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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. I.M., 2025 CSC 23

 

 

Appel entendu : 15 octobre 2024

Jugement rendu : 18 juillet 2025

Dossier : 40868

 

Entre :

 

I.M.

Appelant

 

et

 

Sa Majesté le Roi

Intimé

 

- et -

 

Procureur général du Canada,

directeur des poursuites criminelles et pénales,

procureur général de l’Alberta,

Justice for Children and Youth,

Queen’s Prison Law Clinic,

Criminal Lawyers’ Association (Ontario),

Peacebuilders Canada,

British Columbia Civil Liberties Association et

Association canadienne des libertés civiles

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 224)

Le juge Kasirer (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Martin, Jamal, O’Bonsawin et Moreau)

 

 

Motifs conjoints dissidents :

(par. 225 à 320)

Les juges Côté et Rowe

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 


 

I.M.                                                                                                                    Appelant

c.

Sa Majesté le Roi                                                                                                 Intimé

et

Procureur général du Canada,

directeur des poursuites criminelles et pénales,

procureur général de l’Alberta,

Justice for Children and Youth,

Queen’s Prison Law Clinic,

Criminal Lawyers’ Association (Ontario),

Peacebuilders Canada,

British Columbia Civil Liberties Association et

Association canadienne des libertés civiles                                              Intervenants

Répertorié : R. c. I.M.

2025 CSC 23

No du greffe : 40868.

2024 : 15 octobre; 2025 : 18 juillet.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

                    Droit criminel — Adolescents — Détermination de la peine — Peine applicable aux adultes — Présomption de culpabilité morale moins élevée — Responsabilité — Facteurs pertinents — Adolescent déclaré coupable de meurtre au premier degré pour avoir tué un adolescent à coups de couteau — Ordonnance du tribunal pour adolescents imposant une peine applicable aux adultes sur le fondement du critère à deux volets prévu par la loi exigeant que le juge chargé de la détermination de la peine soit convaincu que la présomption de culpabilité morale moins élevée de l’adolescent a été réfutée et qu’une peine spécifique pour adolescents ne serait pas suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes — Le juge chargé de la détermination de la peine a‑t‑il appliqué la bonne norme à la réfutation de la présomption de culpabilité morale moins élevée? — Le juge chargé de la détermination de la peine a‑t‑il commis une erreur dans son appréciation des facteurs pertinents pour imposer une peine applicable aux adultes? — Une peine applicable aux adultes devrait‑elle être imposée? — Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1, art. 72(1).

                    Alors que M était âgé de 17 ans et 5 mois, il a, avec quelques autres personnes, affronté la victime, un autre adolescent de 17 ans, dans une ruelle près de chez lui, en vue de lui voler des armes à feu. La victime a subi de multiples blessures par couteau lors de l’affrontement et est décédée. Bien que M fût le plus jeune du groupe, il a participé activement à la planification et à l’exécution du vol qualifié. Un message qu’il a envoyé à l’un des complices adultes le jour du meurtre indiquait qu’il voyait ce crime comme un tremplin vers des activités criminelles plus importantes. M a aussi dit à un camarade de classe, quelques jours après l’infraction, qu’il avait poignardé la victime à plusieurs reprises, et il lui a montré un sac de vêtements ensanglantés. Après les événements, M a poursuivi ses démarches afin de se procurer une arme à feu et, une semaine après l’attaque, il a quitté le pays. Il a finalement été arrêté et jugé devant un tribunal pour adolescents. Le jury l’a déclaré coupable de meurtre au premier degré par imputation.

                    La Couronne a, en vertu de l’art. 64 de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (« LSJPA »), demandé l’assujettissement de M à la peine applicable aux adultes. Le juge chargé de la détermination de la peine a appliqué le critère à deux volets prévu au par. 72(1) de la LSJPA pour décider si M devait être assujetti à la peine pour adultes, ce qui exigeait que le tribunal soit « convaincu » que la présomption de culpabilité morale moins élevée avait été réfutée et qu’une peine spécifique pour adolescents serait insuffisante pour obliger M à répondre de ses actes. Il a jugé que la norme de preuve applicable n’était pas celle de la preuve hors de tout doute raisonnable ni celle de la preuve selon la prépondérance des probabilités. En appliquant une norme de « conviction », le juge a d’abord conclu qu’au moment de l’infraction, M présentait le degré de maturité, le discernement moral et l’aptitude à exercer le jugement indépendant d’un adulte, compte tenu de la gravité de l’infraction et des circonstances entourant sa perpétration, ainsi que du rôle joué par M dans le meurtre, de son âge, de ses condamnations antérieures et de son comportement postérieur à l’infraction. Il a donc conclu que la présomption de culpabilité morale moins élevée avait été réfutée. Au deuxième volet de l’analyse, le juge a considéré des facteurs additionnels, notamment les caractéristiques personnelles et la situation de M, de même que sa vie dans un quartier défavorisé. Il a ensuite conclu qu’une peine spécifique pour adolescents serait insuffisante pour assurer la sécurité publique et obliger M à répondre de ses actes délictueux. Le juge a ordonné l’assujettissement de M à la peine applicable aux adultes, soit l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans. La Cour d’appel a rejeté l’appel de M.

                    Arrêt (les juges Côté et Rowe sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli, la peine applicable aux adultes infligée par le juge chargé de la détermination de la peine est annulée, et une peine spécifique pour adolescents est imposée.

                    Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau : Si l’on interprète correctement l’al. 72(1)a) de la LSJPA, la Couronne doit réfuter la présomption de culpabilité morale moins élevée prévue par la loi hors de tout doute raisonnable. De plus, pour déterminer si la Couronne a réussi à réfuter cette présomption, le tribunal ne doit pas tenir compte de la gravité objective de l’infraction; il doit plutôt tenir compte des facteurs qui se concentrent véritablement sur l’âge développemental de l’adolescent contrevenant et sur son aptitude à exercer un jugement moral. En l’espèce, en ce qui concerne la condition préliminaire prévue à l’al. 72(1)a), le juge chargé de la détermination de la peine a appliqué la mauvaise norme et a fait erreur en prenant en compte la gravité de l’infraction et en ne tenant pas dûment compte d’autres facteurs. En conséquence, il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence en appel à l’égard de la peine infligée par ce dernier. Lors de la nouvelle détermination de la peine, il est conclu que la Couronne n’a pas démontré, hors de tout doute raisonnable, que la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficie M en vertu de la loi a été réfutée. M doit donc être dûment assujetti à la peine spécifique conformément au régime de détermination de la peine pour les adolescents de la LSJPA.

                    Le régime de détermination de la peine de la LSJPA vise à obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux par l’imposition de sanctions assorties de « perspectives positives ». Il cherche à atteindre cet objectif en instaurant un système de justice pénale distinct fondé sur « le principe de culpabilité morale moins élevée » énoncé au sous‑al. 3(1)b) de la LSJPA. Le fardeau de convaincre le tribunal pour adolescents que l’assujettissement à la peine applicable aux adultes devrait être ordonné incombe à la Couronne, et le par. 72(1) de la LSJPA indique ce que doit prouver cette dernière. Le paragraphe 72(1) crée un fardeau à deux volets aux termes des al. 72(1)a) et b) et les juges chargés de la détermination de la peine doivent procéder à un examen distinct pour chacun.

                    Une approche hybride irait à l’encontre du texte de la disposition, qui énonce les deux volets en des alinéas distincts et indépendants suggérant deux examens, et il ressort du sens ordinaire des termes employés dans chacun des alinéas que les examens sont de nature différente. En outre, l’historique législatif du par. 72(1) comprend les modifications apportées en 2012 qui ont créé deux volets distincts et ajouté le premier volet exigeant de la Couronne qu’elle réfute la présomption de culpabilité morale moins élevée. Cette interprétation prend également en compte le contexte et l’objet du principe général de la culpabilité morale moins élevée des adolescents qui est consacré à l’al. 3(1)b) de la LSJPA. La fusion des deux volets en une analyse hybride risque de faire en sorte que des considérations relatives à la responsabilité influent indûment sur l’appréciation axée sur les faits de la culpabilité morale moins élevée.

                    Au regard du premier volet de l’analyse, prévu à l’al. 72(1)a), la Couronne doit convaincre le juge chargé de la détermination de la peine que la présomption de culpabilité morale moins élevée a été réfutée. En droit, on a longtemps réservé un traitement différent aux enfants et aux adolescents en raison de leur moins grande maturité et de leur moins grande aptitude à exercer un jugement moral, et les particularités développementales propres à l’adolescence justifient une réaction et une approche sociétales différentes en ce qui concerne leur culpabilité et les sanctions qui leur sont applicables. Toute personne qui n’a pas atteint l’âge de 18 ans a le droit de bénéficier de la présomption de culpabilité morale moins élevée en raison de son âge chronologique. Lorsque la Couronne démontre que l’adolescent a la maturité développementale d’un adulte, celui‑ci cesse de bénéficier de la présomption. La maturité et l’aptitude à exercer un jugement moral que l’on trouve chez l’adulte s’acquièrent avec le temps. Toutefois, même si l’âge influe sur le développement du jugement et du discernement moral, l’âge chronologique peut ne pas correspondre à l’âge développemental et les deux ne coïncident pas nécessairement. L’âge développemental désigne le stade réel de maturité psychologique, sociale et morale qu’a atteint l’individu. Ce concept a beaucoup d’importance, car on reconnaît que les adolescents n’ont souvent pas le jugement et l’autonomie qui sont généralement attribués aux adultes. La réfutation de la présomption repose donc sur la preuve d’un fait — que l’âge développemental de l’adolescent, contrairement à son âge chronologique, indique qu’il est apte à exercer le jugement moral d’un adulte. Prouver qu’un adolescent a l’âge développemental d’un adulte est un examen factuel qui se prête à une preuve hors de tout doute raisonnable.

                    L’alinéa 72(1)a) fait intervenir l’intérêt à la liberté de l’adolescent que la Constitution garantit à celui‑ci, en ce sens qu’il risque d’accroître la sévérité de la peine en assujettissant l’adolescent à la peine applicable aux adultes, qui peut aller jusqu’à l’emprisonnement à perpétuité. Selon le droit en matière de détermination de la peine, les faits qui sont susceptibles de justifier une peine plus sévère doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable, conformément aux principes de justice fondamentale consacrés par la Charte. Réfuter la présomption revient à prouver un facteur aggravant parce que la réfutation expose l’adolescent au risque de se voir infliger une peine beaucoup plus sévère. Par conséquent, la Couronne doit réfuter hors de tout doute raisonnable la présomption de culpabilité morale moins élevée prévue par la LSJPA afin que cette dernière soit conforme aux impératifs de la Charte. Le fait d’aborder la présomption comme un examen préliminaire distinct, qui doit être effectué avant que le tribunal n’examine plus à fond si une peine spécifique pour adolescents obligerait l’adolescent à répondre de ses actes, assure que la présomption reçoit une valeur constitutionnelle et que son objectif est atteint.

                    Même si l’âge chronologique détermine qui a droit à la protection de la présomption, les particularités développementales propres à l’adolescence constituent la raison d’être de cette présomption. Comme il constitue le concept à la base de la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficie l’adolescent, l’âge développemental doit être au cœur de l’examen suivant l’al. 72(1)a). La Couronne doit convaincre le tribunal que le profil de développement de l’adolescent contrevenant ne correspond pas à celui auquel on s’attend de la part de l’adolescent typique, en ce sens qu’il fait preuve de la maturité, de l’aptitude à exercer un jugement moral et de l’indépendance d’un adulte. L’alinéa 3(1)b) de la LSJPA codifie le principe de la culpabilité morale moins élevée, ce qui fait foi de l’intention du Parlement de faire correspondre la responsabilité criminelle aux réalités du développement des adolescents.

                    Par conséquent, pour établir si la présomption a été réfutée, le tribunal doit procéder à un examen factuel de l’âge développemental de l’adolescent contrevenant pour déterminer s’il correspond à celui d’un adulte. Pour ce faire, il doit tenir compte de facteurs qui donnent un aperçu des particularités développementales personnelles de l’adolescent contrevenant au moment de l’infraction. Cette appréciation est nuancée, contextuelle et intrinsèquement axée sur les faits. La situation de l’adolescent contrevenant ou les preuves qui portent sur son âge développemental au moment de l’infraction sont les éléments les plus pertinents.

                    Les facteurs qui se rapportent à l’infraction, plutôt qu’à l’adolescent contrevenant, débordent le cadre de cet examen, à moins qu’ils ne révèlent quelque chose au sujet des caractéristiques personnelles du contrevenant qui témoignent de son âge développemental. Les tribunaux ne doivent pas apprécier la gravité objective de l’infraction lorsqu’ils déterminent si la Couronne a réfuté la présomption, car cela ne donne pas d’indications sur les caractéristiques développementales du contrevenant. Par conséquent, la prise en compte et l’appréciation de la gravité objective de l’infraction au regard de l’al. 72(1)a) constitue une erreur de principe. Les circonstances de l’infraction peuvent constituer un élément pertinent au regard de l’al. 72(1)a), mais seulement dans la mesure où elles donnent des indications sur l’âge développemental de l’adolescent.

                    Les éléments pertinents pour l’analyse découlant de l’al. 72(1)a) peuvent comprendre les agissements reflétant la maturité moindre présumée de l’adolescent contrevenant, comme l’impulsivité ou la bravade qui dénote l’immaturité, et la question de savoir si la planification révèle un degré de discernement et de perspicacité qui correspond au raisonnement d’un adulte. Le comportement postérieur à l’infraction de l’adolescent contrevenant qui présente un lien temporel avec l’infraction et qui y est lié peut être instructif, mais il peut aussi être la manifestation de réactions impulsives dictées par la peur et la panique juvéniles.

                    La situation personnelle particulière de l’adolescent est un élément essentiel pour déterminer son âge développemental. Elle peut comprendre l’âge réel de l’adolescent, ses antécédents, sa capacité de discernement, son aptitude à exercer un jugement indépendant, son comportement postérieur à l’infraction, le fait qu’il vivait ou non comme un adulte, sa santé cognitive, émotionnelle et mentale, et sa sensibilité aux influences extérieures, entre autres. L’âge chronologique constitue une caractéristique personnelle importante, mais il ne peut éclipser automatiquement d’autres indicateurs de l’âge développemental. Le juge chargé de la détermination de la peine qui infère, en raison du fait que l’adolescent contrevenant est sur le point d’atteindre l’âge adulte, sans plus, que son développement est semblable à celui d’un adulte inverse en réalité la présomption de culpabilité morale moins élevée. Les tribunaux peuvent également se pencher sur le degré d’indépendance de l’adolescent au moment de l’infraction. Des preuves relatives aux limitations cognitives et affectives, notamment des troubles du comportement ou des problèmes de santé mentale, peuvent aider le juge chargé de la détermination de la peine à établir l’âge développemental de l’adolescent contrevenant. Le vécu et les antécédents de l’adolescent contrevenant sont également pertinents, car ils peuvent influer considérablement sur son comportement et son jugement et, par extension, sur son développement.

                    La valeur probante des éléments de preuve concernant le comportement et les agissements du contrevenant dans l’attente de son procès ou de la détermination de la peine pour l’établissement de l’âge développemental dépend de chaque cas. Les tribunaux doivent se garder d’inférer indûment une plus grande maturité au moment de l’infraction en se fondant sur un tel comportement en tant qu’adulte, mais, dans certains cas, de tels éléments de preuve peuvent donner des indications sur l’âge développemental au moment de l’infraction.

                    Les preuves d’experts ne sont pas requises pour que la présomption soit réfutée, même si elles peuvent s’avérer utiles dans certains cas. Un milieu défavorisé et le lien entre ce milieu et la discrimination systémique dans la communauté peuvent influer sur le développement. La preuve du contexte social peut fournir des indications utiles pour comprendre le vécu particulier du délinquant et sa culpabilité morale, en particulier dans le cas des délinquants appartenant à des groupes racialisés qui font l’objet de discrimination flagrante et systémique. Le contexte social dans lequel a grandi l’adolescent contrevenant peut souvent influencer son parcours de vie. Comprendre ce parcours aide à placer les décisions de l’adolescent contrevenant dans leur contexte et potentiellement à démontrer sa vulnérabilité accrue, son aptitude moins élevée à exercer un jugement et sa capacité réduite à faire un choix moral. La valeur de la preuve du contexte social réside dans ce qu’elle est susceptible de révéler au juge chargé de la détermination de la peine au sujet du contrevenant, et non des groupes démographiques auxquels il appartient.

                    Si la présomption est réfutée suivant l’al. 72(1)a), la Couronne doit aussi établir une deuxième condition distincte avant que la peine applicable aux adultes puisse être prononcée. Conformément à l’al. 72(1)b), le juge chargé de la détermination de la peine doit être convaincu qu’une peine spécifique pour adolescents serait insuffisante pour obliger l’adolescent à répondre de l’infraction. Il incombe là encore à la Couronne de démontrer que la peine spécifique ne serait pas indiquée, mais la norme de preuve n’est pas celle de la preuve hors de tout doute raisonnable. L’examen s’apparente à la détermination d’une peine juste, une évaluation qui implique une appréciation discrétionnaire des circonstances aggravantes et atténuantes relatives à l’infraction et au contrevenant, ainsi que la mise en balance de principes concurrents en matière de détermination de la peine.

                    L’évaluation suivant l’al. 72(1)b) fait appel aux principes fondamentaux de détermination de la peine pour les adolescents et requiert de porter attention à l’interaction entre la proportionnalité, la responsabilité et la réadaptation. Elle consiste à déterminer si les contraintes liées à la détermination de la peine pour les adolescents doivent céder le pas à l’atteinte des objectifs en matière de responsabilité que prévoit la LSJPA. La responsabilité, en tant que pierre angulaire de la détermination de la peine pour les adolescents, englobe l’imposition de sanctions qui sont non seulement proportionnelles, mais qui sont assorties de perspectives positives et qui visent la transformation du jeune contrevenant par des mesures adaptées à son développement et à ses capacités de réinsertion sociale. Comme l’examen découlant de l’al. 72(1)b) s’apparente sensiblement à la détermination d’une peine juste, il s’ensuit que la question de la justesse d’une peine spécifique pour adolescents soulève des considérations semblables. Cela étaye le point de vue selon lequel l’évaluation normative exigée par l’al. 72(1)b) ne requiert pas une preuve hors de tout doute raisonnable; cette évaluation est de nature évaluative et exige une appréciation et une mise en balance des facteurs pertinents.

                    L’examen relatif à la responsabilité permet la considération d’une panoplie de facteurs, dont les conséquences normatives de l’infraction, l’impact sur les victimes et la collectivité, ainsi que l’existence ou l’inexistence de mesures de réadaptation et de réinsertion prévues par le système de justice pour adolescents. Le juge chargé de la détermination de la peine doit apprécier la culpabilité morale du contrevenant, les dommages que ses actes ont causés et le caractère normatif de sa conduite. La gravité de l’infraction est pertinente quant à la responsabilité. Elle englobe un examen objectif de l’infraction, y compris le tort causé, la nature des actes de violence et la réprobation sociale, ainsi qu’une évaluation de ses répercussions sur la culpabilité du contrevenant.

                    L’analyse discrétionnaire que le juge effectue dans le cadre du deuxième volet englobe nécessairement l’examen des aspects pertinents des antécédents du contrevenant, afin de mieux comprendre les choix qui l’ont conduit à commettre son crime ainsi que sa responsabilité individuelle à l’égard de celui‑ci. Le juge chargé de la détermination de la peine doit mettre en balance les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes relatives à l’infraction et au contrevenant, y compris son comportement postérieur à l’infraction et antérieur au prononcé de la peine. Les preuves du contexte social peuvent également donner des indications sur les vulnérabilités du contrevenant découlant de ses antécédents et sont susceptibles d’aider le tribunal à se faire une idée nuancée de la conduite et de la culpabilité du contrevenant. D’autres facteurs pertinents sont les dommages causés aux victimes, le fait de favoriser la prise de mesures réparatrices et le temps passé en détention présentencielle.

                    En l’espèce, étant donné que le juge chargé de la détermination de la peine n’a pas appliqué la bonne norme pour évaluer le fardeau qui incombait à la Couronne de réfuter la présomption de culpabilité morale moins élevée et qu’il a commis une erreur en prenant en compte la gravité de l’infraction en tant que facteur, une nouvelle décision s’impose afin de déterminer si la Couronne s’est acquittée de son fardeau pour faire assujettir M à la peine applicable aux adultes. La Couronne n’a pas démontré hors de tout doute raisonnable que la présomption de responsabilité moins élevée a été réfutée. Le tribunal pour adolescents disposait d’éléments de preuve indiquant que l’enfance difficile de M et ses problèmes de santé mentale affectaient son âge développemental et démontrant qu’il n’avait pas le degré de maturité d’un adulte au moment de l’infraction. Au moment de l’infraction, M percevait sa participation au vol qualifié comme une occasion de faire ses preuves en tant que criminel auprès de ses pairs adultes, puis quatre jours après l’événement, il a eu l’imprudence de raconter ses actes délictueux à un camarade de classe. Ces faits témoignaient d’une bravade irréfléchie, d’une incapacité à raisonner comme un adulte et d’une vulnérabilité immature à l’influence néfaste d’adultes au moment de l’infraction. Lors de la nouvelle détermination de la peine, ces autres éléments sont pertinents pour prouver l’âge développemental de M et constituent une preuve indiquant qu’il n’avait ni la maturité ni l’aptitude à exercer le jugement moral d’un adulte au moment de l’infraction. À la lumière des circonstances très graves entourant la perpétration de l’infraction et compte tenu de tous les principes pertinents en matière de détermination de la peine pour adolescents, M devrait se voir infliger la peine spécifique maximale pour meurtre au premier degré expressément prévue par le Parlement dans la LSJPA : six ans de placement sous garde et quatre ans de mise en liberté sous condition.

                    Les juges Côté et Rowe (dissidents) : Le pourvoi devrait être rejeté. Pour réfuter la présomption de culpabilité morale moins élevée, le tribunal doit être convaincu par la Couronne que le jeune contrevenant possède la maturité, le discernement moral et la capacité à exercer un jugement indépendant propre à un adulte. Le Parlement a prescrit l’application d’une norme de conviction à cette question d’appréciation que le juge du tribunal pour adolescents chargé de la détermination de la peine doit examiner au regard de l’ensemble de la preuve. Les juges majoritaires confondent l’application d’une norme juridique et le fait de tirer un constat factuel. Ils tentent de contourner cette distinction en cherchant implicitement à transformer la norme juridique que le Parlement a établie en une conclusion factuelle. En l’espèce, la conclusion du juge chargé de la détermination de la peine selon laquelle il était convaincu, eu égard à l’ensemble de la preuve, que la présomption de culpabilité morale moins élevée a été réfutée ne comportait aucune erreur. En outre, le juge chargé de la détermination de la peine n’a pas commis d’erreur en concluant qu’une peine spécifique pour adolescents n’obligerait pas M à répondre suffisamment de son crime, et qu’une peine applicable aux adultes devrait donc être infligée.

                    Le Parlement a établi une norme de conviction au par. 72(1) de la LSJPA afin d’aider à décider si c’est le Code criminel ou la LSJPA qui devrait être appliqué pour fixer une peine juste. Les deux volets du par. 72(1) exigent que le tribunal pour adolescents soit « convaincu ». Le mot « convaincu » à l’al. 72(1)b) donne lieu à une appréciation discrétionnaire de facteurs ainsi qu’à leur mise en balance. Il devrait en être de même pour l’al. 72(1)a), et l’examen fondé sur cette dernière disposition n’en est pas un qui requière une preuve hors de tout doute raisonnable. La présomption de culpabilité morale moins élevée ne constitue pas un fait à prouver; il s’agit d’une norme juridique. La norme en est une de persuasion, est applicable selon les deux volets décrits au par. 72(1) et est dépourvue des caractéristiques requises pour être évaluée exactement en fonction d’une échelle des probabilités, puisqu’elle ne se prête pas aux fardeaux de preuve traditionnels. L’exercice d’évaluation requiert nécessairement que le tribunal soupèse l’ensemble de la preuve et en tienne compte. Autrement dit, décider si la présomption a été réfutée est un exercice d’évaluation, non une conclusion de fait.

                    L’historique législatif appuie ce point de vue. Une première tentative en 2010 pour modifier le par. 72(1), le projet de loi C‑4, proposait le recours à une norme de preuve hors de tout doute raisonnable pour les deux volets du par. 72(1). Le projet de loi C‑4 s’est heurté à une opposition avant de mourir au Feuilleton en 2011. En 2012, le gouvernement fédéral a présenté une nouvelle mouture du projet de loi, qui a mené aux modifications de 2012 apportées au par. 72(1). Fait à noter, les modifications qu’on proposait alors d’apporter à la loi retiraient la mention de la norme de conviction hors de tout doute raisonnable. Une modification proposée en comité en vue de réintroduire cette norme a été rejetée. C’était un choix législatif et de politique générale délibéré. Le retrait s’est fait dans la foulée de trois décisions de juridictions d’appel ayant rejeté la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable comme norme applicable. Cela clarifie que le Parlement a expressément envisagé la possibilité d’imposer la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, mais qu’il a choisi en définitive de ne pas le faire. Les juges majoritaires ne font pas preuve de suffisamment de déférence envers ce qui constitue une intention législative claire. Le Parlement a réfléchi à la possibilité d’établir la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, mais, en définitive, il a refusé de le faire. Ce choix du législateur ne devrait pas être écarté à la légère. Le contexte législatif appuie lui aussi cette conclusion. La partie 4 de la LSJPA décrit les règles pour qu’un jeune contrevenant soit assujetti à une peine applicable aux adultes, et le libellé de certains passages qui s’y trouvent, et qui sont liés au par. 72(1), reconnaît que la détermination faite en application de ce paragraphe et celle concernant la peine juste sont deux examens distincts. Les références expresses au par. 72 à la Déclaration de principes de la LSJPA appuient cette conclusion. De même, le texte de la loi appuie la conclusion selon laquelle la norme fixée par le Parlement n’exige pas une preuve hors de tout doute raisonnable, parce que le par. 72(1) dispose que le tribunal pour adolescents doit être « convaincu » que les conditions prévues aux al. a) et b) sont réunies.

                    Les facteurs pertinents à prendre en considération pour l’analyse que requiert l’al. 72(1)a) se rapportent à la situation du contrevenant, aux circonstances et à la complexité de l’infraction, et au comportement postérieur à l’infraction. Il y a accord avec M, ainsi qu’avec les juges majoritaires, pour dire que la gravité de l’infraction n’a pas d’incidence sur la maturité du contrevenant et risque de submerger l’analyse, compte tenu du fait que, lorsqu’il est question de réfuter la présomption, il est typiquement question de crimes graves. La gravité de l’infraction est une question pertinente à l’étape de l’examen de l’obligation de l’adolescent de répondre de ses actes prévue à l’al. 72(1)b), mais pas quant à son degré de culpabilité morale visé à l’al. 72(1)a).

                    Les circonstances de l’adolescent comprennent son âge, son parcours et ses antécédents, y compris l’endroit où il a été élevé, son identité raciale et les expériences indésirables vécues durant son enfance; le fait de savoir si, au moment de l’infraction, il vivait comme un adulte et, dans l’affirmative, si c’était par choix; le fait de savoir s’il a déjà commis des infractions; sa dépendance et sa vulnérabilité à l’influence d’autrui; les facteurs de l’arrêt Gladue, le cas échéant, ou la teneur d’une évaluation de l’incidence de l’origine ethnique et culturelle, s’il en existe une, le rapport présentenciel ou un rapport semblable à celui décrit dans Gladue; et toute limite cognitive ou affective ou problème de santé mentale. Les circonstances de l’infraction comprennent les indices d’impulsivité, de bravade ou de sentiment d’invincibilité; la planification ou la préméditation; le mobile qui témoigne d’un raisonnement mature ou immature; le rôle de l’adolescent; la question de savoir si l’adolescent a choisi de s’adonner à l’activité reprochée; les actes qui démontrent une pensée critique et un jugement s’apparentant à celui d’un adulte; les mesures prises pour poursuivre l’infraction ou pour la dissimuler après coup; et la question de savoir si l’adolescent comprenait les conséquences de ses actes au chapitre des sanctions criminelles et de l’incidence sur autrui. La complexité de l’infraction peut être un indicateur de maturité, et peut aider à réfuter l’affirmation que l’infraction a été commise sous l’impulsion juvénile du moment. Le comportement postérieur à l’infraction pertinent comprend la question de savoir si l’adolescent a assumé la responsabilité de ses actes après l’infraction ou a exprimé des remords; sa croissance personnelle ou l’absence de celle‑ci; le fait de savoir si l’adolescent a tenté de ne pas être retrouvé ou de détruire des éléments de preuve; les démarches de réhabilitation ou de restitution prises par le délinquant; et son dossier disciplinaire ou son comportement en établissement correctionnel. Le comportement postérieur à l’infraction n’est pertinent que dans la mesure où il donne une idée de la maturité du contrevenant, de son degré de discernement et de sa capacité à exercer un jugement s’apparentant à celui d’un adulte au moment de l’infraction.

                    Le juge chargé de la détermination de la peine en l’espèce n’a pas commis d’erreur en décidant qu’il était convaincu que la Couronne s’était acquittée du fardeau de persuasion qui lui incombe en application de l’al. 72(1)a). Il a commis une erreur en examinant la gravité de l’infraction à la lumière de ce volet de l’analyse, mais cette erreur n’a pas eu d’incidence significative sur la peine. Au moment de l’infraction, M était sur le point d’atteindre l’âge adulte et il résidait dans son domicile familial. Il avait un casier judiciaire qui comprenait les crimes d’entrée par effraction, de vol et de possession d’une substance inscrite en vue d’en faire le trafic. Il avait été condamné à deux ordonnances de probation et il lui était interdit d’avoir en sa possession toute arme ou arme à feu. La situation de M révèle un jeune homme élevé au sein d’une communauté immigrante dans un quartier défavorisé et influencé par une dynamique de quartier négative. Rien n’indique qu’il souffrait de troubles mentaux, mais il a affirmé avoir été victime d’intimidation durant son enfance et il souffre peut‑être d’un trouble d’apprentissage. Les circonstances et la complexité de l’infraction comprennent la planification et la préméditation, ainsi que la participation en tant qu’auteur principal. Cela témoigne d’un jugement mature. Après l’infraction, M a tenté de se débarrasser de ses vêtements tachés de sang, il a quitté le pays et il a continué de chercher à obtenir une arme à feu. Ce comportement est caractéristique d’une personne qui comprend la gravité de ses actes et tend à indiquer qu’il avait un jugement et une maturité d’adulte au moment de l’infraction. Il n’y a aucune erreur dans la conclusion du juge chargé de la détermination de la peine selon laquelle il était convaincu, eu égard à l’ensemble de la preuve, que la présomption de culpabilité morale moins élevée avait été réfutée.

                    Une peine spécifique pour adolescents ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger M à répondre de ses actes. Il y a une preuve de préméditation et d’organisation en vue de mater toute résistance de la victime qui a peut‑être été poignardée dans le dos et été retenue. M et son coaccusé ont terrorisé la mère de la victime à l’intérieur du domicile familial. La gravité de l’infraction se traduit par une grande culpabilité morale. Selon le juge chargé de la détermination de la peine, M a porté des coups de couteau et était un auteur principal de l’infraction. Cette culpabilité morale n’est pas atténuée par son âge, vu qu’il avait près de 18 ans et qu’il n’y avait pas d’indice d’immaturité. M a fait preuve d’un jugement s’apparentant à celui d’un adulte tant avant que pendant et qu’après la perpétration de ce crime. De graves inquiétudes ont été exprimées au sujet des perspectives de traitement et de l’à‑propos d’une peine spécifique pour adolescents pour assurer la sécurité du public. Il faut faire preuve de déférence à l’endroit de ces conclusions.

Jurisprudence

Citée par le juge Kasirer

                    Arrêt appliqué : R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3; distinction d’avec les arrêts : R. c. B.J.M., 2024 SKCA 79, 441 C.C.C. (3d) 316; R. c. O. (A.), 2007 ONCA 144, 218 C.C.C. (3d) 409; R. c. M. (S.H.), [1989] 2 R.C.S. 446; arrêt examiné : R. c. W. (M.), 2017 ONCA 22, 134 O.R. (3d) 1; arrêts mentionnés : R. c. S.B., 2025 CSC 24; R. c. Pearson, [1992] 3 R.C.S. 665; R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368; R. c. Henderson, 2018 SKPC 27; R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089; R. c. Friesen, 2020 CSC 9, [2020] 1 R.C.S. 424; R. c. B.L., 2013 MBQB 89, 292 Man. R. (2d) 51; LSJPA — 1915, 2019 QCCA 786; R. c. A.W.B., 2018 ABCA 159, 71 Alta. L.R. (6th) 90; R. c. Okemow, 2017 MBCA 59, 353 C.C.C. (3d) 141; R. c. C.D., 2005 CSC 78, [2005] 3 R.C.S. 668; La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; R. c. Chol, 2018 BCCA 179; R. c. T. (D.D.), 2010 ABCA 365, 36 Alta. L.R. (5th) 153; R. c. Currie, [1997] 2 R.C.S. 260; R. c. L.M., 2008 CSC 31, [2008] 2 R.C.S. 163; R. c. Topp, 2011 CSC 43, [2011] 3 R.C.S. 119; R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61; R. c. Boutilier, 2017 CSC 64, [2017] 2 R.C.S. 936; LSJPA — 088, 2008 QCCA 401, [2008] R.J.Q. 670; R. c. D. (R.), 2010 ONCA 899, 106 O.R. (3d) 755; R. c. Anderson, 2018 MBCA 42, 361 C.C.C. (3d) 313; R. c. Ellacott, 2017 ONCA 681; R. c. R. (J.F.), 2016 ABCA 340, 46 Alta. L.R. (6th) 341; R. c. R.D.F., 2019 SKCA 112, 382 C.C.C. (3d) 1; R. c. Morris, 2021 ONCA 680, 159 O.R. (3d) 685; R. c. Hills, 2023 CSC 2; R. c. A.M., 2024 ONSC 5323; R. c. Z.A., [2023] EWCA Crim 596, [2023] 2 Cr. App. R. (S.) 45 (p. 404); R. c. Brown, [2013] NICA 5; Bugmy c. The Queen, [2013] HCA 37, 302 A.L.R. 192; R. c. Amos, [2012] NSWSC 1021; R. c. B.J.M., 2022 SKPC 38; R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433; R. c. Anderson, 2021 NSCA 62, 405 C.C.C. (3d) 1; R. c. Ellis, 2022 BCCA 278, 417 C.C.C. (3d) 102; R. c. C.K., 2022 QCCA 539; R. c. Pierre, 2023 ABCA 300; R. c. X., 2014 NSPC 95, 353 N.S.R. (2d) 130; R. c. B.W.P., 2006 CSC 27, [2006] 1 R.C.S. 941; R. c. S.B., 2023 ONCA 369, 426 C.C.C. (3d) 367; R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500; R. c. B.L.P., 2011 ABCA 384, 519 A.R. 200; R. c. C.H.C., 2009 ABQB 125, 465 A.R. 240; R. c. Esseghaier, 2021 CSC 9, [2021] 1 R.C.S. 101; R. c. K.J.M., 2019 CSC 55, [2019] 4 R.C.S. 39.

Citée par les juges Côté et Rowe (dissidents)

                    R. c. T. (D.D.), 2010 ABCA 365, 36 Alta. L.R. (5th) 153; R. c. Okemow, 2017 MBCA 59, 353 C.C.C. (3d) 141; R. c. McClements, 2017 MBCA 104; R. c. Chol, 2018 BCCA 179; R. c. B.J.M., 2024 SKCA 79, 441 C.C.C. (3d) 316; R. c. W. (M.), 2017 ONCA 22, 134 O.R. (3d) 1; R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3; R. c. M. (S.H.), [1989] 2 R.C.S. 446; A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), 2009 CSC 30, [2009] 2 R.C.S. 181; R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368; R. c. Pearson, [1992] 3 R.C.S. 665; Québec (Ministre de la Justice) c. Canada (Ministre de la Justice), [2003] R.J.Q. 1118; R. c. B. (D.) (2004), 72 O.R. (3d) 605, conf. par (2006), 79 O.R. (3d) 698; R. c. M.B.W., 2007 ABPC 214, 424 A.R. 18, conf. par 2008 ABCA 317, 437 A.R. 325; R. c. Estacio, 2010 ABCA 69, 252 C.C.C. (3d) 469; R. c. O. (A.), 2007 ONCA 144, 218 C.C.C. (3d) 409; LSJPA — 088, 2008 QCCA 401, [2008] R.J.Q. 670; R. c. S.B., 2025 CSC 24; R. c. Anderson, 2018 MBCA 42, 361 C.C.C. (3d) 313.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, art. 7.

Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 13, 231(5)e), 235(1), 718.2e), 724(3)e), 734(2), 742.1a), 743.5, 745.1, 753(1), (4.1), 753.1.

Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, c. S‑26, art. 46.1.

Loi sur la sécurité des rues et des communautés, L.C. 2012, c. 1, art. 168(2), 183, 195, 204.

Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1, préambule, art. 2(1) « adolescent », « enfant », « infraction grave », « infraction grave avec violence », 3, 14(5), 16a), 34, 37, partie 4, 38, 39, 42, 50(1), 64, 71, 72, 76, partie 5, 83(1), 104, 105.

Projet de loi C‑4, Loi de Sébastien (protection du public contre les jeunes contrevenants violents), 3e sess., 40e lég., 2010, art. 18.

Traités et autres instruments internationaux

Convention relative aux droits de l’enfant, R.T. Can. 1992 no 3.

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Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Témoignages, nº 52, 3e sess., 40e lég., 7 mars 2011, p. 12‑14.

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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Simmons, Tulloch et Huscroft), 2023 ONCA 378, 426 C.C.C. (3d) 468, [2023] O.J. No. 2312 (Lexis), 2023 CarswellOnt 7836 (WL), qui a confirmé la décision sur la peine imposée à l’accusé pour meurtre au premier degré. Pourvoi accueilli, les juges Côté et Rowe sont dissidents.

                    Nader R. Hasan, Stephen Aylward et Alexandra Heine, pour l’appelant.

                    Alexander Alvaro et Justin Reid, pour l’intimé.

                    Roy Lee et Ginette Gobeil, pour l’intervenant le procureur général du Canada.

                    Julie Nadeau et Philippe Desjardins, pour l’intervenant le directeur des poursuites criminelles et pénales.

                    Sarah Clive, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

                    Mary Birdsell, Jin Chien et Katherine Long, pour l’intervenante Justice for Children and Youth.

                    Annamaria Enenajor et Heather Gunter, pour l’intervenante Queen’s Prison Law Clinic.

                    Maija Martin et Jolene Hansell, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).

                    Stephanie Di Giuseppe et Maya Borooah, pour l’intervenante Peacebuilders Canada.

                    Vincent Larochelle et Safiyya Ahmad, pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.

                    Cori Singer et Samara Secter, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

                   Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau rendu par

                   Le juge Kasirer —

I.               Aperçu

[1]                             Alors qu’I.M. était âgé de 17 ans et 5 mois, il a, avec quelques autres personnes, affronté S.T., un autre adolescent de 17 ans, dans une ruelle. Le groupe avait l’intention de voler les armes à feu qu’il croyait que S.T. avait en sa possession. S.T. est décédé des suites des coups de couteau reçus au cours de la bagarre. I.M. a été déclaré coupable de meurtre au premier degré par un tribunal pour adolescents. La Couronne a demandé qu’il soit assujetti à la peine applicable aux adultes. Le juge chargé de la détermination de la peine était convaincu que les conditions permettant l’assujettissement à la peine applicable aux adultes étaient réunies et il a condamné I.M. à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans. La Cour d’appel a rejeté l’appel d’I.M. Devant notre Cour, I.M. affirme que les juridictions inférieures ont erré dans leur interprétation du par. 72(1) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1 (« LSJPA »), et que ces erreurs de droit ont eu une incidence importante sur la peine qui lui a été infligée. I.M. demande qu’une peine spécifique pour adolescents lui soit imposée au lieu de la peine d’emprisonnement à perpétuité applicable aux adultes.

[2]                             Pour trancher l’appel interjeté par I.M. à l’encontre de sa peine, la Cour doit interpréter le par. 72(1) afin de déterminer dans quels cas un adolescent peut être assujetti à la peine applicable aux adultes plutôt qu’au régime de détermination de la peine prévu dans la LSJPA. L’affaire connexe R. c. S.B., 2025 CSC 24, instruite en même temps que le présent pourvoi, soulève la même question.

[3]                             Le régime de détermination de la peine de la LSJPA, à l’instar de celui applicable aux adultes du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 (« C. cr. »), vise à obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux par l’imposition de sanctions assorties de « perspectives positives ». La LSJPA cherche toutefois à atteindre cet objectif en instaurant un système de justice pénale distinct fondé sur « le principe de culpabilité morale moins élevée » (al. 3(1)b) LSJPA). Ainsi, une peine spécifique pour adolescents pour meurtre au premier degré ne peut excéder une période de 10 ans consistant, d’une part, en une mesure de placement sous garde d’une durée maximale de 6 ans et, d’autre part, en la mise en liberté sous condition au sein de la collectivité (sous‑al. 42(2)q)(i) LSJPA). En comparaison, la peine applicable aux adultes pour la même infraction est l’emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans (par. 235(1) et al. 745.1b) C. cr.).

[4]                             Il ne fait aucun doute que le fardeau de convaincre le tribunal pour adolescents que l’assujettissement à la peine applicable aux adultes devrait être ordonné incombe à la Couronne (par. 72(2) LSJPA). Le paragraphe 72(1) LSJPA indique ce que doit prouver la Couronne. Le tribunal pour adolescents doit ordonner l’assujettissement à la peine applicable aux adultes lorsqu’il est convaincu que « la présomption de culpabilité morale moins élevée » dont bénéficie l’adolescent est réfutée et lorsqu’une peine spécifique pour adolescents ne serait pas d’une durée suffisante pour « obliger l’adolescent à répondre » de ses actes délictueux. Dans les présents pourvois connexes, la Cour doit interpréter le par. 72(1) pour déterminer le sens à donner à ces conditions et pour décider si, en définitive, la Couronne s’est acquittée de son fardeau eu égard aux situations distinctes d’I.M. et de S.B., qui étaient tous deux des adolescents lorsqu’ils ont commis les infractions.

[5]                             Les tribunaux canadiens sont divisés sur la question de savoir si la Couronne doit convaincre le juge chargé de la détermination de la peine que la présomption de culpabilité morale moins élevée prévue à l’al. 72(1)a) a été réfutée hors de tout doute raisonnable. Dans le cas qui nous occupe, les juridictions inférieures ont plutôt conclu que la réfutation de la présomption exige une appréciation de certains facteurs par le juge chargé de la détermination de la peine et que cette appréciation ne se prête pas à l’imposition à la Couronne de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable. Selon cette interprétation, le tribunal pour adolescents doit prendre une décision d’évaluation, ou rendre un jugement éclairé, pour déterminer si l’adolescent a la maturité, le discernement moral et l’aptitude à exercer le jugement indépendant d’un adulte. Si le juge est convaincu que tel est le cas après avoir soupesé tous les facteurs pertinents, la Couronne s’est alors acquittée de son fardeau.

[6]                             En toute déférence pour l’avis contraire, je ne partage pas cette interprétation de l’al. 72(1)a). La règle législative repose sur un fait — l’âge de l’adolescent — qui justifie la présomption de culpabilité morale moins élevée de celui‑ci, sauf si cette présomption est réfutée. Toute personne qui n’a pas atteint l’âge de 18 ans — et qui répond donc à la définition d’« adolescent » prévue au par. 2(1) LSJPA — a le droit de bénéficier de la présomption de culpabilité morale moins élevée dont il est question à l’al. 72(1)a) en raison de son âge chronologique. Toutefois, lorsque la Couronne démontre que l’adolescent a la maturité d’un adulte, celui‑ci cesse de bénéficier de la présomption qui ferait autrement en sorte qu’en raison de son âge, il se voie infliger une peine spécifique sous le régime de la LSJPA. À l’instar de la présomption elle‑même, la réfutation de la présomption par la Couronne repose donc sur la preuve d’un fait : lorsque son âge développemental, contrairement à son âge chronologique, indique qu’il est apte à exercer le jugement moral d’un adulte, l’adolescent n’a plus droit au bénéfice de la présomption. Prouver qu’un adolescent a l’âge développemental d’un adulte peut bien sûr être plus compliqué que de prouver son âge chronologique, mais il ne s’agit pas moins d’un examen factuel qui se prête tout aussi bien à une preuve hors de tout doute raisonnable.

[7]                             Il est important de noter que la règle relative à la réfutation de la présomption de culpabilité morale moins élevée énoncée au par. 72(1) LSJPA doit, si son sens est incertain, être interprétée d’une manière conforme à la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour a décidé que le principe selon lequel les adolescents ont droit à la présomption de culpabilité morale moins élevée lors de la détermination de la peine constitue un principe de justice fondamentale garanti par l’art. 7 de la Charte (R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3, par. 69-70). De plus, la réfutation de la présomption prévue à l’al. 72(1)a) fait intervenir l’intérêt à la liberté de l’adolescent que la Constitution garantit à celui-ci, en ce sens qu’elle risque d’accroître la sévérité de la peine en assujettissant l’adolescent à la peine applicable aux adultes, en l’occurrence l’emprisonnement à perpétuité. La jurisprudence de notre Cour en matière de détermination de la peine indique clairement que les faits qui sont susceptibles de justifier une peine plus sévère doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable, conformément aux principes de justice fondamentale consacrés par la Charte (par. 78‑80, citant R. c. Pearson, [1992] 3 R.C.S. 665, p. 686, et R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368, p. 414‑415).

[8]                             Si la présomption est réfutée, le risque couru par I.M. est considérablement accru du fait qu’il est passible de la peine applicable aux adultes pour meurtre, soit l’emprisonnement à perpétuité, plutôt que d’une peine spécifique pour adolescents maximale de 10 ans. La Couronne doit démontrer que, malgré le fait qu’I.M. était un adolescent au moment de l’infraction, son âge développemental était alors celui d’un adulte. Cette démonstration doit se faire selon la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, étant donné que le fait de réfuter la présomption revient à prouver un facteur aggravant. En effet, la réfutation expose I.M. au risque de se voir infliger une peine beaucoup plus sévère que la peine spécifique pour adolescents applicable au meurtre au premier degré.

[9]                             Si l’on interprète correctement l’al. 72(1)a) LSJPA, la Couronne doit donc assumer ce fardeau de persuasion pour que le tribunal pour adolescents soit « convaincu » que la présomption est réfutée. Les principes constitutionnels reconnus dans les arrêts D.B., Pearson et Gardiner, considérés conjointement, commandent cette interprétation de l’al. 72(1)a). La Couronne doit réfuter hors de tout doute raisonnable la présomption de culpabilité morale moins élevée prévue par la loi afin que cette dernière soit conforme aux impératifs de la Charte (R. c. B.J.M., 2024 SKCA 79, 441 C.C.C. (3d) 316, par. 63‑70 et 117, et R. c. Henderson, 2018 SKPC 27, par. 34; voir aussi D. Parkes, « “17 Going on 23” : Sentencing Young People to Life in Canada » (2025), 48:1 Dal. L.J. 1, note 50, p. 11-13).

[10]                         Les tribunaux ne s’entendent pas non plus sur les facteurs dont le juge chargé de la détermination de la peine doit tenir compte pour déterminer si la Couronne a réussi à réfuter la présomption de culpabilité morale moins élevée. La gravité objective de l’infraction, par exemple, bien que pertinente à la deuxième étape de l’analyse prévue à l’al. 72(1)b) LSJPA, n’a pas de lien logique avec la question de savoir si un adolescent possède l’aptitude à exercer le jugement moral d’un adulte au moment de l’infraction. Par conséquent, elle n’est pas pertinente pour réfuter la présomption prévue à l’al. 72(1)a). Cependant, les facteurs qui se concentrent véritablement sur l’âge développemental de l’adolescent contrevenant et sur son aptitude à exercer un jugement moral, tels que sa santé mentale et ses antécédents, doivent être pris en compte lorsqu’ils font partie du dossier.

[11]                         Si la présomption est réfutée par la Couronne comme le prévoit l’al. 72(1)a), une deuxième condition distincte doit être remplie avant que la peine applicable aux adultes puisse être prononcée. Conformément à l’al. 72(1)b), le juge chargé de la détermination de la peine doit être convaincu qu’une peine spécifique serait insuffisante pour obliger l’adolescent à répondre de l’infraction.

[12]                         Il incombe là encore à la Couronne de démontrer que la peine spécifique — en l’espèce, celle énoncée au sous‑al. 42(2)q)(i) LSJPA — ne serait pas indiquée, mais la norme de preuve n’est pas celle de la preuve hors de tout doute raisonnable. La nature de l’examen s’apparente ici à la détermination d’une peine juste, une évaluation qui implique une appréciation discrétionnaire des circonstances aggravantes et atténuantes relatives à l’infraction et au contrevenant, ainsi que la mise en balance de principes concurrents en matière de détermination de la peine (voir B.J.M., par. 95).

[13]                         À ce stade, la gravité de l’infraction est l’élément le plus pertinent, en ce sens que la démarche comporte l’examen de la question de savoir si une peine spécifique pour adolescents constitue une sanction proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. Le profil et les antécédents du contrevenant peuvent encore être pertinents, mais dans un but différent. À ce stade, ces éléments ne sont pas examinés au regard de la raison d’être de la présomption énoncée à l’al. 72(1)a) quant à l’aptitude de l’adolescent à exercer un jugement moral, mais plutôt en fonction de la raison d’être de la responsabilité dont parle le Parlement à l’al. 72(1)b).

[14]                         Dans le cas d’I.M., et en tout respect pour l’opinion contraire, je conclus que la Couronne n’a pas démontré hors de tout doute raisonnable que la présomption de culpabilité morale moins élevée a été réfutée selon la condition préliminaire prévue à l’al. 72(1)a). Le juge chargé de la détermination de la peine n’a pas appliqué la bonne norme pour évaluer le fardeau qui incombait à la Couronne. La cour a ensuite pris en compte la gravité de l’infraction en tant que facteur dans son raisonnement, ce qui constituait une autre erreur de droit, puisque ce facteur n’est pas pertinent pour l’examen qu’exige l’al. 72(1)a).

[15]                         De plus, le juge chargé de la détermination de la peine n’a pas dûment tenu compte de certains aspects des antécédents médicaux d’I.M., révélés par la preuve médicale d’experts, ni de ses antécédents personnels. En outre, les implications de certains des faits constatés par le juge chargé de la détermination de la peine ont révélé l’immaturité d’I.M. et son inaptitude à exercer le jugement moral d’un adulte au moment de la perpétration de l’infraction. Ces éléments constituaient un obstacle supplémentaire à la réfutation de la présomption. Ces erreurs ont cumulativement eu une incidence négative sur la détermination de la peine, à l’égard de laquelle, selon la norme de contrôle expliquée dans l’arrêt R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 44 et suiv., il n’y a ainsi pas lieu de faire preuve de déférence en appel.

[16]                         Dans les circonstances, notre Cour doit intervenir et procéder à sa propre analyse pour déterminer la peine (Lacasse, par. 43; R. c. Friesen, 2020 CSC 9, [2020] 1 R.C.S. 424, par. 27). Elle doit notamment rendre une nouvelle décision aux termes du par. 72(1) LSJPA afin de déterminer si la Couronne s’est acquittée de son fardeau pour faire assujettir I.M. à la peine applicable aux adultes. Si l’on accepte les conclusions de fait du juge chargé de la détermination de la peine, y compris celles qu’il a tirées concernant les circonstances de la perpétration de l’infraction, le tribunal pour adolescents disposait d’éléments de preuve relatifs au fait que l’enfance difficile d’I.M. et ses problèmes de santé mentale affectaient son âge développemental, ce qui est pertinent dans le cadre de l’analyse requise par l’al. 72(1)a), et démontraient qu’il n’avait pas le degré de maturité d’un adulte au moment de l’infraction. De plus, les preuves retenues par le juge chargé de la détermination de la peine démontraient également qu’au moment de l’infraction, I.M. percevait sa participation au vol qualifié comme une occasion de faire ses preuves en tant que criminel auprès de ses pairs adultes. Quatre jours après les faits, I.M. a aussi eu l’imprudence de raconter ses actes délictueux à un camarade de classe. Ces faits ne constituaient pas seulement la preuve de la participation d’I.M. au crime, comme l’a relevé à juste titre le juge chargé de la détermination de la peine, mais témoignaient également d’une bravade irréfléchie, d’une incapacité à raisonner comme un adulte et de la vulnérabilité immature d’I.M. à l’influence néfaste d’adultes au moment de l’infraction.

[17]                         Lors de la nouvelle détermination de la peine, ces autres éléments sont pertinents pour prouver l’âge développemental d’I.M. et constituent une preuve indiquant qu’il n’avait ni la maturité ni l’aptitude à exercer le jugement moral d’un adulte au moment de l’infraction. Je conclus que la Couronne n’a pas démontré, hors de tout doute raisonnable, que la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficiait I.M. en vertu de la loi avait été réfutée. Il doit donc être dûment assujetti à la peine spécifique conformément au régime de détermination de la peine pour les adolescents de la LSJPA.

[18]                         Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler le jugement de la Cour d’appel, d’infirmer la décision du tribunal pour adolescents et de déterminer à nouveau la peine d’I.M. en l’assujettissant à une peine spécifique en vertu du par. 42(2) LSJPA. Je m’empresse de préciser qu’I.M. ne demeure pas moins responsable, au moment de la détermination de la peine, de l’infraction qu’il a commise en 2011 en tant qu’adolescent. Compte tenu des circonstances très graves entourant la perpétration de l’infraction décrites par le juge chargé de la détermination de la peine, et compte tenu de tous les principes pertinents en matière de détermination de la peine pour adolescents, je propose que notre Cour inflige à I.M. la peine spécifique maximale pour meurtre au premier degré expressément prévue par le Parlement au sous‑al. 42(2)q)(i) LSJPA.

[19]                         En conséquence, en ce qui concerne la période de garde de six ans de sa peine spécifique, je suis d’avis de soustraire de la peine d’I.M. toute la période qu’il a passée sous garde après son incarcération dans le cadre de la peine pour adultes d’emprisonnement à perpétuité qui lui a été infligée à tort, soit une période d’environ cinq ans. Quant au crédit additionnel pour la période qu’il a passée sous garde avant le prononcé de la peine, je refuse d’accéder à la demande d’I.M. de le condamner au temps qu’il a déjà passé en détention, ou « temps fait ». Étant donné que le dossier dont nous sommes saisis est incomplet, je propose de renvoyer la question du crédit pour détention présentencielle à un juge du tribunal pour adolescents afin qu’il tranche cette question discrétionnaire en vertu du par. 38(3) LSJPA, après avoir entendu les arguments appropriés et en tenant pleinement compte, en particulier, du temps considérable qu’I.M. a passé en détention présentencielle et de sa conduite pendant cette période, dont nous n’avons pas un compte rendu complet dans le dossier d’appel. Par la suite, comme l’exige l’art. 105 LSJPA, un juge du tribunal pour adolescents déterminera les modalités dont il convient d’assortir la partie de la peine spécifique d’I.M. relative à sa mise en liberté sous condition de quatre ans, en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes à ce moment‑là.

II.            Contexte

A.           L’infraction et la déclaration de culpabilité d’I.M. pour meurtre au premier degré

[20]                         Un soir de janvier 2011, dans une banlieue de Toronto, I.M. s’est présenté en compagnie d’autres individus au domicile de S.T., un adolescent âgé de 17 ans. I.M. avait lui‑même 17 ans et 5 mois à l’époque. Il était accompagné d’au moins quatre autres individus, dont quelques hommes adultes. Le groupe projetait de voler des armes à feu à S.T. qu’ils croyaient être en sa possession.

[21]                         S.T. était en train de pelleter de la neige devant sa maison lorsque les membres du groupe l’ont abordé dans l’entrée de cour. Ils en sont venus aux coups. Un des membres du groupe a frappé S.T. à la tête avec une arme de poing. Alors que S.T. résistait, les membres du groupe l’ont amené de force dans une ruelle étroite adjacente à son domicile. S.T. a été poignardé à au moins 11 reprises. Il a notamment reçu un coup de couteau qui lui a causé une profonde entaille à côté du nez, un autre coup de couteau dans le dos, qui a perforé son poumon droit, et un autre encore au milieu du bas du dos, qui a atteint son rein droit. Un pathologiste judiciaire a constaté ultérieurement l’absence de blessures défensives sur les avant‑bras et les mains de S.T., ce qui indiquait qu’il avait peut‑être été maîtrisé, qu’il était inconscient en raison du sang perdu ou qu’il avait été poignardé par‑derrière pendant l’attaque. L’absence de ce type de blessures indiquait que S.T. n’avait pas été en mesure de se défendre efficacement contre ses agresseurs.

[22]                         Le groupe a laissé S.T. gisant dans son sang dans la ruelle avec ce qui s’est avéré être des blessures mortelles. I.M., qui avait reçu une coupure à la main pendant l’attaque, est entré dans la maison avec les autres où ils sont tombés sur la mère de S.T. Ils l’ont frappée deux fois à la tête avec une arme de poing et l’ont forcée à s’asseoir sur une chaise, la tête entre les genoux, pendant qu’I.M. et les autres membres du groupe fouillaient la maison à la recherche d’armes à feu. Ils n’en ont trouvé aucune. C’est environ à ce moment que le père et le frère de S.T. sont arrivés à leur domicile. Le père a trouvé le corps inanimé et couvert de sang de S.T. dans la ruelle. Le frère a appelé les services d’urgence. S.T. a été transporté à l’hôpital, où son décès a par la suite été constaté.

[23]                         Une semaine après l’attaque, I.M. a quitté le pays. Trois des adultes ayant pris part à l’attaque ont été arrêtés plusieurs mois plus tard. En 2015, l’un d’entre eux a été déclaré coupable de meurtre au premier degré, et les deux autres ont été déclarés coupables de meurtre au deuxième degré. En appel, la déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré a été remplacée par une déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré.

[24]                         I.M. a finalement été arrêté en 2013. Comme il était adolescent au moment de l’infraction, il a été jugé seul suivant la LSJPA et a été reconnu coupable de meurtre au premier degré en 2019.

[25]                         Bien qu’il fût le plus jeune du groupe, I.M. a participé activement à la planification et à l’exécution du vol qualifié qui a mené à l’agression fatale. Les messages textes échangés entre I.M. et l’un de ses complices adultes montraient que, dans les jours précédant le vol qualifié, I.M. avait activement tenté de se procurer une arme à feu, exprimant son désir d’acheter une arme de poing de calibre .38. Le jour du meurtre, I.M. a envoyé au même adulte un message où il désignait le vol qualifié planifié comme une [traduction] « occasion de faire [s]es preuves » (d.a., vol. II, p. 167), indiquant qu’il voyait ce crime comme un tremplin vers des activités criminelles plus importantes.

[26]                         Dans ses directives au jury, le juge du procès a décrit la participation d’I.M. comme étant importante. Cette conclusion s’appuyait sur les conclusions médico‑légales, les témoignages corroborants et les communications avec les complices. G.D., un camarade de classe d’I.M., a témoigné que ce dernier avait admis avoir poignardé S.T. à plusieurs reprises et qu’il lui avait montré un sac de vêtements ensanglantés dont il avait l’intention de se débarrasser. Ce témoignage renforçait la thèse de la Couronne selon laquelle I.M. avait joué un rôle de premier plan dans les événements ayant mené à la mort de S.T.

[27]                         I.M. n’a pas témoigné à son procès. Selon la thèse de la défense, il n’a pas participé à l’agression à coups de couteau. Son avocat a formulé la théorie selon laquelle après avoir été blessé lors de l’affrontement initial avec S.T., I.M. était entré dans la maison pour effectuer le vol qualifié et ne se trouvait pas dans la ruelle lorsque les coups de couteau fatals ont eu lieu. I.M. a soutenu que les traces de son sang dans la maison corroboraient sa version des faits, car il n’y avait aucune trace de son sang dans la ruelle. Au bout du compte, le jury a déclaré I.M. coupable de meurtre au premier degré par imputation, une infraction prévue à l’al. 231(5)e) C. cr., qui prévoit que le meurtre est assimilé à un meurtre au premier degré lorsqu’il est commis à l’occasion d’une séquestration.

[28]                         I.M. était un adolescent au moment de l’infraction. La Couronne a, en vertu de l’art. 64 LSJPA, demandé l’assujettissement d’I.M. à la peine applicable aux adultes.

B.            Autres éléments pertinents pour la détermination de la peine

[29]                         On ne peut trop insister sur l’incidence que ces événements ont eue sur la famille de S.T. Sa mère souffre encore des répercussions psychologiques et physiques de la mort de son fils et de la violence avec laquelle le vol qualifié a été commis. Le père de S.T. est rongé par le chagrin; depuis la mort de son fils, il ne se sent plus en sécurité et est incapable de se reposer et d’établir des liens avec autrui. Le frère de S.T. est toujours hanté par la tragédie.

[30]                         I.M. est né au Bangladesh le 9 octobre 1993. Il a immigré à Toronto avec sa famille en 1994. Son milieu familial était stable. Ses parents ont qualifié leur relation d’étroite et de respectueuse. La mère d’I.M. a insisté sur la prévenance et la capacité d’écoute de son fils, tandis que son père a souligné sa participation à des activités religieuses, de même que ses relations positives avec ses frères et sœur et ses cousins et cousines. Les membres de la famille ont régulièrement rendu visite à I.M. pendant sa détention, lui témoignant leur soutien indéfectible.

[31]                         L’éducation d’I.M. a été perturbée par des changements d’écoles fréquents en raison de l’intimidation et d’autres difficultés qu’il a subies. En 2010, il a survécu à une fusillade dans son école; il a alors été transféré dans une autre école, mais il a continué à ressentir de la peur pendant longtemps. Il a reçu un diagnostic de trouble d’apprentissage, qui se manifestait par des difficultés à traiter et à retenir l’information. Malgré ses difficultés, les dossiers scolaires d’I.M. faisaient état de son potentiel en tant qu’étudiant.

[32]                         I.M. a commencé à se livrer à des activités criminelles au début de son adolescence, sous l’influence de pairs plus âgés. Il a participé à la vente de drogue et à des cambriolages dès l’âge de 12 ou 13 ans. Sa première déclaration de culpabilité est survenue alors qu’il avait 16 ans, pour introduction par effraction et vol. Il a ensuite été déclaré coupable de trafic de drogue. Ces infractions lui ont valu des mesures probatoires et des interdictions de possession d’armes à feu.

[33]                         Pendant qu’il était détenu sous l’accusation de meurtre, après avoir atteint l’âge de la majorité, I.M. a fait l’objet de 15 rapports d’inconduite, notamment pour voies de fait, possession de produits de contrebande et dommages matériels. En février 2019, alors qu’il attendait d’être jugé pour l’accusation relative au décès de S.T., il a été accusé de trafic d’une substance désignée.

[34]                         Le docteur Mark Pearce, un psychiatre légiste, a procédé à une évaluation psychiatrique d’I.M. avant la détermination de la peine. Son rapport fournit des renseignements importants sur le profil psychologique d’I.M. et sur ses possibilités de réadaptation. Le Dr Pearce a diagnostiqué chez I.M. un trouble des conduites à l’adolescence, qui se caractérise par des comportements antisociaux persistants. Il a constaté chez I.M. une absence de remords et d’empathie, des caractéristiques associées à un risque élevé de développer un « trouble de la personnalité antisociale » à l’âge adulte. L’exposition précoce d’I.M. à la criminalité, combinée à son instabilité et à l’influence de piètres modèles, a contribué à ses comportements antisociaux.

[35]                         L’évaluation comprenait une [traduction] « évaluation structurée du risque de violence chez l’adolescent », qui faisait ressortir plusieurs facteurs de risque : délinquance des pairs, manque de surveillance et faible rendement scolaire. Certains facteurs de protection positifs ont aussi été relevés, comme le soutien de la famille et l’absence de maladie mentale grave.

[36]                         Le Dr Pearce s’est dit préoccupé par les écarts de conduite d’I.M. pendant sa détention, notamment les voies de fait et le trafic. Le comportement d’I.M. témoignait d’une résistance importante à l’autorité et au respect des règles. Le Dr Pearce a recommandé des interventions ciblées, comme des programmes de prévention de la violence et un mentorat prosocial. Il n’était pas certain du pronostic d’I.M. en raison de la gravité de son trouble des conduites, de ses valeurs antisociales bien établies et des infractions qu’il aurait commises pendant sa détention au début de 2019.

[37]                         Le Dr Pearce a également mentionné les vulnérabilités psychologiques d’I.M., dont les sentiments de tristesse et de stress que ce dernier disait avoir éprouvés pendant sa détention. Même si I.M. ne montrait aucun signe de maladie mentale grave, ces difficultés émotives faisaient ressortir la complexité de son cas et le besoin de mesures de réadaptation adaptées.

III.         Historique judiciaire

A.           Cour supérieure de justice de l’Ontario, 2020 ONSC 4660 (le juge André)

[38]                         Dans ses motifs à l’appui de la peine, le juge du tribunal pour adolescents s’est d’abord penché sur la demande présentée par la Couronne en vue de l’assujettissement d’I.M. à la peine applicable aux adultes pour meurtre au premier degré. I.M. était en détention depuis plus de six ans et sept mois, soit depuis son arrestation en 2013. Son avocat a fait valoir que la demande de la Couronne devrait être rejetée et que la peine appropriée selon la LSJPA serait l’imposition d’une année supplémentaire de détention, suivie d’une surveillance obligatoire au sein de la collectivité d’une période de trois ans et demi. Il a aussi demandé une ordonnance de placement et de surveillance dans le cadre d’un programme intensif de réadaptation (« PSPIR »).

[39]                         Le juge chargé de la détermination de la peine a expliqué le critère à deux volets prévu au par. 72(1) LSJPA qui vise à établir si un adolescent doit être assujetti à la peine pour adultes. Le fardeau de la preuve, a‑t‑il écrit, incombe à la Couronne. Le tribunal doit être « convaincu » que la présomption de culpabilité morale moins élevée a été réfutée et qu’une peine spécifique pour adolescents ne serait pas suffisante pour obliger I.M. à répondre de ses actes.

[40]                         D’entrée de jeu, le juge chargé de la détermination de la peine a établi la norme de preuve applicable au par. 72(1) LSJPA, citant l’arrêt R. c. O. (A.), 2007 ONCA 144, 218 C.C.C. (3d) 409, et le jugement R. c. B.L., 2013 MBQB 89, 292 Man. R. (2d) 51. Il a statué que la norme applicable au par. 72(1) n’est pas celle de la preuve hors de tout doute raisonnable ni celle de la preuve selon la prépondérance des probabilités. Le tribunal doit plutôt décider s’il est convaincu, après un examen minutieux de tous les facteurs pertinents, que les conditions prévues par la loi sont remplies. Il a ensuite indiqué les principaux facteurs applicables tant à l’al. 72(1)a) qu’à l’al. 72(1)b), notamment la gravité de l’infraction et les circonstances de sa perpétration; l’âge, la maturité et la personnalité de l’adolescent ainsi que ses antécédents et condamnations antérieures.

[41]                         Le juge a analysé séparément l’al. 72(1)a) et l’al. 72(1)b) LSJPA. Pour ce qui est de l’al. 72(1)a) — qui consiste à se demander si la Couronne a réussi à réfuter la présomption de culpabilité morale moins élevée —, le juge a tout d’abord rappelé la gravité de l’infraction. I.M. a été reconnu coupable de meurtre au premier degré, [traduction] « l’infraction la plus grave prévue au Code criminel » (par. 28, reproduit au d.a., vol. I, p. 12). Toutefois, la gravité de la déclaration de culpabilité pour meurtre ne justifiait pas [traduction] « en soi » l’assujettissement à la peine applicable aux adultes (par. 29).

[42]                         Le juge a estimé que la participation d’I.M. à la perpétration du crime était celle d’un auteur principal, et non celle d’un participant passif. Dans un échange de messages textes avec l’un de ses complices adultes, I.M. avait parlé du vol qualifié comme d’une [traduction] « occasion de faire [s]es preuves », indiquant qu’il voyait ce crime comme un tremplin vers d’autres infractions et que « cette mission constituait sa transition vers des crimes plus graves » (par. 9). Le juge chargé de la détermination de la peine a également souligné qu’il ne s’agissait pas d’un crime commis sous l’impulsion du moment; la planification du vol qualifié s’était étalée sur plusieurs jours. Après l’agression à coups de couteau, I.M. s’est mis à fouiller la maison à la recherche d’armes à feu, démontrant ainsi son adhésion inébranlable au plan. Le juge a également noté que G.D., un camarade de classe d’I.M., a témoigné que ce dernier lui avait dit, plusieurs jours après les faits, qu’il avait poignardé la victime à plusieurs reprises. Il lui avait montré un sac de vêtements ensanglantés en lui disant qu’il [traduction] « essayait de se débarrasser des vêtements » (par. 11). I.M. a par la suite poursuivi ses démarches afin de se procurer une arme à feu et s’est finalement enfui au Bangladesh. De l’avis du juge chargé de la détermination de la peine, il s’agissait d’un comportement postérieur à l’infraction qui [traduction] « exacerb[ait] la gravité du meurtre » (par. 33).

[43]                         Le juge a examiné l’âge et la maturité d’I.M. Même si ce dernier était âgé de 17 ans et 5 mois au moment de l’infraction, ses actes dénotaient la capacité d’un adulte de planifier et d’exercer un jugement indépendant. La capacité d’I.M. d’organiser le vol qualifié, d’agir de manière résolue pendant la perpétration du crime et de se distancier méthodiquement de l’infraction rend également compte d’une maturité d’adulte. Le casier judiciaire d’I.M. — déclarations de culpabilité pour introduction par effraction, vol et trafic de drogue — révélait l’escalade de ses activités criminelles. Au moment du meurtre, I.M. faisait l’objet de deux ordonnances de probation et d’une interdiction de posséder des armes à feu, ce qui ne l’a pas dissuadé de commettre l’infraction.

[44]                         À la lumière de cette évaluation, le juge a conclu, en appliquant une norme de « conviction », que la présomption de culpabilité morale moins élevée avait été réfutée. Il a estimé qu’au moment de l’infraction, I.M. présentait [traduction] « le degré de maturité, le discernement moral et l’aptitude à exercer le jugement indépendant d’un adulte » (par. 38).

[45]                         Dans le cadre du deuxième volet du critère pour l’assujettissement à la peine applicable aux adultes prévu à l’al. 72(1)b) LSJPA, le juge s’est demandé si une peine spécifique serait d’une durée suffisante pour obliger I.M. à répondre de ses actes délictueux. Outre les éléments communs aux deux volets déjà mentionnés, le juge a examiné d’autres facteurs pertinents au regard du second volet, notamment les déclarations des victimes, le rapport prédécisionnel d’I.M., son comportement pendant sa détention et les avis des experts concernant ses possibilités de réadaptation. Les déclarations des victimes décrivaient le lourd tribut émotionnel et financier que ce crime avait causé à la famille de S.T. Les rapports d’inconduite versés au dossier d’I.M. soulevaient des préoccupations quant à sa volonté de se réformer. Le juge s’est également dit préoccupé par le fait qu’I.M. minimisait son rôle dans la perpétration de l’infraction et qu’il n’avait pas révélé un incident récent lié aux drogues survenu pendant qu’il était en détention. Ces constatations, ajoutées aux déclarations contradictoires d’I.M. au sujet de ses motivations, ont amené le juge à s’interroger sur la détermination d’I.M. à se réadapter.

[46]                         Le juge a fait état de [traduction] « nombreux aspects inspirant la sympathie » de la vie d’I.M., qui a grandi dans un quartier pauvre. Il a noté que l’intimidation, l’influence des pairs et les changements fréquents d’école avaient tous eu [traduction] « une incidence négative sur sa jeunesse » (par. 51). Malgré la preuve du soutien de la famille et de la collectivité dont I.M. bénéficiait, le juge a néanmoins estimé que les écarts de conduite répétés d’I.M., son absence de remords et le fait qu’il se livrait toujours à des activités criminelles démontraient qu’il n’assumait pas la responsabilité de ses actes.

[47]                         Le juge a conclu [traduction] « à contrecœur » qu’une peine spécifique pour adolescents serait insuffisante pour assurer la sécurité publique et pour obliger I.M. à répondre de ses actes délictueux (par. 69). Il a ordonné l’assujettissement d’I.M. à la peine applicable aux adultes, soit l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans.

B.            Cour d’appel de l’Ontario, 2023 ONCA 378, 426 C.C.C. (3d) 468 (les juges Simmons, Tulloch et Huscroft)

[48]                         I.M. a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité et de sa peine. L’appel de la déclaration de culpabilité a été rejeté et n’est pas visé par le présent pourvoi. En ce qui concerne la peine, I.M. a contesté en particulier la décision l’assujettissant à la peine applicable aux adultes comme le prévoit le par. 72(1) LSJPA.

[49]                         La Cour d’appel, tout comme le premier juge, a conclu que la Couronne avait réussi à réfuter la présomption de culpabilité morale moins élevée. Alors qu’il ne lui restait que sept mois avant d’être majeur, I.M. affichait la maturité, le discernement moral et l’aptitude à exercer le jugement indépendant d’un adulte. Le tribunal a souligné qu’I.M. avait été reconnu coupable de meurtre au premier degré, [traduction] « l’un des crimes les plus graves en droit criminel », ajoutant qu’il s’agissait du « meurtre brutal d’un adolescent de dix-sept ans devant son propre domicile qui a eu un effet dévastateur sur la famille de la victime » (par. 75). D’autres facteurs justifiaient la conclusion du juge selon laquelle la présomption avait été réfutée.

[50]                         La participation active et volontaire d’I.M. au vol qualifié, son lourd casier judiciaire et ses écarts de conduite pendant sa détention distinguaient son cas des autres où une peine spécifique pour adolescents avait été jugée suffisante. I.M. était sur le point d’atteindre l’âge adulte au moment de l’infraction, ce qui peut faire pencher la balance en faveur de l’assujettissement à la peine pour adultes plutôt qu’à une peine spécifique. Considérés ensemble, a écrit la Cour d’appel, la gravité de l’infraction et les circonstances de sa perpétration, ainsi que l’âge, la personnalité, les antécédents, les condamnations antérieures d’I.M. et son comportement postérieur à l’infraction, témoignaient du degré de maturité, du discernement moral et de l’aptitude à exercer le jugement indépendant d’un adulte qui justifiaient l’assujettissement à la peine pour adultes.

[51]                         La cour a également souscrit à la conclusion du juge chargé de la détermination de la peine selon laquelle une peine spécifique, même assortie d’une ordonnance de PSPIR, ne serait pas suffisante pour obliger I.M. à répondre de ses actes délictueux. L’évaluation psychiatrique du Dr Pearce, la preuve selon laquelle peu de programmes seraient adaptés au trouble des conduites à l’adolescence et le plan de traitement proposé dans le cadre du PSPIR soulevaient des doutes quant à l’aptitude d’I.M. à se réadapter. Les traits de personnalité antisociale d’I.M., combinés à son comportement postérieur à l’infraction, faisaient de lui un mauvais candidat pour les programmes spécialisés offerts dans le cadre du PSPIR.

[52]                         Lorsqu’elle a rejeté l’appel, la cour a souligné que la mise en balance par le juge chargé de la détermination de la peine des facteurs aggravants et des facteurs atténuants, combinée à son examen des principes de la LSJPA, commandait la déférence en appel. La condamnation d’I.M. à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans a été jugée appropriée dans les circonstances.

IV.         Questions en litige

[53]                         La principale question dans le présent pourvoi est de savoir si le juge chargé de la détermination de la peine a commis une erreur en assujettissant I.M. à la peine applicable aux adultes en vertu du par. 72(1) LSJPA. S’il a effectivement commis une erreur, il faut alors se demander si cette erreur a eu une incidence importante sur la peine infligée à I.M., justifiant ainsi l’intervention en appel, ce qui comprend une nouvelle détermination de la peine par notre Cour.

[54]                         Afin de répondre à ces questions, la Cour doit interpréter le par. 72(1), y compris la norme de preuve applicable et les facteurs pertinents dont le tribunal pour adolescents tient compte lorsqu’il décide s’il ordonne l’assujettissement à la peine pour adultes. En l’absence de contestation constitutionnelle de la loi, I.M. fait valoir que le juge chargé de la détermination de la peine et la Cour d’appel ont mal interprété la disposition. L’appelant affirme qu’il s’agissait d’erreurs de droit qui, en fin de compte, ont eu une incidence importante sur la décision de l’assujettir à la peine applicable aux adultes, soit l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans, comme le prévoit l’al. 745.1b) C. cr. I.M. soutient qu’il devrait plutôt être condamné à la même peine que celle qui serait infligée à un adolescent reconnu coupable de meurtre au premier degré, selon les modalités énoncées à l’al. 42(2)q) LSJPA.

[55]                         Une erreur commise dans l’identification du sens du par. 72(1) LSJPA, comme le soutient l’appelant, constituerait une erreur de droit dans la détermination de la peine. Bien que la norme de contrôle en appel des décisions en matière de détermination de la peine commande la déférence, notre Cour a expliqué dans l’arrêt Lacasse qu’une juridiction d’appel peut intervenir pour modifier une peine si le juge chargé de la déterminer a commis une erreur de principe, mais seulement si cette erreur a eu une incidence sur la détermination de la peine (par. 41 et 44). La même approche empreinte de déférence s’applique au contrôle en appel des décisions en matière de détermination de la peine d’adolescents (voir, p. ex., LSJPA — 1915, 2019 QCCA 786, par. 44; R. c. W. (M.), 2017 ONCA 22, 134 O.R. (3d) 1, par. 49; R. c. A.W.B., 2018 ABCA 159, 71 Alta. L.R. (6th) 90, par. 12; R. c. Okemow, 2017 MBCA 59, 353 C.C.C. (3d) 141, par. 41).

V.           Contexte législatif du présent pourvoi

[56]                         Il est essentiel d’examiner le contexte législatif dans lequel s’inscrivent les demandes présentées par le procureur général en vue de l’assujettissement d’un adolescent à la peine applicable aux adultes si l’on veut interpréter correctement le par. 72(1) LSJPA. Il s’agit d’une question cruciale dans le présent pourvoi. Les parties ont débattu à juste titre l’affaire en se fondant sur le fait que l’art. 72, dans sa version modifiée, s’applique à I.M.[1]

[57]                         Suivant la LSJPA, le terme « adolescent » désigne toute personne qui, étant âgée d’au moins 12 ans, n’a pas atteint l’âge de 18 ans (par. 2(1)); la Loi s’applique à la personne de plus de 18 ans qui, comme I.M., aurait commis une infraction en cours d’adolescence (par. 14(5)). En droit canadien, nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part lorsqu’il était âgé de moins de 12 ans (art. 13 C. cr.). Bien qu’un enfant de cet âge soit, au sens de la loi, doli incapax (c.‑à‑d., réputé incapable de commettre un crime), un adolescent âgé d’au moins 12 ans, mais de moins de 18 ans, peut être reconnu coupable d’une infraction criminelle, y compris d’une « infraction grave », au sens du par. 2(1), pour laquelle la peine maximale prévue est un emprisonnement d’au moins 5 ans.

[58]                         Le présent pourvoi porte sur une peine. L’ordonnance par laquelle le tribunal pour adolescents a assujetti I.M. à la peine applicable aux adultes est considérée, en appel, comme « partie de la peine » (art. 37 et par. 72(5) LSJPA). En plus d’énoncer les conditions permettant d’assujettir un adolescent à la peine applicable aux adultes, l’art. 72 prévoit également que le fardeau imposé par le par. 72(1) incombe au procureur général. Dans sa version modifiée en 2012, le par. 72(1) énumère les conditions qui doivent être réunies pour que l’assujettissement à la peine applicable aux adultes puisse être ordonné, en précisant que la Couronne doit convaincre le tribunal pour adolescents que la présomption de culpabilité morale moins élevée est réfutée et que l’assujettissement à la peine applicable aux adultes est nécessaire pour que l’adolescent réponde de ses actes. Ce critère joue un rôle essentiel quant à l’issue du présent pourvoi. Il incombe à la Couronne de démontrer pourquoi une peine infligée conformément aux principes de détermination de la peine spécifiques qui sont énoncés dans la LSJPA ne suffirait pas dans les circonstances particulières de l’espèce (D.B., par. 82 et 93; W. (M.), par. 154). Le paragraphe 72(2) fait reposer ce fardeau de la preuve entièrement sur la Couronne.

[59]                         L’article 72 dispose :

                    72 (1) Le tribunal pour adolescents ordonne l’assujettissement à la peine applicable aux adultes s’il est convaincu que :

                        a) la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficie l’adolescent est réfutée;

                        b) une peine spécifique conforme aux principes et objectif énoncés au sous‑alinéa 3(1)b)(ii) et à l’article 38 ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux.

                    (1.1) Dans le cas contraire, il ordonne le non‑assujettissement à la peine applicable aux adultes et l’imposition d’une peine spécifique.

                    (2) Il incombe au procureur général de convaincre le tribunal de l’existence des conditions visées au paragraphe (1).

                    (3) Pour rendre l’ordonnance visée aux paragraphes (1) ou (1.1), le tribunal doit examiner le rapport prédécisionnel.

                    (4) Le tribunal pour adolescents, lorsqu’il rend une ordonnance en vertu du présent article, en indique les motifs.

                    (5) Pour l’application de l’article 37, l’ordonnance rendue en vertu des paragraphes (1) ou (1.1) fait partie de la peine.

[60]                         L’arrêt de notre Cour dans l’affaire D.B. a eu d’importantes répercussions sur la LSJPA; il a incité le Parlement à revoir le cadre relatif à l’assujettissement des adolescents contrevenants aux peines applicables aux adultes pour le rendre conforme aux indications de la Cour (N. Bala et S. Anand, Youth Criminal Justice Law (3e éd. 2012), p. 663 et 673‑677). Les modifications ont aboli le régime des infractions désignées et ont introduit une version révisée du par. 72(1), qui impose à la Couronne — et non à l’adolescent — le fardeau de démontrer que l’assujettissement à la peine pour adulte est nécessaire.

[61]                         L’article 72 figure à la partie 4 de la LSJPA, intitulée « Détermination de la peine ». Après la déclaration de culpabilité, mais avant la détermination de la peine d’I.M. sous le régime de la LSJPA, la Couronne a demandé au tribunal pour adolescents d’assujettir I.M. à la peine applicable aux adultes pour meurtre au premier degré. En vertu de l’art. 64 LSJPA, le procureur général peut présenter une demande concernant un adolescent âgé de plus de 14 ans qui a été reconnu coupable d’une infraction pour laquelle un adulte serait passible d’une peine d’emprisonnement de plus de 2 ans. Ces deux conditions sont remplies en l’espèce.

[62]                         La LSJPA s’applique aux « infraction[s] grave[s] avec violence » qui comprennent, selon la définition prévue au par. 2(1) LSJPA, le meurtre, la tentative de meurtre, l’homicide involontaire coupable et l’agression sexuelle grave. Un adolescent peut donc être dûment condamné pour meurtre sous le régime de la LSJPA. La Couronne peut, comme elle l’a fait en l’espèce, demander au tribunal d’assujettir un adolescent à la peine applicable aux adultes, bien que l’art. 64 ait pour effet de l’empêcher de présenter une telle demande dans le cas d’un délinquant âgé de 12 ou de 13 ans, même celui qui a été reconnu coupable de meurtre. Aux yeux du Parlement, les délinquants âgés de 12 ou de 13 ans sont trop jeunes pour être dûment assujettis à la peine applicable aux adultes, même pour un crime violent comme le meurtre. De plus, à moins que la Couronne n’obtienne gain de cause quant à sa demande fondée sur les art. 64 et 72, les adolescents âgés de 14 à 17 ans se voient infliger une peine pour leurs crimes sous le régime de la partie 4.

[63]                         L’article 3 LSJPA comprend une déclaration de principes qui énonce une série de principes applicables à l’ensemble de la Loi, notamment les règles sur la détermination de la peine à la partie 4, et la directive énoncée au par. 3(2) selon laquelle la LSJPA doit faire l’objet d’une interprétation large. Le paragraphe 3(1) indique clairement la volonté du Parlement de protéger le public au moyen d’un équilibre entre divers objectifs de principe. Le système de justice pénale pour adolescents vise à obliger ceux‑ci à répondre de leurs actes tout en favorisant leur réadaptation et leur réinsertion sociale (al. 3(1)a)). Il importe de signaler que la déclaration a été modifiée en 2012 — faisant écho, comme nous le verrons, à l’arrêt D.B. de notre Cour — pour reconnaître que le système de justice pénale pour les adolescents doit être distinct de celui pour les adultes et être fondé sur le « principe de culpabilité morale moins élevée » (al. 3(1)b); par. 168(2) de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés). D’ailleurs, le Parlement oblige le tribunal pour adolescents saisi d’une demande présentée par la Couronne en vertu des art. 64 et 72, y compris celle visant à déterminer la peine nécessaire pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes au sens de l’al. 72(1)b), à tenir notamment compte de l’« état de dépendance et [du] degré de maturité » de l’adolescent, conformément au sous‑al. 3(1)b)(ii) :

                    3 (1) Les principes suivants s’appliquent à la présente loi :

                    . . .

                        b) le système de justice pénale pour les adolescents doit être distinct de celui pour les adultes, être fondé sur le principe de culpabilité morale moins élevée et mettre l’accent sur :

                    . . .

                            (ii) une responsabilité juste et proportionnelle, compatible avec leur état de dépendance et leur degré de maturité, . . .

[64]                         L’alinéa 3(1)c) précise en outre que les mesures prises à l’égard des adolescents qui commettent des infractions, en plus de respecter le principe de la responsabilité juste, doivent viser à « renforcer leur respect pour les valeurs de la société », favoriser la réparation des dommages causés à la victime et à la collectivité et offrir aux adolescents des perspectives positives, compte tenu de leurs besoins et de leur niveau de développement. Ces mesures doivent « prendre en compte [. . .] les différences ethniques, culturelles, linguistiques et entre les sexes » et, en particulier, les besoins propres aux adolescents autochtones. La LSJPA prévoit donc un cadre distinct pour la détermination de la peine des adolescents, reconnaissant que leur développement cognitif, leur capacité à prendre des décisions et leurs possibilités de réadaptation sont différents de ceux des adultes. Toutefois, le Parlement reconnaît également, au sous‑al. 3(1)a)(i) et au par. 38(1), l’importance de prendre des mesures offrant des perspectives positives aux adolescents pour leurs actes délictueux et réserve ses peines d’emprisonnement et de surveillance les plus longues aux infractions que la LSJPA qualifie d’« infraction[s] grave[s] avec violence » au par. 2(1), ce qui comprend le meurtre.

[65]                         Le préambule de la LSJPA renforce ces considérations. Il énonce que la société canadienne se doit d’aider les adolescents dans leur développement et rappelle que le Canada est partie à la convention des Nations Unies intitulée Convention relative aux droits de l’enfant, R.T. Can. 1992 no 3, selon laquelle la détention d’un adolescent doit être une mesure de dernier recours. Le préambule établit également que le système de justice pénale pour les adolescents doit commander le respect du public, favoriser une prise de responsabilité significative et limiter la prise des mesures les plus sévères aux crimes les plus graves.

[66]                         La présente affaire porte sur la détermination de la peine et non sur la responsabilité criminelle. Le cadre législatif régissant la détermination de la peine pour les adolescents se trouve à la partie 4 de la LSJPA. Le paragraphe 38(1) prévoit que l’assujettissement de l’adolescent aux peines spécifiques a pour objectif de faire répondre celui‑ci de l’infraction qu’il a commise par l’imposition de sanctions justes favorisant sa réadaptation et sa réinsertion sociale, tout en favorisant la protection durable du public. Cette disposition indique que le Parlement estime que la meilleure façon d’assurer la sécurité du public est de favoriser la réadaptation :

                    38 (1) L’assujettissement de l’adolescent aux peines visées à l’article 42 (peines spécifiques) a pour objectif de faire répondre celui‑ci de l’infraction qu’il a commise par l’imposition de sanctions justes assorties de perspectives positives favorisant sa réadaptation et sa réinsertion sociale, en vue de favoriser la protection durable du public.

[67]                         L’alinéa 38(2)c) précise en outre que « la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’adolescent à l’égard de l’infraction ». Cela renforce l’idée que la détermination de la peine doit être à la fois individualisée en fonction de l’adolescent en question et proportionnelle, et reconnaît que, même lorsqu’ils sont reconnus coupables de crimes graves, les adolescents sont présumés ne pas avoir le même degré de responsabilité que les adultes. « Cela ne signifie pas que les adolescents ne sont pas responsables des infractions qu’ils commettent », ont écrit les juges majoritaires de notre Cour dans l’arrêt D.B. : « Leur responsabilité est décidément engagée, mais de façon différente » (par. 1).

[68]                         Ces principes encadrent l’examen auquel doit procéder le juge du tribunal pour adolescents pour déterminer s’il est convaincu qu’il doit ordonner l’assujettissement à la peine applicable aux adultes plutôt qu’une peine fixée par le Parlement à la partie 4 de la LSJPA, comme le prévoit le par. 72(1). Avant de pouvoir ordonner l’assujettissement à la peine applicable aux adultes, le tribunal doit déterminer si la présomption de culpabilité morale moins élevée a été réfutée. Cette présomption existe précisément parce que les adolescents, en raison de leur âge, ne peuvent être présumés avoir la même culpabilité morale que les adultes (W. (M.), par. 97).

[69]                         La LSJPA a comme objectif de réduire le recours aux peines privatives de liberté (voir R. c. C.D., 2005 CSC 78, [2005] 3 R.C.S. 668, par. 48‑50). Toutefois, elle prévoit ce que le Parlement appelle des « perspectives positives » pour faire en sorte que l’adolescent réponde des infractions criminelles qu’il a commises (préambule et par. 38(1) LSJPA). Une déclaration de culpabilité de meurtre au premier ou au deuxième degré, par exemple, entraîne un placement sous garde qui vise à faire répondre l’adolescent de ses actes et à favoriser sa réinsertion sociale, deux objectifs qui sont considérés comme « favoris[ant] la protection durable du public », conformément à l’objectif de la détermination de la peine pour les adolescents énoncé au par. 38(1). Le Parlement prévoit également que, sous réserve du principe de la proportionnalité applicable aux adolescents énoncé à l’al. 38(2)c), une peine spécifique peut viser à dénoncer un comportement illicite et à dissuader l’adolescent de récidiver (al. 38(2)f)).

[70]                         La LSJPA comporte un certain nombre de règles spéciales en matière de détermination de la peine qui reconnaissent que le meurtre constitue une infraction grave avec violence. Il convient toutefois de signaler que, contrairement à la peine pour adultes prévue pour la même infraction, la peine pour meurtre prévue par la LSJPA comprend un placement sous garde maximal, mais pas de placement sous garde minimal (Bala et Anand, p. 121 et 554). Le sous‑alinéa 42(2)q)(i) prévoit, dans le cas du meurtre au premier degré, une peine maximale de 10 ans consistant en une mesure de placement sous garde pour une période maximale de 6 ans, suivie d’une mise en liberté sous condition. Le juge chargé de la détermination de la peine peut imposer toute autre sanction prévue à cet article « qu’il estime indiquée » (par. 42(2)). Cette disposition souligne le fait que les adolescents reconnus coupables des infractions les plus graves demeurent assujettis à une responsabilité significative, mais dans un cadre qui tient compte de leur présumée culpabilité morale moins élevée et de leur capacité de réadaptation. Voici les dispositions pertinentes du par. 42(2) :

                    (2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, dans le cas où il déclare un adolescent coupable d’une infraction et lui impose une peine spécifique, le tribunal lui impose l’une des sanctions ci‑après en la combinant éventuellement avec une ou plusieurs autres compatibles entre elles; dans le cas où l’infraction est le meurtre au premier ou le meurtre au deuxième degré au sens de l’article 231 du Code criminel, le tribunal lui impose la sanction visée à l’alinéa q) ou aux sous‑alinéas r)(ii) ou (iii) et, le cas échéant, toute autre sanction prévue au présent article qu’il estime indiquée :

                    . . .

                        q) l’imposition par ordonnance :

                            (i) dans le cas d’un meurtre au premier degré, d’une peine maximale de dix ans consistant, d’une part, en une mesure de placement sous garde, exécutée de façon continue, pour une période maximale de six ans à compter de sa mise à exécution, sous réserve du paragraphe 104(1) (prolongation de la garde), et, d’autre part, en la mise en liberté sous condition au sein de la collectivité conformément à l’article 105, . . .

[71]                         Le régime de détermination de la peine pour meurtre au premier degré au sous‑al. 42(2)q)(i) prévoit expressément, à la partie 5 de la LSJPA, l’intervention d’un juge du tribunal pour adolescents afin qu’il supervise l’exécution des périodes de garde et de surveillance de la peine, conformément à l’objectif du Parlement de « contribuer à la protection de la société » (par. 83(1)). Dans le cas des peines spécifiques pour certains crimes graves avec violence, dont le meurtre, et avant l’expiration de la période de garde, le par. 104(1) permet au procureur général de demander au tribunal d’ordonner le maintien sous garde de l’adolescent s’il existe « des motifs raisonnables de croire que l’adolescent commettra vraisemblablement, avant l’expiration de sa peine, une infraction causant la mort ou un dommage grave à autrui ». La décision que rend le tribunal pour adolescents saisi d’une demande de maintien sous garde présentée en vertu de l’art. 104 est fondée sur son évaluation d’un comportement violent continuel possible et du risque de récidive chez l’adolescent (voir le par. 104(3); L. Tustin, A Guide to the Youth Criminal Justice Act (éd. 2024/2025), p. 226‑227). De plus, dans le cas d’une peine spécifique pour meurtre au premier degré, le par. 105(1) exige que, « au moins un mois avant l’expiration de la période de garde », le tribunal pour adolescents fixe les conditions qui s’appliqueront lors de la période de mise en liberté au sein de la collectivité. Cette approche permet au tribunal pour adolescents d’évaluer de façon opportune et contextuelle les besoins de l’adolescent et l’intérêt de la collectivité en matière de sécurité lorsqu’il fixe les conditions de supervision. Les articles 104 et 105 font partie du régime de détermination de la peine pour les adolescents, et aident à faire en sorte que les peines spécifiques pour les infractions graves avec violence fassent en temps utile l’objet d’une surveillance et d’une évaluation axée sur la réadaptation et le risque de récidive de l’adolescent, conformément à l’objectif de la LSJPA, par un juge du tribunal pour adolescents pleinement informé de tous les faits pertinents à la fin de la période de garde de la peine.

[72]                         Au lieu du placement sous garde pour meurtre au premier degré prévu au sous‑al. 42(2)q)(i), le tribunal pour adolescents peut rendre une ordonnance de PSPIR pour une période maximale de 10 ans (sous‑al. 42(2)r)(ii)). Cette ordonnance vise le cas du meurtre au premier degré commis par un adolescent ayant une maladie mentale, qui sera soumis à un plan de traitement et de surveillance (voir S. Davis‑Barron, Youth and the Criminal Law in Canada (2e éd. 2015), p. 432‑433). Cela fait en sorte que les adolescents qui souffrent d’une maladie ou de troubles d’ordre mental bénéficient de mesures de réadaptation adaptées, conformément à l’objectif global de la LSJPA.

[73]                         Les juges du tribunal pour adolescents sont donc chargés de déterminer si les principes et les objectifs d’une responsabilité juste, proportionnelle et significative, qui sont énoncés au sous‑al. 3(1)(b)ii) et au par. 38(1), peuvent se réaliser pleinement dans le cadre du régime de la LSJPA. En l’espèce, cela s’applique dans le cas de la peine que le Parlement a fixée pour le meurtre au premier degré au sous‑al. 42(2)q)(i). L’analyse que requiert le par. 72(1) ne consiste pas à se demander si l’adolescent doit répondre de ses actes — la responsabilité est déjà un élément central de la partie 4 —, mais consiste plutôt à savoir quel régime de détermination de la peine assure une responsabilité significative eu égard aux circonstances de l’espèce, compte tenu de l’âge de l’adolescent contrevenant.

[74]                         Même lorsqu’une peine pour adultes est infligée, la distinction entre les contrevenants adolescents et les contrevenants adultes demeure essentielle. L’article 76 LSJPA prévoit que l’adolescent condamné à la peine applicable aux adultes peut néanmoins purger sa peine dans un lieu de garde pour adolescents, ce qui vient renforcer la reconnaissance par le Parlement du fait que même ceux qui sont assujettis à la peine applicable aux adultes sont différents, sur le plan de leur développement, des contrevenants ayant atteint la pleine maturité.

[75]                         Enfin, la peine applicable aux adultes pour le meurtre au premier degré est l’emprisonnement à perpétuité (par. 235(1) C. cr.). L’article 745.1 C. cr. prévoit une réduction des périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour les adolescents assujettis à la peine applicable aux adultes, reconnaissant leur plus grande capacité de réadaptation. De même, l’art. 743.5 C. cr. encadre la transition entre les établissements correctionnels pour adolescents et ceux pour adultes, ce qui fait en sorte que le système juridique demeure adapté à la situation particulière des adolescents contrevenants.

[76]                         En somme, I.M. avait 17 ans au moment de l’infraction, et il était donc passible d’une peine prévue à la partie 4 de la LSJPA, selon les dispositions du sous‑al. 42(2)q)(i) en raison de sa déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré. Puisqu’il a été assujetti par le tribunal pour adolescents à la peine applicable aux adultes, comme cela a été confirmé en appel, il a été condamné à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans.

VI.         Moyens d’appel

[77]                         Les parties ne s’entendent pas sur l’interprétation qu’il convient de donner au par. 72(1) LSJPA et sur la question de savoir si les juridictions inférieures l’ont mal appliqué en assujettissant I.M. à la peine applicable aux adultes.

[78]                         Pour I.M., le par. 72(1) comporte deux « volets » séparés, qui reflètent des conditions distinctes que la Couronne doit prouver avant que l’assujettissement de l’adolescent à la peine applicable aux adultes puisse être ordonné au lieu d’une peine prévue par la LSJPA. La Couronne soutient plutôt que le par. 72(1) oblige les tribunaux à procéder à une analyse « globale » afin de se prononcer sur cette question. Selon la Couronne, les deux alinéas du par. 72(1) doivent être considérés ensemble, étant donné qu’ils ont trait tous les deux au caractère moralement répréhensible des actes délictueux de l’adolescent. Les parties ne s’entendent pas non plus sur la norme de preuve à laquelle doit satisfaire la Couronne pour s’acquitter de sa charge ni sur les facteurs pertinents pour convaincre le tribunal pour adolescents que l’assujettissement de l’adolescent à la peine applicable aux adultes est justifié eu égard aux circonstances de l’espèce.

[79]                         Appliquant le droit aux faits de l’espèce, I.M. soutient que le juge chargé de la détermination de la peine et la Cour d’appel ont commis une erreur quant à la norme de preuve applicable pour réfuter la présomption et aux facteurs qui ne sont pas pertinents pour cette présomption. Selon I.M., ces erreurs font en sorte que la décision selon laquelle il est assujetti à la peine applicable aux adultes doit être annulée et qu’une peine spécifique doit être ordonnée. Il demande que sa peine spécifique soit de la nature du « temps fait », c’est-à-dire qu’elle soit équivalente au temps qu’il a déjà passé en détention.

[80]                         La Couronne affirme que, bien qu’une analyse globale du par. 72(1) eût été préférable, le juge chargé de la détermination de la peine n’a pas commis d’erreur qui aurait eu une incidence sur sa décision de condamner I.M. à l’emprisonnement à perpétuité. La Cour d’appel a eu raison de rejeter son appel. La Couronne demande toutefois à notre Cour, si elle accueille le pourvoi et annule l’ordonnance rendue en vertu du par. 72(1) LSJPA, de renvoyer l’affaire au tribunal pour adolescents pour qu’il impose une peine spécifique ou, subsidiairement encore, d’infliger elle‑même la peine spécifique maximale de 10 ans prévue en cas de meurtre au premier degré (m.i., par. 116, renvoyant au m.i., S.B., par. 120).

VII.      Analyse

[81]                         Le désaccord entre les parties en ce qui concerne l’interprétation qu’il convient de donner au par. 72(1) est profond. Au‑delà de la question de savoir si le Parlement exige que la Couronne convainque le tribunal pour adolescents qu’une ou deux conditions ont été remplies avant que l’assujettissement à la peine applicable aux adultes puisse être ordonné, les parties divergent d’opinion quant à la norme à laquelle doit satisfaire la Couronne pour s’acquitter de sa charge et quant aux facteurs dont le juge chargé de la détermination de la peine doit tenir compte pour l’application du par. 72(1) afin de trancher la question. L’opération d’interprétation est compliquée par le fait que le Parlement n’a pas explicitement indiqué au par. 72(1) si le juge chargé de la détermination de la peine doit être convaincu que la présomption a été réfutée hors de tout doute raisonnable ou selon une autre norme de preuve. De plus, contrairement à la disposition qui l’a précédé, le par. 72(1) ne contient pas de liste de facteurs pertinents servant à déterminer s’il y a lieu d’assujettir l’adolescent à la peine applicable aux adultes.

[82]                         Selon la méthode moderne d’interprétation législative à laquelle adhère notre Cour, le par. 72(1) doit être interprété compte tenu de son texte, de son contexte et de son objet (La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22, par. 22; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26; P.‑A. Côté et M. Devinat, Interprétation des lois (5e éd. 2021), par. 165‑170). Bien que sa constitutionnalité ne soit pas directement contestée en l’espèce, le par. 72(1) doit, selon les règles d’interprétation législative, être interprété conformément à la Charte si son sens est incertain (Bell ExpressVu, par. 62).

[83]                         J’aborde maintenant le sens de cette disposition et la question de savoir comment le tribunal pour adolescents doit trancher la demande d’assujettissement à la peine applicable aux adultes que lui présente la Couronne en vertu du par. 72(1). J’examinerai d’abord si le Parlement a établi des exigences distinctes aux al. 72(1)a) et 72(1)b), avant de me pencher sur la norme de preuve et sur les facteurs pertinents pour décider si I.M. doit être condamné à l’emprisonnement à perpétuité pour le meurtre de S.T.

A.           Les deux volets du par. 72(1) doivent être examinés séparément

[84]                         À l’appui de son interprétation du par. 72(1), I.M. soutient que la réfutation de la présomption de culpabilité morale moins élevée constitue une condition préliminaire, distincte de la démonstration de l’insuffisance d’une peine spécifique pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes. Il fait observer que les deux alinéas du par. 72(1) sont séparés par le mot « and » dans la version anglaise. La Couronne propose une interprétation hybride, faisant valoir que la décision du juge chargé de la détermination de la peine porte sur la culpabilité morale et la responsabilité de l’adolescent, deux éléments intrinsèquement liés. Par conséquent, selon la Couronne, les facteurs dont le juge doit tenir compte pour rendre cette décision discrétionnaire se chevauchent dans bien des cas. La gravité de l’infraction, par exemple, est un facteur pertinent en ce qui concerne tous les aspects de la démarche globale qu’exige le Parlement. I.M. s’oppose à cette approche hybride, soutenant que la présomption repose sur une logique distincte justifiant une norme de preuve différente. Il affirme que certains facteurs, comme la gravité de l’infraction, ne sont pas pertinents pour juger de l’aptitude de l’adolescent contrevenant à exercer un jugement moral qui justifie la présomption. I.M. admet que des facteurs comme la « gravité de l’infraction » sont pertinents pour le volet de l’al. 72(1)b) relatif à la responsabilité, mais soutient qu’ils devraient se limiter à cette question.

[85]                         Je suis d’accord avec I.M. pour dire que le par. 72(1) crée un fardeau à deux volets qui incombe à la Couronne et que le juge chargé de la détermination de la peine doit les examiner séparément. Il s’agit de l’interprétation la plus naturelle du texte de cette disposition. Compte tenu du sens ordinaire et grammatical du par. 72(1), il ressort de la formulation et de l’économie de cette disposition que le Parlement voulait que ces examens soient effectués séparément. Les deux volets sont énoncés dans des alinéas indépendants et sont séparés, dans leur version anglaise, par la conjonction « and », ce qui donne à penser qu’il y a deux examens. Il ressort également implicitement de la formulation et de la structure de la version française que les deux volets doivent être satisfaits indépendamment l’un de l’autre. De plus, il ressort du sens ordinaire des termes employés dans chacun des alinéas que les examens sont de nature différente. Alors que le premier alinéa prévoit que le tribunal doit être convaincu que la Couronne a réfuté la « présomption de culpabilité morale moins élevée » — un concept qui n’est pas défini dans la loi — et qu’il n’énonce aucun autre critère, le second alinéa exige que le tribunal tienne compte de dispositions précises de la LSJPA qui établissent l’objectif et les principes de détermination de la peine applicables lors de l’examen de la question de la responsabilité. La présomption figure par ailleurs comme première condition, ce qui indique qu’il s’agit effectivement d’une considération préliminaire.

[86]                         L’historique législatif du par. 72(1) LSJPA renforce cette interprétation. Les modifications apportées en 2012 à ce paragraphe ont été adoptées en partie en réponse à l’arrêt D.B. pour rendre compte de la conclusion de notre Cour selon laquelle les adolescents ont le droit constitutionnel de bénéficier d’une présomption de culpabilité morale moins élevée (Débats de la Chambre des communes, vol. 146, no 21, 1re sess., 41e lég., 27 septembre 2011, p. 1524 (B. Rathgeber)).

[87]                         La version antérieure de l’art. 72 imposait à l’adolescent contrevenant le fardeau de réfuter uniquement la condition relative à la responsabilité de la version actuelle de la disposition. Plus précisément, dans sa version antérieure aux modifications, le par. 72(1) énumérait un certain nombre de facteurs dont le tribunal pour adolescents devait tenir compte — « la gravité de l’infraction et [les] circonstances de sa perpétration et [. . .] l’âge, [. . .] la maturité, [. . .] la personnalité, [les] antécédents et [les] condamnations antérieures de l’adolescent » et tout autre élément que le tribunal estimait pertinent — afin de déterminer si une peine spécifique pour adolescents serait d’une durée suffisante. Plutôt que de simplement modifier la disposition pour ajouter la présomption, le Parlement a créé deux volets distincts et a supprimé les facteurs énumérés. Suivant le par. 72(1) actuel, la Couronne a maintenant le fardeau de prouver qu’une peine spécifique ne serait pas suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes. De surcroît, le Parlement a ajouté le premier volet, qui exige de la Couronne qu’elle réfute la présomption de culpabilité morale moins élevée. Cette interprétation s’accorde avec le contexte plus large de la disposition.

[88]                         Dans l’arrêt D.B., la juge Abella a écrit que « pour qu’un tribunal puisse » assujettir un adolescent à la peine applicable aux adultes, la Couronne doit démontrer que la présomption « a été réfutée et que l’adolescent n’a plus droit à sa protection » (par. 93). Cette formulation semble avoir été codifiée dans la nouvelle version du par. 72(1), où la réfutation de la présomption est une condition préliminaire. Le fait d’aborder la présomption comme un examen préliminaire distinct préserve donc la protection constitutionnelle dont bénéficient les jeunes contrevenants en faisant en sorte que la présomption fondée uniquement sur l’âge ne soit pas compromise par des considérations qui ne sont pas pertinentes lorsqu’il s’agit de juger de la maturité de l’adolescent et de son aptitude à exercer un jugement moral. Étant donné que la présomption doit être réfutée pour que l’assujettissement à la peine pour adultes soit conforme à la Charte (par. 70 et 76‑78), l’application d’un critère comportant deux volets distincts assure que la présomption reçoit une valeur constitutionnelle en faisant l’objet d’une évaluation distincte, avant que le tribunal n’examine plus à fond si une peine spécifique pour adolescents serait d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes. Je partage l’avis selon lequel l’approche hybride préconisée par la Couronne en ce qui concerne les al. 72(1)a) et 72(1)b) va à l’encontre du texte de la disposition qui sépare les deux volets; cette approche ne tient pas compte du contexte et de l’objet de la LSJPA, qui, indépendamment de la responsabilité, consacre à son al. 3(1)b) le principe général de la culpabilité morale moins élevée des adolescents. De plus, cette approche est inapplicable en pratique parce qu’elle ferait intervenir des facteurs non pertinents comme la gravité de l’infraction dans l’évaluation de l’applicabilité de la présomption, faussant ainsi l’analyse à laquelle doivent procéder les juges chargés de la détermination de la peine conformément à l’al. 72(1)a) (voir Henderson, par. 38).

[89]                         Le fait de considérer la présomption comme un examen préliminaire garantit également que son objectif est atteint et que l’examen distinct que commande chaque volet est dûment effectué. Dans l’arrêt D.B., la Cour a précisé que ce sont les particularités développementales propres à l’adolescence qui justifient cette présomption. Comme l’a fait observer la juge Epstein dans l’arrêt W. (M.), la LSJPA reconnaît que les adolescents sont [traduction] « différents sur le plan constitutionnel » des adultes aux fins de la détermination de la peine (par. 163; voir aussi R. c. Chol, 2018 BCCA 179, par. 38; Okemow, par. 52). Comme je vais l’expliquer plus loin, la réfutation de la présomption de culpabilité morale moins élevée doit donc reposer sur les caractéristiques personnelles du contrevenant qui témoignent de son âge développemental, plutôt que sur des appréciations objectives de la faute pouvant découler de l’infraction en cause. Pour que la présomption puisse être réfutée, il est donc nécessaire que le juge chargé de la détermination de la peine établisse si la culpabilité morale moins élevée présumée de l’adolescent est contredite par ses caractéristiques personnelles réelles. Comme je tâcherai de l’expliquer davantage plus loin, il s’agit d’une question de fait qui consiste en fin de compte à déterminer si, au moment de l’infraction, l’âge développemental de l’adolescent contrevenant s’apparentait à celui d’un adulte.

[90]                         En revanche, l’examen que prescrit l’al. 72(1)b) est de nature normative. Il consiste à évaluer quelle sanction serait appropriée à la lumière de la culpabilité dont rendent compte la faute et la gravité de l’infraction (voir B.J.M., par. 91‑99). Bien que le terme « convaincu » figure dans les deux volets du par. 72(1), ceux‑ci ont deux objectifs différents qui commandent des examens distincts (voir le par. 82). La fusion des deux volets risque de faire en sorte que des considérations relatives à la responsabilité influent indûment sur l’appréciation de la culpabilité morale moins élevée (W. (M.), par. 94; Parkes, p. 12-13).

[91]                         En bref, le fait de reconnaître que les al. 72(1)a) et 72(1)b) commandent des examens distincts garantit que les éléments applicables au premier volet, qui sont protégés par la Constitution et axés sur les faits, ne soient pas embrouillés ou affectés par l’appréciation normative qu’exige la loi pour le deuxième volet. Le statut constitutionnel de la présomption codifiée à l’al. 72(1)a) commande un examen clair et distinct; une fois que la Couronne a réfuté la présomption, il lui incombe de démontrer qu’une peine spécifique pour adolescents serait insuffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux.

[92]                         Je passe maintenant au premier volet — la réfutation de la présomption prévue à l’al. 72(1)a) — qui fait suite au choix du Parlement de codifier la décision de notre Cour dans l’affaire D.B.

B.            Réfutation de la présomption de culpabilité morale moins élevée (al. 72(1)a))

[93]                         Les parties conviennent que la difficulté qu’ils ont à comprendre la preuve que doit présenter la Couronne selon le premier volet du par. 72(1) pour réfuter la présomption vient de ce que le Parlement n’a pas indiqué dans la disposition. Tout d’abord, hormis l’instruction selon laquelle le tribunal pour adolescents doit être « convaincu » que la présomption est réfutée — un terme qui s’applique aux deux alinéas du par. 72(1) —, il n’y a aucune autre indication explicite de la norme selon laquelle cette preuve doit être faite. Ensuite, bien que la version précédente du par. 72(1) ne mentionnait pas la présomption, elle énonçait une liste de facteurs pertinents pour décider si l’adolescent devait être assujetti à la peine applicable aux adultes. Le texte modifié du par. 72(1) applicable au présent pourvoi est muet quant aux facteurs pertinents pour réfuter cette présomption ou autrement.

[94]                         Les tribunaux canadiens n’ont pas appliqué l’al. 72(1)a) et l’arrêt D.B. de manière uniforme en ce qui a trait à la norme de preuve à laquelle la Couronne doit satisfaire et aux facteurs dont doit tenir compte le juge chargé de la détermination de la peine pour décider s’il convient d’assujettir un adolescent reconnu coupable d’un crime à la peine applicable aux adultes.

[95]                         L’interprétation de la présomption légale — à la lumière des principes constitutionnels reconnus dans l’arrêt D.B. — est au cœur du présent pourvoi. Je vais d’abord me pencher sur la raison d’être de la présomption et sur son statut constitutionnel, puisqu’ils sont pertinents quant au contexte et à l’objet de la disposition, avant d’examiner la norme et les facteurs concernant la réfutation par la Couronne de la présomption prévue au par. 72(1).

(1)          La présomption en tant que principe de justice fondamentale

[96]                         Lorsqu’il est condamné, l’adolescent est assujetti au régime distinct de la LSJPA parce qu’il est présumé avoir une culpabilité morale moins élevée en raison de son âge chronologique. Dans l’arrêt D.B., notre Cour a reconnu que la présomption constitue un principe de justice fondamentale protégé par l’art. 7 de la Charte (par. 76). Le paragraphe 72(1) LSJPA a par la suite été modifié pour codifier ce principe, qui a également été adopté, au par. 3(1) LSJPA, à titre de principe directeur d’interprétation pour l’ensemble de cette loi. Pour interpréter l’art. 72, notre Cour doit déterminer de quelle manière la Couronne doit procéder pour s’acquitter de sa charge de réfuter la présomption de culpabilité morale moins élevée qui justifierait par ailleurs l’assujettissement à une peine spécifique.

[97]                         Le concept de la culpabilité morale et son application aux adolescents sont au cœur de l’art. 72. En droit, on a longtemps réservé un traitement différent aux enfants et aux adolescents en raison de leur moins grande maturité et de leur moins grande aptitude à exercer un jugement moral, qui justifient un régime de culpabilité morale moins élevée pour leurs actes criminels (D.B., par. 47‑59). Par le truchement de la culpabilité morale moins élevée, le droit reconnaît que les particularités développementales propres à l’adolescence justifient une réaction et une approche sociétales différentes en ce qui concerne leur culpabilité et les sanctions qui leur sont applicables.

[98]                         Sur la base de la moins grande maturité et de la moins grande aptitude à exercer un jugement moral considérées comme fréquentes chez les adolescents, l’al. 72(1)a) LSJPA a pour effet d’accorder une valeur de présomption à leur vulnérabilité accrue lorsqu’il s’agit de déterminer de quelle manière ils seront tenus de répondre de leurs actes (D.B., par. 41). La LSJPA et le C. cr. prévoient encore aujourd’hui une gradation fondée sur l’âge des adolescents en ce qui concerne le traitement qui leur est applicable.

[99]                         Les enfants âgés de moins de 12 ans ne peuvent, selon la loi, être tenus criminellement responsables de leurs actes, car ils sont réputés par le C. cr. incapables de faire le mal, quel que soit leur degré de maturité. Dans le cas des adolescents âgés d’au moins 12 ans, mais de moins de 14 ans, leur culpabilité morale moins élevée présumée les expose à la responsabilité, mais leur permet de répondre de leurs actes délictueux exclusivement au moyen de peines spécifiques prévues dans la LSJPA (art. 38 et 42). Dans le cas de l’adolescent âgé de 14 ans et plus, le juge chargé de la détermination de la peine peut, sur demande de la Couronne, l’assujettir à la peine applicable aux adultes si celui‑ci a commis une infraction pour laquelle un adulte serait passible d’une peine d’emprisonnement de plus de 2 ans (art. 64). L’adolescent est cependant toujours présumé avoir une culpabilité morale moins élevée, à moins que la Couronne ne démontre que, malgré son âge chronologique, il a la maturité d’un adulte conformément à l’art. 72.

[100]                     Dans de tels cas, pour que l’assujettissement de l’adolescent à la peine applicable aux adultes respecte, sur le plan constitutionnel, les droits que lui garantit l’art. 7 de la Charte, la présomption dont il bénéficie doit être réfutée par la Couronne (D.B., par. 70, 78 et 82). Ces principes ont été établis par la Cour dans l’arrêt D.B., dans le contexte du « régime d’infractions désignées » prévu par la loi, qui exigeait des tribunaux qu’ils condamnent à la peine applicable aux adultes l’adolescent reconnu coupable d’une infraction grave comme le meurtre, sauf si celui‑ci réussissait à démontrer qu’une peine spécifique était suffisante pour qu’il réponde de ses actes. S’inspirant de la protection résiduelle de l’art. 7 pour la présomption d’innocence, la juge Abella a reconnu que la présomption de culpabilité morale moins élevée constitue un principe de justice fondamentale protégé par l’art. 7 de la Charte (par. 45‑69 et 80), et a conclu que les dispositions relatives au fardeau de la preuve du régime d’infractions désignées violaient de façon injustifiée l’art. 7 de la Charte. La Cour a jugé que l’imposition aux adolescents contrevenants du fardeau de réfuter la présomption d’assujettissement à la peine applicable aux adultes portait atteinte au principe fondamental du système de justice pénale pour les adolescents : soit que ceux‑ci ont une culpabilité morale moins élevée que les adultes en raison de leur immaturité développementale (D.B., par. 66 et 68).

[101]                     L’arrêt D.B. a eu des répercussions importantes sur la LSJPA, car il a confirmé qu’avant qu’un adolescent puisse être privé des avantages du régime de peines spécifiques, la Couronne a l’obligation constitutionnelle de réfuter la présomption de culpabilité morale moins élevée. Le Parlement a modifié le cadre de l’assujettissement des adolescents contrevenants aux peines applicables aux adultes pour le rendre conforme aux indications de la Cour dans l’arrêt D.B. (J. Campbell, « In Search of the Mature Sixteen Year Old in Youth Justice Court » (2015), 19 Rev. can. D.P. 47, p. 50). Le Parlement a aboli le régime des infractions désignées et a modifié le texte du par. 72(1), qui codifie le fardeau de la Couronne — et non de l’adolescent — de démontrer pourquoi l’assujettissement à la peine applicable aux adultes, plus sévère, est nécessaire et approprié (voir D.B., par. 82).

[102]                     Bien que la présomption soit réfutable, l’al. 72(1)a) impose à la Couronne le lourd fardeau de justifier l’assujettissement à la peine applicable aux adultes, étant donné que la présomption constitue un principe de justice fondamentale, comme l’a reconnu la Cour dans l’arrêt D.B. (par. 45 et 68). Le paragraphe 72(1) oblige le tribunal pour adolescents à assujettir l’adolescent à la peine applicable aux adultes s’il est convaincu, d’une part, que la présomption de culpabilité morale moins élevée — un principe de justice fondamentale — a été réfutée et, d’autre part, qu’une peine spécifique conforme à l’objectif et aux principes de détermination de la peine de la LSJPA ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses « actes délictueux ».

(2)          La Couronne doit prouver que l’âge développemental de l’adolescent correspond à celui d’un adulte

[103]                     Il est nécessaire de bien comprendre l’objet de l’examen prévu à l’al. 72(1)a) avant d’examiner plus en détail la norme de preuve applicable et les facteurs pertinents pour réfuter la présomption.

[104]                     Comme nous le verrons, la jurisprudence et la doctrine relatives aux affaires mettant en cause des adolescents reconnaissent que la maturité et l’aptitude à exercer un jugement moral que l’on trouve chez l’adulte s’acquièrent avec le temps, faisant écho à l’idée qu’exprime le Parlement au paragraphe introductif du préambule de la LSJPA : « . . . la société se doit de répondre aux besoins des adolescents, de les aider dans leur développement et de leur offrir soutien et conseil jusqu’à l’âge adulte ». Dans l’arrêt D.B., notre Cour a reconnu, au par. 62, que même si l’âge influe sur le développement du jugement et du discernement moral, l’âge chronologique et la maturité ne coïncident pas nécessairement. En ce qui concerne la réfutation de la présomption, il importe de noter que la maturité développementale de l’adolescent ne correspond pas nécessairement à son âge chronologique.

[105]                     Dans un article de doctrine, le juge Jamie Campbell reprend utilement la même idée, en faisant remarquer que l’adolescent peut avoir [traduction] « un discernement moral plus avancé que son âge » (p. 56). D’autres adolescents sont moins matures que ce que leurs années de vie peuvent indiquer et ont une capacité de jugement moindre que ce que leur âge laisse supposer; d’où l’idée — également évoquée dans le préambule de la LSJPA — que la maturité est fonction non seulement de l’âge, mais aussi du développement. Dans les présents motifs, j’utilise l’expression « âge développemental » afin de désigner le stade de maturité développementale qui, pour l’application du par. 72(1), exprime l’idée que la maturité développementale de l’adolescent ne correspond pas nécessairement à son « âge chronologique ». Bien que l’âge développemental, par opposition à l’âge chronologique, ait influencé et façonné la justice pénale pour les adolescents, il n’avait encore jamais fait l’objet d’une définition claire.

[106]                     I.M. soutient que la présomption repose sur la « maturité développementale » des adolescents, et que sa réfutation exige un examen factuel de leur développement psychologique (m.a., par. 5-6 et 60‑62). La Couronne admet que les particularités « développementales » propres à l’adolescence sous‑tendent la décision qu’exige l’art. 72, mais affirme que la présomption constitue un principe juridique, et non un examen factuel, et que les tribunaux doivent également tenir compte de facteurs comme la gravité de l’infraction afin de déterminer si elle a été réfutée (voir le m.i., par. 41, 44, 80 et 96).

[107]                     L’arrêt D.B. indique clairement que la loi fait bénéficier les adolescents d’une présomption de culpabilité morale moins élevée en raison de leurs différences de développement par rapport aux adultes. Selon la loi, c’est l’âge chronologique qui détermine qui a droit à la protection de la présomption, étant donné qu’« [i]l est largement reconnu que l’âge influe sur le développement du jugement et du discernement moral » (par. 62). Ce sont toutefois les particularités développementales propres à l’adolescence qui sont la raison d’être de cette présomption (par. 41). À mon avis, il s’ensuit naturellement que, pour réfuter la présomption dans un cas donné, la Couronne doit démontrer que le fondement de la raison d’être de la protection n’est pas justifié.

[108]                     En d’autres termes, comme il constitue le concept à la base de la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficie l’adolescent, l’âge développemental doit être au cœur de l’examen concernant une demande d’assujettissement à la peine applicable aux adultes, pour que la protection qu’offre la présomption puisse être retirée. Tout comme la présomption repose sur la réalité factuelle manifeste de l’âge chronologique, l’âge développemental est également une question factuelle, même si elle est peut‑être moins évidente. Le fardeau de la Couronne ne constitue pas simplement une protection procédurale, comme le souligne celle‑ci (m.i., par. 97), mais une protection de fond. Comme je vais l’expliquer, elle oblige la Couronne à convaincre le tribunal que le profil de développement de l’adolescent contrevenant ne correspond pas à celui auquel on s’attend de la part de l’adolescent typique — soit qu’il fait preuve de la maturité, de l’aptitude à exercer un jugement moral et de l’indépendance d’un adulte (D.B., par. 41‑47; voir aussi Parkes, p. 12‑14).

[109]                     L’âge développemental sous‑tend depuis longtemps le droit régissant la responsabilité criminelle des enfants et des adolescents et les sanctions qui leur sont applicables. La juge Abella a retracé l’évolution de ce concept dans l’arrêt D.B., notant que le droit reconnaît depuis longtemps la capacité réduite des enfants et des adolescents à distinguer le bien du mal et à exercer un jugement moral, en phase avec leur stade de développement (par. 47‑59). Autrefois, les enfants âgés de moins de 7 ans étaient réputés bénéficier d’une immunité totale contre la responsabilité criminelle, tandis que les enfants âgés de 7 à 14 ans moins un jour bénéficiaient du moyen de défense de common law doli incapax, qui obligeait la Couronne à démontrer que l’enfant accusé était apte à discerner le bien du mal et à comprendre la nature et les conséquences de ses actes (H. Parent, Traité de droit criminel, t. I, L’imputabilité et les moyens de défense (6e éd. 2022), par. 83; voir aussi Bala et Anand, p. 214). Comme nous l’avons déjà indiqué, des distinctions semblables existent toujours dans le C. cr. et la LSJPA.

[110]                     La reconnaissance en common law du fait que la maturité et le jugement moins grands des enfants et des adolescents exigent qu’ils bénéficient d’un traitement différent, selon leur stade de développement, a trouvé son expression dans les divers régimes législatifs du Canada concernant les adolescents contrevenants (voir L. Nasr, « Sentencing Kids to Life : New approaches for challenging youth life sentences under Section 12 of the Charter » (2023), 48:2 Queen’s L.J. 1, p. 6). Depuis l’adoption de la LSJPA, les adolescents sont jugés exclusivement devant des tribunaux pour adolescents, et l’accent est désormais mis sur la question de savoir si l’adolescent devrait être assujetti à la peine applicable aux adultes. L’alinéa 3(1)b) LSJPA codifie également le principe de la culpabilité morale moins élevée, ce qui fait foi de l’intention du Parlement de faire correspondre la responsabilité criminelle aux réalités du développement des adolescents (voir aussi Bala et Anand, p. 682). Il en est aussi de même au moment de la détermination de la peine, pour laquelle la LSJPA prévoit un régime distinct de sanctions, en mettant de côté, dans l’ensemble, les règles de détermination de la peine prévues au C. cr. (par. 50(1)). Certains principes de détermination de la peine, comme la dissuasion générale et l’isolement du contrevenant, ne sont pas pris en compte; comme un auteur l’écrivait récemment, « [l]a notion de responsabilité des adolescents doit être distinguée de la responsabilité des adultes et s’apprécier notamment selon la présomption de culpabilité morale moins élevée dont les adolescents bénéficient » (G. Destrempe Rochette, « Surveiller et... réadapter? — La notion de responsabilité chez les adolescents à l’aune de la jurisprudence récente concernant la détermination de la peine », dans Service de la formation continue du Barreau du Québec, vol. 573, Développements récents en droit criminel (2025), 37, p. 37).

[111]                     Le stade de développement particulier de l’adolescence a joué un rôle central dans la reconnaissance par notre Cour dans l’arrêt D.B. du fait que la présomption est essentielle au bon fonctionnement du système de justice (par. 61‑67). Les tribunaux continuent à mettre l’accent sur les facteurs liés au développement des adolescents contrevenants lorsqu’ils se demandent si la présomption est réfutée. Dans l’arrêt W. (M.), la juge Epstein a précisé que la preuve doit établir que l’adolescent démontrait [traduction] « le degré de maturité, de discernement moral et de capacité à exercer un jugement indépendant propre à un adulte » (par. 98). Précisant la portée de l’arrêt W. (M.), la juge Stromberg‑Stein a, dans l’arrêt Chol, formulé une liste non exhaustive de facteurs qui pourraient s’avérer utiles dans le cadre de cet examen, notamment l’indépendance de l’adolescent ou la dépendance à l’égard d’autrui, ses limitations cognitives, ses problèmes de santé émotionnelle ou mentale, la maturité ou l’immaturité du raisonnement sous‑jacent au mobile de l’infraction et la question de savoir si les actes de l’adolescent démontraient son aptitude à exercer le jugement critique d’un adulte (par. 61).

[112]                     Comme l’indiquent ces sources, l’âge développemental désigne le stade réel de maturité psychologique, sociale et morale qu’a atteint l’individu. Dans le système de justice pénale pour les adolescents, ce concept a beaucoup d’importance, car on reconnaît que les adolescents n’ont souvent pas le jugement et l’autonomie qui sont généralement attribués aux adultes (voir Parent, par. 72‑89). L’âge développemental est donc essentiel pour comprendre la manière dont la culpabilité morale et la responsabilité sont évaluées dans le cas d’un adolescent contrevenant. En tant que concept, l’âge développemental facilite l’examen factuel visant à évaluer la vulnérabilité, la maturité et l’aptitude à exercer un jugement moral du contrevenant en cause.

[113]                     L’âge chronologique continue de définir les critères prévus par la loi en matière de responsabilité criminelle dans le C. cr. et la LSJPA, créant un cadre qui protège les adolescents contrevenants tout en les obligeant de façon adéquate à répondre de leurs actes (voir l’art. 13 C. cr.; définition d’« enfant » et d’« adolescent », par. 2(1) LSJPA; B. Jones, « Accepting That Children Are Not Miniature Adults : A Comparative Analysis of Recent Youth Criminal Justice Developments in Canada and the United States » (2015), 19 Rev. can. D.P. 95, p. 97‑98). Toutefois, dans le cas des adolescents âgés de 14 à 17 ans, la présomption de culpabilité morale moins élevée devient réfutable. Comme l’a reconnu la juge Abella dans l’arrêt D.B., « la maturité et le discernement des adolescents de plus de 14 ans qui commettent des infractions graves varient énormément » (par. 76). Pour cette catégorie d’adolescents, l’âge développemental revêt une grande importance du fait que la Couronne peut demander l’assujettissement à la peine applicable aux adultes, au motif que cela est justifié en raison de l’âge développemental de l’adolescent (voir B. Kobayashi et J. H. Michalski, « The Meaning of Accountability under Section 72(1)(b) of the Youth Criminal Justice Act » (2024), 72 Crim. L.Q. 373, p. 373). Si le fait que les adolescents sont moins matures et ont moins de jugement que les adultes justifie qu’ils bénéficient de la présomption, le fait qu’ils ont la maturité et le jugement d’un adulte leur fait perdre cette protection. En fait, même lorsque l’adolescent est assujetti à la peine applicable aux adultes, il n’est pas puni comme un adulte à tous égards : « . . . l’objectif de réhabilitation demeure important, tenant compte du fait que le niveau de responsabilité de l’adolescent doit être compatible avec son état de dépendance et sa maturité » (M. Vauclair, T. Desjardins et P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2024 (31e éd. 2024), par. 5.139).

[114]                     En somme, dans le contexte de la détermination de la peine des adolescents, l’âge développemental désigne le stade de maturité psychologique, sociale et morale que l’individu a atteint. Afin d’établir si la présomption a été réfutée dans un cas donné, le tribunal doit donc procéder à un examen factuel de l’âge développemental de l’adolescent contrevenant pour déterminer s’il correspond à celui d’un adulte. Je passe maintenant à la norme de preuve applicable.

(3)          La norme de preuve à laquelle la Couronne doit satisfaire pour réfuter la présomption est celle de la preuve hors de tout doute raisonnable

[115]                     Les tribunaux canadiens ne s’entendent pas en ce qui concerne la norme de preuve qu’il convient d’imposer à la Couronne pour la réfutation de la présomption de culpabilité morale moins élevée. Certains se sont appuyés sur la norme de « conviction » qui a été retenue dans l’arrêt O. (A.), par. 38 (voir, p. ex., R. c. T. (D.D.), 2010 ABCA 365, 36 Alta. L.R. (5th) 153, par. 7; Okemow, par. 61; Chol, par. 12). D’autres sont partis du principe que les facteurs liés au premier volet doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable (B.J.M., par. 61‑80; Henderson, par. 35).

[116]                     Les parties ne s’entendent pas non plus sur la nature du fardeau dont la Couronne doit s’acquitter pour réfuter la présomption. La LSJPA ne précise pas de norme de preuve et les parties proposent des approches différentes. I.M. soutient que, comme l’assujettissement à la peine applicable aux adultes expose l’adolescent à des conséquences pénales beaucoup plus graves, la présomption prévue au par. 72(1) doit être réfutée hors de tout doute raisonnable, conformément à la décision de notre Cour dans l’arrêt Gardiner. Se fondant sur l’arrêt O. (A.), comme l’a fait le juge chargé de la détermination de la peine en l’espèce, la Couronne fait valoir que l’examen prévu au par. 72(1) est de nature évaluative et exige la mise en balance de divers éléments, et que cet examen ne se prête donc pas à une preuve hors de tout doute raisonnable.

[117]                     Comme je vais l’expliquer, je suis d’accord avec l’appelant. À mon avis, la Couronne doit réfuter la présomption hors de tout doute raisonnable, car l’examen que requiert l’al. 72(1)a) est de nature factuelle et peut exposer l’adolescent à une peine plus sévère.

[118]                     Le paragraphe 72(1) exige que le tribunal soit « convaincu » (« satisfied ») que la présomption est réfutée et qu’une peine spécifique n’est pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes. Le paragraphe 72(2) prévoit de façon similaire qu’il incombe au procureur général de « convaincre » (« satisfying ») le tribunal de l’existence des conditions visées au par. (1). Je conviens avec la Couronne que l’emploi de ces mots n’impose pas, à lui seul, une norme de preuve précise. De nombreuses dispositions du C. cr. emploient le mot « convaincu » et les tribunaux les ont interprétées différemment selon le contexte (voir, p. ex., les art. 734(2), 742.1(a), 753(1) et 753.1). Dans chaque cas, la norme de preuve requise dépend de la nature de l’examen de la disposition en question (voir R. c. Currie, [1997] 2 R.C.S. 260, par. 25; R. c. L.M., 2008 CSC 31, [2008] 2 R.C.S. 163, par. 40; R. c. Topp, 2011 CSC 43, [2011] 3 R.C.S. 119, par. 24; R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, par. 120‑122).

[119]                     Par exemple, le régime des délinquants dangereux dans le C. cr. exige que le tribunal soit convaincu hors de tout doute raisonnable que le délinquant constitue un danger futur pour la sécurité (par. 753(1)). Toutefois, une fois le délinquant déclaré dangereux, aucune norme de ce genre ne se rapporte à la décision du tribunal d’infliger ou non une peine d’une durée indéterminée (par. 753(4.1)). Cette décision comprend l’exercice habituel du pouvoir discrétionnaire en vertu duquel le juge chargé de la détermination de la peine établit la peine « juste », en fonction de la preuve (voir R. c. Boutilier, 2017 CSC 64, [2017] 2 R.C.S. 936, par. 36, 41 et 64‑69; Currie, par. 25).

[120]                     Suivant l’al. 72(1)a), l’examen que le tribunal doit effectuer pour déterminer si la présomption de culpabilité morale moins élevée a été réfutée est d’ordre factuel. Comme je l’ai expliqué, la présomption est fondée sur les particularités développementales présumées propres à l’adolescence, et la Couronne peut la réfuter en présentant des éléments de preuve démontrant que l’âge développemental de l’adolescent contrevenant s’apparente en fait à celui d’un adulte.

[121]                     Pour étayer son argument selon lequel la réfutation de la présomption n’est pas assujettie à la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, la Couronne fait observer que le Parlement a seulement dit que le tribunal pour adolescents doit être « convaincu » de l’existence des conditions visées au par. 72(1). La Couronne nous renvoie à l’arrêt R. c. M. (S.H.), [1989] 2 R.C.S. 446, où notre Cour était appelée à interpréter le libellé semblable d’une loi antérieure traitant du renvoi d’adolescents contrevenants devant un tribunal pour adultes. Dans cette affaire, la Cour a refusé d’appliquer la norme de preuve en matière civile et celle en matière criminelle à la décision du juge du tribunal pour adolescents, faisant observer qu’« [o]n a habituellement recours à ces [normes], lorsqu’il s’agit de déterminer si un événement a eu lieu » (p. 464). Selon la Cour, la question à trancher pour l’application de la loi en question était plutôt de savoir si « on est convaincu, après avoir soupesé tous les facteurs pertinents, que l’affaire devrait être renvoyée devant la juridiction normalement compétente » (ibid.). La Cour a estimé que ni la norme de la « prépondérance des probabilités » ni celle de la preuve « hors de tout doute raisonnable » ne convenait pour procéder à ce qu’elle estimait être la mise en balance énoncée dans l’ancienne Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980‑81‑82‑83, c. 110 (ibid.).

[122]                     L’arrêt M. (S.H.) ne peut être transposé à la réfutation de la présomption prévue à l’al. 72(1)a) LSJPA. Dans l’affaire dont nous sommes saisis, le tribunal pour adolescents doit être convaincu de la preuve d’un fait — en l’occurrence, que l’âge développemental de l’adolescent correspond à celui d’un adulte, de sorte que son âge chronologique ne peut plus justifier la présomption de culpabilité morale moins élevée. La décision relative à la réfutation de la présomption n’est pas de nature évaluative et n’est pas non plus une décision normative comportant une mise en balance, mais est le résultat d’un examen factuel. Dans les situations visées par la présomption, l’obligation faite au juge chargé de la détermination de la peine d’être « convaincu » revient à lui donner pour directive de tirer une conclusion de fait sur l’âge développemental de l’adolescent. La preuve de ce fait peut être faite selon la norme en matière criminelle.

[123]                     Je suis d’avis de rejeter le recours par la Couronne à des décisions portant sur le transfèrement d’adolescents contrevenants dans des établissements pour adultes qui ont été prises dans d’autres contextes législatifs, par opposition aux décisions en matière de détermination de la peine rendues sous le régime de la LSJPA. L’arrêt M. (S.H.), rendu en 1989, ne mettait pas en jeu la présomption constitutionnelle de culpabilité morale moins élevée qui a été reconnue par la Cour dans l’arrêt D.B. en 2008 et qui est maintenant consacrée à l’art. 3 et à l’al. 72(1)a) LSJPA. Cet arrêt ne fait pas autorité en ce qui concerne la question distincte de l’interprétation de la présomption.

[124]                     L’âge développemental est la conclusion de fait déterminante qui peut donner lieu à une peine beaucoup plus sévère lorsque la présomption est réfutée. La preuve de la Couronne concernant l’âge développemental avancé de l’adolescent contrevenant justifie une sanction plus sévère, car elle permet au tribunal de déterminer si une peine applicable aux adultes, plus sévère, est nécessaire pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux (Parkes, p. 12-13). La conclusion de fait selon laquelle l’adolescent contrevenant présente la maturité développementale d’un adulte constitue un facteur aggravant, car elle l’expose au risque d’être assujetti à la peine applicable aux adultes et à des conséquences pénales beaucoup plus graves (voir Gardiner, p. 414‑415, cité dans D.B., par. 79). Fait important à signaler, notre Cour a reconnu que l’application de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable requise en matière criminelle à l’égard d’éventuelles conséquences graves découlant de circonstances aggravantes contestées est protégée par la Charte (voir Pearson, p. 686, cité dans D.B., par. 80). Pour cette raison, je suis d’avis de ne pas suivre les décisions rendues sous le régime de la version antérieure à 2012 de la LSJPA, qui s’appuyaient sur le libellé de l’ancien par. 72(2) pour imposer une norme de prépondérance des probabilités, et qui rejetaient expressément — à tort, à mon humble avis — l’argument selon lequel le fait de réfuter la présomption revenait à faire la preuve d’un facteur aggravant lors de la détermination de la peine (voir, p. ex., LSJPA — 088, 2008 QCCA 401, [2008] R.J.Q. 670, par. 13‑16). En toute justice, cette analyse est antérieure à l’arrêt D.B. de notre Cour.

[125]                     En toute déférence, je suis d’avis que la conclusion de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire O. (A.) ne s’applique pas à la présente affaire et qu’elle ne peut être invoquée pour interpréter l’al. 72(1)a) sur ce point. Dans cet arrêt, le tribunal a conclu que la version antérieure du par. 72(1) obligeait le tribunal pour adolescents à apprécier et à mettre en balance les facteurs qui y étaient énumérés pour déterminer si une peine spécifique pour adolescents serait d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes. Le tribunal a conclu que [traduction] « [c]e type de décision évaluative — consistant à rendre un jugement éclairé — ne se prête pas à une preuve hors de tout doute raisonnable » (par. 34). Cette affaire a été rendue avant que notre Cour rende sa décision dans l’affaire D.B. et était fondée sur la version originale, non modifiée, du par. 72(1), qui ne portait essentiellement que sur la question de la responsabilité (B.J.M., par. 39). La disposition ne mentionnait pas la présomption de culpabilité morale moins élevée. Dans l’affaire O. (A.), le tribunal cherchait donc à déterminer si la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable s’appliquait à une question différente, soit celle de la responsabilité qui est, bien entendu, une question évaluative comme celle de la justesse de la peine.

[126]                     Le même type de décision évaluative discrétionnaire, comportant l’appréciation et la mise en balance de principes, se retrouve maintenant essentiellement à l’al. 72(1)b). On peut à juste titre l’opposer à l’examen factuel visant à savoir si l’âge développemental de l’adolescent correspond à celui d’un adulte. Chacun des faits contestés à l’appui de cette décision doit également être établi hors de tout doute raisonnable, ce qui comprend les faits sur lesquels se fonde l’analyse de la responsabilité. Cette mesure assure une protection contre l’utilisation de faits non établis pour faire passer la peine spécifique pour adolescents à la peine applicable aux adultes.

[127]                     En outre, l’historique législatif de la modification au par. 72(1) est de peu d’utilité pour déterminer la norme de preuve applicable. Il est vrai qu’une version précédente du projet de loi C‑4, Loi de Sébastien (protection du public contre les jeunes contrevenants violents), 3e sess., 40e lég., 2010, morte au Feuilleton, contenait une référence à cette norme qui n’a pas, par la suite, été reprise dans la loi. Toutefois, je refuserais d’accorder une importance décisive à ce fait en l’espèce, compte tenu de la directive répétée de notre Cour selon laquelle les éléments de preuve extrinsèques que sont les débats parlementaires, y compris ceux portant sur les versions d’un projet de loi, doivent être traités avec prudence, car ils peuvent être un indicateur imparfait de l’intention législative (voir, de façon générale, R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd. 2022), p. 656‑657 et 669‑670).

[128]                     En l’espèce, le dossier parlementaire est ambigu et ne peut pas contribuer de manière fiable à la détermination de la norme applicable. La décision de supprimer les références à une preuve hors de tout doute raisonnable au premier volet faisait suite aux préoccupations exprimées lors des débats parlementaires par divers intervenants, qui craignaient que la norme criminelle soit plus stricte que ce qu’exigeait la loi (Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages, no 25, 3e sess., 40e lég., 17 juin 2010, p. 6‑7 et 15‑16; Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages, no 52, 3e sess., 40e lég., 7 mars 2011, p. 12‑14). Le ministre responsable a toutefois dit que la question devait être laissée aux tribunaux (Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages, no 4, 1re sess., 41e lég., 6 octobre 2011, p. 2 (l’hon. R. Nicholson)). Comme l’a clairement indiqué la Cour en 2008 dans l’arrêt D.B., c’est effectivement aux tribunaux qu’il incombe de déterminer ce qu’exige la Charte sur le plan constitutionnel quant à la version du par. 72(1) remaniée par le Parlement. Il est fort possible qu’en écartant toute référence expresse à une norme de doute raisonnable, le Parlement cherchait à mettre cette disposition à l’abri de toute contestation constitutionnelle directe. Quelle que soit l’explication, ces éléments de preuve ne militent pas de façon décisive en faveur d’une norme particulière.

[129]                     Comme le fardeau qui incombe à la Couronne consiste à réfuter la présomption hors de tout doute raisonnable, on ne peut pas dire que ce fardeau n’est pas lourd. Le fait que la Couronne, face à un tel fardeau, doive déroger à un principe constitutionnel pour réfuter la présomption a amené certains auteurs à dire que l’assujettissement à la peine applicable aux adultes sera [traduction] « exceptionnel » (Bala et Anand, p. 652; Parkes, p. 13-15). Quoi qu’il en soit, il est indéniable, comme l’a reconnu la Cour dans l’arrêt D.B., que la présomption peut être réfutée mais que l’obligation pour la Couronne de le faire hors de tout doute raisonnable ne doit pas être sous‑estimée. En effet, la LSJPA incarne un principe plus large de modération en matière de peines (voir R. c. D. (R.), 2010 ONCA 899, 106 O.R. (3d) 755, par. 40‑41; R. c. Anderson, 2018 MBCA 42, 361 C.C.C. (3d) 313 (« Anderson C.A. Man. »), par. 61‑62; B. Jones et autres, Prosecuting and Defending Youth Criminal Justice Cases (3e éd. 2024), p. 247‑279). Le tribunal ne peut ordonner le placement sous garde d’un adolescent que dans des circonstances particulières, mais une infraction avec violence peut justifier l’imposition d’une peine de placement sous garde (art. 39). De plus, la LSJPA prévoit des peines de placements sous garde dans le cas où l’adolescent est reconnu coupable de meurtre au premier ou au deuxième degré (al. 42(2)q)), ce qui indique que le Parlement a envisagé que les peines spécifiques peuvent être d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ces infractions graves. La LSJPA reconnaît par ailleurs que la société se doit d’aider les adolescents dans leur développement, ce qui renforce l’accent que met la loi sur la réadaptation et sur la prise de mesures adaptées à l’âge des adolescents contrevenants (préambule; voir aussi Bala et Anand, p. 138-142).

[130]                     Pour les motifs qui précèdent, j’estime que la norme de preuve qui convient pour réfuter la présomption prévue à l’al. 72(1)a) doit être celle de la preuve hors de tout doute raisonnable. La source de la présomption de culpabilité morale moins élevée, et la justification ultime de l’obligation de convaincre le tribunal selon la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, résident non seulement dans le libellé de la loi, mais aussi dans les protections constitutionnelles que l’art. 7 de la Charte assure aux adolescents. Cette norme exigeante est essentielle pour préserver l’intégrité du régime de détermination de la peine des adolescents et pour faire en sorte que l’assujettissement d’un adolescent à la peine applicable aux adultes soit à la fois justifié sur le plan factuel et conforme à la Constitution. Je suis d’accord avec l’intervenante, la British Columbia Civil Liberties Association, pour dire qu’une norme de preuve moins exigeante diluerait les protections fondamentales qu’offre la présomption, la transformant en une appréciation judiciaire discrétionnaire plutôt qu’en une garantie juridique. En l’espèce, le juge chargé de la détermination de la peine a commis une erreur de droit en s’appuyant sur la norme antérieure à l’arrêt D.B. établie par la Cour d’appel de l’Ontario en 2007 dans l’arrêt O.(A.), et par conséquent, en omettant d’appliquer la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable.

(4)          Facteurs que la Couronne peut invoquer pour réfuter la présomption

[131]                      Pour déterminer si la présomption de culpabilité morale moins élevée est réfutée, le juge chargé de la détermination de la peine doit établir si l’âge développemental de l’adolescent contrevenant était, contrairement à son âge chronologique, celui d’un adulte au moment de l’infraction. Pour ce faire, il doit tenir compte de facteurs qui donnent un aperçu des particularités développementales personnelles de l’adolescent contrevenant au moment de l’infraction. Cette appréciation est intrinsèquement axée sur les faits, nuancée et contextuelle (voir Chol, par. 60). Bien qu’elles ne puissent se réduire à une formule rigide ou à une liste de contrôle, la situation de l’adolescent contrevenant ou les preuves qui portent sur son âge développemental au moment de l’infraction sont les éléments les plus pertinents (voir D.B., par. 41; W. (M.), par. 98; Okemow, par. 62; Chol, par. 43 et 61).

[132]                     Les facteurs qui se rapportent à l’infraction, plutôt qu’à l’adolescent contrevenant, débordent le cadre de cet examen, à moins qu’ils ne révèlent quelque chose au sujet des caractéristiques personnelles du contrevenant qui témoignent de son âge développemental.

a)              La gravité de l’infraction n’est pas un facteur pertinent quant à la présomption

[133]                     Bien qu’il soit clair depuis l’arrêt D.B. que la présomption est fondée sur les caractéristiques développementales propres à l’adolescence (par. 41; voir aussi W. (M.), par. 98; Okemow, par. 62; Chol, par. 43), à l’époque où cet arrêt a été rendu, le par. 72(1) était axé sur la question de savoir si une peine spécifique était d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux. À cette fin, la disposition énumérait un certain nombre de facteurs dont le tribunal devait tenir compte, notamment la gravité de l’infraction.

[134]                     Une question centrale dans le présent pourvoi est celle de savoir si le juge chargé de la détermination de la peine s’est appuyé à tort sur la gravité de l’infraction dans le cadre du premier volet du par. 72(1). L’appelant, et S.B. dans le pourvoi connexe, affirment que les tribunaux se sont fondés à tort sur ce facteur (W. (M.), par. 112; R. c. Ellacott, 2017 ONCA 681, par. 18), alors qu’ils devaient plutôt se concentrer sur les facteurs ayant trait à la maturité (m.a., par. 82 et 88; m.a., S.B., par. 76‑81).

[135]                     Je reconnais que les tribunaux ne doivent pas apprécier la gravité objective de l’infraction lorsqu’ils déterminent si la Couronne a réfuté la présomption, bien que toute référence abstraite à la gravité ne constitue pas nécessairement une erreur. De plus, les circonstances de la perpétration de l’infraction peuvent être utiles si elles apportent des éclaircissements sur l’âge développemental de l’adolescent au moment de l’infraction. J’examine d’abord cette question avant de me pencher sur les autres facteurs.

[136]                      I.M. soutient que la gravité de l’infraction est une considération distincte relevant uniquement du deuxième volet du critère, lequel vise à déterminer si une peine spécifique serait suffisante. Il fait valoir que le fait de s’appuyer sur la gravité objective de l’infraction pour réfuter la présomption prévue à l’al. 72(1)a) a pour effet d’axer de manière inacceptable l’analyse non plus sur un examen individualisé de la situation développementale de l’adolescent, mais sur l’infraction (m.a., par. 81-82, 102 et 105‑113). Dans le pourvoi connexe, S.B. soutient que la gravité de l’infraction ne fournit aucune indication quant aux éléments pertinents pour la présomption, à savoir la maturité de l’adolescent et sa capacité d’apprécier les conséquences de ses actes (m.a., S.B., par. 71). L’Association canadienne des libertés civiles, intervenante, soutient également que le caractère moralement répréhensible de l’infraction risque d’être confondu avec la culpabilité morale du contrevenant (m. interv., par. 25).

[137]                      Pour sa part, la Couronne invoque l’arrêt O. (A.) pour affirmer que la gravité de l’infraction peut donner des indications sur le discernement moral, la capacité de planifier et la culpabilité morale de l’adolescent contrevenant (m.i., par. 100 et 103). La gravité de l’infraction, explique la Couronne, est utile dans le cadre du premier volet parce que la culpabilité morale est [traduction] « inextricablement liée » à l’infraction en cause (par. 51). Dans ses observations, le procureur général du Canada intervenant explique que la gravité de l’infraction demeure utile dans le cadre des deux volets de l’analyse prévue au par. 72(1) (m. interv., par. 36 et 41).

[138]                      Il est vrai, comme le soulignent I.M. et S.B., que des juridictions d’appel ont conclu que la gravité et les circonstances de l’infraction sont pertinentes pour déterminer si la Couronne a réfuté la présomption (voir, p. ex., W. (M.), par. 112). Je relève également que des tribunaux ont tenté d’atténuer l’effet de la gravité de l’infraction dans plusieurs affaires, laissant entendre qu’elle n’est pas déterminante ou qu’elle ne doit pas dominer l’analyse (ibid.; R. c. R. (J.F.), 2016 ABCA 340, 46 Alta. L.R. (6th) 341, par. 25‑26; R. c. R.D.F., 2019 SKCA 112, 382 C.C.C. (3d) 1, par. 59‑60).

[139]                      Je reconnais aussi que, dans l’arrêt D.B., la juge Abella a noté que la « gravité de l’infraction et la situation de l’adolescent qui l’a commise justifient [l’assujettissement à la peine applicable aux adultes] malgré son âge » (par. 77); il est toutefois utile de rappeler que la Cour examinait la version antérieure du par. 72(1) où étaient énumérés ces facteurs et qui ne mentionnait pas la présomption maintenant codifiée à l’al. 72(1)a). Comme l’a constaté la juge Abella, le par. 72(1) mentionnait également les circonstances de la perpétration de l’infraction, ainsi que l’âge, la maturité et la personnalité de l’adolescent (voir le par. 73). Je ne considère pas que, dans ses motifs, la juge Abella souscrivait à l’idée que la gravité de l’infraction, qui faisait alors partie des facteurs énumérés, était directement pertinente pour réfuter la présomption : je considère qu’elle estimait simplement que le tribunal pouvait en tenir compte dans son analyse afin de déterminer si l’assujettissement à la peine pour adultes était justifié. Dans ce passage, la juge Abella portait son attention sur qui avait le fardeau de justifier l’assujettissement à la peine applicable aux adultes, et non sur ce qui était requis pour que la présomption soit réfutée.

[140]                      Comme je l’ai expliqué, le par. 72(1) oblige le tribunal pour adolescents à procéder à deux examens distincts, ce que confirme l’adoption d’une disposition à deux volets en 2012. Compte tenu de la raison d’être de la présomption formulée dans l’arrêt D.B., à savoir les particularités développementales propres à l’adolescence, la présomption doit être axée sur l’âge développemental de l’adolescent. À mon avis, les facteurs qui portent sur la gravité objective de l’infraction, plutôt que sur l’adolescent contrevenant, ne sont pas utiles dans le cadre de cet examen, car ils ne donnent pas d’indications sur les caractéristiques développementales du contrevenant.

[141]                     Il ne suffit pas d’affirmer, comme l’ont fait certains tribunaux, que la gravité de l’infraction n’est pas déterminante au regard de l’al. 72(1)a), ou de dire que la gravité de l’infraction ne justifie pas, [traduction] « en soi, l’assujettissement à la peine applicable aux adultes », comme l’a écrit le juge chargé de la détermination de la peine en l’espèce (par. 29). Bien qu’elle soit pertinente quant à la responsabilité au titre de l’al. 72(1)b), la gravité de l’infraction en tant que question abstraite n’a pas sa place dans l’analyse relative à la réfutation de la présomption, car elle n’a aucune incidence sur la question de savoir si l’adolescent a l’âge développemental d’un adulte. Comme l’a souligné un auteur, un adolescent a ou n’a pas une capacité moins élevée, [traduction] « peu importe le crime qu’il a commis » (M. E. Vandergoot, Justice for Young Offenders : Their Needs, Our Responses (2006), p. 119; voir aussi Parkes, p. 13-15). De plus, il est important de rappeler que, même si [traduction] « [l]a gravité du crime n’écarte pas la présomption », la détermination de la peine pour les adolescents repose elle‑même sur l’idée que la gravité est un facteur utile en ce qui concerne « la responsabilité et le châtiment », de sorte que les infractions très graves, comme le meurtre ou l’agression sexuelle grave, entraînent des peines plus longues selon les règles de détermination de la peine énoncées par le Parlement dans la LSJPA (voir Campbell, p. 53).

[142]                      La prise en compte et l’appréciation de la gravité objective de l’infraction en tant que facteur pour l’application de la présomption constituent donc une erreur de principe. Je constate toutefois que toute référence à la gravité objective de l’infraction ne donnera pas nécessairement lieu à une erreur susceptible de contrôle s’il est évident qu’elle n’a pas eu d’incidence sur la conclusion du juge chargé de la détermination de la peine au sujet de la présomption et que le juge s’est concentré sur l’âge développemental.

[143]                     À mon avis, la Couronne confond à tort la « gravité » de l’infraction avec les faits qui en sont à l’origine. Si les seconds peuvent être pertinents, la première ne l’est pas. Comme l’explique la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. Morris, 2021 ONCA 680, 159 O.R. (3d) 685, au par. 13, la « gravité » d’une infraction est « déterminée par son caractère répréhensible normatif et par le préjudice infligé ou causé par cette conduite dans les circonstances dans lesquelles elle a eu lieu ». Cet examen doit rester distinct de la décision concernant la culpabilité morale du délinquant en cause (par. 77). Bien que les circonstances factuelles de l’infraction puissent donner un aperçu de l’âge développemental du contrevenant pour les besoins du premier volet, elles ne modifient en rien la gravité inhérente de l’infraction (voir le par. 76; R. c. Hills, 2023 CSC 2, par. 58). Le maintien de cette distinction fait en sorte que l’examen découlant de l’al. 72(1)a) demeure axé sur la maturité développementale de l’adolescent plutôt que sur la gravité objective de l’infraction. Un crime violent, aussi grave soit‑il, tragique par ses conséquences ou troublant par la façon dont il a été exécuté, ne révèle pas en soi que l’adolescent qui l’a commis présente l’âge développemental d’un adulte.

[144]                      En particulier, exiger que la gravité de l’infraction soit prise en compte dans le cadre de chacun des volets brouille cette distinction et peut, dans le cas de certaines infractions comme le meurtre au premier degré, fausser ou remplacer l’analyse relative au premier volet en éclipsant la raison d’être de la présomption, qui est centrée sur le contrevenant (voir R.D.F., par. 60; voir aussi Parkes, p. 25). La prise en considération de la gravité de l’infraction dans le cadre du premier volet risque de remplacer l’élément central de l’analyse de l’al. 72(1)a), soit l’adolescent contrevenant et sa situation personnelle, ce qui compromettrait l’importance constitutionnelle de la présomption de culpabilité morale moins élevée en tant qu’exigence préliminaire. La gravité de l’infraction peut être dûment prise en compte à la deuxième étape de l’analyse au titre du par. 72(1), qui porte sur la responsabilité et sur la justesse de la peine spécifique, où elle peut, selon le cas, constituer un facteur important.

[145]                      Contrairement à la gravité objective de l’infraction, les circonstances de celle‑ci peuvent constituer un élément pertinent dans le cadre du premier volet du l’al. 72(1)a), mais seulement dans la mesure où elles donnent des indications sur l’âge développemental de l’adolescent. Les parties s’entendent sur la pertinence des circonstances de la perpétration de l’infraction. Le juge chargé de la détermination de la peine doit toutefois garder à l’esprit certaines considérations importantes lorsqu’il procède à cette analyse.

[146]                     Comme pour tout facteur relatif à la présomption, les circonstances de la perpétration de l’infraction doivent être examinées en fonction de l’âge développemental de l’adolescent. Les tribunaux doivent résister à la tentation d’utiliser les circonstances de la perpétration de l’infraction comme substitut à un examen normatif de l’infraction commise. Ces considérations sont réservées au deuxième volet du par. 72(1). Les tribunaux doivent donc faire preuve de prudence : la violence avec laquelle le crime a été commis, bien que pertinente — tout comme la gravité de l’infraction — quant à la responsabilité de l’adolescent au titre de l’al. 72(1)b), ne fournit pas toujours d’informations utiles pour la réfutation de la présomption de culpabilité morale moins élevée. Les adolescents peuvent commettre des crimes violents dans des circonstances sordides impulsivement ou pour impressionner les autres, d’une manière qui témoigne de leur aptitude moins élevée à exercer le jugement d’un adulte. Lorsque, indépendamment de l’âge développemental de l’adolescent, on invoque la gravité ou les circonstances de la perpétration de l’infraction comme indicateur de l’âge développemental dans le but de réfuter la présomption, une erreur a été commise.

[147]                      Les éléments pertinents pour l’analyse découlant de l’al. 72(1)a) peuvent notamment avoir trait à la maturité moindre présumée de l’adolescent contrevenant, comme l’impulsivité ou la bravade (R. c. A.M., 2024 ONSC 5323, par. 62‑64). La réaction impulsive de l’adolescent lors de la perpétration d’une infraction peut rendre compte d’un sentiment d’invincibilité qui dénote l’immaturité, alors que la planification mûrement réfléchie peut suggérer un développement moral et cognitif plus avancé car elle peut démontrer que celui‑ci a exercé un jugement critique, planifié soigneusement ses gestes ou exercé le jugement d’un adulte, ou qu’il est capable d’apprécier les conséquences de ses actes (Chol, par. 61). Pourtant, comme l’a fait remarquer l’intervenante Justice for Children and Youth, même les adolescents contrevenants sont capables jusqu’à un certain point d’agir avec préméditation et de propos délibéré. L’analyse doit demeurer axée sur la question de savoir si la planification du contrevenant, combinée à d’autres éléments, révèle un degré de discernement et de perspicacité qui correspond au raisonnement d’un adulte, plutôt que de porter seulement sur la question de savoir s’il y a eu planification.

[148]                      De même, le comportement postérieur à l’infraction de l’adolescent contrevenant — c’est‑à‑dire, le comportement après le fait qui présente un lien temporel avec l’infraction en question et qui y est lié — peut être potentiellement instructif, mais il doit être pris en considération avec une certaine prudence. Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le comportement postérieur à l’infraction peut démontrer un [traduction] « degré de maturité, de discernement moral et de capacité à exercer [un] jugement indépendant » (par. 81, citant W. (M.), par. 98). Certains types de comportements postérieurs à l’infraction — comme chercher à éviter de se faire prendre, détruire des preuves ou minimiser les torts causés — peuvent, selon le cas, suggérer une capacité de discernement et une aptitude à exercer un jugement moral. 

[149]                      Toutefois, un tel comportement peut aussi être la manifestation de réactions impulsives dictées par la peur et la panique juvéniles, plutôt que d’actes calculés d’un adulte (Chol, par. 61). Il faut examiner le comportement postérieur à l’infraction dans son contexte pour éviter toute interprétation erronée et pour ne pas lui accorder une importance excessive. La question primordiale consiste à se demander si les circonstances de l’infraction donnent des indications sur l’âge développemental du contrevenant à la lumière de ses caractéristiques personnelles plus larges.

b)             Facteurs relatifs à la situation personnelle du contrevenant

[150]                      Conformément à la raison d’être de la présomption, qui est fondée sur les caractéristiques personnelles présumées des adolescents, la situation particulière de l’adolescent devant le tribunal est un élément essentiel pour déterminer son âge développemental (voir R.D.F., par. 37).

[151]                      Les aspects de la situation personnelle du contrevenant pertinents pour la réfutation de la présomption seront les éléments de preuve individualisés et axés sur le délinquant qui démontrent que son âge développemental s’apparente à celui d’un adulte. Parmi ces aspects, mentionnons l’âge réel de l’adolescent, ses antécédents, sa capacité de discernement, son aptitude à exercer un jugement indépendant, son comportement postérieur à l’infraction, le fait qu’il vivait ou non comme un adulte, sa santé cognitive, émotionnelle et mentale, et sa sensibilité aux influences extérieures (Chol, par. 61; W. (M.), par. 98; R.D.F., par. 37; C. C. Ruby, Sentencing (10e éd. 2020), §22.48).

[152]                      L’âge chronologique du délinquant constitue une caractéristique personnelle importante, car il sert de point d’ancrage aux autres éléments développementaux. Toutefois, l’âge n’est qu’un facteur parmi d’autres et il ne peut éclipser automatiquement d’autres indicateurs de l’âge développemental de l’adolescent (voir A.M., par. 65‑66). Le contrevenant qui est sur le point d’atteindre l’âge adulte peut encore être un adolescent sur le plan du développement. En effet, en tant que question de droit et principe constitutionnel, il a le droit de bénéficier de cette présomption. Je note qu’à l’al. 16a) LSJPA, le Parlement a prévu que, même lorsque l’infraction a été commise par un adolescent la veille même de ses 18 ans, le tribunal pour adolescents devra néanmoins infliger une peine sous le régime de la LSJPA. Le juge chargé de la détermination de la peine qui infère, en raison du fait que l’adolescent contrevenant est sur le point d’atteindre l’âge adulte, sans plus, que son développement est semblable à celui d’un adulte inverse en réalité la présomption de culpabilité morale moins élevée. Une telle erreur serait contraire aux droits de l’adolescent contrevenant que lui garantit l’art. 7 de la Charte.

[153]                      Il est peut‑être vrai, si l’on généralise, que l’adolescent sur le point d’atteindre l’âge de 18 ans est susceptible d’avoir une plus grande maturité, par exemple, que l’adolescent de 14 ou 15 ans pouvant lui aussi faire l’objet d’une demande d’assujettissement à la peine applicable aux adultes en vertu de l’art. 64 LSJPA. De même, les généralisations fondées sur le bon sens concernant la maturité des contrevenants âgés de 14 ans, par rapport à celle des adolescents qui sont sur le point d’atteindre l’âge de 18 ans, peuvent raisonnablement indiquer que le contrevenant de 14 ans est moins susceptible d’afficher l’âge développemental d’un adulte. Dans tous les cas, toutefois, la détermination de l’âge développemental demeure une décision individualisée fondée sur les faits, qui ne peut être court‑circuitée par le recours à une généralisation logique basée sur l’âge chronologique ne tenant pas suffisamment compte de la situation particulière du contrevenant.

[154]                      Les tribunaux peuvent également se pencher sur le degré d’indépendance de l’adolescent au moment de l’infraction. Comme l’a noté la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Chol, le mode de vie du contrevenant — s’il fonctionnait comme un adulte ou s’il dépendait d’autres personnes et était vulnérable à l’influence d’autrui, y compris ses pairs — peut donner une bonne idée de sa maturité et de sa capacité d’exercer un jugement indépendant.

[155]                      Des preuves relatives aux limitations cognitives et affectives, notamment des troubles du comportement ou des problèmes de santé mentale, peuvent également aider le juge chargé de la détermination de la peine à établir l’âge développemental de l’adolescent contrevenant. Ces facteurs n’excusent pas la conduite criminelle mais peuvent démontrer la vulnérabilité, la moins grande maturité et la moins grande aptitude à exercer un jugement indépendant et à prendre des décisions rationnelles et éclairées au moment de l’infraction qui sont présumées chez l’adolescent (voir R.D.F., par. 37; Chol, par. 61; R. c. Z.A., [2023] EWCA Crim 596, [2023] 2 Cr. App. R. (S.) 45 (p. 404), par. 52; en ce qui a trait au traumatisme cognitif chez les adolescents en général, voir aussi R. c. Brown, [2013] NICA 5, par. 7; Bugmy c. The Queen, [2013] HCA 37, 302 A.L.R. 192, par. 43; R. c. Amos, [2012] NSWSC 1021, par. 43 et 82). L’adolescent qui souffre de troubles cognitifs peut avoir du mal à prévoir les conséquences de ses actes ou à saisir pleinement le tort causé à autrui, ce qui met en évidence sa moins grande aptitude à exercer un jugement moral.

[156]                      Le vécu et les antécédents de l’adolescent contrevenant sont également pertinents, car ils peuvent influer considérablement sur son comportement et son jugement et, par extension, sur son développement (al. 72(1)a); Chol, par. 61; B.J.M., par. 110). Cela dit, les antécédents de l’adolescent contrevenant englobent de nombreux aspects. La preuve du contexte social, que j’examinerai plus loin, peut être pertinente. De plus, certaines expériences, comme le fait d’avoir vécu des événements traumatisants, peuvent fondamentalement changer la vision du monde de l’adolescent contrevenant et donc avoir une incidence sur sa vulnérabilité, sa maturité et son aptitude à exercer un jugement moral. 

[157]                      Deux points commandent de plus amples commentaires.

[158]                     I.M. s’oppose à la prise en compte par la Cour d’appel de son comportement lors de la détention provisoire en tant qu’indication de ses possibilités de réadaptation dans le cadre de la présomption; il soutient que ce facteur n’est pas pertinent pour juger de la maturité de l’adolescent au moment de l’infraction (m.a., par. 107). À mon avis, la valeur probante des éléments de preuve concernant le comportement et les agissements du contrevenant dans l’attente de son procès ou de la détermination de la peine pour l’établissement de l’âge développemental dépend de chaque cas. Les tribunaux doivent se garder d’inférer indûment une plus grande maturité au moment de l’infraction en se fondant sur le fait que le contrevenant se comporte comme un adulte. Cependant, dans certains cas, de tels éléments de preuve peuvent donner des indications sur l’âge développemental au moment de l’infraction. Par exemple, ce type de comportement peut être utile pour déterminer la maturité du contrevenant s’il montre un réel changement au fil du temps, c’est‑à‑dire un progrès et une croissance compatibles avec le passage à l’âge adulte. Tel était le cas dans l’affaire W. (M.), où le tribunal a conclu que [traduction] « l’évolution de [la] maturité » d’un adolescent au cours de sa détention laissait entendre qu’il avait une « moins grande maturité » au moment de l’infraction (par. 130). En revanche, un comportement systématiquement immature et une incapacité à exercer un jugement peuvent fort bien suggérer une stagnation du développement et confirmer que le contrevenant est toujours immature. Cela dit, je suis d’accord avec l’appelant pour dire que, dans la mesure où un tel comportement dénote des possibilités de réadaptation réduites, il n’est pas pertinent quant à l’analyse prévue à l’al. 72(1)a), mais il l’est pour les besoins de l’al. 72(1)b) (Chol, par. 54). Dans le cas de l’al. 72(1)a), l’analyse doit être fondée sur l’âge développemental de l’adolescent en question pour être dûment rattachée à la raison d’être de la présomption.

[159]                      Enfin, bien qu’I.M. ait initialement soutenu que les preuves d’experts seront toujours nécessaires pour aider le tribunal pour adolescents à déterminer si la présomption est réfutée, à l’audience, ce point a été concédé à juste titre. À mon avis, les preuves d’experts ne sont pas requises pour que la présomption soit réfutée, même si elles peuvent s’avérer utiles dans certains cas (voir, p. ex., R. c. B.J.M., 2022 SKPC 38 (« B.J.M. C. prov. »), par. 47). Cela témoigne de l’équilibre auquel est parvenu le Parlement au par. 72(1) en accordant de la souplesse au juge chargé de la détermination de la peine, qui pourra choisir les outils les plus appropriés pour l’appréciation de la culpabilité morale de l’adolescent contrevenant tout en tenant compte des réalités pratiques de la détermination de la peine.

[160]                      Le paragraphe 34(2) LSJPA autorise le tribunal pour adolescents saisi d’une demande d’assujettissement à la peine applicable aux adultes à exiger, par ordonnance, que l’adolescent soit évalué par une personne compétente. Le paragraphe 34(1) permet au tribunal pour adolescents, à sa discrétion, de décider s’il convient d’ordonner que l’adolescent contrevenant soit évalué par une personne compétente, à condition que le tribunal estime qu’un rapport psychologique est nécessaire à l’une des fins indiquées et que l’adolescent soit accusé d’avoir commis une « infraction grave avec violence ». Le paragraphe 34(3) confère au tribunal le pouvoir de renvoyer l’adolescent sous garde pour faciliter la préparation de l’évaluation en question. Bien que ces évaluations se distinguent des preuves d’experts qui peuvent être présentées par la Couronne ou la défense, elles constituent des ressources utiles qui aident le tribunal à évaluer la maturité développementale de l’adolescent.

[161]                     Je ne suis pas non plus convaincu qu’une obligation de produire une preuve d’expert soit nécessaire pour empêcher les raisonnements erronés « fondés sur le bon sens » auxquels recourent certains juges chargés de la détermination de la peine, comme le soutient I.M. De tels arguments ne tiennent pas compte de l’expérience judiciaire et du fait que les juges chargés de la détermination de la peine procèdent régulièrement à des analyses complexes et contextuelles relatives à la question factuelle de l’âge développemental pertinente pour la réfutation de la présomption sans recours à des avis d’experts (voir, de façon générale, Proulx, par. 116). De plus, des considérations d’ordre pratique militent également contre l’idée d’exiger une preuve d’expert dans tous les cas. L’adolescent contrevenant peut refuser pour des raisons valables de participer à de telles évaluations, comme dans le pourvoi connexe, S.B. Et l’importance que la LSJPA accorde à la prise de mesures opportunes dans le contexte de la détermination de la peine pour adolescents tend à exclure l’imposition d’exigences rigides en matière de preuve dans tous les cas où elles risqueraient de prolonger l’instance (sous‑al. 3(1)b)(iv) et (v)).

c)              Preuve du contexte social pertinente pour la réfutation de la présomption

[162]                      D’autres aspects des antécédents d’un adolescent contrevenant peuvent avoir influé sur son développement, comme le milieu défavorisé dans lequel il a grandi et le lien entre ce milieu et la discrimination systémique dans sa communauté. La preuve d’un tel contexte social est normalement soumise aux tribunaux sous forme de rapports rédigés par des personnes ayant l’expertise professionnelle adéquate (Morris, par. 137‑147), comme un rapport prédécisionnel enrichi ou une évaluation de l’incidence de l’origine ethnique et culturelle, comme on les appelle dans certaines provinces (A. S. Anderson, « Analysis : Considering Social Context Evidence in the Sentencing of Black Canadian Offenders » (2022), 45:6 Man. L.J. 152, p. 164). Les tribunaux peuvent toutefois tenir compte des témoignages ou prendre connaissance d’office du contexte social dans certains cas (Morris, par. 13). Le rôle que joue cette preuve du contexte social pour l’évaluation du développement des adolescents contrevenants et de leur culpabilité morale mérite d’être commenté par notre Cour. Pour ce faire, il est utile d’examiner d’abord le rôle du contexte social dans la détermination de la peine en général.

[163]                      S.B. soutient dans le pourvoi connexe que ce type de preuve permet la mise en contexte de la conduite criminelle de l’adolescent contrevenant et l’obtention d’indications sur sa culpabilité morale moins élevée (m.a., S.B., par. 112‑113). I.M. souscrit aux arguments de S.B. sur ce point (m.a., par. 80). Aucune des parties ne conteste la pertinence de ces preuves pour les deux volets de l’examen, et plusieurs intervenants ont attesté de leur importance pour les questions que soulèvent les demandes d’assujettissement à la peine applicable aux adultes.

[164]                      Notre Cour s’est penchée dans un certain nombre d’affaires sur la directive obligatoire que donne l’al. 718.2e) C. cr. aux juges chargés de la détermination de la peine de tenir compte de la situation particulière des délinquants autochtones (R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, par. 93; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433, par. 84‑85). Toutefois, il est généralement reconnu que le vécu et la situation personnelle du délinquant sont pertinents pour déterminer sa responsabilité morale individuelle (Hills, par. 58), et que les facteurs systémiques sont également importants lors de la détermination de la peine de délinquants non autochtones (Gladue, par. 69; Ipeelee, par. 77). Bien que notre Cour n’ait pas encore expressément examiné le rôle de la preuve du contexte social dans la détermination de la peine des délinquants non autochtones, la jurisprudence des cours d’appel provinciales indique qu’elle peut fournir des indications utiles pour comprendre le vécu particulier du délinquant et sa culpabilité morale. Cela est particulièrement vrai dans le cas des délinquants appartenant à des groupes racialisés qui font l’objet de discrimination flagrante et systémique (voir Morris; R. c. Anderson, 2021 NSCA 62, 405 C.C.C. (3d) 1; R. c. Ellis, 2022 BCCA 278, 417 C.C.C. (3d) 102, par. 78; R. c. C.K., 2022 QCCA 539, par. 22; R. c. Pierre, 2023 ABCA 300, par. 6; voir aussi Hills, par. 55).

[165]                      Compte tenu de son rôle pour la compréhension de la culpabilité morale, la preuve du contexte social de l’adolescent contrevenant peut fournir au juge chargé de la détermination de la peine des renseignements importants dans le cadre du premier volet du par. 72(1), qui expliquent le comportement criminel en cause en ce qui a trait à la détermination de l’âge développemental. C’est l’âge développemental de l’adolescent, et non le groupe démographique précis auquel il appartient, qui demeure le point central de l’analyse relative à la présomption. Dans le cadre de cette évaluation individualisée de la maturité de l’adolescent, je tiens à rappeler que la LSJPA prévoit expressément que les mesures prises à l’égard des adolescents doivent prendre en compte « tant les différences ethniques, culturelles [et] linguistiques [. . .] que les besoins propres aux adolescents autochtones » (sous‑al. 3(1)c)(iv)). Cette preuve peut être tout aussi utile aux fins de l’examen distinct, axé sur la responsabilité, relevant du deuxième volet. Si la Couronne réussit à réfuter la présomption de culpabilité morale moins élevée, la preuve du contexte social peut demeurer pertinente pour déterminer si une peine spécifique pour adolescents serait d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes. Mes commentaires ici portent surtout sur le rôle additionnel que joue la preuve du contexte social dans le cadre du premier volet.

[166]                      Le contexte social dans lequel a grandi l’adolescent contrevenant peut souvent influencer son parcours de vie. Comprendre ce parcours aide à placer les décisions de l’adolescent dans leur contexte et potentiellement à démontrer sa vulnérabilité accrue, son aptitude moins élevée à exercer un jugement et sa capacité réduite à faire un choix moral. Comme l’a expliqué la cour dans l’arrêt Morris, « les expériences de vie du délinquant peuvent [. . .] influencer les choix qu’il fait et peuvent expliquer, du moins dans une certaine mesure, pourquoi il a choisi de commettre un crime particulier dans des circonstances précises » (par. 75). Par exemple, comme le fait valoir l’intervenante Justice for Children and Youth, l’affiliation à un gang peut, pour certains adolescents, représenter un [traduction] « refuge leur offrant une réponse aux bouleversements sociaux, à l’instabilité du milieu familial, à un besoin de protection physique ou de soutien psychologique ou financier » (m. interv., par. 33). Le contexte social de l’adolescent contrevenant offre donc [traduction] « un cadre de référence plus riche et multidimensionnel » pour la compréhension de ses antécédents et de son comportement, y compris son stade de maturité développementale (voir R. c. X., 2014 NSPC 95, 353 N.S.R. (2d) 130, par. 198). En fin de compte, l’utilité de ces éléments de preuve pour comprendre si la présomption de culpabilité morale moins élevée a été réfutée dépend nécessairement des faits de chaque cas.

[167]                      Malgré son rôle pour l’appréciation du développement et de la culpabilité morale, la valeur de la preuve du contexte social réside dans ce qu’elle est susceptible de révéler au juge chargé de la détermination de la peine au sujet du contrevenant, et non des groupes démographiques auxquels il appartient. Ce serait une erreur de supposer que l’adolescent contrevenant est, sur le plan de son développement, plus jeune ou plus vieux que son âge chronologique sur le simple fondement de son identité raciale, ethnique ou sexuelle, entre autres. Je suis d’accord avec l’intervenante Justice for Children and Youth pour dire qu’une telle façon d’aborder le contexte social risque d’amener le tribunal à inférer que l’adolescent s’est comporté comme un adulte sur la base de mythes et de stéréotypes (m. interv., par. 28). Elle pourrait également donner lieu à tort à des « réduction[s] » de peine automatiques fondées sur les antécédents de l’auteur de l’infraction (Morris, par. 97). Je le répète : le premier volet exige un examen axé sur les faits, nuancé et contextuel. Il doit donc y avoir un lien entre la preuve du contexte social et la vulnérabilité, le jugement et la capacité dont témoigne l’âge développemental de l’adolescent contrevenant devant le tribunal. 

C.            Évaluer si une peine spécifique pour adolescents ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes (al. 72(1)b))

[168]                      À la différence de l’al. 72(1)a), qui porte sur la réfutation de la présomption de culpabilité morale moins élevée, l’al. 72(1)b) consiste à déterminer si une peine spécifique pour adolescents serait suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes. L’évaluation requise par l’al. 72(1)b) n’est pas superficielle. Elle fait plutôt appel aux principes fondamentaux de détermination de la peine pour les adolescents, en particulier ceux énoncés au sous‑al. 3(1)b)(ii) et à l’art. 38, auxquels il est fait renvoi explicitement à l’al. 72(1)b). Pour comprendre ses nuances, il faut porter attention à l’interaction entre la proportionnalité, la responsabilité et la réadaptation.

(1)          Le fardeau de la Couronne de convaincre le juge chargé de la détermination de la peine qu’une peine pour adultes est nécessaire afin que l’adolescent réponde de ses actes au sens de l’al. 72(1)b)

[169]                     Il est important, à cette étape, de ne pas perdre de vue ce que l’on entend par responsabilité aux termes de l’al. 72(1)b). Bien que le respect des conditions du deuxième volet donne lieu à l’assujettissement de l’adolescent contrevenant à la peine applicable aux adultes, il ne s’ensuit pas pour autant que la responsabilité souhaitée selon le deuxième volet est celle du régime de détermination de la peine pour adultes. Le deuxième volet consiste plutôt à déterminer si les contraintes liées à la détermination de la peine pour les adolescents doivent céder le pas à l’atteinte des objectifs en matière de responsabilité que prévoit la LSJPA. Une fois qu’elle s’est acquittée du fardeau de réfuter la présomption énoncée à l’al. 72(1)a), la Couronne doit tout de même, pour obtenir une ordonnance d’assujettissement à la peine applicable aux adultes, démontrer qu’une peine spécifique ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux comme le prévoit l’al. 72(1)b). L’opération au titre de l’al. 72(1)b) se rapporte à l’évaluation de la justesse d’une peine spécifique dans les circonstances. Il incombe donc à la Couronne de convaincre le juge chargé de la détermination de la peine, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, qu’une peine spécifique n’est pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes. Contrairement à l’al. 72(1)a), la norme de preuve applicable au fardeau découlant de ce volet n’est pas celle de la preuve hors de tout doute raisonnable, mais en est une de conviction, adaptée au type d’exercice de pouvoir discrétionnaire auquel se livrent habituellement les juges chargés de la détermination de la peine lorsqu’ils mettent en balance des facteurs concurrents pour fixer une peine juste.

[170]                      Le Parlement a prévu que la LSJPA aurait un champ d’application suffisamment large pour obliger les adolescents contrevenants à répondre des infractions qu’ils ont commises par l’imposition de « sanctions justes assorties de perspectives positives », y compris celles que le par. 2(1) LSJPA désigne comme des « infraction[s] grave[s] avec violence », commises dans des circonstances très graves, sauf si la Couronne a réfuté la présomption (par. 38(1)). La responsabilité, au sens du par. 38(1), est la pierre angulaire de la détermination de la peine pour les adolescents. Elle englobe l’imposition de sanctions qui sont non seulement proportionnelles, mais qui sont assorties de perspectives positives favorisant la réinsertion sociale. La responsabilité ne peut donc pas être assimilée uniquement au châtiment. Bien que certaines juridictions d’appel aient établi un lien entre la responsabilité et les principes de la justice rétributive (voir O. (A.), par. 47 et 50), d’autres ont appliqué un modèle hybride incorporant des objectifs utilitaristes, comme la prévention du crime au moyen de la réadaptation (Anderson C.A. Man., par. 80 et 82). Cette double perspective fait ressortir l’importance que les peines soient élaborées de façon à refléter la situation des adolescents contrevenants, tout en tenant compte de la gravité de leurs actes.

[171]                      La responsabilité au titre de la LSJPA reflète un équilibre entre différents objectifs : « Plutôt que d’adopter une approche strictement punitive, la LSJPA privilégie une responsabilité qui vise la transformation du jeune contrevenant par des mesures adaptées à son développement et à ses capacités de réinsertion » (Destrempe Rochette, p. 72). Par exemple, la LSJPA exige que le juge chargé de la détermination de la peine tienne compte, pour déterminer la sanction appropriée, des dommages causés à la victime (sous‑al. 3(1)c)(ii) et al. 38(3)b)), ainsi que de la réadaptation et de la réinsertion sociale, qui sont tous censés « favoriser la protection durable du public » (par. 38(1)). Les règles énoncées dans la LSJPA sont différentes de celles qui s’appliquent aux délinquants adultes; elles reconnaissent, comme l’a souligné un auteur, l’idée que [traduction] « les enfants ne peuvent être considérés simplement comme des personnes chronologiquement plus jeunes que les adultes; ils doivent plutôt être considérés comme des êtres humains intrinsèquement vulnérables et immatures dont le développement comportemental et la formation de la personnalité sont en cours » (Jones, p. 97).

[172]                      Comme l’examen découlant de l’al. 72(1)b) [traduction] « s’apparente sensiblement à la détermination d’une peine juste » (B.J.M., par. 95), il s’ensuit que la question de la justesse d’une peine spécifique soulève des considérations semblables. Cela étaye le point de vue selon lequel l’évaluation normative exigée par l’al. 72(1)b) ne requiert pas une preuve hors de tout doute raisonnable. Bien que la conclusion de la Cour d’appel dans l’arrêt O. (A.) et la jurisprudence qui a suivi cette décision ne soient pas pertinentes en ce qui concerne le premier volet du par. 72(1), elles demeurent utiles pour le deuxième volet. À cet égard, je conviens avec la cour dans l’arrêt O. (A.) que l’examen que commande l’al. 72(1)b) est de nature évaluative et oblige le tribunal pour adolescents [traduction] « à apprécier et à mettre en balance » les facteurs pertinents (par. 34). Il s’agit d’une opération intrinsèquement contextuelle fondée sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal (par. 46‑50). Par conséquent, l’évaluation de la justesse d’une peine spécifique ne se prête pas à une preuve hors de tout doute raisonnable (voir B.J.M., par. 91‑99).

(2)          Facteurs pertinents quant à la responsabilité au titre de l’al. 72(1)b)

[173]                      Contrairement au premier volet, où l’analyse est centrée sur le contrevenant, l’examen relatif à la responsabilité permet l’intégration d’une panoplie de facteurs, dont les conséquences normatives de l’infraction, l’impact sur les victimes et la collectivité et l’existence (ou l’inexistence) de mesures de réadaptation et de réinsertion prévues par le système de justice pour adolescents. Je le répète, cet examen est intrinsèquement évaluatif et discrétionnaire. Le juge chargé de la détermination de la peine doit apprécier la culpabilité morale du contrevenant, les dommages que ses actes ont causés et le caractère normatif de sa conduite (O. (A.), par. 46‑47).

[174]                      L’analyse au titre de l’al. 72(1)b) n’est pas simplement procédurale ou superficielle. Elle fait intervenir des principes fondamentaux de détermination de la peine pour les adolescents, en particulier ceux énoncés au sous‑al. 3(1)b)(ii) et à l’art. 38. L’adolescent contrevenant ne perd pas la protection de l’al. 72(1)b) simplement parce qu’il est mature sur le plan de son développement. Il ressort du contexte législatif que l’examen relatif à la responsabilité ne débouche pas sur une conclusion inéluctable une fois que la présomption énoncée à l’al. 72(1)a) est réfutée; elle demeure une appréciation distincte et essentielle.

[175]                      Le sous‑alinéa 3(1)b)(ii) LSJPA souligne que les adolescents se caractérisent par « leur degré de maturité » moins élevé et « leur état de dépendance » plus élevé et que leur responsabilité doit être juste et proportionnelle eu égard à leur situation. Ces principes confirment que l’examen de la responsabilité au titre du deuxième volet est un examen distinct qui ne peut être amalgamé à celui du premier volet simplement parce que l’âge développemental de l’adolescent a été jugé comme s’apparentant à celui d’un adulte. Le fait que l’âge développemental d’un adolescent puisse être comparable à celui d’un adulte ne justifie pas, en soi, son assujettissement à la peine applicable aux adultes.

[176]                      De même, l’al. 38(2)c) établit un lien entre, d’une part, la proportionnalité de la peine et, d’autre part, la gravité de l’infraction et le degré de responsabilité du contrevenant, tout en priorisant la réadaptation et la modération plutôt que la dénonciation et la dissuasion. Fait à noter, la dissuasion générale n’est pas un objectif de détermination de la peine pour les adolescents (R. c. B.W.P., 2006 CSC 27, [2006] 1 R.C.S. 941, par. 4). Ce fait est en outre renforcé par les dispositions de la LSJPA portant sur les placements sous garde. Par exemple, le par. 39(1) ne permet le recours à ces peines que dans des cas exceptionnels (C.D., par. 39). Même dans le cas du meurtre au premier degré, la peine maximale de placement sous garde que prévoit la LSJPA est de six ans (sous-al. 42(2)q)(i)). Ces principes éclairent le sens à donner à la responsabilité dont il est question à l’al. 72(1)b).

[177]                      Pour l’application de l’al. 72(1)b), la gravité de l’infraction est pertinente quant à la responsabilité. Elle englobe un examen objectif de l’infraction — le tort causé, la nature des actes de violence et la réprobation sociale — ainsi qu’une évaluation de ses répercussions sur la culpabilité du contrevenant. Il ne faut toutefois pas confondre l’importance plus large que le deuxième volet accorde à la culpabilité morale avec l’examen qu’exige l’al. 72(1)a), lequel s’intéresse seulement à l’âge développemental de l’adolescent contrevenant comme indicateur de son aptitude à exercer un jugement moral, de sa maturité et de sa plus grande vulnérabilité. En revanche, pour l’application de l’al. 72(1)b), l’appréciation repose dûment sur la gravité de l’infraction, sur la conduite du contrevenant lors de la perpétration de cette infraction et, comme l’indique le renvoi au sous‑al. 3(1)b)(ii) dans le deuxième volet, sur sa maturité moins grande et son état de dépendance.

[178]                      L’analyse discrétionnaire que le juge effectue dans le cadre du deuxième volet englobe nécessairement l’examen des aspects pertinents des antécédents du contrevenant, afin de mieux comprendre les choix qui l’ont conduit à commettre le crime ainsi que sa responsabilité individuelle à l’égard de celui‑ci (Hills, par. 58). Par conséquent, le juge chargé de la détermination de la peine doit mettre en balance les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes relatives à l’infraction et au contrevenant, y compris son comportement postérieur à l’infraction et antérieur au prononcé de la peine, afin de déterminer si une peine spécifique pour adolescents serait ou non suffisante pour assurer une responsabilité significative. Cette appréciation se rapproche donc de la détermination d’une peine juste, qui doit mettre en balance la gravité de l’infraction et la culpabilité du contrevenant (L.M., par. 17; Ruby, §23.6; Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 47.2).

[179]                      Comme l’a jugé la Cour d’appel dans l’affaire connexe S.B., les preuves du contexte social sont souvent indispensables dans l’appréciation de la responsabilité de l’adolescent (R. c. S.B., 2023 ONCA 369, 426 C.C.C. (3d) 367, par. 71). Je suis du même avis. Ce type de renseignements peut donner des indications sur les vulnérabilités du contrevenant découlant de ses antécédents et est donc susceptible d’aider le tribunal à se faire une idée nuancée de la conduite et de la culpabilité du contrevenant (voir Morris, par. 13 et 97; voir aussi Hills, par. 55 et 58). Par exemple, des preuves relatives aux désavantages socioéconomiques et à l’exposition à la violence peuvent indiquer qu’une peine plus sévère, semblable à celle applicable aux adultes, ne convient pas, car elle risque d’exacerber les vulnérabilités de l’adolescent. Ainsi, la preuve du contexte social joue un double rôle pour l’application du par. 72(1). Bien qu’elle puisse être déterminante dans le cadre de l’examen factuel au titre du premier volet, elle est tout aussi cruciale pour décider si la peine spécifique pour adolescents pouvant être infligée serait suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes.

[180]                      D’autres facteurs sont également utiles pour apprécier la responsabilité. L’alinéa 3(1)c) oblige le juge chargé de la détermination de la peine à tenir compte des dommages causés aux victimes et à favoriser la prise de mesures réparatrices. Les victimes jouent un rôle important dans le cadre du deuxième volet, et leurs déclarations fournissent de précieuses informations sur les conséquences des actes du contrevenant et sur la gravité de l’infraction. La détention présentencielle a aussi une incidence sur l’appréciation de la responsabilité. Le temps que les adolescents contrevenants passent en détention peut perturber leur éducation et leur stabilité sociale, ce qui aggrave souvent les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Les tribunaux doivent veiller à ce que les peines demeurent proportionnelles et qu’elles favorisent la réadaptation en tenant compte de ces considérations (Bala et Anand, p. 523-524 et 536-537; voir aussi Kobayashi et Michalski, p. 373, p. 379, note 28, et p. 381, note 35).

[181]                      En somme, l’examen relatif à la question de la responsabilité que requiert l’al. 72(1)b) doit être considéré comme appelant une décision normative distincte qui repose sur un examen factuel rigoureux de l’âge développemental — et qui n’intervient qu’une fois cet examen effectué. Il oblige les tribunaux à mettre en balance les principes de la proportionnalité, de la responsabilité et de la réadaptation lorsqu’ils déterminent si une peine spécifique pour adolescents est adéquate. Cette analyse reflète les objectifs fondamentaux de la LSJPA, soit favoriser la prise de mesures offrant des perspectives positives, favoriser la réinsertion sociale et réparer les dommages que causent les infractions commises par les adolescents. En fondant l’examen sur ces principes, les juges peuvent s’assurer que leurs décisions sont justes, individualisées et conformes aux besoins des adolescents contrevenants.

VIII.   Application

[182]                     La question centrale du présent pourvoi est de savoir si la Cour d’appel a commis une erreur en confirmant la décision du juge chargé de la détermination de la peine d’assujettir I.M. à la peine applicable aux adultes. Pour répondre à cette question, je vais d’abord préciser la norme de contrôle en appel qui s’applique en l’espèce. Ensuite, je vais expliquer que le juge chargé de la détermination de la peine a commis des erreurs de principe qui ont eu une incidence importante sur la peine infligée à I.M. Enfin, je vais procéder de nouveau à la détermination de la peine d’I.M. afin d’établir si la présomption était réfutée et de fixer la peine appropriée.

A.           La norme applicable à l’intervention en appel

[183]                     Il est évidemment de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable en appel en matière de détermination de la peine en est une empreinte de déférence (R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 89‑94; Lacasse, par. 41). Toutefois, comme l’a expliqué notre Cour dans l’arrêt Lacasse, une juridiction d’appel peut intervenir lorsque le juge chargé de la détermination de la peine a commis une erreur de principe, notamment en tenant erronément compte de facteurs aggravants ou en omettant de tenir compte de facteurs pertinents, et que cette erreur a eu une incidence importante sur la détermination de la peine (par. 41‑44). Ce principe s’applique aussi aux appels en matière de détermination de la peine pour les adolescents, où la même approche caractérisée par la déférence régit le contrôle en appel (voir, p. ex., LSJPA1915, par. 44; W. (M.), par. 49; A.W.B., par. 12; Okemow, par. 41). Conformément à l’art. 37 et au par. 72(5) LSJPA, l’appel de l’ordonnance prévoyant l’assujettissement de l’adolescent à la peine applicable aux adultes est un appel de cette peine. Par conséquent, lorsque l’appelant allègue qu’une erreur a été commise dans l’interprétation du par. 72(1), comme le fait I.M. en l’espèce, cette erreur — si elle est établie — constitue une erreur dans la détermination de la peine qui sera susceptible de contrôle si elle a eu une incidence sur la peine.

[184]                     Je rappelle que, même lorsqu’elle procède à une nouvelle détermination de la peine, notre Cour doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du juge chargé de la détermination de la peine, « pourvu qu’[elles] ne soient pas entaché[es] d’une erreur de principe » (Friesen, par. 28). Lors de la nouvelle détermination de la peine, la juridiction d’appel peut néanmoins arriver à la même peine, malgré l’erreur (par. 27 et 29). Ce n’est pas le cas en l’espèce.

B.            Erreurs de principe justifiant l’intervention de notre Cour

[185]                     I.M. reproche tant au juge chargé de la détermination de la peine qu’à la Cour d’appel d’avoir commis un certain nombre d’erreurs de raisonnement en ce qui concerne le premier volet. Il soutient que ceux‑ci n’ont pas appliqué la bonne norme de preuve, ont tenu compte à tort de la gravité de l’infraction au premier volet et n’ont pas tenu compte des facteurs clés relatifs à la maturité développementale. La Couronne, pour sa part, soutient que le juge chargé de la détermination de la peine a appliqué la bonne norme de preuve évaluative selon laquelle il doit être « convaincu » que la présomption est réfutée, et qu’il a dûment tenu compte du témoignage du Dr Pearce sur le pronostic d’I.M. Selon la Couronne, les erreurs qu’allègue I.M. constituent en grande partie des contestations des conclusions de fait du juge, et I.M. n’a pas démontré qu’elles étaient manifestes et déterminantes. La Couronne soutient que le juge chargé de la détermination de la peine et la Cour d’appel ont conclu à juste titre qu’I.M. devait être assujetti à la peine applicable aux adultes, car ses actes démontrent un degré élevé de culpabilité morale.

[186]                     À la lumière des principes juridiques expliqués ici, je conviens avec l’appelant que les motifs du juge chargé de la détermination de la peine révèlent des erreurs de principe dans l’interprétation du par. 72(1) LSJPA qui ont eu une incidence importante sur la peine infligée à I.M. Bien qu’il ait reconnu à juste titre que la réfutation de la présomption exige une analyse en deux volets, j’estime, avec égards, que son application erronée de la norme de preuve, son recours à des facteurs inappropriés et son défaut de tenir suffisamment compte de la raison d’être de la présomption de culpabilité morale moins élevée commandent une intervention en appel. Ces erreurs ont eu un effet qui n’était pas de pure forme, mais plutôt de fond, et qui a faussé l’application appropriée du par. 72(1) et donné lieu à une conclusion mal fondée en droit.

[187]                     Tout d’abord, le juge chargé de la détermination de la peine a commis une erreur de droit en n’appliquant pas la bonne norme de preuve au fardeau de la Couronne au titre de l’al. 72(1)a). La présomption de culpabilité morale moins élevée oblige la Couronne à établir, hors de tout doute raisonnable, que l’âge développemental de l’adolescent, au moment de l’infraction, s’apparentait à celui d’un adulte. Le juge chargé de la détermination de la peine a plutôt appliqué une norme moins rigoureuse, exigeant seulement que le tribunal soit [traduction] « convaincu après un examen attentif [. . .] de tous les facteurs pertinents » (par. 25, citant B.L., par. 36). Ce défaut d’appliquer la bonne norme constitue une erreur de principe. En allégeant le fardeau de preuve qui incombe à la Couronne, le juge chargé de la détermination de la peine a faussé l’analyse requise, rendant la réfutation de la présomption beaucoup plus facile que ce qu’exige la Constitution.

[188]                     Cette erreur s’explique par le fait que le juge chargé de la détermination de la peine s’est appuyé sur une jurisprudence désuète (par. 24‑25). Au lieu d’appliquer l’arrêt D.B., il a suivi l’arrêt O. (A.) et le jugement B.L., au par. 36, qui s’appuyait également sur l’arrêt O. (A.). Ni l’une ni l’autre de ces décisions ne rend compte du cadre légal établi dans l’arrêt D.B. et des modifications législatives de 2012. Comme je l’ai expliqué, l’arrêt O. (A.) est antérieur à l’arrêt D.B. et à ces modifications et laisse entendre à tort que le fardeau dont doit s’acquitter la Couronne pour justifier l’assujettissement de l’adolescent à la peine applicable aux adultes n’est pas lourd (par. 38), alors que le jugement B.L. est fondé sur l’arrêt O. (A.). Soit dit en tout respect, la Cour d’appel, en ne disant rien au sujet de cette erreur, a repris la faute concernant la norme de preuve, facilitant la réfutation de la présomption en appel.

[189]                      J’ouvre ici une parenthèse pour signaler qu’une méprise quant à la norme de preuve exigée au premier volet, bien qu’il s’agisse d’une erreur de principe, n’a pas nécessairement une incidence importante sur l’issue de la demande d’assujettissement à la peine applicable aux adultes. Une cour d’appel peut être convaincue que, lorsque les motifs du juge chargé de la détermination de la peine et le dossier permettent de conclure que la présomption a été réfutée hors de tout doute raisonnable, l’erreur n’a pas eu d’incidence sur la peine. En pareil cas, il n’y a pas lieu d’intervenir si l’erreur n’a pas eu d’incidence sur la peine (voir B.J.M., par. 109). Dans le cas qui nous occupe, toutefois, l’erreur qui a été commise au sujet de la norme a été aggravée par d’autres erreurs relatives aux facteurs utiles pour la réfutation de la présomption qui, prises ensemble, excluent cette conclusion en l’espèce.

[190]                     Ensuite, le juge chargé de la détermination de la peine en l’espèce a commis une erreur en tenant compte à tort de la gravité de l’infraction dans le cadre du premier volet. Il a examiné ce facteur dès le début de ses motifs. Même s’il a reconnu que ce facteur ne justifiait pas à lui seul l’assujettissement à la peine applicable aux adultes (au par. 29), il était en réalité non pertinent pour la réfutation de la présomption. Puis, il l’a de nouveau mentionné comme constituant un facteur clé dans sa conclusion finale selon laquelle I.M. affichait la maturité, le discernement moral et l’aptitude à exercer le jugement indépendant d’un adulte (par. 38). En tout respect, ce raisonnement reflète une erreur juridique. La gravité objective de l’infraction n’est pas un indicateur de l’âge développemental de l’adolescent et n’a pas d’incidence sur celui‑ci.

[191]                     Avec égards, la Cour d’appel a commis des erreurs semblables en tenant compte de ce facteur lorsqu’elle s’est penchée sur le premier volet (voir les par. 75 et 81). Elle ne pouvait pas se contenter de dire que la gravité n’est pas [traduction] « déterminante » aux fins de la réfutation de la présomption (par. 76). Elle aurait dû faire abstraction de ce facteur en raison de sa non‑pertinence dans le cadre du premier volet et mettre l’accent sur les caractéristiques personnelles d’I.M., comme elle l’a fait dans le pourvoi connexe S.B. (par. 62-68).

[192]                     De plus, outre l’âge d’I.M., le juge chargé de la détermination de la peine n’a pas tenu compte dans ses motifs des autres aspects des caractéristiques personnelles et de la situation d’I.M. dans le cadre du premier volet. Même s’ils étaient pertinents quant à l’aptitude d’I.M. à exercer un jugement moral, ces éléments de preuve n’ont été traités que de façon sommaire lors de l’examen requis par l’al. 72(1)a), alors qu’ils ont joué un rôle dans les passages ultérieurs des motifs du juge chargé de la détermination de la peine portant sur le deuxième volet. L’exposition d’I.M. à la pauvreté, à la violence et à des pairs négatifs aurait pu influer sur sa maturité développementale, mais le juge n’en a pas tenu compte dans son analyse liée à la présomption. Il a également fait fi des conclusions de fait qui indiquaient l’immaturité d’I.M., notamment les échanges que ce dernier avait eus avec un complice adulte lors d’une discussion sur le vol qualifié, et ses vantardises auprès de G.D., un camarade de classe. Évidemment, de tels facteurs n’empêchent pas nécessairement l’assujettissement à la peine applicable aux adultes conformément au par. 72(1). Soyons clairs : les adolescents aux prises avec des difficultés sociales et cognitives ne sont pas tous à l’abri de l’assujettissement à la peine applicable aux adultes sous le régime de la LSJPA. Toutefois, en insistant sur la gravité de l’infraction dans le cadre du premier volet, à l’exclusion des caractéristiques personnelles d’I.M. et de sa situation, et en se concentrant sur les circonstances de l’infraction sans égard à la façon dont certaines de ces circonstances témoignaient de l’immaturité d’I.M., j’estime que le juge chargé de la détermination de la peine a commis une erreur de principe.

[193]                     Troisièmement, je suis respectueusement d’avis que le juge chargé de la détermination de la peine n’a pas tenu compte des facteurs clés relatifs à la maturité développementale, en particulier les antécédents en matière de santé mentale d’I.M., alors que ces facteurs étaient utiles pour juger de l’aptitude d’I.M. à exercer un jugement moral aux fins de l’application de la présomption. Plusieurs des rapports versés au dossier, notamment l’évaluation psychologique effectuée par le Dr Pearce et les rapports prédécisionnels, indiquent qu’I.M. souffrait de certains problèmes de santé mentale et d’un retard de développement cognitif. Ces éléments de preuve ont une incidence directe sur l’appréciation de l’âge développemental d’I.M. au titre de l’al. 72(1)a). Le juge chargé de la détermination de la peine n’a pas tenu compte de ces facteurs dans le cadre du premier volet et, ce faisant, il a omis de tenir compte de la raison d’être de la présomption. L’évolution du développement d’I.M. a été considérée comme secondaire par rapport à la gravité et aux circonstances de la perpétration de l’infraction.

[194]                     L’effet cumulatif de ces erreurs dans la démarche du juge chargé de la détermination de la peine contraste avec l’affaire B.J.M., où la Cour d’appel de la Saskatchewan a confirmé la conclusion du juge chargé de la détermination de la peine selon laquelle la présomption avait été réfutée, malgré le fait que le juge n’avait pas appliqué la bonne norme. Dans cette affaire, le juge chargé de la détermination de la peine avait examiné attentivement les antécédents du contrevenant, notamment en matière de santé mentale, ainsi que le contexte social, plus particulièrement ses origines autochtones et les facteurs systémiques connexes ayant influencé son parcours de vie (B.J.M. C. prov., par. 21‑39). Le juge avait également dûment tenu compte des circonstances de la perpétration de l’infraction pour comprendre la maturité de B.J.M. au moment de celle‑ci (par. 40‑45). En revanche, la détermination de la peine d’I.M. constitue une mauvaise application de la loi et aurait dû être qualifiée d’erreur en appel.

[195]                     Enfin, bien que cela ne constitue pas toujours une erreur, le juge chargé de la détermination de la peine dans la présente affaire a erré en tenant compte du comportement d’I.M. antérieur au prononcé de sa peine. Ce comportement peut, dans certains cas, indiquer une progression du développement et donc apporter des indications sur la maturité de l’adolescent contrevenant au moment de la perpétration de l’infraction (Chol, par. 54). Toutefois, la Couronne n’a pas présenté de preuves directes concernant le comportement de l’accusé antérieur au prononcé de la peine, hormis les dossiers correctionnels. En l’espèce, le juge chargé de la détermination de la peine a supposé que l’adolescent contrevenant avait suivi un cheminement linéaire pour acquérir la maturité d’un adulte sans disposer de preuves à l’appui suffisantes.

[196]                     I.M. a été déclaré coupable de meurtre au premier degré par imputation, une infraction prévue à l’al. 231(5)e) C. cr., qui, même sous le régime de la LSJPA, est passible d’une peine sévère dont la période de garde ne peut excéder six ans à compter de sa mise à exécution. La réfutation de la présomption exposait I.M. au risque de se voir condamner à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans, plutôt qu’à une peine spécifique pour adolescents pouvant être assortie d’un PSPIR, auquel il avait été jugé admissible. Le défaut du juge chargé de la détermination de la peine d’appliquer la bonne norme de preuve, jumelé à son défaut de tenir véritablement compte des facteurs pertinents, a eu une incidence importante sur sa conclusion selon laquelle la présomption avait été réfutée et, par conséquent, sur sa décision d’assujettir I.M. à la peine applicable aux adultes, soit l’emprisonnement à perpétuité.

C.            Nouvelle détermination de la peine d’I.M. en appel

[197]                     Ayant conclu que les erreurs de principe commises par le juge chargé de la détermination de la peine ont eu une incidence importante sur la peine qu’il a infligée à I.M., je dois me prononcer à nouveau sur la question de savoir si la présomption de culpabilité morale moins élevée a été réfutée et, dans la négative, déterminer la peine spécifique qu’il convient d’infliger.

(1)          La Couronne ne s’est pas acquittée de son fardeau de réfuter la présomption prévue à l’al. 72(1)a)

[198]                     Lorsqu’il détermine si la présomption de culpabilité morale moins élevée a été réfutée, le juge chargé de la détermination de la peine doit respecter la règle constitutionnelle et législative selon laquelle il incombe à la Couronne de prouver que l’âge développemental de l’adolescent était assimilable à celui d’un adulte.

[199]                     Au moment de l’infraction, I.M. était âgé de 17 ans et 5 mois. Ce n’était pas une erreur de la part du juge chargé de la détermination de la peine, ou de la Cour d’appel, de faire remarquer qu’I.M. était « sur le point » d’avoir 18 ans lorsqu’il a commis l’infraction (il ne lui restait en fait qu’environ 7 mois avant d’atteindre cette date). Mais, au mieux, il s’agissait d’un facteur contextuel parmi d’autres facteurs pertinents pour déterminer l’âge développemental. I.M. n’avait pas moins droit, en vertu de la loi et sur le plan constitutionnel, à la présomption de culpabilité morale moins élevée simplement parce qu’il était sur le point d’atteindre l’âge adulte. Bien que la proximité avec l’âge de la majorité puisse favoriser la réfutation de la présomption, elle ne suffit pas. Même les adolescents qui sont sur le point d’atteindre la majorité sont présumés bénéficier d’une culpabilité morale moins élevée en l’absence de preuve contraire. Lorsqu’elle procède à la nouvelle détermination de la peine, la Cour doit partir du principe que l’âge développemental d’I.M. coïncide avec son âge chronologique au moment de la perpétration de l’infraction. Si la Couronne n’est pas en mesure de prouver le contraire hors de tout doute raisonnable, I.M. continue d’avoir droit à la présomption et doit être assujetti à une peine spécifique et tenu de répondre du meurtre dont il a été reconnu coupable conformément au par. 42(2) LSJPA.

[200]                     J’examine d’abord les conclusions de fait du juge chargé de la détermination de la peine concernant les circonstances violentes entourant le meurtre de S.T. et le rôle d’I.M. à cet égard. Pour évaluer l’importance de la participation d’I.M. à l’infraction, le juge chargé de la détermination de la peine s’est fondé à juste titre sur ces faits, qu’il a considérés comme des indications qu’I.M. avait planifié le vol comme l’aurait fait un adulte. Or, en y regardant de plus près, certains de ces faits soulèvent également des questions concernant l’impulsivité d’I.M., sa vulnérabilité à l’influence des pairs et sa propension à prendre des risques.

[201]                     Il y a tout d’abord les faits entourant les raisons pour lesquelles I.M. a décidé de participer au vol qualifié ayant mené au meurtre de S.T. La Couronne invoque des éléments de preuve indiquant qu’I.M. cherchait à se procurer une arme à feu au cours de la période précédant l’infraction et de celle la suivant (m.i., par. 8 et passim). Elle fait référence au message texte qu’I.M. a envoyé à l’un de ses complices adultes dans lequel il — I.M. — affirmait qu’il considérait ce vol qualifié comme une « occasion de faire [s]es preuves » et un tremplin vers une carrière criminelle plus sérieuse (par. 9). Je reconnais, à l’instar du juge chargé de la détermination de la peine, que ces faits témoignent de l’implication d’I.M. Or, le fait que le vol qualifié ait été considéré comme une « occasion de faire [s]es preuves » est également compatible avec la propension chez l’adolescent à prendre des risques, la vulnérabilité à l’influence de criminels plus âgés et l’incapacité de l’adolescent d’évaluer les conséquences avec la même prudence que celle dont ferait preuve une personne ayant l’âge développemental d’un adulte. Ces faits soulèvent à tout le moins un doute raisonnable quant à la prétendue maturité développementale d’I.M. À mon avis, la Couronne ne s’est pas penchée sur cette question et n’a pas dissipé les inférences négatives qu’elle soulevait pour réfuter la présomption.

[202]                     Il y a ensuite les faits entourant les échanges qu’I.M. a eus avec son camarade de classe G.D. peu de temps après l’infraction. Le juge chargé de la détermination de la peine s’est fié au témoignage de G.D., selon lequel I.M. lui avait décrit son implication dans la mort de S.T. et lui avait montré une chemise ensanglantée. Pour le juge, il s’agissait d’une preuve de [traduction] « l’implication d’I.M. » et d’une conduite postérieure à l’infraction qui exacerbaient la gravité du meurtre (intertitre précédant le par. 11; voir aussi le par. 33). Qu’I.M. ait raconté à l’un de ses pairs, quatre jours après les faits, qu’il avait poignardé un autre adolescent et qu’il lui ait ensuite montré les vêtements ensanglantés de la victime était irréfléchi et imprudent à l’extrême. Ce comportement témoignait d’une bravade concordant avec l’impulsivité d’un adolescent et contrastait avec l’aptitude à exercer un jugement moral à laquelle on pourrait s’attendre de la part d’un adulte. Bien que ces conclusions puissent établir le rôle d’I.M., elles constituent également un obstacle que la Couronne doit surmonter pour réfuter la présomption.

[203]                     Dans la mesure où la Couronne s’est appuyée sur cette conduite, elle l’a fait dans le but de démontrer l’importance de l’implication d’I.M. dans l’acte fautif. Elle n’a pas tenu compte des précieux éléments d’information que ces faits fournissaient au sujet de l’âge développemental d’I.M. — à savoir que l’imprudence dont il avait fait preuve en partageant des renseignements est également le signe d’une vantardise juvénile et d’une incapacité à raisonner comme un adulte. Ces faits soulèvent un doute raisonnable quant à savoir si I.M. avait l’âge développemental d’un adulte au moment de l’infraction.

[204]                     Je passe maintenant aux conclusions de fait relatives au contexte social d’I.M. que le juge chargé de la détermination de la peine a tirées en lien avec l’al. 72(1)b), mais dont il a fait abstraction aux fins de l’application de la présomption. I.M. a commencé à se livrer à des activités criminelles dès l’âge de 12 ou 13 ans, sous l’influence de pairs plus âgés. Son éducation a été perturbée par de fréquents changements d’écoles en raison de l’intimidation et de difficultés sociales qu’il a subies. En 2010, il a survécu à une fusillade dans son école, qui l’a rendu paranoïaque et hypersensible pendant des années (d.a., vol. I, p. 110‑111).

[205]                     À première vue, les conditions de vie difficiles d’I.M. semblent indiquer une vulnérabilité accrue qui renforce, plutôt qu’elle ne réfute, la présomption de culpabilité morale moins élevée (D.B., par. 41). Le fait de situer dans ce contexte l’implication criminelle précoce d’I.M. étaye le point de vue selon lequel son comportement cadre avec la vulnérabilité des adolescents à la pression des pairs, leur propension à prendre des risques et leur tendance à ne pas évaluer les conséquences à long terme. Le fardeau incombant à la Couronne l’obligeait à expliquer pourquoi, malgré ces difficultés, I.M. possédait un discernement moral et une aptitude à exercer un jugement supérieurs à ceux se rattachant à son âge chronologique au moment de l’infraction.

[206]                     Le dossier devant notre Cour n’appuie pas cette conclusion. Le fait que la Couronne ait insisté à tort sur le recours à une démarche globale axée sur la culpabilité morale pour les al. 72(1)a) et 72(1)b) démontre qu’elle a négligé de se demander quelle incidence les antécédents d’I.M. avaient eu sur son âge développemental. La Couronne n’a pas cherché à savoir si les éléments de preuve relatifs aux antécédents d’I.M. étaient utiles pour juger de sa vulnérabilité ou de son aptitude à exercer un jugement moral. Elle ne s’est pas non plus acquittée du fardeau qui lui incombait sur ce point.

[207]                     La santé mentale d’I.M. au moment de l’infraction constitue un autre obstacle pour la thèse de la Couronne. La preuve la plus directe à cet égard provient du rapport psychiatrique médico‑légal du Dr Pearce. Le juge chargé de la détermination de la peine s’est appuyé sur le témoignage de celui‑ci pour conclure qu’en raison du [traduction] « trouble des conduites à l’adolescence » d’I.M. et de ses autres problèmes de santé mentale, le pronostic de ce dernier en matière de réadaptation à ce moment‑là était négatif (par. 59). Toutefois, le rapport du Dr Pearce donne aussi des indications sur la maturité développementale d’I.M. Le Dr Pearce a constaté qu’I.M. faisait preuve d’impulsivité et d’une régulation émotionnelle déficiente, tous deux des caractéristiques des adolescents qui n’ont pas encore développé le jugement moral d’un adulte à part entière. Il a conclu que la délinquance des pairs d’I.M., son manque de surveillance et son faible rendement scolaire rendaient compte d’une susceptibilité sociale, d’une instabilité externe et d’un développement cognitif limité (d.a., vol. I, p. 120-122).

[208]                     Dans l’ensemble, ces conclusions affaiblissent la thèse de la Couronne selon laquelle I.M. faisait preuve du raisonnement et du jugement d’un adulte au moment de l’infraction, soit environ huit ans avant l’examen du Dr Pearce. Les observations que formule la Couronne au sujet de l’évaluation du Dr Pearce ne dissipent pas le doute que soulève son rapport : devant notre Cour, la Couronne a simplement fait état de la conclusion du Dr Pearce selon laquelle il ne pouvait affirmer avec certitude que les traits de personnalité inadaptée et le trouble des conduites apparu à l’adolescence chez I.M. avaient influé sur son pronostic de réadaptation en 2019. La Couronne n’a rien dit au sujet de l’incidence des problèmes de santé mentale d’I.M. sur son aptitude à exercer un jugement moral au moment de l’infraction (m.i., par. 110).

[209]                     Il est vrai qu’un certain nombre de facteurs étaient pertinents quant à l’argument selon lequel I.M. avait l’âge développemental d’un adulte et qu’ils pouvaient étayer la thèse de la Couronne. On trouve dans le dossier des éléments de preuve sur le rôle joué par I.M. dans la planification du vol qualifié ayant mené à la mort de S.T. Comme l’a indiqué le juge chargé de la détermination de la peine, il ne s’agissait pas d’un [traduction] « incident commis sous l’impulsion du moment » (par. 31). Toutefois, le dossier indique qu’I.M. n’était pas la seule personne impliquée dans la conception du plan et que, comme l’a fait observer le juge, il était motivé par l’influence de pairs adultes en raison de son désir de prouver aux autres qu’il était prêt à commettre des actes criminels plus graves (par. 8‑9 et 30).

[210]                     Quoi que l’on puisse dire au sujet du rôle d’I.M. dans la planification du vol qualifié, il faut également noter que le meurtre lui‑même n’était pas planifié. L’aspect le plus lourd de conséquences de la conduite d’I.M. — la mort de S.T. — était en fait imprévu. Ce fait tempère la force de la preuve selon laquelle la prétendue capacité de planification d’I.M. indique qu’il avait l’âge développemental d’un adulte au moment de l’infraction. Cela ne signifie pas pour autant qu’I.M. n’avait pas conscience des conséquences de ses actes. Il a évidemment été déclaré coupable de meurtre au premier degré et son état d’esprit satisfaisait à la mens rea requise pour l’infraction reprochée. Or, la preuve établit qu’il n’avait pas la maturité ni l’aptitude à exercer un jugement moral nécessaires pour être condamné à la peine applicable aux adultes pour ce crime.

[211]                     En somme, le dossier contient des éléments de preuve qui appuient l’argument de la Couronne selon lequel la présomption de culpabilité morale moins élevée a été réfutée. Il reste cependant d’importants éléments de preuve non contredits concernant l’impulsivité d’I.M. et l’influence des pairs adultes sur son comportement : les propos d’I.M. au sujet de l’occasion qu’il avait de « faire [s]es preuves », ses vantardises auprès de G.D., sa décision de lui montrer les vêtements ensanglantés et le rapport du Dr Pearce. Ces faits donnent l’impression que les agissements d’I.M. étaient des signes de bravade juvénile, d’impulsivité et d’une propension à prendre des risques. Ils indiquent également qu’il était vulnérable à l’influence de ses pairs et aux pressions des adultes. Le doute raisonnable que soulèvent ces faits constitue un obstacle à l’argument de la Couronne portant que la présomption a été réfutée.

[212]                     À la lumière de l’ensemble de la preuve dans le cadre de la nouvelle détermination de la peine, je conclus que la Couronne ne s’est pas acquittée de son fardeau de réfuter la présomption de culpabilité morale moins élevée. Il incombait à la Couronne de démontrer, hors de tout doute raisonnable, que l’âge développemental d’I.M. était celui d’un adulte et de réfuter les éléments de preuve démontrant que l’âge développemental d’I.M. — psychologiquement, socialement et moralement — correspondait dans les faits à son âge chronologique. Il ne fait aucun doute que s’il est assujetti à la peine spécifique pour adolescents, I.M. devra répondre de ses actes délictueux, mais ce n’est pas l’examen auquel il faut procéder au titre de l’analyse prévue à l’al. 72(1)a). Comme la Couronne n’a pas réussi à réfuter la présomption selon la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, I.M. a toujours le droit d’être condamné à une peine spécifique.

(2)          Détermination de la peine d’I.M. sous le régime de la LSJPA

a)              La peine appropriée

[213]                     L’appelant demande simplement d’être condamné au temps qu’il a déjà passé en détention, ou [traduction] « temps fait », tandis que la Couronne soutient que, si le pourvoi est accueilli, l’affaire devrait être renvoyée à un tribunal pour adolescents en vue de la détermination de la peine appropriée (m.a., par. 113; m.i., par. 116). Le [traduction] « temps fait » n’est pas une peine reconnue, car un juge ne peut infliger une peine correspondant au « temps fait », en ce sens qu’elle reflète le fait que le contrevenant a déjà passé une période donnée en détention (voir Ruby, § 3.94).

[214]                     Pour déterminer la peine appropriée, je me base sur le par. 38(1) LSJPA, qui met l’accent sur les perspectives positives, la réadaptation et la réinsertion sociale, le tout en vue de favoriser la protection durable du public. La peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité d’I.M. (al. 38(2)c)), tout en étant la sanction la moins contraignante possible, qui suscite tout de même chez I.M. le sens et la conscience de ses responsabilités et le dissuade de récidiver (al. 38(2)e) et f)).

[215]                     Au vu du dossier dont je dispose, je suis d’avis de condamner I.M. à une peine de placement sous garde de six ans à compter de sa mise à exécution (le 31 juillet 2020), suivie d’une mise en liberté sous condition de quatre ans au sein de la collectivité, soit la peine spécifique maximale que permet le sous‑al. 42(2)q)(i) LSJPA. L’imposition de la peine maximale permise est justifiée par la gravité du meurtre de S.T., l’effet que le meurtre a eu sur sa famille et le rôle principal qu’I.M. a joué dans les événements ayant mené à ce meurtre, lesquels ont tous été examinés par le juge chargé de la détermination de la peine. Ce sont tous des éléments que le régime de détermination de la peine de la LSJPA oblige le juge du tribunal pour adolescents à prendre en considération. Les modalités de la mise en liberté sous condition de quatre ans au sein de la collectivité doivent être établies par le tribunal pour adolescents, conformément à l’art. 105 LSJPA.

[216]                     Le fait qu’un adolescent a été assujetti à tort à une peine applicable aux adultes ne doit pas avoir pour effet d’éluder les limites fixées par le Parlement dans la LSJPA. Il ressort du libellé clair du sous‑al. 42(2)q)(i) que la période de garde de la peine spécifique dans le cas d’un meurtre au premier degré est d’« une période maximale de six ans à compter de sa mise à exécution ». Eu égard aux circonstances de la présente affaire, la période de garde doit tenir compte de la période de près de cinq ans qu’I.M. a déjà passée sous garde dans le cadre de la peine applicable aux adultes qui lui a été infligée à tort. Par conséquent, je suis d’avis de lui accorder un crédit à raison d’un jour pour chaque jour passé sous garde dans le cadre de la peine applicable aux adultes qui lui a été infligée, entre le 31 juillet 2020 et la date du présent jugement (voir R. (J.F.), par. 34). Cela fait en sorte que la période de garde de sa peine ne dépasse pas la durée maximale de six ans prévue par la LSJPA. Le reste de la période de garde de six ans de la peine spécifique d’I.M. prendrait donc fin le 31 juillet 2026, à défaut de toute application d’un crédit présentenciel, dont je traite plus loin. Avant la date de sa mise en liberté, comme l’exige l’art. 105 LSJPA, et sous réserve d’une demande présentée par le procureur général en vertu de l’art. 104, I.M. devra comparaître sans délai devant un juge chargé de la détermination de la peine pour que celui‑ci décide s’il y a lieu d’accorder toute autre réduction de peine tenant compte de la détention présentencielle et qu’il fixe les conditions dont sera assortie la période de liberté sous condition.

b)             Crédit pour détention présentencielle

[217]                     La question se pose à ce stade de savoir comment notre Cour doit tenir compte de la période qu’I.M. a passée en détention présentencielle entre le 23 novembre 2013 et le 31 juillet 2020. L’alinéa 38(3)d) LSJPA exige que le tribunal « t[ienne] [. . .] compte [. . .] du temps passé en détention par suite de l’infraction ».

[218]                     La jurisprudence relative au par. 38(3) insiste sur l’importance du pouvoir discrétionnaire du juge d’accorder ou de refuser une réduction de peine afin de concevoir une peine spécifique appropriée qui est adaptée aux besoins de l’adolescent. Certains tribunaux ont appliqué un crédit pour détention présentencielle à raison d’un jour pour un ou selon un ratio inférieur, suivant la situation particulière de l’adolescent contrevenant et les objectifs de réadaptation de la peine (R. c. B.L.P., 2011 ABCA 384, 519 A.R. 200, par. 35). D’autres tribunaux ont refusé d’accorder une réduction de peine pour détention présentencielle (LSJPA — 1915, par. 45‑51; T. (D.D.), par. 56‑57; W. (M.), par. 78; R. c. C.H.C., 2009 ABQB 125, 465 A.R. 240, par. 91-92).

[219]                     Dans le cas qui nous occupe, abstraction faite de la simple demande d’I.M. relative à un crédit pour le temps qu’il a déjà passé en détention, ou « temps fait », les parties n’ont fait aucune observation sur la question — que ce soit au sujet des adolescents en général ou d’I.M. en particulier — et la juridiction inférieure n’a pas abordé la question. Faute d’observations à ce sujet, je n’aborderai pas cette importante question de droit.

[220]                     Le dossier indique qu’I.M. a passé une longue période en détention présentencielle. Il fait également état de multiples écarts de conduite durant cette période (motifs de détermination de la peine, par. 48 et 52) et indique qu’I.M. s’est enfui à l’étranger peu après le crime. Toutefois, notre Cour ne dispose d’aucun renseignement permettant de déterminer s’il présente toujours un risque pour lui‑même ou pour autrui. Je constate par ailleurs que, dans le cas où un adolescent a été déclaré coupable de meurtre au premier degré, l’art. 104 LSJPA permet au procureur général de demander le maintien sous garde à l’expiration de la période de garde s’il existe des motifs raisonnables de croire que l’adolescent commettra vraisemblablement une infraction causant la mort ou un dommage grave à autrui. Le renvoi de l’affaire à un tribunal pour adolescents fait en sorte que les parties pourront faire des observations sur le droit applicable et soumettre des éléments de preuve au sujet de la situation actuelle d’I.M. et du temps passé en détention, ce qui permettra au tribunal pour adolescents d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 38(3) d’une manière éclairée et individualisée. Je souligne en outre qu’un tribunal pour adolescents peut accorder un crédit non seulement pour la période de garde restante de la peine, mais aussi possiblement pour la période de surveillance de celle‑ci.

[221]                     Je tiens à faire un dernier commentaire. Il incombe aux avocats — particulièrement dans les appels de peines où, comme en l’espèce, la cour d’appel peut être appelée à procéder à nouveau à la détermination de la peine de l’adolescent — de soumettre au tribunal des observations complètes et bien étayées qui l’aideront à déterminer la peine appropriée. La détermination de la peine est un processus délicat, et les cours d’appel ne peuvent concevoir une peine proportionnée et individualisée si elles ne disposent pas des renseignements essentiels. Lorsqu’une cour d’appel est appelée à déterminer à nouveau la peine d’un contrevenant, la demande qui lui est adressée doit être accompagnée des éléments nécessaires pour appuyer un tel exercice.

[222]                     Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis de ne pas me prononcer sur l’opportunité d’accorder à I.M. des crédits pour détention présentencielle. I.M. a été déclaré coupable d’une infraction très grave et violente. Le dossier dont dispose la Cour renferme peu de renseignements sur la situation actuelle d’I.M.

IX.         Dispositif

[223]                     Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler la peine applicable aux adultes infligée par le juge chargé de la détermination de la peine et de prononcer une nouvelle peine à l’égard d’I.M. en lui infligeant une peine consistant en une mesure de placement sous garde de six ans et en quatre ans de mise en liberté sous condition en vertu du sous‑al. 42(2)q)(i) LSJPA, calculée à compter du 31 juillet 2020, date des motifs du juge chargé de la détermination de la peine. Quant à la période de garde, j’accorde à I.M. un crédit pour le temps qu’il a passé en détention entre le 31 juillet 2020 et la date du présent arrêt selon un ratio d’un jour pour chaque jour passé sous garde. Je renvoie immédiatement l’affaire au tribunal pour adolescents afin qu’il détermine tout crédit pour détention présentencielle conformément au par. 38(3) LSJPA, et qu’il fixe les modalités de la mise en liberté sous condition d’I.M., conformément à l’art. 105 LSJPA, à la date applicable[2].

[224]                     Compte tenu de la directive du Parlement selon laquelle les personnes chargées de l’application de la LSJPA doivent intervenir avec diligence et célérité (sous‑al. 3(1)b)(v)), le renvoi au tribunal pour adolescents concernant le crédit de détention présentencielle et les évaluations pertinentes sous le régime de la partie 5 de la LSJPA doit être mis au rôle du tribunal pour adolescents en priorité. La nécessité accrue de traiter rapidement les affaires mettant en cause des adolescents est non seulement codifiée dans la LSJPA, mais elle est aussi fermement ancrée dans la jurisprudence et les principes de longue date de la justice pour les adolescents (voir, p. ex., R. c. K.J.M., 2019 CSC 55, [2019] 4 R.C.S. 39, par. 4).

                   Version française des motifs rendus par

                   Les juges Côté et Rowe —

TABLE DES MATIÈRES

Paragraphe

I.     Aperçu

[225]

II.   Analyse

[233]

A.    Réfuter la présomption requiert que la Couronne satisfasse à une norme juridique

[233]

(1)    Une norme juridique, non un examen factuel

[233]

(2)    L’historique de la loi

[247]

(3)    Contexte statutaire

[264]

(4)    Texte

[271]

B.     Principes devant guider l’analyse fondée sur l’al. 72(1)a)

[276]

(1)    La présomption de culpabilité morale moins élevée sert de principe prépondérant dans l’analyse

[278]

(2)    Points d’accord avec les juges majoritaires

[281]

C.     Facteurs pertinents pour la réfutation de la présomption de culpabilité morale moins élevée

[284]

(1)    Situation du contrevenant

[287]

(2)    Circonstances et complexité de l’infraction

[292]

(3)    Comportement postérieur à l’infraction

[295]

D.    Application à I.M.

[299]

a)      Volet un : Réfuter la présomption

[299]

(i)       Situation du contrevenant

[300]

(ii)      Circonstances et complexité de l’infraction

[304]

(iii)     Comportement postérieur à l’infraction

[306]

(iv)     Analyse

[308]

b)      Volet deux : Analyser l’obligation de répondre de ses actes

[314]

III. Conclusion

[320]

I.               Aperçu

[225]                     Une fois l’accusé trouvé coupable, une déclaration de culpabilité est inscrite. Vient ensuite l’imposition d’une peine juste. Il s’agit de deux décisions distinctes. En matière de justice pénale pour adolescents, il y a parfois une troisième étape intermédiaire : la Couronne peut présenter une demande afin que le jeune contrevenant soit assujetti à une peine applicable aux adultes, ce qui requiert que le tribunal pour adolescents décide quel régime législatif — celui du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 (« C. cr. »), ou celui de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1 (« LSJPA ») — devrait être appliqué pour fixer une peine juste.

[226]                     Le Parlement a établi une norme de conviction au par. 72(1) de la LSJPA afin d’aider les tribunaux pour adolescents à décider quel régime législatif devrait s’appliquer pour la détermination d’une peine juste :

                    72 (1) Le tribunal pour adolescents ordonne l’assujettissement à la peine applicable aux adultes s’il est convaincu que :

                        a) la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficie l’adolescent est réfutée;

                        b) une peine spécifique conforme aux principes et objectif énoncés au sous‑alinéa 3(1)b)(ii) et à l’article 38 ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux.

[227]                     L’interprétation qu’il convient de donner au mot « convaincu » qui figure au par. 72(1) de la LSJPA est au cœur du présent pourvoi.

[228]                     Les juges majoritaires concluent que le mot « convaincu » engendre une enquête factuelle — savoir si l’âge développemental du jeune contrevenant diffère de son âge chronologique — devant être tranchée selon la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable. Cette conclusion diffère de celle de plusieurs décisions de juridictions d’appel au Canada ayant successivement interprété le par. 72(1) depuis les modifications apportées à la LSJPA en 2012 comme imposant une norme de conviction, laquelle suscite une question d’appréciation que les tribunaux doivent examiner en soupesant l’ensemble de la preuve (R. c. T.( D.D.), 2010 ABCA 365, 36 Alta L.R. (5th) 153, par. 6‑7; R. c. Okemow, 2017 MBCA 59, 353 C.C.C. (3d) 141, par. 61; R. c. McClements, 2017 MBCA 104, par. 39; R. c. Chol, 2018 BCCA 179, par. 12). Une seule décision d’une juridiction d’appel a, très récemment, interprété la disposition comme exigeant une preuve hors de tout doute raisonnable (R. c. B.J.M., 2024 SKCA 79, 441 C.C.C. (3d) 316, par. 63‑70 et 117).

[229]                     Nous rejetons cette exception jurisprudentielle ainsi que son adoption par les juges majoritaires. Selon nous, le mot « convaincu » impose une norme de conviction qui requiert que le juge du tribunal pour adolescents chargé de la détermination de la peine soit convaincu que la Couronne a démontré que le jeune contrevenant a affiché un degré [traduction] « de maturité, de discernement moral et de capacité à exercer un jugement indépendant propre à un adulte » (R. c. W. (M.), 2017 ONCA 22, 134 O.R. (3d) 1, par. 97‑98). C’est une question d’appréciation que le juge du tribunal pour adolescents chargé de la détermination de la peine doit examiner au regard de l’ensemble de la preuve.

[230]                     Les juges majoritaires confondent l’application d’une norme juridique et le fait de tirer un constat factuel. Ils tentent de contourner cette distinction en cherchant implicitement à transformer la norme juridique que le Parlement a établie en une conclusion factuelle, sous prétexte que la norme consiste en fait à prouver un facteur aggravant.

[231]                     Le Parlement ainsi que notre Cour ont clairement reconnu que les jeunes bénéficient d’une présomption de culpabilité morale moins élevée (R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3). Cela n’est pas remis en cause en l’espèce. De même, les deux institutions ont reconnu que cette présomption peut être réfutée (par. 93 et 105). Pour ce faire, le tribunal doit être convaincu par la Couronne que le jeune contrevenant possède la maturité, le discernement moral et la capacité à exercer un jugement indépendant propre à un adulte. Il ne s’agit pas d’un examen requérant une preuve hors de tout doute raisonnable, comme nous le démontrerons en nous reportant à l’historique, au texte et au contexte statutaire, ainsi qu’aux considérations pratiques qui entrent en jeu.

[232]                     Ayant conclu que la présomption de culpabilité morale moins élevée doit être réfutée suivant une norme de conviction, nous arrivons à un résultat différent. Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.

II.            Analyse

A.           Réfuter la présomption requiert que la Couronne satisfasse à une norme juridique

(1)          Une norme juridique, non un examen factuel

[233]                     La présomption de culpabilité morale moins élevée ne constitue pas un fait à prouver; il s’agit d’une norme juridique. Pour réfuter cette présomption, la Couronne doit convaincre le tribunal que le jeune contrevenant possède le degré « de maturité, de discernement moral et de capacité à exercer un jugement indépendant propre à un adulte » (W. (M.), par. 97‑98). Cela n’engendre pas un examen factuel comme le concluent les juges majoritaires, car, à notre avis, décider si la présomption de culpabilité morale moins élevée a été réfutée constitue une question d’appréciation que le juge du tribunal pour adolescents chargé de la détermination de la peine doit examiner au regard de l’ensemble de la preuve. La conclusion que le tribunal doit tirer en définitive quant à la question de savoir s’il est convaincu que la présomption a été réfutée ne constitue pas un « fait ». Il s’agit plutôt d’une norme de persuasion, et elle est dépourvue des caractéristiques requises pour être évaluée selon la prépondérance des probabilités. Comme il est expliqué dans le texte suivant :

                    [traduction] Le poursuivant n’a [. . .] pas besoin de prouver ces éléments selon la norme criminelle de la preuve hors de tout doute raisonnable ni même selon la norme civile de la prépondérance des probabilités. Le test ne se prête pas à ces fardeaux de preuve traditionnels. [Nous soulignons; note en bas de page omise.]

                    (E. Winocur, D. Robitaille et M. Borooah, Sentencing : Principles and Practice (2e éd. 2024), p. 446)

[234]                     La présente affaire n’est pas la première où notre Cour se prononce sur la façon dont une norme de conviction ne concorde pas exactement avec une échelle des probabilités. Dans R. c. M. (S.H.), [1989] 2 R.C.S. 446, la juge McLachlin (plus tard juge en chef) a examiné la nature du fardeau qui incombait à la partie sollicitant un transfert vers un tribunal pour adultes en vertu des dispositions qui étaient en vigueur avant 1995 sous le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980‑81‑82‑83, c. 110. Elle a établi une distinction entre le fardeau de « convaincre » et celui du droit criminel qui consiste à faire la preuve hors de tout doute raisonnable, s’exprimant ainsi au nom des juges majoritaires :

                    Le Parlement a énoncé en détail les facteurs à soupeser et il a expressément prévu que si, après avoir examiné ces facteurs, le tribunal était convaincu qu’il était dans l’intérêt de la société et conforme aux besoins de l’adolescent d’ordonner le renvoi, l’ordonnance devrait être rendue . . .

                        Je ne crois pas non plus qu’il soit utile de définir la question selon la norme de preuve applicable, la norme civile ou criminelle. On a habituellement recours à ces notions, lorsqu’il s’agit de déterminer si un événement a eu lieu. Il est logique de dire que la négligence a été établie « selon la prépondérance des probabilités » ou de dire que la perpétration d’un crime a été prouvée « hors de tout doute raisonnable ». Mais il est moins utile de se demander si un adolescent devrait subir son procès devant la juridiction normalement compétente selon « la prépondérance des probabilités ». Il ne s’agit pas de décider du caractère probable ou improbable de quelque chose lorsque l’on soupèse les facteurs et considérations énoncés aux par. 16(1) et (2) de la Loi sur les jeunes contrevenants. La question est plutôt de savoir si on est convaincu, après avoir soupesé tous les facteurs pertinents, que l’affaire devrait être renvoyée devant la juridiction normalement compétente. [Nous soulignons; p. 463‑464.]

[235]                     L’affirmation de la juge McLachlin selon laquelle une question de conviction est une question qui nécessite de soupeser tous les facteurs pertinents demeure d’actualité, en particulier dans la présente affaire. Il en est ainsi puisque le juge d’un tribunal pour adolescents chargé de la détermination de la peine, saisi d’une demande visant à ce qu’une peine applicable aux adultes soit infligée à un jeune contrevenant, doit en fait se demander si ce dernier — compte tenu des circonstances dans lesquelles il a commis l’infraction, de ses antécédents et de la nature de sa conduite après l’infraction — affiche un degré suffisant « de maturité, de discernement moral et de capacité à exercer un jugement indépendant propre à un adulte » (W. (M.), par. 97‑98). Cette question — celle de savoir, essentiellement, si le jeune contrevenant devrait se voir attribuer la culpabilité morale d’un adulte — ne peut être tranchée comme s’il s’agissait d’une question factuelle consistant à savoir si une chose s’est produite ou non. De par sa nature même, il s’agit d’une question d’évaluation.

[236]                     Dans l’arrêt A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), 2009 CSC 30, [2009] 2 R.C.S. 181, notre Cour a tenu compte du « développement de [l]a maturité » des enfants et des adolescents dans le contexte de l’autorisation judiciaire des traitements médicaux pour mineurs, ayant été appelée à interpréter une disposition législative qui permettait à un tribunal d’ordonner des traitements médicaux pour un mineur âgé de plus de 16 ans seulement s’il était « convainc[u] » que l’enfant ne pouvait comprendre les renseignements qui lui permettraient d’accorder ou de refuser son consentement à un examen médical ou à un traitement médical, ou qu’il était incapable d’évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles qu’entraînerait son consentement ou son refus de consentement (par. 9 et 23). S’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour, la juge Abella a écrit que le développement des enfants et des adolescents constituait une question « fondamentalement imprécise », qui complique l’appréciation de la maturité et requiert de se fonder sur « une pléiade de questions d’une extrême complexité » (par. 1 et 4) :

                        Je reconnais que, la question du développement des enfants et des adolescents étant fondamentalement imprécise, la maturité est forcément un critère imprécis. Les tribunaux ne disposent pas d’une baguette divinatoire pour découvrir la maturité de l’enfant; celle‐ci dépend de l’appréciation, par le tribunal, de l’adolescent, de sa situation et de sa capacité d’exercer un jugement indépendant, ainsi que de la nature et des conséquences de la décision en cause. [Nous soulignons; par. 4.]

[237]                     Bien que les questions à trancher dans A.C. aient été différentes, l’appréciation de la maturité y était similaire à celle qu’il faut effectuer en l’espèce. Il s’agit d’une question à laquelle le juge chargé de la détermination de la peine doit répondre en soupesant la preuve.

[238]                     En revanche, les juges majoritaires rejettent l’interprétation selon laquelle l’al. 72(1)a) pose une question d’évaluation qui relève du juge chargé de la détermination de la peine d’un jeune contrevenant. Ils sont plutôt d’avis que la règle prévue par la loi repose sur un fait — l’âge chronologique du jeune contrevenant — pouvant uniquement être réfuté lorsque la Couronne prouve que le jeune contrevenant a la maturité d’un adulte du fait de son « âge développemental ». Prouver que le jeune contrevenant a l’âge développemental d’un adulte constitue, selon eux, un examen factuel (par. 6). Ce faisant, les juges majoritaires décrivent erronément un processus d’évaluation qui mène à l’application d’une norme juridique et qualifient celui‑ci à tort d’exercice de recherche de faits.

[239]                     D’une part, les juges majoritaires déclarent que déterminer l’« âge développemental » équivaut à procéder à un examen factuel, par opposition à une décision évaluative ou normative comportant une mise en balance (par. 122). D’autre part, ils reconnaissent que l’« âge développemental » est un « concept » qui « facilite l’examen factuel visant à évaluer la vulnérabilité, la maturité et l’aptitude à exercer un jugement moral du contrevenant en cause » (par. 112). Les juges majoritaires poursuivent en affirmant, au par. 126, que chacun des « faits contestés à l’appui de cette décision doit également être établi hors de tout doute raisonnable [. . .]. Cette mesure assure une protection contre l’utilisation de faits non établis pour faire passer la peine spécifique pour adolescents à la peine applicable aux adultes. »

[240]                      À l’origine de l’approche erronée adoptée par les juges majoritaires se trouve l’omission de distinguer le fardeau qui consiste à prouver des faits contestés à titre de facteurs aggravants à l’étape de la détermination de la peine et le fardeau de conviction prescrit par le par. 72(1) de la LSJPA pour décider en vertu de quel régime infliger une peine au jeune contrevenant.

[241]                     Nul ne conteste que lorsque la Couronne tente d’invoquer un facteur aggravant contesté à l’étape de la détermination de la peine, celui‑ci doit être prouvé hors de tout doute raisonnable (R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368, p. 414‑415; R. c. Pearson, [1992] 3 R.C.S. 665, p. 686; al. 724(3)e) C. cr.). Nous ne cherchons pas à modifier ce principe bien établi. Cependant, les juges majoritaires établissent une fausse équivalence entre la présomption de culpabilité morale moins élevée, qui constitue un principe de justice fondamentale, et ce qu’ils qualifient comme le « fait » de « l’âge développemental ». Avec égards, les motifs des juges majoritaires présentent deux lacunes fondamentales : premièrement, ils qualifient à tort de fait la présomption de culpabilité morale moins élevée décrite par la juge Abella dans D.B., qui est un principe juridique. Deuxièmement, en s’appuyant sur cette qualification erronée, ils étendent le principe exposé dans les arrêts Gardiner et Pearson au‑delà de son objectif légitime.

[242]                     Rappelons que dans l’arrêt Gardiner, l’accusé avait enregistré un plaidoyer de culpabilité. Rédigeant les motifs des juges majoritaires, le juge Dickson (plus tard juge en chef) était préoccupé par les cas où un plaidoyer de culpabilité est enregistré sans qu’il y ait eu de procès. Dans de tels cas, le juge chargé de la détermination de la peine doit tirer des conclusions de fait qui, autrement, seraient tirées lors du procès. Le juge Dickson se souciait du droit à la liberté des contrevenants dans ces cas‑là. Son souci était de faire en sorte que les « renseignements fournis » à l’étape de la détermination de la peine soient « exacts et sûrs » (p. 414). Voici ce qu’il a déclaré :

                        Pour moi, les faits qui justifient la peine ne sont pas moins importants que ceux qui justifient la déclaration de culpabilité; les deux devraient être soumis à la même norme de preuve . . .

                    . . .

                        À mon sens, aussi bien le caractère non formaliste du processus de sentence quant à la recevabilité de la preuve que le large pouvoir discrétionnaire dont dispose le juge du procès quant à l’imposition de la sentence sont des facteurs qui militent en faveur du maintien de la norme de preuve en matière criminelle, c.‑à‑d. la preuve hors de tout doute raisonnable, lors du processus de sentence.

                        [traduction] Parce que le processus de sentence constitue le danger ultime pour une personne aux prises avec la justice, il est juste et raisonnable qu’on lui accorde la protection de la règle du doute raisonnable à ce stade critique de la procédure [J.A. Olah, « Sentencing : The Last Frontier of the Criminal Law » (1980), 16 C.R. (3d) 97, p. 121].

                   [Soulignement dans l’original; caractères gras ajoutés; p. 415.]

[243]                     De manière analogue, dans l’arrêt Pearson, le juge en chef Lamer était préoccupé par l’incidence que pouvaient avoir les faits aggravants contestés sur la détermination de la peine :

     L’interaction de l’art. 7 et de l’al. 11d) est également bien illustrée à l’étape de la détermination de la peine dans le processus pénal. On peut soutenir que la présomption d’innocence énoncée à l’al. 11d) ne s’applique pas au moment de la détermination de la peine à l’issue du procès. Toutefois, il est clairement établi en droit que, si le ministère public fait valoir, quant à la peine, des circonstances aggravantes qui sont contestées, il doit en faire la preuve hors de tout doute raisonnable : R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368. Dans cet arrêt, la Cour a cité et approuvé, à la p. 415, le passage qui suit, tiré de J. A. Olah, « Sentencing : The Last Frontier of the Criminal Law » (1980), 16 C.R. (3d) 97, à la p. 121 :

                        [traduction] . . . parce que le processus de sentence constitue le danger ultime pour une personne aux prises avec la justice, il est juste et raisonnable qu’on lui accorde la protection de la règle du doute raisonnable à ce stade critique de la procédure.

                        Bien que la Charte n’ait évidemment pas été invoquée dans l’affaire Gardiner, le problème qui devait y être résolu peut facilement être reposé dans l’optique de l’art. 7 et de l’al. 11d) de la Charte. Alors que la présomption d’innocence telle qu’énoncée spécifiquement à l’al. 11d) ne vise peut‑être pas la question de la norme de preuve applicable aux circonstances aggravantes contestées au moment de la détermination de la peine, le principe de fond plus général qui sous‑tend l’art. 7 vise presque certainement cette question. Dans l’application particulière du droit, on tiendrait compte des conséquences graves auxquelles il est fait allusion dans l’extrait d’Olah cité par notre Cour dans l’arrêt Gardiner. [Soulignement et caractères gras ajoutés; p. 686.]

[244]                     L’arrêt Gardiner est antérieur à la Charte canadienne des droits et libertés. L’arrêt Pearson a quant à lui été rendu relativement peu de temps après l’adoption de la Charte. À cette époque, le droit relatif aux protections offertes aux personnes accusées durant un procès criminel par opposition à une audience sur la détermination de la peine n’était pas clair. Dans les deux affaires, notre Cour a cherché à étendre les protections procédurales accordées à une personne accusée dans un procès criminel au processus de détermination de la peine. Cela a été particulièrement le cas dans l’arrêt Gardiner, où la Cour a examiné la norme applicable aux conclusions de fait tirées lors de la détermination de la peine, en l’absence de telles conclusions tirées au cours d’un procès.

[245]                     En l’espèce, se fonder sur la règle établie dans les arrêts Gardiner et Pearson — selon laquelle les facteurs aggravants contestés à l’étape de détermination de la peine doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable — n’est pas indiqué. L’affaire ne concerne pas la norme à respecter pour tirer des conclusions de fait durant un procès ou pour fixer une peine juste une fois que le régime de détermination de la peine applicable, celui pour adolescents ou celui pour adultes, a été décidé. En effet, dans la présente affaire, c’est d’une étape intermédiaire dont il est question : celle de la demande de la Couronne d’assujettir un jeune contrevenant au régime de détermination de la peine applicable aux adultes plutôt qu’au régime instauré par la LSJPA. Cette étape a lieu entre l’enregistrement de la déclaration de culpabilité et la détermination d’une peine juste. Par conséquent, l’examen que commande le par. 72(1) exige que le juge d’un tribunal pour adolescents tienne compte de tous les éléments de preuve — y compris ceux prouvés hors de tout doute raisonnable suivant les règles de preuve habituelles — pour décider si la présomption a été réfutée.

[246]                     L’« exercice d’évaluation » requiert nécessairement que le juge du tribunal pour adolescents soupèse l’ensemble de la preuve et en tienne compte. Toutefois, la présomption de culpabilité morale moins élevée constitue une norme juridique, non un fait. Donc, décider si la présomption a été réfutée est un exercice d’évaluation, non une conclusion de fait. L’historique de la loi, le contexte et le texte de la loi appuient ce point de vue.

(2)          L’historique de la loi

[247]                     Le paragraphe 72(1) de la LSJPA a été édicté en 2012, après avoir fait l’objet de deux libellés et de débats législatifs dans la foulée de la décision de notre Cour dans l’arrêt D.B.

[248]                     La version antérieure de cette disposition de la loi comportait un régime d’infractions désignées établissant explicitement que les adolescents de 16 ou 17 ans inculpés de meurtre, de tentative de meurtre, d’homicide involontaire coupable ou d’agression sexuelle grave devaient présomptivement être jugés par un tribunal pour adultes normalement compétent, à moins que le jeune contrevenant ou la Couronne demande que la cause soit instruite par un tribunal pour adolescents (D.B., par. 56). Cela créait dans les faits un renversement du fardeau de la preuve en obligeant les jeunes contrevenants à démontrer au tribunal que la peine à leur être imposée devait en être une applicable aux adolescents devait leur être consentie dans l’éventualité où ils étaient déclarés coupables d’une des infractions désignées. Manifestement, cette obligation ignorait et contredisait le principe bien établi selon lequel les adolescents avaient une culpabilité morale moins élevée.

[249]                     Ce régime d’infractions désignées par défaut a fait l’objet de contestations constitutionnelles dans trois provinces — le Québec, l’Ontario et l’Alberta — au motif que le renversement du fardeau de la preuve portait atteinte à l’art. 7 de la Charte. Les cours d’appel dans ces trois provinces ont déclaré que ce renversement du fardeau de la preuve était inconstitutionnel (Québec (Ministre de la Justice) c. Canada (Ministre de la Justice), [2003] R.J.Q. 1118 (C.A.); R. c. B.(D.) (2004), 72 O.R. (3d) 605 (C.S.J.), conf. par (2006), 79 O.R. (3d) 698 (C.A.); R. c. M.B.W., 2007 ABPC 214, 424 A.R. 18, conf. par 2008 ABCA 317, 437 A.R. 325). En fin de compte, la conclusion tirée par la Cour d’appel de l’Ontario dans B.(D.) a été adoptée lorsque la juge Abella, au nom des juges majoritaires de notre Cour, a conclu que le régime d’infractions désignées empêchait les adolescents de bénéficier de la présomption de culpabilité morale moins élevée, qui revêtait elle‑même un statut constitutionnel à titre de principe de justice fondamentale (D.B., par. 41 et 76). La juge Abella a aussi conclu que le régime d’infractions désignées portait atteinte à un autre principe de justice fondamentale, soit celui selon lequel la Couronne doit faire la preuve, hors de tout doute raisonnable, de tout facteur aggravant sur lequel elle s’appuie aux fins de la détermination de la peine (par. 78). Selon la juge Abella, de telles atteintes à l’art. 7 ne pouvaient être justifiées au regard de l’article premier de la Charte (par. 95).

[250]                     L’arrêt D.B. a été rendu en 2008. Le gouvernement fédéral a d’abord tenté de donner suite à la décision dans D.B. au moyen du projet de loi C‑4 en 2010 : Loi de Sébastien (protection du public contre les jeunes contrevenants violents), 3e sess., 40e lég., 2010, art. 18 (titre abrégé de la Loi modifiant la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois). Le projet de loi a été déposé à la Chambre des communes par le ministre de la Justice et Procureur général du Canada, l’hon. Rob Nicholson, et adopté en première lecture le 16 mars 2010. L’étape de deuxième lecture s’est conclue le 3 mai 2010. Le projet de loi C‑4 proposait d’apporter la modification suivante à la LSJPA :

                        18. (1) Les paragraphes 72(1) à (3) de la même loi sont remplacés par ce qui suit :

                        72. (1) Le tribunal pour adolescents ordonne l’assujettissement à la peine applicable aux adultes s’il est convaincu hors de tout doute raisonnable que :

                        a)    la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficie l’adolescent est réfutée;

                        b)    une peine spécifique conforme aux principes et objectif énoncés au sous‑alinéa 3(1)b)(ii) et à l’article 38 ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux.

[251]                     La norme de conviction hors de tout doute raisonnable s’est heurtée à une opposition de la part de témoins lors de l’étude du projet de loi C‑4 en comité. Monsieur Joshua Hawkes, du ministère de la Justice et Procureur général de l’Alberta, a affirmé ce qui suit :

                    Subséquemment, la Cour d’appel de l’Alberta, la Cour d’appel de l’Ontario et la Cour d’appel [du Québec] ont toutes trois conclu que la décision rendue par la Cour suprême du Canada ne signifiait pas que la norme de preuve applicable était la preuve hors de tout doute raisonnable. Ainsi, en consacrant cette exigence, cet article du projet de loi va beaucoup plus loin que ce qu’exigeait la Cour suprême du Canada, et, en fait, pose à la Couronne un problème presque insoluble en matière de preuve, car il ne s’agit pas de présenter une preuve relative à des facteurs particuliers concernant une infraction présentant des caractéristiques particulières. S’agissait‑il d’une infraction préméditée? A‑t‑elle été commise à l’aide d’une arme? Le Code criminel et la Charte reconnaissent déjà qu’un procureur qui entend s’appuyer sur des circonstances aggravantes ou sur des faits touchant l’infraction ou son auteur doit établir une preuve hors de tout doute raisonnable. Cela est bien établi et bien compris. La différence, c’est que, à présent, il s’agira d’établir non pas des faits, mais des principes hors de tout doute raisonnable, et cela occasionnera de très grandes difficultés. [Nous soulignons.]

                    (Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages, no 25, 3e sess., 40e lég., 17 juin 2010, p. 6)

[252]                     David Greening, témoignant au nom du ministère de la Justice du Manitoba, a fait part de préoccupations similaires :

                        En ce qui a trait aux dispositions relatives à l’imposition de peines pour adultes, le Manitoba partage le point de vue exposé aujourd’hui selon lequel le projet de loi C‑4 va au‑delà de ce qui est nécessaire pour donner suite aux préoccupations formulées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. D.B., et que l’application d’une nouvelle norme de preuve — hors de tout doute raisonnable —, au moment de déterminer si une peine pour adultes devrait être imposée aura pour effet de rendre pratiquement impossible, sauf dans de rares cas, l’imposition d’une peine pour adultes. Les dispositions du projet de loi C‑4 touchant l’imposition de peine pour adultes devraient être modifiées de manière à ce que l’exigence relative à la norme de preuve hors de tout doute raisonnable soit supprimée . . . [Nous soulignons.]

                    (Comité permanent de la justice et des droits de la personne, no 25, p. 7)

[253]                     Le projet de loi C‑4 est mort au Feuilleton lorsque le Parlement a été dissous le 26 mars 2011.

[254]                     En 2012, le gouvernement fédéral a présenté une nouvelle mouture du projet de loi afin de répondre à l’évolution jurisprudentielle résultant de l’arrêt D.B., dans la Loi sur la sécurité des rues et des communautés, L.C. 2012, c. 1. Fait à noter, les modifications qu’on proposait d’apporter à la loi retiraient la mention de la norme de conviction hors de tout doute raisonnable :

                        183. (1) Les paragraphes 72(1) à (3) de la même loi sont remplacés par ce qui suit :

                        72. (1) Le tribunal pour adolescents ordonne l’assujettissement à la peine applicable aux adultes s’il est convaincu que :

                        a) la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficie l’adolescent est réfutée;

                        b) une peine spécifique conforme aux principes et objectif énoncés au sous‑alinéa 3(1)b)(ii) et à l’article 38 ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux.

[255]                     Les modifications ont depuis été décrites comme étant le reflet d’un [traduction] « changement de philosophie dans la LSJPA, mais [. . .] pas d’un séisme en ce qui concerne le processus de détermination de la peine pour les primocontrevenants et les contrevenants non violents » (Okemow, par. 47). En fait, lors des débats parlementaires relatifs aux changements proposés à la LSJPA, le ministre Nicholson a dit à la Chambre des communes que les modifications visaient à « durcir le traitement réservé aux jeunes contrevenants violents et récidivistes » (Débats de la Chambre des communes, vol. 146, no 17, 1re sess., 41e lég., 21 septembre 2011, p. 1299).

[256]                     L’intimé fait valoir que le retrait de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable qui figurait dans la version de 2010, et non dans celle de 2012, indique l’intention du Parlement de se conformer à l’arrêt D.B. et qu’il rejetait la norme de la « preuve hors de tout doute raisonnable » (m.i., par. 66). Nous sommes du même avis.

[257]                     Cette conclusion est appuyée par le fait qu’un amendement proposé en comité par un membre de l’opposition en vue de réintroduire la norme de la conviction hors de tout doute raisonnable a été rejeté (Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages, no 14, 1re sess., 41e lég., 22 novembre 2011, p. 19‑20). Cela était un choix législatif et de politique générale délibéré. Le retrait s’est fait dans la foulée de trois décisions de juridictions d’appel ayant rejeté la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable (R. c. Estacio, 2010 ABCA 69, 252 C.C.C. (3d) 469; R. c. O. (A.), 2007 ONCA 144, 218 C.C.C. (3d) 409; LSJPA — 088, 2008 QCCA 401, [2008] R.J.Q. 670) et dans un contexte d’objections de la part des provinces.

[258]                     Les juges majoritaires affirment que « le dossier parlementaire est ambigu et ne peut pas contribuer de manière fiable à la détermination de la norme applicable » (par. 128). Ils font en outre vaguement référence à cet historique législatif, affirmant qu’il « est vrai qu’une version précédente du [projet de loi] contenait une référence à cette norme qui n’a par la suite pas été reprise dans la loi [. . .] Le ministre responsable a toutefois dit que la question devait être laissée aux tribunaux » (par. 127‑128). À notre avis, les propos des juges majoritaires à cet égard sont incomplets et n’accordent pas suffisamment de déférence envers ce qui constitue une intention législative claire. Le Parlement a réfléchi à la possibilité d’établir la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, mais il a ultimement refusé de le faire. Ce choix du législateur ne devrait pas être écarté à la légère.

[259]                     Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes s’est réuni à 16 reprises entre le 11 mai 2010 et le 23 mars 2011 pour étudier le projet de loi C‑4 dans sa version de 2010. Cela indique une considération attentive, et d’aucuns diraient même méticuleuse, des dispositions de la loi en cause. Les décisions des juridictions d’appel ainsi que la position des procureurs généraux provinciaux ont été soigneusement prises en compte. Le comité examinait activement le projet de loi lorsque le Parlement a été dissous. Au cours de la législature suivante, lorsque des amendements semblables ont été proposés, la norme explicite de la preuve hors de tout doute raisonnable a été omise. Ce contexte législatif est à la fois pertinent et important pour examiner l’intention véritable du Parlement, de manière à ne pas minimiser ou écarter l’importance du choix délibéré qu’il a exercé.

[260]                     Les juges majoritaires, comme nous l’avons mentionné, rappellent que, selon le ministre Nicholson, « la question devait être laissée aux tribunaux ». Bien que cela soit vrai, il s’agit d’une citation isolée qui, avec égards, ne capte pas entièrement l’esprit et le contexte des propos du ministre :

                        Enfin, la partie IV du projet de loi propose des modifications à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents afin de durcir le traitement réservé aux jeunes contrevenants violents et récidivistes.

                        Ces modifications incluent : souligner la protection du public en tant que principe, ce qui facilitera la détention des adolescents accusés d’infractions graves dans l’attente d’un procès; s’assurer que les procureurs envisagent la possibilité de demander une peine applicable aux adultes pour les crimes les plus graves; obliger les services de police à conserver des registres des mesures extrajudiciaires; et exiger que les tribunaux lèvent l’interdiction de publication des noms des jeunes contrevenants reconnus coupables d’infractions avec violence lorsque des peines pour les jeunes leur sont imposées. Ces modifications avaient été proposées auparavant dans le projet de loi C‑4, soit la Loi de Sébastien.

                        L’ancien projet de loi C‑4 avait été longuement étudié par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, précisément pendant 16 séances, quand il est mort au Feuilleton lors de la dernière législature. Le projet de loi comprend des modifications visant à répondre aux préoccupations soulevées par les provinces au sujet des dispositions de l’ancien projet de loi sur l’assujettissement à la peine applicable aux adultes avant la tenue du procès et les ordonnances différées de placement sous garde. Plusieurs provinces ont demandé à ce que les dispositions de détention avant le procès soient moins restrictives. Les modifications présentées dans ce projet de loi donnent donc plus de latitude pour détenir les jeunes impossibles à contrôler et posant un risque pour le public — s’ils sont libérés après avoir commis une infraction grave — même s’ils n’ont jamais été condamnés auparavant pour une telle infraction. Le critère applicable à la détention avant le procès prévu par la loi sera autonome et ne renverra à aucun article du Code criminel, comme c’est actuellement le cas.

                        Parmi les modifications d’ordre technique, mentionnons la suppression du critère proposé pour l’assujettissement à la peine applicable aux adultes et la portée plus étendue des ordonnances différées de placement sous garde et de surveillance. Par exemple, l’ancien projet de loi prévoyait un renvoi à la norme « hors de tout doute raisonnable » que certaines provinces trouvaient trop stricte. On a éliminé ce renvoi. Autrement dit, il incombera aux tribunaux de déterminer la norme de preuve appropriée, comme le stipule la loi en vigueur.

                    . . .

                        Nous prenons ici des mesures visant à protéger les familles, à défendre les victimes et à tenir les individus responsables de leurs actes. Les Canadiens peuvent être assurés que le gouvernement respectera son engagement d’adopter ce projet de loi exhaustif au cours des 100 premiers jours de séance de l’actuelle législature. [Nous soulignons.]

                    (Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages, no 4, 1re sess., 41e lég., 6 octobre 2011, p. 2)

[261]                     Il est inapproprié d’inférer des propos du ministre que le Parlement a simplement choisi de laisser la question à l’appréciation des tribunaux, comme si le Parlement ne l’avait pas examinée. S’appuyer sur les propos du ministre en les isolant de l’historique de la loi entourant cette question laisse la fausse impression que le Parlement n’a pas du tout soupesé la question.

[262]                     Les juges majoritaires citent également les propos d’un député du gouvernement, M. Brent Rathgeber, consignés dans le Hansard, afin d’appuyer la proposition selon laquelle les modifications apportées à la loi constituaient en partie une réponse à l’arrêt D.B. (par. 86). Monsieur Rathgeber a bien tenu ces propos, mais, là encore, porter un regard plus global sur l’ensemble de ceux‑ci donne une image plus complète et claire de la nature délibérée du choix qu’a fait le Parlement d’écarter la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable :

                        Dans le projet de loi C‑4 présenté lors de la dernière session, le critère proposé pour l’assujettissement à la peine applicable aux adultes aurait exigé qu’un juge soit convaincu hors de tout doute raisonnable qu’une telle peine s’avère nécessaire. Lors de nos consultations, un certain nombre de provinces ont affirmé que l’expression « hors de tout doute raisonnable » était une norme trop stricte, qu’elle n’était pas requise par la jurisprudence actuelle et qu’elle rendrait beaucoup plus difficile l’assujettissement à la peine applicable aux adultes dans les circonstances appropriées.

     Les propositions actuelles éliminent tout renvoi à la norme « hors de tout doute raisonnable » prévue dans l’ancien projet de loi C‑4. Autrement dit, il incombera aux tribunaux de déterminer la norme de preuve appropriée, comme le stipule la loi en vigueur. [Nous soulignons.]

                    (Débats de la Chambre des communes, vol. 146, no 21, 1re sess., 41e lég., 27 septembre 2011, p. 1524)

[263]                     En somme, les juges majoritaires n’ont pas tort de souligner que le Parlement a laissé aux tribunaux le soin d’établir la norme applicable pour réfuter la présomption. Mais, avec égards, nous estimons que l’analyse demeure incomplète si elle s’arrête là. L’historique de la loi n’est pas « ambigu ». Le compte rendu des débats indique plutôt de façon évidente que le Parlement a expressément envisagé — et même étudié — la possibilité d’imposer la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, mais qu’il a ultimement choisi de ne pas le faire. Ce n’était pas une simple omission. Il s’agissait d’un choix législatif qui doit être pris en compte et respecté, non rejeté et négligé.

(3)          Contexte statutaire

[264]                      Comme nous l’avons expliqué, l’historique de la loi ne permet pas de conclure d’emblée que la norme de conviction prescrite par le Parlement exige une preuve hors de tout doute raisonnable. Nous estimons que le contexte statutaire appuie lui aussi cette conclusion.

[265]                      Le paragraphe 72(1), qui se trouve à la partie 4 de la LSJPA, indique selon quel régime (celui des adolescents ou celui des adultes) la peine du jeune contrevenant sera déterminée. Plus précisément, la disposition figure dans la sous‑section de la partie 4 intitulée « Peine applicable aux adultes et choix de la procédure », qui décrit les règles régissant les demandes présentées par le procureur général pour qu’un jeune contrevenant soit assujetti à une peine applicable aux adultes.

[266]                      La LSJPA restreint la catégorie de cas où le procureur général peut réclamer une peine applicable aux adultes. D’après le par. 64(1), le procureur général peut demander l’infliction d’une peine applicable aux adultes seulement à l’égard d’infractions pour lesquelles un adulte serait passible d’une peine d’emprisonnement de plus de 2 ans et uniquement dans le cas d’un adolescent ayant atteint l’âge de 14 ans.

[267]                      Une fois la décision rendue en application du par. 72(1), la peine juste est fixée selon le régime qui convient. Une peine juste pour adolescents est fixée conformément aux principes de détermination de la peine propres aux adolescents qui figurent à l’art. 38. Une peine juste applicable aux adultes est fixée suivant les dispositions pertinentes du Code criminel.

[268]                      Pour des raisons procédurales et de commodité, le choix du régime de détermination de la peine qui convient et la fixation de la peine appropriée suivant le régime en question sont traités simultanément. Ils demeurent toutefois distincts sur le plan conceptuel. L’audition d’une demande d’assujettissement d’un jeune contrevenant à une peine applicable aux adultes se tient au début de l’audience pour la détermination de la peine (art. 71). Lorsque le jeune contrevenant interjette appel de sa peine, une ordonnance d’imposition d’une peine spécifique ou d’une peine applicable aux adultes (par. 72(1) et (1.1)) fait « partie de la peine » pour les besoins du pourvoi. Ce libellé reconnaît que la décision rendue en application du par. 72(1) et la détermination d’une peine juste participent d’analyses distinctes.

[269]                      L’article 72 renvoie à la déclaration de principe de la LSJPA, et notamment au sous‑al. 3(1)b)(ii). Aux termes de ce sous‑alinéa, le système de justice pénale pour les adolescents « doit être distinct de celui pour les adultes, être fondé sur le principe de culpabilité morale moins élevée et mettre l’accent sur [. . .] une responsabilité juste et proportionnelle, compatible avec leur état de dépendance et leur degré de maturité ». Le sous‑alinéa 3(1)a)(i) reconnaît en outre que le système de justice pénale pour adolescents vise à protéger le public en obligeant les adolescents à répondre de leurs actes au moyen de mesures proportionnées à la gravité de l’infraction et au degré de leur responsabilité. L’alinéa 3(1)c) ajoute que « les mesures prises à l’égard des adolescents, en plus de respecter le principe de la responsabilité juste et proportionnelle, doivent viser à : (i) renforcer leur respect pour les valeurs de la société, [et] (ii) favoriser la réparation des dommages causés à la victime et à la collectivité ».

[270]                      L’article 72 renvoie en outre explicitement à l’art. 38, qui incorpore l’ensemble de l’art. 3 et établit comme principe de détermination de la peine propre aux adolescents que « la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’adolescent à l’égard de l’infraction » (al. 38(2)c)).

(4)          Texte

[271]                      De même, le texte de la loi étaye la conclusion selon laquelle la norme de conviction fixée par le Parlement n’exige pas une preuve hors de tout doute raisonnable.

[272]                      Le paragraphe 72(1) dispose que le tribunal pour adolescents doit être « convaincu » (en anglais, « satisfied ») que les conditions prévues aux al. a) et b) sont réunies :

                    72 (1) Le tribunal pour adolescents ordonne l’assujettissement à la peine applicable aux adultes s’il est convaincu que :

                        a)    la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficie l’adolescent est réfutée;

                        b)   une peine spécifique conforme aux principes et objectif énoncés au sous‑alinéa 3(1)b)(ii) et à l’article 38 ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux.

[273]                      Dans la version anglaise de cette disposition, puisque le mot « and » (« et ») relie les al. a) et b), nous sommes d’accord avec l’appelant et les juges majoritaires pour dire que la structure de la disposition appelle deux analyses distinctes pour les al. a) et b).

[274]                      La question de la norme applicable repose sur l’interprétation du mot « convaincu ». Les deux volets du par. 72(1) — réfutation de la présomption et analyse de la responsabilité — exigent que le tribunal pour adolescents soit convaincu. Pour ce qui est de l’al. 72(1)b), les juges majoritaires sont d’avis que le mot « convaincu » donne lieu à une « appréciation discrétionnaire [de facteurs] ainsi que [leur] mise en balance » (par. 12). Nous sommes d’accord sur ce point.

[275]                      Recourant au même texte, les juges majoritaires arrivent à une autre conclusion à propos de l’al. 72(1)a). À notre avis, le même texte qui sous‑tend l’interprétation suivant laquelle l’al. 72(1)b) donne lieu à un jugement d’appréciation vaut également pour l’al. 72(1)a). Cela étaye notre conclusion qu’il n’est pas nécessaire de disposer d’une preuve hors de tout doute raisonnable pour réfuter la présomption de culpabilité morale moins élevée.

B.            Principes devant guider l’analyse fondée sur l’al. 72(1)a)

[276]                     Pour réfuter la présomption énoncée à l’al. 72(1)a), la Couronne doit convaincre le tribunal pour adolescents que le contrevenant a fait preuve du degré « de maturité, de discernement moral et de capacité à exercer un jugement indépendant propre à un adulte » (W. (M.), par. 97‑98).

[277]                     Pour arriver à cette décision, le tribunal doit se laisser guider par certains principes et facteurs pertinents à cet égard.

(1)          La présomption de culpabilité morale moins élevée sert de principe prépondérant dans l’analyse

[278]                     Nous convenons avec les juges majoritaires (par. 109) que la présomption de culpabilité morale moins élevée est un principe juridique qui devrait sous‑tendre l’analyse parce que l’on reconnaît depuis longtemps que les adolescents ont une culpabilité morale moins élevée par rapport aux adultes. Dans l’arrêt D.B., la juge Abella a noté le choix exprès de la société d’obliger les adolescents à répondre de leurs crimes dans un système distinct de celui des adultes en raison de leur développement et de leur maturité, ou de leur manque de développement et de maturité (par. 47‑59). Cela a servi à notre Cour de fondement pour reconnaître la présomption de culpabilité morale moins élevée en tant que principe de justice fondamentale protégé par l’art. 7 de la Charte (par. 76).

[279]                     Dans la LSJPA, la culpabilité morale moins élevée est reconnue en tant que principe général parce qu’en raison de leur âge, les adolescents sont plus vulnérables, moins matures et moins aptes à exercer un jugement moral (D.B., par. 41). C’est ce qu’énonce l’al. 3(1)b) de la LSJPA, la « Déclaration de principes » de la Loi, en disposant que « le système de justice pénale pour les adolescents doit être distinct de celui pour les adultes, être fondé sur le principe de culpabilité morale moins élevée ».

[280]                     La détermination de la peine est un processus d’évaluation raisonnée. Comme l’a affirmé la Cour d’appel du Manitoba dans l’arrêt Okemow : [traduction] « L’art de la détermination de la peine consiste à soupeser avec soin les facteurs pertinents » (par. 88). Lorsque le tribunal décide s’il est « convaincu » au sens voulu pour l’application de l’al. 72(1)a), ces facteurs ont trait à une évaluation de la maturité, du discernement moral et de la capacité à exercer un jugement indépendant du jeune contrevenant.

(2)          Points d’accord avec les juges majoritaires

[281]                     Nous n’avons rien à redire sur la façon dont les juges majoritaires décrivent l’objet et le contexte du par. 72(1) de la LSJPA (par. 60‑73). Nous convenons également que le critère prévu au par. 72(1) de la LSJPA comporte deux volets qui sont distincts (par. 85). L’alinéa 72(1)a) traite du fait de réfuter la présomption tandis que l’al. 72(1)b) pose la question de savoir si une peine spécifique pour adolescents serait suffisante pour obliger le jeune contrevenant à répondre de ses actes. Nous sommes d’accord que la gravité de l’infraction est pertinente pour la seconde analyse au regard de l’al. 72(1)b), mais qu’elle ne l’est pas quand il s’agit de se demander si la présomption a été réfutée dans le contexte de l’analyse fondée sur l’al. 72(1)a) (par. 10 et 141‑142).

[282]                     Nous convenons également qu’une preuve d’expert n’est généralement pas nécessaire (motifs des juges majoritaires, par. 159‑161). Il se peut fort bien qu’une telle preuve doive être produite dans une affaire donnée, mais c’est une question que doit soupeser la Couronne, en tant que partie qui présente la demande d’infliction d’une peine applicable aux adultes. Il s’agit en outre d’une question sur laquelle peut se pencher le tribunal pour adolescents comme le prévoit l’art. 34 de la LSJPA.

[283]                     Enfin, nous sommes d’accord avec la façon dont les juges majoritaires abordent l’al. 72(1)b).

C.            Facteurs pertinents pour la réfutation de la présomption de culpabilité morale moins élevée

[284]                     Pour tenter de réfuter la présomption, la Couronne doit produire une preuve relative à la maturité, au discernement moral et à la capacité à exercer un jugement indépendant de l’adolescent au moment de l’infraction (W. (M.), par. 97‑98). La description donnée par la juge Abella dans A.C. est pertinente pour cette détermination : « . . . la question du développement des enfants et des adolescents étant fondamentalement imprécise, la maturité est forcément un critère imprécis. [. . .] Celle‑ci dépend de l’appréciation, par le tribunal, de l’adolescent, de sa situation et de sa capacité d’exercer un jugement indépendant, ainsi que de la nature et des conséquences de la décision en cause » (par. 4).

[285]                     Nous partageons l’avis de l’appelant, ainsi que des juges majoritaires, que la gravité de l’infraction n’a pas d’incidence sur la maturité du contrevenant et risque de submerger l’analyse compte tenu du fait que, lorsqu’il est question de réfuter la présomption, il est typiquement question de crimes graves. La gravité de l’infraction est une question pertinente à l’étape de l’examen de l’obligation de l’adolescent de répondre de ses actes prévue à l’al. 72(1)b), mais pas quant au degré de culpabilité morale visé à l’al. 72(1)a). La gravité de l’infraction est donc pertinente pour le deuxième volet visant à analyser la question de l’obligation pour l’adolescent de répondre de ses actes, mais pas pour le premier volet.

[286]                     Comment, alors, les tribunaux devraient‑ils évaluer la maturité? Nous souscrivons à l’approche de la juge Stromberg‑Stein de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique; elle a exposé les facteurs pertinents à prendre en considération au regard de l’analyse que requiert l’al. 72(1)a) dans la décision Chol. Ces facteurs se rapportent à la situation du contrevenant, aux circonstances de l’infraction, et au comportement postérieur à l’infraction. Tenant compte de l’arrêt D.B. et d’autres décisions de cours d’appel, la juge Stromberg‑Stein a dressé une liste non exhaustive de facteurs, dont aucun n’est déterminant, car [traduction] « [l]’évaluation du volet de la présomption varie au cas par cas et est tributaire des faits, et ce ne sont pas toujours les mêmes facteurs qui sont présents » (par. 59‑63). Nous souscrivons à cette approche.

(1)          Situation du contrevenant

[287]                     La juge Stromberg‑Stein a exposé les facteurs qui suivent :

                   [traduction]

                   Situation de l’adolescent

                L’âge de l’adolescent.

                Le parcours et les antécédents de l’adolescent.

                Au moment de l’infraction, l’adolescent vivait‑il comme un adulte et, dans l’affirmative, était‑ce par choix?

                L’adolescent a‑t‑il déjà commis des infractions?

                Au moment de l’infraction, l’adolescent dépendait‑il d’autrui et était‑il vulnérable à l’influence d’autrui?

                 L’un ou l’autre des facteurs Gladue est‑il présent?

                Au moment de l’infraction, l’adolescent avait‑il des limites cognitives ou des problèmes de santé mentale? [par. 61]

[288]                     Certains ou l’ensemble de ces facteurs peuvent se révéler pertinents dans l’analyse au regard de l’al. 72(1)b), ou dans la détermination d’une peine juste. La juge Stromberg‑Stein a fait remarquer que les limites cognitives ainsi que la santé émotionnelle et mentale de l’adolescent, quoique pertinentes pour ce volet, ne devraient pas monopoliser l’analyse.

[289]                     Quant à l’âge, nous convenons qu’il s’agit d’un facteur pertinent à prendre en compte, mais nous sommes également d’accord avec l’intervenante Peacebuilders Canada pour dire que la proximité de l’âge de 18 ans ne devrait pas monopoliser l’analyse parce que le neurodéveloppement des adolescents se fait à des rythmes variables.

[290]                     En ce qui concerne le « parcours » du contrevenant, nous sommes d’accord avec l’appelant dans le pourvoi connexe, R. c. S.B., 2025 CSC 24, pour dire que l’endroit où la personne a été élevée, l’identité raciale et une expérience indésirable vécue durant l’enfance sont pertinents. Si une « évaluation de l’incidence de l’origine ethnique et culturelle », un rapport présentenciel ou un rapport semblable à celui décrit dans Gladue a été réalisé, le contenu de ce rapport peut donner un éclairage sur la question du parcours.

[291]                     L’évaluation du parcours du contrevenant devrait porter, entre autres choses, sur toute incidence d’un traumatisme, d’expériences vécues, de troubles de comportement ou mentaux, de la race, de la dynamique familiale et du degré d’indépendance.

(2)          Circonstances et complexité de l’infraction

[292]                     La juge Stromberg‑Stein a précisé que les facteurs suivants sont pertinents quant aux circonstances de l’infraction :

                   [traduction]

                   Circonstances de l’infraction

                L’infraction témoigne‑t‑elle d’une impulsivité, d’une bravade ou d’un sentiment d’invincibilité?

                L’infraction était‑elle planifiée ou préméditée?

                Le mobile de l’infraction témoigne‑t‑il d’un raisonnement mature ou immature?

                Quel rôle l’adolescent a‑t‑il joué dans la perpétration de l’infraction?

                L’adolescent a‑t‑il choisi de s’adonner à l’activité reprochée?

                Les actes de l’adolescent démontrent‑ils une pensée critique et un jugement s’apparentant à celui d’un adulte?

                Une fois l’infraction amorcée, l’adolescent a‑t‑il pris des mesures afin de la poursuivre ou de la dissimuler après coup?

                L’adolescent a‑t‑il compris les conséquences de ses actes, au chapitre des sanctions criminelles et de l’incidence sur autrui? [par. 61]

[293]                     La complexité de l’infraction revêt de l’importance en ce qui a trait aux circonstances de l’infraction. Il en est ainsi parce que la complexité peut être un indicateur de maturité, qui peut aider à réfuter l’affirmation que l’infraction en était une d’impulsivité juvénile. La question de savoir si elle a été commise par bravade peut donner un éclairage sur la maturité du jeune contrevenant. La question de savoir si ce dernier a joué un rôle principal ou un rôle de soutien, et la mesure dans laquelle il a poursuivi l’infraction une fois celle‑ci amorcée, peuvent, elles aussi, être importantes.

[294]                     La mécanique de la planification et la participation à la perpétration de l’infraction servent d’indicateurs de maturité et d’un jugement s’apparentant à celui d’un adulte. Cela dit, ces considérations ne devraient pas devenir un moyen d’importer la gravité du crime dans l’analyse sous l’al. 72(1)a) (voir aussi les motifs des juges majoritaires, par. 147).

(3)          Comportement postérieur à l’infraction

[295]                     La juge Stromberg‑Stein a précisé que les facteurs suivants se rapportaient au comportement postérieur à l’infraction :

                   [traduction]

                   Comportement postérieur à l’infraction

                L’adolescent a‑t‑il assumé la responsabilité de ses actes après l’infraction ou a‑t‑il exprimé des remords?

                La croissance personnelle de l’adolescent (ou son absence) depuis l’infraction révèle‑t‑elle quelque chose à propos de l’adolescent au moment de l’infraction? [par. 61]

[296]                     Les deux premières catégories de facteurs à prendre en considération — la situation du contrevenant ainsi que les circonstances et la complexité de l’infraction — sont capitales. Comme l’analyse au regard de l’al. 72(1)a) s’attache à évaluer la maturité du contrevenant au moment de l’infraction, la situation du contrevenant et les circonstances de l’infraction, cela va de soi, nous éclairent sur cette analyse plus directement.

[297]                     Le comportement postérieur à l’infraction ne peut le faire que de manière indirecte; il le fait dans la mesure où il donne une idée de la maturité du contrevenant, de son degré de discernement et de sa capacité à exercer un jugement s’apparentant à celui d’un adulte au moment de l’infraction. Outre les deux facteurs énoncés par la juge Stromberg‑Stein, nous partageons l’avis des juges majoritaires que d’autres types de comportements postérieurs à l’infraction comme le fait de tenter de ne pas être retrouvé ou de détruire des éléments de preuve peuvent s’avérer pertinents lorsqu’il s’agit d’évaluer le discernement et la capacité d’exercer un jugement s’apparentant à celui d’un adulte. En outre, nous faisons nôtres les préoccupations exprimées par les juges majoritaires selon lesquelles certains actes commis après l’infraction peuvent être motivés par un manque de maturité, ou une crainte et un sentiment de panique juvéniles (par. 148‑149). Cela dit, le comportement postérieur à l’infraction qui a un lien temporel et substantiel avec celle‑ci et illustre la maturité et le jugement moral du contrevenant au moment de l’infraction est pertinent. Comme le fait valoir le procureur général de l’Alberta, tel était le cas dans l’affaire R. c. Anderson, 2018 MBCA 42, 361 C.C.C. (3d) 313, où la Cour d’appel du Manitoba a interprété le manque de panique et la manifestation d’assurance du jeune contrevenant au cours du meurtre ainsi que le fait qu’il a réussi à dissimuler le meurtre dans une petite communauté comme la preuve d’une culpabilité morale accrue.

[298]                     Tout comme en l’espèce, la Couronne ou la défense peut chercher à s’appuyer sur un comportement postérieur à l’infraction qui n’a pas de lien temporel avec l’infraction sous‑jacente. Il pourrait s’agir entre autres de démarches de réhabilitation ou de restitution prises par une délinquant, ou des remords qu’il a exprimés. Il pourrait s’agir également du dossier disciplinaire en établissement correctionnel, y compris du comportement lors de la détention avant le procès (comme c’est le cas d’I.M.) ou de la conduite après le prononcé de la peine (comme c’est le cas dans le pourvoi connexe relatif à S.B.).

D.           Application à I.M.

a)              Volet un : Réfuter la présomption

[299]                     Nous sommes d’avis de confirmer la conclusion de la Cour d’appel de l’Ontario selon laquelle le juge chargé de la détermination de la peine n’a pas commis d’erreur en décidant qu’il était « convaincu » que la Couronne s’était acquittée du fardeau de persuasion qui lui incombe en application de l’al. 72(1)a) pour obtenir l’imposition d’une peine applicable aux adultes. Bien que le juge chargé de la détermination de la peine et la Cour d’appel aient commis une erreur en examinant la gravité de l’infraction au premier volet de l’analyse fondée sur le par. 72(1), cette erreur n’a pas eu d’incidence significative sur la peine.

(i)            Situation du contrevenant

[300]                     En examinant la situation du contrevenant, la Cour d’appel a tenu compte à bon droit de l’âge, de la réputation, du parcours et des antécédents d’I.M. comme facteurs utiles pour démontrer le degré de maturité et de discernement moral de l’appelant ainsi que sa capacité d’exercer le jugement indépendant propre à un adulte (2023 ONCA 378, 426 C.C.C. (3d) 468, par. 81). La Cour d’appel a signalé que, comme il avait 17 ans et 5 mois au moment de l’infraction, I.M. était [traduction] « sur le point d’atteindre l’âge adulte ». Elle a également reconnu que ce facteur n’est pas déterminant à lui seul, mais qu’il pourrait « faire pencher la balance » en faveur d’une peine applicable aux adultes (par. 79).

[301]                     En ce qui concerne les antécédents criminels et les infractions antérieures, I.M. avait un casier judiciaire qui comprenait les crimes d’entrée par effraction, de vol, et de possession d’une substance inscrite en vue d’en faire le trafic. Il avait été condamné à deux ordonnances de probation, et il lui était interdit d’avoir en sa possession toute arme à feu ou arme pendant un an. Ces ordonnances étaient en vigueur au moment de l’infraction.

[302]                     Les antécédents criminels peuvent faire partie de la preuve relative au contexte social. Le mode de vie et le parcours personnel font eux aussi partie de cette preuve. Au moment de l’infraction, I.M. résidait dans son domicile familial. Il est originaire du Bangladesh, et il vient d’une famille pauvre. Le rapport présentenciel révèle que, même si sa famille le soutenait, ses parents immigrants ne travaillaient pas et ne parlaient pas anglais; ils avaient donc du mal à comprendre le quartier de logements communautaires où ils vivaient et à lui donner des conseils. I.M. a mentionné avoir été recruté pour vendre de la drogue, ce qu’il a fait pendant deux ans afin de gagner de l’argent. Au moins un membre de sa famille a commencé à craindre qu’il vende de la drogue et socialise avec des membres d’un gang. Vu la situation financière de sa famille, il est juste de dire qu’il avait un certain degré de dépendance et qu’il pouvait donc être vulnérable au groupe du voisinage avec lequel il collaborait pour vendre de la drogue.

[303]                     Quand on se penche sur les limites cognitives possibles ou d’autres problèmes de santé émotionnelle ou mentale, rien n’indique qu’I.M. souffrait de troubles mentaux. Cela dit, il a affirmé avoir été victime d’intimidation durant son enfance, et, selon le rapport psychiatrique, il « souffre peut‑être » d’un trouble d’apprentissage qui pourrait être considéré comme une maladie mentale.

(ii)          Circonstances et complexité de l’infraction

[304]                      Quant à l’infraction elle‑même, il y a eu planification et préméditation. L’infraction n’a pas été commise [traduction] « sous l’impulsion du moment », tel que le démontrent les messages texte antérieurs à l’agression. Comme l’a affirmé la Cour d’appel, on a jugé que I.M. était un [traduction] « participant volontaire et actif au projet de voler la victime, et son intention de le faire n’a jamais chancelé » (par. 78). Cela témoigne d’un jugement mature.

[305]                      Lorsqu’il s’est penché sur le rôle joué par I.M. dans la perpétration de l’infraction, le juge chargé de la détermination de la peine a conclu qu’I.M. était [traduction] « l’auteur ou l’un des auteurs des coups de couteau », « pas un simple participant à l’infraction », mais « à tout le moins un auteur principal » (2020 ONSC 4660, par. 30 et 53, reproduit au d.a., vol. I, p. 13 et 20). Cela a été établi hors de tout doute raisonnable et confirmé par la Cour d’appel. Cette conclusion commande la déférence.

(iii)        Comportement postérieur à l’infraction

[306]                     Après l’infraction, I.M. a tenté de se débarrasser de ses vêtements tachés de sang, et, au final, il a quitté le pays très rapidement. Il a également continué de déployer des efforts en vue d’obtenir une arme à feu. Ce comportement est caractéristique d’une personne qui comprend la gravité de ses actes et les lourdes conséquences qui s’ensuivraient si on le retrouvait. C’est le signe d’un jugement mature s’apparentant à celui d’un adulte.

[307]                     Bien que le comportement postérieur à l’infraction ne fournisse pas beaucoup d’information sur la maturité par rapport à la situation du délinquant et aux circonstances de l’infraction, la conduite d’I.M. après l’infraction démontre qu’il a réfléchi et continué de chercher des moyens d’éviter d’être retrouvé. Cela tend à indiquer qu’il avait un jugement et une maturité d’adulte au moment de l’infraction.

(iv)        Analyse

[308]                     La situation d’I.M. révèle un jeune homme élevé au sein d’une communauté immigrante dans un quartier défavorisé et influencé par une dynamique de quartier négative. La preuve de ce contexte social est importante. Cependant, à notre avis, les juges majoritaires ne l’utilisent pas correctement pour évaluer la maturité d’I.M., son discernement moral et sa capacité d’exercer un jugement indépendant au moment de l’infraction.

[309]                     En effet, la conclusion des juges majoritaires écarte celle du juge du procès suivant laquelle I.M. était un auteur principal des coups de couteau lors d’une agression planifiée et coordonnée. Le juge chargé de la détermination de la peine a décrit I.M. comme étant « à tout le moins un auteur principal » (par. 30). Il a noté que les coups de couteau [traduction] « n’étaient pas un incident commis sous l’impulsion du moment », et qu’I.M. avait eu « plusieurs complices » (par. 31). Après que la victime a été poignardée et que la mère de cette dernière a été frappée sur la tête avec l’arme à feu, I.M. a continué de chercher des armes à feu à l’intérieur de la résidence (par. 32). Au moment de l’infraction, I.M. a exécuté l’agression au couteau et la fouille de la résidence de la victime afin de trouver une arme à feu, deux actes qui avaient été planifiés. La fouille de la demeure de la victime après l’agression au couteau en vue d’y trouver de la drogue et des armes à feu démontre qu’I.M. a poursuivi l’exécution de son plan même après avoir poignardé la victime et terrorisé sa famille. Le juge chargé de la détermination de la peine n’a pas commis d’erreur en décidant qu’I.M. avait fait preuve d’une capacité de planification et d’un jugement propres à un adulte. Il faut considérer cela eu égard au fait qu’au moment de l’infraction, I.M. faisait déjà l’objet de deux accusations criminelles, était en probation, et il lui était interdit d’être en possession d’armes à feu. Cela ne l’a pas empêché de commettre les actes criminels graves dont il a été l’auteur en vue d’obtenir des armes à feu.

[310]                     Nous prenons acte de l’argument d’I.M. selon lequel il a planifié la perpétration de l’infraction et participé à celle‑ci en raison de la pression de ses pairs. I.M. affirme que la participation d’adultes à la perpétration de l’infraction signifie que lui, un adolescent à l’époque, a subi leur pression (m.a., par. 99). Le dossier, notamment les messages texte d’I.M., n’étaye pas cette prétention. Selon ces messages, il a pris part à la planification du vol qualifié. I.M. a parlé du vol qualifié comme de [traduction] « l’occasion de faire [s]es preuves » (m.a., par. 109), ce qui veut dire qu’il le voyait comme une étape dans sa carrière criminelle. Selon les juges majoritaires, ce message texte suscite un doute raisonnable quant à la maturité dont aurait fait preuve I.M., car cela démontre qu’il était sensible à la pression sociale des adultes du groupe et qu’il n’a pas mesuré les conséquences comme le ferait quelqu’un ayant une maturité d’adulte. Même si I.M. a fort bien pu subir la pression de ses pairs adultes, la preuve indique qu’il avait sa propre motivation. Comme l’a noté le juge chargé de la détermination de la peine, [traduction] « [I.M.] n’avait pas besoin d’encouragement pour prendre part au vol qualifié parce qu’il voulait une arme à feu, sans doute en raison de sa participation à la vente de drogues » (par. 30). Le dossier n’étaye pas non plus l’opinion des juges majoritaires selon laquelle I.M. ne comprenait pas les conséquences de ses actes.

[311]                     Nous sommes d’accord avec la Cour d’appel pour dire qu’I.M. a fait preuve de maturité et d’une réflexion s’apparentant à celle d’un adulte après la perpétration de l’infraction (par. 77‑78). I.M. comprenait les conséquences du crime qu’il avait commis et a pris des mesures pour y échapper : il s’est débarrassé de ses vêtements tachés de sang et a fui le pays (motifs de détermination la peine, par. 33). Ce comportement postérieur à l’infraction a confirmé sa capacité d’exercer un jugement indépendant.

[312]                     Nous reconnaissons qu’il est également possible de considérer qu’I.M. s’est montré impulsif et en proie à la panique après la perpétration de l’infraction en montrant à son camarade de classe G.D. sa chemise tachée de sang et en fuyant le pays. Mais après avoir situé ces éléments dans leur contexte de pair avec la conduite d’I.M. avant et pendant l’infraction, nous sommes convaincus qu’I.M. a fait preuve d’un jugement et d’une maturité s’apparentant à ceux d’un adulte.

[313]                     Plus précisément, nous ne décelons aucune erreur dans la conclusion du juge chargé de la détermination de la peine selon laquelle il était convaincu, eu égard à l’ensemble de la preuve, que la présomption de culpabilité morale moins élevée a été réfutée. La Couronne s’est acquittée de son fardeau de persuasion et a réfuté la présomption de culpabilité morale moins élevée.

b)             Volet deux : Analyser l’obligation de répondre de ses actes

[314]                     Comme il a été conclu que la Couronne a réfuté la présomption, l’analyse passe ensuite au second volet, soit celui qui consiste à se demander si une peine spécifique serait d’une durée insuffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux.

[315]                     I.M. a été condamné en tant qu’adulte à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans. Une peine sous le régime pour adolescents serait d’au plus 10 ans, dont seulement 6 ans en garde fermée.

[316]                     Il convient d’examiner la gravité de l’infraction à ce stade. Non seulement y a‑t‑il une preuve de préméditation, qui a inclus l’organisation d’un groupe important en vue de mater toute résistance lors d’un vol qualifié commis en soirée, mais la preuve suggère que la victime a peut‑être été poignardée dans le dos et a été retenue lorsqu’elle a reçu les coups de couteau. L’agression au couteau n’a pas empêché l’appelant et son coaccusé de terroriser la mère de la victime en la séquestrant et en poursuivant le vol qualifié à l’intérieur du domicile familial. Ainsi, la gravité de l’infraction dans le cas présent se traduit par une grande culpabilité morale.

[317]                     Pour obliger le contrevenant à répondre de ses actes, la peine [traduction] « doit “être suffisamment longue pour refléter la gravité de l’infraction [. . .] et le rôle qu’y a joué le contrevenant” » (O. (A.), par. 50). Selon le juge du procès, I.M. a porté des coups de couteau et était un auteur principal. Le caractère haineux du crime justifie une longue peine compte tenu de la culpabilité morale élevée qui s’y rattache. Cette culpabilité morale n’est pas atténuée par son âge, vu qu’il avait près de 18 ans et qu’il n’y avait pas d’indice d’immaturité. I.M. a fait preuve d’un jugement s’apparentant à celui d’un adulte tant avant que pendant et qu’après la perpétration de ce crime, ce qui commande une peine plus longue.

[318]                     Pour ce qui est de la réadaptation, de graves inquiétudes ont été exprimées au sujet des perspectives de traitement de l’appelant, ou de l’absence de telles perspectives, par le psychiatre, le juge chargé de la détermination de la peine et la Cour d’appel. Malgré l’expression de remords, le soutien de la communauté et les cours suivis en détention, le juge chargé de la détermination de la peine a exprimé de sérieuses réserves à propos de la peine proposée par la défense, car il la jugeait insuffisante pour assurer la sécurité publique et amener l’appelant à répondre du meurtre. Il est arrivé à cette conclusion, car l’appelant a minimisé le rôle qu’il a joué dans le meurtre auprès de son agent de probation, et a dit craindre que l’appelant ne soit pas susceptible de suivre un traitement. La Cour d’appel a fait preuve de déférence à l’endroit de ces conclusions (au par. 85) et notre Cour devrait lui emboîter le pas.

[319]                     Par conséquent, nous convenons avec la Cour d’appel que le juge chargé de la détermination de la peine n’a pas commis d’erreur en concluant qu’une peine spécifique n’obligerait pas I.M. à répondre suffisamment de son crime, et qu’une peine applicable aux adultes devrait donc être infligée.

III.         Conclusion

[320]                     Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer la peine infligée.

                    Pourvoi accueilli, les juges Côté et Rowe sont dissidents.

                    Procureurs de l’appelant : Stockwoods, Toronto.

                    Procureur de l’intimé : Ministère du Procureur général, Bureau des avocats de la Couronne — Droit criminel, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenant le procureur général du Canada : Ministère de la Justice Canada — Bureau régional de l’Ontario, Toronto; Ministère de la Justice Canada — Bureau régional du Québec, Montréal.

                    Procureur de l’intervenant le directeur des poursuites criminelles et pénales : Directeur des poursuites criminelles et pénales, Québec.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Alberta Crown Prosecution Service Appeals and Specialized Prosecutions Office, Calgary.

                    Procureur de l’intervenante Justice for Children and Youth : Justice for Children and Youth, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante Queen’s Prison Law Clinic : Ruby Shiller Enenajor, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : Martin Barristers, Toronto; Russomanno Criminal Law, Ottawa.

                    Procureurs de l’intervenante Peacebuilders Canada : Henein Hutchison Robitaille, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Larochelle Law, Whitehorse; Pringle Law, Vancouver.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Addario Law Group, Toronto.



[1]    L’article 72 a été modifié par la Loi sur la sécurité des rues et des communautés, L.C. 2012, c. 1, art. 183. I.M. a commis l’infraction en 2011 — avant l’entrée en vigueur des modifications le 23 octobre 2012 — alors qu’il était un « adolescent » au sens du par. 2(1) LSJPA. Une poursuite a été intentée contre lui en 2013. Les dispositions transitoires de la loi modificative prévoient que lorsque l’infraction a été commise par un adolescent avant le 23 octobre 2012, l’art. 72 dans sa version modifiée s’applique néanmoins lorsque la poursuite contre l’adolescent a été intentée après cette date (art. 195 et 204 de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés).

[2]  L’article 46.1 de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, c. S-26, confère à notre Cour le pouvoir discrétionnaire de « renvoyer une affaire en tout ou en partie » et d’ordonner « les mesures qui lui semblent appropriées ». Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé de façon à servir l’intérêt de la justice (R. c. Esseghaier, 2021 CSC 9, [2021] 1 R.C.S. 101, par. 62-63; C.D., par. 91 et 94).

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