Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357
The Law Society of Upper Canada Appelante;
et
Joel Skapinker Intimé;
et
Le procureur général du Canada, le procureur général de l'Ontario, le procureur général de la Saskatchewan, le procureur général du Québec, Federation of Law Societies of Canada‑‑Fédération des Barreaux du Canada, John Calvin Richardson Intervenants.
No du greffe: 17537.
1984: 23 et 24 février; 1984: 3 mai.
Présents: Les juges Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Lamer et Wilson.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Liberté de circulation et d'établissement en matière de travail ‑‑ Adhésion au barreau de l'Ontario limitée aux citoyens canadiens ou autres sujets britanniques ‑‑ L'article 6(2)b) de la Charte crée‑t‑il un droit au travail indépendant de la liberté de circulation et d'établissement dans toute province? ‑‑ L'exigence viole‑t‑elle la Charte et est‑elle donc inopérante? ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 6(2)a),b), (3) ‑‑ Law Society Act, R.S.O. 1980, chap. 233, art. 28c).
Droit constitutionnel ‑‑ Interprétation ‑‑ Rubriques ‑‑ Rôle et importance à accorder aux rubriques dans l'interprétation des articles qui les suivent.
Cette action a été intentée par l'intimé qui, à toutes fins pratiques, a été remplacé par l'intervenant Richardson.
L'intimé, un citoyen sud‑africain résidant au Canada, satisfaisait à toutes les conditions d'adhésion au barreau de l'Ontario, sauf aux exigences en matière de citoyenneté imposées par l'al. 28c) de la Law Society Act. Par avis introductif d'instance, l'intimé a demandé que l'al. 28c) soit déclaré inopérant et sans effet dans la mesure où il établit une distinction entre les citoyens canadiens et les résidents permanents au Canada et, en particulier, qu'il soit déclaré incompatible avec l'al. 6(2)b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Le juge de première instance a conclu que l'al. 28c) était d'application générale et compatible avec l'al. 6(2)b) de la Charte. Ce pourvoi est formé à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel qui a infirmé cette décision.
Arrêt: Le pourvoi est accueilli.
L'alinéa 6(2)b) de la Charte ne crée pas un droit distinct au travail, qui n'a rien à voir avec les dispositions relatives à la liberté de circulation et d'établissement parmi lesquelles il se trouve. Les deux droits (à l'al. a) et à l'al. b)), se rapportent au déplacement dans une autre province, soit pour y établir sa résidence, soit pour y travailler sans y établir sa résidence. L'alinéa b) ne confère pas à un résident permanent un droit constitutionnel indépendant de pratiquer le droit dans la province de résidence qui prévaudrait sur la loi provinciale, par application de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.
La Charte canadienne des droits et libertés n'est pas une loi ordinaire ni même une loi de nature exceptionnelle comme la Déclaration canadienne des droits; il s'agit plutôt d'une partie de la Constitution. Ni la Loi d'interprétation fédérale ni les lois d'interprétation provinciales ne s'appliquent à la Charte.
Les rubriques ont été ajoutées de façon systématique et délibérée et font partie intégrante de la Charte. Si un article précédé d'une telle rubrique est clair et sans ambiguïté, la rubrique n'aura pas pour effet de modifier ce sens. Ici, toutefois, les al. 6(2)a) et b) peuvent recevoir trois interprétations et on doit tenter de concilier la rubrique avec l'article. Les tribunaux, qui ont examiné le rôle des rubriques dans les lois, n'ont pas établi de règles claires quant à leur utilisation pour interpréter les lois. L'influence de la rubrique utilisée pour faciliter l'interprétation des lois dépendra de plusieurs facteurs: la difficulté d'interpréter l'article à cause de son ambiguïté ou de son obscurité, la longueur et la complexité de la disposition, l'homogénéité apparente de la disposition qui suit la rubrique, l'utilisation de termes génériques dans la rubrique, la présence ou l'absence d'un ensemble de rubriques qui semblent séparer les différents éléments de la Charte et le rapport qui existe entre la terminologie employée dans la rubrique et le contenue de la disposition qui la suit.
Jurisprudence: arrêts examinés: Attorney‑General of Canada v. Jackson, [1946] R.C.S. 489; Director of Public Prosecutions v. Schildkamp, [1971] A.C. 1; Brotherhood of Railroad Trainmen v. Baltimore & O. R. Co., 67 S.Ct. 1387 (1947); arrêts mentionnés: Edwards v. Attorney‑General for Canada, [1930] A.C. 124; British Coal Corporation v. The King, [1935] A.C. 500; Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; Marbury v. Madison, 5 U.S. (1 Cranch) 137 (1803); M`Culloch v. State of Maryland, 17 U.S. (4 Wheaton's) 316 (1819); Brodie v. The Queen, [1962] R.C.S. 681; Johnson c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 160; Connell v. Minister of National Revenue, [1946] R.C. de l'é. 562; Eastern Counties Railway v. Marriage (1860), 9 H.L.Cas. 31; Lloyds Bank Ltd. v. Secretary of State for Employment, [1979] 2 All E.R. 573; Malartic Hygrade Gold Mines Ltd. c. La Reine du chef du Québec, [1982] C.S. 1147, 142 D.L.R. (3d) 512; Renvoi sur la compétence du Parlement relativement à la Chambre haute, [1980] 1 R.C.S. 54; Renvoi relatif à la Loi anti‑inflation, [1976] 2 R.C.S. 373; Re Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1983), 4 O.R. (2d) 481, qui a accueilli l'appel d'un jugement du juge Carruthers qui avait rejeté une demande, présentée par avis introductif d'instance, visant à faire déclarer que la Law Society Act, R.S.O. 1980, chap. 233, al. 28c) est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés et donc inopérante. Pourvoi accueilli.
Brendan O'Brien, c.r., pour l'appelante.
Brian Morgan, pour l'intimé.
John H. Sims, pour l'intervenant le procureur général du Canada.
Lorraine E. Weinrib et M. C. Lepofsky, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.
James C. MacPherson, pour l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan.
Réal Forest et Jean‑K. Samson, pour l'intervenant le procureur général du Québec.
P. B. C. Pepper, c.r., et P. D. McCutcheon, pour l'intervenante Federation of Law Societies of Canada‑‑Fédération des Barreaux du Canada.
Shayna Kravetz, pour l'intervenant John Calvin Richardson.
Version française du jugement de la Cour rendu par
1. Le Juge Estey‑‑Par l'alinéa 28c) de la Law Society Act, R.S.O. 1980, chap. 233, la législature de l'Ontario a exigé que tous les membres du barreau de la province soient citoyens canadiens. Au départ, il convient de souligner le plus clairement possible qu'il ne s'agit pas pour cette Cour, dans le présent pourvoi, de déterminer s'il est dans l'intérêt de notre société d'exiger la citoyenneté canadienne comme condition préalable pour devenir membre du barreau. La seule question qui se pose est plutôt de savoir si l'al. 28c) de la Law Society Act, précitée, est incompatible avec l'al. 6(2)b) de la Charte canadienne des droits et libertés.
2. L'intervenant Richardson est citoyen américain et membre du barreau de l'état du Massachusetts. Comme nous le verrons plus loin, c'est l'intimé Skapinker qui a intenté la présente action, mais il a été plus tard remplacé, à toutes fins utiles (après être devenu membre du barreau de l'Ontario), par Richardson qui agissait en qualité d'intervenant lorsqu'il s'est joint aux procédures. Au moment de l'audition du présent pourvoi en cette Cour, Richardson était le seul à vraiment avoir le statut d'intimé dans le pourvoi de la Law Society. Dans les présents motifs, il convient de l'appeler simplement Richardson. Il est aussi résident permanent au Canada, il a obtenu un baccalauréat en droit de l'université Queen's de Kingston (Ontario) en 1980, il a fait son stage dans un cabinet d'avocats de la province pendant l'année qui s'est terminée en juin 1981 et il a complété avec succès tous les cours de formation professionnelle de la Law Society of Upper Canada. Il a franchement exprimé son intention de ne pas devenir citoyen canadien. En conséquence, l'appelante a avisé Richardson qu'il ne serait pas reçu membre du barreau de l'Ontario. L'intimé Skapinker était dans la même situation, mais il est devenu citoyen canadien pendant les présentes procédures et a été reçu au barreau de l'Ontario. Par ordonnance de la Haute Cour de l'Ontario rendue le 13 avril 1983, l'intimé Skapinker a reçu l'autorisation de se désister des présentes procédures, mais il ne l'a pas fait. Bien que sa demande soit devenue caduque, il a comparu par avocat à l'audition du pourvoi devant cette Cour, sans qu'aucune objection ne soit soulevée par les autres parties. Dans l'intervalle, John Calvin Richardson a été ajouté comme intervenant par ordonnance des cours de l'Ontario et les procédures se sont déroulées comme si Richardson en avait été l'initiateur. Tout cela est souligné dès le début en guise d'avertissement à ceux qui, à l'avenir, voudraient imiter cette façon de procéder dans des demandes semblables. La pratique actuelle de cette Cour consiste à exiger que toute personne qui veut participer à un pourvoi devant elle le fasse comme partie à part entière ou qu'elle soit autorisée, par ordonnance de cette Cour, à agir comme intervenant (les renvois et la qualité des provinces dans ces procédures ainsi que les dossiers qui soulèvent des questions constitutionnelles sont traités séparément dans les règles de la Cour). Parce que le présent pourvoi a soulevé des questions importantes et nouvelles relativement à la Charte des droits, on a permis que la cause se déroule telle qu'elle se présente actuellement.
3. Dans l'avis introductif de la présente instance, on a demandé que l'al. 28c) de la Law Society Act, précitée, soit déclaré [TRADUCTION] "inopérant, nul et sans effet dans la mesure où il établit une distinction entre les citoyens canadiens et les résidents permanents au Canada et, en particulier, pour le motif qu'il est incompatible avec l'al. 6(2)b) de la Loi constitutionnelle de 1982 (sic)". En première instance, le juge Carruthers a rejeté la requête en concluant que l'al. 28c) de la Law Society Act, précitée, n'est pas incompatible avec l'al. 6(2)b) de la Charte des droits et que, par conséquent, il n'est pas rendu inopérant par le par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Plus précisément, Sa Seigneurie a conclu que quels que soient les droits que l'intimé puisse avoir en raison de l'al. 6(2)b) de la Charte, la Law Society Act, y compris l'al. 28c), est une loi "d'application générale" au sens du par. 6(3) de la Charte et s'applique donc à l'intimé. Il est donc inutile d'interpréter le sens et l'application des al. 6(2)a) et b) puisque ces droits, quels qu'ils soient, sont "subordonnés" au par. (3). Le juge de première instance a aussi conclu qu'il était inutile d'examiner l'application de l'art. 1 de la Charte qui dispose que les droits et libertés garantis "ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique". Les motifs du juge Carruthers sont maintenant publiés à (1982), 38 O.R. (2d) 116.
4. Le juge Grange, qui a rédigé les motifs de la Cour d'appel à la majorité [(1983), 40 O.R. (2d) 481] (auxquels a souscrit le juge Weatherston), a infirmé la décision de première instance et statué (le juge Arnup étant dissident) que [TRADUCTION] "l'al. 28c) de la Law Society Act, dans la mesure où il ne vise pas les personnes qui ont le statut de résident permanent au Canada, est inopérant à cause de l'al. 6(2)b) de la Charte canadienne des droits et libertés". La mention de "résidents permanents" vise les personnes qui jouissent de ce statut en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 du Canada, 1976‑77 (Can.), chap. 52, art. 2. La cour à la majorité a d'abord analysé l'effet de l'al. 6(2)b) de la Charte et [TRADUCTION] n'a éprouvé "aucune difficulté à l'interpréter" comme accordant à toutes les personnes qui possèdent le statut de résident permanent "le droit de gagner leur vie dans toute province". Dans la mesure où il empêche l'intimé de pratiquer le droit en Ontario, l'al. 28c) est incompatible avec cette disposition et il est nul et sans effet en vertu de l'art. 52 de la Charte. En arrivant à ce résultat, la majorité a rejeté le point de vue que l'art. 6 crée une "liberté de circulation et d'établissement" comme l'indique sa rubrique. En effet, la majorité ne tient pas compte de l'expression "dans toute province", qui revient à plusieurs reprises, de sorte que seul l'al. 6(2)a) exigerait un déplacement de la part d'une personne qui cherche à invoquer le par. 6(2) de la Charte. Donc, selon l'avis de la majorité, le par. 6(2) crée deux droits distincts et l'intimé peut, à titre de résident permanent, se prévaloir du second droit. Le juge Grange a conclu également que l'al. 6(3)a) n'est d'aucun secours à l'appelante. À son avis, la Law Society Act n'est pas une "loi d'application générale"; elle ne touche pas le public en général puisque seul les citoyens canadiens et les sujets britanniques se voient accorder le droit d'être membre du barreau alors que les résidents permanents et les autres étrangers sont exclus. En concluant ainsi, la majorité a exprimé un avis différent de celui du juge Carruthers. La majorité a ainsi conclu que l'art. 1 ne rétablissait pas l'al. 28c) parce que la cour n'a vu aucune justification à la recommandation d'un organisme provincial de continuer d'exiger la citoyenneté canadienne à l'al. 28c), ce point de vue étant étayé par une décision de la Cour suprême des États‑Unis (dans laquelle le Juge en chef et un autre juge sont dissidents), par la Solicitors Act 1974 adoptée par le Royaume‑Uni en 1974 (après l'entrée du Royaume‑Uni dans la Communauté économique européenne) et par une décision rendue, avant l'adoption de la Charte, par un juge seul dans la province de l'Alberta.
5. Dans sa dissidence, le juge Arnup a conclu que l'al. 6(2)b) n'est pas une clause de "droit au travail". Un résident permanent qui a obtenu le droit de travailler où que ce soit au Canada en vertu du par. 2(1) de la Loi sur l'immigration, précitée, et du par. 18(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78‑172, et modifications, ne peut se voir refuser ce droit pour le motif qu'il a résidé ailleurs au Canada à un moment quelconque; il en est ainsi en raison de l'al. b) qui protège les citoyens et les résidents permanents contre l'imposition de [TRADUCTION] "barrières provinciales à quiconque veut travailler". De toute façon, le juge Arnup a conclu que la Law Society Act est "une loi d'application générale" au sens de l'al. (3)a) et, parce que le par. (2) est subordonné au par. (3), la disposition provinciale s'applique pleinement. Le juge Arnup n'a pas jugé nécessaire d'analyser la question de l'art. 1 de la Charte, mais il a "exprimé l'avis" que, d'après les pièces du dossier, l'al. 28c) ne constituait pas une "limite raisonnable" au droit garanti par la Charte, "dont la justification puisse se démontrer" si ce droit est conféré par l'al. 6(2)b).
6. Selon mon interprétation de l'al. 6(2)b) de la Charte canadienne des droits et libertés, il n'est pas nécessaire d'examiner l'effet du par. 6(3) ou la question de la possibilité pour l'appelante d'invoquer l'art. 1 de la Charte, selon le dossier du présent pourvoi.
7. L'intimé soutient que les al. a) et b) créent deux droits distincts et que la rubrique "Liberté de circulation et d'établissement" n'exige pas une interprétation étroite du droit prévu à l'al. b). L'appelante et tous les intervenants, dont le procureur général du Canada, le procureur général de l'Ontario, le procureur général du Québec, le procureur général de la Saskatchewan et la Fédération des Barreaux du Canada, soutiennent que l'al. b) n'est pas simplement une clause de "droit au travail" mais qu'il est fondé sur un élément de mobilité. Certains parmi ceux qui soutiennent ce point de vue ont des divergences d'opinions sur le sens exact à attribuer à l'al. b).
8. Après avoir accordé l'autorisation de pourvoi devant cette Cour, le Juge en chef a formulé la question constitutionnelle suivante:
Dans la mesure où l'alinéa 28c) de la Law Society Act, R.S.O. 1980, chapitre 233, exclut les personnes qui ont le statut de résident permanent du Canada, est‑elle inopérante et sans effet en raison de l'article 6 de la Loi constitutionnelle de 1982?
9. Pour faciliter les choses, il convient de citer l'art. 6 de la Charte et l'al. 28c) de la Law Society Act.
charte canadienne des droits et libertés
...
Liberté de circulation et d'établissement
6. (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir.
(2) Tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au Canada ont le droit:
a) de se déplacer dans tout le pays et d'établir leur résidence dans toute province;
b) de gagner leur vie dans toute province.
(3) Les droits mentionnés au paragraphe (2) sont subordonnés:
a) aux lois et usages d'application générale en vigueur dans une province donnée, s'ils n'établissent entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle;
b) aux lois prévoyant de justes conditions de résidence en vue de l'obtention des services sociaux publics.
(4) Les paragraphes (2) et (3) n'ont pas pour objet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer, dans une province, la situation d'individus défavorisés socialement ou économiquement, si le taux d'emploi dans la province est inférieur à la moyenne nationale.
La Law Society Act, R.S.O. 1980, chap. 233, art. 28:
[TRADUCTION] 28. ...
c) les citoyens canadiens ou autres sujets britanniques
(i) qui sont membres le 31 décembre 1980, ou
(ii) qui, après cette date, complètent avec succès les cours de formation professionnelle du barreau, sont appelés au barreau et sont admis et inscrits comme procureur, ou
(iii) qui, après cette date, viennent de l'extérieur de la province de l'Ontario, sont appelés au barreau et sont admis et inscrits comme procureur,
sont membres et peuvent pratiquer le droit en Ontario, comme avocat et procureur;
...
10. En l'espèce, nous sommes appelés à remplir une tâche nouvelle, savoir interpréter et appliquer la Charte canadienne des droits et libertés adoptée d'abord comme annexe à la résolution du Parlement du 8 décembre 1981, puis comme annexe à la Loi de 1982 sur le Canada, 1982 (R.‑U.), chap. 11. Il ne s'agit pas d'une loi ordinaire ni même d'une loi de nature exceptionnelle comme la Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, appendice III. Il s'agit d'une partie de la constitution d'un pays adoptée selon un processus constitutionnel qui, dans le cas du Canada en 1982, a revêtu la forme d'une loi du Parlement du Royaume‑Uni. Les mécanismes d'adoption peuvent varier d'un pays à l'autre. Ils perdent leur importance ou sont relégués au seul rang de fait historique lors de l'adoption définitive du texte qui sert de constitution. L'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 était un tel texte de loi, même s'il s'agissait seulement d'une loi du Parlement du Royaume‑Uni et d'une loi incomplète en l'absence d'une formule nationale de modification. Quant à l'interprétation et à l'application de ce texte, le Comité judiciaire du Conseil privé pour le Royaume‑Uni qui, jusqu'en 1949, était le tribunal de dernier ressort appelé à trancher des questions constitutionnelles, a affirmé: [TRADUCTION] "L'Acte de l'Amérique du Nord britannique a planté au Canada un arbre susceptible de croître et de se développer à l'intérieur de ses limites naturelles": Edwards v. Attorney‑General for Canada, [1930] A.C. 124, lord Sankey, à la p. 136, qui a réaffirmé cette attitude judiciaire à l'égard d'une [TRADUCTION] "loi constitutive ou organique telle que l'Acte [de l'Amérique du Nord britannique]" dans British Coal Corporation v. The King, [1935] A.C. 500, à la p. 518. Cette Cour a reconnu la distinction entre une simple "interprétation de la loi" et "un rôle constitutionnel", lorsqu'elle a été appelée à déterminer l'effet de la Déclaration canadienne des droits: Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889, à la p. 899, le juge Laskin, alors juge puîné. évidemmment la Déclaration canadienne des droits est, quant à sa forme, identique à toutes les autres lois du Parlement. Elle a été conçue et adoptée en vue de remplir un rôle plus fondamental que les lois ordinaires du pays. Elle ne fait cependant pas partie de la Constitution de ce dernier. Elle se situe probablement quelque part entre une loi ordinaire et un texte constitutionnel. Néanmoins, elle a donné lieu aux principes d'interprétation élaborés par les tribunaux dans le processus d'interprétation et d'application de la Constitution elle‑même.
11. Il y a quelques considérations simples mais importantes qui guident les cours dans l'interprétation de la Charte; elles sont plus en évidence et perceptibles que dans le cas de la Déclaration canadienne des droits. La Charte ne tire pas son origine de l'un ou l'autre niveau de compétence législative du gouvernement, mais de la Constitution elle‑même. Elle appartient au fond même du droit canadien. En réalité, elle est "la loi suprême du Canada": Loi constitutionnelle de 1982, art. 52. Il n'est pas facile de la modifier. Le processus délicat et constant d'ajustement de ces dispositions constitutionnelles est traditionnellement laissé, par nécessité, au pouvoir judiciaire. Il faut maintenir l'équilibre entre la souplesse et la certitude. Il faut, dans la mesure où il est possible de les prévoir, s'adapter dès à présent aux situations futures. La Charte a été conçue et adoptée pour guider et servir longtemps la société canadienne. Une interprétation étroite et formaliste, qui n'est pas animée par un sens des inconnues de l'avenir, pourrait retarder le développement du droit et par conséquent celui de la société qu'il sert. Nous sommes aux prises avec cela depuis longtemps dans le processus de développement des institutions gouvernementales en vertu de l'A.A.N.B., 1867 (maintenant la Loi constitutionnelle de 1867). La Loi constitutionnelle de 1982 apporte une nouvelle dimension, un nouveau critère d'équilibre entre les individus et la société et leurs droits respectifs, une dimension qui, comme l'équilibre de la Constitution, devra être interprétée et appliquée par la Cour.
12. Les tribunaux américains ont presque deux cents ans d'expérience dans l'accomplissement de cette tâche, et l'analyse de leur expérience offre plus qu'un intérêt passager pour ceux qui s'intéressent à cette nouvelle évolution au Canada. Lorsque la Cour suprême des États‑Unis a, pour la première fois, été appelée à surveiller l'évolution constitutionnelle par l'application de la Constitution des États‑Unis qui venait d'être adoptée, le juge en chef Marshall a affirmé, au nom de la Cour:
[TRADUCTION] La question de savoir si une loi incompatible avec la constitution peut devenir la loi du pays revêt une importance majeure pour les États‑Unis, mais heureusement elle n'est pas aussi complexe qu'importante. Pour la trancher, il ne semble nécessaire que de reconnaître certains principes que l'on présume bien établis depuis longtemps. [Marbury v. Madison, 5 U.S. (1 Cranch) 137 (1803), à la p. 175.]
Il procède ensuite à une longue analyse qui n'est pas sans ressembler à celle faite par le Conseil privé et cette Cour en examinant le partage des pouvoirs et les dispositions relatives aux institutions qui se trouvent dans la Constitution telle qu'elle existait, du moins jusqu'en 1981. Quant à la nature d'une constitution écrite relativement aux gouvernements constitutifs, le Juge en chef poursuit, aux pp. 176 et 177:
[TRADUCTION] Tous les auteurs d'une constitution écrite ont certainement voulu en faire la loi fondamentale et suprême de la nation, et, en conséquence, chacun de ces gouvernements doit avoir pour principe qu'une loi de la législature incompatible avec la constitution est nulle.
Cette théorie est un aspect essentiel d'une constitution écrite et, en conséquence, cette Cour doit la considérer comme un des principes fondamentaux de notre société. Il ne faut donc pas l'oublier en poursuivant l'examen du présent sujet.
La Cour aborde ensuite, à la p. 177, le rôle des tribunaux:
[TRADUCTION] Il appartient nettement au pouvoir judiciaire de préciser l'état du droit. Ceux qui appliquent la règle à des cas particuliers doivent nécessairement exposer et interpréter cette règle. Si deux lois entrent en conflit, les cours doivent décider de l'application de chacune d'elles.
Donc, si une loi est incompatible avec la constitution et que la loi et la constitution s'appliquent toutes deux à un cas particulier, de sorte que la cour doit statuer sur ce cas en conformité avec la loi sans tenir compte de la constitution, ou encore en conformité avec la constitution sans tenir compte de la loi, la cour doit déterminer laquelle de ces règles contradictoires s'applique à l'affaire. Cela relève de l'essence même de la fonction judiciaire.
13. Après avoir précisé sa position constitutionnelle, la Cour a, dans l'arrêt M`Culloch v. State of Maryland, 17 U.S. (4 Wheaton's) 316 (1819), analysé les techniques d'interprétation applicables à l'interprétation d'une constitution. Le juge en chef Marshall a affirmé de nouveau au nom de la Cour, à la p. 407:
[TRADUCTION] Si une constitution devait comporter les détails précis de toutes les subdivisions que peuvent comprendre ses pouvoirs étendus et de tous les moyens par lesquels ils peuvent être appliqués, elle aurait la longueur d'un code et pourrait difficilement être saisie par l'intelligence humaine. Le public ne parviendrait probablement jamais à la comprendre. Sa nature exige donc que seules les grandes lignes en soient tracées, que les sujets importants soient mentionnés et que les éléments secondaires qui composent ces sujets soient déduits de leur nature même desdits sujets... Dans l'étude de cette question, alors, nous ne devons jamais oublier que c'est une constitution que nous explicitons.
En reconnaissant que le pouvoir législatif et judiciaire prévu par la Constitution est limité, le Juge en chef des États‑Unis souligne, à la p. 421, que la Cour doit permettre au pouvoir législatif d'exercer le pouvoir discrétionnaire que la Constitution accorde et qui:
[TRADUCTION] ...permet à cet organisme de remplir les hautes fonctions qui lui incombent, de la manière la plus profitable à la population. Si la fin est légitime, si elle se situe dans le cadre de la constitution, tous les moyens appropriés, qui sont manifestement assortis à cette fin et qui ne sont pas prohibés, mais conformes à la lettre et à l'esprit de la constitution, seront constitutionnels.
14. Je reviens à la question clé du présent pourvoi, savoir le sens de l'al. 6(2)b) de la Charte. Il y a, prétend‑on, au moins trois façons possibles d'interpréter le par. 6(2) de la Charte canadienne des droits et libertés adoptée dans la Loi constitutionnelle de 1982, et maintenant comprise dans les Lois constitutionnelles de 1867 à 1982.
1. La conjonction "and" qui se trouve entre les al. a) et b) du texte anglais (mais non dans le texte français) et la rubrique "Liberté de circulation et d'établissement" qui précède tout l'art. 6 permettent d'interpréter le paragraphe comme si les mots "et alors" étaient sous‑entendus entre les deux alinéas, de sorte que les al. a) et b) se liraient de la façon suivante:
Tout citoyen...et...résident permanent ont le droit
a) de se déplacer dans tout le pays et d'établir leur résidence dans toute province; [et alors]
b) de gagner leur vie dans toute province.
2. On peut interpréter séparément les deux alinéas du par. (2) en escamotant la conjonction "and" entre les al. a) et b) du texte anglais, en n'accordant aucune valeur interprétative à la rubrique "Liberté de circulation et d'établissement" et en tenant compte de la présence du par. (4) qui peut indiquer que "circulation et établissement" ne sont pas des éléments nécessaires de chacune des parties de l'art. 6. On peut dire qu'une telle interprétation emporte la reconnaissance de deux droits distincts dans les al. a) et b), le premier étant celui de se déplacer dans tout le pays et de résider dans toute province, le second étant celui, pour un résident permanent, de travailler dans toute province sans être astreint à aucune loi de la province qui, en réalité, vise à restreindre le droit d'un résident permanent d'y travailler.
3. La troisième interprétation de l'al. (2)b) consiste à séparer les deux al. a) et b) comme si la conjonction "and" du texte anglais n'existait pas, mais à interpréter l'al. b) comme s'il comportait un élément de "circulation et d'établissement" obligatoire. L'alinéa b) garantirait alors à un résident permanent le droit de travailler "dans toute province", qu'il ait ou non exercé le droit prévu à l'al. a) de se déplacer dans tout le pays et d'établir sa résidence "dans toute province". On peut dire qu'une telle interprétation a pour effet de séparer les deux alinéas, mais non de les dissocier l'un de l'autre ou du reste de l'article. C'est là le point de vue proposé par Me MacPherson pour le compte du procureur général de la Saskatchewan. La disposition viserait de plus le cas de ceux qui traversent la frontière pour travailler dans la province voisine de leur province de résidence, que le résident permanent ait ou non emménagé, antérieurement ou par la suite, dans la seconde province pour commencer à y travailler ou continuer de le faire.
15. Une bonne partie de l'argumentation a porté sur l'utilisation des rubriques comme moyen d'interprétation des articles mêmes de la Charte. Comme plusieurs dispositions de la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, l'art. 6 est précédé d'une rubrique, savoir "Liberté de circulation et d'établissement". Il y a en réalité douze de ces rubriques dans la partie I qui est elle‑même intitulée "Charte canadienne des droits et libertés". Sauf pour les rubriques ou titres de cette partie même, les six autres parties de la Constitution n'ont pas de rubriques semblables à celles de la partie I, sauf la partie VI qui annonce une modification de la Loi constitutionnelle de 1867, mais qui ne comporte aucune rubrique comparable à celles qu'on trouve dans la partie I. Ces rubriques qui figurent dans la partie I semblent faire partie intégrante des dispositions de la Charte et, en conséquence, être plus importantes que les notes marginales et les titres de chapitre qu'on trouve parfois dans les lois. Dans certains cas, les rubriques de la partie I ont trait à un seul article, comme c'est le cas pour l'art. 6. D'autre fois, les rubriques sont beaucoup moins restreintes en raison des mots qui y sont employés et du nombre d'articles auxquels elles s'appliquent. C'est le cas de la rubrique "Garanties juridiques" qui est suivie de huit articles. En soi, la rubrique est plutôt générale. Ni la Loi d'interprétation fédérale ni les lois d'interprétation provinciales ne s'appliquent à la Charte. La loi provinciale (R.S.O. 1980, chap. 219, art. 9) édicte que les rubriques ne font pas partie d'une loi, mais ne sont là que pour faciliter la consultation. La loi fédérale ne mentionne pas les rubriques, mais seulement les notes marginales qui, précise‑t‑elle, ont été insérées pour la seule commodité de la consultation, et les préambules qui servent "à en expliquer la portée et l'objet" (S.R.C. 1970, chap. I‑23, art. 12 et 13). Il est intéressant de souligner que la Loi d'interprétation fédérale comporte elle‑même des rubriques pour un article et pour des groupes d'articles.
16. Les tribunaux ont examiné le rôle des rubriques dans les lois sans arriver à quelque chose qui ressemblerait à une règle claire quant à leur utilisation dans l'interprétation des lois. Dans l'arrêt Attorney‑General of Canada v. Jackson, [1946] R.C.S. 489, cette Cour a dû interpréter un article d'une loi, lequel faisait partie d'un groupe d'articles précédé d'une rubrique. Aux pages 495 et 496, le juge Kellock, qui a souscrit à l'avis de la majorité quant à l'issue mais a rédigé des motifs distincts, affirme ceci au sujet des rubriques d'une loi:
[TRADUCTION] Lorsque le texte d'un article est ambigu, on peut avoir recours au titre et aux rubriques de la loi où l'article se trouve pour en restreindre ou en étendre le sens selon ce qui correspond le mieux à l'intention de la loi, mais ni le titre ni les rubriques ne peuvent servir à déterminer le sens de mots qui en soi sont clairs et précis: The "Cairnbahn", [1914] P. 25, aux pp. 30 et 38; Fletcher v. Birkenhead Corporation, [1907] 1 K.B. 205, aux pp. 214 et 218.
Le juge Rand, aux motifs duquel trois autres juges de la Cour ont souscrit, n'a pas tenu compte de la présence d'une rubrique dans la Loi de la cour de l'échiquier, S.R.C. 1927, chap. 34, modifiée par 1943‑44 (Can.), chap. 25. La disposition en cause avait été ajoutée par une loi modificatrice qui ne comportait pas une telle rubrique, celle‑ci ayant été insérée au moment de l'adoption initiale de la Loi. Le tribunal de première instance avait tenu pour acquis que le groupe d'articles dont l'article en cause faisait partie était régi par la rubrique. Le juge Rand affirme, à la p. 491:
[TRADUCTION] Quant à la deuxième question, on peut noter que la modification est contenue dans une loi qui n'indique aucunement qu'il faut l'inclure dans le groupe mentionné; on pourrait tout aussi bien la placer sous la rubrique qui précède immédiatement l'art. 51 de la Loi de la cour de l'échiquier, "Effet du paiement ou du jugement". Son contenu n'a rien à voir avec les règles applicables au calcul des dommages‑intérêts et ses termes et son objet sont clairs. Elle aurait pu faire l'objet d'une loi distincte et, dans ce cas, on pourrait difficilement prétendre que ses termes généraux ne s'appliquent pas à une procédure comme celle de l'espèce; je ne vois pas de différence dans la forme qu'on lui a donnée.
17. À la page 141 de son ouvrage Construction of Statutes (2e éd.), E.A. Driedger, c.r., mentionne l'arrêt Jackson précité comme étant un cas où la Cour [TRADUCTION] "a refusé de restreindre la portée d'un article simplement parce qu'il se trouvait dans un groupe d'articles précédé d'une rubrique". À mon avis, l'arrêt Jackson ne fait qu'affirmer que si la mesure en question n'a pas été adoptée sous une rubrique et qu'elle est simplement ajoutée dans une loi sous une rubrique préexistante, il ne faut pas nécessairement l'interpréter en fonction de cette rubrique.
18. Cette Cour a mentionné à d'autres occasions les rubriques dans les lois, mais dans aucun de ces arrêts elle n'a tiré de conclusion quant au principe d'interprétation applicable aux rubriques des lois. Voir: Brodie v. The Queen, [1962] R.C.S. 681, le juge Fauteux, alors juge puîné, à la p. 693 et le juge Ritchie à la p. 708; Johnson c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 160, le juge Ritchie à la p. 172 et le juge Spence aux pp. 180 et 181. Dans Connell v. Minister of National Revenue, [1946] R.C. de l'é. 562, aux pp. 565 et 566, le président Thorson de la Cour de l'échiquier est arrivé à la même conclusion que le juge Kellock dans l'arrêt Jackson, précité, savoir qu'avant de pouvoir recourir à une rubrique dans une loi il faut pouvoir conclure qu'il y a une ambiguïté dans l'article qui est censé être régi par cette rubrique.
19. Les tribunaux du Royaume‑Uni n'ont pas fait beaucoup plus que les tribunaux canadiens quant à l'établissement d'une règle d'interprétation applicable aux rubriques des lois. Dans l'arrêt Eastern Counties Railway v. Marriage (1860), 9 H.L.Cas. 31, à la p. 41, le baron Channell dit:
[TRADUCTION] Ces différentes rubriques ne doivent pas être traitées comme s'il s'agissait de notes marginales ou comme si elles avaient été insérées dans la Loi dans le seul but de classifier les dispositions. Elles constituent une partie importante de la Loi elle‑même. Il faut y voir, je crois, non seulement une explication des articles qui les suivent immédiatement, tout comme on peut se référer au préambule d'une loi pour expliquer ses dispositions, mais, selon moi, un meilleur moyen d'interprétation des articles qui les suivent que celui qu'offre un simple préambule.
En l'espèce, la Cour d'appel a mentionné l'arrêt Director of Public Prosecutions v. Schildkamp, [1971] A.C. 1, où en décidant que l'utilisation que l'on doit faire de ces rubriques doit dépendre des circonstances de chaque cas, l'un des membres de la cour, savoir lord Upjohn, a affirmé, à la p. 28:
[TRADUCTION] À mon avis, on a tort de limiter leur rôle à la solution des ambiguïtés du texte de la loi.
Lorsque la cour qui interprète la loi la lit en entier pour la comprendre, elle doit lire les rubriques aussi bien que le texte de la loi car elles constituent toujours une indication de l'intention que le Parlement avait en adoptant les articles qui les suivent immédiatement. La question de savoir si les rubriques ne sont rien de plus qu'une indication ou une étiquette ou si elles peuvent être utiles pour interpréter ces articles ou même en déterminer le sens ou la portée dépend nécessairement des circonstances de chaque cas, et je ne crois pas qu'il soit possible d'énoncer une règle quelconque.
Sa Seigneurie a conclu que [TRADUCTION] "Le recours aux rubriques permet de dissiper ce doute immédiatement". Plus loin dans ses motifs, Sa Seigneurie compare, à certains égards, une rubrique à un signe de ponctuation. D'autre part, lord Reid fait remarquer, à la p. 10:
[TRADUCTION] De façon stricte, on peut dire qu'il ne faut pas tenir compte de ces [rubriques] puisqu'elles ne proviennent aucunement des délibérations du Parlement.
Sa Seigneurie souligne que les rubriques ne font jamais l'objet d'une modification et qu'en réalité, elles sont changées par les fonctionnaires du Parlement de concert avec les rédacteurs des lois. Il conclut cependant, à la p. 10:
[TRADUCTION] Donc, si la jurisprudence est ambiguë et s'il est possible de trancher la question dans un sens ou dans l'autre, je ne vois pas de mal à tenir compte de toutes ces choses à condition d'être conscient qu'elles ne peuvent avoir la même valeur que les termes mêmes de la Loi. La ponctuation peut faciliter jusqu'à un certain point l'interprétation. Une rubrique doit indiquer la portée des articles qui la suivent, mais il y a toujours une possibilité que la portée de l'un de ces articles ait été élargie par voie de modification.
Lord Hodson fait observer, à la p. 12:
[TRADUCTION] L'interprétation de l'article pertinent ne devrait pas dépendre en définitive de la prise en considération des rubriques même si l'on peut en tenir compte jusqu'à un certain point.
Il poursuit, aux pp. 12 et 13:
[TRADUCTION] Je n'ai pas analysé plus avant la question des rubriques à propos de laquelle on a, à l'occasion, exprimé des avis contradictoires puisque la question ne se pose pas dans le présent appel. Je suis frappé par le fait qu'elles ne font pas partie du texte adopté dans une loi, mais sont ajoutées par les fonctionnaires du Parlement avant de prendre la forme qu'elles ont dans le texte de l'imprimeur du Roi. Je ne leur prêterai donc pas un effet déterminant.
D'autre part, lord Guest a ignoré complètement la question des rubriques parce que le texte de la loi, dans sa version originale, n'en comportait aucune et que l'affaire soumise à la cour devait être tranchée selon le texte de loi qui existait à l'époque et non selon la loi qui comportait les rubriques. Le vicomte Dilhorne a conclu, à la p. 20, que bien qu'on ait le droit de prendre connaissance des rubriques:
[TRADUCTION] ...l'importance qu'on doit leur accorder est, à mon avis, très faible et moindre que celle qu'on doit accorder à un préambule.
...
Elles ne visent pas à déterminer la portée des termes de la Loi et ce serait une erreur de les laisser le faire.
Dans Lloyds Bank Ltd. v. Secretary of State for Employment, [1979] 2 All E.R. 573, le juge Talbot a analysé l'arrêt Schildkamp, précité, et il a conclu, à la p. 577:
[TRADUCTION] Il semblerait donc qu'il est permis de prendre connaissance d'une rubrique et d'en tenir compte pour analyser le texte de la loi qu'elle régit, quoiqu'il faille prendre garde de ne pas lui accorder plus d'importance qu'au texte même de l'article et ne pas en faire un facteur déterminant dans l'interprétation de l'article.
20. Dans l'arrêt Schildkamp, précité, la cour a nettement été influencée par le fait qu'au Parlement du Royaume‑Uni les rubriques sont ajoutées, de la même manière que les notes marginales, par le personnel du Parlement, y compris probablement les rédacteurs et les imprimeurs, et qu'elles ne font pas l'objet de débats dans les Chambres du Parlement. En conséquence, les députés n'ont pas nécessairement connaissance des rubriques au moment de l'approbation d'un projet de loi. Nous n'avons pas ce problème en l'espèce. Au moment de l'adoption de la résolution par le Parlement canadien et de l'adoption de la Loi par le Parlement du Royaume‑Uni, la Charte des droits comportait la rubrique "Liberté de circulation et d'établissement" au dessus de l'art. 6.
21. La Cour suprême des États‑Unis a étudié la pertinence des rubriques dans l'interprétation d'une loi dans l'arrêt Brotherhood of Railroad Trainmen v. Baltimore & O.R. Co., 67 S.Ct. 1387 (1947). Dans cette affaire, la loi en cause comportait une rubrique qui annonçait une application plutôt limitée, sur le plan de la procédure, de la disposition soumise à la cour. Toutefois, comme dans l'affaire Jackson, précitée, on avait ajouté un paragraphe capital quelque temps après l'adoption de la loi qui comportait déjà la rubrique en cause. Au moment de l'adoption initiale de la loi, l'article ne comportait que cinq paragraphes. Tel qu'il se présentait au moment où l'affaire Brotherhood a été soumise à la cour, l'article comportait douze paragraphes et le paragraphe en cause, qui portait le numéro 11, n'avait aucun rapport avec les cinq paragraphes initiaux. Les premiers portaient sur la procédure à suivre devant l'Interstate Commerce Commission et le dernier visait les procédures en général. De plus le comité du Congrès a reconnu, en examinant le projet de loi, que certaines des dispositions additionnelles de l'article portaient sur [TRADUCTION] "quelque chose de plus que ce qui était annoncé par la rubrique [originale]". La cour n'a pas tenu compte de la rubrique en interprétant l'article et le paragraphe en cause. Le juge Murphy, qui a rédigé les motifs de la cour, affirme, à la p. 1392:
[TRADUCTION] Lorsque le texte est complexe et prolixe, les rubriques et les titres peuvent simplement servir à annoncer les dispositions de façon très générale; ...Les facteurs de ce genre ont amené la règle de prudence que le titre d'une loi et la rubrique d'un article ne peuvent restreindre le sens ordinaire du texte.
M. Driedger, dans son ouvrage précité, conclut, à la p. 138:
[TRADUCTION] Les rubriques, tout comme les notes marginales, sont également ajoutées au texte d'une loi, mais elles ne font pas grammaticalement partie du texte adopté. Elles ont cependant plus d'importance que les notes marginales.
L'auteur conclut plus loin, à la p. 147:
[TRADUCTION] Si toutefois le texte de la loi ne permet pas d'en extraire clairement l'objet, alors cette "preuve moindre" acquiert plus d'importance et peut avoir suffisamment de poids pour faire pencher la balance. On prétend ici qu'il est incorrect d'affirmer qu'on ne peut avoir recours au contexte non immédiat que s'il existe un doute sur le sens des mots; il est plus exact de dire que si les mots de la loi ne manifestent pas clairement son objet, il est alors permis de faire appel au contexte non immédiat pour en trouver l'objet.
22. La question du rôle de la rubrique dans l'interprétation des lois paraît non résolue. La même situation prévaut, cela va de soi, lorsque la Cour doit procéder à l'analyse d'une disposition constitutionnelle. Nous sommes en présence d'une charte des droits de la personne enchâssée dans l'ensemble plus vaste qu'est la Constitution. Dès sa première apparition dans le processus constitutionnel, la Charte comportait plusieurs rubriques dont celle en l'espèce. La rubrique "Liberté de circulation et d'établissement" précède un seul article subdivisé en quatre paragraphes. Cela est tout à fait différent de l'article étudié par la Cour suprême des États‑Unis dans l'arrêt Brotherhood, précité. Les différents législateurs peuvent bien avoir voulu qu'un tel document soit lu et interprété par le public en général, et non seulement par les juristes. Il se peut que les rubriques aient été choisies pour faciliter les renvois à un document très important qui comporte trente‑quatre dispositions distinctes qui, pour la plupart, ont leur propre importance. On peut, sans crainte de se tromper, conclure que la Charte des droits sera lue par plus de membres de la société canadienne que toute autre partie des Lois constitutionnelles de 1867 à 1982. Il est manifeste que, quel qu'en soit le but, ces rubriques ont été ajoutées de façon systématique et délibérée de manière à faire partie intégrante de la Charte. La Cour doit, à tout le moins, en tenir compte pour déterminer le sens et l'application des dispositions de la Charte. L'influence qu'aura une rubrique sur ce processus dépendra de plusieurs facteurs dont (sans que cette énumération se veuille exhaustive) la difficulté d'interpréter l'article à cause de son ambiguïté ou de son obscurité, la longueur et la complexité de la disposition, l'homogénéité apparente de la disposition qui suit la rubrique, l'emploi de termes génériques dans la rubrique, la présence ou l'absence d'un ensemble de rubriques qui semblent séparer les divers éléments de la Charte et le rapport qui existe entre la terminologie employée dans la rubrique et le contenu de la disposition qui la suit. Des droits disparates paraîtront moins bien regroupés par une rubrique qu'un ensemble de droits homogène.
23. Il faut à tout le moins examiner la rubrique et, à partir de son texte, tenter de discerner l'intention des rédacteurs du document. Cela constitue tout au plus une étape dans le processus d'interprétation constitutionnelle. Il est difficile de prévoir une situation où la rubrique aura une importance déterminante. D'autre part, il est presque aussi difficile de concevoir une situation où l'on pourrait écarter rapidement la rubrique même si, dans certains cas, comme celui de la rubrique "Garanties juridiques" qui, dans la Charte, est suivie de huit articles disparates, on considérera vraisemblablement la rubrique comme une simple annonce de l'évidence même.
24. Pour les fins de l'analyse du sens des deux alinéas du par. 6(2), je conclus qu'il faut tenter de concilier la rubrique avec l'article qu'elle précède. Si toutefois il devient évident que, dans l'ensemble, l'article est clair et ne comporte pas d'ambiguïté, la rubrique n'aura pas pour effet de modifier ce sens clair et précis. Même dans cette situation intermédiaire, une cour ne doit pas, en adoptant une règle formaliste d'interprétation, se priver de l'avantage qu'elle peut tirer, si mince soit‑il, de l'analyse de la rubrique en tant que partie de l'ensemble du document constitutionnel. J'adopte cette attitude générale que j'estime conforme à l'avis exprimé dans la jurisprudence et la doctrine canadiennes, britanniques et américaines examinées plus haut.
25. Je reviens donc aux mots de l'article lui‑même. "Liberté de circulation et d'établissement" a un sens ordinaire jusqu'à ce qu'on tente de le délimiter. Dans un texte constitutionnel relatif aux droits et libertés de la personne, l'expression "Liberté de circulation et d'établissement" doit s'entendre des droits d'une personne de se déplacer à l'intérieur et à l'extérieur des frontières nationales. Le paragraphe (1) mentionne, par exemple, le droit d'un citoyen d'entrer au Canada et d'en sortir. L'alinéa (3)a) parle de l'exclusion des lois provinciales qui établissent des distinctions entre les personnes fondées sur la province de résidence antérieure ou actuelle et l'al. (3)b) permet l'application des lois provinciales qui imposent de justes conditions de résidence en vue de l'obtention des services sociaux. Le paragraphe (4) a trait à la liberté des personnes de se déplacer et de s'établir à l'intérieur du pays, ou il clarifie simplement le par. (3) qui, lui, a trait à la liberté de se déplacer et de s'établir et le par. (2) dont le rapport avec cette liberté reste à déterminer. Donc le paragraphe (4) est neutre pour ce qui est de clarifier le par. (2) à cause de la présence de la rubrique "Liberté de circulation et d'établissement".
26. Je reviens au par. (2) lui‑même. L'alinéa a) a vraiment trait à la liberté de circulation et d'établissement. Il parle de se déplacer dans tout le pays et d'établir sa résidence dans toute province. Si l'al. b) est lié à l'al. a), il constitue lui aussi une disposition relative à la liberté de circulation et d'établissement. Si, selon une interprétation correcte, il en est distinct, il peut constituer, comme l'intimé le soutient, une clause de "droit au travail" sans qu'il soit question de déplacement comme condition préalable ou autre. La présence de la conjonction "and" dans le texte anglais ne suffit pas, à mon sens, à relier l'al. a) à l'al. b) de manière à créer un seul droit. Inversement, l'absence de conjonction dans le texte français ne suffit pas à séparer les deux alinéas complètement. Selon la première interprétation susmentionnée, si le par. (2) crée un seul droit, alors la division en al. a) et b) est superflue. De plus, cette façon d'interpréter le par. 6(2) est incompatible avec le par. 6(3) qui assujettit les "droits mentionnés au paragraphe (2)" à certaines restrictions. (C'est moi qui souligne.)
27. Suivant l'autre interprétation mentionnée ci‑dessus, la séparation totale des al. a) et b), à laquelle il faut procéder pour extraire de l'al. b) une clause distincte de "droit au travail", ne tient pas compte de la présence de l'expression "dans toute province" à l'al. b). Sous réserve d'une autre considération, cet alinéa créerait un tel droit si cette expression ne s'y trouvait pas. Interpréter l'al. b) comme si l'expression "dans toute province" ne s'y trouvait pas entraîne un résultat qui frôle l'absurde. L'alinéa b) serait, parmi ceux qui l'entourent, hors contexte sous la rubrique "Liberté de circulation et d'établissement". Bien que cette rubrique ne soit pas d'une importance déterminante, elle doit quand même avoir un minimum de pertinence. Sa pertinence se limite peut‑être à écarter un sens qui, parmi deux interprétations possibles, ne concorde pas avec le sens clair de la rubrique elle‑même. L'interprétation proposée par l'intimé ferait de l'al. b) une disposition qui aurait un effet particulier et serait fort peu susceptible d'être insérée comme alinéa d'une disposition qui a trait au déplacement des gens. En outre, il aurait simplement pour effet de proclamer un droit historique et évident dans le cas des citoyens canadiens et il entraînerait le gel constitutionnel de la catégorie de "résident permanent" qui n'est apparue que récemment dans la loi fédérale sur l'immigration. Si on retranchait de l'al. b) l'expression "dans toute province", le citoyen ou le résident permanent n'aurait pas un droit clair et précis de traverser une frontière provinciale pour exercer un emploi régulier. Il y a lieu d'observer que l'expression restrictive "dans toute province" ne revient nulle part ailleurs dans la Charte et qu'il ne faudrait pas la supprimer à la légère du par. 6(2). Cette condition limitative ne se retrouve pas, par exemple, à l'al. (2)d) ou à l'art. 8.
28. Il est donc raisonnable de conclure que l'al. 6(2)b) ne doit pas s'interpréter indépendamment de la nature des droits conférés au par. (1) et à l'al. (2)a). En réalité, la répétition de l'expression "dans toute province" dans chacun des alinéas du par. (2) semblerait justifier la rubrique "Liberté de circulation et d'établissement". L'expression "dans toute province" semblerait constituer un lien supplémentaire entre la rubrique et les droits accordés par le par. (2) dans son ensemble. Il ne faut pas non plus interpréter le par. 6(2) comme une disposition distincte, complètement séparée du par. 6(3). Comme je l'ai déjà mentionné, le par. 6(3) parle de "droits", au pluriel, accordés par le par. 6(2) et établit une exception à la prépondérance de ces droits. À mon avis, l'al. 6(3)a) démontre encore mieux l'intention de garantir la possibilité de se déplacer librement partout au Canada sans être gêné par des lois qui "établissent [des] distinction[s]...fondée[s] principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle". Les derniers mots de l'al. 6(3)a), que je viens tout juste de citer, étayent la conclusion que l'al. 6(2)b) vise la "liberté de circulation et d'établissement" et non pas à établir un droit distinct au travail. L'interprétation de l'al. 6(2)b) en fonction des exceptions énoncées à l'al. 6(3)a) permet également d'expliquer pourquoi les mots "dans toute province" sont utilisés: en vertu de l'al. 6(2)b), les citoyens et les résidents permanents ont le droit de gagner leur vie dans toute province, mais ce droit est subordonné aux lois et usages "d'application générale" dans cette province qui n'établissent aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence.
29. Plusieurs considérations militent en faveur de la troisième interprétation de l'al. b) précitée. Cette interprétation a pour effet de donner à l'al. b) un sens compatible avec la rubrique de l'art. 6. Celui qui traverse une frontière interprovinciale pour se rendre à son travail a, en vertu de l'al. b), le droit de travailler sans avoir à établir sa résidence dans la province où il travaille, en application du droit conféré par l'al. a). Il y a une distinction de rôle et d'objet entre les al. a) et b) et la nécessité de dispositions distinctes se trouve démontrée. La présence de l'al. 6(3)a), déjà analysé, est une autre considération en faveur de cette interprétation.
30. Cette interprétation trouve un certain appui dans les motifs du juge Arnup de la Cour d'appel où il affirme, à la p. 492:
[TRADUCTION] Il s'agit d'une disposition qui vise à empêcher toute province d'établir des barrières qui interdiraient aux personnes d'une autre province de joindre sa main‑d'oeuvre, dans le cadre d'une politique visant à favoriser ses propres résidents. Le résident permanent qui se rend dans une autre province a le droit d'y gagner sa vie qu'il soit avocat ou mécanicien de classe "A"...
Un peu plus loin dans ses motifs, Sa Seigneurie affirme:
[TRADUCTION] À mon avis, ce droit est, pour quiconque veut travailler, celui de ne pas se voir imposer des barrières provinciales. ... Il ne lui est pas imposé de barrières provinciales qui l'empêchent, à titre de résident permanent au Canada, de se déplacer librement partout au Canada dans le but de gagner sa vie.
La décision rendue par le juge en chef Deschênes dans Malartic Hygrade Gold Mines Ltd. c. La Reine du chef du Québec, [1982] C.S. 1147, 142 D.L.R. (3d) 512, est aussi instructive. Le Juge en chef avait à déterminer le sens et la portée de l'al. 6(2)b) quant à la revendication du droit d'un avocat de l'Ontario d'agir dans une procédure judiciaire au Québec sans avoir obtenu un permis ou une licence du barreau du Québec conformément à la loi québécoise. Le Juge en chef dit à propos de l'al. b):
Cette disposition vise sans doute à donner à la citoyenneté canadienne son sens véritable et à prévenir l'érection de murailles artificielles entre les provinces.
Il ajoute plus loin, quant à l'art. 6:
En principe la Charte veut donc assurer la mobilité interprovinciale.
L'objet principal de la décision du Juge en chef est toutefois le par. 6(3) qui ne nous intéresse que de façon indirecte.
31. Cette conclusion quant au sens et à l'objet de l'al. 6(2)b) se trouve également étayée par les écrits de tous les auteurs dont les ouvrages ont été portés à l'attention de la Cour: voir Mobility Rights under the Charter, professeur John Laskin, (1982), 4 Supreme Court L.R. 89, aux pp. 97 et 98; Canadian Charter of Rights and Freedoms, 1982, Tarnopolsky et Beaudoin, éditeurs, plus particulièrement Pierre Blanche, "The Mobility Rights", à la p. 247; Canada Act 1982, Annotated, Peter Hogg, à la p. 25.
32. Tous les avocats ont fait porter une bonne partie de leur argumentation sur l'historique de l'art. 6 au cours de l'élaboration de la Charte des droits et de son incorporation dans le processus constitutionnel, qui ont abouti à la résolution du Parlement du Canada adoptée en 1981. On a cité des déclarations faites par le ministre de la Justice de l'époque à la Chambre des communes en 1980 et 1981. On a également signalé à la Cour les déclarations du premier ministre de la province de Québec mentionnées dans la décision Malartic précitée. Dans le Renvoi sur la compétence du Parlement relativement à la Chambre haute [le Renvoi sur le Sénat], [1980] 1 R.C.S. 54, à la p. 66, la Cour affirme à propos de documents semblables qu'on lui a présentés:
Il convient, croyons‑nous, d'examiner la situation historique qui a suscité les dispositions de l'Acte pour l'institution du Sénat comme partie du système législatif fédéral. Pendant les débats de la Conférence de Québec en 1864, beaucoup de temps a été consacré à la discussion des dispositions relatives au Sénat.
La pratique consistant à élargir la portée du dossier dans les affaires constitutionnelles soumises à cette Cour a commencé à l'occasion de pourvois antérieurs: voir Renvoi relatif à la Loi anti‑inflation, [1976] 2 R.C.S. 373 et, plus récemment, Re Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714. La pratique antérieure suivie en matière constitutionnelle devant cette Cour et devant le Conseil privé, en vertu de laquelle les documents historiques étaient exclus, a été largement critiquée dans les ouvrages de droit constitutionnel: voir, par exemple, Hogg, Constitution of Canada, p. 97. À l'occasion du présent pourvoi, la Cour a accepté ces documents historiques. Je n'ai pas jugé nécessaire d'y recourir pour interpréter l'art. 6. Par conséquent, je ne veux pas que l'on considère que ce pourvoi est déterminant, dans un sens ou dans l'autre, quant à la justesse de permettre que de tels documents soient versés au dossier dans le cadre du processus d'interprétation constitutionnelle.
33. Pour ces motifs, je conclus que l'al. 6(2)b) ne crée pas un droit distinct au travail qui n'a rien à voir avec les dispositions relatives à la liberté de circulation et d'établissement parmi lesquelles il se trouve. Les deux droits (à l'al. a) et à l'al. b)) se rapportent au déplacement dans une autre province, soit pour y établir sa résidence, soit pour y travailler sans y établir sa résidence. L'alinéa b) ne confère donc pas à Richardson un droit constitutionnel distinct de pratiquer le droit dans sa province de résidence qui prévaudrait sur la disposition provinciale qu'est l'al. 28c) de la Law Society Act, par application de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.
34. Après cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'étudier les arguments soumis par toutes les parties et les intervenants à propos du par. 6(3) et de l'art. 1 de la Charte des droits. Richardson n'a pas réussi à prouver que l'al. 28c) de la Law Society Act est incompatible avec l'al. 6(2)b) de la Charte. En conséquence, je n'ai pas à me prononcer sur la question de savoir si le par. 6(3) ou l'art. 1 de la Charte permettent néanmoins de sauver la Loi.
35. L'évolution de la Charte dans notre droit constitutionnel doit nécessairement se faire avec prudence. Lorsque les questions soulevées n'exigent pas de commentaires sur ces nouvelles dispositions de la Charte, il vaut mieux ne pas en faire. Il se présentera des cas où des opinions incidentes ou l'anticipation de questions permettront d'orienter utilement la société canadienne et plus particulièrement le processus constitutionnel en évolution. Dans ces cas, la Cour pourrait bien élargir ses motifs de jugement au delà de ce qui est nécessaire pour trancher les questions soulevées. L'espèce pourrait, jusqu'à un certain point, constituer un tel cas. Depuis le début des présentes procédures, l'appelante a invoqué l'art. 1 de la Charte comme critère ultime de la constitutionnalité de l'al. 28c) de la Law Society Act, précitée. À cette fin, on a présenté un dossier réduit à l'essentiel de ce qui était nécessaire pour démontrer que l'exigence de la citoyenneté était justifiée en tant que "limite raisonnable" aux droits conférés par la Charte. Le document soumis par l'appelante à l'appui de cette partie de sa réponse à la demande de l'intimé consiste en un rapport d'un comité créé par la province pour étudier les associations professionnelles en Ontario, lequel rapport reprend les conclusions d'une commission d'enquête antérieure. L'intervenante, la Fédération des Barreaux du Canada, a ajouté d'autres rapports et documents relatifs aux exigences imposées dans d'autres professions et d'autres provinces. L'avocat de la Law Society, Me O'Brien, a très franchement reconnu que parce que l'art. 1 et ce processus même étaient nouveaux pour tout le monde, le dossier présenté par l'appelante était plutôt mince. L'avis introductif de la présente instance est l'un des premiers produits relativement à la Charte. Avec l'expérience, les avocats et les tribunaux établiront des critères et des pratiques qui permettront aux parties de faire la preuve de leurs prétentions relativement à l'art. 1, et aux tribunaux de trancher les questions que cette disposition pourra soulever. Qu'il soit simplement dit ici, dans le but d'aider ceux qui se présenteront dans des procédures analogues, que le dossier portant sur l'art. 1 était effectivement réduit à sa plus simple expression et, à défaut d'autres choses, il aurait difficilement permis à une cour de trancher la question de savoir si on avait démontré que la limite imposée à un droit garanti était raisonnable et justifiée. Ce sont là des problèmes de pionnier et tout devient clair après coup.
36. Je suis donc d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir l'ordonnance rendue par le juge Carruthers en chambre. L'adjudication de dépens dans la présente procédure soulève des difficultés inhabituelles. Jusqu'à la Cour d'appel, l'intimé Skapinker était la seule partie à s'opposer à la Law Society. Il a été reçu au barreau de l'Ontario en avril 1983. Dans l'intervalle, Richardson a été ajouté comme intervenant le 15 mars 1983, après que l'autorisation de pourvoi devant cette Cour eut été accordée. Par la même ordonnance du 15 avril 1983, l'intimé Skapinker a été [TRADUCTION] «autorisé à se retirer du dossier à compter du 15 mars 1983, s'il le jugeait à propos...» Skapinker ne s'est pas retiré du dossier et a même participé à l'audition du présent pourvoi. D'autre part, Richardson n'a participé aux présentes procédures qu'après que cette Cour eut accordé l'autorisation de pourvoi en février 1983. L'ordonnance qui accorde à la Law Society appelante l'autorisation de se pourvoir est assortie de la condition que l'appelante paie [TRADUCTION] "les dépens de la présente requête et ceux du pourvoi en tout état de cause". Le juge de première instance a accordé des dépens contre l'intimé Skapinker, si on en faisait la demande. La Cour d'appel n'a pas adjugé de dépens.
37. Dans ces circonstances très inhabituelles et après avoir soupesé de mon mieux les intérêts des parties, je suis d'avis d'accorder à l'intimé Skapinker les dépens de la requête en autorisation de pourvoi et ceux en Cour d'appel de l'Ontario, ainsi que les dépens payables par l'appelante à l'intimé Skapinker et à l'intervenant Richardson quant à l'audition du présent pourvoi. Je suis d'avis d'annuler l'adjudication de dépens faite en première instance de sorte qu'en définitive il n'y aura pas d'adjudication de dépens à l'égard de l'audition devant le juge Carruthers.
Pourvoi accueilli.
Procureurs de l'appelante: Phelan, O'Brien, Shannon & Lawer, Toronto.
Procureurs de l'intimé: Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.
Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: R. Tassé, Ottawa.
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Archie Campbell, Toronto.
Procureur de l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan: Richard F. Gosse, Regina.
Procureur de l'intervenant le procureur général du Québec: Daniel Jacoby, Québec.
Procureur de l'intervenante Federation of Law Societies of Canada‑‑Fédération des Barreaux du Canada: Fraser & Beatty, Toronto.
Procureur de l'intervenant John Calvin Richardson: Harvey Berkal, Toronto.