suspendu, révoqué ou non renouvelé.

[77]                          Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont souligné que ce pouvoir représente au mieux une « entrave purement spéculative », étant donné qu’il n’est pas certain que le Bureau l’exercera et, au surplus, que s’il l’exerce il le fera d’une manière qui entravera le cœur de la compétence fédérale en matière aéronautique (motifs de la C.A. (Opsis), par. 202-203 (soulignement omis)).

[78]                          Avec égards, nous ne pouvons souscrire à ce point de vue pour des raisons semblables à celles qui viennent d’être énoncées. À l’instar de ses pouvoirs liés aux normes de comportement, le pouvoir de donner à un titulaire de permis d’agence « des directives entourant l’exercice de ses activités » octroie au Bureau une large discrétion. Ce pouvoir constitue une épée de Damoclès au-dessus de la tête d’une entreprise comme Opsis, puisque le Bureau est habilité à lui dicter la manière d’exécuter ses activités de sécurité aéroportuaire et que, si elle omet de se conformer, elle est susceptible de perdre son permis d’agence (art. 29 par. 4 LSP) et donc de ne plus pouvoir offrir des activités de sécurité privée (art. 4 LSP). Il apparaît donc évident que l’application du par. 4 de l’art. 29, lequel doit être lu en corrélation avec l’art. 42 par. 1 LSP, a pour effet d’assujettir au contrôle d’un organisme administratif créé par la législature provinciale les activités d’Opsis qui relèvent du cœur d’une compétence exclusive du Parlement. Ici encore, nous n’avons aucune difficulté à conclure à l’existence d’une entrave au contenu essentiel de la compétence exclusive du Parlement en matière aéronautique.

[79]                          Les tribunaux inférieurs ont également discuté des larges pouvoirs d’enquête et d’inspection attribués au Bureau (art. 69 à 74 LSP). Ces pouvoirs n’ont en soi aucun effet sur l’exercice des activités d’Opsis et de SMQ qui sont au cœur d’une compétence fédérale exclusive. Il est toutefois possible d’affirmer que ces pouvoirs représentent le véhicule par lequel le Bureau est en mesure d’exercer certains pouvoirs qui, comme cela vient d’être constaté, constituent des entraves.

(4)          L’ampleur de la déclaration d’inapplicabilité

[80]                          Pour résumer, deux aspects du régime de permis de la LSP satisfont à la deuxième condition d’applicabilité de la doctrine de l’exclusivité des compétences dans les deux présents pourvois. D’une part, pour ce qui est du permis d’agent, l’entrave provient des pouvoirs que possède le Bureau lorsqu’il juge qu’il y a contravention aux normes de comportement en matière de sécurité privée (art. 30 LSP). D’autre part, pour ce qui est du permis d’agence, l’entrave découle des pouvoirs dont dispose le Bureau lorsque les directives qu’il donne entourant l’exercice d’activités de sécurité privée ne sont pas respectées (art. 29 LSP).

[81]                          Il nous incombe maintenant de déterminer si seuls ces deux aspects de la LSP doivent être déclarés inapplicables aux appelants, ou s’il convient plutôt de déclarer que l’ensemble du régime de permis établi par cette loi leur est inapplicable. Étant donné que les dispositions entravantes sont indissociables du tout cohérent que forme la LSP, c’est cette deuxième avenue qui, à notre avis, doit être privilégiée.

[82]                          En effet, les deux aspects entravants de la LSP se rattachent à la fonction essentielle du Bureau, à savoir sa mission de veiller à la protection du public, notamment en voyant à l’application de la LSP et de ses règlements (art. 41). Le juge Morissette a constaté avec justesse que la LSP octroie au Bureau « des fonctions analogues à celle d’un ordre professionnel » (Société québécoise des infrastructures, par. 12). Comme l’indique expressément l’art. 23 du Code des professions, RLRQ, c. C-26, un ordre professionnel doit « notamment contrôler l’exercice de la profession par ses membres » afin d’accomplir sa mission principale qui est « d’assurer la protection du public ».

[83]                          Si le Bureau perd sa faculté de suspendre, révoquer ou refuser de renouveler le permis d’agent d’un titulaire qui contrevient aux normes de comportement établies par règlement (art. 30 al. 1(5) LSP), sa capacité à contrôler les activités de sécurité privée s’en trouverait fortement limitée. Le même constat s’applique en ce qui a trait à l’exercice de cette faculté lorsqu’un titulaire de permis d’agence omet de suivre les directives que le Bureau lui donne (art. 29 par. 4). L’absence de ces deux aspects entravants de la LSP priverait le Bureau d’outils importants lui servant à accomplir sa mission première qui est d’assurer la protection du public. Dans cette éventualité, le pouvoir du Bureau de donner des directives à un titulaire de permis d’agence (art. 42 par. 1 LSP) et celui de déterminer, par règlement, des normes comportementales applicables aux titulaires de permis d’agent (art. 107 par. 6 LSP) perdraient leur force contraignante et deviendraient essentiellement symboliques.

[84]                          Sous cet angle, il semble évident que le législateur québécois n’aurait pas adopté la LSP sans les dispositions entravantes, lesquelles sont véritablement indissociables du reste de la loi et essentielles au tout dans lequel elles s’inscrivent. Puisqu’une déclaration d’inapplicabilité ciblée risquerait de modifier la nature du régime législatif voulu par le législateur, la réparation appropriée consiste à donner une interprétation atténuée à l’ensemble de la loi, afin que les appelants soient exclus de son champ d’application (voir, par analogie, Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38, [2020] 3 R.C.S. 629, par. 114; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96, par. 50-51).

VII.      Conclusion

[85]                          Compte tenu de nos conclusions, il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments des parties concernant la doctrine de la prépondérance fédérale. Il est déclaré que la LSP est constitutionnellement inapplicable aux appelants en vertu de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Le pourvoi d’Opsis est accueilli, avec dépens devant notre Cour et la Cour d’appel. Le jugement de la Cour d’appel est infirmé et le jugement de la Cour supérieure est rétabli. Le pourvoi de SMQ et M. Fillion est également accueilli, avec dépens devant notre Cour et la Cour d’appel. Les jugements de la Cour d’appel et de la Cour supérieure sont infirmés et le jugement de la Cour du Québec est rétabli en partie, la déclaration d’inapplicabilité étant remplacée par celle que nous prononçons à l’égard de l’ensemble de la LSP.

                    Pourvois accueillis avec dépens devant la Cour et la Cour d’appel.

                    Procureurs de l’appelante Opsis Services aéroportuaires inc. : DLA Piper (Canada), Montréal.

                    Procureurs des appelants Services maritimes Québec inc. et Michel Fillion : Langlois Avocats, Montréal.

                    Procureurs de l’intimé le procureur général du Québec : Bernard, Roy (Justice Québec), Montréal; Ministère de la Justice du Québec, Direction du droit constitutionnel et autochtone, Québec (40786).

                    Procureurs de l’intimé le procureur général du Québec : Lavoie, Rousseau (Justice‑Québec), Québec; Ministère de la Justice du Québec, Direction du droit constitutionnel et autochtone, Québec (40791).

                    Procureur de l’intimé le directeur des poursuites criminelles et pénales : Directeur des poursuites criminelles et pénales, Longueuil.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Ministère de la Justice Canada, Ottawa.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Direction du droit constitutionnel, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des télécommunications : McCarthy Tétrault, Montréal.

                    Procureurs des intervenantes Aéroports de Montréal et Aéroport de Québec inc. : Prévost Fortin D’Aoust, Boisbriand.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association des banquiers canadiens : Borden Ladner Gervais, Toronto; Gowling WLG (Canada), Montréal.

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