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R. c. Perrier, [2004] 3 R.C.S. 228, 2004 CSC 56

 

Justin Lance Perrier                                                                                          Appelant

 

c.

 

Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée

 

Répertorié : R. c. Perrier

 

Référence neutre : 2004 CSC 56.

 

No du greffe : 30002.

 

2004 : 19 mai; 2004 : 30 septembre.

 

Présents : Les juges Major, Bastarache, Binnie, Deschamps et Fish.

 

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

 

Droit criminel — Preuve — Admissibilité — Preuve de faits similaires — Identification — Présentation au jury aux fins d’identification d’un membre d’un gang d’une preuve de faits similaires de crimes commis par le gang à l’occasion de trois événements distincts — Variations dans la composition du gang — Est‑ce que la preuve liant le gang à un crime pouvait être utilisée contre un membre du gang en tant que preuve de faits similaires tendant à établir sa participation à d’autres crimes commis par le même gang?


Droit criminel — Exposé au jury — Preuve de faits similaires concernant un groupe — Présentation au jury aux fins d’identification d’un membre d’un gang d’une preuve de faits similaires de crimes commis par le gang à l’occasion de trois événements distincts — Variations dans la composition du gang — Est‑ce que le juge du procès a fait erreur en disant au jury que la preuve admise relativement à chacun des événements pouvait être utilisée pour établir la culpabilité de l’accusé quant aux autres événements?

 

L’accusé a été inculpé de plusieurs infractions ayant trait à trois invasions de domicile par un gang survenues dans la même région au cours d’une période de quatre semaines.  À chacune de ces occasions, le gang a utilisé une méthode de perpétration distinctive.  L’accusé a d’abord été accusé et déclaré coupable de vol qualifié et d’introduction par effraction relativement au troisième événement.  Les accusations en cause dans le présent pourvoi se rapportent uniquement à sa présumée participation aux deux premiers événements.  L’identification était la question en litige au procès.  Bien qu’il ait reconnu que la composition du gang variait, le ministère public a prétendu que l’accusé était impliqué dans les trois événements et y avait joué des rôles différents.  Dans ses directives au jury, le juge du procès a dit ceci : « la preuve admise relativement à chacun des trois événements peut être utilisée pour établir la culpabilité de chaque accusé quant aux autres événements ».  Le jury a déclaré l’accusé coupable de tous les chefs d’accusation.  La Cour d’appel a majoritairement confirmé les déclarations de culpabilité.

 

Arrêt : Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné.

 


Le juge du procès a eu tort de dire au jury que la preuve présentée à l’égard d’un événement pouvait être considérée comme une preuve de faits similaires aux fins d’identification, relativement aux autres événements, non pas du gang mais de l’accusé.  Une preuve de faits similaires touchant les activités d’un groupe est admissible pour permettre l’identification d’un groupe ou gang responsable d’un crime particulier.  Dans les cas où plusieurs crimes ont été commis suivant un modus operandi singulier et où l’improbabilité objective d’une coïncidence est grande, le juge des faits devrait être autorisé à inférer que les crimes sont l’œuvre du même gang.  Toutefois, lorsque la preuve d’infractions similaires commises par un gang est présentée pour identifier non pas le gang lui‑même mais un membre en particulier, la poursuite doit prouver l’existence d’un lien suffisant entre l’individu concerné et les crimes du groupe.  Lorsque, comme en l’espèce, la composition du groupe n’est pas constante, cette condition supplémentaire est remplie dans les cas suivants : a) l’accusé jouait un rôle à ce point distinctif qu’aucun autre membre du groupe ou qui que ce soit d’autre n’aurait pu l’accomplir; b) il existe des éléments de preuve indépendants rattachant l’accusé à chaque crime.  Sans ce facteur de rattachement supplémentaire, le lien requis entre la preuve de faits similaires et les actes d’un accusé donné n’existe pas et la valeur probante de cette preuve sera insuffisante pour l’emporter sur le préjudice que causerait l’utilisation de la preuve en question.

 


En l’espèce, la preuve de faits similaires pouvait être utilisée pour établir la responsabilité du gang lui‑même mais non celle d’un membre donné de ce gang, dont la composition variait.  La preuve relative à un crime donné ne peut être utilisée pour établir la participation à d’autres infractions que si les similitudes sont frappantes au point d’exclure toute coïncidence.  Les similitudes entre les événements démontrent que le même gang a vraisemblablement commis les infractions, mais elles ne révèlent aucune marque ou caractéristique personnelle permettant d’identifier l’accusé.  De plus, comme il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve indépendants rattachant ce dernier aux crimes du groupe, rien ne justifiait de soumettre au jury la preuve de faits similaires relativement à la question de l’identification.

 

Jurisprudence

 

Arrêts mentionnés : R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, 2002 CSC 56; R. c. Shearing, [2002] 3 R.C.S. 33, 2002 CSC 58; R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339; R. c. B. (F.F.), [1993] 1 R.C.S. 697; R. c. B. (C.R.), [1990] 1 R.C.S. 717; Sweitzer c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 949; R. c. Brown, [1996] E.W.J. No. 2403 (QL); R. c. Lee, [1996] E.W.C.A. Crim. 59.

 

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (2003), 187 B.C.A.C. 214, 307 W.A.C. 214, 178 C.C.C. (3d) 97, 14 C.R. (6th) 88, [2003] B.C.J. No. 2187 (QL), 2003 BCCA 508 (sub nom. R. c. Chan), qui a confirmé les déclarations de culpabilité de l’accusé.  Pourvoi accueilli.

 

Peter Leask, c.r., et Jeremy Gellis, pour l’appelant.

 

Bruce Johnstone, pour l’intimée.

 

Version française du jugement de la Cour rendu par

 

Le juge Major —

 

I.  Introduction

 


1                                   Le 21 avril 2000, l’appelant Justin Lance Perrier et un coaccusé, Chi Cheong Chan, ont été déclarés coupables de chefs d’accusation d’introduction par effraction, de vol qualifié, de séquestration et de recel.  Les accusations avaient trait à trois invasions de domicile par un gang survenues dans la région de Vancouver au cours d’une période de quatre semaines.

 

2                                   La méthode de perpétration de l’infraction utilisée par le gang possédait un caractère distinctif.  L’identification de l’appelant était la seule question en litige au procès.  Le ministère public soutenait que, en dépit de la composition changeante du gang, l’appelant avait participé aux trois événements.  Dans ses directives au jury, le juge du procès a fait les commentaires suivants, sans objection de la part de l’avocat de la défense : [traduction] « la preuve admise relativement à chacun des trois événements peut être utilisée pour établir la culpabilité de chaque accusé quant aux autres événements ».  Selon moi, cette affirmation signifie que la preuve liant le gang à une infraction pouvait être utilisée contre l’appelant — qui était membre du gang — en tant que preuve de faits similaires établissant sa participation aux autres infractions commises par le même gang.

 

3                                   Le jury a déclaré l’appelant coupable de toutes les accusations.  La Cour d’appel a majoritairement rejeté l’appel, la juge Ryan étant dissidente.  Il s’agit de décider si le juge du procès a fait erreur en disant au jury qu’il pouvait considérer la preuve concernant chaque chef d’accusation comme une preuve de faits similaires aux fins d’identification de l’appelant relativement aux autres chefs.

 


4                                   Le pourvoi est accueilli.  Le recours à la preuve relative à un événement donné pour en prouver d’autres n’est permis que dans les cas où les similitudes entre les événements sont frappantes au point d’exclure toute coïncidence.  Les similitudes entre les événements démontrent que le même gang a vraisemblablement commis les infractions, mais elles ne révèlent aucune marque ou caractéristique personnelle permettant d’identifier l’appelant.  Je souscris aux motifs de la juge Ryan selon lesquels le juge du procès s’est trompé en disant au jury qu’il pouvait, en ce qui concernait l’appelant, considérer la preuve relative à un chef d’accusation comme une preuve de faits similaires à l’égard des autres chefs.  La preuve de faits similaires pouvait être utilisée pour établir la responsabilité du gang lui-même mais non celle d’un membre donné de ce gang, dont la composition variait.

 

II.  Les faits

 

5                                   Le 15 décembre 1997, un groupe d’hommes a envahi le domicile d’une famille situé sur la 19e avenue Est à Vancouver.  Le 2 janvier 1998, une autre résidence familiale, sur la rue Osler cette fois, a été envahie par un groupe d’hommes, puis, le 14 janvier suivant, un événement similaire est survenu sur Fraserview Drive.  La méthode de perpétration utilisée par le gang à ces diverses occasions présentait un caractère distinctif.

 

6                                   L’un des membres du groupe s’approchait de la maison visée déguisé en facteur et portant un colis.  Le faux facteur sonnait à la porte de la maison pendant que ses deux complices se préparaient à maîtriser la personne qui répondait à la porte.  Dans les trois cas, c’est une femme asiatique qui a répondu à la porte.  Une fois à l’intérieur, les complices communiquaient avec les autres membres du groupe, qui pénétraient à leur tour dans la maison.

 


7                                   Les trois fois, les intrus ont ligoté le ou les occupants de la maison avec du ruban adhésif en toile pendant que les autres membres du groupe fouillaient la maison à la recherche d’objets de valeur.  Les victimes ont par la suite donné des descriptions sommaires et contradictoires des intrus, y compris quant à leur nombre.  On estimait que cinq ou six personnes avaient été impliquées dans chaque événement.

 

8                                   L’appelant a d’abord été accusé et déclaré coupable de vol qualifié et d’introduction par effraction relativement au troisième événement, celui survenu sur Fraserview Drive.  Les accusations en cause dans le présent pourvoi se rapportent uniquement à sa présumée participation aux deux premiers événements.  Son procès concernant ces accusations s’est tenu après sa condamnation pour l’invasion commise sur Fraserview Drive.

 

9                                   L’identification de l’appelant était la question en litige au procès.  Le ministère public a soutenu que deux Asiatiques et trois ou quatre individus de race blanche étaient impliqués dans chaque événement.  Bien qu’il ait reconnu que la composition du gang variait, le ministère public a prétendu que l’appelant était impliqué dans les trois événements et y avait joué des rôles différents.  Il aurait été déguisé en facteur au cours d’une invasion et il aurait aidé à maîtriser les victimes dans les autres.

 

10                               Le reste de la preuve contre l’appelant se composait du témoignage de M. Wang et des éléments de preuve recueillis lors de l’arrestation de l’appelant, le 14 janvier 1998.

 


11                               Monsieur Wang avait auparavant été déclaré coupable d’infractions commises au cours des événements de la 19e avenue Est et de Fraserview Drive et condamné à une longue peine d’emprisonnement.  Il risquait en outre d’être expulsé vers Taiwan.  En contrepartie de son témoignage, M. Wang devait recevoir de l’aide dans ses démarches auprès de la commission des libérations conditionnelles et des autorités de l’immigration, en plus de bénéficier du programme de réinstallation des témoins.

 

12                               L’appelant a été arrêté à deux ou trois rues du lieu du vol qualifié survenu sur Fraserview Drive le 14 janvier 1998, et ce quelques minutes seulement après l’événement.  La victime du vol avait subi une coupure au front.  Au moment de l’arrestation de l’appelant, il semblait y avoir du sang sur ses pantalons ainsi que sur sa veste, trouvée tout près.  Les poches de cette veste contenaient un téléphone cellulaire, un téléavertisseur et les clés de l’appartement de l’appelant.  La perquisition de cet appartement a permis de découvrir des haut‑parleurs appartenant à l’une des victimes du vol qualifié perpétré dans la résidence de la rue Osler.  Il importe toutefois de signaler que l’appelant n’était pas l’unique occupant de l’appartement, mais qu’il le partageait avec Jesse et Jean Lahn, qui auraient eux aussi participé à certains des événements, selon M. Wang.  Des pièces d’identité appartenant à Jesse Lhan et à l’appelant ont été découvertes dans la chambre à coucher où se trouvaient les biens volés.

 

13                               De plus, la preuve a révélé qu’un certain nombre d’appels téléphoniques avaient eu lieu entre l’appelant et M. Wang tout juste avant et tout juste après les trois événements, y compris un appel qui avait été intercepté et que la juge Ryan de la Cour d’appel a qualifié de conversation susceptible de permettre au jury d’inférer que l’appelant et M. Wang craignaient que Michael Braun puisse être un [traduction] « mouchard » ((2003), 187 B.C.A.C. 214 (sub nom. R. c. Chan), 2003 BCCA 508, par. 9).

 


III.  Historique des procédures judiciaires

 

A.  Cour suprême de la Colombie-Britannique

 

14                               L’appelant a été traduit en justice par voie de mise en accusation directe.  Dans ses directives au jury, le juge du procès a dit ceci, sans objection de la part de l’avocat de la défense : [traduction] « la preuve admise relativement à chacun des trois événements peut être utilisée pour établir la culpabilité de chaque accusé quant aux autres événements ».  L’appelant a été déclaré coupable de tous les chefs d’accusation.

 

B.   Cour d’appel de la Colombie‑Britannique

 

15                               La Cour d’appel a majoritairement rejeté les appels.  Dissidente, la juge Ryan aurait accueilli les appels pour le motif que le juge du procès aurait fait erreur en disant au jury qu’il pouvait considérer la preuve des activités du gang comme une preuve d’actes similaires opposable à l’appelant.

 

IV.  Les questions en litige

 

16                               En l’espèce, notre Cour doit décider si le juge du procès a eu raison de dire au jury que la preuve présentée à l’égard d’un événement pouvait être considérée comme une preuve de faits similaires aux fins d’identification, relativement aux autres événements, non pas du gang mais de l’appelant.  Il s’agit de se demander si la preuve rattachant l’appelant à un crime donné peut être utilisée pour conclure à sa participation à d’autres crimes, vraisemblablement commis par le même gang, alors que la composition du gang varie.


 

V.  Analyse

 

A.  Admissibilité de la preuve de faits similaires aux fins d’identification

 

17                               Les règles de droit régissant l’admissibilité de la preuve de faits similaires sont bien établies.  Une telle preuve est présumée inadmissible puisqu’elle tend à étayer un raisonnement fondé sur la propension : voir R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, 2002 CSC 56; R. c. Shearing, [2002] 3 R.C.S. 33, 2002 CSC 58; R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339; R. c. B. (F.F.), [1993] 1 R.C.S. 697; R. c. B. (C.R.), [1990] 1 R.C.S. 717.

 

18                               C’est à la poursuite qu’il incombe de convaincre le juge du procès, selon la prépondérance des probabilités, que la valeur probante de cette preuve à l’égard d’une question donnée l’emporte sur son effet préjudiciable.  Lorsque la preuve de faits similaires ne sert qu’à étayer l’inférence interdite (à savoir que, à cause de ses antécédents ou de sa personnalité, l’accusé est prédisposé à commettre le genre de crimes pour lequel il est jugé), l’effet préjudiciable de cette preuve ne peut être surmonté.

 

19                               Selon le raisonnement invoqué pour justifier l’admission et l’utilisation de la preuve de faits similaires en matière d’identification, il est improbable que deux personnes commettent un même crime suivant un même ensemble de caractéristiques.  Ainsi, le jury n’est pas invité à inférer que l’accusé est le genre de personne susceptible de commettre l’infraction, mais plutôt à conclure qu’il est précisément la personne qui a commis cette infraction.  Cette conclusion n’est possible que si les faits présentent un degré de similitude si élevé qu’il est objectivement improbable que cela soit dû à une coïncidence.  Voir Arp, précité, le juge Cory, par. 45 :


 

Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, une preuve de faits similaires est produite à l’égard de la question de l’identité, il doit exister un haut degré de similitude entre les faits pour que la preuve soit admise.  Par exemple, la présence d’une marque ou signature singulière donnera automatiquement aux faits reprochés une « similitude frappante » et les rendra, par conséquent, extrêmement probants et admissibles.  De même, il est possible que, considérées ensemble, un certain nombre de similitudes importantes soient telles que leur effet cumulatif justifie l’admission de la preuve.

 

20                               Dans l’arrêt Arp, le juge Cory a affirmé qu’un degré élevé de similitude était nécessaire pour établir l’improbabilité objective que la participation de l’accusé aux actes reprochés soit le fruit du hasard.  Ce point a été examiné dans l’arrêt Handy, précité, par. 91, où le juge Binnie a assimilé la possibilité d’une coïncidence à une erreur sur l’identité ou sur la nature de l’acte.  Cela signifie que les tribunaux doivent faire montre de prudence lorsqu’ils utilisent une preuve de propension en matière d’identification.  Le tribunal doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la même personne a commis les actes en cause et qu’il peut sans risque affirmer qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence ou d’une erreur sur l’identité.

 

21                               Pour déterminer si la similitude suffit pour justifier l’admission de la preuve, il faut d’abord s’attacher aux faits eux‑mêmes et non à la preuve de la participation de l’accusé à ces faits.  Il faut que les faits présentent un degré élevé de similitude pour que la preuve de ceux-ci soit admissible.  Plus la similitude entre les faits est grande, plus la valeur probante de la preuve de faits similaires est élevée.

 

22                               L’existence de similitudes entre les actes doit être déterminée au cas par cas, après examen de tous les facteurs pertinents.  Voici certains de ces facteurs : proximité dans le temps et dans l’espace, nombre de cas d’actes similaires et existence de similarités du point de vue des détails et des circonstances : voir Handy, précité, par. 82.


 

23                               Une fois que le juge du procès a conclu que le crime en cause et les faits similaires sont vraisemblablement l’œuvre de la même personne, il doit se demander s’il existe des éléments de preuve rattachant l’accusé aux faits similaires.  Ce lien entre l’accusé et les faits similaires est un préalable à l’admissibilité de la preuve : voir les propos suivants tirés de l’arrêt Sweitzer c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 949, p. 954, cités et approuvés dans Arp, précité, par. 54 :

 

Pour que des éléments de preuve soient reçus comme preuve d’actes similaires, il doit y avoir un lien entre les actes que l’on prétend similaires et l’accusé.  En d’autres termes, il doit exister des éléments de preuve qui permettent au juge des faits de conclure à bon droit que les actes similaires que l’on veut invoquer sont effectivement les actes de l’accusé, car il est évident que, s’il ne s’agit pas de ses propres actes mais plutôt de ceux d’une autre personne, ceux‑ci n’ont aucun rapport avec les questions soulevées par l’acte d’accusation.

 

Si les faits similaires invoqués ne sont pas des actes de l’accusé, ils sont alors dépourvus de toute valeur probante.

 

24                               Le critère applicable n’est pas très exigeant.  Le juge du procès doit déterminer s’il existe « des éléments de preuve » rattachant l’accusé aux faits similaires.  Toutefois, la preuve d’une simple opportunité ou possibilité ne suffit pas.

 


25                               Dans une affaire où un groupe est impliqué, le lien entre l’accusé et les actes similaires du groupe est particulièrement important.  Lorsqu’un groupe commet une série de crimes caractérisés par un modus operandi distinctif, comme c’est le cas en l’espèce, la « signature » caractérisant l’infraction est uniquement la « signature » du groupe.  Si la Couronne peut prouver que la composition du gang n’a jamais varié et que, lors de la perpétration de toutes les infractions, tous les membres du gang étaient présents et y ont participé, la signature du groupe devient alors celle de l’accusé et des directives concernant les faits similaires seront vraisemblablement justifiées (pourvu que la valeur probante globale de cette preuve l’emporte sur son caractère préjudiciable).  Toutefois, lorsque la composition du groupe variait, le fait qu’un individu ait pu en être membre à une occasion ne prouve rien d’autre que la simple possibilité qu’il en ait été membre à une autre occasion.  En l’espèce, la preuve des activités du groupe doit être accompagnée d’éléments de preuve rattachant l’individu à chacune des infractions du groupe dont il est accusé, qu’il s’agisse de la preuve du caractère distinctif de son rôle ou d’autres preuves indépendantes.  Sans ce facteur de rattachement supplémentaire, le lien requis entre la preuve de faits similaires et les actes d’un accusé donné n’existe pas et la valeur probante de cette preuve sera insuffisante pour l’emporter sur le préjudice que causerait l’utilisation de celle-ci.

 

B.   Application de la preuve de faits similaires à des crimes commis par des groupes

 

26                               Lorsqu’il est très improbable que les crimes en cause soient l’œuvre de deux groupes différents employant le même modus operandi, on peut avoir recours à une preuve de faits similaires pour étayer l’inférence que tous les actes ont été commis par le même groupe.  Comme l’a signalé la juge Ryan dans ses motifs, au par. 23, [traduction] « [d]ans le cas d’activités imputables à un gang, toutefois, bien qu’il puisse être possible d’identifier plusieurs crimes comme étant l’œuvre d’un groupe, il ne s’ensuit pas de façon certaine que la composition de ce groupe reste la même d’un crime à l’autre. »  Il serait illogique de conclure à la responsabilité d’une personne sans disposer de preuves supplémentaires de sa participation aux faits reprochés.

 


27                               Le ministère public intimé a invoqué une série d’arrêts anglais à l’appui de son argument voulant que la preuve de faits similaires soit utilisable à l’égard de crimes perpétrés par des groupes.  Plus particulièrement, il a fait état des arrêts R. c. Brown, [1996] E.W.J. No. 2403 (QL) (C.A.), et R. c. Lee, [1996] E.W.C.A. Crim. 59 (QL), où la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles (Division criminelle) a dans les deux cas admis des éléments de preuve à charge rattachant l’appelant à un crime commis par un groupe comme éléments de preuve contre l’appelant relativement à une autre infraction.

 

28                               Dans l’arrêt Lee, précité, la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles (Division criminelle) a tiré la conclusion suivante :

 

[traduction] . . . ce qu’il est possible d’appeler une « preuve d’identification d’un groupe » était admissible à l’encontre de chacun des défendeurs, qu’il existât ou non d’autres preuves à charge contre eux individuellement à l’égard du deuxième chef d’accusation.

 

Cependant, la cour a assorti cette affirmation de la réserve suivante :

 

[traduction] La validité de cette conclusion demeure toujours subordonnée à la possibilité que soit présentée, pour le compte de l’un ou l’autre des accusés, à titre individuel, une demande d’évaluation de la force probante générale de la preuve présentée contre eux.

 

29                               De même, la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles (Division criminelle) a déclaré ceci dans l’arrêt Brown, précité, par. 82 :

 


[traduction] Une fois que le jury est convaincu que le même groupe a commis les deux séries d’infraction, il doit se demander, à la lumière de toute la preuve admissible, si la poursuite a prouvé que le défendeur en cause était membre du gang et, lorsque la poursuite affirme que le défendeur faisait partie du gang aux deux occasions, si l’ensemble de la preuve établit ce fait hors de tout doute raisonnable.  [Je souligne.]

 

30                               Après avoir examiné la jurisprudence anglaise, la juge Ryan a conclu que ces arrêts permettaient d’affirmer qu’une preuve de faits similaires identifiant un groupe donné comme étant l’auteur d’une série de crimes peut être prise en compte au procès d’un membre du groupe si la preuve établit davantage que le fait que le même gang a commis deux infractions ou plus.  Je souscris à cette conclusion de la juge Ryan.  Les tribunaux anglais ont considéré l’ensemble de la preuve présentée contre le défendeur en question, pas seulement la preuve de faits similaires relative à un crime commis par un groupe.

 

31                              Dans les affaires impliquant des groupes ou des gangs, il convient, en matière de preuve de faits similaires, de recourir à une analyse dépassant la simple appréciation de la valeur probante de la preuve par rapport à son effet préjudiciable.  Une preuve de faits similaires touchant les activités d’un groupe devrait être jugée admissible pour permettre l’identification d’un groupe ou gang responsable d’un crime particulier.  Dans les cas où, comme en l’espèce, plusieurs crimes ont été commis suivant un modus operandi singulier et où l’improbabilité objective d’une coïncidence est grande, le juge des faits devrait être autorisé à inférer que les crimes sont l’œuvre du même gang.  Lors de la première étape de l’analyse, à savoir l’identification du groupe, le juge des faits peut s’appuyer sur les facteurs énumérés par le juge Binnie dans l’arrêt Handy pour déterminer, suivant le critère formulé dans l’arrêt Arp, si la preuve touchant les activités d’un groupe peut être utilisée pour identifier le groupe responsable d’un autre acte.  Toutefois, lorsque le juge des faits conclut que le même groupe est impliqué, il lui faut alors procéder à la deuxième étape ou évaluation et décider si, en ce qui concerne l’accusé, la force probante de la preuve l’emporte sur son effet préjudiciable.


 

32                               Lorsque la preuve d’infractions similaires commises par un gang est présentée pour identifier non pas le gang lui-même mais un membre en particulier, la poursuite doit prouver l’existence d’un lien suffisant entre l’individu concerné et les crimes du groupe.  Ce lien est considéré comme établi dans les deux cas suivants :

 

(1)  Lorsque la Couronne prouve, d’une part, que la composition du groupe n’a à aucun moment varié, que le gang est toujours resté intact et n’a jamais perpétré d’actes criminels à moins que tous ses membres soient présents, et, d’autre part, que l’accusé était membre de ce groupe et était présent au moment pertinent, ces éléments sont suffisants pour rattacher l’individu aux crimes du groupe et la preuve aura généralement une valeur probante suffisante pour être admise comme preuve de faits similaires.

 

(2)  Lorsque la composition du groupe n’est pas constante, comme c’est le cas en l’espèce, il faut alors démontrer l’existence d’un autre « lien » ou « facteur de rattachement » pour justifier l’utilisation contre l’accusé visé de la preuve concernant les activités du groupe.  Cette condition supplémentaire est remplie dans les cas suivants : a) l’accusé jouait un rôle à ce point distinctif qu’aucun autre membre du groupe ou qui que ce soit d’autre n’aurait pu l’accomplir, et il a en conséquence  nécessairement participé à toutes les infractions; b) il existe des éléments de preuve indépendants rattachant l’accusé à chaque crime.  Sans cette deuxième étape dans l’analyse, on risque de tendre le filet trop largement et, ainsi, de faire que des membres du groupe ayant participé à certains crimes soient à tort déclarés coupables d’autres crimes sur la seule base de leur association au groupe.


33                               Une preuve de faits similaires concernant un groupe peut être utilisée pour identifier un groupe, mais non pour établir la responsabilité de membres donnés.  L’identification du groupe facilite les poursuites dans les cas où il peut être démontré que la composition du groupe était constante et où les divers membres peuvent être identifiés.  Elle n’aura vraisemblablement pas cet effet lorsque la composition du groupe varie, à moins que le rôle tenu par un accusé donné n’ait été suffisamment distinct pour permettre son identification en tant que personne ayant participé à toutes les infractions.

 

34                               Lorsque, comme en l’espèce, la composition du groupe changeait et les rôles joués par l’accusé n’avaient pas un caractère distinctif, la poursuite ne peut présenter de preuve de faits similaires contre ce dernier que s’il a d’abord été rattaché à chacun des crimes.  Dans un tel cas, il est possible que l’inférence ait perdu son utilité, mais toute autre démarche créerait un risque inacceptable de préjudice et ouvrirait la porte aux déclarations de culpabilité erronées.

 

C.  Application à l’espèce

 

35                               Les circonstances de la présente espèce pourraient inciter le tribunal à s’appuyer erronément sur ce qui peut sembler un syllogisme convaincant :

 

Toutes les infractions ont été commises par le gang X.

A était membre du gang X.

Par conséquent, A a été partie à toutes les infractions.

 


Ce syllogisme reste incomplet.  Il ne pourrait s’appliquer que si le ministère public était capable de prouver que la composition du groupe était constante et que tous ses membres ont participé à toutes les invasions de domicile reprochées.

 

36                               La preuve de faits similaires du ministère public faisait ressortir de nombreuses similitudes, notamment les suivantes : la proximité temporelle et géographique des infractions; dans tous les cas des hommes de race blanche et des Asiatiques agissaient de concert; toutes les attaques étaient perpétrées contre des femmes asiatiques d’âge moyen, dans leur domicile; les attaques avaient lieu dans la journée; le modus operandi était identique (un facteur portant un colis se présentait à la porte, le facteur et d’autres membres du groupe maîtrisaient la victime, les assaillants attachaient les occupants avec du ruban adhésif en toile, ils avaient recours à la violence pour maîtriser les victimes et ils exigeaient de l’argent); dans tous les cas des émetteurs-récepteurs portatifs ou des récepteurs à balayage des transmissions de police étaient utilisés.

 

37                               Les similitudes identifiées par le ministère public et décrites par le juge du procès dans ses directives au jury portent uniquement sur le mode de perpétration de l’infraction et non sur des caractéristiques individuelles propres à l’appelant.  Ces similitudes frappantes démontrent que le même groupe a vraisemblablement commis les infractions.  Toutefois, la composition du groupe variait et, à moins de se satisfaire d’hypothèses, les similitudes elles-mêmes ne permettaient pas à un juré de déduire qu’un individu donné ait pu faire partie de ce groupe à plus d’une occasion.

 


38                               Le rôle qu’aurait joué l’appelant dans les infractions a varié lui aussi.  Par conséquent, la participation qu’on lui attribuait ne présentait aucun élément distinctif pouvant être qualifié de signature ou d’habileté singulière susceptible d’aider le jury à l’identifier comme membre permanent ou indispensable du groupe.

 

39                               Exception faite du témoignage du complice (M. Wang), les seuls éléments de preuve incriminant l’appelant étaient ceux se rapportant à l’événement de Fraserview Drive (à l’égard duquel il avait été déclaré coupable), les appels téléphoniques au complice et les biens volés au cours de l’événement de la rue Osler et trouvés dans l’appartement qu’il partageait avec deux autres présumés auteurs de ces crimes.

 

40                               Compte tenu de la composition changeante du gang, le fait que l’appelant ait été un membre du groupe à une occasion, événement à l’égard duquel il a été déclaré coupable, ne suffisait pas pour le rattacher à tous les crimes.  Un lien additionnel était requis entre l’appelant et les crimes du groupe.  Cependant, comme le rôle joué par l’appelant ne présentait pas un caractère distinctif et qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve indépendants rattachant ce dernier aux crimes du groupe, rien ne justifiait de soumettre au jury la preuve de faits similaires relativement à la question de l’identification.

 

41                               En disant au jury que la preuve admise relativement à chacun des trois événements pouvait être utilisée pour établir la culpabilité de chacun des accusés à l’égard de chaque infraction, le juge du procès n’a pas fait la distinction requise entre les individus poursuivis et le groupe qui avait commis les infractions.  Les similitudes concernaient seulement le groupe, dont la composition variait d’une invasion à l’autre.  Toutefois, le juge du procès a donné la directive suivante au jury :

 


[traduction]  Il vous appartient de décider si les caractéristiques d’un événement sont à ce point similaires à celles d’un autre que vous considérez qu’ils sont vraisemblablement l’œuvre d’une même personne.  Si vous estimez probable qu’un accusé faisait partie des auteurs du vol qualifié et des infractions connexes lors d’un événement, vous pouvez conclure, sans toutefois y être obligés, qu’à cause de la similitude des comportements, il est l’auteur du vol qualifié et des infractions connexes dans l’autre événement soumis à votre examen.  [Je souligne.]

 

42                               Inviter le jury à conclure, sur la base de la similitude du modus operandi du groupe, que la participation à une infraction est un indice de la participation aux autres revient à l’inviter à décider sur la base de l’inférence interdite.  Il n’existe aucun fondement logique ou probant permettant de conclure que l’appartenance d’une personne à un groupe et la participation de celle-ci à un crime signifie qu’elle a pris part à d’autres crimes.  L’inférence qui est alors tirée est plutôt que, comme l’appelant a participé à un crime et qu’il est membre du groupe, il est vraisemblablement le genre de personne susceptible de participer à des crimes à plus d’une occasion.  Un tel raisonnement est fragile et doit être évité.

 

43                               En l’absence du lien nécessaire entre l’appelant et chacun des crimes, la valeur probante de la preuve de faits similaires ne l’emportait pas sur le préjudice causé à l’appelant en l’espèce.  Le juge du procès a commis une erreur en soumettant cette preuve au jury et en lui donnant ses directives.

 

VI.  Dispositif

 


44                               Pour que le ministère public puisse invoquer contre un accusé un raisonnement fondé sur la propension de celui-ci à commettre certains crimes, il doit exister suffisamment d’éléments de preuve de la participation de ce dernier aux infractions reprochées.  La preuve relative à une infraction donnée ne peut être utilisée pour établir la participation à d’autres infractions que si les similitudes sont frappantes au point d’exclure toute coïncidence.  Les similitudes entre les événements démontrent que le même groupe a vraisemblablement commis les infractions, mais elles ne révèlent aucune marque ou caractéristique personnelle permettant d’identifier l’appelant.  Dans la présente affaire, la preuve ne justifiait pas de donner au jury des directives concernant l’utilisation d’une preuve de faits similaires.

 

45                               Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné.

 

Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné.

 

Procureurs de l’appelant : Leask Bahen, Vancouver.

 

Procureur de l’intimée : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Vancouver.

 

 

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