COUR SUPRÊME DU CANADA |
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Référence : R. c. Bouvette, 2025 CSC 18 |
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Appel entendu : 14 novembre 2024 Jugement rendu : 6 juin 2025 Dossier : 40780 |
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Entre :
Tammy Marion Bouvette Appelante
et
Sa Majesté le Roi Intimé
- et -
Procureur général de l’Ontario, Association canadienne des libertés civiles, Innocence Canada et Independent Criminal Defence Advocacy Society Intervenants
Traduction française officielle
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau
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Motifs de jugement : (par. 1 à 128) |
Le juge Kasirer (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Côté, Rowe et Jamal) |
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Motifs concordants : (par. 129 à 300) |
La juge Martin (avec l’accord des juges Karakatsanis, O’Bonsawin et Moreau) |
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Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
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Tammy Marion Bouvette Appelante
c.
Sa Majesté le Roi Intimé
et
Procureur général de l’Ontario,
Association canadienne des libertés civiles,
Innocence Canada et
Independent Criminal Defence Advocacy Society Intervenants
Répertorié : R. c. Bouvette
2025 CSC 18
No du greffe : 40780.
2024 : 14 novembre; 2025 : 6 juin.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau.
en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique
Droit criminel — Appels — Pouvoirs de la cour d’appel — Erreur judiciaire — Réparation — Motifs pour prononcer un acquittement en appel — Non‑communication par la Couronne donnant lieu à une erreur judiciaire et à un appel par la personne déclarée coupable — Annulation de la déclaration de culpabilité par la Cour d’appel, mais inscription par celle‑ci d’un arrêt judiciaire des procédures plutôt que de l’acquittement sollicité par les parties — Conclusion de la Cour d’appel portant que le dossier admettrait l’existence d’une possibilité raisonnable qu’un verdict de culpabilité soit rendu lors d’un nouveau procès et qu’aucune circonstance spéciale ne justifiait un acquittement — La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en refusant de prononcer un acquittement? — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, art. 686(2).
En 2011, B a été accusée du meurtre au second degré d’une enfant de 19 mois qu’elle gardait, qui s’est noyée dans son bain. L’enfant a été déclarée en état de mort cérébrale à l’hôpital et elle est décédée peu après. Une autopsie a été pratiquée sur le corps de l’enfant par M. Ce dernier a témoigné pour la Couronne lors de l’enquête préliminaire de B que l’enfant avait des blessures récentes, qu’elle était morte par noyade et que le mode de décès était indéterminé. B a plaidé coupable à l’accusation moindre de négligence criminelle ayant causé la mort. Elle a été déclarée coupable et condamnée à 12 mois d’emprisonnement assortis d’une période de probation.
En 2020, une procureure spéciale nommée pour procéder à un examen indépendant de l’affaire a conclu que B n’avait peut‑être pas reçu communication de documents pertinents importants. La procureure spéciale a recommandé un contrôle en appel pour qu’il soit déterminé si une erreur judiciaire avait été commise. La Couronne a communiqué des documents qu’elle avait reçus avant que B ne plaide coupable et qui n’avaient pas été communiqués à B, y compris les résultats issus d’un examen par les pairs du travail de M dans l’affaire de B, indiquant que les conclusions tirées par M sur l’autopsie de l’enfant étaient déraisonnables.
En 2021, la demande présentée par B en vue de faire proroger le délai d’appel de sa déclaration de culpabilité a été accueillie et elle a sollicité des ordonnances annulant son plaidoyer de culpabilité, annulant sa déclaration de culpabilité et prononçant un acquittement. La Couronne a convenu que la déclaration de culpabilité devait être annulée et a également demandé un acquittement ou, à titre subsidiaire, un arrêt judiciaire des procédures. La Cour d’appel a annulé la déclaration de culpabilité de B, mais a refusé de prononcer un acquittement. Elle a conclu qu’il existait au dossier des éléments de preuve au vu desquels un jury raisonnable pouvait déclarer B coupable et elle n’était pas convaincue qu’il existait des circonstances suffisamment exceptionnelles pour justifier un acquittement. Toutefois, elle a inscrit un arrêt des procédures au motif qu’obliger B à subir de nouveau un procès violerait les principes de justice fondamentaux qui sous‑tendent le sens du franc‑jeu et de la décence de la communauté. B se pourvoit devant la Cour pour obtenir un acquittement. La Couronne convient qu’elle devrait être acquittée.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli, l’arrêt des procédures est annulé et un acquittement est prononcé.
Le juge en chef Wagner et les juges Côté, Rowe, Kasirer et Jamal : B devrait être acquittée immédiatement en vertu de l’al. 686(2)a) du Code criminel, au motif que la Couronne réclame un acquittement et a affirmé explicitement qu’elle ne présenterait pas de preuve lors d’un nouveau procès. Plutôt que de forcer les parties à passer par des procédures pro forma pour parvenir à ce résultat ou que de faire obstacle à ce résultat en inscrivant un arrêt judiciaire des procédures, le résultat juste consiste à prononcer l’acquittement maintenant, malgré le fait qu’il existe au dossier des éléments de preuve qui pourraient amener un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, à déclarer B coupable lors d’un nouveau procès.
Le paragraphe 686(2) du Code criminel prévoit que, lorsqu’un appel a été accueilli en raison d’une erreur judiciaire, la cour d’appel doit annuler la déclaration de culpabilité. Le point de mire de la cour d’appel passe ensuite d’un examen rétrospectif de la question de savoir si la déclaration de culpabilité constitue une erreur judiciaire à un examen prospectif de la réparation appropriée, qu’il s’agisse d’un acquittement (al. 686(2)a)), d’un nouveau procès (al. 686(2)b)) ou d’un arrêt judiciaire des procédures (par. 686(8)). La réparation que constitue un acquittement doit être examinée en premier et les autres options doivent l’être lorsqu’un acquittement n’est pas justifié. Contrairement à l’ordonnance de nouveau procès, l’arrêt judiciaire des procédures et l’acquittement mettent tous deux un terme définitif aux procédures et laissent l’accusé dans une situation de présomption d’innocence. En revanche, lorsqu’un nouveau procès est ordonné, la Couronne dispose de diverses options, notamment aller de l’avant en vue d’obtenir une déclaration de culpabilité, ne présenter aucune preuve et inviter le tribunal de première instance à rendre un verdict d’acquittement, demander le retrait de l’accusation ou ordonner un arrêt des procédures par la poursuite. La différence entre un acquittement et un arrêt judiciaire des procédures résiderait dans le stigmate résiduel pour l’accusé, parce que l’acquittement représente une conclusion de non‑culpabilité, ce qui n’est pas le cas pour l’arrêt judiciaire des procédures, mais il ne faudrait certes pas exagérer la différence en matière de stigmate.
La cour d’appel doit examiner soigneusement si un acquittement est justifié, même lorsqu’il y a des motifs d’arrêter judiciairement les procédures. Cependant, les cours doivent également veiller à ne prononcer des acquittements que dans les cas qui s’y prêtent. Si les cours d’appel rendaient régulièrement des jugements d’acquittement même lorsqu’elles affirment qu’il existe une possibilité de déclaration de culpabilité lors d’un nouveau procès, cela aurait pour effet de miner l’idée selon laquelle un acquittement signifie que la Couronne n’a pas établi le bien-fondé de sa cause à partir de la preuve — signification dite à l’origine de la différence de stigmatisation. Vu qu’il n’existe pas différentes sortes d’acquittements, l’effet perturbateur qui en découlerait pourrait se faire sentir dans tous les contextes, y compris lorsque l’acquittement est prononcé en première instance.
Le premier motif d’acquittement fondé sur le par. 686(2) est l’absence d’éléments de preuve pour étayer une déclaration de culpabilité raisonnable. Lorsque les éléments de preuve admissibles présentés au tribunal de première instance n’auraient pas permis à un juge des faits de raisonnablement rendre un verdict de culpabilité, ou lorsque les nouveaux éléments de preuve présentés en appel convainquent la cour d’appel qu’aucun juge des faits ne pourrait raisonnablement rendre un verdict de culpabilité, la cour d’appel doit rendre un verdict d’acquittement. Il serait injuste et inutile de renvoyer l’affaire pour la tenue d’un nouveau procès lorsque la preuve démontre que la seule issue raisonnable serait l’acquittement. Rendre un verdict d’acquittement pour ce motif respecte les limites institutionnelles auxquelles sont assujetties les cours d’appel et laisse intact le sens généralement reconnu d’un acquittement. Il faut toutefois distinguer une telle situation de celle où les nouveaux éléments de preuve semblent compromettre, dans une certaine mesure, la possibilité que l’accusé soit déclaré coupable lors d’un nouveau procès, mais où le dossier admet néanmoins l’existence d’une possibilité raisonnable qu’un verdict de culpabilité soit rendu. Un tel dossier ne permet pas, à lui seul, de rendre un verdict d’acquittement. En l’espèce, B n’a pas démontré qu’un juge des faits serait incapable de raisonnablement rendre un verdict de culpabilité au vu de la preuve disponible.
Le deuxième motif d’acquittement est lorsque la Couronne réclame un acquittement et affirme qu’elle ne présenterait aucune preuve lors d’un nouveau procès pour s’assurer qu’un acquittement soit prononcé. À moins qu’il ne soit contraire à l’intérêt public de le faire, une cour d’appel doit rendre un verdict d’acquittement, donnant ainsi effet à des circonstances qui mèneraient directement à un acquittement si un nouveau procès était ordonné, parce qu’une déclaration de culpabilité serait déraisonnable au vu d’un dossier ne comportant aucune preuve. Comme la cour d’appel ne fait que prononcer le même acquittement que celui que prononcerait finalement le tribunal de première instance, on ne peut prétendre que la cour d’appel usurpe le rôle du juge des faits, ni qu’elle déforme le sens généralement reconnu d’un acquittement. Si la Couronne ne souhaite pas qu’un acquittement soit prononcé pour ce motif et préfère procéder différemment, elle n’a qu’à adopter une position différente devant la cour d’appel ou qu’à refuser de présenter des observations sur ce qui se passerait lors d’un nouveau procès. La reconnaissance de ce motif d’acquittement est compatible avec l’idée selon laquelle les tribunaux devraient s’abstenir de s’immiscer dans les positions conjointes des parties à un procès criminel quant au règlement définitif de leur litige. Elle permet à la Couronne de s’attaquer au stigmate résiduel qu’entraînent les erreurs judiciaires relativement en temps utile et relativement efficacement, et il faut saluer les efforts déployés par la Couronne pour mettre fin rapidement à des procédures entachées d’erreur judiciaire et y donner effet. En l’espèce, B doit être acquittée en vertu de ce deuxième motif.
Il existe des situations qui peuvent justifier un acquittement pour d’autres motifs. B et la Couronne soutiennent toutes deux devant la Cour que des acquittements devraient pouvoir être prononcés sur une troisième base, une base discrétionnaire large. Dans les circonstances de l’espèce, il est inutile de définir de façon exhaustive le fondement sur lequel des acquittements peuvent être prononcés pour des motifs discrétionnaires en vertu du par. 686(2). Les larges cadres discrétionnaires en matière d’acquittement proposés par les parties mettraient en péril à la fois le sens reconnu d’un acquittement et le rôle que devraient jouer les cours d’appel dans notre système de justice criminelle. Le droit protège jalousement la capacité du juge des faits de décider, selon son interprétation du dossier, si la Couronne a établi le bien‑fondé de sa cause, et le droit craint à juste titre que les cours d’appel n’usurpent le rôle des juges des faits en se lançant dans une évaluation substantielle de la preuve. Des facteurs étrangers au fond de l’affaire, qui constituent la majeure partie des facteurs dans les cadres proposés par les parties, ne traitent pas clairement de la question de savoir si la Couronne omettrait d’établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable. Ce sont les cours dans leurs décisions futures qui devraient analyser minutieusement d’autres prétendus motifs d’acquittement, y compris ceux qui confèrent aux cours d’appel un pouvoir discrétionnaire approprié, dans les cas où ces motifs d’acquittement auraient une incidence réelle sur le dispositif. Elles seront mieux placées pour évaluer si, comme dans le cas des deux motifs d’acquittement reconnus ci‑dessus, il convient de prononcer un acquittement dans les circonstances compte tenu du rôle de la cour d’appel et du sens reconnu d’un acquittement.
Les juges Karakatsanis, Martin, O’Bonsawin et Moreau : Il y a accord avec les juges majoritaires pour dire que l’acquittement est la réparation appropriée en l’espèce. Toutefois, l’acquittement qui est justifié en l’espèce repose sur un fondement juridique différent de celui retenu par les juges majoritaires. La présente cause est une occasion pour que la Cour fournisse des orientations sur les cas dans lesquels une cour d’appel devrait inscrire un acquittement pour remédier à une erreur judiciaire. Pour ce nombre réduit de causes qui présentent les caractéristiques des déclarations de culpabilités injustifiées, la jurisprudence favorise l’application d’un cadre pour déterminer si un acquittement est dans l’intérêt de la justice. Les cours d’appel doivent prendre en compte la nature de l’erreur, la solidité de la preuve restante et le caractère équitable global de la cause.
Toutes les ordonnances que l’art. 686 du Code criminel autorise le tribunal à rendre, y compris les acquittements, comportent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et en sont le résultat. Après avoir annulé une déclaration de culpabilité pour quelque motif que ce soit, les cours d’appel disposent d’un large pouvoir discrétionnaire, fondé sur le libellé explicite du par. 686(2), pour inscrire un acquittement ou ordonner un nouveau procès. L’arrêt des procédures ne devrait être envisagé qu’après que le tribunal a déterminé de façon concluante que l’acquittement ne convenait pas. L’arrêt des procédures est une réparation draconienne de dernier recours qui ne peut être accordée que dans les cas les plus manifestes. Comme le par. 686(2) offre à la cour d’appel le choix entre deux mesures de réparation présumées pour corriger l’erreur judiciaire, et comme l’acquittement permet de supprimer le préjudice et d’accorder une réparation complète, ces mesures devraient être envisagées en premier lieu. Le tribunal ne peut faire l’économie d’un examen des principales réparations présumées que constituent l’acquittement et la tenue d’un nouveau procès en décidant d’accorder directement une réparation, comme un arrêt des procédures, en vertu du par. 686(8).
De façon générale, si une cour d’appel est convaincue que le dossier pourrait raisonnablement donner lieu à une déclaration de culpabilité, il sera souvent approprié d’ordonner un nouveau procès. Cela n’épuise toutefois pas le large pouvoir discrétionnaire de la cour en matière de réparation. Dans certaines causes hors norme, l’acquittement est la seule mesure corrective qui sert les intérêts de la justice, même lorsqu’il est théoriquement possible de tenir un nouveau procès. En présence de caractéristiques procédurales ou substantielles de déclarations de culpabilité injustifiées, il incombe à une cour d’appel d’examiner si un acquittement serait approprié, même si elle n’est pas en mesure de conclure qu’aucun jury ne pourrait raisonnablement déclarer l’accusé coupable. Par caractéristiques procédurales des déclarations de culpabilité injustifiées, il faut entendre les caractéristiques spécifiques des causes où les procédures habituelles sont insuffisantes pour que justice soit rendue, qui comprennent : le recours au pouvoir de renvoi du ministre (sous‑al. 696.3(3)a)(ii)); une requête en prorogation du délai pour déposer un avis d’appel (par. 678(2)); la nomination d’un procureur spécial; et les demandes visant l’admission de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été communiqués auparavant ou qui ont été découverts récemment. Les caractéristiques substantielles des déclarations de culpabilité injustifiées remettent en cause des questions liées à la culpabilité. Ces caractéristiques communes, qui ont été étudiées par de nombreuses commissions d’enquête, comprennent notamment : une omission par l’État de communiquer des renseignements importants; une preuve scientifique ou d’expert non fiable; une erreur d’identification par un témoin oculaire, notamment quant à une identification interraciale; des enquêtes policières inadéquates; un manque d’objectivité de la Couronne et de la police; de faux aveux; de faux plaidoyers de culpabilité; de la discrimination systémique.
Pour ce nombre réduit de causes qui présentent les caractéristiques des déclarations de culpabilités injustifiées, les cours d’appel devraient appliquer un cadre d’analyse pour déterminer si un acquittement est dans l’intérêt de la justice. En appliquant ce cadre d’analyse, les cours d’appel doivent prendre en compte la nature et les répercussions de l’erreur, la possibilité de tenir un nouveau procès et la probabilité qu’un acquittement soit prononcé, ainsi que le caractère équitable dans un cas donné. Un tel cadre concentre l’attention de la cour d’appel sur les facteurs pertinents pour la question de savoir si un acquittement est approprié, tout en offrant la flexibilité voulue pour qu’il puisse s’adapter aux causes futures.
La nature de l’erreur judiciaire peut miner le fondement probatoire de la culpabilité, donner un éclairage sur le fondement de l’accusation originale, ou avoir une incidence sur tout nouveau procès. Par exemple, un dommage irréparable a pu être causé par l’absence de communication d’éléments de preuve importants. Il peut aussi y avoir une preuve d’expert peu fiable ou douteuse. Les tribunaux ont reconnu avec raison les dangers de la preuve d’expert, y compris le risque que le juge des faits puisse ne pas être en mesure de l’évaluer efficacement. Les tribunaux ont aussi reconnu le problème des faux plaidoyers de culpabilité qui peuvent survenir en raison d’un conseil incompétent, d’une pression indue, d’un dossier apparemment solide pour la Couronne, ou de l’omission par le tribunal de poser les questions nécessaires à la personne accusée. Les erreurs judiciaires et les faux plaidoyers de culpabilité ont aussi une incidence disproportionnée sur les groupes vulnérables, comme les femmes, les Autochtones, les personnes racisées et les personnes souffrant de maladies mentales ou ayant des difficultés cognitives.
En se penchant sur la possibilité de tenir un nouveau procès et sur la solidité de la cause de la Couronne, le critère du verdict déraisonnable est une norme qui est mal adaptée aux difficultés particulières que pose la preuve en cas d’erreur judiciaire. Lorsqu’il serait inévitablement satisfait à la norme exigeante prévue au sous‑al. 686(1)a)(i) pour conclure à un verdict déraisonnable dans le cadre d’un nouveau procès, l’acquittement devrait être la mesure que la cour est présumée ordonner, et ce, même si d’autres moyens d’appel ont été plaidés ou acceptés. Cependant, il n’incombe pas aux appelants d’établir qu’il est impossible de tenir un nouveau procès si l’intérêt de la justice dans leur cause justifie autrement un examen approfondi de l’opportunité d’un acquittement. Lorsqu’il s’agit de déterminer si l’acquittement est justifié dans l’intérêt de la justice, les cours d’appel devraient évaluer la solidité de la preuve de la Couronne en examinant si le dossier modifié ou plus étoffé, mais pas nécessairement « complet », dont est saisi la cour d’appel, montre clairement qu’il est plus probable qu’improbable qu’un nouveau procès se solderait par un acquittement. Cette approche établit un juste équilibre entre l’importance de la solidité des preuves à charge et les circonstances particulières d’une affaire qui présente les caractéristiques d’une déclaration de culpabilité injustifiée.
Une position conjointe que font valoir la Couronne et la défense selon laquelle un acquittement est la réparation appropriée inspirera le respect et la déférence qui sont habituellement accordés aux recommandations conjointes. Toutefois, bien que les concessions faites par la Couronne devraient être un facteur important dans leur analyse, les tribunaux ne sont pas liés par les admissions de droit, y compris lorsque la Couronne réclame un acquittement ou a révélé qu’elle ne présenterait aucune preuve dans le cadre d’un nouveau procès. La décision d’inscrire un acquittement relève entièrement du pouvoir discrétionnaire conféré à la cour par le par. 686(2); bien que cela serait rare, les tribunaux conservent le pouvoir discrétionnaire d’ordonner un nouveau procès même si la Couronne a concédé qu’un acquittement serait la mesure de réparation appropriée. Si une recommandation conjointe présentée au tribunal spécifie que c’est un acquittement qui constituerait la juste réparation, le tribunal peut se demander si, sur le fondement d’un simple examen du dossier, un jury dûment instruit pourrait conclure qu’il est plus probable qu’improbable qu’un nouveau procès de l’accusé se solderait par un acquittement en appliquant la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable.
Finalement, une cour d’appel doit aussi procéder à une appréciation du caractère équitable global de l’espèce lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu du par. 686(2). Bien que le caractère équitable ne puisse pas, à lui seul, servir de fondement pour substituer un acquittement à un nouveau procès, les tribunaux doivent procéder à une évaluation qualitative de la situation de l’appelant et du préjudice qu’il a subi en raison de l’erreur judiciaire. Les facteurs suivants sont parmi ceux qui sont pertinents : l’appelant a déjà purgé l’intégralité ou une partie de sa peine; l’appelant a fait l’objet d’une multitude de procès et d’appels; le temps écoulé; l’existence d’un préjudice personnel important, y compris le fardeau imposé à l’appelant et à sa famille par la stigmatisation associée à une déclaration de culpabilité.
Beaucoup de ces caractéristiques procédurales et substantielles des déclarations de culpabilité injustifiées sont présentes dans la cause de B. Celle‑ci a été revue indépendamment par une procureure spéciale, dont le rapport a en définitive mené à une requête en prorogation du délai d’appel et à une requête en production de nouveaux éléments de preuve qui remettaient en question la solidité de sa déclaration de culpabilité. B n’avait pas eu accès à des renseignements non communiqués détaillés qui avaient une incidence sur sa culpabilité et soulevaient de sérieuses questions quant à son plaidoyer de culpabilité. Elle était aussi une accusée vulnérable issue d’un milieu désavantagé, et sa cause avait fait intervenir une preuve d’expert qui a été remise en question.
L’examen de la nature de l’erreur judiciaire dans la cause de B permet d’y déceler plusieurs caractéristiques communes aux affaires de déclarations de culpabilité injustifiées qui méritent une attention particulière. Tout d’abord, B a été privée de la communication d’éléments de preuve d’une importance considérable. Puisque la Cour d’appel ne disposait pas d’un dossier complet au regard du plaidoyer de culpabilité de B, la capacité de cette dernière de soutenir de manière convaincante que le verdict prononcé contre elle serait autrement déraisonnable a été minée. L’omission par la Couronne d’avoir communiqué intégralement la preuve a été directement liée à la déclaration de culpabilité de B, et elle mine donc la confiance du public dans la bonne administration de la justice. Ensuite, la cause de B comportait une preuve d’expert qui peut être peu fiable ou douteuse. Les décisions d’accuser B et de lui ordonner de subir un procès pour l’infraction de meurtre au deuxième degré étaient largement fondées sur l’opinion d’expert de M, décrite plus tard comme « déraisonnable » dans une évaluation par des pairs. Une diversité d’opinions parmi les experts mine la perspective d’une déclaration de culpabilité. En dépit de l’exclusion ou non du témoignage de M, la preuve restante de la Couronne est faible et il est plus probable qu’improbable que B serait acquittée lors d’un nouveau procès. Enfin, le caractère équitable dans la cause de B milite fortement pour un acquittement. Celle‑ci a déjà purgé la totalité de sa peine. La famille de la victime s’est prononcée sans réserve en faveur de son acquittement et la déclaration de culpabilité ayant découlé de sa fausse déclaration de culpabilité a eu un effet dévastateur sur la vie.
Jurisprudence
Citée par le juge Kasirer
Distinction d’avec l’arrêt : Reference re : Truscott, 2007 ONCA 575, 225 C.C.C. (3d) 321; arrêts mentionnés : R. c. Kwon, 2024 SKCA 50, 438 C.C.C. (3d) 196, inf. par 2025 CSC 11; Dunlop c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 881; R. c. Smith, 2004 CSC 14, [2004] 1 R.C.S. 385; R. c. Hinse, [1995] 4 R.C.S. 597; R. c. Babos, 2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411; R. c. R.V., 2021 CSC 10, [2021] 1 R.C.S. 131; R. c. Bellusci, 2012 CSC 44, [2012] 2 R.C.S. 509; R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128; Reference re : Phillion, 2009 ONCA 202, 241 C.C.C. (3d) 193; R. c. Selhi, [1990] 1 R.C.S. 277; R. c. Puskas, [1998] 1 R.C.S. 1207; R. c. Mullins-Johnson, 2007 ONCA 720, 87 O.R. (3d) 425; R. c. D.R.S., 2013 ABCA 18, 542 A.R. 92; Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, 2007 CSC 41, [2007] 3 R.C.S. 129; R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 880; R. c. Morrissey (1995), 22 O.R. (3d) 514; Grdic c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 810; R. c. Roy, 2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60; R. c. Pittiman, 2006 CSC 9, [2006] 1 R.C.S. 381; R. c. S. (P.L.), [1991] 1 R.C.S. 909; P.G. c. R., 2007 QCCA 1160; R. c. D.C.S., 2000 NSCA 61, 184 N.S.R. (2d) 299; Boisvert c. R., 2012 QCCA 1945; R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3; R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190; R. c. Harvey (2001), 57 O.R. (3d) 296, conf. par 2002 CSC 80, [2002] 4 R.C.S. 311; Savard c. The King, [1946] R.C.S. 20; R. c. More (1959), 124 C.C.C. 140; R. c. Ledesma, 2020 ABCA 411; R. c. Hinse, [1997] 1 R.C.S. 3; R. c. Oakes, 2016 ABCA 90, 36 Alta. L.R. (6th) 248; R. c. Maciel, 2007 ONCA 196, 219 C.C.C. (3d) 516; R. c. Dhillon, 2014 BCCA 480, 16 C.R. (7th) 8; R. c. Ostrowski, 2018 MBCA 125, 369 C.C.C. (3d) 139; R. c. Hay, 2013 CSC 61, [2013] 3 R.C.S. 694; R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480; R. c. C.D.G. (1995), 128 Nfld. & P.E.I.R. 312; R. c. W.H., 2013 CSC 22, [2013] 2 R.C.S. 180; R. c. Riddle, [1980] 1 R.C.S. 380; R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631; La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22; R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43, [2016] 2 R.C.S. 204; R. c. Nahanee, 2022 CSC 37; R. c. Hanemaayer, 2008 ONCA 580, 234 C.C.C. (3d) 3; Brouillard c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 39; R. c. Karuranga, 2021 SKCA 90, 488 C.R.R. (2d) 317; Walsh, Re, 2008 NBCA 33, 335 R.N.‑B. (2e) 1; R. c. Tom (1992), 79 C.C.C. (3d) 84; R. c. O’Brien (1987), 10 Q.A.C. 135; R. c. Vickerson, 2020 ONCA 434; LSJPA — 1521, 2015 QCCA 1229; R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381; R. c. Yusif (1994), 74 O.A.C. 348; R. c. C.P., 2021 CSC 19, [2021] 1 R.C.S. 679; Colucci c. Colucci, 2021 CSC 24, [2021] 2 R.C.S. 3; Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; Cordell c. Second Clanfield Properties Ltd., [1969] 2 Ch. 9; R. c. Mars (2006), 205 C.C.C. (3d) 376; R. c. Browne, 2021 ONCA 836, 498 C.R.R. (2d) 345; Doucet c. R., 2024 QCCA 461; R. c. Buzizi, 2013 CSC 27, [2013] 2 R.C.S. 248; R. c. Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 R.C.S. 1000.
Citée par la juge Martin
Arrêts examinés : Reference re : Truscott, 2007 ONCA 575, 225 C.C.C. (3d) 321; R. c. Biniaris (1998), 124 C.C.C. (3d) 58, inf. en partie par 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381; R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168; arrêts mentionnés : R. c. T.W.W., 2024 CSC 19; R. c. Hinse, [1997] 1 R.C.S. 3; Boucher c. The Queen, [1955] R.C.S. 16; R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43, [2016] 2 R.C.S. 204; R. c. Antic, 2017 CSC 27, [2017] 1 R.C.S. 509; R. c. Zora, 2020 CSC 14, [2020] 2 R.C.S. 3; R. c. Pickton, 2010 CSC 32, [2010] 2 R.C.S. 198; R. c. Akram, 2025 ONCA 158, 445 C.C.C. (3d) 270; États-Unis c. Burns, 2001 CSC 7, [2001] 1 R.C.S. 283; Renvoi relatif à la Motor Vehicle Act (C.‑B.), [1985] 2 R.C.S. 486; R. c. C.P., 2021 CSC 19, [2021] 1 R.C.S. 679; R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326; R. c. Bernardo (1997), 121 C.C.C. (3d) 123; R. c. Morrissey (1995), 22 O.R. (3d) 514; R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3; R. c. Davey, 2012 CSC 75, [2012] 3 R.C.S. 828; R. c. Wolkins, 2005 NSCA 2, 229 N.S.R. (2d) 222; R. c. Kahsai, 2023 CSC 20; R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823; Fanjoy c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 233; R. c. R.V., 2021 CSC 10, [2021] 1 R.C.S. 131; R. c. Haslam (1990), 56 C.C.C. (3d) 491; R. c. Levy (1991), 62 C.C.C. (3d) 97; R. c. Provo, [1989] 2 R.C.S. 3; R. c. Thomas, [1998] 3 R.C.S. 535; R. c. Lights, 2020 ONCA 128, 149 O.R. (3d) 273; R. c. Pearson, [1998] 3 R.C.S. 620; R. c. Hartman, 2015 ONCA 498, 326 C.C.C. (3d) 263; R. c. Abukar, 2007 ABCA 286; R. c. Harvey (2001), 57 O.R. (3d) 296; R. c. Turner, 2023 MBCA 40, 426 C.C.C. (3d) 211; Venneri c. R., 2011 QCCA 1957, inf. en partie par 2012 CSC 33, [2012] 2 R.C.S. 211; R. c. Lacroix, 2008 CSC 67, [2008] 3 R.C.S. 509; R. c. L.A.P., 2000 MBCA 109, 150 Man. R. (2d) 247, conf. par 2001 CSC 28, [2001] 1 R.C.S. 757; R. c. Roy, 2024 SKCA 98; R. c. Shaw, 2024 ONCA 119, 170 O.R. (3d) 161; R. c. Tat (1997), 35 O.R. (3d) 641; R. c. Dillabough (1975), 28 C.C.C. (2d) 482; R. c. Grant (1975), 23 C.C.C. (2d) 317; Dunlop c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 881; R. c. Boissonneault (1986), 29 C.C.C. (3d) 345; R. c. M.B. (1986), 53 Sask. R. 55; R. c. Sophonow (1986), 38 Man. R. (2d) 198; R. c. Mohamed (1991), 64 C.C.C. (3d) 1; R. c. Tom (1992), 79 C.C.C. (3d) 84; R. c. P.L., [1995] O.J. No. 854 (Lexis), 1995 CarswellOnt 4000 (WL); R. c. Sargent, 2006 ABCA 411, 401 A.R. 146; R. c. W.J.G., 2006 MBCA 20, 205 Man. R. (2d) 5; R. c. Titong, 2021 ABCA 75; R. c. Karuranga, 2021 SKCA 90, 488 C.R.R. (2d) 317; R. c. Deuling, 2024 YKCA 7; R. c. Mullins-Johnson, 2007 ONCA 720, 87 O.R. (3d) 425; Walsh, Re, 2008 NBCA 33, 335 R.N.‑B. (2e) 1; R. c. Sherret-Robinson, 2009 ONCA 886; R. c. Kumar, 2011 ONCA 120, 268 C.C.C. (3d) 369; R. c. Brant, 2011 ONCA 362; R. c. Lewis, 2012 SKCA 81, 399 Sask. R. 180; R. c. D.R.S., 2013 ABCA 18, 542 A.R. 92; R. c. Shepherd, 2016 ONCA 188; R. c. J.C., 2024 ABCA 69; R. c. Luedecke, 2008 ONCA 716, 93 O.R. (3d) 89; Canada c. Loblaw Financial Holdings Inc., 2021 CSC 51, [2021] 3 R.C.S. 687; Cadieux (Litigation Guardian of) c. Cloutier, 2018 ONCA 903, 143 O.R. (3d) 545; R. c. Papasotiriou, 2023 ONCA 358, 166 O.R. (3d) 266; R. c. Kwok, 2002 BCCA 177, 164 C.C.C. (3d) 182; R. c. Grandbois (2003), 63 O.R. (3d) 161; R. c. Chacon-Perez, 2022 ONCA 3, 159 O.R. (3d) 481; R. c. Jackson, 2007 CSC 52, [2007] 3 R.C.S. 514; R. c. Hinse (1994), 64 Q.A.C. 53, inf. en partie par [1997] 1 R.C.S. 3; R. c. W.H., 2013 CSC 22, [2013] 2 R.C.S. 180; R. c. Tayo Tompouba, 2024 CSC 16; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; R. c. Lohrer, 2004 CSC 80, [2004] 3 R.C.S. 732; R. c. Smith, 2021 CSC 16, [2021] 1 R.C.S. 530; R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484; R. c. Curragh Inc., [1997] 1 R.C.S. 537; R. c. Yumnu, 2012 CSC 73, [2012] 3 R.C.S. 777; R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520; R. c. Joanisse (1995), 102 C.C.C. (3d) 35; R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696; R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480; R. c. S. (P.L.), [1991] 1 R.C.S. 909; R. c. Maciel, 2007 ONCA 196, 219 C.C.C. (3d) 516; R. c. Hinse, [1995] 4 R.C.S. 597; R. c. Henry, 2010 BCCA 462, 262 C.C.C. (3d) 307; R. c. Dhillon, 2014 BCCA 480, 16 C.R. (7th) 8; Renvoi relatif à Milgaard (Can.), [1992] 1 R.C.S. 866; R. c. Ostrowski, 2018 MBCA 125, 369 C.C.C. (3d) 139; R. c. McClure, 2001 CSC 14, [2001] 1 R.C.S. 445; R. c. Doyle, 2023 ONCA 427, 428 C.C.C. (3d) 293; R. c. Taillefer, 2003 CSC 70, [2003] 3 R.C.S. 307; R. c. Dixon, [1998] 1 R.C.S. 244; White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182; R. c. Abbey, 2009 ONCA 624, 97 O.R. (3d) 330; R. c. Blackett, 2018 ONCA 119; R. c. McIlvride-Lister, 2019 ONSC 1869, 373 C.C.C. (3d) 490; R. c. Hanemaayer, 2008 ONCA 580, 234 C.C.C. (3d) 3; Reference re Truscott, [1967] R.C.S. 309; R. c. Jolivet, 2000 CSC 29, [2000] 1 R.C.S. 751; Reference re : Phillion, 2009 ONCA 202, 241 C.C.C. (3d) 193; R. c. Nixon, 2011 CSC 34, [2011] 2 R.C.S. 566; R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631; R. c. Robertson, 2021 SKCA 125, 495 C.R.R. (2d) 31; R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297; R. c. Elshaw, [1991] 3 R.C.S. 24; R. c. Barton, 2019 CSC 33, [2019] 2 R.C.S. 579; R. c. Naraindeen (1990), 75 O.R. (2d) 120; Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248; Miazga c. Kvello (Succession), 2009 CSC 51, [2009] 3 R.C.S. 339; Brouillard c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 39; R. c. Vickerson, 2020 ONCA 434; R. c. O’Brien (1987), 10 Q.A.C. 135; R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601; R. c. McArthur, 1999 ABCA 117, 232 A.R. 349; R. c. Tateham (1982), 70 C.C.C. (2d) 565; R. c. T.G., 2017 ONSC 3213; R. c. Karpinski, [1957] R.C.S. 343; R. c. Gillespie et Mailman, 2024 NBBR 2; R. c. Smith, 2004 CSC 14, [2004] 1 R.C.S. 385; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391; R. c. Regan, 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297; R. c. Babos, 2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309; R. c. Brunelle, 2024 CSC 3; R. c. Bellusci, 2012 CSC 44, [2012] 2 R.C.S. 509; R. c. Yelle, 2006 ABCA 276, 397 A.R. 287.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 24(1).
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 579, 606(1.1), (4), 675(1), 678(2), 686, 696.3(3)a)(ii).
Code criminel, 1892, S.C. 1892, c. 29, art. 746(d), 747.
Loi modifiant le Code criminel, S.C. 1923, c. 41, art. 9.
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POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Fitch, Voith et Skolrood), 2023 BCCA 152, 424 C.C.C. (3d) 513, [2023] B.C.J. No. 634 (Lexis), 2023 CarswellBC 938 (WL), qui a annulé la déclaration de culpabilité pour négligence criminelle causant la mort prononcée contre l’accusée et a inscrit un arrêt des procédures. Pourvoi accueilli.
Vanessa de Jong, Kristy Neurauter et Hovan Patey, pour l’appelante.
Marilyn E. Sandford, c.r., et Bryn Laxton-Coglon, pour l’intimé.
Karen Papadopoulos, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Matthew R. Gourlay et Érik Arsenault, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
James Lockyer et Pamela Zbarsky, pour l’intervenante Innocence Canada.
Daniel J. Song, c.r., Gregory P. Delbigio, c.r., et Tamara M. Levy, c.r., pour l’intervenante Independent Criminal Defence Advocacy Society.
Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Côté, Rowe, Kasirer et Jamal rendu par
Le juge Kasirer —
I. Aperçu
[1] La genèse du présent pourvoi remonte à l’innommable tragédie de la mort d’un bébé de 19 mois qui s’est noyé dans son bain. Il y a eu par la suite une erreur judiciaire lorsque la Couronne a manqué à ses obligations de communication envers la personne qui été accusée d’avoir causé cette mort. L’accusée a inscrit ce qui a plus tard été considéré comme un plaidoyer de culpabilité invalide à l’égard de l’accusation d’avoir causé cette mort par négligence criminelle. À bon droit, la Cour d’appel a annulé la déclaration de culpabilité qui en a résulté, et il reste à décider quelle réparation peut et devrait être ordonnée pour corriger l’erreur judiciaire. Plus précisément, la question est de savoir si nous devrions prononcer un acquittement ou confirmer l’arrêt judiciaire des procédures ordonné par la Cour d’appel.
[2] Iyanna Teeple était sous la responsabilité de sa gardienne, l’appelante Tammy Marion Bouvette, quand elle est tombée inconsciente. Elle est décédée plus tard à l’hôpital. Madame Bouvette a été accusée du meurtre au deuxième degré de l’enfant. Environ un an et demi plus tard, sur les conseils d’un avocat, elle a plaidé coupable à l’accusation moindre de négligence criminelle ayant causé la mort d’Iyanna. Elle a été condamnée à 12 mois d’emprisonnement, suivis d’une période de probation assortie de conditions strictes.
[3] À la suite d’un vaste examen, une procureure spéciale a révélé que la Couronne avait omis de communiquer des renseignements relatifs à la fiabilité du témoignage qu’avait donné un expert médical avant que Mme Bouvette ne plaide coupable, et avait par le fait même violé le droit de cette dernière à une défense pleine et entière. La Cour d’appel a annulé sa déclaration de culpabilité en vertu du sous‑al. 686(1)a)(iii) et du par. 686(2) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 (« C. cr. »). La cour a conclu en termes très clairs que la déclaration de culpabilité résultait d’une erreur judiciaire : [traduction] « Il n’est pas difficile de concevoir pourquoi, sans disposer de renseignements cruciaux susceptibles de l’aider, cette appelante marginalisée, dépassée par les événements et présentant une déficience intellectuelle, inscrirait un plaidoyer de culpabilité à l’égard d’une infraction moindre » (2023 BCCA 152, 424 C.C.C. (3d) 513, par. 110). La cour a néanmoins statué qu’il existait au dossier des éléments de preuve au vu desquels un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait déclarer Mme Bouvette coupable. Dans les circonstances, elle a inscrit un arrêt judiciaire des procédures plutôt qu’un acquittement en vertu du par. 686(2).
[4] Bien qu’il ne faille pas perdre de vue la terrible réalité du décès d’Iyanna Teeple, le présent pourvoi porte sur la réparation que peut obtenir Mme Bouvette compte tenu de l’erreur judiciaire dont elle a été victime lorsque la Couronne a omis de respecter ses obligations de communication. La cour d’appel qui fait droit à un appel d’une déclaration de culpabilité comme celle qui a été prononcée contre Mme Bouvette peut, après avoir annulé la déclaration de culpabilité, ordonner l’une des trois principales réparations prévues à l’art. 686 C. cr. : elle peut acquitter l’accusé; elle peut ordonner un nouveau procès; ou elle peut inscrire un arrêt judiciaire des procédures. La question de la détermination de la réparation appropriée en appel d’une déclaration de culpabilité ayant été annulée est régulièrement soulevée dans la jurisprudence des juridictions d’appel, y compris la jurisprudence de notre Cour (voir, p. ex., R. c. Kwon, 2024 SKCA 50, 438 C.C.C. (3d) 196, par. 95 et 97, le juge Tholl, dissident, infirmé essentiellement pour les motifs exposés par le juge Tholl, 2025 CSC 11). L’un des traits distinctifs du présent pourvoi réside dans les importants points d’accord entre Mme Bouvette et la Couronne devant notre Cour. Les deux parties s’entendent pour dire que la Couronne a manqué à ses obligations de communication. Il n’est pas contesté que le plaidoyer de culpabilité vicié de Mme Bouvette a été annulé à juste titre. Les deux parties affirment que la Cour d’appel a eu raison d’annuler la déclaration de culpabilité et il n’y a pas de désaccord sur le fait que Mme Bouvette a subi un préjudice important. Fait le plus important pour les besoins de la présente affaire, elles conviennent que la Cour d’appel a eu tort d’ordonner un arrêt des procédures dans les circonstances et que notre Cour devrait prononcer un acquittement afin de faire disparaître à la fois le stigmate d’une déclaration de culpabilité et la marque d’une allégation non résolue de ce crime grave. La Couronne se joint à Mme Bouvette pour réclamer un acquittement même si, à son avis, il existe au dossier des éléments de preuve qui pourraient amener un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, à déclarer Mme Bouvette coupable lors d’un nouveau procès.
[5] L’analyse de la réparation appropriée pose d’abord la question de savoir si Mme Bouvette devrait être acquittée. À cette étape de l’analyse, l’accent est mis non pas sur l’erreur judiciaire antérieure qui a donné lieu à sa déclaration de culpabilité; cette déclaration de culpabilité a déjà été annulée. La question est de savoir si, pour l’avenir, un acquittement représente l’exercice approprié et juste du pouvoir que la loi confère à la cour d’appel. Il convient de souligner qu’il n’y a aucun risque que Mme Bouvette soit déclarée coupable de l’accusation liée à la mort d’Iyanna, parce que la Couronne s’est engagée en l’espèce à ne pas présenter de preuve contre elle. Le paragraphe 686(2) C. cr. prévoit trois motifs possibles qui pourraient permettre à notre Cour de prononcer l’acquittement comme solution de rechange à l’arrêt judiciaire des procédures ordonné par la Cour d’appel.
[6] Le premier, préconisé par Mme Bouvette, est qu’un acquittement doit être prononcé parce qu’il n’y a, selon elle, pas d’éléments de preuve au vu desquels un jury raisonnable pourrait la déclarer coupable de l’accusation. La Couronne conteste ce motif d’acquittement, préférant l’interprétation de la preuve retenue par la Cour d’appel : malgré le manquement en matière de communication, il existe néanmoins au dossier des éléments de preuve au vu desquels un jury raisonnable pourrait rendre un verdict de culpabilité.
[7] La deuxième avenue menant à un acquittement repose sur le fait que la Couronne a annoncé son refus de poursuivre Mme Bouvette lors d’un nouveau procès. Pour ce motif, notre Cour devrait immédiatement prononcer un acquittement en appel, même si la preuve est suffisante pour ordonner un nouveau procès. La Couronne a déclaré devant nous, comme elle l’avait fait devant la Cour d’appel, qu’un acquittement devrait être prononcé maintenant. Devant notre Cour, elle s’est engagée, si un nouveau procès était ordonné, à ne présenter aucune preuve et à inviter le tribunal de première instance à rendre un verdict d’acquittement. Dans les circonstances, je suis d’avis qu’ordonner un nouveau procès constituerait un gaspillage de ressources judiciaires et ferait subir à Mme Bouvette et à la famille d’Iyanna des délais inutiles et de l’incertitude quant à la fin de cette épreuve. Dans cette optique, le prononcé d’un acquittement immédiat par notre Cour en vertu du par. 686(2) C. cr. est la seule issue qui est juste et qui sert l’intérêt public. La cour d’appel n’est pas tenue par la loi de rendre un verdict d’acquittement, mais ordonner l’une ou l’autre des autres issues possibles — un nouveau procès ou un arrêt judiciaire des procédures — serait injuste pour Mme Bouvette dans les circonstances de l’espèce.
[8] Les deux parties affirment qu’il existe une troisième voie « discrétionnaire » menant à un acquittement pour cette erreur judiciaire, bien qu’elles reconnaissent que le droit relatif aux acquittements lorsqu’un jury raisonnable pourrait rendre un verdict de culpabilité lors d’un nouveau procès est incertain en vertu du par. 686(2) C. cr. Citant, entre autres sources, l’arrêt rendu par notre Cour dans l’affaire Dunlop c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 881, la Couronne convient avec Mme Bouvette qu’une cour d’appel peut, dans l’intérêt de la justice, prononcer un acquittement dans les circonstances inhabituelles de l’espèce. La Couronne rejette l’arrêt de principe rendu par la Cour d’appel de l’Ontario en la matière, Reference re : Truscott, 2007 ONCA 575, 225 C.C.C. (3d) 321, au motif qu’il s’agit d’un précédent inapplicable. Les parties sont essentiellement d’accord sur de nouveaux facteurs qui devraient servir de guide, pour reprendre l’expression utilisée par la Couronne, pour [traduction] « un acquittement discrétionnaire » (m.i., par. 121; transcription, p. 55, 58‑59, 75 et 77; voir aussi les p. 48 et 56‑57; m.i., par. 101‑102; recueil condensé de l’appelante, p. 1, par. 5).
[9] Je reconnais qu’il s’agit là de trois voies qui, lorsqu’elles sont applicables, pourraient autoriser une cour d’appel à prononcer un acquittement en vertu du par. 686(2). La première — un acquittement reposant sur l’absence d’éléments de preuve pour fonder une déclaration de culpabilité raisonnable — ne peut être suivie eu égard aux faits de l’espèce. La deuxième — un acquittement justifié par l’engagement de la Couronne auprès de la cour d’appel à ne pas présenter de preuve lors d’un nouveau procès — peut être suivie et n’est pas controversée. La troisième voie — ce qu’on appelle l’« acquittement discrétionnaire » basé sur l’intérêt de la justice malgré une preuve justifiant la tenue d’un nouveau procès — est plus incertaine sur le plan jurisprudentiel. Je suis porté à croire qu’il ne convient pas dans le présent pourvoi d’examiner le cadre d’analyse en matière d’acquittements discrétionnaires ou d’écarter l’arrêt Truscott comme les parties nous exhortent à le faire. L’affaire Truscott concernait une situation, [traduction] « hors norme » (par. 259), nettement différente de celle de Mme Bouvette.
[10] Dans l’affaire Truscott, la Couronne s’opposait à la demande d’acquittement de l’accusé, alors que, dans le cas de Mme Bouvette, la Couronne a, tant devant notre Cour que devant la Cour d’appel, fait valoir qu’un acquittement devrait être prononcé. En l’espèce, la Couronne s’est engagée à ne présenter aucune preuve si un nouveau procès était ordonné, et inviterait le tribunal à prononcer un acquittement, de sorte qu’il ne s’agit pas véritablement d’une affaire dans laquelle le juge des faits pourrait raisonnablement parvenir à une déclaration de culpabilité lors d’un nouveau procès, quel que soit l’état de la preuve disponible. De plus, l’absence de contexte contradictoire sur la question des paramètres appropriés pour les acquittements discrétionnaires limite la capacité de notre Cour de discerner les forces et les faiblesses relatives en ce qui a trait à ce point de droit qui touche au cœur même de ce qu’est un acquittement en droit criminel. L’aspect le plus difficile de ces observations concerne le pouvoir d’une cour d’appel de prononcer un acquittement qui n’a rien à voir avec le fondement factuel servant à décider si l’appelant est coupable du crime dont il est inculpé lorsqu’il y a au dossier des éléments de preuve au vu desquels un jury raisonnable pourrait rendre un verdict de culpabilité. Les cadres d’analyse que préconisent les parties à l’égard de cet acquittement dit discrétionnaire, basés sur des facteurs larges et non pondérés, risquent d’être à la fois trop étroits et trop vastes dans leur application. Ils seraient trop étroits s’ils permettaient à une cour d’appel de refuser un acquittement lorsqu’un acquittement est le seul résultat juste. À l’inverse, ils seraient trop vastes s’ils excluaient la possibilité d’une déclaration de culpabilité appropriée lorsqu’une déclaration de culpabilité est un résultat juste. Avec égards pour toutes les autres opinions, je refuserais d’adopter un cadre d’analyse en appel axé sur une évaluation non déterminée du caractère équitable de l’affaire dans ces circonstances où, en raison de la décision de la Couronne de ne pas présenter de preuve contre elle lors d’un nouveau procès, l’acquittement de Mme Bouvette ne fait aucun doute.
[11] Je suis néanmoins d’accord avec les parties pour dire qu’il y a lieu de prononcer un acquittement immédiatement conformément au par. 686(2) C. cr. Pour reprendre les propos qu’a tenus l’avocate de la Couronne à l’audience, [traduction] « un acquittement est un acquittement est un acquittement et la voie pour y parvenir importe peu » (transcription, p. 44). Compte tenu de l’engagement de la Couronne à ne pas présenter de preuve même si un nouveau procès était ordonné, l’acquittement de Mme Bouvette ne fait aucun doute. En l’espèce, la Couronne s’est engagée auprès de notre Cour, malgré une preuve qui tend à indiquer qu’une déclaration de culpabilité est possible, à réclamer un acquittement et, si un nouveau procès est ordonné, à ne pas produire d’éléments de preuve, y compris ceux dont elle dispose déjà. Ordonner la tenue d’un procès dans le cas de Mme Bouvette alors que la Couronne a affirmé qu’elle réclame un acquittement et qu’elle s’est engagée à ne pas présenter de preuve lors d’un nouveau procès serait une opération inutile et un gaspillage de ressources judiciaires limitées. Un cadre d’analyse raisonné pour l’exercice du pouvoir conféré par le par. 686(2) ne devrait pas permettre à une cour d’appel dans de telles circonstances de refuser un acquittement. Soyons clairs, c’est la cour d’appel, et non la Couronne, qui a le pouvoir de rendre un verdict d’acquittement en vertu du par. 686(2). Compte tenu de l’engagement de la Couronne auprès de notre Cour, un acquittement immédiat constitue la seule issue qui est juste dans les circonstances.
[12] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et d’acquitter Mme Bouvette de l’accusation de négligence criminelle ayant causé la mort d’Iyanna Teeple sur le fondement du par. 686(2) C. cr.
II. Contexte
[13] De façon générale, le contexte nécessaire pour trancher le présent pourvoi peut être dégagé de l’exposé conjoint des faits déposé par les parties devant la Cour d’appel. Je tiens à souligner que l’affaire implique des allégations de non‑communication par la Couronne portant, en partie, sur la teneur contestée du témoignage donné par certains pathologistes judiciaires. Je répète ce que la Cour d’appel a rappelé à juste titre : aucune conclusion n’est tirée ici sur la fiabilité ou le caractère déterminant des éléments de preuve contestés. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne la fiabilité du témoignage livré par les différents experts qui ont participé à la présente affaire. Je tiens également à répéter que rien dans les présents motifs ne devrait être interprété comme une remise en question de la bonne foi des avocats de la Couronne impliqués. Le récit suivant vise simplement à fournir un aperçu général suffisant pour permettre de comprendre les principales questions en litige dans le présent pourvoi qui concernent l’acquittement sollicité par Mme Bouvette devant notre Cour.
A. Décès d’Iyanna Teeple
[14] Le 26 mai 2011, Iyanna Teeple, âgée de 19 mois, avait été laissée à la garde de Mme Bouvette au domicile de cette dernière à Cranbrook, en Colombie‑Britannique, pour la journée. Madame Bouvette avait régulièrement gardé l’enfant par le passé. Deux des propres enfants de Mme Bouvette — âgés de 4 ans et de 18 mois — se trouvaient également chez elle sous sa responsabilité. Elle était par ailleurs seule à la maison.
[15] En fin de matinée, Mme Bouvette a donné un bain à Iyanna. À un moment donné, elle a laissé l’enfant sans surveillance. La baignoire n’était pas munie d’une protection antidérapante.
[16] Vers 11 h 30, Mme Bouvette a appelé le 9‑1‑1 à deux reprises pour demander de l’aide médicale pour Iyanna. Les premiers intervenants sont arrivés vers 11 h 36. Ils ont trouvé Mme Bouvette en train de tenter de réanimer l’enfant, qui ne respirait pas et n’avait pas de pouls. Le personnel d’urgence a pris en charge les tentatives de réanimation et a transporté l’enfant à un hôpital local. L’enfant a ensuite été transportée par avion à un hôpital de Calgary. Elle a été déclarée en état de mort cérébrale le lendemain et elle est décédée peu après.
B. Enquête
[17] Les premiers intervenants n’ont pas remarqué de sang dans la bouche de l’enfant ou ailleurs sur les lieux. Peu après le départ des premiers intervenants de la maison avec l’enfant pour se rendre à l’hôpital, des enquêteurs de la GRC sont arrivés sur les lieux. Aucune preuve médicolégale d’importance, notamment une preuve de sang, n’a été remarquée. Des taches humides ont été constatées sur le tapis du salon et de l’étage, tant à l’extérieur de la salle de bains que dans une chambre.
[18] Madame Bouvette a fait quatre déclarations à la police. Le récit des faits dans ses déclarations à la police, le relevé des appels au service 9‑1‑1 et les déclarations qu’elle a faites aux premiers intervenants n’étaient pas identiques. Elle a d’abord déclaré à la police qu’elle était en tout temps demeurée avec l’enfant dans la salle de bains, mais qu’elle avait momentanément détourné la tête et que, lorsqu’elle s’était retournée, l’enfant était à plat ventre dans l’eau et inconsciente. Plus tard, elle a déclaré qu’elle avait quitté la salle de bains pour un très bref moment et que, lorsqu’elle était revenue, l’enfant était en détresse. Dans une deuxième déclaration à la police, elle a affirmé que l’un des autres enfants avait frappé Iyanna plus tôt dans la matinée. Dans une troisième déclaration faite en juin, Mme Bouvette a expliqué qu’Iyanna était tombée au sol avec un siège d’appoint par‑dessus elle le jour du drame, juste avant le bain. Une quatrième déclaration à la police a été faite dans des circonstances telles que la Couronne a ultérieurement considéré qu’elle était involontaire et a décidé de ne pas la présenter en preuve.
[19] Dans une déclaration faite le jour du drame, la mère d’Iyanna a informé la police que l’enfant avait été victime d’une infection virale au cerveau plusieurs mois auparavant.
[20] Le docteur Evan Matshes, qui était alors médecin légiste en chef adjoint en Alberta, a pratiqué une autopsie sur le corps d’Iyanna le 30 mai 2011. L’autopsie a conclu que l’enfant avait des ecchymoses sur le visage et le cuir chevelu ainsi qu’une déchirure récente de la lèvre supérieure interne. Le docteur Matshes a conclu que la cause du décès était la noyade et que le mode de décès était indéterminé. Il a fait d’autres commentaires à la police et à la Couronne, en affirmant notamment que la blessure à la tête de l’enfant était « assez récente » et que les ecchymoses n’avaient pas une explication anodine.
C. Procédures criminelles
[21] Le 24 octobre 2011, Mme Bouvette a été accusée du meurtre au second degré d’Iyanna Teeple.
[22] À la fin de mai 2012 et avant l’enquête préliminaire de Mme Bouvette, le ministère de la Justice de l’Alberta a entrepris un examen des dossiers d’autopsie du Dr Matshes, y compris le dossier d’Iyanna. En un mot, la fiabilité du travail du Dr Matshes était remise en question, en particulier par le médecin légiste en chef de l’Alberta de l’époque. En août 2012, d’autres pathologistes judiciaires ont présenté des évaluations divergentes, y compris un avis particulier contraire à l’opinion du médecin légiste en chef selon laquelle les points de vue que le Dr Matshes avait communiqués aux autorités étaient déraisonnables.
[23] Le docteur Matshes a témoigné pour la Couronne lors de l’enquête préliminaire de Mme Bouvette le 28 août 2012. Il a affirmé qu’Iyanna était morte par noyade et que le mode de décès était indéterminé. Il a reconnu que la fiabilité de son travail était contestée en Alberta. Il a témoigné qu’Iyanna présentait des ecchymoses au front ainsi qu’une blessure sur la lèvre et qu’il était peu probable que les blessures aient été causées par une chute de la chaise haute ou les tentatives de réanimation. Il a déclaré que la période dans laquelle une lésion cérébrale irréversible résulterait du manque d’oxygène serait de trois à cinq minutes.
[24] Par la suite, Mme Bouvette a été renvoyée pour subir son procès à l’égard d’une accusation de meurtre au second degré.
[25] Ayant appris qu’il était possible que Mme Bouvette plaide coupable à l’égard d’une accusation liée à la mort d’Iyanna, le ministère de la Justice de l’Alberta a informé la GRC à Cranbrook, en Colombie‑Britannique, que le travail du Dr Matshes faisait l’objet d’un examen. Compte tenu de la possibilité que [traduction] « l’affaire soit instruite et/ou [du] risque d’une déclaration de culpabilité injustifiée », le ministère de la Justice de l’Alberta a proposé de parler à la GRC (motifs de la C.A., par. 40).
[26] Un comité externe d’examen par les pairs s’est penché sur l’autopsie réalisée par le Dr Matshes dans le dossier. Trois pathologistes judiciaires ont examiné le rapport et ont déclaré que les conclusions tirées par le Dr Matshes sur l’autopsie d’Iyanna étaient déraisonnables. Ces résultats issus d’un examen par les pairs, qui critiquaient le travail du Dr Matshes, faisaient partie d’une liasse de documents que le ministère de la Justice de l’Alberta a fait parvenir en décembre 2012 à l’avocate de la Couronne en Colombie‑Britannique, après le renvoi de Mme Bouvette à procès.
[27] La Couronne n’a pas communiqué à la défense un lot de 140 pages de documents provenant du ministère de la Justice de l’Alberta concernant l’examen externe par les pairs de divers dossiers impliquant le Dr Matshes, y compris celui d’Iyanna.
[28] Finalement, la Couronne a décidé de ne pas invoquer le témoignage du Dr Matshes, bien que cette décision ait plus tard été réexaminée. Pour les besoins d’un plaidoyer de culpabilité à l’égard d’une accusation de négligence criminelle ayant causé la mort, ses opinions seraient utilisées, mais uniquement à l’égard de la cause du décès et des questions de nature temporelle en ce qui a trait à la noyade. En outre, la Couronne ne voulait pas invoquer l’une des déclarations faites par Mme Bouvette à la police qui aurait pu être défavorable à cette dernière parce qu’elle semblait être involontaire et donc inadmissible.
[29] Le 13 mai 2013, Mme Bouvette a, par l’entremise de son avocat, plaidé coupable à une nouvelle accusation de négligence criminelle ayant causé la mort. Il y aurait arrêt des procédures relativement à l’accusation de meurtre. Il n’est consigné nulle part que la Couronne a communiqué l’examen par les pairs du travail du Dr Matshes ou sa décision de ne pas invoquer la déclaration involontaire faite à la police. Comme la Cour d’appel l’a plus tard fait remarquer, il n’y a eu aucune enquête sur la compréhension du plaidoyer tel que l’exige le par. 606(1.1) C. cr.
[30] Madame Bouvette a été déclarée coupable et condamnée à 12 mois d’emprisonnement assortis d’une période de probation pour négligence criminelle ayant causé la mort.
[31] Lors de l’audience sur la détermination de la peine de Mme Bouvette, la mère d’Iyanna, Renee Savarie, a présenté une déclaration de victime par l’intermédiaire de l’avocate de la Couronne. Cette dernière a déclaré que Mme Savarie était [traduction] « anéantie » par la perte de son enfant unique, et a expliqué qu’elle avait le sentiment que ce chagrin suivrait Mme Savarie et son compagnon pour le reste de leur vie (d.a., vol. VIII, p. 203‑204). La juge chargée de la détermination de la peine a noté que Mme Savarie avait exprimé sa souffrance sans rancœur.
[32] Dans ses motifs, la juge chargée de la détermination de la peine a fait observer [traduction] « [qu’i]l se peut qu’on ne sache jamais ce qui s’est effectivement produit dans les moments ou les heures ayant précédé la mort de la petite Iyanna » (par. 10, reproduit dans le d.a., vol. I, p. 75). Elle a estimé que la conduite de Mme Bouvette ayant précédé la mort de l’enfant n’était ni violente ni intentionnelle et se situait [traduction] « au plus bas échelon de l’échelle de la culpabilité morale » (par. 86). De plus, les remords de Mme Bouvette et ses propres difficultés, y compris ce que la juge a appelé ses troubles cognitifs, étaient des facteurs à prendre en compte dans la détermination de la peine.
[33] Ces procédures ont eu les répercussions les plus profondes sur Mme Bouvette. Dans leurs plaidoiries devant notre Cour, ses avocats ont expliqué que l’affaire avait [traduction] « bouleversé » la vie de Mme Bouvette et que l’accusation et la déclaration de culpabilité avaient eu des conséquences [traduction] « dévastatrices » (m.a., par. 2). Madame Bouvette a perdu la garde de ses quatre enfants. Elle a été ostracisée par sa communauté, elle a sombré dans la toxicomanie et elle a dû faire face à l’itinérance et à la pauvreté. Elle a depuis longtemps purgé sa peine d’emprisonnement et elle continue de subir les conséquences néfastes de cette épreuve.
D. Examen indépendant
[34] En 2020, le service des poursuites de la Colombie‑Britannique a annoncé la nomination d’une procureure spéciale chargée de procéder à un examen indépendant de l’affaire pour déterminer si une erreur judiciaire avait été commise. Environ un an plus tard, le service des poursuites a annoncé que la procureure spéciale avait formulé une série de recommandations de réparation. La procureure spéciale a conclu qu’on pouvait solidement faire valoir que Mme Bouvette n’avait pas reçu communication de documents pertinents importants. La procureure spéciale a estimé qu’il était souhaitable que l’affaire fasse l’objet d’un contrôle en appel pour déterminer si une erreur judiciaire avait été commise. La Couronne a par la suite communiqué les documents identifiés par la procureure spéciale qui n’avaient pas encore été communiqués à Mme Bouvette.
[35] En 2021, Mme Bouvette a présenté une demande en vue de faire proroger le délai d’appel de sa déclaration de culpabilité, demande qui a été accueillie par une juge de la Cour d’appel (2022 BCCA 9), et un avis d’appel a été déposé. Une demande visant à présenter de nouveaux éléments de preuve concernant l’allégation de non‑communication formulée par Mme Bouvette a été déposée avec son appel. Plus précisément, elle a fait valoir que son plaidoyer de culpabilité devait être annulé en raison de l’omission par la Couronne de communiquer le rapport du comité d’examen par des experts qui critiquait le rapport d’autopsie du Dr Matshes. Dans son avis d’appel, Mme Bouvette a affirmé que la déclaration de culpabilité basée sur le plaidoyer de culpabilité constituait une erreur judiciaire au sens du sous‑al. 686(1)a)(iii) C. cr.
III. Jugement de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, 2023 BCCA 152, 424 C.C.C. (3d) 513 (les juges Fitch, Voith et Skolrood)
[36] Devant la Cour d’appel, Mme Bouvette a sollicité des ordonnances faisant droit à son appel, annulant le plaidoyer de culpabilité qu’elle avait inscrit au procès, annulant la déclaration de culpabilité et prononçant un acquittement. Si un acquittement ne pouvait être prononcé, elle a demandé un arrêt judiciaire des procédures.
[37] La Couronne a concédé que les nouveaux éléments de preuve relatifs à la non‑communication devaient être admis. Elle a convenu avec Mme Bouvette que l’appel devait être accueilli et que la déclaration de culpabilité devait être annulée. La Couronne a demandé un acquittement ou, à titre subsidiaire, un arrêt judiciaire des procédures.
[38] La Cour d’appel a conclu que la non‑communication établissait l’omission par la Couronne et la police de communiquer des renseignements importants à la défense. Madame Bouvette avait démontré l’existence d’un préjudice suffisamment grave pour constituer une erreur judiciaire, et plus précisément d’une possibilité raisonnable qu’elle n’aurait pas inscrit un plaidoyer de culpabilité s’il y avait eu communication complète.
[39] La Cour d’appel a procédé à l’examen des réparations possibles pour corriger l’erreur judiciaire en vertu du par. 686(2) C. cr., soulignant que, lorsqu’elle fait droit à un appel d’une déclaration de culpabilité pour l’une des trois raisons énoncées à l’al. 686(1)a) Cr. C. — verdict déraisonnable, erreur de droit ou erreur judiciaire —, la cour doit annuler la déclaration de culpabilité et a) ordonner un jugement ou verdict d’acquittement, ou b) ordonner un nouveau procès.
[40] La Cour d’appel a écrit qu’un acquittement sera prononcé en vertu de l’al. 686(2)a) [traduction] « si la cour d’appel est convaincue, d’après le dossier de première instance auquel s’ajoutent les nouveaux éléments de preuve, qu’aucun jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées sur le droit, ne pourrait rendre un verdict de culpabilité » (par. 114). Le test applicable, a poursuivi la cour, « est strict » (par. 114).
[41] [traduction] « Il existe des arrêts de cours d’appel », a écrit la cour, « qui appuient la thèse suivant laquelle, dans des circonstances exceptionnelles, un acquittement peut être prononcé même si l’on ne peut pas dire que l’acquittement est le seul verdict raisonnable » (par. 115). La cour a fait observer que, dans l’affaire Truscott, un nouveau procès n’était pas possible et que la Cour d’appel de l’Ontario était convaincue, eu égard au [traduction] « dossier complet » dont elle disposait, qu’aucun autre forum ne serait mieux placé pour évaluer la culpabilité de l’appelant (par. 116, citant Truscott, par. 260 et 265‑269). S’appuyant toujours sur l’arrêt Truscott, la cour a souligné qu’un nouveau procès sera généralement ordonné si la cour d’appel est convaincue que le dossier d’appel [traduction] « admet l’existence d’une possibilité raisonnable qu’un verdict de culpabilité soit rendu » (par. 117, citant Truscott, par. 247‑248).
[42] La cour a fait observer qu’il lui était loisible de prononcer l’arrêt des procédures pour empêcher un abus de procédure, eu égard à la compétence que confèrent à la cour d’appel les par. 686(8) C. cr. et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (par. 118). De plus, elle a écrit que, comme la cour qui annule une déclaration de culpabilité exerce un pouvoir que lui confère le par. 686(2), [traduction] « [i]l n’est donc pas nécessaire que la cour ordonne un nouveau procès avant d’ordonner l’arrêt des procédures » (par. 119). La cour a toutefois reconnu que, du point de vue de Mme Bouvette, l’arrêt des procédures représente [traduction] « une réparation inférieure » à un acquittement en ce que, bien qu’il fasse disparaître le stigmate d’une déclaration de culpabilité, il laisserait le stigmate tenace associé à une allégation non résolue de négligence criminelle ayant causé la mort d’un enfant (par. 122).
[43] Pour ce qui est des circonstances de l’espèce, la cour a conclu qu’il existait au dossier des éléments de preuve au vu desquels un jury raisonnable pouvait déclarer Mme Bouvette coupable de négligence criminelle ayant causé la mort d’Iyanna. La cour a cité, en particulier, le témoignage du Dr Matshes à l’enquête préliminaire selon lequel il aurait été peu probable qu’Iyanna présente un état normal à la suite des blessures qu’il avait observées lors de l’autopsie. Cela aurait pu expliquer la noyade dans la baignoire. [traduction] « Au vu des mêmes éléments de preuve », a écrit la cour, « un jury raisonnable pourrait également conclure que l’appelante savait qu’Iyanna avait été blessée avant de la mettre dans la baignoire » (par. 131). Plus précisément, la cour a écrit qu’un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait [traduction] « conclure que le fait de laisser sciemment un enfant blessé de 19 mois sans surveillance dans une baignoire pendant une minute constitue un écart marqué et important par rapport à la conduite qu’aurait eue une personne raisonnable dans la même situation que l’appelante » (par. 133).
[44] Sur ce fondement, la cour a refusé de prononcer un acquittement. Elle s’est ensuite demandé si elle devrait néanmoins prononcer un acquittement en raison de l’existence de circonstances spéciales, en appliquant le cadre d’analyse développé notamment dans l’arrêt Truscott. La Couronne a fait valoir que les circonstances de l’espèce étayaient l’opinion suivant laquelle il s’agit d’un cas exceptionnel justifiant une analyse de type Truscott, faisant remarquer que Mme Bouvette avait purgé la totalité de sa peine; qu’elle avait subi un grand préjudice en raison de l’erreur judiciaire; et que, lors d’un nouveau procès, la preuve de la Couronne serait faible, de sorte qu’il était plus probable que le contraire que Mme Bouvette soit acquittée à ce procès. La cour a ajouté que la Couronne avait précisé dans sa plaidoirie que, quelle que soit la réparation qu’accorderait la Cour d’appel, [traduction] « elle n’a nullement l’intention de donner suite à un nouveau procès » (par. 136).
[45] Malgré la position des parties, la Cour d’appel a écrit qu’elle n’était pas convaincue que les circonstances de l’affaire étaient [traduction] « suffisamment exceptionnelles pour justifier d’entreprendre une analyse de type Truscott » (par. 137). En particulier, [traduction] « la possibilité théorique d’un nouveau procès » (par. 138) distinguait la présente espèce de l’affaire Truscott. De plus, a fait observer la cour, on ne peut pas dire en l’espèce que, comme dans l’affaire Truscott, la cour d’appel disposait d’un dossier complet ou encore qu’il ne pouvait exister de forum mieux placé pour évaluer la culpabilité. Plus précisément, les avocats ont reconnu que la Cour d’appel n’était pas en mesure de tirer de conclusions à l’égard de la preuve médicolégale contestée et que trancher l’affaire [traduction] « impliquerait [nécessairement] une part intolérable de conjectures judiciaires » quant à l’issue probable d’un nouveau procès (par. 139).
[46] Cela dit, la Cour d’appel n’a pas hésité à inscrire un arrêt judiciaire des procédures, l’ordonnance subsidiaire sollicitée par les parties, en raison de la grave violation du droit de Mme Bouvette à une défense pleine et entière causée par la non‑communication. La cour n’a pas conclu à la mauvaise foi ou à l’inconduite, mais elle a souligné le caractère important du préjudice qu’avait subi Mme Bouvette en raison de la non‑communication et le fait qu’elle avait purgé la totalité de sa peine.
[47] En somme, la Cour d’appel a fait droit à la demande visant à présenter de nouveaux éléments de preuve, notamment la transcription de l’enquête préliminaire, a accueilli l’appel, a ordonné l’annulation du plaidoyer de culpabilité inscrit par Mme Bouvette au procès et a annulé la déclaration de culpabilité. La cour a refusé de prononcer un acquittement parce qu’elle était d’avis qu’il existait des éléments de preuve au vu desquels un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement pourrait déclarer Mme Bouvette coupable lors d’un nouveau procès. Malgré la gravité de l’accusation, l’arrêt des procédures était justifié en vertu du par. 686(8) C. cr., a écrit la cour, [traduction] « parce qu’obliger l’appelante à subir de nouveau un procès violerait les principes de justice fondamentaux qui sous‑tendent le sens du franc‑jeu et de la décence de la communauté » (par. 144).
IV. Questions en litige
[48] Madame Bouvette se pourvoit à l’encontre de l’arrêt judiciaire des procédures ordonné par la Cour d’appel, demandant à notre Cour de l’annuler et de prononcer un acquittement (m.a., par. 134).
[49] Madame Bouvette dit qu’elle devrait être acquittée pour l’un des deux motifs suivants (m.a., par. 106). Premièrement, elle affirme qu’il n’y a aucun élément de preuve permettant à un juge des faits raisonnable de rendre un verdict de culpabilité. Deuxièmement, et à titre subsidiaire, elle soutient qu’elle devrait être acquittée sur une base discrétionnaire compte tenu des circonstances de son cas.
[50] Devant la Cour d’appel, la Couronne a convenu que Mme Bouvette avait droit à un acquittement au motif qu’il n’y a aucun élément de preuve permettant à un juge des faits raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, de rendre un verdict de culpabilité (m.i., par. 118‑119), mais elle adopte maintenant un point de vue différent. La Couronne dit qu’il était loisible à la Cour d’appel de conclure que Mme Bouvette ne devrait pas être acquittée pour ce motif (par. 119). La Couronne soutient toutefois que Mme Bouvette devrait néanmoins être acquittée sur une base discrétionnaire en raison de l’erreur judiciaire qui a été commise et affirme que la Cour d’appel n’aurait pas dû ordonner l’arrêt des procédures en l’occurrence (par. 7 et 11).
V. Analyse
A. Pouvoirs de réparation des cours d’appel qui annulent une déclaration de culpabilité
[51] Pour décider si Mme Bouvette devrait être acquittée, il est utile de rappeler les pouvoirs légaux dont disposait la Cour d’appel lorsqu’elle a annulé sa déclaration de culpabilité en vertu du par. 686(2) C. cr. Je vais premièrement examiner les ordonnances pertinentes qui peuvent être rendues en vertu des par. 686(2) et (8), avant de comparer les deux réparations — un acquittement ou un arrêt judiciaire des procédures — qui sont plus particulièrement en cause dans le présent pourvoi.
(1) Principales ordonnances qui peuvent être rendues : acquittement, nouveau procès et arrêt judiciaire des procédures
[52] Comme pour tous les pouvoirs qui lui sont conférés, les options qui s’offrent à la cour d’appel doivent trouver leur source dans la loi (R. c. Smith, 2004 CSC 14, [2004] 1 R.C.S. 385, par. 21). Les principaux pouvoirs dont dispose la cour d’appel lorsqu’elle fait droit à un appel d’une déclaration de culpabilité comme celle en litige sont prévus aux par. 686(1), (2) et (8) C. cr. D’autres pouvoirs prévus par l’art. 686 peuvent être exercés dans des circonstances différentes de celles en cause dans le présent pourvoi, comme la substitution d’un autre verdict lorsqu’un appel est rejeté (voir, p. ex., le par. 686(3)).
[53] Premièrement, l’al. 686(1)a) permet à la cour d’appel de faire droit à l’appel lorsque, notamment, comme le prévoit le sous‑al. (iii), pour un motif quelconque, il y a eu une erreur judiciaire :
686 (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict d’inaptitude à subir son procès ou de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la cour d’appel :
a) peut admettre l’appel, si elle est d’avis, selon le cas :
(i) que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve,
(ii) que le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit,
(iii) que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire;
[54] Le paragraphe 686(2) prévoit ensuite que, lorsqu’un appel a été accueilli en vertu de l’al. 686(1)a), la cour d’appel doit, en portant un regard rétrospectif, annuler la déclaration de culpabilité. L’annulation de déclarations de culpabilité protège les personnes accusées contre les erreurs judiciaires, telle l’absence de communication dans le cas de Mme Bouvette, donnant lieu à des déclarations de culpabilité susceptibles d’être qualifiées de douteuses ou même d’injustifiées. Le point de mire de la cour d’appel passe ensuite d’un examen rétrospectif de la question de savoir si [traduction] « la déclaration de culpabilité [. . .] constitue une erreur judiciaire » à une « deuxième étape [prospective] de [l’]analyse : ayant annulé la déclaration de culpabilité, quelle est la réparation appropriée? » (voir Truscott, par. 245). Cet examen prospectif n’est plus axé sur la question de savoir si la déclaration de culpabilité devrait être annulée en raison d’une erreur judiciaire. La tâche en matière de réparation qui reste à la cour d’appel à accomplir consiste plutôt à choisir la voie appropriée à suivre, maintenant que la déclaration de culpabilité a été effacée, en ordonnant un acquittement, un nouveau procès ou un arrêt judiciaire des procédures. Quelle que soit la voie choisie, la déclaration de culpabilité ayant fait l’objet de l’appel ne sera ni évitée ni perpétuée.
[55] Les alinéas 686(2)a) et b) énoncent deux des réparations pertinentes en l’espèce, prescrivant que les mêmes réparations sont possibles indépendamment du motif invoqué pour accueillir l’appel en vertu de l’al. 686(1)a) :
(2) Lorsqu’une cour d’appel admet un appel en vertu de l’alinéa (1)a), elle annule la condamnation et, selon le cas :
a) ordonne l’inscription d’un jugement ou verdict d’acquittement;
b) ordonne un nouveau procès.
[56] Le paragraphe 686(8) confère à la cour d’appel des pouvoirs additionnels, parfois appelés « résiduels » ou « accessoires », qui lui permettent en outre de rendre toute ordonnance que la justice exige lorsqu’elle exerce son pouvoir d’annuler une déclaration de culpabilité :
(8) Lorsqu’une cour d’appel exerce des pouvoirs conférés par le paragraphe (2), (4), (6) ou (7), elle peut en outre rendre toute ordonnance que la justice exige.
[57] Ensemble, ces dispositions offrent à la cour d’appel trois options principales lorsqu’elle fait droit à un appel d’une déclaration de culpabilité. Comme le prévoient explicitement les al. 686(2)a) et b), la cour d’appel peut ordonner un nouveau procès ou prononcer un acquittement en lieu et place de la déclaration de culpabilité annulée. Une troisième option, l’arrêt judiciaire des procédures, n’est pas explicitement mentionnée au par. 686(2), mais peut être ordonnée en vertu du par. 686(8) à titre de mesure accessoire ou résiduelle par rapport à l’annulation de la déclaration de culpabilité (voir R. c. Hinse, [1995] 4 R.C.S. 597, par. 29). L’arrêt judiciaire des procédures met un terme définitif aux procédures — il constitue une réparation « draconienne » (R. c. Babos, 2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309, par. 30). Il ne peut être accordé que pour empêcher un abus de procédures dans les « cas les plus manifestes », remédiant à une atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable ou à l’intégrité du système de justice (par. 31, citant R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, par. 68). En clair, bien que le Code criminel offre ces trois options à la cour d’appel, la réparation que constitue un acquittement doit être examinée en premier et les autres options doivent l’être lorsqu’un acquittement n’est pas justifié.
[58] En sa qualité d’intervenant, le procureur général de l’Ontario a soutenu que l’arrêt judiciaire des procédures ne devrait être inscrit qu’après que la cour a décidé en vertu du par. 686(2) d’ordonner un nouveau procès (m. interv., par. 14‑15). Avec égards, je ne suis pas de cet avis.
[59] Il est bien établi en droit qu’annuler la déclaration de culpabilité en vertu du par. 686(2) suffit pour qu’entre en jeu le pouvoir d’inscrire l’arrêt judiciaire des procédures en vertu du par. 686(8), et ce, même si un nouveau procès n’est pas ordonné (voir Smith, par. 22; voir aussi R. c. R.V., 2021 CSC 10, [2021] 1 R.C.S. 131, par. 75; R. c. Bellusci, 2012 CSC 44, [2012] 2 R.C.S. 509, par. 39; M. Vauclair, T. Desjardins et P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2024 (31e éd. 2024), par. 51.282). Il est par conséquent préférable de considérer l’arrêt judiciaire des procédures comme une troisième ordonnance, distincte. Il est effectivement également possible d’ordonner l’arrêt judiciaire des procédures « au lieu » de rendre une ordonnance de nouveau de procès ou un verdict d’acquittement (Hinse, par. 29). Il n’y a donc aucun problème dans le fait que la Cour d’appel n’a ni ordonné un nouveau procès ni acquitté Mme Bouvette, mais a simplement annulé la déclaration de culpabilité et inscrit l’arrêt des procédures (par. 147).
[60] Les cours d’appel ne sont pas tenues par la loi de prononcer des acquittements dans tous les cas; le Parlement a prescrit qu’elles font un choix parmi les réparations possibles comme le dictent les circonstances et l’intérêt de la justice. Cette tâche leur incombe en vertu de l’art. 686. Autrement dit, le Parlement a confié aux cours d’appel le pouvoir de rendre un verdict d’acquittement en vertu du par. 686(2). Personne ne prétend le contraire. Le présent pourvoi fournit une occasion de clarifier dans quelles circonstances un acquittement, par rapport à un nouveau procès ou à un arrêt judiciaire des procédures, constituerait un résultat juste et approprié, dans les limites appropriées de l’évolution progressive du droit.
(2) Distinction entre un acquittement et un arrêt judiciaire des procédures
[61] Nul ne conteste qu’il existe des motifs justifiant l’arrêt judiciaire des procédures inscrit par la Cour d’appel. Indépendamment de l’issue du présent pourvoi, il n’y aura pas de nouveau procès. La Cour d’appel n’en a pas ordonné un avant d’inscrire l’arrêt des procédures et ni l’une ni l’autre des parties n’en a fait la demande, qu’il y ait un acquittement ou non. La seule question qui se pose est de savoir si la Cour d’appel aurait dû prononcer un acquittement au lieu d’ordonner l’arrêt des procédures. Comprendre la nature de ces deux ordonnances distinctes est donc au cœur du présent pourvoi.
[62] Un acquittement représente une conclusion selon laquelle l’accusé n’est pas coupable. Il signifie que la Couronne n’a pas prouvé le bien‑fondé de sa cause hors de tout doute raisonnable et, sous réserve de l’existence d’un droit d’appel, il met fin aux procédures. Un arrêt judiciaire des procédures y met également fin et signifie que la Couronne est « incapable d’obtenir une déclaration de culpabilité » (R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128, p. 148). Contrairement à un acquittement, l’arrêt des procédures ne reflète pas une conclusion sur la question de savoir si la personne est coupable ou non.
[63] Bien qu’elles soient distinctes sur le plan conceptuel, les deux réparations présentent d’importantes similitudes. Contrairement à l’ordonnance de nouveau procès, l’arrêt judiciaire des procédures et l’acquittement mettent tous les deux un terme définitif aux procédures criminelles contre l’accusé (voir Jewitt, p. 148). Lorsqu’un nouveau procès est ordonné, la Couronne dispose de diverses options, notamment donner suite au nouveau procès en vue d’obtenir une déclaration de culpabilité, ne présenter aucune preuve et inviter le tribunal de première instance à rendre un verdict d’acquittement, demander le retrait de l’accusation ou ordonner un arrêt des procédures par la poursuite (voir l’hon. P. J. LeSage, Report of the Commission of Inquiry into certain aspects of the trial and conviction of James Driskell (2007), p. 130; Reference re : Phillion, 2009 ONCA 202, 241 C.C.C. (3d) 193, par. 242). Les deux premières options mèneront à un verdict final, alors que ce ne sera généralement pas le cas pour les deux dernières (voir, de façon générale, R. c. Selhi, [1990] 1 R.C.S. 277; Code criminel, par. 579(2); K. Roach, « The Wrongfully Convicted Deserve Acquittals Not Prosecutorial Stays » (2024), 102 R. du B. can. 201, p. 208).
[64] Selon l’avenue empruntée par la Couronne et selon le jugement du tribunal de première instance, l’accusé peut ultimement être déclaré coupable, être acquitté ou ni l’un ni l’autre. En revanche, l’acquittement et l’arrêt judiciaire des procédures mettent tous deux un terme définitif aux procédures (voir Roach, p. 210) et laissent l’accusé dans une situation de « présomption d’innocence » (R.V., par. 76). Ils sont donc considérés comme équivalents à certaines fins, comme pour certaines voies d’appel à notre Cour (voir Jewitt, p. 148; R. c. Puskas, [1998] 1 R.C.S. 1207, par. 1).
[65] La différence entre un acquittement et un arrêt judiciaire des procédures résiderait dans le stigmate résiduel pour l’accusé (m.a., par. 130; m.i., par. 91), parce que l’acquittement représente une conclusion de non‑culpabilité, ce qui n’est pas le cas pour l’arrêt judiciaire des procédures. L’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles fait valoir que l’arrêt judiciaire des procédures [traduction] « n’est qu’un baume partiel pour l’intérêt de la justice » (m. interv., par. 20).
[66] Cependant, en vérité, même un acquittement ne fera bien entendu pas disparaître tout stigmate associé à l’accusation criminelle. Une conclusion de non‑culpabilité n’exige ou n’implique pas une conclusion factuelle d’innocence, mais indique, en droit, que la Couronne n’a pas prouvé le bien‑fondé de sa cause hors de tout doute raisonnable (voir R. c. Mullins-Johnson, 2007 ONCA 720, 87 O.R. (3d) 425, par. 23‑25, citant l’hon. A. Lamer, The Lamer Commission of Inquiry into the Proceedings Pertaining to : Ronald Dalton, Gregory Parsons and Randy Druken : Report and Annexes (2006), p. 342; R. c. D.R.S., 2013 ABCA 18, 542 A.R. 92, par. 15; voir aussi S. N. Lederman, M. K. Fuerst et H. C. Stewart, Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada (6e éd. 2022), ¶19.234; Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, 2007 CSC 41, [2007] 3 R.C.S. 129, par. 156, la juge Charron, dissidente, mais non sur ce point). Je trouve utile la transposition de cette idée aux pouvoirs des cours d’appel qui a été effectuée dans l’arrêt Mullins‑Johnson, par. 24 : [traduction] « Tout comme le procès criminel ne permet pas de faire des déclarations d’innocence factuelle, une cour d’appel, qui tire sa compétence de la loi, n’a pas compétence pour faire une déclaration juridique formelle d’innocence factuelle. »
[67] L’acquittement découle plutôt d’un [traduction] « large éventail de situations, allant de l’innocence factuelle/réelle démontrable à une preuve à charge qui établit la culpabilité probable, mais qui ne constitue pas tout à fait une preuve hors de tout doute raisonnable » (LeSage, p. 138). Il ne sera pas toujours possible d’éliminer complètement les soupçons du public, même après qu’une personne accusée d’une infraction criminelle a été acquittée (P. MacKinnon, « Costs and Compensation for the Innocent Accused » (1988), 67 R. du B. can. 489, p. 498‑499).
[68] Pour cette raison, il ne faudrait pas exagérer la différence en matière de stigmate. Notre Cour s’est demandé si « l’existence théorique d’une accusation suspendue crée un opprobre plus grand » qu’un acquittement, et si le public comprendrait vraiment la différence, soulignant qu’« [u]n acquittement impopulaire suscite autant d’indignation au sein du public qu’un arrêt des procédures » (R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 880, p. 915). Qu’une affaire criminelle se termine par un acquittement en appel ou par un arrêt judiciaire des procédures, l’accusé ne se trouve pas dans la même situation que la personne qui attend un procès ou un appel qui déterminera sa culpabilité, car il ne risque plus d’être déclaré coupable de l’infraction (voir, de façon générale, les p. 910‑911).
[69] Cela dit, une impression subsiste dans certains milieux selon laquelle un acquittement fait disparaître une plus grande part du stigmate associé à l’accusation criminelle qu’un arrêt des procédures (voir Lamer, p. 319; Roach, p. 210‑213; voir aussi Truscott, par. 265). Comme l’affirme l’intervenante Innocence Canada, [traduction] « le stigmate ne disparaît probablement jamais complètement, mais l’acquittement prononcé par un tribunal contribuera grandement à l’effacer » (m. interv., par. 15). Contrairement à un acquittement, un arrêt judiciaire des procédures ne révèle rien de l’opinion de la cour sur le fond de l’affaire (Jewitt, p. 148), pas même que la Couronne n’a pas prouvé le bien‑fondé de sa cause hors de tout doute raisonnable. Cette différence signifie qu’il incombe à la cour d’appel d’examiner soigneusement si un acquittement est justifié dans chaque cas où une déclaration de culpabilité a été annulée. Il en est ainsi même lorsqu’il y a des motifs d’arrêter judiciairement les procédures, et ce, pour s’assurer que l’accusé ne soit pas victime d’une stigmatisation injustifiée une fois les procédures terminées. Cela explique l’idée, qui n’est pas contestée en l’espèce, selon laquelle une cour d’appel devrait d’abord examiner les motifs d’acquittement avant de décider si elle peut accorder des réparations moindres pour d’autres motifs (voir S. Coughlan, Criminal Procedure (4e éd. 2020), p. 584, note 104, citant R. c. Morrissey (1995), 22 O.R. (3d) 514, p. 540).
[70] Les cours doivent également veiller à ne prononcer des acquittements que dans les cas qui s’y prêtent de manière à éviter d’en déformer le sens et d’atténuer ainsi tout effet de réduction de la stigmatisation. Si les cours d’appel rendaient régulièrement des jugements portant qu’il existe une possibilité de déclaration de culpabilité lors d’un nouveau procès, mais prononçaient néanmoins un acquittement, cela aurait pour effet de miner l’idée selon laquelle un acquittement signifie que la Couronne n’a pas établi le bien-fondé de sa cause à partir de la preuve — signification dite à l’origine de la différence de stigmatisation qui distingue en fait l’acquittement de l’arrêt judiciaire des procédures. Vu qu’« [i]l n’existe pas différentes sortes d’acquittements » (Grdic c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 810, p. 825), l’effet perturbateur qui en découlerait pourrait se faire sentir dans tous les contextes, y compris lorsque l’acquittement est prononcé en première instance.
B. Motifs d’acquittement visés au par. 686(2) C. cr.
[71] En gardant ces pouvoirs de réparation à l’esprit, je passe maintenant à l’examen des motifs pour lesquels la réparation demandée dans le présent pourvoi — un acquittement — pourrait dûment être prononcée après l’annulation d’une déclaration de culpabilité en vertu du par. 686(2). Par souci de clarté, je me demanderai d’abord si un acquittement constitue une réparation appropriée avant de me tourner, si nécessaire, vers les autres options. Comme je l’ai souligné plus haut, la question de savoir si un acquittement est justifié dans les circonstances doit être examinée en premier, même lorsqu’il peut exister des motifs justifiant un arrêt judiciaire des procédures.
(1) Acquittements dans les cas où une déclaration de culpabilité serait déraisonnable au vu du dossier
[72] Le motif d’acquittement en appel le plus fréquemment invoqué concerne l’insuffisance de la preuve sous‑tendant une déclaration de culpabilité.
[73] Cela est très évident dans les cas où les éléments de preuve admissibles présentés au tribunal de première instance n’auraient pas permis à un juge des faits de raisonnablement rendre un verdict de culpabilité (voir R. c. Roy, 2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60, par. 53; R. c. Pittiman, 2006 CSC 9, [2006] 1 R.C.S. 381, par. 14; R. c. S. (P.L.), [1991] 1 R.C.S. 909, p. 915‑916; voir aussi P.G. c. R., 2007 QCCA 1160, par. 92‑93; R. c. D.C.S., 2000 NSCA 61, 184 N.S.R. (2d) 299, par. 46‑50; Boisvert c. R., 2012 QCCA 1945, par. 15; T. Desjardins, L’appel en droit criminel et pénal (2e éd. 2012), par. 443‑446; J. Sopinka, M. A. Gelowitz et W. D. Rankin, Sopinka, Gelowitz and Rankin on the Conduct of an Appeal (5e éd. 2022), ⁋4.44; Coughlan, p. 583). Il convient de souligner que c’est l’état du dossier qui est pertinent en l’espèce. C’est pourquoi, par exemple, un verdict déraisonnable reposant sur l’insuffisance du dossier justifie un acquittement, tandis qu’un verdict déraisonnable fondé sur une erreur de type Beaudry exige de se demander si la déclaration de culpabilité ne pouvait « de toute façon se justifier eu égard à la preuve au dossier » (R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3, par. 23, le juge Fish, dissident, mais non sur ce point; R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190).
[74] Il est nécessaire de prononcer l’acquittement en pareil cas pour empêcher la Couronne d’avoir a posteriori une deuxième occasion d’établir une preuve, peut‑être différente et meilleure, contre l’accusé (voir Pittiman, par. 14, citant R. c. Harvey (2001), 57 O.R. (3d) 296 (C.A.), par. 30, conf. par 2002 CSC 80, [2002] 4 R.C.S. 311). Notre Cour a dit qu’accorder une telle occasion à la Couronne irait à l’encontre des principes fondamentaux d’équité relatifs à la prévention du double péril (voir Savard c. The King, [1946] R.C.S. 20, p. 33‑34; voir aussi R. c. More (1959), 124 C.C.C. 140 (C.A. C.‑B.), p. 148‑150; R. c. Ledesma, 2020 ABCA 411, par. 21).
[75] Même lorsque les éléments de preuve présentés en première instance auraient pu raisonnablement étayer une déclaration de culpabilité à ce moment‑là, les nouveaux éléments de preuve présentés en appel peuvent convaincre la cour d’appel qu’aucun juge des faits ne pourrait raisonnablement rendre un verdict de culpabilité au vu du dossier tel que complété (voir, p. ex., R. c. Hinse, [1997] 1 R.C.S. 3; voir aussi R. c. Oakes, 2016 ABCA 90, 36 Alta. L.R. (6th) 248, par. 50‑53). Dans ce cas aussi, la cour d’appel doit rendre un verdict d’acquittement. C’est en ce sens que ce motif d’acquittement a été à juste titre décrit comme étant un motif qui [traduction] « s’impose » — il s’agit de la seule réparation possible en pareilles circonstances (Truscott, par. 247‑248; voir aussi R. c. Maciel, 2007 ONCA 196, 219 C.C.C. (3d) 516, par. 46; R. c. Dhillon, 2014 BCCA 480, 16 C.R. (7th) 8, par. 28; R. c. Ostrowski, 2018 MBCA 125, 369 C.C.C. (3d) 139, par. 26; Coughlan, p. 584). Il serait injuste et inutile de renvoyer l’affaire pour la tenue d’un nouveau procès lorsque la preuve démontre que la seule issue raisonnable serait l’acquittement. En effet, dans les circonstances, l’acquittement est la seule option juste qui s’offre à la cour d’appel. Si le droit permettait à la cour d’appel de refuser un acquittement, il laisserait place à l’injustice en exposant l’accusé à un nouveau procès ou à un arrêt judiciaire des procédures alors que l’intérêt de la justice dicte une conclusion différente. L’intégrité de l’acquittement est préservée, car le verdict reflète l’omission par la Couronne de prouver le bien‑fondé de sa cause hors de tout doute raisonnable eu égard au dossier.
[76] Il faut distinguer cette situation de celle où les nouveaux éléments de preuve présentés en appel semblent compromettre, dans une certaine mesure, la possibilité que l’accusé soit déclaré coupable lors d’un nouveau procès, mais où le dossier complété admet néanmoins l’existence d’une possibilité raisonnable qu’un verdict de culpabilité soit rendu. L’état d’un tel dossier ne permet pas, à lui seul, de rendre un verdict d’acquittement (voir R. c. Hay, 2013 CSC 61, [2013] 3 R.C.S. 694, par. 76; Maciel, par. 46, citant R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480; voir aussi R. c. C.D.G. (1995), 128 Nfld. & P.E.I.R. 312 (C.A. T.‑N.), par. 82).
[77] Rendre un verdict d’acquittement lorsque la preuve ne peut raisonnablement étayer une déclaration de culpabilité respecte les limites institutionnelles auxquelles sont assujetties les cours d’appel et reconnaît l’avantage institutionnel dont jouit le tribunal de première instance lorsqu’il s’agit d’apprécier la preuve. Le procureur général de l’Ontario rappelle que les procédures d’appel ne doivent pas se transformer en « procès instruit par la cour d’appel à partir du dossier » (m. interv., par. 20, citant R. c. W.H., 2013 CSC 22, [2013] 2 R.C.S. 180, par. 34). Comme l’a affirmé le juge Cromwell dans l’arrêt W.H., le contrôle en appel « constitue un solide rempart contre la déclaration de culpabilité injustifiée, mais il doit être exercé de pair avec une grande déférence pour la fonction de juge des faits » (par. 34). On ne peut pas dire qu’en se fondant sur sa propre appréciation de la preuve, la cour d’appel prive le juge des faits de son rôle consistant à faire un choix entre les verdicts possibles lorsque cette preuve n’offre qu’une seule option raisonnablement possible.
[78] Ce motif d’acquittement fondé sur la preuve laisse également intact le sens généralement reconnu d’un acquittement, parce que la cour peut, sans risque de se tromper, conclure qu’au vu du dossier, l’accusé n’est pas coupable de l’infraction dont il est inculpé : la même conclusion que celle qui sous‑tend un acquittement prononcé en première instance.
(2) Acquittements lorsque la Couronne inviterait le tribunal à prononcer un acquittement
[79] Des considérations similaires commandent de reconnaître un deuxième motif d’acquittement fondé sur le par. 686(2) C. cr., un motif d’acquittement que soulèvent les circonstances inhabituelles du présent pourvoi. À moins qu’il ne soit contraire à l’intérêt public de le faire, une cour d’appel doit rendre un verdict d’acquittement lorsque la Couronne réclame un acquittement et affirme qu’elle ne présenterait aucune preuve lors d’un nouveau procès pour s’assurer qu’un acquittement soit prononcé. Il en est ainsi qu’une déclaration de culpabilité soit ou non déraisonnable au vu du dossier existant, et indépendamment de ce que la cour d’appel pense qu’il pourrait arriver lors d’un nouveau procès hypothétique.
[80] Le raisonnement qui sous‑tend ce motif d’acquittement est que, comme dans le cas d’un motif traditionnel fondé sur la preuve qui est visé au par. 686(2), la cour d’appel donne simplement effet à des circonstances qui mèneraient de toute façon directement à un acquittement. Même si la cour ordonnait un nouveau procès, ce qui constituerait la réparation la moins avantageuse du point de vue de l’accusé, la position de la Couronne signifierait que le tribunal de première instance serait tenu de rendre un verdict d’acquittement (voir LeSage, p. 130; Roach, p. 224‑227). Lorsqu’il résulte du fait que la Couronne n’a présenté aucune preuve, un acquittement résout l’affaire de manière définitive par une conclusion de non‑culpabilité, comme tout autre acquittement (voir R. c. Riddle, [1980] 1 R.C.S. 380, p. 399). En remplaçant maintenant la déclaration de culpabilité par un acquittement, compte tenu de l’engagement de la Couronne, la cour d’appel, dans l’exercice du pouvoir que lui confère le par. 686(2), ne fait donc qu’imposer un résultat auquel les parties parviendraient inévitablement si un nouveau procès était ordonné.
[81] Comme la cour d’appel ne fait que prononcer le même acquittement que celui que prononcerait finalement le tribunal de première instance, on ne peut prétendre que la cour d’appel usurpe le rôle du juge des faits, ni qu’elle déforme le sens généralement reconnu d’un acquittement. Dans la nouvelle instance, un verdict de non‑culpabilité serait la seule conclusion juridique à laquelle le juge des faits pourrait parvenir parce qu’une déclaration de culpabilité serait déraisonnable au vu d’un dossier ne comportant aucune preuve. L’acquittement serait prononcé au motif que la Couronne n’a pas prouvé le bien‑fondé de sa cause contre l’accusé, ce qui correspond au sens juridique d’un acquittement.
[82] Le procureur général de l’Ontario affirme que, dans ce scénario, la cour d’appel devrait, au lieu d’imposer directement ce résultat final, ordonner un nouveau procès et faire en sorte que ce soit le tribunal de première instance qui prononce l’acquittement (transcription, p. 87). Avec égards, je ne suis pas d’accord.
[83] La position préconisée par le procureur général de l’Ontario nécessiterait des procédures pro forma qui ne cadrent pas avec une justice criminelle rendue en temps utile et efficacement. Notre Cour a déclaré que tous les participants à la justice criminelle, y compris les tribunaux, doivent en faire davantage pour remédier aux pratiques inefficaces de la justice criminelle (voir R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631, par. 41, 45 et 116; voir aussi La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22, par. 55). C’est un lieu commun de dire que les délais dans les procédures criminelles continuent de constituer un problème de taille pour les tribunaux canadiens (voir Ministère de la Justice du Canada, Le rapport final sur l’examen du système de justice pénale du Canada (2019), p. 5). Il ne servirait à rien de tenir une instance devant le tribunal de première instance, ce qui entraînerait des frais et des délais supplémentaires, pour arriver au même résultat que celui qu’une cour d’appel peut décréter directement.
[84] De plus, la position du procureur général de l’Ontario laisserait des personnes accusées comme Mme Bouvette, qui ont déjà réussi à faire annuler leurs déclarations de culpabilité, dans un état d’inquiétude constante jusqu’à l’issue d’une instance qui est, en fait, une formalité plutôt qu’un examen sérieux du fond. Il est facile d’imaginer d’autres procédures qui imposent des difficultés réelles à de telles personnes. Les accusés ne devraient pas avoir à attendre l’issue de formalités sans objet pour obtenir la décision définitive qui s’ensuivrait inévitablement.
[85] Le fait que la Couronne n’a pas seulement déclaré qu’elle ne présenterait aucune preuve lors d’un éventuel procès et inviterait le tribunal à prononcer un acquittement, mais qu’elle a aussi demandé qu’un acquittement soit immédiatement prononcé par la cour d’appel, est au cœur de ce motif d’acquittement. Si la Couronne ne souhaite pas qu’un acquittement soit prononcé pour ce motif et préfère procéder différemment, elle n’a qu’à adopter une position différente devant la cour d’appel ou qu’à refuser de présenter des observations sur ce qui se passerait lors d’un nouveau procès (voir, p. ex., Phillion, par. 242). Comme l’a dit l’avocate à l’audience, la Couronne n’a pas à donner de réponse à la question de savoir ce qu’elle ferait lors d’un nouveau procès, mais, lorsqu’elle le fait, notre Cour doit tenir compte de cette position (voir la transcription, p. 45).
[86] La reconnaissance de ce motif d’acquittement est compatible avec l’idée, exprimée dans d’autres contextes, selon laquelle les tribunaux devraient s’abstenir de s’immiscer dans les positions conjointes des parties à un procès criminel quant au règlement définitif de leur litige (voir, par analogie, R. c. Anthony‑Cook, 2016 CSC 43, [2016] 2 R.C.S. 204). Non seulement le respect des positions conjointes sert les objectifs d’une justice rendue en temps utile et efficacement (voir le par. 40; voir aussi R. c. Nahanee, 2022 CSC 37, par. 26), mais il montre que les parties sont bien placées pour en arriver à une issue qui, eu égard aux circonstances particulières de leur affaire, est équitable et juste (voir Anthony-Cook, par. 44).
[87] Lorsque l’accusé plaide coupable et se voit infliger une peine conforme à une recommandation conjointe, le tribunal doit examiner minutieusement la peine pour s’assurer qu’elle n’est pas contraire à l’intérêt public (voir Anthony-Cook, par. 32‑33). Compte tenu de l’importance des recommandations conjointes, le critère de l’intérêt public « place [. . .] la barre très haut » pour justifier une intervention (Nahanee, par. 26). Ce critère exige que la recommandation conjointe soit « à ce point dissociée » des circonstances de l’infraction et de la situation de l’accusé qu’elle « amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes » à croire que le système de justice « avait cessé » de bien fonctionner (Anthony‑Cook, par. 34). Malgré le caractère exigeant du critère de l’intérêt public, on peut imaginer des recommandations conjointes qui y satisferaient, compte tenu du large éventail de peines possibles sur lesquelles les parties peuvent théoriquement s’entendre.
[88] La cour d’appel qui exerce son pouvoir en vertu du par. 686(2) doit s’assurer qu’elle n’agit pas de manière contraire à l’intérêt public. Lorsque la Couronne fait savoir que l’accusé serait inévitablement acquitté lors d’un nouveau procès, il est peu probable qu’un acquittement immédiat en appel mine l’intérêt public. La cour d’appel donne simplement effet immédiatement à un résultat — un acquittement — auquel on parviendrait inévitablement devant le tribunal de première instance de toute façon. Lorsque prononcer un acquittement immédiatement n’est pas contraire à l’intérêt public, la cour d’appel s’acquitte convenablement de son rôle de surveillance et arrive à bon droit à l’issue juste dans les circonstances. En clair, on ne saurait affirmer que la cour transfère, dans les faits ou autrement, à la Couronne ou aux parties le pouvoir que lui confère la loi. Ultimement, c’est la cour qui prononce l’acquittement lorsqu’il s’agit, comme dans les circonstances de l’espèce, de l’issue qui est juste. Comme je l’ai mentionné précédemment, le Parlement a conféré à la cour d’appel la responsabilité de faire en sorte que la réparation appropriée soit ordonnée. Une cour d’appel qui ne rend pas un verdict d’acquittement dans ces circonstances faillirait nécessairement à cette tâche.
[89] En pratique, la reconnaissance de ce motif d’acquittement permet à la Couronne de s’attaquer au stigmate résiduel qu’entraînent les erreurs judiciaires. Comme ce motif d’acquittement ne requiert pas d’arguments complexes en matière de preuve ou de contexte, et s’applique peu importe qu’un acquittement soit ou non déraisonnable au vu du dossier existant, il le permet relativement en temps utile et relativement efficacement. Un cadre d’analyse qui priverait des personnes comme Mme Bouvette d’un acquittement pour ce motif, et qui exigerait plutôt des parties qu’elles se livrent à une analyse de grande portée et requérant beaucoup de ressources pour atteindre le même résultat, reviendrait à admettre un gaspillage de ressources en appel déjà limitées sans but apparent. Un acquittement ne fait aucun doute dans ces circonstances. Il n’est donc pas nécessaire, pour la bonne administration de la justice, d’entreprendre une très longue détermination quant à savoir s’il est clairement plus probable qu’improbable qu’un accusé soit déclaré non coupable lors d’un nouveau procès hypothétique. Il faut saluer les efforts déployés par la Couronne pour mettre fin rapidement à des procédures entachées d’erreur judiciaire et y donner effet (voir R. c. Hanemaayer, 2008 ONCA 580, 234 C.C.C. (3d) 3, par. 15 et 31; voir aussi Mullins-Johnson, par. 9‑10 et 29).
(3) Acquittements basés sur le pouvoir discrétionnaire en appel
[90] Je reconnais qu’il existe des situations qui peuvent justifier un acquittement pour d’autres motifs que ceux que j’ai mentionnés précédemment, y compris pour des motifs susceptibles de conférer un plus grand pouvoir discrétionnaire à la cour d’appel (voir, p. ex., Dunlop, p. 900; mais voir Brouillard c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 39, p. 53; voir aussi Stolar, p. 492‑493). Les parties nous renvoient à divers arrêts de cours d’appel qui semblent rendre un verdict d’acquittement sur une base discrétionnaire et eu égard à des facteurs semblables à ceux mentionnés dans l’arrêt Dunlop, y compris l’arrêt rendu par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Truscott (voir, p. ex., R. c. Karuranga, 2021 SKCA 90, 488 C.R.R. (2d) 317, par. 41‑43; Walsh, Re, 2008 NBCA 33, 335 R.N.‑B. (2e) 1, par. 57‑61; R. c. Tom (1992), 79 C.C.C. (3d) 84 (C.A. C.‑B.), p. 94‑95).
[91] Dans l’arrêt Dunlop, notre Cour a acquitté les appelants qui avaient eu gain de cause dans le pourvoi interjeté contre leur déclaration de culpabilité, en s’appuyant sur le fait que le [traduction] « fond de l’affaire [était], ni plus ni moins, leur dénégation du témoignage » de la plaignante, mais aussi qu’ils avaient déjà subi deux procès et étaient incarcérés depuis plus d’un an (p. 900). Étant donné que le raisonnement de notre Cour se bornait à adopter la brève analyse du juge dissident de la cour d’appel, on ne sait pas avec certitude quelle incidence chaque facteur a eu sur l’analyse. Bien que je reconnaisse que l’arrêt Dunlop fournit effectivement un fondement, dans la jurisprudence de notre Cour, au prononcé d’un acquittement discrétionnaire basé en partie sur des facteurs qui sont sans rapport avec le fond de l’appel, en particulier lorsque la peine a été purgée, l’arrêt que nous avons rendu ultérieurement dans l’affaire Brouillard indique clairement que le fait que l’appelant a purgé sa peine ne permet pas nécessairement à lui seul un acquittement (voir aussi R. c. O’Brien (1987), 10 Q.A.C. 135, par. 12; R. c. Vickerson, 2020 ONCA 434, par. 8; LSJPA — 1521, 2015 QCCA 1229, par. 54‑56). Commentant l’arrêt LSJPA — 1521, dans lequel tant l’arrêt Dunlop que l’arrêt Brouillard ont été examinés, les auteurs Vauclair, Desjardins et Lachance, au par. 51.248, note 958, ont écrit que « la Cour [d’appel du Québec] a ordonné un nouveau procès malgré la peine purgée alors que le verdict n’était pas déraisonnable, estimant que le prochain juge pourrait en tenir compte s’il devait imposer une autre peine, ou alors que le ministère public pourrait le considérer avant de décider de refaire le procès ».
[92] Madame Bouvette et la Couronne soutiennent toutes deux que des acquittements devraient pouvoir être prononcés sur une base discrétionnaire large. Madame Bouvette fait valoir que ces acquittements discrétionnaires n’ont pas à être exceptionnels ni à n’être prononcés que dans les mêmes circonstances que celles dans lesquelles la décision de la Cour d’appel de l’Ontario a été rendue dans l’affaire Truscott (m.a., par. 105). Elle insiste sur le fait que notre Cour devrait reconnaître un cadre d’analyse large même si celui‑ci n’est pas nécessaire pour trancher son cas (transcription, p. 12), relevant plusieurs facteurs qui, affirme‑t‑elle, guident l’analyse : (1) elle a purgé sa peine, (2) elle a subi un préjudice important, et (3) elle vit avec un grave stigmate (m.a., par. 107‑110; voir aussi la transcription, p. 11). Elle affirme que lorsque ces facteurs sont réunis, une erreur judiciaire justifie un acquittement en appel plutôt qu’un arrêt judiciaire des procédures, même si le dossier indique l’existence d’une possibilité raisonnable qu’un verdict de culpabilité soit rendu lors d’un nouveau procès.
[93] La Couronne convient que des acquittements discrétionnaires devraient pouvoir être prononcés sur une base plus large que celle de l’arrêt Truscott, qui a été décrit à l’audience comme une décision [traduction] « déroutante sur le plan conceptuel » (transcription, p. 41). La Couronne propose une myriade de facteurs formulés en termes larges, notamment : (1) l’historique des procédures, (2) la situation de l’accusé, (3) la question de savoir si la peine a été purgée en tout ou en partie, (4) la position des parties sur le [traduction] « fondement factuel en appel », (5) la nature des procédures devant la juridiction inférieure, (6) la nature du fondement de l’annulation de la déclaration de culpabilité, et (7) l’incidence du temps écoulé sur la disponibilité et le poids des éléments de preuve (m.i., par. 102‑108). Dans sa plaidoirie, Mme Bouvette a souscrit dans l’ensemble au cadre d’analyse préconisé par la Couronne (recueil condensé de l’appelante, p. 1, par. 5; transcription, p. 11).
[94] Il est inutile, à mon humble avis, de définir de façon exhaustive le fondement sur lequel des acquittements peuvent être prononcés pour des motifs discrétionnaires en vertu du par. 686(2). Vu l’état actuel de la jurisprudence, et l’absence de participation contradictoire véritable des parties, ce motif d’acquittement représente une voie incertaine et semée d’embûches dans les circonstances de l’espèce. Les autres avenues examinées précédemment ne prêtent pas à controverse et un acquittement comme réparation pour l’erreur judiciaire ne fait aucun doute en l’espèce. Comme je l’expliquerai plus loin, Mme Bouvette doit être acquittée en vertu du deuxième motif d’acquittement susmentionné, et la discussion théorique à laquelle les parties nous invitent n’a aucune incidence sur l’issue du présent pourvoi.
[95] Dans les circonstances, je suis d’avis de ne pas accepter l’invitation des parties d’approuver ces larges cadres discrétionnaires en matière d’acquittement. Leurs propositions mettraient en péril à la fois le sens reconnu d’un acquittement et le rôle que devraient jouer les cours d’appel dans notre système de justice criminelle. Il est vrai que certaines cours d’appel ont choisi de prononcer des acquittements discrétionnaires en vertu du par. 686(2) C. cr. en se fondant sur une erreur judiciaire qui n’a aucun rapport avec le fond et malgré la présence au dossier d’éléments de preuve susceptibles de fonder une déclaration de culpabilité raisonnable. La lecture de ces décisions ne montre toutefois pas toujours clairement pourquoi une personne qui pourrait être déclarée coupable sur le fond lors d’un nouveau procès devrait néanmoins être acquittée en appel. Le droit protège jalousement la capacité du juge des faits de décider, selon son interprétation du dossier, si la Couronne a établi le bien‑fondé de sa cause. Il est évident que dans un appel où les nouveaux éléments de preuve admis en appel sont clairement décisifs lorsqu’ils sont considérés comme faisant partie de l’ensemble du dossier, un acquittement peut être prononcé (voir Stolar, p. 491‑492). Autrement, en règle générale, le droit craint à juste titre que les cours d’appel n’usurpent le rôle des juges des faits en se lançant dans une évaluation substantielle de la preuve, ce qui invite à une grande prudence dans un cas comme celui qui nous occupe où les nouveaux éléments de preuve ne sont pas décisifs.
[96] Bon nombre des facteurs que les parties ont soumis à notre examen en l’espèce renvoient à un certain degré d’évaluation substantielle de la preuve en appel avant le prononcé d’un acquittement. En s’appuyant sur ces facteurs, on risque d’usurper le rôle du tribunal de première instance parce qu’ils n’ont rien à voir avec la question de savoir si le juge des faits disposerait de plusieurs options au vu de la preuve, y compris une déclaration de culpabilité (comparer avec R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381, par. 40; W.H., par. 27). De même, le fait de se demander s’il est plus probable qu’improbable qu’un nouveau procès donne lieu à un acquittement ressemble beaucoup à l’évaluation substantielle qui relève pleinement de la compétence du tribunal de première instance. Un acquittement en première instance signifie que le tribunal de première instance avait, en fait, un doute raisonnable quant à la culpabilité, et non que ce résultat était probable. Je suis d’accord avec le procureur général de l’Ontario pour dire qu’il est beaucoup plus naturel pour les juges et les jurys en première instance de vérifier la preuve au moyen d’un processus contradictoire (m. interv., par. 20) et que les cours d’appel doivent résister à la tentation de devenir un « 13e juré » (W.H., par. 27).
[97] Par ailleurs, les autres facteurs étrangers au fond de l’affaire, qui constituent la majeure partie des facteurs relevés par les parties dans le présent pourvoi, ne traitent pas clairement de la question de savoir si la Couronne ne réussirait pas à établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable. Prononcer un acquittement sur le fondement de ces facteurs risque de miner le sens d’un acquittement, parce que les facteurs proposés pourraient permettre un acquittement dans des circonstances où l’accusé aurait pu finalement être déclaré coupable lors d’un nouveau procès, et peut‑être même lorsqu’une telle issue est probable. Étant donné qu’un acquittement est un acquittement (Grdic, p. 825), l’effet de réduction de la stigmatisation que comportent tous les acquittements est menacé. Un procès criminel est censé permettre de déterminer [traduction] « si la Couronne a prouvé sa cause hors de tout doute raisonnable. Dans l’affirmative, l’accusé est coupable. Dans la négative, l’accusé est déclaré non coupable » (Mullins-Johnson, par. 23, citant Lamer, p. 342). En outre, on a dit que, dans les procédures criminelles subséquentes, l’acquittement aurait un sens équivalent à celui d’une [traduction] « déclaration d’innocence » (M. L. Friedland, Double Jeopardy (1969), p. 129; voir aussi Grdic, p. 825). Les procédures d’appel qui perdent de vue ces notions fondamentales de la justice criminelle risquent d’en arriver à [traduction] « un résultat trompeur qui rend un mauvais service à l’administration de la justice » (m. interv. (procureur général de l’Ontario), par. 19).
[98] Je n’oublie pas le préjudice qu’une erreur judiciaire peut occasionner ni l’injustice qu’un nouveau procès pourrait faire subir à l’accusé. Cependant, lorsqu’il y a au dossier des éléments de preuve au vu desquels un jury raisonnable pourrait rendre un verdict de culpabilité, d’autres considérations peuvent fort bien donner à penser qu’un acquittement, qui indique que l’accusé n’est pas coupable au vu de la preuve, ne serait pas approprié (voir, p. ex., R. c. Yusif (1994), 74 O.A.C. 348, par. 28). Les facteurs évidents comprennent l’intérêt de l’État à l’égard du préjudice subi par la victime et l’intérêt de la société à l’égard de l’intégrité des acquittements fondés sur les faits. La perspective de la victime n’était pas un élément explicite des facteurs qui constitueraient, selon ce que la Couronne et Mme Bouvette ont convenu devant nous, le fondement d’un acquittement discrétionnaire. À l’audience, la Couronne a donné, à mon humble avis, une réponse ambiguë sur ce point, affirmant que l’incidence sur la victime ne devrait pas être [traduction] « un facteur majeur, mais [qu’]elle peut constituer dans certains cas [. . .] un facteur d’une certaine importance » (transcription, p. 74).
[99] Le défi auquel est confronté le droit consiste à discerner dans quelles circonstances une erreur judiciaire justifiera un acquittement en appel eu égard à ces motifs discrétionnaires plus larges, circonstances qui, affirme le procureur général de l’Ontario, si tant est qu’elles doivent être reconnues, [traduction] « devrai[ent] être étroitement défini[es] » (m. interv., par. 31). Certes, l’erreur judiciaire a trait à l’équité des procédures qui ont mené à une déclaration de culpabilité et elle peut signifier que cette dernière doit être annulée. Comme Mme Bouvette le rappelle à très juste titre, l’importance d’éviter les erreurs judiciaires n’est pas contestée (voir le m.a., par. 89, citant R. c. C.P., 2021 CSC 19, [2021] 1 R.C.S. 679, par. 61, la juge Abella). Cependant, il convient de rappeler que la déclaration de culpabilité découlant de l’erreur judiciaire a été annulée. Le défi auquel est confrontée la cour d’appel n’est plus de corriger l’injustice passée qui a abouti à une déclaration de culpabilité, mais de tracer, de manière prospective, la voie de réparation menant à une issue juste. Comme je l’ai dit, ce n’est pas l’erreur judiciaire passée, mais l’exercice par la cour de son pouvoir de réparation prévu par la loi, qui, en soi, détermine si un acquittement, un nouveau procès ou un arrêt judiciaire des procédures est approprié. Il s’agit de questions distinctes. Par exemple, si après qu’une déclaration de culpabilité est annulée du fait qu’elle résulte d’une erreur judiciaire, il reste des éléments de preuve sur lesquels peut reposer une déclaration de culpabilité raisonnable, il n’est pas évident de savoir comment la nature du tort associé à l’erreur judiciaire passée peut justifier une réparation de « non culpabilité » pour l’avenir.
[100] Il convient donc de faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit d’établir l’étendue appropriée des acquittements discrétionnaires, compte tenu de ces risques additionnels, lesquels ne sont pas présents dans le cas des autres motifs d’acquittement que j’ai reconnus ci‑dessus. Les cadres d’analyse proposés par la Couronne et Mme Bouvette ne témoignent pas d’une prise en compte significative de ces risques et ils n’offrent pas de moyen évident de les gérer. Bon nombre des facteurs relevés par les parties ont tout au plus un lien ténu avec le sens reconnu d’un acquittement, et leur caractère non pondéré pourrait, je le crains, justifier un acquittement dans des situations qui ne sont pas circonscrites de façon raisonnée. De tels cadres, qui s’articulent autour de longues listes de facteurs formulés en termes larges, se chevauchant et discrétionnaires, peuvent entraîner une confusion qui milite contre leur adoption (voir, p. ex., Colucci c. Colucci, 2021 CSC 24, [2021] 2 R.C.S. 3, par. 68 et 71). Lorsqu’il n’y a pas d’évaluation prescrite de tels facteurs, la détermination peut fort bien échapper au contrôle en appel, dans la mesure où l’évaluation commande vraisemblablement la déférence. Les cadres d’analyse préconisés par les parties favoriseraient une complexité excessive susceptible de miner la prévisibilité associée aux issues justes en appel.
[101] Il n’est peut‑être pas surprenant que les observations présentées en l’espèce au sujet du cadre d’analyse ne soient pas développées davantage, compte tenu de l’absence de contexte contradictoire sur cette question. Le contexte contradictoire est « l’un des principes fondamentaux de notre système juridique [qui] tend à garantir que les parties ayant un intérêt dans l’issue du litige en débattent complètement tous les aspects » (Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 358‑359). Cela rappelle les remarques du juge Megarry, faites dans un autre contexte, où celui‑ci a fait allusion à [traduction] « l’épreuve purificatrice que constitue un débat habilement mené sur les faits propres à une affaire contestée » et a fait remarquer, comme chacun le sait, « [qu’u]n droit débattu est un droit solide » (Cordell c. Second Clanfield Properties Ltd., [1969] 2 Ch. 9, p. 16). Les observations sur les acquittements discrétionnaires n’avaient pas un caractère contradictoire entre les parties en l’espèce, car la Couronne et Mme Bouvette ont toutes deux plaidé en faveur de cadres discrétionnaires larges de nature similaire, insistant dans une large mesure sur la même liste de facteurs, dont certains n’ont aucune incidence sur l’issue du pourvoi qui les concerne. Un contexte contradictoire conviendrait le mieux pour permettre à notre Cour de pleinement faire face aux points de vue divergents inhérents à l’établissement d’un cadre exhaustif en matière d’acquittements discrétionnaires. En son absence, et étant donné qu’il n’est pas nécessaire de trancher la question en l’espèce, notre Cour devrait agir avec prudence (voir J. W. Morden, « The “good” judge » (2005), 23(4) Advocates’ Soc. J. 13, p. 21; R. J. Sharpe, Good Judgment : Making Judicial Decisions (2018), p. 84).
[102] Dans les circonstances, ce sont les cours dans leurs décisions futures qui devraient analyser minutieusement d’autres prétendus motifs d’acquittement, y compris ceux qui confèrent aux cours d’appel un pouvoir discrétionnaire approprié, dans les cas où ces motifs d’acquittement auraient une incidence réelle sur le dispositif. Elles seront mieux placées pour évaluer si, comme dans le cas des deux motifs d’acquittement reconnus ci‑dessus, il convient de prononcer un acquittement dans les circonstances compte tenu du rôle de la cour d’appel et du sens reconnu d’un acquittement. Lorsqu’il n’y a aucun autre fondement à un acquittement en tant qu’issue juste, l’intérêt de la justice et les circonstances d’une affaire donnée garantiront que le droit évolue de façon utile et équilibrée.
[103] Je rappelle que, même lorsqu’il n’y a aucun motif d’acquittement, des facteurs étrangers au fond de l’affaire, comme bon nombre de ceux invoqués dans les cadres en matière d’acquittements discrétionnaires que préconisent les parties, peuvent encore jouer de manière à empêcher la tenue d’un nouveau procès. Des facteurs ayant trait à l’injustice d’un nouveau procès sont directement à la base de la nécessité d’un arrêt judiciaire des procédures (voir Babos, par. 32), et peuvent contribuer à la décision de la Couronne de donner suite ou non à un nouveau procès si celui‑ci est ordonné. C’est d’ailleurs en se fondant sur ces facteurs que la Cour d’appel a refusé d’ordonner un nouveau procès en l’espèce.
C. Madame Bouvette doit être acquittée par notre Cour en vertu du par. 686(2) C. cr.
[104] Appliquant ces principes au cas de Mme Bouvette, et avec égards pour la décision de la Cour d’appel d’inscrire un arrêt des procédures, je suis d’avis que Mme Bouvette doit être acquittée. Bien que rien ne permette d’affirmer qu’une déclaration de culpabilité serait nécessairement déraisonnable au vu de cette preuve, la position de la Couronne est déterminante dans les circonstances exceptionnelles de la présente affaire.
[105] Les motifs d’acquittement n’ont pas à être examinés dans un ordre particulier et les cours d’appels peuvent, par exemple, estimer opportun de se pencher sur la position de la Couronne avant de se demander si une déclaration de culpabilité serait déraisonnable au vu du dossier. Je tiens à rappeler l’arrêt Grdic : un acquittement est un acquittement en droit, et le motif de preuve à l’appui de ce résultat n’est pas supérieur, en droit, à tout autre motif. Si un acquittement est justifié par un motif, l’examen des autres motifs devient inutile. Dans le cas de Mme Bouvette, j’ai examiné tant le motif de preuve que le motif fondé sur l’engagement de la Couronne à ne pas présenter de preuve lors d’un nouveau procès, de manière à traiter des points de désaccord véritable entre les parties au pourvoi de Mme Bouvette. Une partie de ce désaccord a trait au fondement d’un acquittement en matière de preuve. Je me penche d’abord sur ce motif.
(1) Le dossier à lui seul ne peut fonder un acquittement
[106] Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que Mme Bouvette n’a pas démontré qu’au vu du présent dossier, une déclaration de culpabilité serait nécessairement déraisonnable.
[107] Décider si aucun juge des faits ne pourrait raisonnablement rendre un verdict de culpabilité au vu d’un dossier de preuve donné est une opération que connaissent bien les cours d’appel, car il s’agit en soi d’un motif permettant de faire droit à l’appel interjeté d’une déclaration de culpabilité (voir Biniaris, par. 36; sous‑al. 686(1)a)(i) C. cr.; voir aussi Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 51.248). Cette décision exige plus qu’une simple conclusion selon laquelle la cour d’appel a, selon sa propre interprétation du dossier, un doute raisonnable quant à la culpabilité (voir W.H., par. 27; voir aussi R. c. Mars (2006), 205 C.C.C. (3d) 376 (C.A. Ont.), par. 3). En raison de la compétence institutionnelle différente dont jouissent les cours d’appel et les tribunaux de première instance, la cour d’appel ne se trouve pas dans la même position privilégiée que le juge des faits lorsqu’il s’agit d’apprécier la preuve et elle doit veiller à ne pas usurper le rôle de ce dernier. Néanmoins, la cour d’appel doit examiner toute la preuve et se livrer à une [traduction] « évaluation limitée » pour décider si une déclaration de culpabilité raisonnable est exclue (R. c. Browne, 2021 ONCA 836, 498 C.R.R. (2d) 345, par. 30; voir W.H., par. 28, citant Biniaris, par. 36 et 39; voir aussi Doucet c. R., 2024 QCCA 461, par. 11).
[108] La Couronne soutient que la conclusion de la Cour d’appel sur la question de savoir si ce seuil a été respecté est étayée par des conclusions de fait à l’égard desquelles notre Cour doit faire preuve de déférence. Bien qu’elle ait soutenu devant la Cour d’appel que la preuve ne pouvait raisonnablement fonder une déclaration de culpabilité, la Couronne cherche maintenant à faire confirmer la décision contraire de la Cour d’appel (m.i., par. 118‑119).
[109] Dans la mesure où la Couronne affirme qu’il faut faire preuve de déférence, je ne suis pas d’accord. La conclusion que la Cour d’appel a tirée sur cette question était, de façon tout à fait appropriée, axée sur ce qu’un juge des faits raisonnable pouvait ou ne pouvait pas conclure au vu du dossier, et non sur la formulation de conclusions de fait elle‑même (par. 128‑133). La question de savoir si un juge des faits pourrait raisonnablement arriver à une conclusion donnée au vu de la preuve n’est pas une question de fait — c’est une question de droit à laquelle il faut répondre correctement (voir, par analogie, R. c. Buzizi, 2013 CSC 27, [2013] 2 R.C.S. 248, par. 15‑16; voir aussi J. Fortin, Preuve pénale (1984), p. 313). Par conséquent, bien que je prenne bonne note des motifs de la Cour d’appel, sa conclusion ne peut être confirmée que si elle est correcte.
[110] Madame Bouvette affirme que la Cour d’appel a commis une erreur en concluant qu’il y a des éléments de preuve au vu desquels un juge des faits raisonnable pourrait rendre un verdict de culpabilité. Elle soutient que la Cour d’appel n’aurait pas dû se fonder sur le témoignage du Dr Matshes (m.a., par. 113 et 129). Avant le plaidoyer de culpabilité, la Couronne s’était fondée sur ce témoignage à une fin limitée et elle affirme maintenant qu’elle ne s’appuierait pas sur ce dernier s’il y avait un nouveau procès (par. 113‑114). Ce témoignage était au cœur de l’erreur judiciaire parce que des documents se rapportant à la fiabilité du témoignage d’expert n’ont pas été communiqués (par. 128). Madame Bouvette affirme qu’abstraction faite du témoignage du Dr Matshes, la preuve dont disposerait le juge des faits lors d’un nouveau procès ne pourrait pas étayer une déclaration de culpabilité raisonnable (par. 112 et 114). À l’audience, Mme Bouvette a reconnu que d’autres éléments de preuve indiquaient que la chute que l’enfant avait faite d’une chaise avait laissé une marque visible, mais elle a affirmé que la Cour d’appel s’était appuyée à tort sur le témoignage du Dr Matshes concernant l’étendue de la blessure de l’enfant au moment où elle avait été mise dans la baignoire (transcription, p. 8‑10).
[111] La Couronne n’est pas de cet avis (m.i., par. 113). Elle affirme que la décision de ne pas faire entendre le Dr Matshes lors d’un nouveau procès n’exige pas que son témoignage soit exclu du dossier pour les besoins de la présente analyse. Le témoignage n’est pas inadmissible et il n’est pas miné de manière décisive par de nouveaux éléments de preuve (par. 114). La Couronne affirme que sa décision sur les éléments de preuve à présenter lors d’un nouveau procès n’est pas pertinente pour l’analyse (par. 115). Comme l’a dit l’avocate à l’audience, [traduction] « le fait que le Dr Matshes [était] un témoin que, je l’ai concédé, je ne ferais pas témoigner n’est pas pertinent. Je n’allais faire entendre aucun témoin parce qu’il n’allait pas y avoir de procès » (transcription, p. 83). La Couronne affirme que la Cour d’appel a eu raison de conclure que le témoignage selon lequel Mme Bouvette avait laissé l’enfant seule dans le bain pendant un certain temps peu après que l’enfant eut fait une chute d’une chaise pouvait raisonnablement fonder une déclaration de culpabilité (m.i., par. 118).
[112] Je suis d’accord avec la Couronne pour dire que le témoignage du Dr Matshes ne devrait pas être exclu de l’examen du caractère suffisant du dossier pour les besoins de la présente espèce. Madame Bouvette fait ici une analogie avec une preuve inadmissible, dont le juge des faits ne peut légalement se servir pour fonder une déclaration de culpabilité et qui est donc sans pertinence lorsqu’il s’agit de décider si un juge des faits ayant reçu des directives appropriées pourrait raisonnablement rendre un verdict de culpabilité (m.a., par. 129; transcription, p. 30‑31). Cependant, le fait que la cour d’appel estime que la Couronne ne présentera probablement pas de preuve lors d’un nouveau procès se distingue aisément de l’inadmissibilité parce qu’il n’établit en rien qu’il est légalement interdit au juge des faits d’examiner la preuve. Traiter des éléments de preuve admissibles qui ne seront peut-être pas invoqués par la Couronne comme s’ils étaient inadmissibles inviterait la cour d’appel à se livrer à des conjectures sur la stratégie que suivra la Couronne lors d’un nouveau procès, ce qui ne conviendrait pas. La position qu’a adoptée la Couronne devant notre Cour en affirmant qu’elle ne présenterait pas de preuve n’indique aucunement si la preuve disponible justifie une déclaration de culpabilité, mais, comme je l’ai expliqué, il est préférable de considérer qu’il s’agit d’un motif d’acquittement distinct.
[113] Il faut analyser dans leur intégralité les « éléments de preuve légalement admissibles » qui ont été soumis à la cour d’appel et procéder à une évaluation limitée pour déterminer si un jury raisonnable pourrait rendre un verdict de culpabilité (S. (P.L.), p. 916; voir aussi Sopinka, Gelowitz et Rankin, ⁋4.44). Cela inclut les éléments de preuve que pourrait utiliser Mme Bouvette pour contester les opinions du Dr Matshes, et qui ne lui ont pas été communiqués de manière à lui permettre de faire un plaidoyer de culpabilité éclairé, ce qui a entraîné l’erreur judiciaire. Dans sa plaidoirie devant notre Cour, Mme Bouvette indique comment elle pourrait s’y prendre pour procéder à cette contestation si un nouveau procès avait lieu (m.a., par. 44‑68). Cependant, notre Cour ne doit pas faire porter son analyse sur la question de savoir si cette contestation réussirait devant le juge des faits ni sur celle de savoir si elle soulève un doute raisonnable devant la cour d’appel, ce qui équivaudrait à une évaluation substantielle de la preuve. Il faut s’en tenir à une évaluation limitée, axée sur la question de savoir si un juge des faits pourrait raisonnablement déclarer Mme Bouvette coupable hors de tout doute raisonnable au vu du dossier (voir Biniaris, par. 36).
[114] Je suis conscient que, dans une affaire comme la présente, le juge des faits serait tenu d’envisager d’autres possibilités raisonnables incompatibles avec la culpabilité et devrait être convaincu que la culpabilité est la seule conclusion raisonnable eu égard à l’ensemble de la preuve (R. c. Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 R.C.S. 1000, par. 55; Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 51.220). L’évaluation limitée requise en l’espèce doit se faire à la lumière de l’obligation de la Couronne de prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable.
[115] Sans exprimer d’opinion sur la probabilité d’une déclaration de culpabilité, je conviens avec la Cour d’appel que Mme Bouvette n’a pas démontré qu’un juge des faits serait incapable de raisonnablement rendre un verdict de culpabilité pour négligence criminelle ayant causé la mort au vu de la preuve disponible (par. 133). Je relève que la Cour d’appel a expressément déclaré qu’elle acceptait [traduction] « pour les besoins de la présente analyse qu’un jury ne pourrait raisonnablement conclure que l’une ou l’autre des blessures subies par Iyanna a été infligée par l’appelante » (par. 133). Néanmoins, comme l’a statué la Cour d’appel, la preuve au dossier pourrait permettre à un jury raisonnable de conclure que le fait de laisser sciemment un enfant blessé sans surveillance dans une baignoire pendant même une courte période pourrait constituer de la négligence criminelle. Il ne s’agit pas d’un cas dans lequel la nouvelle preuve a un caractère « décisif au point » d’exclure la possibilité qu’un juge des faits ait pu raisonnablement rendre un verdict de culpabilité (Hay, par. 76).
[116] Même sans le témoignage d’opinion du Dr Matshes, la Couronne disposait d’éléments de preuve admissibles tendant à indiquer : (1) que l’enfant avait subi une blessure visible lorsqu’elle était tombée au sol alors qu’elle était sous la garde de Mme Bouvette (d.a., vol. III, p. 169‑172 et 180; m.a., par. 25); (2) que plus tard le même jour, Mme Bouvette avait laissé l’enfant seule dans la baignoire pendant une minute (d.a., vol. II, p. 209; voir aussi le vol. III, p. 30; m.a., par. 12); et (3) que, pendant qu’elle se trouvait dans la baignoire, l’enfant avait perdu conscience (d.a., vol. III, p. 175; m.a., par. 22) et était décédée par la suite. Examinée à la lumière de l’ensemble de la preuve disponible dans cette affaire particulière, la possibilité qu’un juge des faits puisse raisonnablement rendre un verdict de culpabilité ne peut être exclue.
[117] Le dossier ne justifie donc pas, à lui seul, l’acquittement de Mme Bouvette.
(2) Un acquittement immédiat par notre Cour est justifié, compte tenu de l’engagement de la Couronne
[118] Notre Cour doit néanmoins acquitter immédiatement Mme Bouvette en vertu de l’al. 686(2)a) Cr. C., au motif que la Couronne réclame un acquittement et inviterait le tribunal de première instance à rendre un verdict d’acquittement lors d’un nouveau procès.
[119] Tant devant nous que devant la Cour d’appel, la Couronne a réclamé sans équivoque l’acquittement de Mme Bouvette (motifs de la C.A., par. 126; m.i., par. 121). La position de la Couronne sur ce qui arriverait si un nouveau procès était ordonné n’était pas claire devant la Cour d’appel, hormis le fait qu’elle ne donnerait pas suite à ce procès (motifs de la C.A., par. 136; m.i., par. 113). Toutefois, comme je l’ai souligné, la Couronne a précisé explicitement dans ses observations devant notre Cour que, si un nouveau procès était ordonné, elle [traduction] « ne présenterai[t] pas de preuve » et que le tribunal de première instance « rendrait un verdict d’acquittement » (transcription, p. 42). D’ailleurs, la Couronne a été explicite sur le fait qu’elle ne retirerait pas simplement l’accusation, une autre avenue qui s’offrait à elle et qui permettrait d’éviter la tenue d’un nouveau procès, mais qu’au lieu de cela, elle [traduction] « appel[lerait] l’affaire devant le tribunal et [s]’arranger[ait] pour que la Couronne ne présente pas de preuve », comme elle l’avait fait dans d’autres affaires ayant abouti à un acquittement (p. 80‑81).
[120] La position de la Couronne est donc claire : elle inviterait le tribunal de première instance à rendre un verdict d’acquittement. Si notre Cour ordonnait un nouveau procès et si la Couronne menait la poursuite de cette manière, Mme Bouvette serait acquittée. Plutôt que de forcer les parties à passer par des procédures pro forma pour parvenir à ce résultat, procédures qui entraîneraient davantage de retards et d’anxiété pour Mme Bouvette, ou que de faire obstacle à ce résultat en inscrivant un arrêt judiciaire des procédures, le résultat juste consiste à prononcer l’acquittement maintenant. Cela respecte également la position conjointe des parties par analogie avec l’approche préconisée par notre Cour dans l’arrêt Anthony-Cook.
[121] Par conséquent, Mme Bouvette doit être acquittée par la Cour sans autre retard ni aucune possible détresse associée au renvoi de l’affaire au tribunal de première instance.
(3) Un acquittement basé sur le pouvoir discrétionnaire de la cour d’appel n’a pas à être envisagé
[122] Madame Bouvette et la Couronne soutiennent toutes deux que Mme Bouvette devrait être acquittée sur une base discrétionnaire. Comme je l’ai dit précédemment, je suis très respectueusement d’avis de ne pas accepter l’invitation des parties d’approuver les larges cadres discrétionnaires en matière d’acquittement qu’elles proposent et de reporter à une autre occasion l’examen de la portée de tels acquittements.
[123] Le pourvoi formé par Mme Bouvette se distingue des cas d’acquittements discrétionnaires comme celui dont il était question dans l’affaire Truscott, dans laquelle un acquittement ne pouvait pas être prononcé pour l’un ou l’autre des deux motifs susmentionnés (voir les par. 253 et 265). Il faut insister sur le fait que, dans Truscott, contrairement à ce qu’il en est dans le pourvoi débattu devant notre Cour, la Couronne niait qu’un acquittement constituait une réparation appropriée, et elle refusait explicitement de s’engager à l’égard de l’une ou l’autre des options qui se seraient offertes à elle si un nouveau procès avait été ordonné (par. 253 et 257). La Couronne affirmait qu’un nouveau procès était requis, malgré le fait qu’elle reconnaissait que mener ce procès serait impossible (par. 254). La preuve matérielle présentée au procès avait été détruite et les témoins clés étaient décédés ou incapables (par. 254). La nature de la question de fond dans Truscott, contrairement à la présente affaire, avait trait à l’identité; M. Truscott soutenait ne pas être la personne qui avait tué Lynne Harper près de 50 ans auparavant (par. 260).
[124] Les circonstances dans Truscott, que la Cour d’appel de l’Ontario a qualifiées de [traduction] « hautement inhabituelles » (par. 787), ne sont pas celles de Mme Bouvette. Bien que M. Truscott et Mme Bouvette aient tous deux purgé leur peine, ce qui, comme je l’ai dit, ne justifie pas en soi un acquittement, ces affaires sont par ailleurs très différentes. Dans le cas de Mme Bouvette, la Couronne a réclamé un acquittement tant devant nous que devant la Cour d’appel, et elle affirme qu’elle aurait appelé l’affaire devant le tribunal et n’aurait présenté aucune preuve si un nouveau procès avait été ordonné. Madame Bouvette a subi une erreur judiciaire ayant donné lieu à une déclaration de culpabilité mal fondée qui a maintenant été annulée, et nul ne conteste que la Cour d’appel a commis une erreur en refusant un acquittement. Madame Bouvette a expressément reconnu cette distinction d’avec l’affaire Truscott à l’audience (transcription, p. 15). Il faut aussi dire que les circonstances dans Truscott qui rendaient un nouveau procès théoriquement impossible ne sont tout simplement pas présentes en l’espèce, et que la nature de l’erreur judiciaire justifiant l’annulation des déclarations de culpabilité dans chaque affaire est entièrement différente. Alors qu’il n’était pas possible dans Truscott, un nouveau procès serait possible en l’espèce, n’eût été la position de la Couronne. Tout compte fait, l’affaire de Mme Bouvette est très différente de l’affaire Truscott.
[125] Il ne s’agit donc pas d’un pourvoi où nous devons examiner l’opportunité du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Truscott ou toute autre solution de rechange à celui‑ci. Il y a lieu de reporter à une autre occasion l’examen des principes régissant la possibilité et l’opportunité de prononcer des acquittements discrétionnaires; ces principes ne sont pas pertinents pour la cause de Mme Bouvette parce qu’elle sera acquittée de toute façon. Vu la position de la Couronne selon laquelle, si un nouveau procès était ordonné, elle interpellerait Mme Bouvette et ne présenterait aucune preuve contre elle, le tribunal de première instance lors du nouveau procès n’aura pas d’autre choix que d’ordonner un acquittement dans les circonstances. Notre Cour doit rendre cette ordonnance maintenant dans l’intérêt de la justice.
[126] En l’espèce, et dans les instances similaires, une cour d’appel peut et devrait exercer le pouvoir que lui confère la loi de prononcer un acquittement immédiatement étant donné que le temps, les dépenses et les incertitudes associés à un procès hypothétique sur appel ne sont pas nécessaires.
[127] Je n’exprime donc aucune opinion sur la question de savoir si Mme Bouvette aurait droit à un acquittement sur une base discrétionnaire distincte.
VI. Dispositif
[128] Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler l’arrêt judiciaire des procédures et de prononcer un acquittement.
Version française des motifs des juges Karakatsanis, Martin, O’Bonsawin et Moreau rendus par
La juge Martin —
I. Aperçu
[129] Le présent pourvoi concerne le pouvoir discrétionnaire des cours d’appel de prononcer un acquittement lorsqu’elles sont saisies de l’appel d’une déclaration de culpabilité dans le cadre duquel l’appelant a démontré qu’une erreur judiciaire a été commise. Ce pourvoi nous invite à préciser dans quels cas une cour d’appel peut inscrire un acquittement si le dossier révèle qu’un jury, agissant de manière judiciaire, pourrait raisonnablement rendre un verdict de culpabilité, mais que l’intérêt de la justice peut justifier un acquittement.
[130] De 2011 à 2013, Mme Bouvette a été poursuivie relativement au décès d’une enfant de 19 mois dont elle avait la garde. Faisant face à une accusation de meurtre au second degré et n’étant pas au courant d’éléments de preuve cruciaux qui remettaient en question la fiabilité du témoignage d’expert qui lui était défavorable, Mme Bouvette a accepté de plaider coupable à l’accusation de négligence criminelle ayant causé la mort. Elle a purgé une peine d’emprisonnement de 12 mois.
[131] Des années plus tard, des informations ont fait surface, révélant que la Couronne avait omis de communiquer des éléments de preuve importants qu’elle avait en sa possession avant que Mme Bouvette ne plaide coupable. Une grande partie de ces renseignements concernait la fiabilité du rapport du médecin légiste sur lequel reposaient l’accusation initiale et le plaidoyer. Une procureure spéciale a été nommée pour enquêter en profondeur sur les circonstances de la déclaration de culpabilité de Mme Bouvette. À la suite de cette enquête, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a été appelée à se prononcer sur le bien‑fondé et la solidité de la déclaration de culpabilité de Mme Bouvette. La Couronne a fait d’importantes concessions devant la Cour d’appel à la lumière de l’examen mené par la procureure spéciale : elle a admis que le manquement à ses obligations de communication avait entraîné une erreur judiciaire, que, compte tenu de la preuve, aucun jury raisonnable, dûment instruit, ne pourrait déclarer Mme Bouvette coupable lors d’un hypothétique nouveau procès et, enfin, que Mme Bouvette méritait un acquittement.
[132] La Cour d’appel a conclu que, en raison du défaut de la Couronne de communiquer à la défense cette preuve qui revêtait [traduction] « une importance considérable » (2023 BCCA 152, 424 C.C.C. (3d) 513, par. 99) et de l’effet que cette omission avait pu avoir sur la décision de Mme Bouvette de plaider coupable, la déclaration de culpabilité de cette dernière était le résultat d’une erreur judiciaire et devait être annulée. La cour a toutefois rejeté la concession de la Couronne selon laquelle il était justifié de prononcer un acquittement et elle a plutôt inscrit l’arrêt des procédures.
[133] Madame Bouvette se pourvoit devant notre Cour afin d’obtenir un verdict d’acquittement ainsi que des éclaircissements sur les situations dans lesquelles une cour d’appel peut inscrire un acquittement lorsqu’une déclaration de culpabilité est annulée par la suite d’une erreur judiciaire. La Couronne a admis que le temps était venu d’examiner cette question, qui est d’importance pour le public.
[134] Je suis d’accord avec mon collègue pour dire que l’acquittement est la réparation appropriée : l’al. 686(2)a) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 (« Code ») permet au tribunal de prononcer un acquittement pour remédier à une erreur judiciaire. En outre, un acquittement peut être justifié pour des motifs autres que le fait qu’une déclaration de culpabilité serait déraisonnable. Je fais également miens les motifs qu’expose mon collègue pour rejeter l’argument avancé par le procureur général de l’Ontario (« PGO ») selon lequel, face à une erreur judiciaire, les cours d’appel devraient seulement ordonner la tenue d’un nouveau procès et laisser le soin aux procureurs de la Couronne de réclamer d’autres mesures de réparation.
[135] Je tiens toutefois à rédiger des motifs distincts pour aborder certains points litigieux soulevés dans la présente affaire et pour traiter des dispositions et des principes qui fondent et encadrent l’exercice par les cours d’appel de leur pouvoir discrétionnaire, conféré par la loi, de prononcer un acquittement en cas d’erreur judiciaire avérée. Comme l’indiquent mes motifs, l’acquittement qui est justifié en l’espèce repose sur un fondement juridique différent de celui retenu par mon collègue.
[136] Les deux parties et tous les intervenants — le PGO, Innocence Canada, l’Association canadienne des libertés civiles et l’Independent Criminal Defence Advocacy Society — implorent la Cour d’apporter clarté et cohérence à ce domaine du droit négligé, mais pourtant fondamentalement important. Ils réclament un cadre d’analyse clair que les cours d’appel pourront appliquer lorsqu’elles seront appelées à déterminer la réparation appropriée en cas d’erreur judiciaire. Ils ont présenté, dans leurs observations orales et écrites, des arguments sur les considérations qui devraient guider l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire et en ont fait valoir les mérites et les inconvénients respectifs.
[137] De nombreuses raisons justifient que notre Cour fournisse les orientations que l’ensemble des parties et des intervenants réclament en l’espèce. En effet, elle a « le devoir [. . .] de formuler à l’intention des tribunaux inférieurs des indications et des énoncés du droit clairs et faisant autorité » (R. c. T.W.W., 2024 CSC 19, par. 79). La Cour suprême du Canada doit, de par sa conception et son fonctionnement, servir [traduction] « l’intérêt de la société en fournissant une solution péremptoire aux questions de droit qui intéressent l’ensemble de la nation » (voir P. H. Russell, « The Jurisdiction of the Supreme Court of Canada : Present Policies and a Programme for Reform » (1968), 6 Osgoode Hall L.J. 1, p. 28‑29). À défaut d’éclaircissements de la part de notre Cour, les cours d’appel intermédiaires et les justiciables risquent [traduction] « d’être plongés dans l’incertitude » (P. Daly, « Introduction », dans P. Daly, dir., Apex Courts and the Common Law (2019), 3, p. 14).
[138] La principale question dont notre Cour est saisie est celle de savoir si la Cour d’appel a commis une erreur en ordonnant l’arrêt des procédures contre Mme Bouvette, plutôt que d’inscrire un acquittement, ce qui nous oblige forcément à nous demander dans quels cas une cour d’appel devrait prononcer un acquittement pour cause d’erreur judiciaire. La dernière fois que notre Cour s’est penchée sur cette question, c’était il y a 28 ans dans l’affaire R. c. Hinse, [1997] 1 R.C.S. 3 (« Hinse 1997 »), dans laquelle, même si elle avait inscrit un acquittement en raison d’une erreur judiciaire, elle n’avait rendu qu’un bref jugement, sans proposer de démarche faisant autorité sur l’application du par. 686(2).
[139] La jurisprudence subséquente a été marquée par la confusion et l’incohérence, et les différentes cours d’appel ont appliqué des critères juridiques variés. En l’occurrence, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a adopté une approche différente de celle qu’avait suivie la Cour d’appel de l’Ontario en 2007 pour acquitter Steven Truscott, pour cause d’erreur judiciaire, du meurtre de Lynne Harper commis en 1959 (Reference re : Truscott, 2007 ONCA 575, 225 C.C.C. (3d) 321). Cet acquittement reposait sur un grand nombre de facteurs et de conclusions, dont l’évaluation de nouveaux éléments de preuve, le fond de l’affaire et le tort considérable subi par M. Truscott, notamment la forte stigmatisation liée à sa déclaration de culpabilité pour meurtre. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique s’est demandé si l’arrêt Truscott avait établi une norme juridique générale applicable à tous les acquittements, ou si elle n’avait fait qu’expliquer pourquoi l’acquittement était dans l’intérêt public dans le cas de M. Truscott compte tenu des circonstances particulières de cette affaire.
[140] Le fait que la Couronne propose un cadre d’analyse, auquel souscrit la défense, n’empêche pas la Cour de fournir les orientations qui s’imposent. Les tribunaux encouragent systématiquement les parties à s’entendre dans la mesure du possible et à limiter leur différend aux seules questions qui les divisent véritablement, les incitant même à trouver un terrain d’entente sur les principes juridiques applicables. Le cadre que propose la Couronne est fondé sur une analyse des principales caractéristiques et des facteurs clés retenus dans la jurisprudence. Il s’appuie aussi sur les conclusions, l’analyse et la sagesse de divers juristes chevronnés chargés de présider des enquêtes et des commissions d’enquête portant sur divers cas d’erreurs judiciaires et de déclarations de culpabilité injustifiées.
[141] À mon avis, le contexte du présent pourvoi permet à la Cour de tirer des conclusions valables. Les parties ne s’entendent pas sur toutes les questions en litige et l’appel a suscité l’intérêt de procureurs généraux et d’autres intervenants qui ont fait valoir divers points de vue. Il est crucial de rappeler qu’il ne cesse jamais d’incomber à la Cour de s’acquitter de son rôle de garantir qu’il est adéquatement satisfait aux intérêts de la justice. Dans les circonstances de la présente cause, pour ce faire, elle doit trancher une question non résolue, mais d’une importance cruciale dans ce domaine du droit. La Couronne et la défense jouent des rôles institutionnels opposés : elles protègent des intérêts différents, servent des parties différentes et ont chacune des obligations juridiques et éthiques bien définies découlant de leurs rôles distincts (voir, de façon générale, Boucher c. The Queen, [1955] R.C.S. 16; voir aussi R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43, [2016] 2 R.C.S. 204, par. 44). La reconnaissance de ces impératifs divergents est l’une des raisons pour lesquelles les tribunaux traitent habituellement avec le plus grand intérêt et le plus grand respect les recommandations conjointes soumises par ces parties adverses. Les tribunaux sont généralement d’accord avec l’idée selon laquelle, lorsque des parties qui, par définition, sont des adversaires se mettent d’accord, leur recommandation conjointe a probablement fait l’objet d’un examen approfondi et d’une évaluation rigoureuse en fonction de leurs propres normes fondamentales distinctes. Cela dit, bien entendu, même lorsque la Couronne et la défense s’entendent pour parler d’une seule voix, que ce soit au sujet de la mise en liberté sous caution, d’un plaidoyer, de la détermination de la peine ou d’un cadre juridique, les tribunaux ne sont pas liés par ces recommandations conjointes et exercent leur propre jugement sur les questions dont ils sont saisis (voir, p. ex., Anthony‑Cook; R. c. Antic, 2017 CSC 27, [2017] 1 R.C.S. 509, par. 68; R. c. Zora, 2020 CSC 14, [2020] 2 R.C.S. 3, par. 105; R. c. Pickton, 2010 CSC 32, [2010] 2 R.C.S. 198, par. 27; R. c. Akram, 2025 ONCA 158, 445 C.C.C. (3d) 270, par. 58).
[142] La jurisprudence peu abondante de notre Cour sur la question précise dont elle est saisie — en l’occurrence celle de savoir dans quels cas une cour d’appel peut prononcer un acquittement pour cause d’erreur judiciaire —, le fait qu’il est généralement admis que la jurisprudence est flottante sur ces questions et la pertinence des arguments que les parties et les intervenants ont fait valoir fournissent à notre Cour amplement d’éléments pour l’examiner. Il existe toutefois une autre raison impérieuse pour laquelle notre Cour devrait fournir des orientations dès maintenant sans attendre une affaire qui ne se présentera peut-être jamais ou sans attendre encore 28 ans. Les dispositions du Code qui accordent aux personnes reconnues coupables un vaste droit d’appel leur permettant de faire remédier à une erreur judiciaire par une cour d’appel offrent aux accusés une protection essentielle contre les déclarations de culpabilité douteuses et injustifiées.
[143] Chaque fois qu’une erreur judiciaire survient, elle mérite toute l’attention du système de justice et de notre Cour. Tout manque de clarté quant aux cas dans lesquels il convient d’inscrire un acquittement à titre de réparation par suite d’une erreur judiciaire risque de nuire à la capacité des tribunaux d’exercer ce pouvoir discrétionnaire de manière raisonnée et cohérente, et de compromettre leur capacité de respecter leur obligation d’agir en tant que « gardien[s] du système judiciaire » (États-Unis c. Burns, 2001 CSC 7, [2001] 1 R.C.S. 283, par. 71, citant le Renvoi relatif à la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, p. 503). Non seulement cette situation se produirait‑elle dans un bon nombre des innombrables types d’erreurs judiciaires qui sont commises, mais elle revêt une urgence particulière compte tenu du lien bien connu qui existe entre les erreurs judiciaires et les déclarations de culpabilité injustifiées (R. c. C.P., 2021 CSC 19, [2021] 1 R.C.S. 679, par. 61, la juge Abella). Au fil des ans, on a beaucoup appris sur les causes et les coûts des déclarations de culpabilité injustifiées. Les cours d’appel ont non seulement le pouvoir incontestable d’inscrire un acquittement dans de tels cas, mais il s’agit peut-être de la seule mesure réparatrice qui réponde pleinement, définitivement et équitablement aux injustices inhérentes à une déclaration de culpabilité injustifiée et causées par elle.
[144] Comme je l’expliquerai, pour les cas [traduction] « hors norme » (Truscott, par. 259), la jurisprudence favorise l’application d’un cadre qui demande directement si un acquittement est dans l’intérêt de la justice pour ce nombre réduit de causes qui présentent les caractéristiques des déclarations de culpabilités injustifiées. Ce faisant, les cours d’appel doivent prendre en compte la nature de l’erreur, la solidité de la preuve restante — y compris la probabilité de la tenue du procès — et le caractère équitable global de la cause. Il faut accorder le plus de poids à l’appréciation par la cour de la solidité de la preuve restante. La conclusion du tribunal qu’un acquittement est plus probable qu’improbable est donc généralement une condition préalable à ce qu’il inscrive un verdict d’acquittement. En outre, bien que le caractère équitable ne saurait être le seul fondement d’un acquittement, il peut éclairer la mise en balance ultime effectuée par la cour pour juger de l’opportunité de prononcer un tel verdict.
II. Contexte et questions en litige
[145] Le présent pourvoi concerne uniquement la question de la réparation; Mme Bouvette n’interjette pas appel de la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle il y a eu une erreur judiciaire qui justifiait l’annulation de son plaidoyer de culpabilité et de sa déclaration de culpabilité. Ainsi, lorsque Mme Bouvette a comparu devant notre Cour pour faire valoir que l’acquittement est la mesure appropriée pour mettre un terme définitif à cette erreur judiciaire, la présomption de son innocence avait été rétablie et l’accusation qui pesait contre elle demeurait. Bien que l’existence d’une erreur judiciaire ne soit pas une question en litige devant notre Cour, sa nature et les circonstances dans lesquelles elle a été commise sont très importantes pour pouvoir trancher la question de la réparation.
[146] En l’espèce, l’erreur judiciaire résulte directement du fait que la Couronne a omis de communiquer à la défense des renseignements très importants, contrairement à l’obligation qui lui incombait en vertu de l’arrêt R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, et en violation des droits constitutionnels de Mme Bouvette. L’accusation portée contre Mme Bouvette pour le meurtre au second degré de l’enfant et son plaidoyer de culpabilité pour négligence criminelle ayant causé la mort étaient tous deux fondés en grande partie sur les avis formulés par le Dr Evan Matshes, le médecin légiste qui a procédé à l’autopsie de l’enfant. Dans son rapport écrit, complété par ses observations verbales à la police et son témoignage lors de l’enquête préliminaire, le Dr Matshes a estimé que, même si la cause du décès de l’enfant était la noyade, celle-ci présentait d’autres blessures qui suggéraient qu’il [traduction] « s’agi[ssait] d’une enfant qui a[vait] été blessée par une autre personne au cours des derniers jours », que les blessures qu’elle avait subies ne pouvaient pas être attribuées à « une explication anodine », que les ecchymoses en question présentaient « les caractéristiques typiques que l’on retrouve chez des enfants maltraités », ce qui « rend[ait] toute la version des faits avancée douteuse » (motifs de la C.A., par. 34‑39 et 43).
[147] En mai 2013, confrontée à ce témoignage d’expert et sur les conseils de son avocat, Mme Bouvette a accepté de plaider coupable à l’infraction moindre. Âgée de 27 ans à la date de l’infraction reprochée, Mme Bouvette est autochtone et mère de quatre enfants. Elle a reçu un diagnostic de fonctionnement intellectuel limite et de trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité. De plus, elle était inscrite à des cours d’éducation spécialisée lorsqu’elle fréquentait l’école.
[148] Avant d’accepter le plaidoyer de culpabilité de Mme Bouvette, le service des poursuites de la Colombie‑Britannique, qui agissait pour le poursuivant, avait reçu en mai, août et décembre 2012, de multiples communications du ministère de la Justice de l’Alberta, son vis‑à‑vis dans cette province. Celles‑ci l’informaient que l’Alberta avait ouvert une enquête officielle pour examiner et évaluer la fiabilité des avis d’expert donnés par le Dr Matshes dans diverses affaires dans différentes provinces, et notamment dans le dossier de l’enfant. La Couronne avait reçu une grande quantité de renseignements, y compris certaines déclarations qui étaient favorables au Dr Matshes, mais également les renseignements suivants, qui présentaient un intérêt significatif pour la défense et qui n’ont été communiqués ni à Mme Bouvette ni à son avocat :
(i) En mai 2012, le ministère de la Justice de l’Alberta avait avisé le détachement de la GRC de Cranbrook que le travail du Dr Matshes, y compris celui dans le dossier de l’enfant en cause dans la présente espèce, faisait l’objet d’un examen, et que le médecin légiste en chef de l’Alberta, la Dre Anny Sauvageau, avait exprimé des réserves au sujet du travail du Dr Matshes.
(ii) Le 29 août 2012, soit le lendemain du début de l’enquête préliminaire, le ministère de la Justice de l’Alberta avait avisé la procureure de la Couronne que le caractère raisonnable des conclusions du Dr Matshes dans le dossier de l’enfant en cause dans la présente espèce était remis en question et faisait l’objet d’un examen. L’auteur de cette communication indiquait que celle‑ci était transmise à la procureure de la Couronne de Cranbrook [traduction] « pour qu’elle puisse donner suite à sa cause comme il se doit et communiquer la preuve à la défense » (motifs de la C.A., par. 57; d.a., vol. VI, p. 27‑28).
(iii) Le 13 décembre 2012, la procureure de la Couronne avait reçu du ministère de la Justice de l’Alberta une liasse de 140 pages de documents concernant les résultats de l’examen auquel avait procédé un comité externe d’examen par des pairs au sujet des conclusions tirées par le Dr Matshes dans de nombreux dossiers, dont celui relatif au décès de l’enfant en cause en l’espèce. Le comité, composé de trois médecins légistes, avait conclu que les opinions exprimées par le Dr Matshes à la police et à la procureure de la Couronne [traduction] « n’étaient pas raisonnables », et que ses conclusions quant à la cause et aux circonstances du décès étaient également déraisonnables (motifs de la C.A., par. 62 et 64; d.a., vol. II, p. 15; d.a., vol. VI, onglet 13).
[149] De plus, avant le plaidoyer de culpabilité de Mme Bouvette, la Couronne avait estimé que, sur les quatre déclarations faites par Mme Bouvette à la police, la quatrième n’était pas volontaire et ne pouvait pas être légalement utilisée en preuve contre elle. Or, la Couronne n’avait fait part de cette décision ni à Mme Bouvette ni à son avocat avant d’accepter son plaidoyer de culpabilité.
[150] Le tribunal de première instance a accepté le plaidoyer de culpabilité de Mme Bouvette, qui a été inscrit en son nom par son avocat. Il n’y a eu aucune enquête sur la compréhension du plaidoyer comme l’exige le par. 606(1.1) du Code. Le tribunal a reconnu Mme Bouvette coupable de négligence criminelle ayant causé la mort et l’a condamnée à une peine d’emprisonnement de 12 mois avec probation. Elle a purgé cette peine et a subi d’autres préjudices importants. Au moment du décès de l’enfant, elle avait la garde de ses quatre enfants et elle ne consommait pas de drogue et ne buvait pas d’alcool. Après son arrestation initiale, elle a commencé à consommer du crack et a perdu la garde de ses enfants. Depuis sa déclaration de culpabilité, sa vie a été marquée par la toxicomanie, l’itinérance, la pauvreté et une mauvaise santé mentale et physique.
[151] À la fin de 2019, l’avocat de Mme Bouvette a été mis au courant des réserves exprimées au sujet du travail du Dr Matshes. L’émission de télévision The Fifth Estate a diffusé un reportage sur ce dernier. En janvier 2020, le service des poursuites de la Colombie‑Britannique a annoncé la nomination d’une procureure spéciale. Celle‑ci a procédé à un examen indépendant pour déterminer si une erreur judiciaire avait été commise et elle a pris des mesures correctives lorsque l’ensemble des circonstances entourant le plaidoyer de culpabilité et la déclaration de culpabilité de Mme Bouvette a été mis au jour. En mars 2021, Mme Bouvette a déposé un avis d’appel et a demandé la prorogation du délai qui lui était imparti pour interjeter appel de sa déclaration de culpabilité. La Cour d’appel a accordé la prorogation avec le consentement de la Couronne.
[152] Devant la Cour d’appel, la Couronne a fait trois concessions cruciales. Tout d’abord, elle a reconnu avoir manqué à ses obligations de communication et que ce manquement avait causé un préjudice grave à Mme Bouvette; elle a ensuite admis que, en raison de ce préjudice, le plaidoyer de culpabilité de l’appelante avait été le fruit d’une erreur judiciaire et pouvait être retiré et que sa déclaration de culpabilité pouvait être annulée. Ensuite, la Couronne a demandé à la Cour d’appel d’acquitter Mme Bouvette des accusations qui étaient encore pendantes contre elle, étant entendu que l’annulation de son plaidoyer de culpabilité ou de sa déclaration de culpabilité ne faisait pas disparaître les accusations en question. Enfin, la Couronne a reconnu et plaidé qu’au vu du dossier de première instance auquel s’ajoutaient les nouveaux éléments de preuve, aucun jury raisonnable, dûment instruit, ne pourrait rendre un verdict de culpabilité contre l’appelante dans le cadre d’un nouveau procès. À titre subsidiaire, la Couronne a réclamé un acquittement au motif que, lors d’un hypothétique nouveau procès, il était plus probable qu’improbable que l’appelante serait acquittée, en application de l’arrêt Truscott.
[153] Reconnaissant qu’une erreur judiciaire avait été commise, la Cour d’appel a permis à Mme Bouvette de retirer son plaidoyer de culpabilité et a annulé sa déclaration de culpabilité pour négligence criminelle ayant causé la mort. Elle a déclaré : [traduction] « Il n’est pas difficile de concevoir pourquoi, sans disposer de renseignements cruciaux susceptibles de l’aider, cette appelante marginalisée, dépassée par les événements et présentant une déficience intellectuelle, inscrirait un plaidoyer de culpabilité à l’égard d’une infraction moindre » (par. 110).
[154] La Cour d’appel n’a toutefois pas retenu la proposition de la Couronne de prononcer l’acquittement et a plutôt exercé le pouvoir discrétionnaire accessoire que lui confère le par. 686(8) pour ordonner l’arrêt des procédures. La Cour d’appel a rejeté la recommandation conjointe des parties et a tiré sa propre conclusion quant à savoir si le dossier résiduel admettait néanmoins l’existence d’une possibilité raisonnable qu’un verdict de culpabilité soit rendu. Tout en sachant que la Couronne avait affirmé qu’elle ne présenterait pas les avis du Dr Matshes dans le cadre d’un hypothétique nouveau procès et ne s’appuierait pas sur eux, la Cour d’appel a estimé qu’un jury raisonnable, dûment instruit, pourrait quand même déclarer Mme Bouvette coupable de négligence criminelle, en se fondant principalement sur la conclusion qu’en laissant une enfant de 19 mois blessée sans surveillance dans une baignoire pendant une minute, elle avait eu une conduite qui constituait [traduction] « un écart marqué et important par rapport à [celle] qu’aurait eue une personne raisonnable dans [s]a même situation » (par. 133).
[155] La cour s’est ensuite demandé si elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire de réparation et prononcer un acquittement pour cause d’erreur judiciaire en vertu de l’al. 686(2)a). Elle a établi une distinction entre la présente espèce et l’affaire Truscott et conclu qu’un acquittement n’était possible que dans des [traduction] « circonstances exceptionnelles », dont nécessairement celle de ne pas pouvoir tenir un nouveau procès (par. 115).
[156] Devant notre Cour, l’appelante avance deux principaux arguments. Elle soutient tout d’abord que la Cour d’appel a commis une erreur en concluant qu’un jury dûment instruit pourrait rendre un verdict de culpabilité même si la Couronne avait admis que, une fois le rapport du pathologiste expurgé, la preuve qui demeurait au dossier ne pouvait justifier une déclaration de culpabilité dans le cadre d’un hypothétique nouveau procès. Elle affirme ensuite que la Cour d’appel a commis une erreur en interprétant de façon restrictive la compétence que confère l’al. 686(2)a) aux cours d’appel, et qui leur reconnaît le vaste pouvoir discrétionnaire de prononcer un acquittement si l’intérêt de la justice l’exige. L’appelante soutient qu’elle aurait dû être acquittée, car elle a purgé sa peine depuis longtemps et a subi un tort considérable en raison d’une erreur judiciaire.
[157] Bien qu’elle ait adopté une position différente devant la Cour d’appel, la Couronne soutient maintenant qu’un jury raisonnable pourrait rendre un verdict de culpabilité au vu de la preuve, mais qu’un acquittement devrait être inscrit en raison de l’existence de circonstances exceptionnelles. En adoptant cette nouvelle position, la Couronne fait ressortir avec encore plus d’acuité la principale question qui nous est soumise, soit celle du critère qui doit s’appliquer aux acquittements pour cause d’erreur judiciaire dans les cas où un jury raisonnable pourrait rendre un verdict de culpabilité lors d’un hypothétique nouveau procès.
III. Analyse
[158] Je passerai d’abord en revue le cadre législatif. J’examinerai ensuite les deux autres motifs invoqués par l’appelante pour affirmer qu’un acquittement est justifié en application du sous‑al. 686(1)a)(iii) afin de remédier à l’erreur judiciaire dont l’existence a été démontrée. Comme je l’expliquerai, la Cour d’appel a eu raison de conclure qu’un jury raisonnable pouvait rendre un verdict de culpabilité au vu de la preuve, mais elle a commis une erreur en ne prononçant pas un acquittement compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce.
A. Le régime législatif confère aux cours d’appel un large pouvoir leur permettant de prononcer un acquittement pour cause d’erreur judiciaire en vertu du par. 686(2) dans une multitude de scénarios
[159] Il convient de rappeler que, avant toute chose, après avoir annulé la déclaration de culpabilité pour quelque motif que ce soit, le tribunal dispose d’un large pouvoir discrétionnaire, fondé sur le libellé explicite du par. 686(2), pour inscrire un acquittement ou ordonner la tenue d’un nouveau procès. En dernier recours, le tribunal peut prononcer l’arrêt des procédures à titre d’ordonnance accessoire en vertu du par. 686(8). L’article 686 du Code est ainsi libellé :
686 (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict d’inaptitude à subir son procès ou de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la cour d’appel :
a) peut admettre l’appel, si elle est d’avis, selon le cas :
(i) que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve,
(ii) que le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit,
(iii) que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire;
. . .
(2) Lorsqu’une cour d’appel admet un appel en vertu de l’alinéa (1)a), elle annule la condamnation et, selon le cas :
a) ordonne l’inscription d’un jugement ou verdict d’acquittement;
b) ordonne un nouveau procès.
. . .
(8) Lorsqu’une cour d’appel exerce des pouvoirs conférés par le paragraphe (2), (4), (6) ou (7), elle peut en outre rendre toute ordonnance que la justice exige.
[160] Les dispositions pertinentes du Code démontrent clairement que ce sont les cours d’appel qui se sont vues conférer une vaste compétence en matière de contrôle des verdicts. Les divers pouvoirs décrits dans cette partie du Code sont explicitement conférés aux cours d’appel, dont le rôle est incontestablement un rôle de surveillance, qui fait également partie intégrante de leur raison d’être et qui s’inscrit tout à fait dans leur champ d’action traditionnel. Le Code exprime un élément essentiel du principe de la primauté du droit, à savoir que les tribunaux, y compris ceux qui sont créés par la loi, sont les gardiens ultimes de la Constitution. Ainsi, en vertu du Code, les cours d’appel agissent comme arbitres ultimes pour déterminer quelles ordonnances réparatrices sont justifiées et dans quelles circonstances elles doivent être rendues. Je reconnais que les concessions faites par la Couronne devraient être un facteur important dans l’analyse de la cour. Cela dit, compte tenu du rôle de surveillance ultime de la cour, je ne peux souscrire à l’idée qu’un acquittement « doit » être inscrit parce que la Couronne l’a réclamé et qu’elle a révélé qu’elle ne présenterait aucune preuve dans le cadre d’un nouveau procès (motifs des juges majoritaires, par. 79).
(1) Le Code accorde aux accusés un vaste accès au contrôle en appel de leur déclaration de culpabilité
[161] Les pouvoirs en matière de réparation prévus au par. 686(2) doivent être interprétés en fonction du par. 675(1) du Code, qui accorde aux personnes déclarées coupables d’un acte criminel un vaste accès au contrôle en appel pour [traduction] « pratiquement n’importe quel motif » (R. c. Bernardo (1997), 121 C.C.C. (3d) 123 (C.A. Ont.), par. 17). Comme le juge Doherty l’a noté dans l’arrêt Bernardo, lorsque les art. 675 et 686 sont considérés conjointement, il appert clairement que le législateur envisageait de reconnaître aux personnes déclarées coupables d’un acte criminel [traduction] « la faculté pratiquement illimitée de faire contrôler par une cour d’appel de premier niveau la décision de première instance » prononcée contre elles (par. 18, citant R. c. Morrissey (1995), 22 O.R. (3d) 514 (C.A.), p. 538-540).
[162] Une personne déclarée coupable d’une infraction au terme de procédures par mise en accusation peut interjeter appel de sa déclaration de culpabilité sans autorisation sur les questions de droit et, avec autorisation, sur les questions de fait, les questions mixtes de droit et de fait, ou pour tout autre « motif d’appel [. . .] jugé suffisant » (sous‑al. 675(1)a)(iii)). Il s’agit, dans ce dernier cas, d’une [traduction] « compétence résiduelle permettant de remédier aux erreurs judiciaires qui ne soulèvent pas strictement des questions de droit ou de fait » (J. Sopinka, M. A. Gelowitz et W. D. Rankin, Sopinka, Gelowitz and Rankin on the Conduct of an Appeal (5e éd. 2022), ⁋3.42‑3.43).
[163] De même, la justification commune à ces trois moyens d’appel prévus à l’al. 686(1)a) (c.‑à‑d., le verdict déraisonnable, l’erreur de droit ou l’erreur judiciaire) est la volonté de se prémunir contre les déclarations de culpabilité qui sont le résultat d’une erreur judiciaire, le sous‑al. 686(1)a)(iii) servant de clause résiduelle (R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3, par. 76, la juge Charron, citant Morrissey, p. 539‑540; Sopinka, Gelowitz et Rankin, ⁋4.26; T. Desjardins, L’appel en droit criminel et pénal (2e éd. 2012), par. 419).
[164] Le seul motif en litige devant la Cour d’appel était celui prévu au sous‑al. 686(1)a)(iii). En tant que clause résiduelle, cette disposition permet aux tribunaux de remédier à toute erreur judiciaire, mais ceux-ci les ont généralement regroupées en deux catégories : l’irrégularité rend le procès inéquitable soit en fait soit en créant une apparence d’iniquité telle que l’intégrité de l’administration de la justice est compromise (voir R. c. Davey, 2012 CSC 75, [2012] 3 R.C.S. 828, par. 51, citant R. c. Wolkins, 2005 NSCA 2, 229 N.S.R. (2d) 222, par. 89; R. c. Kahsai, 2023 CSC 20, par. 67‑69; R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823, par. 69, le juge LeBel; Fanjoy c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 233, p. 240; Sopinka, Gelowitz et Rankin, ⁋4.34‑4.35; S. Coughlan et A. Gorlewski, The Anatomy of Criminal Procedure : A Visual Guide to the Law (2019), p. 331; S. Penney, V. Rondinelli et J. Stribopoulos, Criminal Procedure in Canada (3e éd. 2022), ¶18.14). Je reviendrai sur le champ d’application de ce motif plus loin dans les présents motifs.
(2) Le paragraphe 686(2) confère expressément aux tribunaux un vaste pouvoir discrétionnaire de réparation
a) Le paragraphe 686(2) confère au tribunal le pouvoir discrétionnaire de prononcer l’acquittement ou d’ordonner un nouveau procès
[165] C’est le pouvoir de réparation prévu au par. 686(2) qui est au cœur du présent pourvoi. Un examen du texte, du contexte et de l’objet de cette disposition démontre que le législateur ne s’est pas contenté de donner ouverture à un acquittement en cas d’erreur judiciaire : les modalités d’application et le libellé de l’art. 686, ainsi que les termes exprès et précis du par. 686(2), confèrent aux cours d’appel le pouvoir souverain d’inscrire un acquittement (al. 686(2)a)) ou d’ordonner un nouveau procès (al. 686(2)b)) chaque fois que l’un des trois motifs permettant d’accueillir l’appel prévus à l’al. 686(1)a) est établi. Cette disposition ne fait pas de l’ordonnance d’un nouveau procès la réparation présumée, et elle n’oblige pas non plus le tribunal à examiner l’une ou l’autre des mesures de réparation dans un ordre particulier.
[166] Selon la disposition liminaire du par. 686(2), la cour d’appel « annule » (« shall quash » dans la version anglaise) la déclaration de culpabilité qui présente une des lacunes énumérées à l’al. 686(1)a), étant donné qu’un verdict foncièrement vicié ne peut être maintenu. L’accusé dont la déclaration de culpabilité est annulée bénéficie à nouveau de la présomption d’innocence (R. c. R.V., 2021 CSC 10, [2021] 1 R.C.S. 131, par. 76).
[167] Une fois que cette disposition impérative a été respectée, l’accusation tient toujours et le choix entre les mesures de réparation prévues au par. 686(2) relève entièrement du pouvoir discrétionnaire de la cour d’appel (R. c. Haslam (1990), 56 C.C.C. (3d) 491 (C.A. C.‑B.), p. 502; R. c. Levy (1991), 62 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.); Sopinka, Gelowitz et Rankin, ⁋4.44). La loi ne limite pas le pouvoir du tribunal d’ordonner soit l’acquittement soit un nouveau procès à des situations précises et ne l’oblige pas à exercer ce pouvoir dans des cas précis. L’inclusion, par le législateur, du par. 686(8), qui confère à la cour d’appel le pouvoir discrétionnaire de rendre toute ordonnance accessoire « que la justice exige », confirme par ailleurs que le par. 686(2) confère un pouvoir de réparation large et souple (R. c. Provo, [1989] 2 R.C.S. 3, p. 19‑20; R. c. Thomas, [1998] 3 R.C.S. 535, par. 19; R.V., par. 74). Des tribunaux ont inscrit l’arrêt judiciaire des procédures en vertu du par. 686(8), comme la Cour d’appel l’a fait en l’espèce.
[168] Les tribunaux ont élaboré des principes et des règles qui encadrent l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire et qui leur permettent de déterminer dans quels cas il convient de prononcer l’acquittement ou d’ordonner la tenue d’un nouveau procès après avoir décidé d’accueillir l’appel de la déclaration de culpabilité. Le fondement légal sur lequel repose l’annulation d’une déclaration de culpabilité peut avoir une incidence sur l’exercice par la cour de son pouvoir discrétionnaire quant à ce qui constitue « la voie appropriée à suivre » (motifs des juges majoritaires, par. 54). Lorsque l’appelant établit qu’un verdict est déraisonnable au sens voulu pour l’application du sous‑al. 686(1)a)(i), il est aussi possible d’y remédier en annulant la déclaration de culpabilité, mais la nature du verdict déraisonnable influencera la question de savoir si un nouveau procès ou un acquittement est généralement la mesure corrective appropriée (Sinclair, par. 23; R. c. Lights, 2020 ONCA 128, 149 O.R. (3d) 273, par. 34). En ce sens, le fondement de l’annulation de la déclaration de culpabilité éclaire également l’analyse de la mesure corrective appropriée. La nature et l’étendue de l’erreur de droit visée au sous‑al. 686(1)a)(ii) peuvent aussi contribuer à la portée de l’ordonnance visant la tenue d’un nouveau procès (voir, p. ex., R. c. Pearson, [1998] 3 R.C.S. 620; Thomas, par. 58; R. c. Hartman, 2015 ONCA 498, 326 C.C.C. (3d) 263, par. 47‑57). Le type d’erreur judiciaire visé au sous‑al. 686(1)a)(iii) peut avoir une incidence sur l’analyse qu’effectue la cour de la réparation au‑delà de l’annulation d’une déclaration de culpabilité (voir, p. ex., R. c. Abukar, 2007 ABCA 286, une décision dans laquelle la cour a rejeté l’argument de la Couronne selon lequel il n’était pas nécessaire de tenir un nouveau procès sur certains chefs qui n’auraient pas été minés par une crainte raisonnable de partialité). Je signale également que la nature de l’erreur judiciaire à l’origine de l’épreuve de M. Truscott a été expressément utilisée par la cour dans son analyse pour juger de la réparation appropriée (Truscott, par. 260). Comme cela a toujours été le cas, pour en arriver à une issue qui soit juste, la cour peut avoir besoin de tenir compte de la nature du fondement sur lequel l’appel a été accueilli pour concevoir une ordonnance qui répare suffisamment le préjudice subi par l’appelant.
[169] Je souligne également que, sur le plan conceptuel, on ne trouve à l’art. 686 aucun fondement législatif à l’obligation pour le tribunal de prononcer un acquittement dans des circonstances spécifiques. Comme pour tout octroi de pouvoir discrétionnaire, les principes applicables peuvent orienter le tribunal vers une conclusion plutôt qu’une autre (voir R. c. Harvey (2001), 57 O.R. (3d) 296 (C.A.), par. 30; Truscott, par. 247). Qui plus est, dans la mesure où l’acquittement est plus fréquent en cas de verdict déraisonnable que d’erreur judiciaire, une telle ordonnance résulte toujours de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal sans toutefois lui être prescrite par la loi (voir les motifs des juges majoritaires, par. 7).
[170] Même lorsque l’appelant a démontré que le verdict est déraisonnable, le tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire de rejeter l’appel en vertu du sous‑al. 686(1)b)(i) et de lui substituer, en vertu du par. 686(3), un verdict de culpabilité pour une infraction moindre et incluse (voir, p. ex., R. c. Biniaris (1998), 124 C.C.C. (3d) 58 (C.A. C.‑B.), par. 26, inf. en partie pour d’autres motifs par 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381 (« Biniaris CSC »), par. 16; R. c. Turner, 2023 MBCA 40, 426 C.C.C. (3d) 211, par. 55‑56).
[171] Il n’est pas nécessaire, et il ne serait pas utile non plus, de créer une nouvelle catégorie conceptuelle d’« acquittements discrétionnaires » qui ne s’appliquerait qu’en cas d’erreur judiciaire (motifs des juges majoritaires, par. 8‑9; m.interv. (PGO), par. 11). En effet, l’analyse de mon collègue entraîne l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire en tenant compte de facteurs particuliers, et reconnaît qu’une cour d’appel conserve le pouvoir discrétionnaire de refuser de prononcer un acquittement dans les cas où il serait contraire à l’intérêt public de le faire (par. 87). Fait important, ces acquittements ne sont pas d’une nature tellement différente qu’ils méritent leur propre classement par l’établissement d’une catégorie distincte à aborder avec une attention particulière, sinon avec suspicion.
[172] Toutes les ordonnances que l’art. 686 autorise le tribunal à rendre comportent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et en sont le résultat, qu’il s’agisse d’un acquittement pour cause de verdict déraisonnable, d’une ordonnance de nouveau procès en raison d’une erreur de droit ou d’un arrêt des procédures pour cause d’erreur judiciaire. En outre, tous les acquittements que la cour d’appel prononce, pour tout motif autorisé par la loi, relèvent également de son pouvoir discrétionnaire. Nous ne parlons pas d’un « nouveau procès discrétionnaire » ou d’un « arrêt des procédures discrétionnaire », et nous ne parlons pas non plus d’« acquittement discrétionnaire » lorsque le verdict a été jugé déraisonnable. Il convient d’être prudent, voire circonspect, lorsqu’il s’agit d’évaluer, et de choisir, entre diverses ordonnances réparatrices. Pour des raisons de clarté conceptuelle, et parce que toutes les ordonnances et tous les acquittements relèvent de son pouvoir discrétionnaire, l’introduction ou l’application du concept d’acquittement discrétionnaire n’est ni nécessaire ni utile et risque de prêter à confusion.
[173] Le législateur était parfaitement conscient qu’un « acquittement » signifie simplement que la Couronne ne s’est pas acquittée du fardeau de démontrer la culpabilité du prévenu hors de tout doute raisonnable. C’est un verdict fréquent et bien connu en première instance. Pourtant, le législateur a également manifestement accordé aux cours d’appel le pouvoir explicite d’exercer ce pouvoir d’« acquittement » lorsqu’elles font droit à l’appel d’une déclaration de culpabilité pour l’un ou l’autre des trois motifs prévus à l’al. 686(1)a). Compte tenu de cette attribution expresse de pouvoir légal, rien ne permet de croire que les acquittements prononcés dans l’intérêt public pour réparer une erreur judiciaire avérée altèrent, diluent ou affaiblissent de quelque manière la valeur d’un acquittement.
[174] De fait, les tribunaux ont prononcé des acquittements après avoir accueilli des appels fondés sur chacun des trois motifs prévus à l’al. 686(1)a). Par exemple :
(i) après avoir conclu que le verdict était déraisonnable : Venneri c. R., 2011 QCCA 1957, inf. en partie par 2012 CSC 33, [2012] 2 R.C.S. 211; R. c. Lacroix, 2008 CSC 67, [2008] 3 R.C.S. 509; R. c. L.A.P., 2000 MBCA 109, 150 Man. R. (2d) 247, par. 32, conf. par 2001 CSC 28, [2001] 1 R.C.S. 757; R. c. Roy, 2024 SKCA 98, par. 31; R. c. Shaw, 2024 ONCA 119, 170 O.R. (3d) 161, par. 163‑201; R. c. Tat (1997), 35 O.R. (3d) 641 (C.A.);
(ii) après avoir conclu qu’une erreur de droit avait été démontrée : R. c. Dillabough (1975), 28 C.C.C. (2d) 482 (C.A. Ont.); R. c. Grant (1975), 23 C.C.C. (2d) 317 (C.A. C.‑B.); Dunlop c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 881, p. 900; R. c. Boissonneault (1986), 29 C.C.C. (3d) 345 (C.A. Ont.); R. c. M.B. (1986), 53 Sask. R. 55 (C.A.); R. c. Sophonow (1986), 38 Man. R. (2d) 198 (C.A.); Haslam; R. c. Mohamed (1991), 64 C.C.C. (3d) 1 (C.A. C.‑B.); R. c. Tom (1992), 79 C.C.C. (3d) 84 (C.A. C.‑B.); R. c. P.L., [1995] O.J. No. 854 (Lexis), 1995 CarswellOnt 4000 (WL) (C.A.); R. c. Sargent, 2006 ABCA 411, 401 A.R. 146, par. 3; R. c. W.J.G., 2006 MBCA 20, 205 Man. R. (2d) 5, par. 11; R. c. Titong, 2021 ABCA 75, par. 18‑20; R. c. Karuranga, 2021 SKCA 90, 488 C.R.R. (2d) 317, par. 41‑43; R. c. Deuling, 2024 YKCA 7, par. 50‑51;
(iii) après que l’appelant a démontré l’existence d’une erreur judiciaire : Hinse 1997; Truscott, par. 787; R. c. Mullins-Johnson, 2007 ONCA 720, 87 O.R. (3d) 425, par. 28; Walsh, Re, 2008 NBCA 33, 335 R.N.-B. (2e) 1; R. c. Sherret-Robinson, 2009 ONCA 886, par. 9‑10; R. c. Kumar, 2011 ONCA 120, 268 C.C.C. (3d) 369, par. 33‑34 et 39; R. c. Brant, 2011 ONCA 362; R. c. Lewis, 2012 SKCA 81, 399 Sask. R. 180; R. c. D.R.S., 2013 ABCA 18, 542 A.R. 92; R. c. Shepherd, 2016 ONCA 188, par. 13 et 21; R. c. J.C., 2024 ABCA 69, par. 4 et 13‑14.
b) Lorsque le législateur veut limiter le pouvoir discrétionnaire de la Cour d’appel, il le dit expressément
[175] Le paragraphe 686(2), qui confère explicitement à la cour d’appel un vaste pouvoir discrétionnaire de réparation lorsqu’elle fait droit à l’appel d’une déclaration de culpabilité, peut être mis en contraste avec d’autres dispositions qui limitent expressément les pouvoirs de la cour d’appel dans d’autres situations.
[176] Par exemple, si elle accueille l’appel d’un verdict d’acquittement, la cour peut ordonner la tenue d’un nouveau procès ou rendre un verdict de culpabilité, mais elle ne peut prononcer ce dernier verdict que lorsque certaines conditions sont réunies (al. 686(4)b)), et pas si « [le] verdict [a été] rendu par un tribunal composé d’un juge et d’un jury » (sous‑al. 686(4)b)(ii)). Dans le même ordre d’idée, même s’il lui est loisible, après avoir annulé une déclaration de culpabilité, de substituer au verdict qui a été rendu le verdict d’inaptitude à subir son procès ou de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux en vertu de l’al. 686(1)d), la cour d’appel n’a pas le pouvoir légal de prendre cette mesure lorsqu’elle annule un verdict d’acquittement (par. 686(4); R. c. Luedecke, 2008 ONCA 716, 93 O.R. (3d) 89, par. 126). On trouve un autre exemple au par. 686(6), qui oblige la cour d’appel à ordonner un nouveau procès lorsqu’elle admet l’appel d’un verdict d’inaptitude à subir son procès, sous réserve du par. 686(7), qui permet à la cour d’inscrire un acquittement « si elle est d’avis que l’accusé aurait dû être acquitté au terme de l’exposé de la poursuite ». Bien que la tenue d’un nouveau procès soit la réparation présumée, si le verdict selon lequel l’accusé est inapte à subir son procès est rendu après que la poursuite a clos sa preuve, la cour doit d’abord se demander si un acquittement est approprié. On ne trouve aucune restriction ou exigence de ce type au par. 686(2).
[177] Dans les cas où l’on s’attend à ce qu’une restriction soit expressément mentionnée, le tribunal peut inférer que l’omission du législateur de la mentionner résulte de son choix délibéré de l’exclure (R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd. 2022), § 8.09[1]; voir aussi Canada c. Loblaw Financial Holdings Inc., 2021 CSC 51, [2021] 3 R.C.S. 687, par. 59; Cadieux (Litigation Guardian of) c. Cloutier, 2018 ONCA 903, 143 O.R. (3d) 545, par. 114). Ces exemples démontrent que le législateur a restreint les pouvoirs de réparation dans les situations où il estime que ces restrictions sont justifiées. S’il avait voulu limiter à certaines situations le pouvoir du tribunal de prononcer un acquittement, par exemple lorsque l’appelant a démontré que le verdict était déraisonnable, il aurait pu le faire, mais il ne l’a pas fait.
c) L’évolution législative confirme l’existence d’un vaste pouvoir discrétionnaire de réparation
[178] L’évolution législative de la compétence et des pouvoirs de réparation des cours d’appel en matière pénale renforce également la conclusion selon laquelle le législateur souhaitait que les cours d’appel disposent d’un vaste pouvoir discrétionnaire de réparation pour prononcer un acquittement.
[179] Les appels en matière pénale sont d’origine relativement récente en common law. Au départ, les procédures de contrôle et d’examen étaient rarement utilisées en common law anglaise ou étaient d’une efficacité limitée. Ce n’est qu’au 19e siècle que les mesures de réforme visant à permettre le contrôle en appel se sont intensifiées (P. D. Marshall, « A Comparative Analysis of the Right to Appeal » (2011), 22 Duke J. Comp. & Int’l L. 1, p. 4‑7; B. L. Berger, « Criminal Appeals as Jury Control : An Anglo‑Canadian Historical Perspective on the Rise of Criminal Appeals » (2006), 10 Rev. can. D.P. 1, p. 4‑9 et 25‑29).
[180] Les mesures de réformes se sont heurtées à une forte opposition en raison de la [traduction] « confiance indéfectible » dans les jurys et les juges de procès, de la croyance selon laquelle les déclarations de culpabilité injustifiées étaient rares et de la volonté de régler rapidement les procès (R. J. Sharpe, The Lazier Murder : Prince Edward County, 1884 (2011), p. 116; Berger, p. 25‑29). Deux affaires de déclarations de culpabilité injustifiées en Angleterre qui ont défrayé la chronique sont à l’origine de l’adoption par voie législative de droits d’appel tant en Angleterre qu’au Canada (Marshall, p. 8‑9).
[181] La première codification du droit criminel dans le Code criminel, 1892, S.C. 1892, c. 29, a permis à la cour d’appel d’inscrire un acquittement, si elle était « d’avis [. . .] que la décision [était] erronée et que l’accusé aurait dû être acquitté » (al. 746(d)), et d’ordonner un nouveau procès, si le verdict était contraire à l’ensemble de la preuve (art. 747). La Loi modifiant le Code criminel, S.C. 1923, c. 41, a ensuite adopté l’art. 1014, qui correspondait essentiellement à l’art. 686 actuel et qui ne limitait plus les réparations à des motifs particuliers. Après avoir accueilli l’appel d’une déclaration de culpabilité, la cour d’appel pouvait « infirmer le jugement de culpabilité et ordonner l’inscription d’un jugement et d’un verdict d’acquittement » ou « ordonner un nouveau procès » (art. 9; voir aussi V. M. Del Buono, « The Right to Appeal in Indictable Cases : A Legislative History » (1978), 16 Alta. L. Rev. 446, p. 458‑461).
[182] Par conséquent, les opinions erronées que l’on avait au départ au sujet de la fréquence des erreurs commises par les jurys et les juges du procès ont finalement cédé la place au pouvoir des cours d’appel de procéder à un examen et d’exercer sans entrave leur pouvoir de prononcer un acquittement lorsqu’un appel d’une déclaration de culpabilité est accueilli en vertu de l’al. 686(1)a). Le texte actuel du par. 686(2) du Code n’a fait l’objet d’aucune autre modification importante, ce qui confirme les pouvoirs de réparation étendus que possèdent les cours d’appel.
[183] Ce survol démontre que le législateur a expressément et intentionnellement conféré par voie législative aux cours d’appel le pouvoir de prononcer un acquittement en cas d’erreur judiciaire avérée.
B. La Cour d’appel n’a pas commis d’erreur en concluant qu’un jury raisonnable pourrait rendre un verdict de culpabilité
[184] Je passe maintenant au premier argument de l’appelante selon lequel la Cour d’appel a commis une erreur en concluant qu’un jury raisonnable pourrait déclarer Mme Bouvette coupable au vu de l’ensemble du dossier, tel que complété en appel. Elle soutient que la Cour d’appel a commis une erreur en s’appuyant sur l’avis du Dr Matshes pour en arriver à cette conclusion, puisque la Couronne avait indiqué qu’elle ne présenterait pas cet avis en preuve en cas de nouveau procès. Elle exhorte notre Cour à examiner le témoignage du Dr Matshes dans le contexte des lacunes sur le plan de la communication de la preuve et de l’existence des éléments de preuve qui contredisaient ses opinions (m.a., par. 131).
[185] Pour déterminer s’il y a lieu de prononcer l’acquittement en cas d’erreur judiciaire avérée, les cours d’appel peuvent se demander si, d’après le dossier auquel s’ajoutent de nouveaux éléments de preuve, un jury dûment instruit et agissant de manière judiciaire pourrait raisonnablement rendre un verdict de culpabilité (R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168, p. 185; Biniaris CSC, par. 36; R. c. Papasotiriou, 2023 ONCA 358, 166 O.R. (3d) 266, par. 42). Cette norme, appliquée dans la jurisprudence lorsque le tribunal se penche en application du sous‑al. 686(1)a)(i) sur un verdict déraisonnable, a aussi été appliquée pour évaluer si un acquittement constitue la réparation appropriée en application de l’al. 686(2)a) (voir, p. ex., Walsh, par. 62; Truscott, par. 247; m.interv. (Innocence Canada), par. 11; m.interv. (Association canadienne des libertés civiles), par. 9‑10; voir aussi Sopinka, Gelowitz et Rankin, ⁋4.43‑4.44). Pour plus de clarté, je précise que, dans l’ensemble de mes motifs, je désigne cette norme sous le nom de norme « Yebes/Biniaris ». Cette norme a été décrite comme une norme stricte (R. c. Kwok, 2002 BCCA 177, 164 C.C.C. (3d) 182, par. 27; R. c. Grandbois (2003), 63 O.R. (3d) 161 (C.A.), par. 13; Truscott, par. 752). Il ne s’agit pas de savoir si un jury dûment instruit pourrait raisonnablement rendre un verdict d’acquittement (Papasotiriou, par. 42). En fait, une cour d’appel peut intervenir seulement si aucun jury ayant reçu les directives appropriées et agissant de manière judiciaire n’aurait raisonnablement pu déclarer l’appelant coupable (Biniaris CSC, par. 36; R. c. Chacon-Perez, 2022 ONCA 3, 159 O.R. (3d) 481, par. 74‑80; R. c. Jackson, 2007 CSC 52, [2007] 3 R.C.S. 514, par. 2).
[186] Déterminer si un verdict est déraisonnable appelle un exercice d’appréciation. Eu égard aux circonstances particulières de la présente affaire, et conformément à la démarche suivie par les tribunaux dans des circonstances semblables, il faut également tenir compte dans une certaine mesure de l’existence et de la qualité de la preuve lors d’un hypothétique nouveau procès (voir, p. ex., Walsh, par. 63‑94; R. c. Hinse (1994), 64 Q.A.C. 53 (« Hinse 1994 »), inf. en partie par Hinse 1997). Bien que la cour d’appel ne doive pas agir comme un « 13e juré », son rôle ne se borne pas à déterminer s’il existe des éléments de preuve qui, s’il leur est ajouté foi, étayent la déclaration de culpabilité (R. c. W.H., 20113 CSC 22, [2013] 2 R.C.S. 180, par. 27‑28; Chacon-Perez, par. 76). Elle doit également se demander si la conclusion du jury va à l’encontre de l’ensemble de l’expérience judiciaire (Biniaris CSC, par. 40). Dans le cadre de cet exercice d’appréciation, la cour doit examiner, analyser et, dans les limites de son rôle en tant que cour d’appel, évaluer la preuve pour se demander si, à la lumière de l’expérience judiciaire acquise, il existe « un risque de déclaration de culpabilité injustifiée » (W.H., par. 29; voir aussi Biniaris CSC, par. 40‑41; Chacon-Perez, par. 74). Cette analyse est à la fois subjective et objective (Biniaris CSC, par. 36).
[187] À mon avis, Mme Bouvette ne peut obtenir gain de cause sur ce moyen, même si je suis d’accord avec l’argument formulé par la Couronne devant la cour d’instance inférieure pour dire que la preuve restante contre elle est [traduction] « faible » (dossier supplémentaire de l’appelante (« d.s.a. »), onglet 1, par. 31). Je conviens donc avec mon collègue qu’il n’y a pas eu d’erreur justifiant l’annulation du verdict selon le premier moyen d’appel, car, même en faisant abstraction de l’avis du Dr Matshes, on ne peut affirmer qu’aucun jury raisonnable ne pourrait rendre un verdict de culpabilité.
C. Un acquittement peut être prononcé lorsque l’intérêt de la justice le justifie
[188] Au cœur du présent pourvoi se pose la question de savoir si, en présence d’une erreur judiciaire avérée, les cours d’appel peuvent prononcer un acquittement même lorsqu’un jury raisonnable pourrait rendre un verdict de culpabilité dans le cadre d’un hypothétique nouveau procès et, dans l’affirmative, quels principes régissent le pouvoir discrétionnaire de réparation des cours d’appel à cet égard. Malgré le plein pouvoir que la loi lui reconnaît, la Cour d’appel a conclu en l’espèce qu’une [traduction] « approche exceptionnelle de la réparation » prévue au par. 686(2) avait été retenue dans certains arrêts, dont l’arrêt Truscott (motifs de la C.A., par. 137). La Cour d’appel n’était pas convaincue que le cas de Mme Bouvette était [traduction] « suffisamment exceptionnel » pour justifier l’application de cette démarche (par. 137‑138). La cour a établi une distinction entre les faits de la présente espèce et ceux de l’affaire Truscott à deux égards : tout d’abord, la tenue d’un nouveau procès n’était pas possible dans l’affaire Truscott, tandis qu’il y avait encore une possibilité théorique d’en tenir un en l’espèce; ensuite, le dossier soumis en l’espèce à la Cour d’appel était incomplet, tandis que, dans l’affaire Truscott, la cour disposait d’un dossier complet pour évaluer la culpabilité (par. 114‑115 et 138‑139). La Cour d’appel a notamment indiqué qu’elle n’était pas en mesure de tirer de conclusion à l’égard de la preuve médicolégale contestée. Elle a conclu que l’arrêt des procédures était néanmoins de toute évidence justifié.
[189] Les parties conviennent que la Cour d’appel a commis une erreur en refusant d’inscrire un acquittement dans le cas qui nous occupe. L’appelante conteste l’interprétation que la Cour d’appel a faite de l’arrêt Truscott et soutient que cette décision n’a pas conclu que l’existence de circonstances [traduction] « exceptionnelles » était une condition préalable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de prononcer un acquittement dans un cas où un jury raisonnable pourrait rendre un verdict de culpabilité (m.a., par. 94). Elle invoque des arrêts antérieurs et postérieurs à l’arrêt Truscott dans lesquels les cours d’appel ont rendu un verdict d’acquittement dans l’intérêt de la justice, sans recourir à ce cadre d’analyse (par. 98‑105). À titre subsidiaire, Mme Bouvette soutient que les circonstances de son cas sont suffisamment « exceptionnelles » pour justifier son acquittement (par. 110).
[190] La Couronne reconnaît l’existence d’une catégorie de [traduction] « causes comportant des circonstances exceptionnelles », mais insiste sur la façon approximative et incohérente avec laquelle les tribunaux ont exercé leur pouvoir discrétionnaire en pareil cas (m.i., par. 80‑93). Elle propose un cadre d’analyse qui permet aux tribunaux de déterminer la réparation appropriée dans de telles causes en se fondant sur une analyse contextuelle qui prend en compte certains facteurs, dont la nature et l’historique des procédures, la situation de l’appelante et [traduction] « l’ensemble des faits en appel » (par. 102‑109). Dans sa plaidoirie orale, l’avocat de Mme Bouvette a souscrit au cadre d’analyse préconisé par la Couronne (transcription, p. 17). La Couronne souligne également le manque de clarté de la jurisprudence quant aux cas dans lesquels il y a lieu d’ordonner l’arrêt des procédures plutôt que de prononcer un acquittement (m.i., par. 91‑92).
[191] En tout respect, je conviens que la Cour d’appel a commis une erreur en interprétant de façon restrictive son pouvoir discrétionnaire de réparation et en refusant d’inscrire un acquittement en vertu du par. 686(2). Dans la section suivante, j’examinerai d’abord le moyen tiré de l’erreur judiciaire, avant d’expliquer dans quels cas les tribunaux devraient envisager l’acquittement comme réparation possible lorsqu’il existe une possibilité raisonnable de déclaration de culpabilité lors d’un nouveau procès. Je proposerai ensuite un cadre d’analyse pour aider les tribunaux à déterminer la réparation appropriée en application du vaste pouvoir discrétionnaire que leur confère le par. 686(2).
[192] À mon avis, on peut dégager de la jurisprudence les trois composantes analytiques fondamentales suivantes pour aider les tribunaux à déterminer s’il est dans l’intérêt de la justice de prononcer un acquittement dans un cas donné, à savoir : la nature et les répercussions de l’erreur judiciaire; l’issue possible d’un hypothétique nouveau procès, y compris la probabilité qu’un acquittement soit prononcé; et, enfin, l’appréciation du caractère équitable global de l’espèce. Lorsqu’ils examinent ces facteurs, les tribunaux doivent garder à l’esprit l’une des principales raisons d’être de la réparation des erreurs judiciaires : empêcher les déclarations de culpabilité injustifiées. S’appuyant sur des décennies de jurisprudence, le cadre que je propose vise à apporter plus de clarté et de cohérence dans ce domaine du droit.
(1) La catégorie d’erreurs judiciaires englobe un large éventail de circonstances qui peuvent justifier d’accueillir un appel
[193] Les erreurs judiciaires qui ont été reconnues en application du sous‑al. 686(1)a)(iii) englobent un éventail diversifié d’erreurs, d’inconduites ou d’irrégularités. À titre de motif résiduel pour accueillir l’appel d’une déclaration de culpabilité, cette disposition a une [traduction] « portée significative », ce qui garantit que les déclarations de culpabilité résultant de quelque erreur judiciaire que ce soit, et non pas uniquement celles visées par les deux premiers motifs, ne sauraient être maintenues (Morrissey, p. 541; R. c. Tayo Tompouba, 2024 CSC 16, par. 72). Le pouvoir en question reflète la préoccupation plus large du système de justice criminel de garantir que les déclarations de culpabilité résultent de procédures rigoureuses et équitables dans le cadre desquelles les accusés sont présumés innocents à moins que leur culpabilité ne soit prouvée hors de tout doute raisonnable (voir Burns, par. 95; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, p. 120‑121).
[194] Le cadre légal garantit donc que toutes les erreurs judiciaires résiduelles peuvent être identifiées et qu’il peut y être remédié. On ne peut s’attendre à ce qu’une seule mesure corrective réponde à une telle diversité de causes. La Cour a reconnu que les erreurs judiciaires peuvent découler de divers manquements du système de justice, intentionnels ou non. Certains peuvent avoir un lien avec le juge du procès, comme de mauvaises évaluations de la preuve (voir, p. ex., R. c. Lohrer, 2004 CSC 80, [2004] 3 R.C.S. 732, par. 1; R. c. Smith, 2021 CSC 16, [2021] 1 R.C.S. 530, par. 2; voir aussi S. Coughlan, Criminal Procedure (4e éd. 2020), p. 576‑577), et une crainte raisonnable de partialité (voir, p. ex., R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484; R. c. Curragh Inc., [1997] 1 R.C.S. 537; voir aussi Sopinka, Gelowitz et Rankin, ⁋4.38).
[195] D’autres participants au système de justice peuvent aussi avoir été impliqués, comme lorsque la Couronne ne communique pas certains éléments de preuve et que cette omission est un facteur important dans la déclaration de culpabilité d’une personne innocente (voir Stinchcombe, p. 336, citant Royal Commission on the Donald Marshall, Jr., Prosecution (« Rapport Marshall »), vol. I, Findings and Recommendations (1989)). D’autres inconvenances ou irrégularités durant le procès peuvent avoir des répercussions sur l’équité, ou donner lieu à une apparence d’iniquité, établissant une erreur judiciaire. Des exemples comprennent la conduite de la Couronne et de la police dans la sélection du jury (R. c. Yumnu, 2012 CSC 73, [2012] 3 R.C.S. 777, par. 79), ou l’assistance inefficace d’un avocat (voir, p. ex., R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520, par. 28; R. c. Joanisse (1995), 102 C.C.C. (3d) 35 (C.A. Ont.), p. 62). Les plaidoyers de culpabilité non éclairés peuvent aussi être le fondement d’erreurs judiciaires, lorsqu’il en découle un préjudice pour l’accusé. Notre Cour a souligné que, dans ces cas, c’est sur la désinformation elle‑même que le tribunal doit axer son attention, ainsi que sur la question de savoir si elle aurait eu une incidence sur la décision de l’accusé de plaider coupable (R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696, par. 19 et 34‑35).
[196] Les causes relatives aux erreurs judiciaires concernent donc l’équité et la solidité de la déclaration de culpabilité sous‑jacente. Le Code confère en termes clairs un large pouvoir d’ordonner un acquittement ou un nouveau procès dans n’importe laquelle de ces circonstances.
[197] J’accepte que, de façon générale, si une cour d’appel est convaincue que l’ensemble du dossier au terme de l’appel pourrait raisonnablement donner lieu à une déclaration de culpabilité en cas de nouveau procès, il soit souvent approprié qu’elle ordonne un nouveau procès (R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480, p. 491; R. c. S. (P.L.), [1991] 1 R.C.S. 909, p. 915‑916; R. c. Maciel, 2007 ONCA 196, 219 C.C.C. (3d) 516, par. 46; Sopinka, Gelowitz et Rankin, ⁋4.44). Cependant, comme l’indiquent la décision Truscott et d’autres décisions similaires, cela n’épuise pas le large pouvoir discrétionnaire de la cour en matière de réparation, car [traduction] « [c]ertaines causes sont hors norme » (par. 259). Dans certains cas, l’acquittement n’est pas seulement une mesure corrective qui sert les intérêts de la justice, il est le seul à le faire, même lorsqu’il est théoriquement possible de tenir un nouveau procès.
[198] Je suis d’accord avec Mme Bouvette qu’il n’y a aucun avantage à concevoir le pouvoir discrétionnaire de réparation d’inscrire un acquittement comme étant « exceptionnel », en ce sens qu’il est rare ou extraordinaire, et ni la loi ni le cadre d’analyse prescrit par Truscott n’oblige à le caractériser de cette façon. Cependant, ce pouvoir discrétionnaire est souvent exercé dans des circonstances uniques et impérieuses, reflétant la diversité des façons dans lesquelles les irrégularités peuvent survenir dans le système de justice. Ces circonstances, y compris les affaires présentant des caractéristiques procédurales ou substantielles d’une déclaration de culpabilité injustifiée, peuvent alerter la cour d’appel sur la nécessité d’examiner des facteurs allant au-delà de la possibilité raisonnable d’une déclaration de culpabilité.
(2) Seuil pour exercer le pouvoir discrétionnaire de réparation : les caractéristiques procédurales ou substantielles d’une déclaration de culpabilité injustifiée
[199] Il n’est ni nécessaire ni souhaitable de dresser une liste exhaustive de tous les cas dans lesquels un acquittement peut être approprié même lorsque le dossier suggère qu’un jury pourrait raisonnablement déclarer l’accusé coupable. Cependant, le présent appel souligne qu’il faut porter une attention particulière aux causes dans lesquelles une erreur judiciaire avérée constitue une déclaration de culpabilité injustifiée ou s’en approche. Les tribunaux doivent tenir compte des erreurs, des inconduites ou des faiblesses de la preuve associées à la déclaration de culpabilité de la personne innocente, compte tenu de la réalité tragique que dans tous les systèmes de justice pénale, aussi bons soient-ils, il y a des déclarations de culpabilité injustifiées ou des erreurs judiciaires (voir G. Zellick, « Facing up to Miscarriages of Justice » (2006), 31 Man. L.J. 555, p. 555). Comme je l’explique ci‑après, le cas de Mme Bouvette présente de nombreuses caractéristiques de ce type.
[200] Selon moi, en présence de caractéristiques procédurales ou substantielles de déclarations de culpabilité injustifiées, il incombe à une cour d’appel d’examiner si un acquittement serait approprié, même si elle n’est pas en mesure de conclure qu’aucun jury ne pourrait raisonnablement déclarer l’accusé coupable. Sans souscrire à une définition exhaustive, une déclaration de culpabilité injustifiée serait décrite utilement en parlant de celle [traduction] « qui est infirmée sur le fondement de nouveaux faits importants en lien avec la culpabilité et qui n’ont pas été pris en considération lorsque l’accusé a été déclaré coupable ou a plaidé coupable » (K. Roach, « The Wrongfully Convicted Deserve Acquittals not Prosecutorial Stays » (2024), 102 R. du B. can. 201, note 12; voir aussi E. P. MacCallum, Report of the Commission of Inquiry into the Wrongful Conviction of David Milgaard (2008), vol. 1, p. 365).
[201] Par caractéristiques procédurales, j’entends les caractéristiques spécifiques des causes où les procédures habituelles ou routinières sont insuffisantes pour garantir le respect des intérêts de la justice. À titre d’exemple, les appels fondés sur les erreurs judiciaires peuvent aboutir devant une cour d’appel de différentes façons, et souvent après que ce soit écoulé un temps considérable. Une des mécaniques le permettant est celle du renvoi par le ministre en vertu du sous‑al. 696.3(3)a)(ii) du Code (voir, p. ex., Truscott; Walsh). Le Code a été modifié récemment pour créer la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire; lorsque d’autres dispositions du même projet de loi entreront en vigueur, la commission exercera le pouvoir de renvoi plutôt que le ministre de la Justice (Loi sur la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire (Loi de David et Joyce Milgaard), L.C. 2024, c. 33, art. 3 et 4). Les tribunaux peuvent devoir trancher une requête en prorogation du délai pour déposer un avis d’appel (Code, par. 678(2); voir, p. ex., R. c. Hinse, [1995] 4 R.C.S. 597 (« Hinse 1995 »), par. 3). Dans d’autres cas, un procureur spécial peut être nommé, ce qui mène à un appel de nombreuses années après les procédures initiales (voir, p. ex., R. c. Henry, 2010 BCCA 462, 262 C.C.C. (3d) 307; R. c. Dhillon, 2014 BCCA 480, 16 C.R. (7th) 8).
[202] Les demandes visant l’admission de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été communiqués auparavant ou qui ont été découverts récemment sont également fréquentes. Ces éléments de preuve changent souvent considérablement le contexte factuel, minant la solidité de la déclaration de culpabilité (voir Truscott, par. 753; Walsh, par. 91‑92; Hinse 1994, par. 37‑39; Dhillon, par. 10‑17). De telles causes peuvent aussi exiger des cours d’appel qu’elles assument exceptionnellement les fonctions d’un tribunal de première instance, y compris celle d’entendre de la preuve de vive voix (voir Renvoi relatif à Milgaard (Can.), [1992] 1 R.C.S. 866; Truscott, par. 25; R. c. Ostrowski, 2018 MBCA 125, 369 C.C.C. (3d) 139, par. 1).
[203] Les caractéristiques substantielles des déclarations de culpabilité injustifiées devraient aussi alerter un tribunal quant au fait qu’un acquittement doit être envisagé. Cela découle en partie du fait qu’un grand nombre de ces caractéristiques remettent en cause des questions liées à la culpabilité. Nous avons beaucoup appris sur les causes et les coûts des déclarations de culpabilité injustifiées des nombreuses commissions d’enquête qui ont identifié les facteurs contributifs communs et omniprésents. Il sera question des leçons tirées de ces rapports plus loin dans les présents motifs, mais les caractéristiques communes comprennent notamment :
1. une omission par l’État de communiquer des renseignements importants;
2. une preuve scientifique ou d’expert non fiable;
3. une erreur d’identification par un témoin oculaire, notamment quant à une identification interraciale;
4. des enquêtes policières inadéquates;
5. un manque d’objectivité de la Couronne et de la police;
6. de faux aveux;
7. de faux plaidoyers de culpabilité;
8. de la discrimination systémique.
(Voir M. Green, « Crown Culture and Wrongful Convictions : A Beginning » (2005), 29 C.R. (6th) 262; L. Stuesser, « Experts on Eyewitness Identification : I Just Don’t See It » (2006), 31 Man. L.J. 543; B. MacFarlane, « Convicting The Innocent : A Triple Failure of the Justice System » (2006), 31 Man. L.J. 403; Roach (2024); M. Vijaykumar, « A Crisis of Conscience : Miscarriages of Justice and Indigenous Defendants in Canada » (2018), 51 U.B.C. L. Rev. 161; K. Roach, « Canada’s False Guilty Pleas : Lessons from The Canadian Registry of Wrongful Convictions » (2023), 4 Wrongful Conv. L. Rev. 16.)
[204] Beaucoup de ces caractéristiques procédurales et substantielles sont présentes dans la cause de Mme Bouvette. Bien que la Couronne ne l’admette pas, l’appelante soutient avoir été déclarée coupable erronément (m.a., par. 5). La cause de Mme Bouvette a été revue indépendamment par une procureure nommée spécialement à cette fin, qui a mené un examen exhaustif. Cet examen a mené en définitive à une requête en prorogation du délai d’appel (2022 BCCA 9) et à une demande d’autorisation de produire de nouveaux éléments de preuve qui remettaient directement en question la solidité de sa déclaration de culpabilité (motifs de la C.A., par. 5‑7). Elle n’avait pas eu accès à des renseignements non communiqués détaillés et importants qui avaient une incidence sur sa culpabilité et soulevaient de sérieuses questions quant à son plaidoyer de culpabilité. Elle était une accusée vulnérable issue d’un milieu désavantagé, et sa cause avait fait intervenir une preuve d’expert qui a été remise en question. Selon moi, les circonstances de cette cause donnaient amplement de motifs à la Cour d’appel pour examiner si un acquittement était justifié, même s’il était théoriquement possible de tenir un nouveau procès et que le dossier était [traduction] « incomplet » (par. 139).
(3) Cadre d’application du pouvoir discrétionnaire de réparation lorsque le seuil du verdict déraisonnable est atteint
[205] Comme l’ont souligné les parties et les intervenants, les cours d’appel ont réfléchi à la possibilité de prononcer un acquittement en recourant à différentes approches. Selon la revue de la jurisprudence de la Couronne (m.i., par. 67‑89), dans certaines causes, comme Truscott, les tribunaux se sont penchés sur le fond du dossier (voir aussi Ostrowski; Walsh), tandis que dans d’autres, des facteurs relatifs au caractère équitable ont été les fondements principaux de l’acquittement (voir, p. ex., Dunlop, p. 900; Sophonow). Parfois, il s’est agi d’une combinaison des deux (voir, p. ex., D.R.S., par. 18‑19). Il est toutefois clair que, dans tous les cas, les tribunaux ont conclu, sur le fondement des circonstances uniques dont ils étaient saisis, qu’un acquittement était dans l’intérêt de la justice. À mon avis, la disparité dans les approches reflète la variété dans les faits et les circonstances à laquelle il faut s’attendre dans des causes d’erreur judiciaire, et appelle à une approche qui laisse aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de mettre en balance les facteurs qui ont un poids déterminant dans un cas donné.
[206] Comme je l’ai déjà noté, pour déterminer si un acquittement est dans l’intérêt de la justice, les cours d’appel doivent prendre en compte la nature et les répercussions de l’erreur, la possibilité de tenir un nouveau procès, la probabilité qu’un acquittement soit prononcé, ainsi que le caractère équitable dans un cas donné. Dans la plupart des causes, pour qu’elle inscrive un acquittement, la cour devra être convaincue que cette issue est plus probable qu’improbable en appliquant la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable. Bien que le caractère équitable ne puisse pas, à lui seul, justifier un acquittement, il est pertinent dans la mise en balance d’ensemble à laquelle procède le tribunal, particulièrement lorsque l’erreur judiciaire a eu des répercussions sur sa capacité de juger du bien‑fondé de la cause. Un tel cadre concentre l’attention de la cour d’appel sur les facteurs pertinents pour la question de savoir si un acquittement est approprié, tout en offrant la flexibilité voulue pour qu’il puisse s’adapter aux causes futures.
a) Nature et répercussions de l’erreur judiciaire
[207] La nature de l’erreur judiciaire particulière en cause et ses répercussions sur les procédures constituent un facteur contextuel important dans l’exercice de mise en balance effectué par une cour d’appel pour déterminer la mesure corrective appropriée. Une cour d’appel est justifiée de tenir compte de la nature de l’erreur judiciaire avérée pour déterminer la réparation appropriée — sans quoi la démarche pourrait entraîner une injustice et la perpétuation d’une déclaration de culpabilité injustifiée. Or, éviter de telles déclarations de culpabilité est un des objectifs fondamentaux de notre système de justice (R. c. McClure, 2001 CSC 14, [2001] 1 R.C.S. 445, par. 40). Dans des circonstances comme celles de Mme Bouvette, de M. Truscott et d’autres, la nature de l’erreur judiciaire a des répercussions sur leur capacité à autrement faire valoir de manière convaincante que le verdict rendu contre eux est déraisonnable (voir, p. ex., les motifs de la C.A., par. 130‑131).
[208] Les multiples commissions d’enquête nous ont appris qu’il existe des caractéristiques communes aux affaires de déclarations de culpabilité injustifiées qui méritent une attention particulière lorsqu’une cour d’appel détermine quelle serait la mesure corrective appropriée après avoir autorisé l’appel pour cause d’erreur judiciaire. La nature de l’erreur peut miner le fondement probatoire de la culpabilité, peut donner un éclairage sur le fondement de l’accusation originale, et peut avoir une incidence sur tout nouveau procès lorsqu’il est théoriquement possible d’en tenir un. Ce facteur a eu une incidence sur l’analyse de la réparation par les tribunaux de plusieurs façons, y compris l’effet sur un nouveau procès (voir, p. ex., R. c. Doyle, 2023 ONCA 427, 428 C.C.C. (3d) 293, par. 12, quant à la preuve d’expert; voir aussi Sophonow, quant à la preuve d’identification).
[209] En l’espèce, il y a quatre facteurs de ce type.
[210] Premièrement, Mme Bouvette a été privée de la communication d’éléments de preuve d’une importance considérable pour sa défense (motifs de la C.A., par. 93‑112). Le droit à la communication de la preuve est protégé par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit la capacité de l’accusé de présenter une défense pleine et entière (R. c. Taillefer, 2003 CSC 70, [2003] 3 R.C.S. 307, par. 61; R. c. Dixon, [1998] 1 R.C.S. 244, par. 22). Les enquêtes commandées sur les déclarations de culpabilité injustifiées de Thomas Sophonow, James Driskell et Donald Marshall Jr. ont souligné que l’omission de communiquer des renseignements importants est une cause substantielle qui contribue aux déclarations de culpabilité injustifiées (voir Nouvelle‑Écosse, Royal Commission on the Donald Marshall, Jr., Prosecution : Digest of Finding and Recommendations (1989), p. 3‑4 et 34‑35; voir aussi Rapport Marshall, vol. I, p. 238; P. deC. Cory, The Inquiry Regarding Thomas Sophonow The Investigation, Prosecution and Consideration of Entitlement to Compensation (2001) (« Rapport Sophonow »), p. 83; P. J. LeSage, Report of the Commission of Inquiry into certain aspects of the trial and conviction of James Driskell (2007) (« Rapport Driskell »), p. 6). Le commissaire Cory a souligné le dommage [traduction] « irréparable » causé par l’absence de communication des éléments de preuve dans la cause de M. Sophonow (voir, p. ex., Rapport Sophonow, p. 83). L’omission de communiquer tous les éléments de preuve pertinents a privé Donald Marshall Jr. de sa liberté durant 11 ans pour un crime qu’il n’avait pas commis (Rapport Marshall, vol. I, p. 238 et suiv.).
[211] Comme un commentateur juridique l’a exprimé, [traduction] « [t]outes les déclarations de culpabilités canadiennes passées injustifiées sont attribuables, au moins en partie, à l’omission par la Couronne de communiquer pleinement la preuve à la défense » (Green, p. 265; voir, p. ex., Truscott; Walsh; Henry). L’absence de communication fait également entrer en jeu l’obligation de la Couronne de communiquer à la défense tous les éléments de preuve pertinents, la pertinence étant définie largement pour garantir que l’accusé dispose de tous les éléments de preuve qui pourraient être utiles pour que la Couronne fasse la preuve de sa cause, pour que l’accusé fasse valoir un moyen de défense, ou pour qu’il prenne une décision qui pourrait avoir une répercussion sur la conduite d’une défense (Taillefer, par. 59). Cette obligation découle naturellement du rôle des procureurs de la Couronne à titre de « ministres de la justice » dans le système de justice pénale (Stinchcombe, p. 340; voir aussi p. 333, citant Boucher, p. 23‑24).
[212] L’omission par la Couronne d’avoir communiqué intégralement la preuve à Mme Bouvette a été directement liée à sa déclaration de culpabilité, puisqu’elle n’aurait pas plaidé coupable si cette communication avait été faite (motifs de la C.A., par. 101 et 110). En outre, l’omission de communiquer des éléments de preuve remet en question la décision initiale de porter des accusations, minant la confiance du public dans la bonne administration de la justice. Madame Bouvette a été accusée de meurtre au second degré et renvoyée à procès pour cette infraction, après une enquête préliminaire, sur la foi de l’opinion du Dr Matshes (d.a., vol. V, p. 36; d.a., vol. VIII, p. 17‑18). Fait important, en appel, le tribunal n’a pas eu l’avantage de pouvoir consulter un contre‑interrogatoire bien mené dans le dossier, ce qui a compliqué sa tâche pour juger de l’issue vraisemblable d’un hypothétique nouveau procès (par. 95 et 139). De même, la capacité de Mme Bouvette de soutenir de manière convaincante que le verdict prononcé contre elle serait autrement déraisonnable a été minée (voir, p. ex., le par. 130‑131).
[213] Enfin, la Couronne en première instance aurait dû pertinemment savoir que ces renseignements devaient être communiqués. Les courriels du ministère de la Justice de l’Alberta donnaient des avis limpides sur la question et soulignaient à l’intention de la procureure de la Couronne agissant au procès que les renseignements étaient nécessaires [traduction] « pour qu’elle [puisse] dûment instruire son dossier et communiquer la preuve à la défense » (d.a., vol. VI, p. 28 (je souligne)). La lettre d’accompagnement contenant les résultats de l’évaluation externe par les pairs s’ouvre sur ce qui suit : [traduction] « Veuillez trouver une communication supplémentaire de renseignements quant à votre cause, laquelle vous est faite de manière à vous permettre de satisfaire aux obligations qui nous incombent suivant l’arrêt Stinchcombe » (p. 29 (je souligne)).
[214] Deuxièmement, la présente affaire comporte une autre cause largement reconnue de déclarations de culpabilité injustifiées : la preuve d’expert qui peut être peu fiable ou douteuse (voir, p. ex., F. Kaufman, Commission sur les poursuites contre Guy Paul Morin : rapport, t. 1 (1998), p. 315). Les tribunaux ont reconnu avec raison les dangers de la preuve d’expert, y compris le risque que le juge des faits puisse ne pas être en mesure de l’évaluer efficacement. Ils ont donc insisté sur le rôle de gardien du juge du procès et sur son large pouvoir discrétionnaire d’exclure cette preuve (White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182, par. 16‑24; R. c. Abbey, 2009 ONCA 624, 97 O.R. (3d) 330, par. 76‑84 et 90). L’enquête Goudge, déclenchée à la suite de plusieurs erreurs judiciaires liées au Dr Charles Smith, médecin légiste pédiatrique, a révélé de sérieuses préoccupations concernant le rôle de l’expertise médicale dans les affaires pénales. Selon cette enquête, les experts en matières médicales fournissent une preuve que les avocats et les juges peuvent ne pas être en mesure de comprendre ou de remettre en question, expriment des opinions sans expliquer le raisonnement qui les sous-tend, ou utilisent une terminologie qu’un profane pourrait mal interpréter (S. T. Goudge, Rapport de la Commission d’enquête sur la médecine légale pédiatrique en Ontario (2008)).
[215] Dans de nombreuses causes tragiques, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu qu’il y avait eu erreur judiciaire lorsque la Couronne s’était fondée sur le témoignage du Dr Smith pour poursuivre les parents de jeunes enfants pour infanticide ou homicide involontaire coupable. Dans beaucoup de causes, cela a mené à des ententes sur le plaidoyer et à de profondes injustices pour ceux qui ont été déclarés coupables à tort (Sherret-Robinson; Kumar; Brant; Shepherd; R. c. Blackett, 2018 ONCA 119; Doyle).
[216] Les décisions d’accuser Mme Bouvette et de lui ordonner de subir un procès pour l’infraction de meurtre au deuxième degré étaient largement fondées sur l’opinion d’expert du Dr Matshes, décrite plus tard comme [traduction] « déraisonnable » dans un examen par des pairs (voir d.a., vol. V, p. 36; d.a., vol. VIII, p. 17‑18). Cet examen non communiqué des conclusions de l’autopsie pratiquée par le Dr Matshes dans 14 causes distinctes a conclu que son opinion était déraisonnable dans 13 des 14 causes auxquelles il était fait référence (m.a., par. 62; d.a., vol. VI, p. 122‑164), y compris la cause de l’enfant en l’espèce (d.a., vol. VI, p. 160). Bien qu’il y ait eu des avis d’experts médicaux contradictoires dans cette cause, je note que, dans l’arrêt Doyle, la cour a conclu qu’une diversité d’opinions parmi les experts minait la perspective d’une déclaration de culpabilité et elle a prononcé un acquittement plutôt que d’accéder à la demande de la Couronne qui souhaitait la tenue d’un nouveau procès (par. 12 et 15). Toute preuve d’expert présentée dans le cadre d’un nouveau procès théorique ferait l’objet de contestations similaires.
[217] Deux derniers facteurs liés sont pertinents dans la cause de Mme Bouvette : le problème des faux plaidoyers de culpabilité et la vulnérabilité de certaines personnes accusées en particulier.
[218] Le problème des « faux » plaidoyers de culpabilité est de plus en plus reconnu, en raison d’une prise de conscience et d’une préoccupation accrues à l’égard des déclarations de culpabilité injustifiées (Roach (2023), p. 19‑20). La juge Pomerance (plus tard juge de la Cour d’appel) a reconnu que de nombreux accusés font face à une situation sans issue : [traduction] « . . . une personne innocente dans les faits peut avoir le sentiment qu’un plaidoyer de culpabilité est le moindre des deux maux — elle se retrouve à faire un choix entre le marteau et l’enclume. Le coût de maintenir son innocence — que ce soit sur les plans financier, émotionnel, familial, carcéral ou autre — peut sembler trop élevé » (R. c. McIlvride-Lister, 2019 ONSC 1869, 373 C.C.C. (3d) 490, par. 60; voir aussi C. Sherrin, « Guilty Pleas from the Innocent » (2011), 30 Windsor Rev. Legal Soc. Issues 1, p. 34). Les faux plaidoyers peuvent survenir pour de nombreuses raisons, notamment un conseil incompétent, une pression indue, un dossier apparemment solide pour la Couronne, ou l’omission par le tribunal de poser les questions nécessaires à la personne accusée (voir, p. ex., R. c. Hanemaayer, 2008 ONCA 580, 234 C.C.C. (3d) 3, par. 11; Kumar, par. 34). Les tribunaux peuvent annuler un plaidoyer de culpabilité lorsqu’une absence de communication importante aurait pu avoir une incidence sur la décision de l’accusé de plaider coupable (Taillefer, par. 90).
[219] Dans le même ordre d’idée, les groupes vulnérables, dont les femmes, les Autochtones, les personnes racisées et celles ayant des difficultés cognitives sont victimes de manière disproportionnée de faux plaidoyers de culpabilité (Roach (2023), p. 20‑27; voir aussi A. Carling, « A Way to Reduce Indigenous Overrepresentation : Prevent False Guilty Plea Wrongful Convictions » (2017), 64 Crim. L.Q. 415, p. 419). La Commission Marshall a donné lieu à des discussions approfondies sur le rôle du racisme dans les déclarations de culpabilité injustifiées plus généralement. En définitive, la Commission a reconnu devoir tirer la conclusion [traduction] « irréfutable » que M. Marshall avait été déclaré coupable de manière injustifiée « parce qu’il était Autochtone » (Rapport Marshall, vol. I, p. 17; voir J. Mannette, dir., Elusive Justice : Beyond The Marshall Inquiry (1992); B. H. Wildsmith, « Getting at Racism : The Marshall Inquiry » (1991), 55 Sask. L. Rev. 97). Plus récemment, les déclarations de culpabilité injustifiées au Manitoba de deux hommes autochtones, Brian Anderson et Allan Woodhouse, ont été mises au jour près de 50 ans plus tard lorsque de nouveaux éléments de preuve ont suggéré que leurs aveux ne correspondaient pas à leur niveau d’anglais, leur langue seconde. Après que la tenue d’un nouveau procès a été ordonnée par le ministre de la Justice, le poursuivant a déclaré en audience publique que [traduction] « [d]ans cette cause, le racisme systémique a eu une incidence sur l’enquête, sur la poursuite, de même que sur la décision » (Roach (2024), p. 226).
[220] Des universitaires ont aussi souligné l’incidence disproportionnée des erreurs judiciaires sur les groupes vulnérables, comme les femmes, les Autochtones et les personnes souffrant de maladies mentales ou ayant des difficultés cognitives (D. Parkes et E. Cunliffe, « Women and wrongful convictions : concepts and challenges » (2015), 11 Int’l J. L. Context 219; K. Roach, « The Wrongful Conviction of Indigenous People in Australia and Canada » (2015), 17 Flinders L.J. 203). Le professeur Roach a observé que les Autochtones peuvent avoir plus de difficultés à clamer leur innocence ou être plus enclins à plaider coupables pour un crime qu’ils soutiennent ne pas avoir commis (p. 212‑213). Ces circonstances peuvent exacerber les conséquences personnelles d’une erreur judiciaire sur l’appelant; elles sont aussi révélatrices d’incidences systémiques compte tenu de la surreprésentation des Autochtones dans le système judiciaire.
[221] La Cour d’appel, aux par. 101 et 110, a accepté le témoignage suivant de Mme Bouvette : [traduction] « Je ne pensais pas être responsable de la mort de [l’enfant]. Mais, [l’avocat de la défense] m’a dit que je devrais accepter l’offre d’un plaidoyer de culpabilité. [. . .] J’avais l’impression de ne pas avoir d’autre choix que de plaider coupable. Je voulais sortir de prison et je faisais face à 25 ans. » Madame Bouvette s’est retrouvée prise comme on dit entre le marteau et l’enclume, et considérablement désavantagée compte tenu de l’omission de la Couronne de lui avoir communiqué des renseignements pertinents. Madame Bouvette est une femme autochtone marginalisée qui vit avec des problèmes cognitifs et ses vulnérabilités ont contribué à l’erreur judiciaire (motifs de la C.A., par. 101, 107 et 110). Même si la Couronne a convenu qu’un tribunal conclurait au caractère involontaire de sa quatrième déclaration à la police, je note que durant l’interrogatoire qui a duré cinq heures, elle a dit à la police qu’elle ne comprenait pas pourquoi elle était là, et elle a expliqué qu’elle avait un trouble d’apprentissage (par. 32). Je souscris à l’observation de la Cour d’appel selon laquelle « [i]l n’est pas difficile de concevoir pourquoi, sans disposer de renseignements cruciaux susceptibles de l’aider, cette appelante marginalisée, dépassée par les événements et présentant une déficience intellectuelle, inscrirait un plaidoyer de culpabilité à l’égard d’une infraction moindre » (par. 110).
[222] Le fait que cette cause comporte les caractéristiques procédurales et substantielles d’une déclaration de culpabilité injustifiée pèse lourdement en faveur d’un acquittement.
b) La possibilité de tenir un nouveau procès et la solidité de la preuve restante
[223] Les cours d’appel, parfois de manière inconsistante, ont pris en compte les perspectives de déclaration de culpabilité ou d’acquittement ainsi que la probabilité qu’un nouveau procès ait lieu lorsqu’elles ont déterminé la mesure corrective pour une erreur judiciaire. À mon avis, puisque les deux réparations possibles en application du par. 686(2) consistent à inscrire un acquittement ou à ordonner un nouveau procès, la solidité de la preuve restante de la Couronne et ce qu’il surviendrait en matière de processus si la tenue d’un nouveau procès était ordonnée sont des considérations très pertinentes.
[224] La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique était d’avis que, puisqu’il n’était pas impossible de tenir un nouveau procès pour Mme Bouvette, et qu’elle ne disposait pas d’un dossier complet comme dans Truscott, elle ne pouvait pas ordonner un acquittement. Soit dit en tout respect, ces erreurs ont été le fruit d’une mauvaise interprétation de la décision Truscott. Dans la présente section, j’analyserai d’abord cette décision, les propositions qu’elle a établies et comment elle ne peut être distinguée sur ce fondement. Je m’inspirerai ensuite de ses principes, et d’autres, pour fournir des indications sur la manière d’évaluer la solidité de la preuve restante, la probabilité d’un hypothétique nouveau procès, et la manière dont l’équité peut influer sur ces évaluations.
(i) La cause Truscott
[225] La décision Truscott de 2007 a été le point culminant d’un processus qui a duré des décennies durant lesquelles M. Truscott s’est battu pour que sa déclaration de culpabilité injustifiée soit réparée et que son nom soit blanchi.
[226] En 1959, à l’âge de 14 ans, M. Truscott a subi un procès comme adulte pour le meurtre de Lynne Harper, âgée de 12 ans; il a été déclaré coupable au terme d’un procès d’une durée de deux semaines et condamné à mort par pendaison, une peine qui a fini par être commuée. Ses appels ont été rejetés (Reference re Truscott, [1967] R.C.S. 309). Il a purgé une peine de plus de 10 ans dans une école de formation pour garçons et dans un pénitencier avant de bénéficier d’une libération conditionnelle en 1969. Monsieur Truscott a continué à clamer son innocence et la cause a fait l’objet d’une attention soutenue durant près de 50 ans tant dans les forums juridiques que non‑juridiques (Truscott, par. 13‑24 et 71).
[227] Monsieur Truscott a demandé un examen de sa déclamation de culpabilité au ministre de la Justice en 2001, et celui‑ci a renvoyé la cause à la Cour d’appel de l’Ontario (voir les par. 22‑24). Une formation de cinq membres, composée du juge en chef McMurtry ainsi que des juges Doherty, Weiler, Rosenberg et Moldaver, a été chargée d’enquêter sur la solidité de la déclaration de culpabilité pour meurtre de M. Truscott. Non seulement ont‑ils examiné l’ensemble du dossier, mais ils ont reçu une quantité importante de nouveaux éléments de preuve, y compris de la preuve de vive voix d’individus qui ont témoigné devant eux (par. 25‑27).
[228] En dépit du caractère unique du renvoi Truscott, la cour a reconnu qu’elle était tout de même liée par les limites de l’examen en appel prévu au Code (par. 70, 72 et 74‑75). Elle a reconnu que [traduction] « [r]elativement peu de choses [ont été] écrites quant aux principes guidant l’exercice du pouvoir discrétionnaire de réparation prévu au par. 686(2) » et que la jurisprudence offrait « peu d’indications » relativement à la question de savoir quand il est approprié de prononcer un acquittement plutôt que d’ordonner un nouveau procès en prescrivant un arrêt des procédures (par. 247 et 249). La cour a cherché à combler cette lacune et a formulé ce qu’elle comprenait être les principes de base qui s’appliquaient à l’exercice de ses pouvoirs de réparation.
[229] Premièrement, elle a observé que, lorsqu’une cour d’appel annule une déclaration de culpabilité, le par. 686(2) prévoit deux mesures de réparation : un acquittement ou un nouveau procès (par. 246).
[230] Deuxièmement, elle a noté que, si la cour ordonne un nouveau procès, le par. 686(8) l’autorise à aussi ordonner un arrêt du nouveau procès lorsque la tenue de celui‑ci [traduction] « serait manifestement injuste envers l’appelant » (par. 246).
[231] Troisièmement, elle a ajouté que, lorsqu’il est manifeste qu’aucun jury raisonnable ne pourrait conclure à la culpabilité, [traduction] « la cour d’appel doit exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur d’un acquittement » (par. 247). Cependant, la cour n’a pas ordonné l’acquittement de M. Truscott sur ce fondement, parce que les juges se sont dits incapables de conclure qu’il avait été satisfait au seuil élevé du verdict déraisonnable.
[232] Quatrièmement, et en lien avec le point précédent, la cour a jugé que, [traduction] « [e]n règle générale », la cour d’appel ordonne un nouveau procès pour cause d’erreur judiciaire lorsque le dossier d’appel permet d’envisager une possibilité raisonnable de déclaration de culpabilité (par. 248).
[233] Cinquièmement, et ce qui est le plus pertinent dans le présent pourvoi, elle a reconnu que certaines causes sont « hors norme » (par. 259; voir aussi les par. 253 et 257‑258). Elle a rejeté la position de la Couronne selon laquelle un acquittement ne peut être inscrit que lorsqu’aucun jury raisonnable ne peut conclure à la culpabilité et a plutôt jugé que [traduction] « [l]e pouvoir discrétionnaire de réparation prévu au par. 686(2) est suffisamment large pour autoriser un examen plus en profondeur du dossier de preuve dans les causes où l’intérêt de la justice requiert de recourir à cette approche » (par. 259).
[234] Concluant que la cause dont elle était saisie ne constituait pas un appel courant, la cour a examiné de nombreux facteurs qui justifiaient d’adopter une approche différente pour donner réparation. Ces facteurs comprenaient : la conclusion que la déclaration de culpabilité de M. Truscott avait été une erreur judiciaire; le fait qu’il a maintenu son innocence depuis la nuit de la disparition de Lynne Harper; le fait qu’il a vécu en portant le fardeau d’une erreur judiciaire; la faiblesse de la cause de la Couronne à la lumière du dossier plus étoffé; et l’absence d’un autre forum qui pourrait un jour évaluer la culpabilité sur le fondement d’un [traduction] « dossier complet » (par. 260). En évaluant les circonstances globales de l’affaire, la cour a également jugé important que, près de 50 ans après les faits, il était impossible de tenir un nouveau procès (par. 73 et 259).
[235] Le processus auquel a recouru la cour pour déterminer comment elle exercerait son pouvoir discrétionnaire de réparation a consisté à envisager la tenue d’un hypothétique nouveau procès. La Couronne refusait d’informer la cour de ce qu’elle ferait advenant la tenue d’un nouveau procès; la cour a néanmoins examiné le bien-fondé de la cause en cours contre M. Truscott sur le fondement du dossier étoffé. Les juges ont appliqué la norme suivante : M. Truscott aurait droit à un acquittement si [traduction] « compte tenu de tous les renseignements maintenant disponibles, il est manifestement plus probable qu’improbable que l’appelant serait acquitté » à ce procès (par. 268).
[236] Ainsi, la Cour d’appel a acquitté M. Truscott après avoir annulé sa déclaration de culpabilité sur le fondement d’une erreur judiciaire, dans une cause où il n’était pas satisfait à la norme du verdict déraisonnable, parce que l’intérêt de la justice exigeait un contrôle plus en profondeur du dossier et démontrait clairement que M. Truscott aurait probablement été acquitté lors de tout hypothétique nouveau procès. Certes, la cour se prononçait certainement sur les circonstances spécifiques soulevées dans la cause dont elle était saisie, mais elle a aussi reconnu une approche large et souple permettant de conclure à un acquittement dans les cas d’erreurs judiciaires et y a recouru, une approche qui a depuis été prise en compte par plusieurs cours d’appel (voir, p. ex., Walsh; D.R.S.; Dhillon, par. 54; Ostrowski, par. 25‑26). À l’instar de l’appelante, j’estime que, dans Truscott, la cour n’avait pas l’intention d’établir un cadre d’analyse exhaustif ou exclusif (m.a., par. 94‑96).
[237] Contrairement aux conclusions de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans la cause de Mme Bouvette, la Cour d’appel dans Truscott n’a pas requis ou parlé d’une « approche exceptionnelle de la réparation » visée au par. 686(2). Elle a mentionné des cas qui étaient hors norme, ce qui est un concept différent. La Cour d’appel n’avait pas à être convaincue que le cas de Mme Bouvette était « suffisamment exceptionnel » pour justifier son application (par. 137; voir aussi les par. 115 et 138). Cependant, même si le sens de l’adjectif « exceptionnel » est étiré pour comprendre les cas hors norme, les caractéristiques procédurales et substantielles d’une déclaration de culpabilité injustifiée ainsi que les circonstances de Mme Bouvette exigent un examen rigoureux dans l’intérêt de la justice.
[238] La décision Truscott ne peut pas être distinguée non plus du fait qu’il n’était pas possible de tenir un nouveau procès pour M. Truscott, tandis qu’il était toujours théoriquement possible de le faire pour Mme Bouvette. Il s’agissait d’un facteur pertinent dans Truscott, non pas d’un prérequis juridique pour prononcer un acquittement. Lorsqu’on lit les passages pertinents de la décision dans leur ensemble, l’impossibilité de tenir un nouveau procès n’a pas été proposée comme une condition préalable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire visé au par. 686(2) dans toutes les causes. La cour a souligné combien le pouvoir discrétionnaire que confère cette disposition est large, et elle a jugé que l’incapacité de faire subir un nouveau procès à M. Truscott était un facteur parmi d’autres qui avait justifié d’adopter une telle approche pour assurer l’équité et la finalité dans cette cause (par. 259‑267).
[239] Ainsi, sur le plan du principe juridique, il n’incombe pas aux appelants d’établir qu’il est impossible de tenir un nouveau procès si l’intérêt de la justice dans leur cause justifie autrement un examen approfondi de l’opportunité d’un acquittement, y compris une évaluation du bien‑fondé de l’accusation (Truscott, par. 259 et 263). La Couronne s’est également prononcée contre cette norme invoquant que le sens du terme [traduction] « impossible » n’est pas clair dans le contexte d’un nouveau procès, surtout parce qu’il est toujours théoriquement possible d’en tenir un (transcription, p. 63, 65 et 67). Je suis d’accord que de requérir que la tenue d’un nouveau procès soit impossible serait aussi irréalisable d’un point de vue pratique.
[240] Il ne faudrait pas non plus accorder trop de poids à la conclusion de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique que son dossier était incomplet, tandis que la cour dans Truscott avait l’avantage de disposer d’un dossier complet pour évaluer la culpabilité (par. 114‑115 et 138‑139). Tous les appels n’ont pas un dossier semblable à celui dans Truscott, et n’ont pas à en avoir un, avant que le tribunal puisse exercer son large pouvoir discrétionnaire de réparation. Dans Truscott, la cour a souligné à plusieurs reprises les [traduction] « circonstances uniques » de cette affaire et a rendu une décision très longue et réfléchie, dont la majeure partie a été consacrée à l’évaluation des nouveaux éléments de preuve. Il serait pratiquement impossible d’avoir un tel dossier dans la plupart des appels, même ceux qui sont hors norme en raison d’une possible déclaration de culpabilité injustifiée, et son absence ne devrait pas empêcher un appelant de solliciter un acquittement, en partie parce qu’une telle exigence créerait une contrainte excessive et inutile pour les ressources limitées des parties, de la société et de l’appareil judiciaire. J’accepte que le dossier dont la cour a été saisie dans l’affaire Truscott puisse être qualifié d’idéal, mais je conviens néanmoins avec la Couronne que de prescrire une exigence aussi stricte serait excessif et indûment préjudiciable pour de nombreux appelants qui ont subi une erreur judiciaire (m.i., par. 95‑96; transcription, p. 66).
[241] En outre, la nature même de l’erreur judiciaire établie peut empêcher un appelant de bâtir ce qu’un « dossier complet » semble exiger. À titre d’exemple, des renseignements peuvent ne plus être disponibles en raison de l’écoulement du temps, un manque de preuve, ou lorsque l’omission par l’État de communiquer de la preuve a eu une incidence sur la capacité de confronter la preuve au procès. Comme je l’expliquerai ci‑après, la cour d’appel doit évaluer la solidité des arguments de la Couronne dans le contexte de la cause dans son ensemble, et ne pas s’opposer à un acquittement uniquement parce qu’un dossier n’est pas « complet ».
(ii) La solidité de la preuve de la Couronne
[242] Je reconnais que, lorsqu’il serait inévitablement satisfait à la norme exigeante prévue au sous‑al. 686(1)a)(i) pour conclure à un verdict déraisonnable dans le cadre d’un nouveau procès, l’acquittement devrait être la mesure que la cour est présumée ordonner, et ce, même si d’autres moyens d’appel ont été plaidés ou acceptés, car il est dans l’intérêt de la justice, de l’équité et de l’efficacité que l’ordonnance définitive que constitue l’acquittement soit rendue en appel. Comme la cour l’a expliqué dans l’arrêt Truscott, lorsqu’une déclaration de culpabilité prononcée à l’issue d’un nouveau procès serait vraisemblablement annulée au motif qu’il s’agit d’un verdict déraisonnable, la cour ne donnerait pas à la Couronne une autre occasion de présenter sa preuve (par. 247).
[243] Toutefois, à l’instar de ce que la Couronne a soutenu sans succès devant la cour dans l’affaire Truscott (par. 253 et 255), un des intervenants, le PGO, a fait également valoir devant nous que la cour d’appel ne devrait prononcer l’acquittement que lorsqu’elle conclut qu’aucun jury raisonnable ne pourrait rendre un verdict de culpabilité (m.interv., par. 8). Je n’accepte pas cet argument. Comme le permet le Code, et comme l’arrêt Truscott l’a reconnu, les tribunaux conservent, en vertu du par. 686(2), le pouvoir discrétionnaire d’évaluer la solidité de la preuve de la Couronne sans se référer à cette norme stricte; une norme moins exigeante peut justifier un acquittement, compte tenu de l’ensemble des circonstances.
[244] Importer la norme Yebes/Biniaris pour prétendre qu’il s’agit du seul motif justifiant un acquittement pour cause d’erreur judiciaire va à l’encontre du vaste pouvoir explicitement conféré au par. 686(2), comme nous avons vu plus tôt. Dans l’arrêt Yebes, la Cour a précisé que les cours d’appel appliquent cette norme juridique pour déterminer si un verdict est « déraisonnable », reprenant ainsi le libellé du sous‑al. 613(1)a)(i) (maintenant l’al. 686(1)a)) (p. 180‑183 et 185; voir aussi Biniaris CSC, par. 24). Bien que les tribunaux aient utilisé cette norme pour justifier l’acquittement pour cause d’erreur judiciaire, rien dans le sous‑al. 686(1)a)(iii) ou le par. 686(2) ne les y oblige (voir, p. ex., Hinse 1997; Walsh; Truscott, par. 247; Dhillon, par. 50). Dans l’arrêt Hinse 1997, la Cour a appliqué cette norme pour prononcer l’acquittement afin de réparer une erreur judiciaire (par. 2), mais nulle part dans son jugement manuscrit de trois paragraphes, le juge Gonthier ne prétend‑il que cette norme est la seule voie à suivre pour prononcer un acquittement. Bref, il s’agit d’un fondement suffisant, mais non nécessaire, pour inscrire un acquittement.
[245] Plus important encore, le critère du verdict déraisonnable est une norme stricte qui est mal adaptée aux difficultés particulières que pose la preuve en cas d’erreur judiciaire. De fait, dans l’arrêt Yebes lui‑même, l’arrêt fondamental de la Cour confirmant le critère du verdict déraisonnable, la Cour a refusé d’annuler la déclaration de culpabilité injustifiée de Tomas Yebes (Roach (2024), p. 225). En raison de l’erreur judiciaire qui a été commise, le dossier dont dispose la cour d’appel peut être différent de ce qu’il aurait pu être si l’enquête et le procès s’étaient déroulés comme il se devait. Le cas de Mme Bouvette en est un exemple : comme des éléments de preuve importants ne lui ont pas été communiqués et qu’elle a fini par plaider coupable, la cour d’appel ne disposait d’aucun dossier de première instance.
[246] À mon avis, lorsqu’il s’agit de déterminer si l’acquittement est justifié dans l’intérêt de la justice, la norme appliquée dans l’arrêt Truscott — en l’occurrence la question de savoir si le dossier modifié ou plus étoffé soumis en appel montre clairement qu’il est plus probable qu’improbable qu’un nouveau procès se solderait par un acquittement en appliquant la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable (par. 268) — établit un juste équilibre entre l’importance de la solidité des preuves à charge et les circonstances particulières des affaires qui présentent les caractéristiques d’une déclaration de culpabilité injustifiée. Cette démarche souple se justifie par les difficultés et l’injustice que peut engendrer l’application de critères stricts dans les cas hors norme, de même que par l’utilisation judicieuse des ressources judiciaires limitées.
[247] La solidité de la preuve de la Couronne est sans aucun doute un facteur dont le tribunal peut tenir compte pour déterminer la réparation à accorder dans l’intérêt de la justice. Lorsqu’il est évident aux yeux du tribunal qu’un acquittement est plus probable qu’improbable, l’intérêt qu’a le public quant à la tenue d’un nouveau procès peut être minime, mais, lorsque la preuve est très solide, cet intérêt est plus élevé. Comme l’a souligné le juge Binnie dans l’arrêt R. c. Jolivet, 2000 CSC 29, [2000] 1 R.C.S. 751, au sujet de la disposition réparatrice, ordonner la tenue d’un nouveau procès « soulève des questions importantes relativement à l’administration de la justice et à l’affectation adéquate des ressources » (par. 46). La norme appliquée par le tribunal dans l’arrêt Truscott permet à une cour d’appel d’évaluer ce facteur important avec suffisamment de souplesse pour tenir compte des circonstances qui entourent l’erreur judiciaire et qui peuvent affaiblir les faits à l’origine de la déclaration de culpabilité initiale et avoir une incidence sur le dossier soumis à la cour d’appel.
[248] Déterminer si un acquittement est plus probable qu’improbable en appliquant la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable est un exercice d’appréciation dans le cadre duquel il faut tenir compte de l’expérience judiciaire, comme c’est le cas par exemple lors d’un contrôle en appel pour déterminer si le verdict est déraisonnable (voir, p. ex., Biniaris CSC, par. 39‑41; voir aussi Penney, Rondinelli et Stribopoulos, ¶18.7‑18.8). J’insiste toutefois sur le fait que l’existence d’un « dossier complet » — c’est‑à‑dire d’un dossier équivalent à celui qui aurait pu être soumis au juge des faits n’eût été l’erreur judiciaire — ne devrait pas être une condition préalable à l’examen de cette question par les cours d’appel. Des considérations d’équité exigent que, lorsque l’aptitude de la cour d’appel à se prononcer sur le fond de l’affaire a été compromise à la suite d’une erreur judiciaire, toute ambiguïté pouvant en découler ne doive pas porter préjudice à l’appelant. De plus, la conclusion tirée par le tribunal au vu du dossier doit être appréciée en tenant compte d’autres facteurs pertinents, y compris la probabilité qu’un nouveau procès ait effectivement lieu, de même que le caractère équitable de l’espèce, deux aspects sur lesquels je reviendrai plus loin.
(iii) Position de la Couronne sur le nouveau procès et la réparation
[249] Étant donné que l’acquittement et la tenue d’un nouveau procès sont les deux réparations prévues au par. 686(2), les cours d’appel doivent examiner la probabilité raisonnable qu’un nouveau procès ait effectivement lieu et se demander si, advenant qu’il s’en tienne un, il se résumerait à ce que la Couronne ne dépose pas de preuve. Comme je l’ai déjà expliqué, le critère de l’acquittement ne consiste pas à se demander si la tenue d’un nouveau procès est impossible, et ce, même si cette conclusion militerait fortement en faveur de l’acquittement. Étant donné la difficulté de définir ce qu’il faut entendre par la tenue « impossible » d’un nouveau procès, les tribunaux doivent la plupart du temps plutôt juger de la probabilité d’un nouveau procès. Cette évaluation objective peut être fondée sur les faits portés à la connaissance du tribunal, ainsi que sur les observations des parties. À titre d’exemple, il se peut qu’un témoin clé soit décédé (Reference re : Phillion, 2009 ONCA 202, 241 C.C.C. (3d) 193, par. 241); il se peut que, en raison du temps écoulé, il ne soit plus possible d’obtenir certains éléments de preuve (Truscott, par. 254 et 266); ou il se peut que la Couronne admette de son plein gré que la tenue d’un nouveau procès n’est pas une option réaliste (Walsh, par. 96).
[250] Si on lui demande d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi pour accorder la réparation que constitue la tenue d’un nouveau procès, la cour d’appel bénéficierait de renseignements complets des deux parties sur la probabilité qu’un nouveau procès soit effectivement tenu et sur son issue probable (voir, p. ex., Ostrowski, par. 2; R.V., par. 77; Phillion, par. 241‑242). Si elle réclame la tenue d’un nouveau procès, la Couronne devrait être en mesure de faire connaître ses véritables intentions quant à savoir si elle donnera effectivement suite à la poursuite demandée dans un délai raisonnable, sachant qu’elle peut changer d’avis et opter pour une autre solution, sous réserve uniquement d’un contrôle judiciaire pour abus de procédure (R. c. Nixon, 2011 CSC 34, [2011] 2 R.C.S. 566, par. 31 et 64).
[251] Compte tenu de tout ce qu’il sait, le tribunal doit se demander si, objectivement, il existe une probabilité raisonnable qu’un nouveau procès ait lieu. Les cours d’appel doivent se demander s’il est équitable que l’accusé soit de nouveau mis en péril et tenir compte des ressources sociétales et judiciaires nécessaires à la tenue d’un nouveau procès. L’analyse objective du tribunal ne porte pas en soi sur la question de savoir si la Couronne intentera de nouvelles poursuites, mais plutôt sur la probabilité qu’elle puisse le faire.
[252] Si un procès peut et doit avoir lieu, le tribunal peut en tenir compte pour évaluer le bien‑fondé de l’affaire et le caractère équitable de l’espèce afin de déterminer la réparation appropriée. Toutefois, si la Couronne s’engage comme elle l’a fait en l’espèce à ne présenter aucune preuve en cas de nouveau procès, comme c’est le cas lorsqu’un nouveau procès est théoriquement impossible, cet engagement militera fortement en faveur de l’acquittement (transcription, p. 41‑42). Le paragraphe 686(2) confère aux cours d’appel le pouvoir discrétionnaire de prononcer l’acquittement en pareil cas, évitant ainsi un gaspillage des ressources judiciaires et épargnant d’autres souffrances à l’accusé, aux victimes et à leur famille (voir R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631, par. 2).
[253] Finalement, il importe de souligner qu’il y a lieu d’accorder un poids considérable à la position adoptée par la Couronne au sujet de la réparation, en particulier lorsqu’elle admet qu’il convient de prononcer un acquittement. La Couronne est bien placée, peut‑être plus que tout autre intervenant du système judiciaire, pour procéder à cette évaluation, car elle peut avoir accès à des renseignements importants dont ne dispose pas le tribunal. Il est rare que la Couronne invite la cour à prononcer un acquittement, et cette position révèle sans doute sa perception de la gravité de l’erreur judiciaire sous‑jacente et de son respect de son obligation de tenir compte de l’intérêt public (Boucher, p. 23‑24).
[254] Je tiens toutefois à signaler que la décision finale d’accepter la concession de la Couronne à ce sujet ou d’inscrire l’acquittement lorsque la Couronne a indiqué qu’elle ne présenterait pas de preuve si un nouveau procès était ordonné relève entièrement du pouvoir discrétionnaire conféré à la cour d’appel en vertu du par. 686(2). C’est aux cours d’appel que le législateur a conféré le pouvoir en matière d’acquittement et non à la Couronne.
[255] Même lorsque la poursuite consent à un acquittement, les tribunaux doivent être convaincus que ce dernier est approprié. Bien que cela puisse être rare, ils conservent le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la tenue d’un nouveau procès si l’intérêt de la justice ne commande pas l’inscription d’un acquittement. En pareil cas, la cour d’appel qui renoncerait à son rôle de surveillance et inscrirait l’acquittement uniquement en raison de la position de Couronne risquerait de compromettre son intégrité.
[256] Même lorsque la poursuite consent à un acquittement et confirme qu’elle ne présentera aucune preuve, il est de jurisprudence constante que les [traduction] « tribunaux ne sont pas liés par les admissions de droit, qu’elles soient faites par la Couronne ou par l’accusé » (R. c. Robertson, 2021 SKCA 125, 495 C.R.R. (2d) 31, par. 14, citant R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297, par. 100; R. c. Elshaw, [1991] 3 R.C.S. 24, p. 48, la juge L’Heureux‑Dubé, dissidente). Comme notre Cour l’a affirmé dans R. c. Barton, 2019 CSC 33, [2019] 2 R.C.S. 579, [traduction] « [n]ul n’a le droit au Canada de faire sa propre loi » (par. 96).
[257] Comme dans le cas de l’examen d’un plaidoyer offert en application du par. 606(4) ou d’une recommandation conjointe sur la mise en liberté sous caution, sur la détermination de la peine ou sur le cadre juridique, les tribunaux conservent toujours un droit de regard (voir, p. ex., Anthony‑Cook, par. 3; Antic, par. 68; Zora, par. 105; Pickton, par. 27; Akram, par. 58). La poursuite [traduction] « dispose d’une marge de manœuvre illimitée pour faire respecter le droit criminel comme elle l’entend et pour décider des accusations qui seront portées, à ceci près qu’elle ne peut demander au tribunal d’acquitter l’accusé de l’accusation précise dont la cour se trouve saisie »; cependant, une fois les poursuites engagées, les tribunaux jouent un rôle important en ce qui concerne la décision d’acquitter ou non l’accusé (R. c. Naraindeen (1990), 75 O.R. (2d) 120 (C.A.), p. 127).
[258] À mon avis, une position conjointe que font valoir la Couronne et la défense selon laquelle un acquittement est la réparation appropriée inspirera le respect et la déférence qui sont habituellement accordés aux recommandations conjointes. Dans un tel cas, on peut supposer que chaque partie a examiné en profondeur le bien‑fondé de l’appel, l’issue probable de tout hypothétique nouveau procès, ainsi que la possibilité et l’opportunité d’un acquittement à titre de réparation. Lorsque la Couronne sollicite un acquittement, la cour peut tenir pour acquis que le caractère équitable global relatif à la cause et la probabilité d’un nouveau procès penchent en faveur d’un acquittement, sous réserve d’éléments de preuve qui indiqueraient clairement d’adopter la position inverse. Cette approche est compatible avec la présomption selon laquelle la Couronne agit dans l’intérêt public et de bonne foi (Boucher, p. 24; Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248, par. 95). Elle souligne également l’attente que l’on a envers la Couronne selon laquelle celle‑ci se prononce sur le caractère plus probable qu’improbable d’un acquittement lorsqu’elle plaide en faveur d’une telle mesure réparatrice.
[259] Bien que les tribunaux doivent faire preuve de déférence lorsqu’ils examinent si un acquittement est approprié dans les circonstances de la cause dont ils sont saisis, comme pour toutes les recommandations conjointes, ils doivent tout de même procéder à une évaluation judiciaire indépendante du dossier et des arguments et être convaincus du bien‑fondé de l’acquittement. La déférence envers une recommandation conjointe peut vouloir dire que l’évaluation par le tribunal du reste de la cause n’a pas à être aussi rigoureuse qu’elle l’aurait été si les parties n’avaient pas été d’accord. En conséquence, si la recommandation conjointe présentée au tribunal spécifie que c’est un acquittement qui constituerait la juste réparation, le tribunal peut se demander si, sur le fondement d’un simple examen du dossier, un jury dûment instruit pourrait conclure qu’il est plus probable qu’improbable qu’un nouveau procès de l’accusé se solderait par un acquittement en appliquant la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable.
[260] L’approche que je préconise permet d’établir un juste équilibre entre le fait de garantir que les tribunaux demeurent les gardiens de la primauté du droit et celui de respecter le rôle quasi judiciaire unique des procureurs de la Couronne à titre de ministres de la justice. Les tribunaux ont adopté une approche sommaire similaire lorsque la Couronne concède qu’un acquittement est la mesure de réparation appropriée (Mullins-Johnson; Hanemaayer; Sherret-Robinson; Kumar, par. 37; Brant, par. 3; Shepherd, par. 20).
[261] En l’espèce, la Couronne a concédé que le pourvoi devait être accueilli et que l’acquittement devait être prononcé (m.i., par. 7 et 103‑109). Cette concession indique qu’il s’agit de la réparation qu’il convient d’accorder dans ces circonstances. Comme elle a conclu qu’elle devait demander à notre Cour d’inscrire un acquittement, la procureure de la Couronne, en tant que quasi‑ministre de la justice, aurait déjà évalué la solidité de sa preuve en cas de nouveau procès et tenu compte de l’intérêt public à la tenue d’un nouveau procès. En dépit de la concession de la Couronne, notre Cour, à titre de gardienne de la primauté du droit, n’abdique pas son rôle de surveillance pour s’assurer qu’il est satisfait aux intérêts de la justice.
[262] L’examen de la preuve dans la présente cause ne permet pas non plus de conclure à l’existence d’un intérêt public à la tenue d’un nouveau procès. La Couronne a en outre déclaré que, si un nouveau procès était ordonné, elle interpellerait Mme Bouvette, ne produirait aucune preuve et demanderait au tribunal d’inscrire un acquittement (transcription, p. 41‑42). Ces éléments d’information sur la viabilité d’un nouveau procès indiquent clairement que la Couronne n’entend pas donner suite à l’accusation qui pèse encore contre Mme Bouvette.
[263] De plus, comme la Couronne l’a reconnu devant la Cour d’appel, la preuve qu’elle pourrait présenter dans le cadre d’un nouveau procès est [traduction] « faible » (par. 135). Les nouveaux éléments de preuve minent la crédibilité et la fiabilité de l’opinion du Dr Matshes. Lors de l’enquête préliminaire, ce dernier a affirmé que les services de santé de l’Alberta avaient procédé à un examen interne et n’avaient [traduction] « eu rien à redire » au sujet de son travail (d.a., vol. VII, p. 54). Les éléments de preuve non communiqués soulèvent un doute quant à l’affirmation du Dr Matshes, ce qui peut nuire à sa crédibilité. Les résultats non communiqués de l’examen auquel un comité externe d’examen par les pairs a procédé au sujet des conclusions tirées par le Dr Matshes dans plusieurs dossiers, et dans lequel ce comité a conclu que les avis que le Dr Matshes avait donnés dans 13 des 14 dossiers différents, y compris celui de l’enfant en l’espèce, étaient déraisonnables, compromettent gravement la perspective d’une déclaration de culpabilité fondée sur son témoignage (m.a., par. 62; d.a., vol. VI, p. 160). Il faut également rappeler que le médecin légiste en chef de l’Alberta, la Dre Sauvageau, a exprimé des réserves au sujet du travail du Dr Matshes. Je note également que, si la Couronne demandait l’avis d’un autre expert, la diversité des points de vue ainsi obtenus aurait sans aucun doute une incidence sur la fiabilité de cette opinion (voir Doyle, par. 12).
[264] Pour évaluer la preuve sous l’angle judiciaire, j’ai également tenu compte du fait que, en raison de l’erreur judiciaire, Mme Bouvette n’a pas été en mesure de contester l’opinion du Dr Matshes lors d’un procès dans lequel elle aurait eu accès aux éléments de preuve qui ne lui ont pas été communiqués (voir le m.i., par. 104). En outre, bien qu’elle n’ait produit aucun nouvel élément de preuve au moyen de témoignages de vive voix lors de son appel, cette décision s’explique par le fait que la Couronne avait reconnu devant la Cour d’appel que l’acquittement serait une réparation appropriée dans les circonstances (par. 100).
[265] Je conclus qu’il est plus probable qu’improbable que Mme Bouvette serait acquittée lors d’un hypothétique nouveau procès appliquant la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable. J’en arriverais à la même conclusion en dépit de l’exclusion du témoignage du Dr Matshes, ou, subsidiairement, si la crédibilité et la fiabilité de quelque témoignage d’expert étaient minées.
c) Le caractère équitable global de l’espèce
[266] Dans un certain nombre d’affaires, notre Cour et les cours d’appel provinciales ont prononcé des acquittements en se fondant sur des [traduction] « éléments qui ne faisaient pas partie de la preuve dont disposait le juge des faits » (Sopinka, Gelowitz et Rankin, ⁋4.46), c’est‑à‑dire des éléments de preuve qui ne concernent pas la solidité de la preuve présentée contre l’appelant. Le cadre d’analyse contextuel des acquittements proposé par la Couronne, et tiré de la jurisprudence, tient compte de facteurs tels que la situation de l’appelant, le temps écoulé et le tort causé à l’appelant en raison de l’erreur judiciaire (m.i., par. 107‑109). L’appelante soutient que le préjudice exceptionnellement grave qu’elle a subi justifie à lui seul son acquittement (m.a., par. 109‑110).
[267] Je conviens qu’une cour d’appel doit procéder à une appréciation du caractère équitable global de l’espèce lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu du par. 686(2). Cette démarche s’accorde avec la jurisprudence largement dominante, qui tient compte de facteurs étrangers au fond de l’affaire pour déterminer la réparation appropriée. Outre le préjudice grave que comporte intrinsèquement le fait de purger une peine qui peut être fondée sur une déclaration de culpabilité douteuse ou de devoir s’astreindre à de multiples instances pour faire annuler une déclaration de culpabilité, notre Cour a reconnu qu’il est « souvent difficile aux personnes accusées à tort de tels crimes de réintégrer pleinement la société et d’échapper à la stigmatisation et au traumatisme découlant de ces fausses accusations, surtout lorsqu’il n’y a pas eu d’acquittement » (Miazga c. Kvello (Succession), 2009 CSC 51, [2009] 3 R.C.S. 339, par. 2).
[268] Cependant, à mon avis, la prise en compte du caractère équitable ne peut pas à elle seule servir de fondement pour substituer un acquittement à un nouveau procès, surtout en présence d’un seul facteur (par exemple, l’exécution d’une peine) (voir Brouillard c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 39, p. 53; R. c. Vickerson, 2020 ONCA 434, par. 5‑8; R. c. O’Brien (1987), 10 Q.A.C. 135, par. 11‑12). Je reconnais que, dans Dunlop, la Cour a prononcé un acquittement parce que les accusés avaient purgé une partie de leurs peines et subi de multiples procès, mais cette cause a été tranchée bien avant que la Cour ne clarifie la portée du pouvoir d’un tribunal d’appel de prononcer un arrêt des procédures à titre de réparation (R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601, p. 612‑615 et 620; Hinse 1995, par. 20‑23).
[269] Les tribunaux doivent néanmoins procéder à une évaluation qualitative de la situation de l’appelant et du préjudice qu’il a subi, et subit peut‑être encore en raison de l’erreur judiciaire, dans le cadre de leur évaluation d’ensemble de la question de savoir s’il est dans l’intérêt de la justice de prononcer un acquittement. La jurisprudence suggère que les facteurs suivants sont parmi ceux qui sont pertinents :
a) l’appelant a déjà purgé l’intégralité ou une partie de sa peine (voir, p. ex., Dunlop; Dillabough; Boissonneault; D.R.S.; Tom; R. c. McArthur, 1999 ABCA 117, 232 A.R. 349, par. 15; Sargent; Sophonow; Karuranga);
b) l’appelant a fait l’objet d’une multitude de procès et d’appels (voir, p. ex., Dunlop; Sophonow);
c) le temps écoulé (D.R.S.; Truscott; Titong);
d) l’existence d’un préjudice personnel important, y compris le fardeau imposé à l’appelant et à sa famille par la stigmatisation associée à une déclaration de culpabilité (Truscott).
[270] En ce qui concerne les affaires dans lesquelles les tribunaux ont prononcé un acquittement parce que l’appelant avait déjà purgé une partie ou la totalité de sa peine, je ne suis pas d’accord avec la proposition du PGO selon laquelle l’affaire Dunlop — dans laquelle notre Cour a prononcé l’acquittement parce que l’appelant avait subi deux procès et deux appels et avait purgé une partie de sa peine (p. 900) — a été supplantée par l’arrêt Brouillard de notre Cour (m.interv., par. 23). En vertu du principe du stare decisis horizontal, notre Cour n’aurait pas pu [traduction] « s’écarter implicitement » intentionnellement de sa décision antérieure dans l’affaire Dunlop, sans l’avoir « indiqué explicitement » (L. David, Stare Decisis, The Charter and the Rule of Law in the Supreme Court of Canada (2020), p. 18 (italique omis); voir aussi la note 69). De plus, dans l’arrêt Brouillard, la Cour ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si, en général, il était possible de prononcer un acquittement en se fondant sur des facteurs étrangers au fond de l’affaire. Dans les circonstances de cette espèce, la Cour a plutôt rejeté l’argument selon lequel l’accusé devait être acquitté parce qu’il avait déjà purgé sa peine de probation (p. 53; voir aussi Vickerson, par. 8; O’Brien).
[271] Après m’être penchée sur le caractère équitable de l’espèce, je conclus qu’il milite fortement pour un acquittement. Madame Bouvette a déjà purgé la totalité de sa peine. Devant notre Cour, la Couronne a indiqué que la famille de la victime était sans réserve en faveur de son acquittement (transcription, p. 74). Cette déclaration de culpabilité a eu un effet dévastateur sur la vie de Mme Bouvette (d.s.a., onglet 3, par. 22‑39). Durant son incarcération, elle a été violemment agressée et traitée de [traduction] « tueuse de bébé », et elle a dû être placée en isolement (par. 29). En conséquence de son faux plaidoyer de culpabilité, elle a perdu la garde de ses quatre enfants, a eu des problèmes de toxicomanie et sa santé mentale a été gravement affectée (par. 22‑39). Selon ses propres mots, [traduction] « [à] cause de [ma] [c]ondamnation, j’ai tout perdu : mon nom, ma liberté, mes enfants et ma propre personne. Je suis mentalement perturbée et traumatisée. Je souffre d’une grave dépression et je n’arrive plus à sourire » (par. 32).
d) Mise en balance des facteurs
[272] En règle générale, lorsqu’il existe une possibilité raisonnable de déclaration de culpabilité, un nouveau procès devrait être ordonné, y compris lorsqu’il existe de nouveaux éléments de preuve qui ne sont pas suffisamment convaincants pour exclure une telle possibilité (Truscott, par. 247‑248; Stolar, p. 491‑492; Maciel, par. 46). Toutefois, comme le confirme la discussion qui précède, les tribunaux ont reconnu qu’il existe des situations dans lesquelles, malgré de telles circonstances, l’acquittement peut constituer une réparation appropriée. En pareil cas, le tribunal doit mettre en balance tous les facteurs pertinents pour déterminer si un nouveau procès ou un acquittement est requis dans l’intérêt de la justice.
[273] En exerçant ce pouvoir discrétionnaire, les tribunaux d’appel doivent accorder une importance primordiale à leur examen de la possibilité d’un nouveau procès et de la probabilité d’un acquittement ou d’une déclaration de culpabilité. Dans certains cas, il peut convenir d’ordonner la tenue d’un nouveau procès parce que la preuve restante de la Couronne est solide et l’emporte sur d’autres facteurs, même en tenant compte de l’incidence de l’erreur judiciaire sur le dossier. Lorsque la cause de la Couronne est solide et que la tenue d’un nouveau procès est raisonnablement probable, un acquittement sera rarement, voire jamais, justifié.
[274] La conclusion du tribunal qu’un acquittement est plus probable qu’improbable est donc généralement une condition préalable à ce que celui‑ci inscrive un acquittement. Cependant, je reconnais que la nature et les répercussions de l’erreur judiciaire peuvent aider à mettre ces causes dans leur contexte lorsqu’une cour n’est pas en mesure de déterminer la probabilité de l’issue d’un hypothétique nouveau procès. Dans certaines causes, la nature de l’erreur judiciaire peut, dans les faits, avoir entravé la capacité de l’appelant à faire valoir de manière convaincante qu’un acquittement serait plus probable qu’improbable. Dans ces cas‑là, le tribunal peut ne pas être en mesure de déterminer de façon définitive le résultat probable d’un hypothétique nouveau procès. Dans ces circonstances limitées, j’accepte qu’un acquittement puisse être justifié malgré tout lorsque la cause de la Couronne est faible, que la tenue d’un nouveau procès n’est pas raisonnablement probable et qu’il existe un caractère équitable solide.
[275] De même, une prise en compte du caractère équitable de l’espèce peut aider le tribunal à évaluer l’intérêt public à tenir un nouveau procès. Par exemple, lorsque le tribunal est convaincu qu’un acquittement est plus probable qu’improbable, le caractère équitable peut imposer la conclusion qu’un acquittement est la solution appropriée. Dans un tel cas, si un appelant a déjà purgé sa peine et a subi de multiples procès ou appels, le caractère équitable pèsera généralement pour un acquittement étant donné que l’on peut démontrer qu’il n’y a pas d’intérêt public à tenir un nouveau procès, même si ce facteur ne peut constituer un fondement à un acquittement à lui seul.
[276] Dans sa mise en balance définitive, la cour d’appel doit également procéder à une évaluation qualitative des conséquences pour l’appelant de la réparation que constitue l’acquittement par rapport aux autres ordonnances réparatrices qu’elle peut rendre. L’acquittement constitue une réponse finale et complète et met fin tant aux accusations qu’aux procédures.
[277] À l’inverse, lorsque le tribunal ordonne la tenue d’un nouveau procès, la Couronne dispose généralement de quatre options : faire instruire l’affaire, ordonner l’arrêt des procédures, demander le retrait des accusations ou ne présenter aucune preuve lors d’un nouveau procès. Si la Couronne décide de ne pas faire instruire l’affaire en cas de nouveau procès, l’appelant ne sera acquitté que si le procureur général choisit la dernière option; s’il choisit la deuxième ou la troisième option, il n’y aura pas de verdict final (Truscott, par. 257). Le tribunal peut également ordonner l’arrêt judiciaire des procédures, une question distincte que j’examinerai plus loin.
[278] L’arrêt des procédures inscrit à la demande de la poursuite en vertu de l’art. 579 du Code ne protège pas l’accusé d’une poursuite ultérieure pour le même chef d’accusation et ne lui donne pas ouverture au plaidoyer d’autrefois acquit (R. c. Tateham (1982), 70 C.C.C. (2d) 565 (C.A. C.‑B.), p. 567‑568; voir aussi R. c. T.G., 2017 ONSC 3213, par. 33). Cette situation [traduction] « se caractérise à la fois par l’absence de droit de regard judiciaire et par l’absence de jugement définitif » (Rapport Driskell, p. 130), en plus de faire planer une [traduction] « épée de Damoclès » au‑dessus de la tête de l’accusé, qui risque d’être poursuivi de nouveau (Roach (2024), p. 214). Le commissaire MacCallum avait conclu que David Milgaard, qui avait été déclaré coupable injustement, s’était retrouvé avec [traduction] « un grave stigmate » et « sans la possibilité d’obtenir un verdict de non‑culpabilité » (p. 336). Après l’annulation de sa déclaration de culpabilité, la Couronne a requis la suspension des poursuites. Monsieur Milgaard est resté dans l’incertitude juridique et a souffert de la menace de nouvelles poursuites pendant cinq ans, jusqu’à ce qu’il soit finalement acquitté.
[279] Tout comme l’arrêt des procédures inscrit par la poursuite, le retrait des procédures ne donne pas ouverture au plaidoyer d’autrefois acquit et n’offre à l’accusé aucune protection contre la double incrimination (R. c. Karpinski, [1957] R.C.S. 343). Toutefois, le retrait des accusations [traduction] « est demandé en audience publique, fait l’objet d’un certain droit de regard judiciaire et indique clairement au public que la Couronne a décidé de ne pas poursuivre l’affaire » (Rapport Driskel, p. 132; voir aussi S. A. Cohen, Due Process of Law : The Canadian System of Criminal Justice (1977), p. 158‑159).
[280] Les tribunaux peuvent également souhaiter tenir compte de la position de l’accusé quant à la réparation appropriée. Même si la cour d’appel peut estimer qu’il convient d’inscrire un acquittement, l’accusé peut solliciter la tenue d’un nouveau procès lorsque la Couronne a formellement indiqué qu’elle ne présenterait pas de nouvelle preuve lors de l’audience en première instance. Il ressort des propos tenus après leur acquittement par des personnes qui avaient été déclarées coupables injustement que ce processus oblige la poursuite à rendre publiquement des comptes et permet à l’accusé qui a été déclaré coupable injustement d’être dans une large mesure lavé de tout soupçon (voir Roach (2024), p. 224‑228). Si les circonstances s’y prêtent, ce processus offre à la Couronne et au tribunal l’occasion de présenter des excuses publiques et de reconnaître publiquement l’échec du système de justice (voir, p. ex., Mullins-Johnson, par. 27; R. c. Gillespie et Mailman, 2024 NBBR 2, par. 4‑7).
[281] Compte tenu de l’ensemble des facteurs pertinents dans la cause dont nous sommes saisis, l’intérêt de la justice dicte que l’ordonnance appropriée soit l’inscription d’un acquittement et non l’arrêt des procédures. Suivant la preuve portée à la connaissance de la Cour, je suis convaincue qu’il est plus probable qu’improbable que Mme Bouvette soit acquittée dans le cadre d’un hypothétique nouveau procès. En outre, contrairement à l’arrêt des procédures, cette ordonnance définitive atténue l’injustice et le stigmate que cette erreur judiciaire a causé à Mme Bouvette. Un acquittement est plus justifié à la lumière des considérations d’équité importantes qui mineraient l’intérêt public si la tenue d’un nouveau procès était ordonnée.
(4) Indications supplémentaires concernant le choix entre l’acquittement ou l’arrêt des procédures
[282] Les parties et les intervenants ont demandé des indications sur la façon dont les tribunaux devraient examiner le bien-fondé d’un acquittement par rapport à un arrêt judiciaire des procédures ordonné en vertu du par. 686(8) du Code (m.a., par. 94 et 110; m.i., par. 91; m.interv. (Association canadienne des libertés civiles), par. 16‑24; m. interv. (Independent Criminal Defence Advocacy Society), par. 17‑24). La question dont la Cour est saisie est celle de savoir si la Cour d’appel a commis une erreur en inscrivant un arrêt des procédures. Les deux parties, pour des raisons différentes, contestent cette décision de la Cour d’appel. Mon collègue et moi convenons que l’arrêt judiciaire des procédures constitue une ordonnance distincte qu’une cour d’appel peut prononcer et, en outre, que cette ordonnance accessoire visée au par. 686(8) n’est pas sur un pied d’égalité avec les ordonnances de réparation principales, qui sont codifiées au par. 686(2) (motifs des juges majoritaires, par. 63). À ce titre, il ne devrait être envisagé qu’après que le tribunal a déterminé de façon concluante que l’acquittement ne convenait pas. Je ne suis toutefois pas d’accord pour caractériser l’arrêt des procédures comme une des trois « principales » ordonnances réparatrices qui peuvent être rendues après qu’un tribunal d’appel a accueilli l’appel d’une déclaration de culpabilité (motifs des juges majoritaires, par. 52 et 57).
[283] Après l’annulation d’une déclaration de culpabilité, le Code prévoit deux réparations présumées : l’acquittement (al. 686(2)a)) ou un nouveau procès (al. 686(2)b)) (Truscott, par. 246). Je reconnais qu’il n’est pas nécessaire dans tous les cas que le tribunal ait inscrit un acquittement ou ordonné la tenue d’un nouveau procès pour qu’il puisse exercer les pouvoirs résiduels que lui confère le par. 686(8) (R. c. Smith, 2004 CSC 14, [2004] 1 R.C.S. 385 (« Smith 2004 »), par. 22; R.V., par. 75). L’arrêt Smith 2004 confirme que la cour peut accorder une réparation en vertu du par. 686(8) après avoir annulé une déclaration de culpabilité, car elle agit alors en vertu du pouvoir que lui confère le par. 686(2) (par. 22).
[284] Cependant, le simple fait que la cour peut accorder une réparation après avoir annulé la déclaration de culpabilité ne signifie pas qu’il convient de considérer cette réparation comme une troisième « solution de rechange » au même titre qu’un nouveau procès ou un acquittement. Dans l’arrêt Hinse 1995, notre Cour a confirmé que, même lorsque le tribunal ordonne l’arrêt des procédures en vertu du par. 686(8), l’exercice de ce pouvoir est soumis aux contraintes de fond énoncées dans la jurisprudence (par. 23). En tant que « solution de rechange », l’arrêt des procédures ne peut être prononcé que « lorsque cela est indiqué » (par. 20).
[285] Selon la jurisprudence, l’arrêt des procédures est une réparation draconienne « de dernier recours » qui ne peut être accordée que dans les cas les plus manifestes lorsque le préjudice causé par l’abus de procédure sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès et qu’aucune autre mesure ne peut raisonnablement réparer ce préjudice (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326, par. 76; voir aussi R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, par. 75‑77; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, par. 89‑90; R. c. Regan, 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297, par. 53‑54; Taillefer, par. 117; R. c. Babos, 2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309, par. 30‑33). L’arrêt des procédures ne doit être accordé que « rarement » (Tobiass, par. 59).
[286] Les circonstances à l’origine d’une erreur judiciaire peuvent fort bien constituer un abus de procédure compromettant l’équité du procès de l’accusé ou l’intégrité du système de justice (Babos, par. 31). Toutefois, comme le par. 686(2) du Code offre à la cour d’appel le choix entre deux réparations présumées pour corriger l’erreur judiciaire, et comme l’acquittement permet de supprimer le préjudice et d’accorder une réparation complète, les principes régissant les cas dans lesquels il est possible d’ordonner l’arrêt des procédures exigent que l’on examine ces réparations en premier lieu. Lorsque le tribunal conclut, selon les principes applicables, que l’acquittement est préférable à la tenue d’un nouveau procès, il n’est pas nécessaire d’examiner l’opportunité d’ordonner l’arrêt des procédures.
[287] Dans les cas d’erreurs judiciaires qui comportent les caractéristiques des déclarations de culpabilité injustifiées, si la cour n’est pas convaincue qu’il convient d’inscrire un acquittement, la tenue d’un nouveau procès devient la réparation présumée appropriée. Il se peut toutefois que la tenue d’un nouveau procès ne convienne pas eu égard aux circonstances de l’espèce, et ce, pour de nombreuses raisons, dont principalement le fait qu’une telle ordonnance serait manifestement injuste pour l’accusé ou risquerait de donner lieu à une requête pour abus de procédure (Truscott, par. 246; R.V., par. 77). Si la cour est convaincue que tel est le cas, elle peut alors se demander si l’arrêt des procédures est justifié. À mon avis, c’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’expression « solution de rechange » utilisée dans l’arrêt Hinse 1995 pour qualifier l’arrêt des procédures, lequel peut être ordonné à titre de mesure réparatrice par la cour d’appel « dans certaines circonstances précises » (par. 29). Notre Cour examinait de façon générale la nature du pouvoir résiduel prévu au par. 686(8) et mentionnait l’arrêt des procédures à titre d’exemple d’ordonnance accessoire (par. 28‑30).
[288] Dans le cas qui nous occupe, la Cour d’appel a procédé à son analyse dans le bon ordre. Après avoir conclu à l’existence d’une erreur judiciaire, elle s’est demandé s’il convenait de prononcer l’acquittement en appliquant la norme du verdict déraisonnable puis la norme établie dans l’arrêt Truscott. Après avoir écarté l’acquittement, la cour s’est penchée sur l’opportunité d’ordonner l’arrêt des procédures.
[289] Cette démarche est également conforme à l’objectif de l’arrêt judiciaire des procédures, une réparation applicable pour l’avenir qui vise à empêcher l’abus de procédure (Tobiass, par. 91; R. c. Brunelle, 2024 CSC 3, par. 59). L’arrêt judiciaire des procédures a pour effet de suspendre les accusations et toutes les procédures qui pourraient en découler. Toutefois, si un acquittement est justifié dans les circonstances, il n’est pas nécessaire de se demander si une autre réparation est nécessaire pour prévenir un abus de procédure qui persisterait. De plus, comme la Cour d’appel l’a reconnu, l’arrêt des procédures représente une réparation [traduction] « inférieure » à un acquittement parce qu’il n’efface pas le stigmate associé à des accusations non résolues (par. 122; Truscott, par. 265). Par conséquent, l’arrêt des procédures ne constitue la réparation appropriée à accorder en dernier recours que lorsqu’il [traduction] « serait manifestement injuste envers l’appelant » d’ordonner la tenue d’un nouveau procès (Truscott, par. 246).
[290] Enfin, il est utile de replacer dans leur contexte les arrêts rendus par notre Cour dans les affaires Smith 2004, R. c. Bellusci, 2012 CSC 44, [2012] 2 R.C.S. 509, et R.V. afin de dissiper tout malentendu quant à la possibilité et à l’opportunité d’accorder une réparation en vertu du par. 686(8). Bien que notre Cour ait précisé, dans ces arrêts, que le tribunal n’avait pas besoin d’ordonner la tenue d’un nouveau procès pour pouvoir ordonner l’arrêt des procédures en vertu du par. 686(8), le tribunal ne peut faire l’économie d’un examen des principales réparations présumées que constituent l’acquittement et la tenue d’un nouveau procès, en décidant d’accorder directement une réparation, comme un arrêt des procédures, en vertu du par. 686(8).
[291] Dans l’arrêt Smith 2004, les propos du juge Binnie concernant le par. 686(8) se voulaient une réponse à l’argument de la Couronne selon lequel la cour ne pouvait connaître de l’appel d’une personne décédée parce qu’elle ne pourrait pas ordonner la tenue d’un nouveau procès (par. 22). C’est dans ce contexte précis que notre Cour a jugé que la cour pouvait accorder une réparation en vertu du par. 686(8) après avoir annulé une déclaration de culpabilité en vertu du par. 686(2).
[292] Le raisonnement suivi par notre Cour dans l’arrêt Smith 2004 révèle deux points importants et interdépendants. Tout d’abord, « [l]a cour n’a pas à ordonner un nouveau procès » avant de pouvoir ordonner l’arrêt des procédures (par. 22 (je souligne)). Dans le même ordre d’idées, le raisonnement de notre Cour appuie une forte inférence que l’arrêt des procédures est une réparation de dernier recours, en ce sens qu’elle ne doit être accordée que lorsque, compte tenu des circonstances de l’espèce, les réparations présumées prévues au par. 686(2) n’auraient pas été appropriées. L’avocat de la défense de l’appelant décédé avait demandé un nouveau procès et concédé qu’un acquittement ne constituerait pas une réparation appropriée (par. 54 et 59). Si notre Cour avait exercé sa compétence d’entendre l’appel, et puisqu’il n’aurait pas été possible d’ordonner la tenue d’un nouveau procès pour la personne décédée, les seules mesures de réparations restantes qui auraient pu être appropriées dans les circonstances auraient nécessairement été celles prévues au par. 686(8).
[293] De même, dans l’affaire Bellusci, qui concernait l’appel d’un acquittement interjeté par la Couronne, le juge Fish a confirmé que la cour « n’a pas à ordonner un nouveau procès ni à consigner un verdict de culpabilité pour que s’applique le par. 686(8) » (par. 39 (je souligne)). Dans son analyse, notre Cour a confirmé que les réparations prévues à l’al. 686(4)b) étaient présumées appropriées, sauf si le tribunal déterminait qu’elles ne l’étaient pas eu égard aux circonstances de l’espèce. Le juge Fish a souscrit à l’analyse de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire R. c. Yelle, 2006 ABCA 276, 397 A.R. 287, dans laquelle elle avait ordonné la reprise du procès en vertu du par. 686(8) parce qu’elle avait d’abord jugé que les réparations présumées prévues à l’al. 686(4)b) n’étaient pas appropriées dans les circonstances (Bellusci, par. 41, citant Yelle, par. 17‑18).
[294] Enfin, dans l’affaire R.V., notre Cour a examiné le par. 686(8) dans l’optique d’un arrêt des procédures et a confirmé dans son analyse qu’il s’agissait d’une réparation de dernier recours à envisager uniquement lorsqu’on détermine qu’il ne convient pas d’accorder les réparations présumées. Le juge Moldaver a confirmé que « la réparation habituelle » consiste « à renvoyer le verdict d’acquittement pour nouvelle instruction » (par. 73 (je souligne)). Cependant, eu égard aux circonstances particulières de cette affaire, il a conclu qu’un arrêt des procédures était justifié, parce qu’ordonner un nouveau procès « risquerait inutilement d’entraîner la présentation d’une requête pour abus de procédure » et « n’apporterait [. . .] aucun avantage sur le plan de l’administration de la justice » (par. 77). Ainsi, bien que la possibilité d’ordonner l’arrêt des procédures ne dépende pas d’une ordonnance de nouveau procès, les tribunaux doivent, pour déterminer s’il convient d’ordonner cette mesure applicable pour l’avenir en tant que réparation draconienne de dernier recours, se demander si le fait d’ordonner un nouveau procès « risquerait inutilement d’entraîner la présentation d’une requête pour abus de procédure » et ne serait donc pas approprié dans les circonstances (par. 77; voir aussi Hinse 1995, par. 23).
(5) Résumé des principes
[295] Dès lors qu’un appelant a établi qu’il y a eu une erreur judiciaire au sens voulu pour l’application du sous‑al. 686(1)a)(iii), la cour d’appel doit annuler la déclaration de culpabilité. Le Code prescrit qu’elle doive ensuite déterminer s’il est approprié dans les circonstances qu’elle inscrive un acquittement ou ordonne la tenue d’un nouveau procès (par. 686(2)). Lorsqu’aucun jury raisonnable ne pourrait conclure à un verdict de culpabilité, c’est l’ordonnance d’acquittement qui est appropriée. De plus, généralement, s’il reste une possibilité raisonnable de déclaration de culpabilité, la cour ordonne la tenue d’un nouveau procès (Truscott, par. 247‑248; Stolar, p. 491‑492; Maciel, par. 46).
[296] Cependant, dans certaines causes hors norme, les tribunaux doivent poursuivre l’analyse et examiner si l’intérêt de la justice commande l’inscription d’un acquittement, même s’il reste une possibilité raisonnable de déclaration de culpabilité. Plus précisément, dans les causes qui comportent les caractéristiques procédurales et substantielles des déclarations de culpabilité injustifiées, les tribunaux doivent appliquer le cadre en matière de réparation énoncé dans les présents motifs. Dans le contexte de ce sous‑ensemble d’erreurs judiciaires, pour déterminer si un acquittement est dans l’intérêt de la justice, les cours d’appel tiennent compte de la nature et des répercussions de l’erreur judiciaire, de la possibilité de tenir un nouveau procès, de la probabilité qu’un acquittement soit prononcé ainsi que du caractère équitable global de la cause donnée, et ils mettent ces facteurs en balance.
[297] Le cadre d’analyse approprié en matière de réparation doit tenir compte de ces caractéristiques communes aux causes de déclarations de culpabilité injustifiées. La nature de l’erreur judiciaire peut saper les preuves de la culpabilité, éclairer le fondement de l’accusation initiale et avoir une incidence sur un nouveau procès, s’il est théoriquement possible d’en tenir un. Les tribunaux doivent aussi évaluer la possibilité d’un nouveau procès et la probabilité qu’un acquittement soit prononcé. La conclusion qu’un acquittement est plus probable qu’improbable compte tenu du dossier étoffé ou modifié sera donc généralement une condition préalable à ce qu’un verdict d’acquittement soit inscrit et pèsera fortement en faveur d’une telle ordonnance. En outre, les tribunaux ne doivent pas ordonner la tenue d’un nouveau procès qui n’est pas jugé raisonnablement probable, et ce, pour quelque raison légitime que ce soit. Dans les cas où la Couronne consent à un acquittement, les tribunaux peuvent adopter une approche empreinte de déférence, mais, tout en exerçant le pouvoir que leur confère la loi conformément aux principes pertinents, ils doivent mener une évaluation judiciaire de l’opportunité de cette mesure. Enfin, les tribunaux doivent aussi tenir compte du caractère équitable global, ce qui comprend une prise en compte du préjudice subi par l’appelant, du fait qu’il a purgé sa peine et qu’il a subi de multiples procès et appels, et de l’écoulement du temps.
[298] En exerçant leur pouvoir discrétionnaire, les tribunaux d’appel doivent accorder une importance primordiale à l’examen de la possibilité d’un nouveau procès et de la probabilité d’un acquittement ou d’une déclaration de culpabilité. La nature et les répercussions de l’erreur judiciaire peuvent jouer un rôle plus important pour fournir un contexte à ces causes lorsque le tribunal n’est pas en mesure de déterminer l’issue probable d’un hypothétique nouveau procès. De même, une prise en compte du caractère équitable global de l’espèce peut aider le tribunal à évaluer l’intérêt public à tenir un nouveau procès. La prise en compte du caractère équitable ne peut pas, à lui seul, servir de fondement pour substituer un acquittement à un nouveau procès, surtout en présence d’un seul facteur. En menant cet exercice, la cour ne doit jamais perdre de vue la question à laquelle elle doit répondre en définitive, soit celle de savoir si l’intérêt de la justice requiert un acquittement ou un nouveau procès.
D. Conclusion : l’acquittement est justifié en l’espèce
[299] Comme j’ai cherché à l’expliquer dans les présents motifs, après avoir appliqué le cadre d’analyse décrit précédemment à la cause de Mme Bouvette, un acquittement est justifié dans l’intérêt de la justice. La Cour d’appel a commis une erreur en s’abstenant d’apprécier l’opportunité d’un acquittement parce qu’un procès était encore théoriquement possible. Puisque la présente cause comporte plusieurs caractéristiques procédurales et substantielles des déclarations de culpabilité injustifiées, comme je l’ai déjà mentionné, la conclusion qu’il existe une possibilité raisonnable de déclaration de culpabilité ne met pas fin à l’analyse. La cour devait ensuite évaluer quelle était la mesure corrective appropriée en examinant les facteurs pertinents, bien que je sois consciente qu’elle n’a pu tirer avantage des présents motifs.
IV. Dispositif
[300] Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler l’arrêt des procédures et d’inscrire un acquittement.
Pourvoi accueilli.
Procureurs de l’appelante : Michael Klein Law, Vancouver; Myers, Karp, Patey, Neurauter, Vancouver.
Procureurs de l’intimé : Ritchie Sandford McGowan, Vancouver.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario — Bureau des avocats de la Couronne, Droit criminel, Toronto.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Henein Hutchison Robitaille, Toronto.
Procureurs de l’intervenante Innocence Canada : Lockyer Zaduk Zeeh, Toronto; Innocence Canada, Toronto.
Procureurs de l’intervenante Independent Criminal Defence Advocacy Society : Pringle Law, Vancouver; Gregory P. Delbigio Professional Corporation, Vancouver; UBC Innocence Project, Vancouver.