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Droit constitutionnel — Modification de la Constitu­tion — Pouvoir de modification — Pouvoir des deux chambres fédérales de procéder par résolution lorsque cela a un effet sur les relations fédérales-provinciales — Une convention peut-elle se cristalliser en règle de droit? — Souveraineté des provinces à l’égard de leurs pouvoirs en vertu de l’A.A.N.B. — Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, 1867 (R.-U.), chap. 3 et modifications, art. 18, 91, 92, 146 — Statut de West­minster, 1931, 1931 (R.-U.), chap. 4, art. 2, 3, 4, 5, 7—Loi sur le Sénat et la Chambre des communes, S.R.C. 1970, chap. S-8, art. 4, 5 — Bill of Rights, 1689 (Angl.), chap. 2, art. 9.

Droit constitutionnel — Convention constitutionnelle — Modification de la Constitution — Projet de modifi­cation de la Constitution ayant un effet sur les pouvoirs provinciaux — Huit provinces opposées à la résolution — Le consentement des provinces est-il requis par convention constitutionnelle? — Degré de consentement — Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, 1867 (R.-U.), chap. 3 et modifications, art. 9, 15, 91(1), 92(1), 92(5) — Statut de Westminster, 1931, 1931 (R.-U.), chap. 4, art. 7(1).

Les renvois découlent de l’opposition de huit provinces à un projet de résolution publié le 2 octobre 1980. Le projet contient une adresse à Sa Majesté la Reine du chef du Royaume-Uni et une loi qui porte en annexe un autre projet de loi qui prévoit le rapatriement de l’A.A.N.B., assorti d’une procédure de modification et d’une Charte des droits et libertés. Seules l’Ontario et le Nouveau-Brunswick ont donné leur approbation au projet. A l’exclusion de la Saskatchewan, les autres provinces fondent leur opposition sur l’affirmation qu’à la fois conventionnellement et juridiquement, le consen­tement de toutes les provinces est nécessaire pour que l’adresse avec les lois en annexe puisse être soumise à Sa Majesté. Le projet a été adopté par la Chambre des communes et le Sénat les 23 et 24 avril 1981.

Voici les réponses de la Cour aux questions I, 2 et 3 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve:

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Question 1—L’adoption des modifications ou de certai­nes des modifications que l’on désire apporter à la Constitution du Canada par le «Projet de résolution portant adresse commune à Sa Majesté la Reine concer­nant la Constitution du Canada» aurait-elle un effet sur les relations fédérales-provinciales ou sur les pouvoirs, les droits ou les privilèges que la Constitution du Canada accorde ou garantit aux provinces, à leurs législatures ou à leurs gouver­nements et, dans l’affirmative, à quel(s) égard(s)?

 

Réponse —Oui.

 

Question 2—Y a-t-il une convention constitutionnelle aux termes de laquelle la Chambre des communes et le Sénat du Canada ne peuvent, sans le consentement préalable des provinces, demander à Sa Majesté la Reine de déposer devant le Parlement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’lrlande du Nord un projet de modifica­tion de la Constitution du Canada qui a un effet sur les relations fédérales-provin­ciales ou les pouvoirs, les droits ou les privilèges que la Constitution du Canada accorde ou garantit aux provinces, à leurs législatures ou à leurs gouvernements?

 

Réponse — Oui.

 

Le Juge en chef et les juges Estey et McIntyre dissidents répondraient «non».

 

Question 3—Le consentement des provinces est-il cons­titutionnellement nécessaire pour modifier la Constitution du Canada lorsque cette modification a un effet sur les relations fédérales-provinciales ou altère les pou­voirs, les droits ou les privilèges que la Constitution du Canada accorde ou garantit aux provinces, à leurs législatures ou à leurs gouvernements?

 

Réponse —Pour les motifs donnés en réponse à la question 2, du point de vue de la conven­tion constitutionnelle «oui». Le Juge en chef et les juges Estey et McIntyre dissi­dents répondraient «non».

 

— Du point de vue juridique «non». Les juges Martland et Ritchie dissidents répon­draient «oui».

 

Voici la réponse de la Cour à la question 4 du renvoi de Terre-Neuve:

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Question 4—Si la partie V du projet de résolution dont il est fait mention à la question 1 est adoptée et mise en vigueur, est-ce que

a) les conditions de l’union, dont les con­ditions 2 et 17 qui se trouvent à l’an­nexe de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1949 (12-13 George VI, chap. 22 (R.-U.)) ou

b) l’article 3 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1871 (34-35 Victo­ria, chap. 28 (R.-U.))

pourraient être modifiés directement ou indirectement en vertu de la partie V, sans le consentement du gouvernement, de la législature ou d’une majorité de la popula­tion de la province de Terre-Neuve expri­mant son vote dans un référendum tenu en vertu de la partie V?

 

Réponse — Celle exprimée dans les motifs de la Cour d’appel de Terre-Neuve avec la modifica­tion apportée dans les motifs de cette Cour.

 

Voici les réponses de la Cour aux questions A et B du renvoi du Québec:

 

Question A—La Loi sur le Canada et la Loi constitu­tionnelle de 1981 si elles entrent en vigueur et si elles sont valides à tous égards au Canada, auront-elles pour effet de porter atteinte:

(i) à l’autorité législative des législatures provinciales en vertu de la constitution canadienne?

(ii) au statut ou rôle des législatures ou gouvernements provinciaux au sein de la fédération canadienne?

 

Réponses —(i) Oui.

(ii) Oui.

 

Question B—La constitution canadienne habilite-t-elle, soit par statut, convention ou autrement, le Sénat et la Chambre des communes du Canada à faire modifier la constitution canadienne sans l’assentiment des provinces et malgré l’objection. de plusieurs d’en­tre elles de façon à porter atteinte:

 

(i) à l’autorité législative des législatures provinciales en vertu de la constitution canadienne?

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(ii) au statut ou rôle des législatures ou gouvernements provinciaux au sein de la fédération canadienne?

Réponses –

(i) a) par statut, non;

b) par convention, non.

Le Juge en chef et les juges Estey et McIntyre répondraient qu’il n’y a pas de convention à l’effet contraire.

c) du point de vue juridique, oui.

Les juges Martland et Ritchie dissi­dents répondraient «non».

(ii) a) par statut, non;

b) par convention, non.

Le Juge en chef et les juges Estey et McIntyre répondraient qu’il n’y a pas de convention à l’effet contraire.

c) du point de vue juridique, oui.

Les juges Martland et Ritchie dissi­dents répondraient gnon».

 

La Partie I traite des questions 1 et 3 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve et de la question 4 du renvoi de Terre-Neuve, de la question A du renvoi du Québec et de l’aspect juridique de la question B de ce renvoi. La Partie II traite de la question 2 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve et de l’aspect convention­nel de la question B du renvoi du Québec.

 

—I—

Le juge en chef Laskin et les juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer: Le projet de résolution demandant la modification de la constitution canadienne par le Parlement de Westminster relève de la compétence législative des chambres du Parlement du Canada bien que cela ait un effet sur les pouvoirs législatifs provinciaux. En procédant sans l’assentiment des provinces, les chambres n’ont violé aucun principe juridique régissant le fédéralisme: l’exigence du consen­tement des provinces ne s’est pas cristallisée en règle de droit. Le pouvoir des deux chambres d’adopter leurs propres procédures, et donc les résolutions, est total et n’a de toute façon aucun effet sur la compétence du Parlement de Westminster de donner suite à la résolution.

Les juges Martland et Ritchie (dissidents): Le projet de résolution porte atteinte au principe fédéral qui, à partir d’une analyse de pratiques antérieures, a été adopté et intégré dans le mécanisme de la procédure de résolution. Cette procédure, le moyen reconnu de faire effectuer des modifications constitutionnelles par le Parlement

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impérial, n’est pas seulement une procédure interne. Malgré l’accession du Canada à la souveraineté, le Parlement fédéral n’a ni le pouvoir législatif d’adopter pareille résolution ni celui de mettre en oeuvre une mesure contraire à l’A.A.N.B. Pareille action va à l’encontre d’une convention établie et constitue l’exercice d’un pouvoir inexistant. Il y a également excès de pouvoir des deux chambres fédérales à faire effectuer pareille modification par l’intermédiaire du Parlement impérial.

[Jurisprudence: Madzimbamuto v. Lardner-Burke and George, [1969] 1 A.C. 645; Renvoi relatif à The Weekly Rest in Industrial Undertakings Act, [1936] R.C.S. 461; Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Ontario (l’affaire des Conventions de tra­vail), [1937] A.C. 326; Renvoi sur le pouvoir de réserve et de désaveu des lois provinciales, [1938] R.C.S. 71; British Coal Corp. and Others v. The King, [1935] A.C. 500; Attorney-General v. Jonathan Cape Ltd. and Others, [1976] 1 Q.B. 752; Commercial Cable Co. v. Government of Newfoundland, [1916] 2 A.C. 610; Alexander E. Hull & Co. v. M’Kenna, [1926] I.R. 402; Copyright Owners Reproduction Society Ltd. v. E.M.I. (Australia) Proprietary Ltd. (1958), 100 C.L.R. 597; Blackburn v. Attorney-General, [1971] 2 All E.R. 1380; Renvoi: Compétence du Parlement relativement à la Chambre haute (Renvoi sur le Sénat), [1980] 1 R.C.S. 54; Madden v. Nelson and Fort Sheppard Railway Co., [1899] A.C. 626; Ladore v. Bennett, [1939] A.C. 468; Hodge v. The Queen (1883), 9 App. Cas. 117; Liquidators of the Maritime Bank of Canada v. Receiver-General of New Brunswick, [1892] A.C. 437; Renvoi: Offshore Mineral Rights of British Columbia, [1967] R.C.S. 792; Attorney General of Nova Scotia c. Attor­ney General of Canada (l’affaire de la Délégation inter-parlementaire), [1951] R.C.S. 31; Re Delegation of Legislative Jurisdiction, [1948] 4 D.L.R. I.]

—II—

Les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer: Un degré appréciable de consentement provincial, que les politiciens et non les tribunaux doi­vent fixer, est conventionnellement nécessaire pour modifier la constitution canadienne. La convention existe parce que le principe fédéral est inconciliable avec un état des affaires où l’action unilatérale des autorités fédérales peut entraîner la modification des pouvoirs législatifs provinciaux. Le projet de modification n’est pas divisible malgré le fait que la Charte des droits aille à l’encontre du principe fédéral et qu’il n’en soit pas de même du projet de formule de modification.

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Le juge en chef Laskin et les juges Estey et McIntyre (dissidents): La constitutionnalité et la légalité sont synonymes dans un régime fédéral et les conventions constitutionnelles ne peuvent recevoir la signification qu’elles peuvent avoir dans un État unitaire. En l’espèce, la Cour doit seulement reconnaître ou nier l’existence de la convention. Vu le manque de clarté du concept, la controverse de longue date entre politiciens et l’absence d’acceptation par l’entité souveraine d’être ainsi liée, il n’existe aucune convention exigeant le consentement de toutes les provinces. Le fédéralisme canadien, caracté­risé par la primauté du fédéral, n’est pas mis en danger par le changement unilatéral provoqué par le gouvernement fédéral.

[Jurisprudence: Renvoi: Compétence du Parlement relativement à la Chambre haute (Renvoi sur le Sénat), [1980] 1 R.C.S. 54; Renvoi: Waters and Water-Powers, [1929] R.C.S. 200; Reference as to the Effect of the Exercise of the Royal Prerogative of Mercy upon Deportation Proceedings, [1933] R.C.S. 269; Bonanza Creek Gold Mining Co. v. The King, [1916] 1 A.C. 566; Liquidators of the Maritime Bank of Canada v. Recei­ver-General of New Brunswick, [1892] A.C. 437; Attorney-General of Ontario v. Mercer (1883), 8 App. Cas. 767; Attorney-General of British Columbia v. Attorney-General of Canada (1889), 14 App. Cas. 295; R. v. Attorney General of British Columbia, [1924] A.C. 213; Renvoi sur le pouvoir de réserve et de désaveu des lois provinciales, [1938] R.C.S. 71; Wilson v. Esquimalt and Nanaimo Railway Co., [1922] 1 A.C. 202; Gallant v. The King, [1949] 2 D.L.R. 425; Stockdale v. Hansard (1839), 9 Ad. and E. l; Commonwealth v. Kreglinger (1926), 37 C.L.R. 393; Liversidge v. Anderson, [1942] A.C. 206; Carltona Ltd. v. Commis­sioners of Works, [1943] 2 All E.R. 560; Adegbenro v. Akintola, [1963] A.C. 614; Ibralebbe v. The Queen, [1964] A.C. 900; Arseneau c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 136; Procureur général du Québec c. Blaikie et autres, [1981] 1 R.C.S. 312.]

POURVOIS à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba[1], d’un arrêt de la Cour d’ap­pel de Terre-Neuve[2] et d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec[3], relatifs à un projet de résolu­tion portant adresse commune à Sa Majesté la Reine concernant la Constitution du Canada.

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J. Robinette, c.r., John Scollin, c.r., et Michel Robert, pour le procureur général du Canada (dans l’affaire du renvoi à la Cour d’appel du Manitoba).

Clyde K. Wells, c.r., Barry Strayer, c.r., et Barbara Reed, pour le procureur général du Canada (dans l’affaire du renvoi à la Cour d’appel de Terre-Neuve).

Michel Robert, Raynold Langlois et Louis Rey­nolds, pour le procureur général du Canada (dans l’affaire du renvoi à la Cour d’appel du Québec).

A. Kerr Twaddle, c.r., Douglas A.J. Schmeiser et Brian F. Squair, pour le procureur général du Manitoba.

John J. O’Neill, c.r., John J. Ashley et James L. Thistle, pour le procureur général de Terre-Neuve.

Colin K. Irving, Georges Emery, c.r., Lucien Bouchard et Peter S. Martin, pour le procureur général du Québec.

Kenneth Lysyk, c.r., Darryl Bogdasavich et John D. Whyte, pour le procureur général de la Saskatche­wan.

Ross W. Paisley, c.r., et William Henkel, c.r., pour le procureur général de l’Alberta.

D. M. M. Goldie, c.r., E. R. A. Edwards et C. F. Willms, pour le procureur général de la Colombie-Britannique.

Gordon F. Coles, c.r., Reinhold M. Enders et Mollie Dunsmuir, pour le procureur général de la Nouvelle-Écosse.

Ian W. H. Bailey, pour le procureur général de l’Ile-du-Prince-Edouard.

Roy McMurtry, c.r., D. W. Mundell, c.r., John Cavarzan, c.r., et Lorraine E. Weinrib, pour le procureur général de l’Ontario.

Alan D. Reid et Alfred R. Landry, c.r., pour le procureur général du Nouveau-Brunswick.

D’Arcy C. H. McCaffrey, c.r., pour Four Nations Confederacy Inc.

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LE JUGE EN CHEF ET LES JUGES DICKSON, BEETZ, ESTEY, MCINTYRE, CHOUINARD ET LAMER—

I

Les trois pourvois, de plein droit devant cette Cour, portent dans l’ensemble sur des questions litigieuses communes. Ils découlent de trois renvois soumis respectivement à la Cour d’appel du Mani­toba[4], à la Cour d’appel de Terre-Neuve[5] et à la Cour d’appel du Québec[6] par les gouvernements respectifs des trois provinces.

Voici les trois questions posées dans le renvoi du Manitoba:

1. L’adoption des modifications ou de certaines des modifications que l’on désire apporter à la Constitu­tion du Canada par le «Projet de résolution portant adresse commune à Sa Majesté la Reine concernant la Constitution du Canada» aurait-elle un effet sur les relations fédérales-provinciales ou sur les pouvoirs, les droits ou les privilèges que la Constitution du Canada accorde ou garantit aux provinces, à leurs législatures ou à leurs gouvernements et, dans l’affirmative, à quel(s) égard(s)?

2. Y a-t-il une convention constitutionnelle aux termes de laquelle la Chambre des communes et le Sénat du Canada ne peuvent, sans le consentement préalable des provinces, demander à Sa Majesté la Reine de déposer devant le Parlement du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord un projet de modification de la Constitution du Canada qui a un effet sur les relations fédérales-provinciales ou les pouvoirs, les droits ou les privilèges que la Constitu­tion du Canada accorde ou garantit aux provinces, à leurs législatures ou à leurs gouvernements?

3. Le consentement des provinces est-il constitutionnellement nécessaire pour modifier la Constitution du Canada lorsque cette modification a un effet sur les relations fédérales-provinciales ou altère les pouvoirs, les droits ou les privilèges que la Constitution du Canada accorde ou garantit aux provinces, à leurs législatures ou à leurs gouvernements?

Le renvoi de Terre-Neuve pose trois questions identiques et y ajoute une quatrième en ces termes:

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4. Si la partie V du projet de résolution dont il est fait mention à la question 1 est adoptée et mise en vigueur, est-ce que

a) les conditions de l’union, dont les conditions 2 et 17 qui se trouvent à l’annexe de l’Acte de l’Amé­rique du Nord britannique, 1949 (12-13 George VI, chap. 22 (R.-U.)) ou

b) l’article 3 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1871 (34-35 Victoria, chap. 28 (R.-U.))

pourraient être modifiés directement ou indirectement en vertu de la partie V, sans le consentement du gouvernement, de la législature ou d’une majorité de la population de la province de Terre-Neuve expri­mant son vote dans un référendum tenu en vertu de la partie V?

Dans le renvoi du Québec, la formulation est différente et les deux questions posées se lisent ainsi:

A. La Loi sur le Canada et la Loi constitutionnelle de 1981 si elles entrent en vigueur et si elles sont valides à tous égards au Canada, auront-elles pour effet de porter atteinte:

(i) à l’autorité législative des législatures provinciales en vertu de la constitution canadienne?

(ii) au statut ou rôle des législatures ou gouvernements provinciaux au sein de la fédération canadienne?

B. La constitution canadienne habilite-t-elle, soit par statut, convention ou autrement, le Sénat et la Chambre des communes du Canada à faire modifier la constitu­tion canadienne sans l’assentiment des provinces et malgré l’objection de plusieurs d’entre elles de façon à porter atteinte:

(i) à l’autorité législative des législatures provinciales en vertu de la constitution canadienne?

(ii) au statut ou rôle des législatures ou gouvernements provinciaux au sein de la fédération canadienne?

Voici les réponses des juges de la Cour d’appel du Manitoba, qui ont tous rédigé des motifs:

[TRADUCTION]

Le juge Freedman, juge en chef du Manitoba:

Question 1: Pas de réponse parce que la question est
hypothétique et prématurée.

Question 2: Non.

Question 3: Non.

Le juge Hall:

Question 1: Pas de réponse parce que la question ne se prête pas à une détermination judiciaire

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et, en tout état de cause, la ques­tion est théorique et prématurée.

Question 2: Pas de réponse parce que la question ne se prête pas à une détermination judiciaire.

Question 3: Non, parce que rien n’exige juridiquement l’accord provincial à une modifica­tion de la Constitution comme l’affirme la question.

Le juge Matas:

Question 1: Pas de réponse parce que la question est théorique et prématurée.

Question 2. Non.

Question 3: Non.

Le juge O’Sullivan:

Question 1: Oui, comme l’énoncent les motifs.

Question 2: On n’a prouvé l’existence de la conven­tion constitutionnelle invoquée en tant que simple précédent; toutefois, il existe un principe constitutionnel juridiquement obligatoire selon lequel la Chambre des communes et le Sénat du Canada ne devraient pas, sans le consentement préa­lable des provinces, demander à Sa Majesté de déposer devant le Parlement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord un projet de modifica­tion de la Constitution du Canada qui a un effet sur les relations fédérales-pro­vinciales ou les pouvoirs, les droits ou les privilèges que la Constitution du Canada accorde ou garantit aux provinces, à leurs législatures ou à leurs gouverne­ments.

Question 3: Oui, comme l’énoncent les motifs.

Le juge Huband: Question 1: Oui.

Question 2: Non.

Question 3: Oui.

Dans les motifs de la Cour d’appel de Terre-Neuve auxquels souscrivent les trois juges qui ont entendu le renvoi, les trois questions communes avec le renvoi du Manitoba reçoivent une réponse affirmative. La Cour répond à la quatrième ques­tion en ces termes [à la p. 30]:

[TRADUCTION]

(1) Vu l’art. 3 de l’Acte de l’Amérique du Nord britan­nique, 1871, la condition 2 des conditions de l’union ne peut être changée sans le consentement de la législature de Terre-Neuve.

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(2) Vu l’art. 43 de la Loi constitutionnelle de 1981, dans son texte actuel, aucune des conditions de l’union ne peut être changée sans le consentement de l’assemblée législative de Terre-Neuve.

(3) Ces deux articles peuvent être changés par les formules de modifications prévues à l’art. 41 et les conditions de l’union pourraient alors être changées sans le consentement de la législature de Terre-Neuve.

(4) Si la formule de modification de l’art. 42 est utilisée, les deux articles peuvent être changés par un référen­dum tenu conformément aux dispositions de cet article. En ce cas, les conditions de l’union pourraient être changées sans le consentement de la législature de Terre-Neuve, mais non sans le consentement de la majo­rité de la population de Terre-Neuve exprimant son vote dans un référendum.

Dans des motifs exposés par chacun des cinq juges qui ont entendu le renvoi, la Cour d’appel du Québec répond aux deux questions soumises en ces termes:

Question A:

i) Oui (à l’unanimité).

ii) Oui (à l’unanimité).

Question B:

i) Oui (monsieur le juge Bisson, dissident, répond non).

ii) Oui (monsieur le juge Bisson, dissident, répond non).

II

Les renvois en l’espèce découlent de l’opposition de six provinces, auxquelles deux autres se sont jointes, à un projet de résolution publié le 2 octo­bre 1980 pour être soumis à la Chambre des communes de même qu’au Sénat du Canada. Il contient une adresse à Sa Majesté la Reine du chef du Royaume-Uni relativement à ce que l’on peut appeler en termes généraux la Constitution du Canada. Voici le texte de l’adresse déposée devant la Chambre des communes le 6 octobre 1980:

A Sa Très Excellente Majesté la Reine, Très Gracieuse Souveraine:

Nous, membres de la Chambre des commu­nes du Canada réunis en Parlement, fidèles sujets de Votre Majesté, demandons respectueusement à Votre Très Gracieuse Majesté de bien vouloir faire déposer devant le Parlement du Royaume-Uni un projet de loi ainsi conçu:

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Loi donnant suite à une demande du Sénat et de la Chambre des communes du Canada

Sa Très Excellente Majesté la Reine, considérant:

qu’à la demande et avec le consentement du Canada, le Parlement du Royaume-Uni est invité à adopter une loi visant à donner effet aux dispositions énoncées ci-après et que le Sénat et la Chambre des communes du Canada réunis en Parlement ont présenté une adresse demandant à Sa Très Gracieuse Majesté de bien vouloir faire déposer devant le Parlement du Royaume-Uni un projet de loi à cette fin,

sur l’avis et du consentement des Lords spirituels et temporels et des Communes réunis en Parlement, et par l’autorité de celui-ci, édicte:

1. La Loi constitutionnelle de 1981, énoncée à l’an­nexe B, est édictée pour le Canada et y a force de loi. Elle entre en vigueur conformément à ses dispositions.

2. Les lois adoptées par le Parlement du Royaume-Uni après l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1981 ne font pas partie du droit du Canada.

3. La partie de la version française de la présente loi qui figure à l’annexe A a force de loi au Canada au même titre que la version anglaise correspondante.

4. Titre abrégé de la présente loi: Loi sur le Canada.

Il convient de noter que le texte de l’adresse comprend l’expression «de bien vouloir faire dépo­ser devant le Parlement du Royaume-Uni» que reflète la question B soumise à la Cour d’appel du Québec. Comme le texte de l’adresse l’indique, le projet de résolution comprend une loi qui, à son tour, porte en annexe un autre projet de loi qui prévoit le rapatriement de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (d’où le changement de nom), assorti d’une procédure de modification et d’une Charte des droits et libertés qui comprend une série de dispositions (à enchâsser pour prévenir l’empiétement du pouvoir législatif) qu’il n’est pas nécessaire d’énumérer. Seules deux provinces, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick, ont donné leur approbation au projet de résolution par la voix de leur gouvernement respectif. A l’exclusion de la Saskatchewan, les autres fondent leur opposition sur l’affirmation qu’à la fois conventionnellement et juridiquement, le consentement de toutes les

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provinces est nécessaire pour que l’adresse avec les lois en annexe puisse être soumise à Sa Majesté. Bien que l’on ait été généralement d’accord que le rapatriement assorti d’une procédure de modifica­tion fût souhaitable, aucune entente ne s’est faite aux conférences qui ont précédé le dépôt du projet de résolution devant la Chambre des communes que ce soit sur les éléments de cette procédure ou sur la formule à inclure, ou sur l’inclusion d’une Charte des droits.

C’est avant l’adoption du projet de résolution que les renvois aux cours d’appel ont été formulés et qu’ont eu lieu les auditions sur les questions. Ceci est sous-jacent au refus des juges de la Cour d’appel du Manitoba de répondre à la question 1; le projet de résolution aurait pu subir des change­ments au cours du débat, d’où l’affirmation de prématurité.

Le projet de résolution qu’a adopté la Chambre des communes le 23 avril 1981 et le Sénat le 24 avril 1981, a pris sa forme définitive presqu’à la veille des auditions des trois pourvois par cette Cour; le projet original n’a subi que des modifica­tions minimes. Évidemment, les cours dans les trois renvois ont rendu et certifié leurs opinions avant l’adoption définitive du projet de résolution. Son adoption par le Sénat et la Chambre des communes a eu pour effet de modifier la position du procureur général du Canada et des deux intervenants qui l’appuient, sur l’opportunité de répon­dre à la question 1 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve. Il a abandonné sa prétention initiale qu’il ne fallait pas y répondre.

III

Les lois sur les renvois en vertu desquelles les questions ont été soumises aux trois cours d’appel sont rédigées en termes larges. L’article I de la loi manitobaine, la Loi relative à l’expédition des décisions provinciales d’ordre constitutionnel et autres, L.R.M. 1970, chap. C180, prévoit que le lieutenant-gouverneur en conseil peut déférer à la Cour du Banc de la Reine ou à un de ses juges ou à la Cour d’appel ou à un de ses juges pour examen et audition [TRADUCTION] «toutes ques­tions qu’il estime à-propos de déférer». La Judicature Act, R.S.Nfld. 1970, chap. 187, art. 6,

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et modifications, prévoit également que le lieutenant-gouverneur en conseil peut déférer à la Cour d’ap­pel [TRADUCTION] «toutes questions qu’il estime à-propos de déférer». La Loi sur les renvois à la Cour d’appel, L.R.Q. 1977, chap. R-23, art. l, autorise le gouvernement du Québec à soumettre à la Cour d’appel pour audition et examen «toutes questions qu’il juge à-propos». Le pouvoir défini dans chaque cas a une portée suffisamment large pour imposer aux différentes cours de trancher des questions qui peuvent ne pas être justiciables des tribunaux et il ne fait aucun doute que ces cours, et cette Cour dans un pourvoi, ont le pouvoir discrétionnaire de refuser de répondre à de telles questions.

Pour ce qui est des pourvois maintenant devant cette Cour, on aura remarqué que trois juges de la Cour d’appel du Manitoba ont refusé de répondre à la première question dont ils étaient saisis parce qu’elle était hypothétique et prématurée ou théori­que et prématurée et l’un d’eux, le juge Hall, a refusé de répondre à la deuxième question parce qu’elle ne se prêtait pas à une détermination judi­ciaire. Comme on l’a déjà dit, l’adoption du projet de résolution par le Sénat et la Chambre des communes a changé la position du procureur géné­ral du Canada qui a admis devant cette Cour qu’il s’agissait d’une question à laquelle on pouvait répondre. Il ne fait aucun doute maintenant que, puisque la première question des renvois du Mani­toba et de Terre-Neuve et la question A du renvoi du Québec visent l’interprétation d’un document, surtout un document qu’on dit être dans sa forme définitive, il s’agit d’un point justiciable des tribunaux.

Il ne fait également aucun doute que la troi­sième question de ces deux renvois et la question B du renvoi du Québec soulèvent des points justicia­bles des tribunaux et il est clair qu’il faut y répondre puisqu’ils soulèvent des questions de droit. La formulation différente de la question B du renvoi du Québec, qui vise le pouvoir des chambres fédérales de faire modifier par statut, convention ou autrement, la Constitution (comme le propose la résolution) sans l’assentiment des

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provinces, combine les points soulevés séparément aux questions 2 et 3 des autres renvois.

IV

Il convient à ce stade de résumer les opinions exprimées par les cours d’appel sur les diverses questions dont elles étaient saisies.

En Cour d’appel du Manitoba, le Juge en chef et les juges Hall et Matas ont refusé de répondre à la question 1 parce qu’ils ont estimé la question hypothétique et prématurée. Les juges O’Sullivan et Huband en dissidence y ont répondu par l’affirmative.

Le Juge en chef et les juges Matas et Huband ont répondu à la question 2 par la négative. Le Juge en chef a analysé les modifications antérieu­res et, sur ce fondement, a conclu à l’inexistence d’une convention sur le consentement des provinces. Le juge Huband a souscrit aux motifs du Juge en chef. Le juge Matas y a aussi souscrit et a en outre souligné les multiples aspects flous et incer­tains de la prétendue convention. Le juge Hall a refusé de répondre à la question 2 puisqu’à son avis les conventions relèvent du domaine politique et ne se prêtent pas à une détermination judiciaire. Le juge O’Sullivan, en dissidence, a refusé de conclure à l’existence d’une convention à partir des précédents, mais a cependant déclaré qu’il existait un [TRADUCTION] «principe constitutionnel» qui exige le consentement des provinces.

Le Juge en chef et les juges Hall et Matas ont répondu à la question 3 par la négative. La «cris­tallisation» d’une convention de même que l’alléga­tion de «souveraineté» des provinces a été rejetée. Le Juge en chef a analysé la «théorie du pacte» en tant que source d’obligation juridique et l’a rejetée. Il a en outre ajouté que la «souveraineté» que les provinces invoquent, ne découle pas de la supréma­tie législative accordée par l’art. 92 de lActe de l’Amérique du Nord britannique, mais plutôt de quelque chose d’apparenté à un droit inhérent découlant du fait de l’union. A ce titre, dit-il, elle a un lien direct avec la «théorie du pacte» et est indéfendable. Le juge Hall a rejeté sans équivoque la «théorie du pacte» ainsi que l’idée’ que la supré­matie des provinces aux termes de l’art. 92

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requiert juridiquement leur consentement aux modifications constitutionnelles. Le juge Matas a noté que le Statut de Westminster, 1931 n’a pas donné aux provinces de nouveaux pouvoirs de modification et il a également énoncé les différen­tes limites de la suprématie législative provinciale. Le juge O’Sullivan, dissident, a analysé la «théorie du pacte» et l’a acceptée; il a en outre conclu que la souveraineté des provinces aux termes de l’art. 92 rend illégale toute atteinte à cette souveraineté sans leur consentement. Le juge Huband a donné son accord sans exprimer d’opinion sur la «théorie du pacte». A son avis, la Couronne doit s’appuyer sur l’avis de ses ministres provinciaux pour ces questions. En outre, il a dit que le Parlement du Royaume-Uni est un «simple fiduciaire législatif» à la fois pour les provinces et pour le Parlement fédéral.

La Cour d’appel de Terre-Neuve a commencé par la question 3. Elle a mis l’accent sur le Statut de Westminster, 1931 et sur les discussions qui en ont amené l’adoption; elle a conclu que le Royaume-Uni a renoncé à toute souveraineté légis­lative sur le Canada et qu’il agit à titre de «simple fiduciaire législatif» des législatures provinciales et du Parlement fédéral. Selon elle, les provinces sont des [TRADUCTION] «collectivités autonomes» et le Parlement du Royaume-Uni ne peut adopter de modifications nonobstant leurs objections.

Quant à la question 2, la cour a analysé les précédents et les différentes prises de position des personnalités politiques. Elle a particulièrement souligné le Livre blanc du gouvernement fédéral publié en 1965 sur les «Modifications de la Consti­tution du Canada» et les quelques occasions où le consentement des provinces a été obtenu. La cour a conclu que la tendance constitutionnelle a été de s’orienter vers la reconnaissance du droit des pro­vinces d’être consultées et a répondu à la question 2 par l’affirmative.

Abordant la question 1 de façon générale, la cour a conclu qu’elle doit nettement recevoir une réponse affirmative.

La question 4, propre au renvoi de Terre-Neuve, porte sur l’effet précis du projet de formule de modification sur les Conditions de l’Union qui ont régi l’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération.

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La cour y a donné une réponse complexe déjà citée.

La Cour d’appel du Québec avait de façon générale à répondre aux mêmes questions que celles soumises aux autres cours quoique leur for­mulation fût différente. Les cinq membres de la cour ont rédigé des motifs.

La cour à l’unanimité a répondu à la question A par l’affirmative. Quatre membres de la cour ont répondu à la question B par l’affirmative, le juge Bisson étant dissident. Quant à la question B, le Juge en chef du Québec a rejeté l’existence d’une convention relative au consentement provincial et a noté par contre que toute convention existante favoriserait l’action unilatérale du Parlement fédé­ral par voie de résolution conjointe. Le seul effet du Statut de Westminster, 1931 a été de laisser l’autorité légale de modifier la Constitution au Parlement du Royaume-Uni.

Selon le juge Owen, bien que la résolution ne soit pas précisément autorisée par statut, le pouvoir inhérent du Parlement justifie son action. Il a rejeté les arguments fondés sur la «souveraineté», la convention et la «théorie du pacte» en renvoyant aux motifs du juge Turgeon. Il a souligné que l’argument provincial était affaibli du fait que le Canada n’est pas [TRADUCTION] «la confédération théorique idéale dont parlent les auteurs».

Le juge Turgeon a affirmé qu’avant 1931, le pouvoir de modifier la Constitution relevait du Parlement du Royaume-Uni et que le Statut de Westminster, 1931 n’y a rien changé. Il a énuméré les diverses entraves à la suprématie législative provinciale et a souligné que seul le Parlement fédéral a le pouvoir d’adopter des lois d’une portée extra-territoriale. Après une longue analyse des modifications antérieures, il a nié l’existence d’une convention relative au consentement des provinces. Il a aussi conclu que la «théorie du pacte» n’a aucun appui historique ni juridique.

Le juge Bélanger a exprimé des doutes sur le point de savoir si une résolution, en tant qu’élé­ment de la procédure parlementaire interne, pou­vait être soumise à l’examen d’un tribunal. Il a néanmoins répondu à la question B par l’affirma­tive, en souscrivant aux motifs du Juge en chef et

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du juge Turgeon et en se demandant de façon rhétorique s’il est de l’«essence de cette union fédérale» qu’elle demeure stagnante et incapable d’évolution même devant l’opposition d’une seule province.

Le juge Bisson dissident sur la question B a qualifié la résolution d’acte «quasi législatif», En confirmant la «souveraineté» provinciale, il a mis en relief les conférences et les résolutions qui ont précédé la Confédération et qui ont reçu une «sanction législative» dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Le Canada, a-t-il conclu, est une «quasi-fédération». Bien que la souveraineté provinciale ait été limitée d’une certaine façon, le Parlement fédéral ne peut néanmoins agir seul. C’est, a-t-il dit, ce qui ressort de la pratique.

V

Les motifs qui suivent traitent des questions 1 et 3 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve et de la question 4 du renvoi de Terre-Neuve, ainsi que de la question A du renvoi du Québec et de l’aspect juridique de la question B de ce renvoi. Des motifs distincts traitent de la question 2 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve et de l’aspect conventionnel de la question B du renvoi du Québec qui est comparable.

VI

A la lumière de la résolution telle qu’adoptée, le procureur général du Canada convient qu’il faut répondre à la question 1 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve et à la question A du renvoi du Québec par l’affirmative comme le font valoir les procureurs généraux du Manitoba, de Terre-Neuve et du Québec. Indubitablement, les termes du projet de loi inclus dans la résolution auraient un effet sur les pouvoirs législatifs des législatures provinciales qui seraient, de fait, limités par la Charte des droits et libertés. Les limitations qu’impose le projet de Charte des droits et libertés sur le pouvoir législatif s’appliquent tant à l’ordre fédéral qu’à l’ordre provincial. Ceci ne change toutefois pas le fait qu’on envisage la suppression d’un pouvoir législatif provincial. En outre, l’ac­croissement du pouvoir législatif provincial en vertu de certaines dispositions du projet de loi,

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comme par exemple le contrôle des ressources, y compris l’exportation interprovinciale (quoique soumise au pouvoir prépondérant du fédéral) et le pouvoir de taxation, ne change pas le fait que ces dispositions du projet de loi ainsi que d’autres dispositions soumises à l’adoption par le Parlement du Royaume-Uni auront un effet sur les relations fédérales-provinciales existantes.

Répondre simplement par «oui» à la question 1 et à la question A suffit dans les deux cas, même si la question 1 soulève aussi le point de savoir «à quel(s) égard(s)» cela aurait un effet sur les rela­tions fédérales-provinciales et les pouvoirs, les droits ou les privilèges provinciaux. Les procureurs ont convenu que si cet aspect de la question 1 devait être exploré, cela amènerait la Cour et eux-mêmes à entrer beaucoup trop dans les détails; pour l’instant, une réponse affirmative au point principal de la question satisfait toutes les parties en cause.

VII

Abordons maintenant la question 3 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve et la partie B (l’aspect juridique) du renvoi du Québec. L’utilisa­tion des mots «constitutionnellement nécessaire» à la question 3 soulève à la fois des points juridiques et conventionnels et comme des motifs distincts portent sur ces derniers, la suite de ces motifs ne traite que de l’aspect juridique de la question 3 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve et de la partie B (l’aspect juridique) du renvoi du Québec, ce qui est conforme aux prétentions de tous les procureurs sur ce point.

Il y a deux aspects généraux de l’affaire qui se divisent en plusieurs points distincts: (1) l’autorité des deux chambres fédérales de procéder par réso­lution lorsque cela a un effet sur les pouvoirs provinciaux et les relations fédérales-provinciales et (2) le rôle ou l’autorité du Parlement du Royaume-Uni de donner effet à la résolution. Le premier point porte sur la nécessité de détenir un pouvoir légal de déclencher le processus au Canada; le second porte sur l’existence ou le défaut d’un pouvoir légal aux mains du Parlement du Royaume-Uni pour donner effet à la résolution qui n’a pas reçu l’assentiment des provinces.

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La prétention des huit provinces qui invitent cette Cour à examiner la position du Parlement britannique est fondée sur l’application du Statut de Westminster, 1931 au Canada. Elles prétendent que le Statut limite l’autorité du Parlement britan­nique de donner effet à la résolution fédérale sans l’assentiment préalable des provinces si cette der­nière a un effet sur leurs pouvoirs et intérêts, comme c’est le cas en l’espèce. Ce point sera examiné ultérieurement dans ces motifs.

A ce stade, il convient de faire deux observa­tions. Tout d’abord, il y a l’anomalie due au fait que sur le plan international le Canada a le statut d’Etat indépendant et autonome, par exemple en tant que membre fondateur des Nations-Unies et par son appartenance à d’autres groupements internationaux d’Etats souverains, tout en souf­frant d’une faille interne due à l’absence du pouvoir de modifier ou de changer les arrangements essentiels de répartition des pouvoirs aux termes desquels l’autorité légale est exercée dans ce pays, tant au niveau fédéral que provincial. Quand un pays existe sous forme d’Etat fédéral depuis plus d’un siècle, la tâche d’adopter un mécanisme juri­dique apte à supprimer l’anomalie dont nous venons de parler soulève une difficulté profonde. En second lieu, l’autorité du Parlement britanni­que ou ses pratiques et conventions ne sont pas des affaires sur lesquelles cette Cour se permettrait de statuer.

Le procureur général du Manitoba fait valoir qu’une convention peut se cristalliser en règle de droit et que l’obligation d’obtenir l’assentiment des provinces au genre de résolution telle la présente, bien que d’origine politique, est devenue une règle de droit. (Personne n’a pris de position ferme sur le point de savoir si l’assentiment doit être celui des gouvernements ou celui des législatures.)

A notre avis, il n’en est pas ainsi. On n’a pas cité de cas de reconnaissance explicite d’une conven­tion qui soit devenue une règle de droit. Il est impossible d’imposer en droit une convention vu sa nature même: l’origine en est politique et elle est intimement liée à une reconnaissance politique continue de ceux pour le bénéfice et au détriment

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(le cas échéant) desquels elle s’est développée sur une période de temps considérable.

On fait erreur en tentant d’assimiler l’évolution d’une convention et celle de la common law. Cette dernière est le produit des travaux du judiciaire fondés sur des questions justiciables des tribunaux et dont la formulation est juridique; les tribunaux qui en sont les auteurs peuvent les modifier et même les renverser dans l’exercice de leur rôle dans l’Etat conformément aux lois ou aux directi­ves constitutionnelles. Les tribunaux ne jouent pas de rôle parental semblable à l’égard des conven­tions.

On nous a fait valoir avec insistance qu’une myriade d’affaires ont donné une force juridique à des conventions. Cette proposition va trop loin. Dans Madzimbamuto v. Lardner-Burke and George[7], on cherchait à obtenir la reconnaissance directe d’une convention et son exécution. Le Con­seil privé a rejeté l’affirmation qu’une convention dont le Royaume-Uni avait formellement reconnu l’existence, savoir, qu’il ne légiférerait pas pour la Rhodésie du Sud sur des questions de la compé­tence de la législature de ce pays sans le consentement de son gouvernement, ne pouvait pas être annulée par des lois britanniques rendues applica­bles à la Rhodésie du Sud après la déclaration unilatérale d’indépendance du gouvernement de ce pays. Au nom du Conseil privé, lord Reid a souli­gné que même si la convention était très impor­tante [TRADUCTION] «elle n’avait pas pour effet juridique de limiter le pouvoir du Parlement» (à la p. 723). Et, plus loin (à la même page):

[TRADUCTION] On dit souvent que le Parlement du Royaume-Uni agirait de façon inconstitutionnelle s’il faisait certaines choses, en voulant dire que les raisons morales, politiques et autres de s’abstenir sont si fortes que la plupart des gens considéreraient tout à fait abusif que le Parlement les fasse. Mais cela ne signifie pas que le Parlement n’a pas le pouvoir de les faire. Si le Parlement décide de les faire, les tribunaux ne pourront conclure que la loi du Parlement est invalide. Il est possible qu’avant 1965, on ait pu penser qu’il serait inconstitutionnel de ne pas tenir compte de cette conven­tion. Mais il se peut aussi que la déclaration unilatérale d’indépendance ait délié le Royaume-Uni de l’obligation de respecter la convention. En disant le droit, leurs

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Seigneuries ne s’occupent pas de ces questions. Elles s’en tiennent seulement aux pouvoirs du Parlement.

Le procureur du Manitoba a cherché à distin­guer cette affaire au motif que le Statut de West­minster, 1931 ne s’applique pas à la Rhodésie du Sud, point que le Conseil privé avait mentionné. Le Statut de Westminster, 1931 sera examiné ultérieurement dans ces motifs, mais s’il s’était appliqué à la Rhodésie du Sud, ce serait seulement de par sa teneur et non à cause d’une règle conven­tionnelle que le Parlement du Royaume-Uni aurait cessé de légiférer pour la Rhodésie du Sud.

Le procureur du Manitoba invoque un bon nombre de décisions pour appuyer sa prétention que des conventions se sont cristallisées en règle de droit. Le principal appui à la théorie de la «cristal­lisation en règle de droit» est l’opinion du juge en chef Duff dans le Renvoi relatif à The Weekly Rest in Industrial Undertakings Act[8], mieux connu sous le nom de l’affaire des Conventions de travail utilisé lors de l’appel au Conseil privé[9]; ce dernier y a adopté un point de vue différent sur les valeurs constitutionnelles de celui également divisé de la Cour suprême du Canada. Dans la mesure ou le point en litige a un lien avec la question discutée ici, il s’agissait du prétendu défaut de pouvoir du gouverneur général en conseil, l’exécutif fédéral, de conclure un traité ou d’accepter une obligation internationale envers un Etat étranger, notamment lorsque la substance du traité ou de l’obligation se rapporte à des questions qui, au Canada, relèvent législativement de la compétence exclusive des provinces.

La portion suivante des motifs de sir Lyman Duff contient le passage invoqué replacé dans le contexte (aux pp. 476 à 478):

[TRADUCTION] Pour ce qui est du Rapport de la Conférence de 1926, qui, en termes explicites, reconnaît les traités sous forme de conventions entre gouverne­ments (auxquels Sa Majesté n’est pas partie en prati­que), on fait valoir que puisqu’une conférence impériale ne possède pas de pouvoir législatif, ses déclarations n’ont pas pour effet de changer le droit et on affirme énergiquement que, du point de vue du droit strict, ni le

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gouverneur général ni aucune autre autorité canadienne n’a reçu de la Couronne le pouvoir d’exercer la prérogative.

L’argument est fondé sur la distinction qu’il fait entre une convention constitutionnelle et une règle de droit; il est donc nécessaire d’examiner la prétention que, du point de vue de la règle de droit que l’on distingue d’une convention constitutionnelle, le gouverneur général en conseil n’a pas le pouvoir de devenir partie en ratifiant la convention que nous examinons.

On peut considérer cette prétention de différentes façons. Tout d’abord, le droit constitutionnel est très largement formé d’usages constitutionnels établis auxquels les tribunaux reconnaissent la valeur d’une règle de droit. Une conférence impériale, il est vrai, ne pos­sède aucune autorité législative. Mais il ne peut quasi-ment pas y avoir de preuve plus autorisée de l’usage constitutionnel que les déclarations de pareille confé­rence. La Conférence de 1926 a catégoriquement reconnu les traités sous forme de conventions entre gouvernement auxquels Sa Majesté ne comparaît pas formellement et à l’égard desquels il n’y a pas eu d’intervention royale. Le Dominion a pour pratique de conclure des conventions de cette nature avec des pays étrangers, et des conventions d’un type encore moins formel, simplement par un échange de notes. Les conventions conclues sous les auspices de l’Organisation du travail de la Ligue des Nations sont invariablement ratifiées par le gouvernement du Dominion en cause. En règle générale, la cristallisation de l’usage constitution­nel en une règle de droit constitutionnel à laquelle les tribunaux donneront effet, est un processus lent qui s’étend sur une longue période; mais la Grande guerre a accéléré le rythme dans ce domaine et apparemment les usages dont j’ai parlé, la pratique, en d’autres termes, en vertu de laquelle la Grande-Bretagne et les Dominions concluent des conventions avec des pays étrangers sous forme de conventions entre gouvernements et celles d’un type encore moins formel, doit être reconnue par les tribunaux comme ayant force de loi.

D’ailleurs, le Comité judiciaire du Conseil privé à reconnu que les conventions entre le gouvernement du Canada et d’autres gouvernements sous forme d’une convention entre gouvernements, à laquelle Sa Majesté n’est pas partie, créent en droit international une obliga­tion internationale liant le Canada (Renvoi sur la Radio, [1932] A.C. 304.)

La ratification est l’acte précis qui donne force obliga­toire à la convention. Pour ce qui est du Canada, c’est l’acte du gouvernement du Canada seul, et la décision mentionnée semble donc nier catégoriquement la prétention

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que du point de vue du droit strict, le gouvernement du Canada n’a pas compétence pour conclure une entente internationale.

Le savant Juge en chef traitait alors d’une évo­lution qui est caractéristique du droit international coutumier, l’acquisition par l’exécutif fédéral canadien du plein pouvoir indépendant de conclure des conventions internationales. (D’ailleurs, en parlant de «convention» dans le dernier alinéa cité, il faisait référence à une convention internationale tout comme en utilisant le mot à l’avant-dernière ligne du deuxième alinéa et à nouveau au milieu du troisième alinéa de la citation.) Le droit international a dû nécessairement se développer, s’il devait exister, grâce aux pratiques politiques ordi­nairement reconnues des Etats, puisqu’il n’y avait aucune constitution applicable, aucun pouvoir législatif, aucun pouvoir exécutif pour leur appli­cation et aucun organe judiciaire généralement accepté par l’intermédiaire desquels le droit international pouvait se développer. La situation est entièrement différente en droit interne, dans le cas d’un Etat qui a ses propres organes législatif, exécutif et judiciaire et dans la plupart des cas une constitution écrite en clef de voûte.

Le juge en chef Duff a exprimé son opinion sur les conventions qui se muteraient en règle de droit dans le contexte interne dans le Renvoi sur le pouvoir de réserve et de désaveu des lois provinciales[10]. On y avait fait valoir qu’en raison d’une prétendue convention, une partie de l’art. 90 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (qui incorpore à l’égard des provinces les art. 56 et 57 avec certaines modifications) était périmée et suspendue. A cet égard, le Juge en chef dit (à la p. 78):

[TRADUCTION] L’usage constitutionnel n’est pas de notre ressort. Sont de notre ressort les questions de droit qui, nous le répétons, doivent être tranchées par rapport aux dispositions des Actes de l’Amérique du Nord bri­tannique de 1867 à 1930, du Statut de Westminster et, peut-être, des lois pertinentes du Parlement du Canada s’il y en a.

L’article 90 qui, avec les changements y mentionnés, adopte à nouveau les art. 55, 56 et 57 de l’A.A.N.B., subsiste toujours. Il n’a pas été abrogé ni modifié par le

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Parlement impérial et il est tout à fait clair qu’en vertu du par. 7(1) du Statut de Westminster, le Parlement du Dominion n’a pas acquis de par cette loi le pouvoir d’abroger, de modifier ou de changer les Actes de l’Amérique du Nord britannique. Il n’est pas nécessaire d’examiner si par l’effet du par. 91(29) et du par. 92(l) de l’A.A.N.B., le Parlement du Dominion a ou non le pouvoir de légiférer à l’égard du pouvoir de réserve, puisqu’aucune loi de ce genre n’a été adoptée.

Les pouvoirs subsistent donc. Sont-ils sujets à des limites ou restrictions?

Je réitère que ni l’usage constitutionnel ni la pratique constitutionnelle ne sont de notre ressort.

Rien dans les autres motifs exposés dans l’af­faire des Conventions de travail, tant en Cour suprême qu’au Conseil privé, ne permet de changer son contexte qui en est un de droit international ni n’accorde créance à la théorie de la cristallisation que fait valoir l’avocat du procureur général du Manitoba avec, il faut le dire, l’appui d’autres provinces et des remarques faites dans les motifs de la Cour d’appel de Terre-Neuve. Les autres décisions citées à l’appui de cette théorie s’avèrent à l’examen être des cas où les tribunaux ont statué à partir de principes législatifs ou d’autres princi­pes juridiques établis. Cela s’applique autant à la remarque du vicomte Sankey sur la position du Conseil privé dans British Coal Corp. and Others v. The King[11] à la p. 5I0, qu’au refus d’accorder une injonction à l’égard de la divulgation du jour­nal intime de Crossman dans Attorney-General v. Jonathan Cape Ltd. and Others[12]. La Cour a souligné dans cette dernière affaire qu’elle avait le pouvoir d’empêcher la violation de secrets lorsque l’intérêt public l’exigeait, même si les secrets découlaient d’une convention relative aux délibéra­tions du Cabinet. Toutefois, la nécessité d’une protection avait disparu avec le passage du temps. La Cour appliquait ses propres principes juridiques comme elle l’aurait fait à toute question de secret, quelle qu’en soit l’origine.

Un examen approfondi d’autres affaires où il était question de cette prétendue cristallisation n’apporte aucun appui à la prétention. Il est inutile de parler de l’immunité ou de la prérogative de la Couronne qui s’appuyaient fermement sur des

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principes de common law et que les lois ont transformées depuis longtemps. Parmi les décisions citées, on note Commercial Cable Co. v. Government of Newfoundland[13]; Alexander E. Hull & Co. v. M’Kenna[14] et Copyright Owners Reproduc­tion Society Ltd. v. E.M.I. (Australia) Proprietary Ltd[15]; Blackburn v. Attorney-General[16] et l’arrêt de cette Cour dans le Renvoi sur le Sénat, Renvoi: Compétence du Parlement relativement à la Chambre haute[17].

Dans l’affaire Commercial Cable Co., on a jugé que le gouvernement de Terre-Neuve n’était pas lié par un contrat qui n’avait pas été approuvé par une résolution de l’Assemblée conformément à une règle de cette dernière édictée en vertu de la loi. Hull v. M’Kenna était le premier cas de demande d’autorisation d’appeler au Conseil privé d’une cour d’appel, la plus haute cour de I’Etat libre d’Irlande qui avait le statut de Dominion en vertu d’un traité avec le Royaume-Uni. La question en litige était l’application de la pratique du Conseil privé face aux demandes d’autorisation d’appel devant lui. Le point de droit dont dépendait l’af­faire était la façon dont le Conseil privé exerçait son pouvoir discrétionnaire en de tels cas.

L’affaire Copyright Owners, dont les faits sont assez complexes, concernait l’effet en Australie d’une loi britannique de 1928 et d’une loi ulté­rieure de I956. Cette dernière abrogeait la Copyright Act britannique de 1911 qui, selon ses pro­pres termes était applicable en Australie en tant que législation du Commonwealth. La loi britanni­que de 1911 déclarait expressément qu’elle ne s’appliquerait pas à un dominion autonome sauf si la législature de ce dominion la déclarait en vigueur avec des modifications limitées au besoin. La Loi de 1956, une loi postérieure au Statut de Westminster, 1931, ne s’appliquait pas à l’Austra­lie puisqu’aucune déclaration n’indiquait que le Commonwealth en avait demandé l’application et y avait consenti. Ainsi, la loi britannique de 1911 était toujours en vigueur en Australie; de fait, elle était ainsi protégée par la loi britannique de 1956,

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même si, comme le juge en chef Dixon l’a noté, il était peut-être inutile de le dire vu l’art. 4 du Statut de Westminster, 1931.

Le véritable problème concernait la loi britanni­que de 1928 qui confirmait une ordonnance du Board of Trade, dont l’effet était d’augmenter la redevance payable pour la reproduction d’oeuvres musicales par rapport à celle fixée par la Loi de 1911. La Loi de 1911 prévoyait la possibilité de modifier les taux suite à une enquête du Board of Trade qui devait adopter une ordonnance soumise à la confirmation du législateur. Trois ans avant le Statut de Westminster, 1931 soit en 1928, la règle d’interprétation appliquée par la Haute Cour vou­lait qu’à moins de dispositions expresses au contraire, le législateur britannique n’ait pas eu l’in­tention que sa législation s’applique à l’Australie. Certes, cela tenait compte de la pratique politique, mais c’était l’application par la Cour des règles d’interprétation qui régissaient la question et la pratique politique n’aurait servi à rien si la loi britannique de 1928 avait été expressément appli­cable à l’Australie. Le passage suivant des motifs du juge McTiernan est instructif (à la p. 6I3).

[TRADUCTION] La règle d’interprétation qui trouve sa source dans les relations politiques et constitutionnelles entre le Royaume-Uni et le Commonwealth d’Australie avant le Statut de Westminster crée une présomption que la Loi de 1928 ne devait pas s’appliquer automati­quement à ce pays. Il va sans dire que c’est une règle d’interprétation que cette cour doit appliquer. Le fait que le Parlement du Commonwealth n’a fait aucune modification particulière relativement au par. 19(3) en adoptant la Copyright Act 1911 (Imp.), ne fournit pas à mon avis de motif pour que l’on s’éloigne de cette règle d’interprétation en décidant que la Loi de 1928 a force obligatoire dans le Commonwealth. Je crois qu’il serait bizarre de dire que, bien que cette loi ne s’applique pas à l’Australie en tant que loi impériale, elle peut au plus avoir pour effet de remplir les conditions de modification des taux de calcul des redevances prescrites par le par. 19(3).

On a fait valoir devant la Cour un obiter de lord Denning dans l’arrêt Blackburn pour appuyer la théorie de la cristallisation. Cette affaire-là est née d’une tentative de bloquer les négociations sur l’entrée du Royaume-Uni dans le Marché commun européen aux motifs que cela impliquerait la renonciation du Parlement britannique à au moins

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certains éléments de sa souveraineté traditionnelle. Les trois juges dans cette affaire ont convenu qu’il appartenait indubitablement au pouvoir exécutif du Royaume-Uni de conclure des traités et que cela échappait au contrôle judiciaire. Voici l’obiter de lord Denning (aux pp. 1382 et 1383):

[TRADUCTION] Notre formation nous porte tous à croire qu’en droit, un parlement ne peut en lier un autre et qu’aucune loi n’est irrévocable. Mais la théorie juridique ne va pas toujours de pair avec la réalité politique. Prenons le Statut de Westminster 1931, qui enlève au Parlement le pouvoir de légiférer pour les dominions. Peut-on imaginer que le Parlement pourrait ou voudrait révoquer cette loi? Prenons les lois qui ont accordé l’indépendance aux dominions et aux territoires d’outre-mer. Peut-on imaginer que le Parlement pourrait ou voudrait révoquer ces lois et leur enlever l’indépen­dance? Manifestement non. Une fois la liberté accordée, on ne peut l’enlever. La théorie juridique doit céder le pas devant la pratique politique .. .

Quelles sont les réalités en l’espèce? Si les ministres de Sa Majesté signent ce traité et si le Parlement adopte les dispositions pour le mettre en vigueur, je ne peux envisa­ger que le Parlement en revienne ultérieurement et essaye de s’en retirer. Mais si le Parlement devait le faire, alors nous considérerons cette situation quand elle se produira. Nous dirons alors si le Parlement peut légalement le faire.

Les deux parties nous ont renvoyés à un article remar­quable du professeur H W R Wade dans le Cambridge Law Journal où il dit que «la souveraineté est un fait politique qu’on ne peut appuyer sur une autorité purement juridique». C’est exact. Nous devons attendre de voir ce qui se produira avant de nous prononcer sur la souveraineté dans le Marché commun.

La pertinence de cet extrait sur les points de droit qui étaient en litige n’est pas claire. Chose certaine, les deux autres juges qui ont siégé, les lords juges Salmon et Stamp, étaient d’avis que la seule préoccupation de la Cour était l’interpréta­tion de la loi alors adoptée et non la conduite de la Couronne dans la conclusion de traités.

Enfin, on a invoqué la décision de cette Cour dans le Renvoi sur le Sénat. Il est étonnant que l’on puisse dire que cette Cour y a reconnu qu’une convention se soit d’elle-même mutée en règle de droit. Dans cette affaire, on cherchait à justifier un projet de loi fédérale principalement sur le par. 91(1) de lActe de l’Amérique du Nord britannique.

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Cette Cour a décidé que le projet, du moins dans ses traits principaux, excédait la compétence fédérale. Bien que la Cour eût brossé un tableau historique pour illustrer la situation du Sénat en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britanni­que, sa tâche fondamentale était d’examiner la validité d’un projet de loi fédérale que l’on cher­chait à justifier par une attribution de pouvoir au fédéral en vertu de l’Acte.

Quant à toutes les affaires citées, il faut dire qu’un choix d’extraits de motifs n’a aucune force indépendante à moins de tenir compte des points en litige et du contexte de ces extraits.

On nous a invités à examiner la doctrine sur la question. Il n’existe pas de consensus entre les auteurs, mais l’opinion la meilleure et la plus répandue est celle qu’exprime un article de Munro, «Laws and Conventions Distinguished», (1975) 91 Law Q. Rev. 218 où il dit (à la p. 228):

[TRADUCTION] La validité des conventions ne peut faire l’objet de procédures devant un tribunal. Aucune sanction légale ne permettra d’en réparer la violation. 11 n’existe pas de décisions qui contredisent ces proposi­tions. En fait, l’idée qu’un tribunal rende exécutoire une simple convention est si étrange que la question ne se pose pas vraiment.

Un autre passage de cet article mérite d’être men­tionné (à la p. 224):

[TRADUCTION] Si en fait les lois et les conventions sont de nature différente, ce que je crois, alors on peut seulement obtenir un tableau exact et significatif de la constitution si l’on fait la distinction. Si la distinction est brouillée, l’analyse de la constitution est moins complète; c’est non seulement dangereux pour l’avocat, mais moins qu’utile pour le chercheur en science politique .. .

Que la question se soulève dans un Etat unitaire ou dans un Etat fédéral, la façon de l’aborder n’est pas différente: voir Hogg, Constitutional Law of Canada, 1977, aux pp. 7 à 11.

Un point de vue contraire sur lequel s’appuient les provinces appelantes est celui du professeur W. R. Lederman dans deux articles qu’il a publiés, l’un intitulé «The Process of Constitutional Amendment in Canada», (I966-67) 12 McGill L.J. 371

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et le deuxième «Constitutional Amendment and Canadian Unity», (1978) Law Soc. U.C. Lectures 17. L’opinion du professeur Lederman, un spécialiste renommé, mérite plus qu’un examen superficiel. Il reconnaît lui-même qu’il y a des opinions contraires, dont celle d’un spécialiste tout aussi distingué, le professeur F. R. Scott: voir Scott, Essays on the Constitution, 1977, aux pp. 144, 169, 204, 205, 245, 370, 371, 402. On trouve également l’opinion contraire du professeur Hogg, déjà citée.

Le professeur Lederman s’appuie notamment sur une série de décisions déjà examinées, dont les motifs de sir Lyman Duff dans l’affaire des Conventions de travail. Il explique le saut de la con­vention à la loi comme s’il y avait une common law du droit constitutionnel qui tirerait son origine de la pratique politique. Ce n’est tout bonnement pas le cas. Ce qui est désirable comme limite politique ne se traduit pas en une limite juridique sans qu’il existe une loi ou un texte constitutionnel impératif. La position préconisée est d’autant plus inaccepta­ble quand il dit qu’un acquiescement ou un consen­tement appréciable des provinces est suffisant. Bien que le professeur Lederman ne veuille pas donner un droit de veto à l’Ile-du-Prince-Edouard, il en donnerait un à l’Ontario, au Québec, à la Colombie-Britannique ou à l’Alberta. Ce serait mettre les tribunaux dans une situation impossible. Ce point sera considéré à nouveau dans ces motifs.

VIII

Abordons maintenant la question de l’autorité ou du pouvoir des deux chambres fédérales de procéder par résolution pour envoyer à Sa Majesté la Reine l’adresse et le projet de loi annexé pour que le Parlement du Royaume-Uni procède à leur adoption. On ne trouve aucune limite juridique, que ce soit au Canada ou au Royaume-Uni (compte tenu de l’art. 18 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, tel que promulgué par 1875 (R.-U.), chap. 38, qui lie les privilèges, immunités et pouvoirs des chambres fédérales à ceux de la Chambre des communes britannique) au pouvoir des Chambres d’adopter des résolutions. En vertu de l’art. 18 susmentionné, le Parlement fédéral peut légiférer pour définir ces privilèges, immunités

[Page 785]

et pouvoirs, dans la mesure où ils n’excèdent pas ceux que la Chambre des communes britanni­que détient et exerce au moment de l’adoption de la loi fédérale.

Voici ce qu’on peut lire dans May, Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 19e éd., 1976, un traité majeur sur la procédure parlementaire britannique (à la p. 382):

[TRADUCTION] Lorsqu’une question est approuvée, elle prend soit la forme d’un ordre ou d’une résolution de la Chambre. Ces deux termes sont utilisés dans les procès-verbaux de la Chambre pour toutes les proposi­tions sur lesquelles il y a accord, et l’application du terme est soigneusement réglementée selon la teneur de la proposition. Par ses ordres, la Chambre dirige ses comités, ses membres, ses fonctionnaires, le déroulement de ses propres procédures et les actes de toutes les personnes visées; par ses résolutions, la Chambre énonce ses propres opinions et ses buts.

On retrouve ce passage presque textuellement dans Beauchesne, Rules and Forms of the House of Commons of Canada, 5e éd., 1978, à la p. 150. La Loi sur le Sénat et la Chambre des communes, S.R.C. 1970, chap. S-8, art. 4 et 5, renforce ce que dit l’art. 18 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, modifié en 1875.

La façon dont les chambres du Parlement procè­dent, celle dont une assemblée législative provin­ciale procède est dans chaque cas une question d’auto-définition, sous réserve de prescriptions constitutionnelles prépondérantes, ou de prescrip­tions auto-imposées par la loi ou internes. Il est inutile en l’espèce de se lancer dans un examen historique de l’aspect «judiciaire» du Parlement et de l’immunité des ses procédures au contrôle judi­ciaire. Les tribunaux interviennent quand une loi est adoptée et non avant (à moins qu’on ne leur demande leur avis sur un projet de loi par renvoi). Il serait incompatible avec le pouvoir d’auto-régulation («inhérent» est un mot aussi approprié) des chambres du Parlement de nier leur capacité d’adopter des résolutions. On peut à bon droit se référer à l’art. 9 du Bill of Rights de 1689, qui fait indubitablement partie du droit du Canada et qui prévoit que [TRADUCTION] «les procédures du Parlement ne devront pas être attaquées ou mises en question par un tribunal ou par ailleurs hors du Parlement».

[Page 786]

On fait valoir toutefois que lorsque la résolution touche aux pouvoirs des provinces, comme celle en question, le pouvoir fédéral de la soumettre à Sa Majesté la Reine est limité à moins d’un consentement de celles-ci. Si tel est le cas, ce n’est pas à cause d’une limite imposée au pouvoir d’adopter des résolutions, mais d’une limite extérieure fondée sur d’autres considérations qui seront examinées sous peu.

Bien que l’Acte de l’Amérique du Nord britan­nique soit lui-même muet sur la question du pouvoir des chambres fédérales de procéder par réso­lution pour modifier l’Acte par adresse à Sa Majesté, son mutisme est un argument favorable à l’existence de ce pouvoir tout autant qu’il pourrait indiquer le contraire. La formulation de la ques­tion B du Québec suggère qu’il faut une preuve affirmative du pouvoir revendiqué, mais il est tout aussi compatible avec les précédents constitution­nels d’exiger une réfutation. En outre, si les deux chambres fédérales avaient le pouvoir de procéder par résolution, comment I’ont-elles perdu?

Pour l’instant, il est pertinent de souligner que même dans les cas où une modification de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique est fondée sur une résolution des chambres fédérales qui a reçu l’assentiment provincial, il n’y a pas un cas, sauf dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1930, où la résolution en fasse état. En bref, il s’agit d’une question conventionnelle au Canada, sans effet sur la validité de la résolution à l’égard de l’action du Royaume-Uni. Le point est souligné par la toute première modification qui touche directement au pouvoir législatif provincial, celle qui en 1940 a ajouté «l’assurance-chômage» à la liste des pouvoirs exclusifs fédéraux. On avait demandé à l’époque en Chambre des communes à sir William Jowitt, alors solliciteur général et plus tard lord chancelier, ce qu’il en était du consentement des provinces au moment de la procédure d’adoption de la modification. Voici la question qu’on lui a posée et sa réponse (voir 362 U.K. Parl. Deb. 5th Series, H.C. 1I77 à 1181):

[TRADUCTION] M. Mander ... Dans ce projet de loi, nous sommes seulement concernés par le Parlement du Canada, mais, à titre de renseignement, je serais recon­naissant au solliciteur général de nous dire si les parlements

[Page 787]

provinciaux canadiens sont d’accord avec les propositions soumises par le Parlement du Dominion .. .

Le solliciteur général [Sir William Jowitt]: ... On pourrait penser que le Parlement canadien est de quelque façon subordonné au nôtre, ce qui n’est pas le cas. En réalité, à la demande du Canada, ce vieux méca­nisme survit encore jusqu’à ce qu’on imagine quelque chose de mieux, mais nous collons la réalité juridique à la réalité constitutionnelle en adoptant ces lois seulement dans la forme requise par le Parlement canadien et à sa requête.

Ma justification de ce projet de loi devant la Chambre (et il est important de le noter) n’est pas sur le fond du projet, ce qui relève du Parlement canadien; si nous nous engageons là-dessus, nous risquons d’empiéter sur ce qui à mon avis est leur position constitutionnelle. La seule justification de ce texte législatif est que nous faisons ainsi ce que le Parlement du Canada désire faire.

En réponse à l’honorable membre d’East Wolver­hampton (M. Mander), je ne sais pas quelle est l’opinion des parlements provinciaux. Ce que je sais toutefois, c’est que lorsque la question a été soumise au Conseil privé, certains parlements provinciaux appuyaient le Parlement du Dominion. Le projet de loi est suffisam­ment justifié du fait que nous sommes moralement tenus d’agir parce que nous sommes saisis de la requête du Parlement du Dominion et que nous devons faire fonc­tionner le vieux mécanisme qui subsiste à sa demande selon ses vœux.

IX

En fait, on demande à cette Cour de consacrer juridiquement le principe du consentement una­nime aux modifications constitutionnelles pour remédier à l’anomalie, encore plus prononcée au­jourd’hui qu’en 1867, due au fait que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ne contient aucune disposition qui permette à une action cana­dienne seule d’effectuer des modifications. Bien que seule la Saskatchewan sur les huit provinces qui s’opposent au projet global du fédéral contenu dans la résolution, ait pris une position moins stricte, en écartant l’unanimité mais sans quantifier l’appui appréciable qu’elle préconise, les pro­vinces parties aux renvois et aux présents pourvois ont le droit de voir cette Cour examiner à fond leur point de vue.

[Page 788]

S’ils sont juridiquement fondés, ces points de vue ont bien sûr pour effet de laisser au moins le pouvoir de modification formel au Parlement du Royaume-Uni. Il sera traité plus loin des éléments relatifs aux arguments de légalité. L’effet de la résolution actuelle est de mettre fin au besoin de recourir au Parlement du Royaume-Uni à l’avenir, Dans l’optique de son rejet de l’unanimité, la Saskatchewan fait valoir que la résolution ne viole aucunement les principes du fédéralisme pour ce qui est de la formule de modification y proposée.

Une question importante est soulevée par la position de la Saskatchewan qui invite cette Cour à diviser les éléments fondamentaux de la résolution, savoir, à séparer la Charte des droits et libertés et peut-être d’autres éléments, mais pas la formule de modification et le rapatriement. Ce n’est pas la position du procureur général du Canada ni celle des procureurs généraux des autres provinces; à leur avis à tous, c’est l’ensemble de la proposition qui est visée par le point de droit soulevé à la question 3 et à la question B. Certes les arguments juridiques pour et contre ne mettent pas en cause la teneur de la proposition et il est impossible de limiter la question de la légalité par des considéra­tions d’impartialité, d’équité, de valeur politique ou même de désirabilité judiciaire.

La question de droit à proprement parler est de savoir si cette Cour peut adopter, en quelque sorte en légiférant, une formule imposant l’unanimité pour déclencher le processus de modification qui lierait non seulement le Canada mais aussi le Parlement du Royaume-Uni qui détiendrait tou­jours le pouvoir de modification. Il serait évidem­ment anormal, ce qui cacherait l’anomalie d’une constitution sans dispositions modificatrices, que cette Cour dise rétroactivement qu’en droit, il y a toujours eu une formule de modification même si nul ne le savait jusqu’ici, ou dise qu’il existait en droit une première formule de modification, disons de 1867 à 1931, et une deuxième qui s’est concréti­sée après 1931. Nul ne peut nier qu’il est souhaita­ble d’arriver à un accord fédéral-provincial ou à un compromis acceptable. Quoi qu’il en soit, cela ne touche pas à la légalité. Comme l’a dit sir William

[Page 789]

Jowitt dans la citation susmentionnée, nous devons faire fonctionner le vieux mécanisme, peut-être une dernière fois.

X

Selon les prétentions des provinces, les chambres fédérales sont juridiquement dans l’incapacité de donner suite à la résolution qui fait l’objet des renvois et des présents pourvois. Joint à cette assertion, on trouve l’argument que le Parlement du Royaume-Uni a de fait renoncé à son pouvoir de donner suite à une résolution telle celle dont cette Cour est saisie et qu’il pourrait seulement agir pour ce qui est du Canada si une requête émanait des «autorités appropriées». Pour que ce soient les chambres fédérales, il ne faudrait pas que les pouvoirs ou intérêts provinciaux soient touchés; autrement, les autorités appropriées devraient comprendre les provinces. Ce n’est pas que les provinces doivent être parties à l’adresse fédérale à Sa Majesté la Reine; ce n’est pas le point allégué. Mais leur consentement est une condition de la validité du processus par adresse et résolution de même que de la validité de l’action subséquente du Parlement du Royaume-Uni (ou, selon la Saskatchewan, un acquiescement ou une approbation provinciale appréciable).

Cette position prend l’aspect des fils d’un éche­veau qu’il convient de démêler pour en faire une analyse et une évaluation appropriées. Ils impli­quent notamment la Déclaration Balfour, qui a suivi la conférence impériale de 1926, et aussi la conférence impériale de 1930, qui fut précédée par une réunion d’experts en 1929 sur le fonctionnement législatif des dominions. Ensuite on insiste de façon considérable sur une vision particulière de certaines dispositions du Statut de Westminster, 1931 en particulier l’art. 4 et le par. 7(1). Le plus important est peut-être une prétention conjointe fondée sur la souveraineté (atténuée en réplique par le procureur général du Manitoba) et sur ce que l’on considère être les présuppositions fondamentales et la base constitutionnelle du fédéra­lisme canadien.

XI

On a invité la Cour à considérer que lorsque la Déclaration Balfour de 1926 parle de «collectivité

[Page 790]

autonome», elle vise les provinces du Canada (et, probablement, les Etats du dominion frère d’Aus­tralie). Voici cette célèbre déclaration de principe, une déclaration politique faite dans le contexte de la marche vers l’indépendance des dominions par rapport au Royaume-Uni:

[TRADUCTION] Il s’agit de collectivités autonomes au sein de l’Empire britannique, de statut égal et en aucune façon subordonnées l’une à l’autre pour ce qui est de leurs affaires internes ou extérieures, tout en étant unies par une allégeance commune à la Couronne, et librement associées comme membres du Commonwealth bri­tannique des Nations.

Il est impossible de chercher à étayer la position provinciale en l’espèce sur cette déclaration. Les provinces n’ont participé au cheminement qui a abouti au Statut de Westminster, 1931 qu’après la conférence de 1929 sur le fonctionnement législatif des dominions, quoiqu’à un certain degré avant la conférence impériale de 1930. Elles ont présenté leurs points de vue sur certains aspects de la loi imminente, points de vue qui ont été analysés à une conférence Dominion-provinces de 1931. Le point principal visait le projet d’abrogation de la Loi relative à la validité des lois des colonies, 1865 (R.-U.), chap. 63 et son effet sur la modifica­tion de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, point qui sera examiné plus loin dans ces motifs.

Bien que la Déclaration Balfour ne puisse appuyer en soi l’affirmation de l’autonomie provin­ciale dans le sens large que l’on fait valoir, il semble qu’on veuille lui attribuer rétroactivement cet effet en raison de l’adoption du Statut de Westminster, 1931. On met cette loi de l’avant non seulement comme une indication de l’égalité de statut entre le Dominion et les provinces vis-à-vis du Parlement du Royaume-Uni, mais aussi comme une atténuation du pouvoir législatif jusqu’alors entier de ce parlement relativement au Canada lorsque des intérêts provinciaux sont en cause. Selon la Cour d’appel de Terre-Neuve, ces consé­quences tirent leur origine de la Déclaration Balfour, faite à l’occasion de la conférence impériale de 1926 et dont on trouve le texte dans le rapport de cette conférence.

[Page 791]

Le résumé suivant sur la question 3 se trouve dans les motifs de la Cour d’appel de Terre-Neuve [à la p. I8]:

[TRADUCTION] A notre avis, le statut constitutionnel des provinces du Canada comme collectivités autonomes est confirmé et parfait par a) le Statut de Westminster, 1931 qui donne effet au principe constitutionnel énoncé à la conférence impériale et selon lequel à la fois le Royaume-Uni et les Dominions sont des collectivités autonomes, de statut égal en aucune façon subordonnées les unes aux autres pour ce qui est de leurs affaires internes ou extérieures; b) la reconnaissance à cette conférence de la division des pouvoirs entre les parties constituantes du Dominion du Canada, chacune étant autonome et en aucune façon subordonnée aux autres; et c) la remise par le Parlement impérial aux provinces de sa souveraineté législative sur les questions qui aux termes de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 relèvent de la compétence législative exclusive des provinces. La modification de ce statut constitutionnel est par là exclue pour l’avenir de la compétence parle­mentaire britannique sauf du consentement des provinces.

Quoique le Parlement de la Grande-Bretagne, en l’absence d’avis au contraire, ait constitutionnellement le droit d’accepter une résolution adoptée par les deux chambres du Parlement canadien en tant que demande valide de modification constitutionnelle pour l’ensemble de la collectivité canadienne, pour les motifs susmention­nés, il lui est néanmoins interdit d’adopter une modifica­tion qui restreint les pouvoirs, droits et privilèges accor­dés aux provinces par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, et élargis par le Statut de Westmins­ter, 1931 à l’encontre des objections des provinces.

Si la portée du Statut de Westminster, 1931 est de fait celle qu’énonce ce passage et celle que les provinces ont soutenue devant cette Cour, il est inutile de recourir à la Déclaration Balfour, sauf peut-être à titre complémentaire. On a beaucoup écrit sur les événements qui ont conduit au Statut de Westminster, 1931. Il suffit de mentionner à titre indicatif la discussion dans Wheare, The Sta­tute of Westminster and Dominion Status, 5e éd., 1953, passim, et voir en particulier le chapitre VII, «The Statute and the Legal Status of Canada».

Les prétentions relatives au Statut de West­minster, 1931 faites par les avocats qui ont plaidé devant cette Cour mettent en cause (1) le préambule

[Page 792]

du Statut; (2) les par. 2(1) et (2); (3) l’art. 3; (4) l’art. 4 et (5) les par. 7(1),(2) et (3). Voici le texte de ces dispositions:

Considérant que les délégués des Gouvernements de Sa Majesté du Royaume-Uni, du Dominion du Canada, du Commonwealth d’Australie, du Dominion de la Nou­velle-Zélande, de l’Union Sud-Africaine, de l’État libre d’Irlande, et de Terre-Neuve, aux Conférences impéria­les tenues à Westminster en les années de Notre-Sei­gneur mil neuf cent vingt-six et mil neuf cent trente, ont concouru aux énoncés et aux voeux formulés dans les rapports desdites Conférences;

Considérant qu’il est expédient et à propos, puisque la Couronne est le symbole de la libre association des membres de la Communauté des nations britanniques et que ces dernières se trouvent unies par une allégeance commune à la Couronne, d’exposer sous forme de préambule à la présente loi qu’il serait conforme au statut constitutionnel consacré de tous les membres de la Communauté dans leurs rapports réciproques, de statuer que toute modification de la Loi relative à la succession au Trône ou au Titre royal et aux Titres doit recevoir désormais l’assentiment aussi bien des Parlements de tous les Dominions que du Parlement du Royaume-Uni;

Considérant qu’il est conforme au statut constitution­nel consacré de statuer que nulle loi émanant désormais du Parlement du Royaume-Uni ne doit s’étendre à l’un quelconque desdits Dominions comme partie de la légis­lation de ce Dominion, sauf à la demande et avec l’agrément de celui-ci;

Considérant que la ratification, la confirmation et la mise à effet de certains desdits énoncés et voeux desdites Conférences nécessitent la confection et l’adoption, par autorité du Parlement du Royaume-Uni, d’une loi en bonne et due forme;

Considérant que le Dominion du Canada, le Com­monwealth d’Australie, le Dominion de la Nouvelle-Zélande, l’Union Sud-Africaine, l’État libre d’Irlande, et Terre-Neuve ont solidairement demandé et agréé de saisir le Parlement du Royaume-Uni d’une mesure ten­dant à statuer, quant aux questions susdites, dans le sens prescrit ci-après dans la présente loi:

A ces causes, qu’il soit édicté ce qui suit par Sa Très Excellente Majesté le Roi, de l’avis et du consentement et par autorité des lords spirituels et temporels et des communes en le présent Parlement assemblés:

2. (1) La Loi de 1865 relative à la validité des lois des colonies ne doit s’appliquer à aucune loi adoptée par le Parlement d’un Dominion postérieurement à la procla­mation de la présente loi.

[Page 793]

(2) Nulle loi et nulle disposition de toute loi édictée postérieurement à la proclamation de la présente loi par le Parlement d’un Dominion ne sera invalide ou inopé­rante à cause de son incompatibilité avec la législation d’Angleterre, ou avec les dispositions de toute loi exis­tante ou à venir émanée du Parlement du Royaume-Uni, ou avec tout arrêté, statut ou règlement rendu en exécu­tion de toute loi comme susdit, et les attributions du Parlement d’un Dominion comprendront la faculté d’abroger ou de modifier toute loi ou tout arrêté, statut ou règlement comme susdit faisant partie de la législa­tion de ce Dominion.

3. Il est déclaré et statué par les présentes que le Parlement d’un Dominion a le plein pouvoir d’adopter des lois d’une portée extra-territoriale.

4. Nulle loi du Parlement du Royaume-Uni adoptée postérieurement à l’entrée en vigueur de la présente Loi ne doit s’étendre ou être censée s’étendre à un Dominion, comme partie de la législation en vigueur dans ce Domi­nion, à moins qu’il n’y soit expressément déclaré que ce Dominion a demandé cette loi et a consenti à ce qu’elle soit édictée.

7. (1) Rien dans la présente Loi ne doit être considéré comme se rapportant à l’abrogation ou à la modification des Actes de l’Amérique du Nord britannique, 1867 à 1930, ou d’un arrêté, statut ou règlement quelconque édicté en vertu desdites Actes.

(2) Les dispositions de l’article deux de la présente Loi doivent s’étendre aux lois édictées par les provinces du Canada et aux pouvoirs des législatures de ces provinces.

(3) Les pouvoirs que la présente Loi confère au Parlement du Canada ou aux législatures des provinces ne les autorisent qu’à légiférer sur des questions qui sont de leur compétence respective.

Rien dans le préambule ne se rapporte aux provinces si ce n’est la référence au Rapport de la Conférence impériale de 1930. Avant cette confé­rence, les provinces se sont inquiétées avec raison, car le projet d’abrogation de la Loi relative à la validité des lois des colonies en faveur du Parlement d’un dominion et aussi ce qui est devenu le par. 2(2) du Statut pouvaient avoir pour effet d’élargir le pouvoir du fédéral et lui permettre, par ses propres lois, de modifier les dispositions de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Ainsi, à la Conférence de 1930, on a consigné ce qui suit (Cmd. 3717, aux pp. 17 et I8):

[Page 794]

[TRADUCTION] ... que les articles du Statut relatifs à la Loi relative à la validité des lois des colonies ne devraient pas de par leur teneur s’étendre au Canada à moins que le Statut ait été adopté en réponse à des demandes appropriées de modification de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Il appert aussi souhai­table de consigner que les articles ne devraient pas être étendus subséquemment au Canada si ce n’est par une loi du Parlement du Royaume-Uni adoptée en réponse à des demandes appropriées de modification de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

La Loi relative à la validité des lois des colonies devait être une loi libératrice qui dégagerait les législatures coloniales de la soumission à la common law britannique (sous réserve de l’auto­rité du Conseil privé) et de la soumission aux lois britanniques à moins qu’un texte législatif s’appli­que expressément ou par implication nécessaire à la colonie. Dans le contexte de l’indépendance des dominions, il fut établi que le Royaume-Uni ne devrait plus légiférer de son propre chef pour l’un d’eux; ceux-ci devraient être libres d’abroger les lois britanniques qui leur étaient applicables ou qui le deviendraient. D’où la déclaration du préambule et les art. 2 et 4 dans leur application à un dominion. Après la Conférence impériale de 1930 et par suite de la conférence Dominion-provinces de 1931, les provinces obtinrent l’assurance qu’el­les pourraient également bénéficier de l’abrogation de la Loi relative à la validité des lois des colonies et qu’elles auraient le pouvoir d’abroger toute loi britannique qui leur était applicable. Tel était l’effet du par. 7(2) du Statut de Westminster, 1931. Il n’a pas semblé nécessaire de les inclure à l’art. 4.

La question la plus importante était cependant la position du Dominion vis-à-vis de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Il ressort du par. 7(l), renforcé par le par. 7(3), que le statu quo ante était conservé, c’est-à-dire, qu’on laissait les modifications de lActe de l’Amérique du Nord britannique (savoir celles que, selon ce texte, ni les provinces ni le Dominion ne pouvait effectuer par voie législative) dans la situation qui prévalait alors, savoir, sous l’autorité législative du Parle-ment du Royaume-Uni qui restait intacte. Comme sir William Jowitt l’a dit, dans le passage déjà cité (à propos du débat sur la modification relative à

[Page 795

l’assurance-chômage), «le vieux mécanisme» est resté en place à la suite du Statut de Westminster, 1931. Aucune autre conclusion n’est défendable à la lecture objective du texte du Statut de West­minster, 1931.

Les provinces autres que l’Ontario et le Nou­veau-Brunswick ne sont pas d’accord avec cette analyse du Statut de Westminster, 1931. Elles ont pris différentes positions à cet égard. On a monté en épingle, notamment l’avocat du procureur géné­ral du Manitoba, l’emploi du pluriel dans la phrase [TRADUCTION] «des demandes appropriées de modification de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique» dans le passage précité du rapport de la Conférence impériale de I930. On a fait valoir qu’il s’agissait d’une réaffirmation de la partie de la conférence sur le fonctionnement législatif du Dominion de 1929 qui, à l’égard de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, déclare que la question du mode approprié de modification devrait être laissée [TRADUCTION] «à l’examen des autorités canadiennes compétentes». On a fait valoir, non sans à propos, que les «autorités cana­diennes compétentes» étaient le Dominion et les provinces et, présumément, qu’il leur appartien­drait de décider s’il s’agit des gouvernements ou du Parlement et des législatures respectifs ou des deux et aussi du degré approprié d’entente entre les provinces. Il est toutefois impossible d’en tirer une norme juridique parce qu’en définitive, quel que soit le consensus politique, il subsisterait toujours la nécessité juridique d’une action législative finale du Royaume-Uni.

La conférence Dominion-provinces de 1931 qui a suivi n’élucide rien en l’espèce. Comme le bref résumé de la Conférence le dit, son but était

[TRADUCTION] ... de donner aux provinces une possibi­lité d’exprimer leurs points de vue sur le Statut de Westminster et le projet d’article numéro 7 qui y sera inclus pour traiter seulement de la situation canadienne. Ce principe du projet de loi n’a reçu aucune objection et une proposition que les dispositions du Statut sur l’abro­gation de la Loi relative à la validité des lois des colonies soient étendues aux provinces fut approuvée. Toutes les provinces ont jugé le texte de l’article 7 canadien satis­faisant bien que Québec ait demandé plus de temps pour

[Page 796]

l’examiner. Entre temps, le gouvernement du Québec a transmis son approbation.

Le résumé de la Conférence continue en ces termes:

[TRADUCTION] Certaines autres questions constitu­tionnelles se sont posées au cours de la Conférence. Certaines provinces souhaitaient que la question des pouvoirs et de la procédure relative aux modifications constitutionnelles soit discutée en même temps que la question plus large des relations constitutionnelles entre le Dominion et les provinces. Comme il était impossible de le faire à cette réunion, les parties ont convenu de convoquer une conférence constitutionnelle dès que pos­sible. Selon l’opinion générale, à une conférence de ce genre, on pourrait découvrir un mode de modification de la constitution canadienne par des organismes canadiens qui concilierait les deux aspects essentiels: une facilité raisonnable de changement et la préservation des droits provinciaux.

La phrase soulignée dans ce résumé de la Confé­rence indique très clairement qu’en 1930 il n’exis­tait certainement pas de règle de droit en ce qui concerne les modifications constitutionnelles. Le Statut de Westminster, 1931 n’a rien changé à la situation juridique.

On a également fait valoir devant cette Cour que le par. 7(I), qui selon ses termes ((«Rien dans la présente Loi ne doit être considéré comme se rapportant [aux] ... Actes de l’Amérique du Nord britannique, I867 à 1930») exclut lActe de l’Amé­rique du Nord britannique (du moins dans sa forme d’alors) de l’application du Statut de West­minster, 1931, visait les art. 2 et 3 et non l’art. 4. Selon cet argument, le par. 7(1) n’exclut pas l’ap­plication de l’art. 4 auquel on doit donner un effet limitatif vis-à-vis du Dominion compte tenu des provinces; «la demande et le consentement» exprès à une loi britannique nécessaires pour la rendre applicable au Canada sont ceux du Dominion et des provinces si la loi vise des intérêts ou des pouvoirs provinciaux, par exemple, une modifica­tion de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique comme celle envisagée par la résolution présente. On prétend qu’il faut donner au mot «Dominion» à l’art. 4 ce qu’on peut appeler un sens conjoint ou collectif incluant à la fois le Dominion et les provinces; on allègue qu’autrement le but du Statut de Westminster, 1931 serait mis en échec.

[Page 797]

On souligne une différence, dite importante, dans la mention de «Parlement d’un Dominion» à l’art. 3 et le simple mot de «Dominion» à l’art. 4.

Rien dans le texte du Statut de Westminster, 1931 n’appuie la position des provinces quoiqu’en se fondant sur cette interprétation, on allègue que le Parlement du Royaume-Uni a renoncé à son pouvoir antérieurement absolu sur l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, une de ses pro­pres lois, ou l’a cédé. Cet argument quant à la question 3 et à la question B (dans son aspect juridique) affirme une diminution juridique de la suprématie législative du Royaume-Uni. En bref, la réponse aux ramifications de cette prétention est qu’elle déforme à la fois l’histoire et les principes ordinaires d’interprétation législative ou constitu­tionnelle. Le fait patent est que le par. 7(I) a été promulgué pour empêcher que l’on conclue à l’existence du pouvoir fédéral unilatéral direct de modifier l’Acte de l’Amérique du Nord britanni­que et que c’est le par. 7(3), et non le par. 7(1), qui vise l’art. 2. C’est pourquoi il était inutile de prévoir pour le Canada ce que le par. 9(3) prévoit pour l’Australie, savoir, que dans l’application du Statut de Westminster, 1931 au Commonwealth d’Australie, «la demande et le consentement visés à l’article quatre sont la demande et le consentement du Parlement et du Gouvernement du Commonwealth d’Australie». En outre, l’article d’interpré­tation du Statut de Westminster, 1931 l’art. 1, précise que «Dominion» signifie l’un quelconque des dominions suivants: «le Dominion du Canada, le Commonwealth d’Australie, le Dominion de la Nouvelle-Zélande, l’Union Sud-Africaine, l’Etat libre d’Irlande, et Terre-Neuve». Le contexte expli­que facilement la mention du «Parlement d’un Dominion» à l’art. 3 et de «Dominion» à l’art. 4. L’argument fondé sur le Statut de Westminster, 1931 est indéfendable, mais il rend plus préoccu­pant l’examen de l’effet du retrait de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique du Statut de Westminster, 1931 et de la préservation par le par. 7(3) de la répartition existante des pouvoirs légis­latifs aux termes de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

XII

Ceci mène aux arguments qui ont porté sur la souveraineté des provinces à l’égard de leurs pouvoirs

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en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique; le terme «souveraineté» est devenu «suprématie» au cours des plaidoiries. On a assorti cet argument de la prétention que le Canada ne peut faire indirectement ce qu’il ne peut pas faire directement; il ne pourrait pas par un de ses propres textes de loi accomplir ce que propose la résolution. Pareil texte législatif serait nettement ultra vires quant à la majorité des dispositions énoncées par la résolution et il ne devrait pas pouvoir renforcer sa situation sur le plan juridique en faisant appel au Parlement du Royaume-Uni. En outre, même si le Parlement du Royaume-Uni a conservé son pouvoir formel sur l’Acte de l’Amé­rique du Nord britannique, puisque c’est une de ses lois, il est, pour reprendre les propos de feu le juge Rand, alors à la retraite, «un simple fiduciaire législatif», juridiquement soumis à l’égard de la résolution aux ordres des bénéficiaires, savoir le Dominion et les provinces.

Il convient à ce stade de traiter de l’argument «direct-indirect» et de celui de la «fiducie législa­tive», avant de reprendre la proposition principale, la suprématie législative provinciale. Cette préten­tion implique un examen du caractère du fédéra­lisme canadien et doit, évidemment, être soigneu­sement jaugée.

En soi, cette prétention revient à ceci: que les chambres fédérales puissent chercher à obtenir l’adoption du projet de loi annexé à la résolution ou pas, il serait en tout cas illégal de recourir au pouvoir du Royaume-Uni pour faire au nom du Canada ce que ce dernier ne peut faire lui-même. La maxime «on ne peut faire indirectement ce qu’on ne peut faire directement» est souvent employée à tort et à travers. On l’a utilisée pour invalider une loi provinciale dans Madden v. Nelson and Fort Sheppard Railway Co.[18] C’est une façon percutante de décrire la législation déguisée: voir Ladore v. Bennett[19], è la p. 482. Toutefois cela n’empêche pas une législature dont le pouvoir est limité de faire directement en vertu d’un chef de pouvoir législatif ce qu’elle ne pourrait faire directement en vertu d’un autre chef. La

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question évidemment reste celle de savoir si les deux chambres fédérales peuvent seules déclencher le processus et l’utiliser pour invoquer la compé­tence du Parlement du Royaume-Uni.

Par rapport tout au moins à la formule de modification, le processus en question ici ne vise pas la modification d’une constitution complète, mais plutôt l’achèvement d’une constitution incom­plète.

Il s’agit en l’espèce de la touche finale, d’ajouter une pièce à l’édifice constitutionnel; il est vain de s’attendre à trouver quelque chose dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique qui règle ce pro­cessus. S’il en était autrement, il serait inutile de recourir comme ici à la procédure par résolution qui tient compte du lien intergouvernemental et international entre le Canada et la Grande-Breta­gne. Il n’y a pas de lien comparable qui implique les provinces et la Grande-Bretagne. En outre, quand on a recours à l’argument de l’acte “direct-indirect”, on confond la question du processus, qui est la question fondamentale en l’espèce, et celle de la compétence du Parlement britannique. La com­pétence de ce parlement est, pour les motifs déjà exposés, entière et il lui appartient à lui seul de décider d’agir et du mode d’action.

Feu M. le juge Rand a utilisé les mots «un simple fiduciaire législatif” au cours des confé­rences Holmes tenues à la faculté de droit de Harvard sous le titre «Some Aspects of Canadian Constitutionalism», publiées à (1960) 38 R. du B. Can. 135. Il a utilisé cette expression alors qu’il discutait de l’effet du Statut de Westminster, 1931. Il dit (à la p. I45):

[TRADUCTION] Du point de vue législatif, une situa­tion unique est née. Le Parlement britannique est en effet devenu un simple fiduciaire législatif du Dominion; l’organisme constitutionnel qui peut modifier les disposi­tions de la constitution canadienne contenues dans l’Acte de 1867 est toujours le Parlement britannique; mais la direction politique revient au Parlement du Dominion; le premier a accepté de limiter son résidu de pouvoir législatif vis-à-vis du Canada à rien de plus qu’un moyen de donner effet à la volonté du Canada. Il

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pourrait arriver, quoique ce soit tout à fait improbable, que le Parlement britannique élève des objections à une demande de modification législative si par exemple elle a des effets législatifs importants auxquels une ou plusieurs provinces ne souscriraient pas; mais cela ne revient à rien de plus qu’à dire que le peuple canadien n’aurait pas encore convenu du mode de modification de ses relations constitutionnelles internes. Une fois d’ac­cord sur ce moyen, l’indépendance législative, non seulement au fond mais dans la forme, sera atteinte.

La Cour d’appel de Terre-Neuve a adopté la phrase mais a décidé que le juge Rand n’aurait pas dû limiter l’idée d’une fiducie au seul Dominion du Canada. De plus, la Cour est carrément passée à côté du point central de la conférence du juge Rand, que «la direction politique revient au Parlement du Dominion». A ce sujet la Cour déclare [à la p. 17]:

[TRADUCTION] Nous endossons totalement cette dé­claration mais ajoutons que le Parlement de Grande-Bretagne est un «simple fiduciaire législatif» à la fois du Parlement fédéral et des législatures provinciales relati­vement aux domaines qui relèvent de leur compétence législative respective. Une modification adoptée par le Parlement de Grande-Bretagne qui touche à la compé­tence de l’une ou l’autre des parties, sans le consentement de cette dernière, serait non seulement contraire à l’intention du Statut de Westminster, 1931, mais elle mettrait en échec toute l’économie de la constitution fédérale canadienne.

Pour parer à cette conclusion de la Cour d’appel de Terre-Neuve, il suffit de se reporter à ce que dit Gérin-Lajoie dans son ouvrage fécond Constitu­tional Amendment in Canada, I950, à la p. I38:

[TRADUCTION] Bien que le Parlement du Royaume-Uni ne puisse adopter de modifications constitutionnelles sans une demande canadienne dûment formulée, la seule voix compétente au Canada à cet égard est celle du pouvoir fédéral. Les autorités provinciales, que ce soit l’exécutif ou le législatif, n’ont pas de locus standi pour s’adresser au Parlement ou au gouvernement britanni­que afin d’obtenir une modification de la constitution fédérale.

Il est évident que tout changement du pouvoir législatif du Parlement ou des législatures provin­ciales toucherait directement à celui de l’autre. A

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vrai dire les remarques de la Cour d’appel de Terre-Neuve citées sont davantage pertinentes aux prétentions des parties relatives à la nature du fédéralisme canadien qu’à une interprétation du Statut de Westminster, 1931. Quoi que le Statut puisse impliquer relativement aux procédures con­ventionnelles intracanadiennes, ni lui ni les procé­dures dont il découle ne mettent en doute l’autorité juridique entière du Parlement du Royaume-Uni sur l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

XIII

En définitive, lorsqu’on conteste en droit la com­pétence des chambres fédérales de chercher à faire adopter par le Parlement du Royaume-Uni la loi incluse dans la résolution, on se fonde sur la suprématie reconnue des législatures provinciales sur les pouvoirs que leur confère l’Acte de l’Amé­rique du Nord britannique, suprématie par rapport au Parlement fédéral. On fait valoir que le renfor­cement ou peut-être le fondement de cette supré­matie découle de la nature ou des caractéristiques du fédéralisme canadien.

L’argument de la suprématie en soi se justifie du seul fait de la formulation même des pouvoirs respectifs du Parlement et des législatures provin­ciales aux art. 91 et 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Toutefois, la primauté fédérale est la règle générale dans l’exercice réel de ces pouvoirs. Ceci mis à part, l’exclusivité des pouvoirs provinciaux (soit une autre façon d’exprimer la suprématie plus en accord avec le texte de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique) ne peut être niée. La longue liste d’arrêts, de Hodge v. The Queen[20] en passant par Liquidators of the Maritime Bank of Canada v. Receiver-General of New Brunswick[21] et l’affaire des Conventions de tra­vail, précitée, où le Conseil privé a parlé «des compartiments étanches» entre les pouvoirs législa­tifs (à la p. 354), donne un appui suffisant au principe de l’exclusivité ou de la suprématie mais, évidemment, dans le cadre de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

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Bien qu’il y ait ce que l’on a appelé des traits unitaires dans l’Acte de l’Amérique du Nord bri­tannique, soit les pouvoirs prépondérants (à distin­guer de la primauté de la législation) du Parlement et du gouvernement fédéraux, leur effet modifica­tif sur le pouvoir provincial exclusif n’y porte pas atteinte à un degré appréciable. Ainsi, le pouvoir déclaratoire du fédéral en vertu de l’al. 92(10)c) a une portée limitée; bien que le pouvoir de réserve et de désaveu des lois provinciales existe toujours en droit, il est tombé à toute fin pratique en désuétude. Le fait que les lieutenants-gouverneurs des provinces soient nommés par le gouvernement central n’a en pratique aucun impact sur les pou­voirs provinciaux puisqu’en droit, le lieutenant-gouverneur est tout autant le représentant person­nel du Souverain que l’est le gouverneur général. Dans chaque cas, la représentation se rapporte évidemment aux pouvoirs respectifs conférés au Parlement et aux législatures. En outre, puisqu’il y a une dimension internationale et extérieure aux rapports entre le Canada et la Grande-Bretagne, toute communication officielle entre une province et son lieutenant-gouverneur et le gouvernement du Royaume-Uni ou la Reine doit se faire par l’intermédiaire du gouvernement fédéral ou du gouverneur général.

A cet égard, il est important de souligner que, dès 1923, le gouvernement du Canada a obtenu une reconnaissance internationale de son pouvoir indépendant de contracter des obligations avec l’étranger quand il négocia la Convention sur la pêche du flétan avec les Etats-Unis. La Grande-Bretagne l’avait compris à ce moment-là tout comme les Etats-Unis. Une confirmation est venue des conférences impériales subséquentes, sanctifiée par le Statut de Westminster, 1931 qui a aussi donné une assise juridique à notre indépendance interne vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Le dernier signe de soumission, le besoin de recourir au Parlement britannique pour modifier l’Acte de l’Améri­que du Nord britannique, bien que préservé par le Statut de Westminster, 1931, ne comporte aucune diminution du pouvoir du Canada en droit interna­tional et en droit constitutionnel canadien, d’affir­mer son indépendance en matière de relations extérieures, que ce soit avec la Grande-Bretagne ou d’autres pays. Ce point est mis en relief par

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l’arrêt de cette Cour dans le Renvoi: Offshore Mineral Rights of British Columbia[22], à la p. 816. C’est une considération pertinente aux pourvois dont cette Cour est saisie.

Les provinces qui s’opposent à l’envoi de l’adresse sans le consentement provincial font valoir que les relations extérieures avec la Grande-Bretagne à cet égard doivent tenir compte de la nature et des caractéristiques du fédéralisme cana­dien. Elles prétendent que leur position trouve un fondement juridique dans le régime fédéral cana­dien tel qu’il ressort des antécédents historiques, des déclarations de personnalités politiques impor­tantes et du préambule de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

Les arguments tirés de l’histoire ne donnent pas une vision uniforme ni une vision unique de la nature de l’Acte de l’Amérique du Nord britanni­que; plusieurs interprétations sont possibles et plusieurs ont été faites; voir le Rapport de la Com­mission royale des relations entre le Dominion et les provinces, 1940, Livre l, aux pp. 29 et suiv. L’histoire ne peut modifier le fait qu’en droit, il y a une loi britannique à interpréter et à appliquer relativement à un sujet absolument fondamental mais que la loi ne régit pas. On a évidemment vu se développer des pratiques qui tenaient compte de l’indépendance canadienne. Elles avaient à la fois des aspects intracanadiens et extra-canadiens par rapport au pouvoir législatif britannique. Les pre­mières ont déjà été analysées à la fois dans les motifs relatifs à la question 2 et à la question B et, jusqu’à un certain point, dans ces motifs-ci. Qu’il s’agisse de la théorie absolue du pacte (qui, même du point de vue des faits, ne peut être défendue compte tenu du pouvoir fédéral de créer de nouvelles provinces à partir de territoires fédéraux, ce qui s’est produit lors de la création de l’Alberta et de la Saskatchewan) ou d’une théorie du pacte modi­fiée, comme l’allèguent certaines provinces, il s’agit de théories qui relèvent du domaine politi­que, de l’étude des sciences politiques. Elles ne mettent pas le droit en jeu, sauf dans la mesure où elles pourraient avoir une pertinence périphérique

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sur les dispositions en vigueur de l’Acte de l’Amé­rique du Nord britannique et sur son interpréta­tion et application. C’est pourquoi, pour prendre un exemple, dans l’affaire de la Délégation inter-parlementaire, Attorney General of Nova Scotia v. Attorney General of Canada[23] le juge en chef Rinfret dit (à la p. 34):

[TRADUCTION] La Constitution du Canada n’appar­tient ni au Parlement, ni aux législatures; elle appartient au pays. C’est en elle que les citoyens de ce pays trouveront la protection des droits auxquels ils peuvent prétendre. Le fait que le Parlement ne peut légiférer que sur les sujets que lui assigne l’article 91, et que chaque province peut légiférer exclusivement sur les matières que lui assigne l’article 92, fait partie de cette protection.

Il faut toutefois placer cette déclaration dans le contexte d’une question soulevée en regard de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique; la question était de savoir s’il pouvait y avoir entre le Parlement du Canada et les législatures provincia­les une délégation des pouvoirs législatifs respectifs confiés en tant que pouvoirs exclusifs à chaque ordre d’autorité. Devant la cour d’instance infé­rieure, soit la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse en banc, le juge en chef Chisholm a souligné que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ne cons­tituait pas un comptoir d’échange d’articles consti­tutionnels: voir Re Delegation of Legislative Jurisdiction[24], à la p. 6.

La déclaration susmentionnée du juge en chef Rinfret n’a en soi aucune conséquence juridique; elle souligne simplement le caractère impératif de la répartition des pouvoirs législatifs. En bref, tout comme l’argument de la cristallisation de la con­vention en une règle de droit, la mention des théories du fédéralisme dans certaines décisions ne constitue rien de plus qu’un appui à une question soumise aux tribunaux indépendamment de ces théories.

Il en va de même des déclarations de personnali­tés politiques ou de personnes dans d’autres sec­teurs de la vie publique. Il y a peu à gagner à en faire étalage.

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On prétend enfin appuyer l’exigence juridique d’un consentement provincial à la résolution devant cette Cour, consentement qui conditionnerait aussi la réponse du Royaume-Uni, sur le préambule de l’Acte de l’Amérique du Nord bri­tannique lui-même et sur le reflet dans le texte formel de l’Acte de ce qui serait les présupposi­tions essentielles du préambule quant à la nature du fédéralisme canadien. Voici l’énoncé complet du préambule:

Considérant que les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont exprimé le désir de contracter une Union Fédérale pour ne former qu’une seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni:

Considérant de plus qu’une telle union aurait l’effet de développer la prospérité des provinces et de favoriser les intérêts de l’Empire Britannique:

Considérant de plus qu’il est opportun, concurrem­ment avec l’établissement de l’union par autorité du parlement, non seulement de décréter la constitution du pouvoir législatif de la Puissance, mais aussi de définir la nature de son gouvernement exécutif:

Considérant de plus qu’il est nécessaire de pourvoir à l’admission éventuelle d’autres parties de l’Amérique du Nord britannique dans l’union:

Le préambule met de l’avant le désir des pro­vinces nommées «de contracter une Union Fédé­rale ... avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni». Il parle aussi d’une union en «une seule et même Puissance» et de l’établissement de l’union «par autorité du parlement», c’est-à-dire le Parlement du Royaume-Uni. Que peut-on donc déduire du préambule du point de vue juridique? Il va sans dire qu’un préambule n’a aucune force exécutoire mais qu’on peut certainement y recourir pour éclaircir les dispositions de la loi qu’il introduit. L’union fédérale «avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni» peut fort bien comprendre le gouvernement responsable et des aspects de common law du régime constitutionnel unitaire du Royaume-Uni, tels la règle de droit et les prérogatives et immuni­tés de la Couronne. La «règle de droit» est une

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expression haute en couleur qui, sans qu’il soit nécessaire d’en examiner ici les nombreuses impli­cations, communique par exemple un sens de l’or­dre, de la sujétion aux règles juridiques connues et de la responsabilité de l’exécutif devant l’autorité légale. Des modifications législatives peuvent changer les règles de common law, comme cela s’est produit pour les prérogatives et immunités de la Couronne. Il y a aussi une contradiction interne à parler du fédéralisme à la lumière du principe invariable de la suprématie parlementaire britanni­que. Bien sûr, la solution de cette contradiction se trouve dans le mécanisme de répartition des pou­voirs législatifs, mais ceci ne découle en rien du préambule et se fonde plutôt sur l’énoncé même du texte formel de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

Il n’y a pas ni ne peut y avoir de régime fédéral standardisé dont on doive tirer des conclusions particulières. On a parlé plus tôt de ce qu’on appelle les caractéristiques unitaires du fédéra­lisme canadien qui permettent de le distinguer de celui de l’Australie et des Etats-Unis. La réparti­tion des pouvoirs législatifs diffère tout comme les institutions qui les exercent. Les provinces qui s’opposent à la proposition fédérale invitent cette Cour à déclarer que juridiquement la répartition interne des pouvoirs législatifs doit avoir des réper­cussions externes bien que cette affirmation ne soit aucunement justifiée en droit et que, d’ailleurs, le pouvoir légal existant (comme à l’art. 3 du Statut de Westminster, 1931) nie cette prétention des provinces.

Au fond, c’est cette distribution, la répartition du pouvoir législatif entre le Parlement central et les législatures provinciales, que les provinces invo­quent pour bloquer l’action fédérale unilatérale visant des modifications de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique qui ont un effet sur le pouvoir législatif provincial, que ce soit en le limitant ou en l’étendant. Le procureur général du Canada a été poussé dans ses derniers retranchements lorsqu’on l’a forcé à répondre par l’affirmative à la question théorique de savoir si, en droit, le gouver­nement fédéral pourrait obtenir une modification de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique qui

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ferait du Canada un Etat unitaire. Ce n’est pas ce que la présente résolution envisage puisque les caractéristiques fédérales essentielles du pays sont conservées par le projet de loi en question.

On fait valoir que ce n’est pas une raison pour concéder au fédéral le pouvoir unilatéral d’accom­plir, par le recours à une loi du Parlement du Royaume-Uni, les fins de la résolution. Toutefois, devant cette situation sans précédent, il se dégage une constante depuis l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique en 1867, le pouvoir du Parlement du Royaume-Uni de le modifier. Aucune loi ne requiert le consentement des provinces à une résolution des chambres fédérales ou à l’exercice par le Royaume-Uni de son pouvoir législatif.

En définitive, la troisième question posée dans les affaires du Manitoba et de Terre-Neuve doit recevoir en droit une réponse négative et la ques­tion B doit, du point de vue juridique, recevoir une réponse affirmative.

XIV

Il reste à examiner la question 4 du renvoi de Terre-Neuve. De fait il s’agit de savoir si les cas qu’elle énumère pourraient se produire en vertu de la formule de modification insérée dans le projet de loi annexé à la résolution soumise aux deux chambres fédérales. Comme on l’a déjà dit, le projet de loi a subi quelques changements avant son adoption par les chambres fédérales dont un changement de numérotation de certains articles pertinents à la question 4. Il n’est toutefois pas nécessaire de s’arrêter à ces changements de numérotation puisque le procureur général du Canada est d’accord avec les conclusions de la Cour d’appel de Terre-Neuve sur les trois premiè­res parties de sa réponse à la question et que le procureur général de Terre-Neuve convient avec le procureur général du Canada que la Cour d’appel de Terre-Neuve a commis une erreur dans la quatrième partie de sa réponse à la question. Il est faux de dire qu’en cas de référendum tenu en vertu de l’art. 42 (le numéro d’alors) du projet de loi (maintenant l’art. 47), l’approbation de la majorité des habitants de chaque province est requise. L’énoncé correct est que, dans ces provinces, il

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suffirait de l’approbation de la majorité des votants à un référendum auquel les législatures devraient également donner leur approbation en vertu de la formule de modification générale.

Le procureur général du Canada est d’accord avec la Cour d’appel de Terre-Neuve qu’une réponse sans réserve à la question 4 risquerait d’être trompeuse et il a présenté des réponses qu’il considérait comme meilleures. Puisque, devant cette Cour, le procureur général du Canada et le procureur général de Terre-Neuve se sont enten­dus pour l’essentiel sur la réponse appropriée à la question 4, il est inutile de s’y arrêter davantage ici. En outre, cela implique une évaluation du texte formel du projet de loi soumis à l’adoption du Parlement du Royaume-Uni; c’est là un exemple des détails que la réponse à la question 1 aurait pu comprendre et sur lesquels, du consentement des procureurs, on a décidé qu’il n’était pas nécessaire d’élaborer. Il est donc inutile de parler plus lon­guement de la question 4, d’autant plus que cette Cour ne s’occupe pas ici de la sagesse du texte de loi proposé.

XV

Rien dans ces motifs ne doit être interprété comme une approbation ou une condamnation du projet de formule de modification, de la Charte des droits et libertés ou de l’une quelconque des dispositions dont l’adoption est recherchée. Les questions soumises à cette Cour ne requièrent pas qu’elle approuve ou condamne le contenu de ce qu’on a appelé la «proposition globale».

L’élément central ici est l’autorité totale en droit des deux chambres fédérales de mener comme elles le veulent leurs propres procédures et donc d’adop­ter la résolution qui doit être soumise à Sa Majesté pour que le Parlement du Royaume-Uni y donne suite. Que ce soit par son texte ou par implication, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ne régit pas ce pouvoir ni n’exige qu’il soit assujetti à la sanction provinciale. Le Statut de Westminster, 1931 ne l’impose pas non plus. Au mieux, il laisse les choses comme elles l’étaient avant son adop­tion. L’évolution qui a suivi est sans effet sur la situation juridique.

[Page 809]

En résumé, les réponses aux questions 1 et 3 communes aux renvois du Manitoba et de Terre-Neuve sont les suivantes:

Question 1: Oui.

Question 3: Du point de vue juridique, non.

La réponse à la question 4 du renvoi de Terre-Neuve est celle exprimée dans les motifs de la Cour d’appel de Terre-Neuve, sous réserve de la correction apportée dans les présents motifs.

Les réponses aux questions du renvoi du Québec sont les suivantes:

Question A

(i): Oui.

(ii): Oui.

Question B

(i): Du point de vue juridique, oui.

(ii): Du point de vue juridique, oui.

Il n’y aura évidemment aucune adjudication de dépens.

LES JUGES MARTLAND ET RITCHIE (dissidents)—Ces trois appels visent les opinions des cours d’appel du Manitoba, de Terre-Neuve et du Québec qui se sont prononcées dans trois renvois relatifs à la convenance et à la légalité constitu­tionnelles d’un projet de résolution actuellement devant le Sénat et la Chambre des communes du Canada.

Le lieutenant-gouverneur en conseil du Mani­toba a déféré trois questions à la Cour d’appel du Manitoba pour examen et audition par un décret daté du 24 octobre 1980; les voici:

1. L’adoption des modifications ou de certaines des modifications que l’on désire apporter à la Constitu­tion du Canada par le «Projet de résolution portant adresse commune à Sa Majesté la Reine concernant la Constitution du Canada» aurait-elle un effet sur les relations fédérales-provinciales ou sur les pouvoirs, les droits ou les privilèges que la Constitution du Canada accorde ou garantit aux provinces, à leurs législatures ou à leurs gouvernements et, dans l’affirmative, à quel(s) égard(s)?

2. Y a-t-il une convention constitutionnelle aux termes de laquelle la Chambre des communes et le Sénat du Canada ne peuvent, sans le consentement préalable des provinces, demander à Sa Majesté la Reine de déposer devant le Parlement du Royaume-Uni de

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Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord un projet de modification de la Constitution du Canada qui a un effet sur les relations fédérales-provinciales ou les pouvoirs, les droits ou les privilèges que la Constitu­tion du Canada accorde ou garantit aux provinces, à leurs législatures ou à leurs gouvernements?

3. Le consentement des provinces est-il constitutionnellement nécessaire pour modifier la Constitution du Canada lorsque cette modification a un effet sur les relations fédérales-provinciales ou altère les pouvoirs, les droits ou les privilèges que la Constitution du Canada accorde ou garantit aux provinces, à leurs législatures ou à leurs gouvernements?

La Cour d’appel du Manitoba a rendu son jugement le 3 février 1981[25]. Une majorité des mem­bres de la cour a refusé de répondre à la question 1 précitée. Le juge en chef Freedman du Manitoba et le juge Matas ont conclu que la question était alors hypothétique et prématurée. Le juge Hall a conclu que la question 1 ne se prêtait pas à une détermination judiciaire et qu’en tout état de cause elle était théorique et prématurée. Les juges Huband et O’Sullivan ont tous deux conclu que la question devait recevoir une réponse affirmative.

Le juge en chef Freedman du Manitoba et les juges Matas, O’Sullivan et Huband ont répondu à la question 2 précitée par la négative. Le juge Hall a conclu que la question 2 ne se prêtait pas à une détermination judiciaire.

Le juge en chef Freedman du Manitoba et les juges Hall et Matas ont répondu par la négative à la question 3 précitée. Les juges O’Sullivan et Huband y ont répondu par l’affirmative.

Par un décret daté du 5 décembre 1980, le lieutenant-gouverneur en conseil de Terre-Neuve a déféré quatre questions à la Cour d’appel de Terre-Neuve pour examen et audition. Les trois premiè­res questions sont identiques à celles posées dans le renvoi du Manitoba. La question 4 est la suivante:

4. Si la partie V du projet de résolution dont il est fait mention à la question 1 est adoptée et mise en vigueur, est-ce que

a) les conditions de l’union, dont les conditions 2 et 17 qui se trouvent à l’annexe de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1949 (12-13 George VI, chap. 22 (R.-U.))

[Page 811]

ou

b) l’article 3 de l’Acte de l’Amérique du Nord bri­tannique, 1871 (34-35 Victoria, chap. 28 (R.-U.))

pourraient être modifiés directement ou indirectement en vertu de la partie V, sans le consentement du gouvernement, de la législature ou d’une majorité de la population de la province de Terre-Neuve expri­mant son vote dans un référendum tenu en vertu de la partie V?

La cour a rendu un jugement unanime le 31 mars 1981[26]. Dans des motifs conjoints, le juge en chef Mifflin de Terre-Neuve et les juges Morgan et Gushue répondent aux questions I, 2 et 3 par l’affirmative. La question 4 reçoit la réponse suivante [à la p. 30]:

[TRADUCTION]

(1) Vu l’art. 3 de l’Acte de l’Amérique du Nord britan­nique, 1871, la condition 2 des conditions de l’union ne peut être changée sans le consentement de la législature de Terre-Neuve.

(2) Vu l’art. 43 de la Loi constitutionnelle de 1981, dans son texte actuel, aucune des conditions de l’union ne peut être changée sans le consentement de l’assemblée législative de Terre-Neuve.

(3) Ces deux articles peuvent être changés par les formules de modification prévues à l’art. 41 et les conditions de l’union pourraient alors être changées sans le consentement de la législature de Terre-Neuve.

(4) Si la formule de modification de l’art. 42 est utili­sée, les deux articles peuvent être changés par un référendum tenu conformément aux dispositions de cet article. En ce cas, les conditions de l’union pourraient être changées sans le consentement de la législature de Terre-Neuve, mais non sans le con­sentement de la majorité de la population de Terre-Neuve exprimant son vote dans un référendum.

Par décret daté du 17 décembre 1980, le gouver­nement du Québec a déféré à la Cour d’appel du Québec deux questions, subdivisées en deux sous-questions que voici:

A. La Loi sur le Canada et la Loi constitutionnelle de 1981 si elles entrent en vigueur et si elles sont valides à tous égards au Canada, auront-elles pour effet de porter atteinte:

[Page 812]

(i) à l’autorité législative des législatures provinciales en vertu de la constitution canadienne?

(ii) au statut ou rôle des législatures ou gouverne­ments provinciaux au sein de la fédération canadienne?

B. La constitution canadienne habilite-t-elle, soit par statut, convention ou autrement, le Sénat et la Chambre des communes du Canada à faire modifier la constitution canadienne sans l’assentiment des provinces et malgré l’objection de plusieurs d’entre elles de façon à porter atteinte:

(i) à l’autorité législative des législatures provinciales en vertu de la constitution canadienne?

(ii) au statut ou rôle des législatures ou gouverne­ments provinciaux au sein de la fédération canadienne?

La Cour d’appel du Québec a rendu son jugement le 15 avril 1981[27]. Le juge en chef Crête du Québec et les juges Owen, Turgeon et Bélanger ont répondu aux deux questions par l’affirmative. Le juge Bisson, dissident, a répondu à la question A par l’affirmative et à la question B par la négative.

Les appels interjetés de chacun de ces arrêts sont devant cette Cour de plein droit. Cette Cour a entendu les plaidoiries des procureurs généraux des dix provinces, du procureur général du Canada et de la Four Nations Confederacy Inc. Chaque appel a respectivement été plaidé, mais ils ont été entendus consécutivement.

La Loi sur le Canada et la Loi constitutionnelle de 1981, mentionnées dans le renvoi du Québec, font l’objet d’une résolution actuellement devant le Sénat et la Chambre des communes du Canada. Cette résolution déclare:

CONSIDÉRANT:

que le Parlement du Royaume-Uni a modifié à plusieurs reprises la Constitution du Canada à la demande et avec le consentement de celui-ci;

que, de par le statut d’État indépendant du Canada, il est légitime que les Canadiens aient tout pouvoir pour modifier leur Constitution au Canada;

qu’il est souhaitable d’inscrire dans la Constitution du Canada la reconnaissance de certains droits et libertés

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fondamentaux et d’y apporter d’autres modifications;

il est proposé que soit présentée respectueusement à Sa Majesté la Reine l’adresse dont la teneur suit:

A Sa Très Excellente Majesté la Reine,

Très Gracieuse Souveraine:

Nous, membres de la Chambre des commu­nes du Canada réunis en Parlement, fidèles sujets de Votre Majesté, demandons respectueusement à Votre Très Gracieuse Majesté de bien vouloir faire déposer devant le Parlement du Royaume-Uni un projet de loi ainsi conçu:

Le projet de loi mentionné dans la résolution constitue la Loi sur le Canada et la Loi constitu­tionnelle de 1981. La Loi sur le Canada fait état de la demande et du consentement du Sénat et de la Chambre des communes à la démarche, adopte la Loi constitutionnelle de 1981 et déclare que les lois adoptées par le Parlement du Royaume-Uni après l’entrée en vigueur de la Loi constitution­nelle de 1981 ne feront pas partie du droit du Canada.

Si la Loi constitutionnelle de 1981 était validement adoptée, la Constitution actuelle du Canada serait modifée [sic] aux points majeurs. La partie I de la Loi contient une charte des droits et libertés qui lierait à la fois les législatures provinciales et fédérale. Les parties IV et V de la Loi prévoient en détail le mode de modification futur de la constitu­tion canadienne.

Il est maintenant acquis que la réponse à la première question des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve et aux alinéas (i) et (ii) de la ques­tion A du renvoi du Québec doit être affirmative. La deuxième question des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve fait l’objet d’un jugement distinct auquel nous sommes parties. Nous souscrivons à la réponse à la quatrième question du renvoi de Terre-Neuve proposée dans les motifs de jugement des autres membres de la Cour qui traitent de ce point.

La troisième question des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve soulève le point de savoir si le consentement des provinces du Canada est «consti­tutionnellement nécessaire» pour modifier la Cons­titution du Canada lorsque cette modification a un effet sur les relations fédérales-provinciales ou

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altère les pouvoirs, les droits ou les privilèges que la Constitution du Canada accorde ou garantit aux provinces, à leurs législatures ou à leurs gouverne­ments. Si l’on répond à la deuxième question par l’affirmative, on reconnaît alors l’existence d’une convention constitutionnelle aux termes de laquelle la Chambre des communes et le Sénat ne deman­deront pas une modification de l’A.A.N.B. du genre envisagé à la question 2 sans obtenir au préalable le consentement des provinces. S’il en est ainsi, alors le consentement des provinces est cons­titutionnellement nécessaire à cette modification et la question 3 devrait recevoir une réponse affirma­tive et, à notre avis, c’est cette réponse qu’il y faut donner.

Toutefois, il convient d’examiner un autre point puisque devant les tribunaux d’instance inférieure et au cours des plaidoiries devant cette Cour, les procureurs ont débattu de la réponse à la question 3 comme si les mots «constitutionnellement néces­saire» devaient avoir le sens de «juridiquement nécessaire».

Dans le renvoi du Québec, le point en litige est formulé de façon différente à la question B. On y demande si la constitution canadienne habilite, soit par statut, convention ou autrement, le Sénat et la Chambre des communes du Canada à faire modi­fier la constitution canadienne sans l’assentiment des provinces et malgré l’objection de plusieurs d’entre elles de façon à porter atteinte à l’autorité législative des législatures provinciales ou au statut ou rôle des législatures ou gouvernements provin­ciaux au sein de la fédération canadienne.

On ne nous a cité aucun statut qui confère ce pouvoir. Si la réponse à la question 2 est affirma­tive, elle nie que ce pouvoir existe de par une convention. Le point restant est celui de savoir si ce pouvoir a été conféré aux deux chambres autrement que par statut ou convention.

Nous estimons que la question B du renvoi du Québec soulève plus clairement le point de droit que ne le fait la question 3 des deux autres renvois et nous allons traiter de ce point dans ces motifs.

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Avant tout, nous devons souligner qu’il ne s’agit pas d’une affaire qui met en cause la légalité ou l’illégalité dans le sens de déterminer si l’adoption de la résolution en cause implique une violation de la loi. Il s’agit de déterminer s’il existe un pouvoir de donner suite au projet. La question est de savoir s’il est de la compétence du Sénat et de la Cham­bre des communes de faire adopter le projet de modification de l’A.A.N.B. par le Parlement impé­rial au moyen de la résolution dont cette Cour est saisie, en l’absence du consentement provincial.

Cette question est unique parce qu’au cours des cent quatorze années écoulées depuis la Confédé­ration, le Sénat et la Chambre des communes du Canada n’ont jamais cherché à obtenir une telle modification sans l’accord des provinces et, appa­remment, cette possibilité n’a jamais été envisagée.

En préambule de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 (ci-après appelé l’A.A.N.B.), on trouve cet énoncé significatif:

Considérant que les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont exprimé le désir de contracter une Union Fédérale pour ne former qu’une seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni:

Considérant de plus qu’une telle union aurait l’effet de développer la prospérité des provinces et de favoriser les intérêts de l’Empire Britannique:

Considérant de plus qu’il est opportun, concurrem­ment avec l’établissement de l’union par autorité du parlement, non seulement de décréter la constitution du pouvoir législatif de la Puissance, mais aussi de définir la nature de son gouvernement exécutif:

Considérant de plus qu’il est nécessaire de pourvoir à l’admission éventuelle d’autres parties de l’Amérique du Nord britannique dans l’union:

Le premier alinéa indique clairement que cette loi était adoptée sur les instances des provinces nommées et que l’on cherchait à former une union fédérale. Le deuxième alinéa énonce que cette union aurait «l’effet de développer la prospérité des provinces».

Les parties I à V de l’A.A.N.B. prévoient la création de l’union par proclamation et confèrent

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le pouvoir exécutif et législatif à Sa Majesté la Reine et à ses représentants, et au Parlement du Canada et aux législatures des provinces. La partie VI traite de la répartition des pouvoirs législatifs. Il n’est pas inutile de citer les alinéas introductifs des art. 9I et 92 que voici:

91. Il sera loisible à la Reine, de l’avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par le présent acte exclusivement assignés aux législatures des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restrein­dre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par le présent déclaré que (nonob­stant toute disposition contraire énoncée dans le présent acte) l’autorité législative exclusive du parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir:

92. Dans chaque province la législature pourra exclu­sivement faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir:

L’article 93 accorde aux provinces le pouvoir exclusif de légiférer en matière d’éducation, sous réserve de certaines dispositions protectrices relati­ves aux écoles confessionnelles et séparées.

L’article 95 donne un pouvoir législatif concurrent aux législatures provinciales et au Parlement du Canada en matière d’agriculture et d’immigra­tion, mais les lois provinciales ne conserveront leur effet que tant qu’elles ne seront pas incompatibles avec un acte du Parlement du Canada.

La partie VII de l’A.A.N.B. traite du judiciaire.

La partie VIII traite des revenus, des dettes et de la taxe. L’article 109 prévoit que toutes les terres, minéraux et réserves royales appartenant aux différentes provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick appartien­dront aux différentes provinces de l’Ontario, du Québec, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick dans lesquelles ils sont situés.

La partie IX est intitulée «Dispositions diverses». L’article I29 maintient toutes les lois du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick

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au moment de l’union, sous réserve d’abrogation, d’abolition ou de modification par le Parlement du Canada ou par une législature provinciale confor­mément à l’autorité que leur confère l’A.A.N.B., tout en excluant les actes du Parlement de Grande-Bretagne.

La partie X traite du Chemin de fer intercolonial.

La partie XI vise l’admission d’autres colonies. L’article I46 prévoit:

146. Il sera loisible à la Reine, de l’avis du très-hono­rable Conseil Privé de Sa Majesté, sur la présentation d’adresses de la part des chambres du Parlement du Canada, et des chambres des législatures respectives des colonies ou provinces de Terreneuve, de l’Ile du Prince Edouard et de la Colombie Britannique, d’admettre ces colonies ou provinces, ou aucune d’elles dans l’union,—et, sur la présentation d’adresses de la part des chambres du parlement du Canada, d’admettre la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest, ou l’une ou l’autre de ces possessions, dans l’union, aux termes et conditions, dans chaque cas, qui seront exprimés dans les adresses et que la Reine jugera convenable d’approuver, conformément au présent; les dispositions de tous ordres en conseil rendus à cet égard, auront le même effet que si elles avaient été décrétées par le parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande.

Cet acte est devenu la Constitution du Canada. Il a créé une union fédérale de provinces et il a soigneusement défini les domaines respectifs du Parlement canadien et des législatures provinciales en matière de compétence législative et de droits de propriété.

Le statut des provinces aux termes de la Consti­tution a été fixé par le Conseil privé dans deux affaires importantes qui lui ont été soumises après l’adoption de l’A.A.N.B.

Dans l’affaire Hodge v. The Queen[28], on a prétendu qu’une législature provinciale ne pouvait déléguer ses pouvoirs législatifs aux commissaires au permis parce qu’elle était elle-même un simple délégué du Parlement impérial. Le Comité judi­ciaire du Conseil privé a rejeté cet argument dans les termes suivants à la p. 132:

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 [TRADUCTION] Toutefois, il semble évident à leurs Seigneuries que l’objection ainsi soulevée par les appe­lants repose sur une conception tout à fait erronée du caractère et de la situation réels des législatures provin­ciales. Celles-ci ne sont en aucune façon les délégués du Parlement impérial; elles n’agissent pas non plus en vertu d’un mandat reçu de ce dernier. En décrétant que l’Ontario avait droit à une législature et qu’il apparte­nait en exclusivité à son Assemblée législative d’adopter des lois pour la province et pour des fins provinciales relativement aux catégories de sujets énumérés à l’art. 92, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique lui con­féra, non pas des pouvoirs qu’elle était censée exercer par délégation ou en qualité de représentant du Parlement impérial, mais une autorité aussi complète et aussi vaste, dans les limites prescrites par l’art. 92, que le Parlement impérial, dans la plénitude de ses attribu­tions, possédait et pouvait conférer. Dans les limites des sujets précités et à l’intérieur de ce cadre, la législature locale est souveraine et possède le même pouvoir que le Parlement impérial ou le Parlement du Dominion aurait, dans des circonstances analogues, de déléguer à une institution municipale ou à un organisme de sa création le pouvoir d’adopter des règlements ou résolutions quant aux sujets mentionnés dans la loi, en vue de la mise en vigueur et de l’application de ladite mesure.

Dans l’affaire Liquidators of the Maritime Bank of Canada v. Receiver-General of New Brunswick[29], on a fait valoir que la province ne jouissait d’aucun élément de la prérogative de la Couronne et que par conséquent la province du Nouveau-Brunswick ne pouvait réclamer de préfé­rence à l’égard des biens de la banque pour une dette due à la province. On plaidait aussi que le gouvernement fédéral ne partageait pas cette incompétence constitutionnelle. A la p. 438, l’avo­cat a prétendu:

[TRADUCTION] A la différence du gouvernement du Dominion, le gouvernement provincial ne peut invoquer et exercer les prérogatives de la Couronne. Aucun article de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 ne confère ce droit de la Couronne à la province. Par conséquent, si la province possède ce droit, elle doit l’appuyer sur le principe général que le lieutenant-gou­verneur a le droit d’exercer la prérogative de la Cou­ronne. Mais l’effet de l’Acte de 1867 est que le gouver­nement du Dominion représente les quatre provinces qui existaient au moment de l’Union et les autres provinces qui ont été constitutées [sic] par la suite; par conséquent, le

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lien direct entre la Couronne et les provinces a cessé. Le gouverneur général du Canada est le véritable représen­tant de la Couronne vu la constitution actuelle du Dominion; et le lieutenant-gouverneur de chaque pro­vince ne l’est pas. Les lieutenants-gouverneurs ont reçu certains éléments de la prérogative ce qui est incompati­ble avec leur capacité de représenter entièrement la Couronne. Autrement, si le Dominion et les provinces possèdent tous deux les droits de prérogative au complet, on pourrait avoir la situation où la Couronne représen­tant l’un s’oppose à la Couronne représentant l’autre.

Lord Watson a exprimé l’avis du Comité judi­ciaire et voici ce qu’il dit à la p. 441:

[TRADUCTION] Ils ont soutenu que l’Acte a eu pour effet de trancher tout lien unissant les provinces à la Couronne; de faire du gouvernement du Dominion l’unique gouvernement de Sa Majesté en Amérique du Nord; et de reléguer les provinces au rang d’institutions muni­cipales indépendantes. Leurs Seigneuries n’ont pu découvrir ni principe ni précédent applicables à ces propositions, qui contiennent la somme et le fond des arguments invoqués à l’appui de cet appel.

Leurs Seigneuries ne croient pas nécessaire de scruter à fond les dispositions de l’Acte de 1867, lesquelles ne visent nulle part à restreindre de quelque façon les droits et privilèges de la Couronne, ni à modifier les relations qui existaient alors entre la souveraine et les provinces. Le but de l’Acte n’était pas de fusionner les provinces en une seule ni de subordonner les gouvernements provin­ciaux à une autorité centrale, mais de créer un gouver­nement fédéral dans lequel elles seraient toutes repré­sentées et auquel serait confiée de façon exclusive l’administration des affaires dans lesquelles elles avaient un intérêt commun, chaque province conservant son indépendance et son autonomie. Ce but fut atteint par la répartition, entre le Dominion et les provinces, de tous les pouvoirs exécutifs et législatifs, ainsi que de tous les biens et revenus publics qui avaient jusque-là appartenu aux provinces, de telle façon que le gouvernement du Dominion recevait les pouvoirs, biens et revenus néces­saires à l’exercice complet de ses attributions constitu­tionnelles, et les provinces conservaient le reste pour les besoins de l’administration provinciale. Toutefois, pour ce qui est des matières que l’art. 92 réserve spécialement à la législation provinciale, la province continue d’échap­per au contrôle fédéral et sa souveraineté est la même qu’avant l’adoption de l’Acte.

Après avoir cité un passage de l’affaire Hodge, compris dans l’extrait précité, il continue:

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[TRADUCTION] Par conséquent, il est clair que la législature provinciale du Nouveau-Brunswick n’est pas un organisme subordonné comme l’ont prétendu les appelants. Elle ne tire aucunement son autorité du gou­vernement du Canada et son statut ne ressemble en rien à celui d’une institution municipale, qui est un orga­nisme constitué à des fins d’administration locale. Elle possède des pouvoirs qui ne sont pas simplement des pouvoirs administratifs mais bien des pouvoirs législa­tifs, au sens strict du terme, et, dans les limites fixées par l’art. 92 de l’Acte de 1867, ces pouvoirs sont exclu­sifs et souverains. Il faudrait des termes très précis, qu’on ne trouve pas dans l’Acte de 1867, pour appuyer le raisonnement que le Parlement impérial a voulu donner aux provinces canadiennes le droit d’exercer des pou­voirs législatifs souverains auxquels le souverain britan­nique ne participerait aucunement.

On a établi ultérieurement que la répartition fédérale des pouvoirs comprend non seulement les pouvoirs législatifs mais aussi les pouvoirs exécu­tifs: Bonanza Creek Gold Mining Co. v. The King[30] à la p. 580, lord Haldane. A la p. 58I, il dit à propos de l’affaire Maritime Bank, (précitée):

[TRADUCTION] On y a déclaré que «l’acte du gouver­neur général et de son conseil en faisant cette nomina­tion est, au sens de la loi, l’acte de la Couronne; un lieutenant-gouverneur, lorsqu’il est nommé, représente tout aussi bien Sa Majesté à toutes fins provinciales que le gouverneur général la représente à toutes fins fédérales.»

La répartition des pouvoirs par l’Acte entre le Parlement du Canada et les législatures provincia­les couvre l’ensemble de la souveraineté. C’est ce qu’a reconnu le Conseil privé dans l’arrêt Attor­ney-General for Ontario v. Attorney-General for Canada[31] à la p. 581:

[TRADUCTION] En 1867, le désir du Canada d’avoir une constitution précise englobant l’ensemble du Domi­nion a été consacré par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Il ne peut faire maintenant aucun doute qu’en vertu de ce document organique, les pouvoirs répartis entre le Dominion d’une part et les provinces d’autre part couvrent l’ensemble de la souveraineté dans le gouvernement de tout le territoire du Canada. Il serait contraire à l’ensemble du plan et de l’économie de l’Acte de prétendre que le Canada n’a pas reçu le droit intégral de se gouverner lui-même sur son territoire.

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L’arrêt Murphy e. Canadien Pacifique[32], A la p. 643, le juge Rand déclare:

[TRADUCTION] On s’accorde à reconnaître que l’Acte de 1867 confère la totalité du pouvoir législatif, sous réserve des restrictions expresses ou tacites apportées par l’Acte lui-même; .. .

Cette analyse indique que l’adoption de l’A.A.N.B. crée une constitution fédérale pour le Canada qui confie l’ensemble de la souveraineté canadienne au Parlement du Canada et aux légis­latures provinciales, chacun étant souverain dans sa propre sphère ainsi définie. On peut donc dire à bon droit que le principe dominant du droit consti­tutionnel canadien est le fédéralisme. Les implica­tions de ce principe sont claires. On ne devrait permettre à aucun ordre de gouvernement d’em­piéter sur l’autre, que ce soit directement ou indi­rectement. Le compromis politique atteint par suite des conférences de Québec et de Londres avant l’adoption de l’A.A.N.B. disparaîtrait à moins qu’il y ait des limites efficaces et formelles à une action inconstitutionnelle.

L’A.A.N.B. ne précise pas les moyens de déter­miner la constitutionnalité de lois fédérales ou provinciales. Les tribunaux ont assumé et exécuté cette tâche et l’autorité suprême, conférée à l’ori­gine au Comité judiciaire du Conseil privé, l’est depuis 1949 à cette Cour.

Dans l’exécution de cette fonction et en plus de connaître des cas d’allégations d’excès de pouvoir législatif, les tribunaux ont eu la possibilité d’éla­borer des principes juridiques fondés sur la néces­sité de préserver l’intégrité de la structure fédérale. Nous en traiterons plus loin dans ces motifs. Tou­tefois, nous allons nous référer à ce stade à un cas où le Conseil privé s’est acquitté de cette fonction.

Dans l’arrêt Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Ontario[33], (l’affaire des Conventions de travail), le litige portait sur la constitutionnalité de trois lois fédérales adoptées en 1935 relatives à des questions de droit du

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travail, tels le repos hebdomadaire dans les établis­sements industriels, les heures de travail et les salaires minima. En somme, elles donnaient effet au projet de conventions adopté par l’Organisation internationale du travail de la Société des Nations en vertu de la partie du Traité de Versailles de 1919 qui concerne le travail et que le Canada avait ratifiée. On y a fait valoir au nom du procureur général du Canada que les lois étaient valides parce qu’elles avaient pour but de mettre en oeuvre des obligations contractées par le Canada aux termes du traité. Au nom de la province, on a prétendu que les lois se rapportaient à la propriété et aux droits civils dans la province.

L’argument présenté au nom du procureur géné­ral du Canada, publié à la p. 330, est très sembla­ble aux prétentions de ce dernier en l’espèce:

[TRADUCTION] Le transfert du pouvoir de conclure des traités à l’exécutif du Dominion et le pouvoir corrélatif de légiférer pour donner effet aux obligations n’enlèvent rien aux provinces.

(Lord Atkin. Le Dominion n’a pas des pouvoirs légis­latifs illimités.)

La clause résiduaire de l’art. 91 de l’Acte de l’Améri­que du Nord britannique peut être interprétée d’une façon qui n’est pas incompatible avec la jurisprudence, savoir lorsque le Canada a dûment contracté une obliga­tion internationale relative à un sujet donné qui peut relever de n’importe quelles catégories des articles 91 et 92, on peut alors dire qu’il relève d’autres circonstances; une fois qu’il a pris l’aspect d’une entente internationale, on ne peut plus le traiter comme appartenant à l’une des catégories énumérées.

(Lord Atkin. C’est une doctrine qui va très loin: elle signifie que le Canada pourrait conclure une entente avec un Etat qui porterait sérieusement atteinte aux droits provinciaux.)

C’est un pouvoir que le Canada ne peut exercer seul; il doit y avoir d’autres pays qui veulent conclure une entente. On ne doit pas considérer la question comme si le Canada allait chercher dans le monde quelqu’un avec qui conclure un accord pour voler aux provinces leurs droits constitutionnels. Mais, logiquement, on doit admettre que quoi que le Canada et un autre pays conviennent, le Canada peut le faire.

Cet argument fut rejeté non seulement parce qu’on ne lui trouve aucun appui dans la Constitution

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elle-même, mais aussi parce qu’il est incompa­tible avec la structure fédérale du gouvernement du Canada. Aux pp. 351 à 353, lord Atkin dit:

[TRADUCTION] Aux fins des art. 91 et 92, c’est-à-dire le la répartition des pouvoirs législatifs entre le Domi­nion et les provinces, la législation en matière de traités n’existe pas comme telle. La répartition est fondée sur des catégories de sujets: la catégorie particulière de sujets faisant l’objet d’un traité déterminera l’autorité législative chargée de l’appliquer. Personne ne saurait clouter que cette répartition soit une des conditions les plus essentielles, peut-être la plus essentielle entre toutes, du pacte interprovincial consacré par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Si l’on considère seulement la situation du Bas-Canada, le Québec d’aujour­d’hui, on peut dire que l’existence de son système juridi­que distinct touchant la propriété et les droits civils tient au respect rigoureux de son droit constitutionnel d’exer­cer une compétence exclusive en pareilles matières. Il importe autant aux autres provinces, séparées par des différences aussi considérables que la distance de l’At­lantique au Pacifique, et bien que leur droit repose sur le droit anglais, de conserver leur autonomie législative. ll serait extraordinaire que le Dominion, privé d’initiative, même recommandable, quant aux droits civils dans les provinces, pût, sans responsabilité envers lesdites provinces et sans que leurs parlements puissent le contrôler, légiférer du simple fait d’un accord avec un pays étran­ger; son Parlement disposerait alors de l’autorité requise pour porter atteinte aux droits provinciaux, dans la pleine mesure de cet accord. On tendrait ainsi à saper les sauvegardes constitutionnelles de l’autonomie provin­ciale.

De ce qui précède, il faut conclure que son nouveau statut international, et les attributions exécutives plus étendues qui en découlent, ne confèrent pas au Domi­nion une plus vaste compétence législative. Il est vrai, comme l’a noté le juge en chef dans ses motifs, que l’Exécutif est maintenant revêtu du pouvoir de conclure des traités; d’autre part, le Parlement du Canada, envers lequel il est responsable, le rend comptable de ces trai­tés. Si le Parlement n’en veut pas, ils ne pourraient être faits ou alors les ministres subiraient le sort prévu par la Constitution. Mais cela est vrai de toutes les attributions de l’Exécutif par rapport au Parlement. Rien dans la Constitution actuelle ne permet d’étendre la compétence du Parlement du Dominion jusqu’au point où elle irait de pair avec l’extension des attributions de l’Exécutif du Dominion. Si les nouvelles attributions portent sur les catégories de sujets énumérés à l’art. 92, la législation les appuyant relève uniquement des législatures provin­ciales. Dans le cas contraire, la compétence de la législature

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du Dominion est définie à l’art. 91 et elle existait au départ. En d’autres termes, le Dominion ne peut par de simples promesses à des pays étrangers se revêtir d’une autorité législative incompatible avec la Constitution à laquelle il doit son existence.

Plusieurs aspects de l’affaire des Conventions de travail méritent d’être soulignés. Le gouvernement fédéral y affirmait le droit d’adopter des lois qui relèvent de l’autorité provinciale afin de donner effet aux obligations qu’il avait contractées aux termes d’un traité. Personne n’a mis en cause la validité de l’autorité du gouvernement fédéral de négocier et ratifier des traités internationaux. Ce que le Conseil privé a jugé inconstitutionnel est l’utilisation de cette procédure légale pour légiférer indirectement en excédant les pouvoirs conférés au Parlement fédéral par l’art. 9I de l’A.A.N.B.

En l’espèce, cette Cour doit également examiner l’exercice d’un pouvoir valide, savoir, le pouvoir des chambres du Parlement fédéral d’adopter des résolutions demandant des modifications de lA.A.N.B. Ce pouvoir a des fondements histori­ques, mais il faut souligner qu’on ne l’a jamais utilisé avant pour amoindrir l’autorité législative des provinces sans leur consentement. Dans l’opti­que de l’affaire des Conventions de travail, le point en litige ici est le suivant: le gouvernement fédéral peut-il compenser son incompétence notoire d’em­piéter sur les pouvoirs provinciaux en procédant par résolution pour obtenir une modification cons­titutionnelle qui serait adoptée sur ses instances par le Parlement du Royaume-Uni?

Les seules dispositions de l’A.A.N.B. relatives aux modifications de la Constitution sont les suivantes. Le paragraphe I de l’art. 92 confère aux législatures provinciales le pouvoir de légiférer relativement à:

1. L’amendement de temps à autre, nonobstant toute disposition contraire énoncée dans le présent acte, de la constitution de la province, sauf les dispositions relatives à la charge de lieutenant-gouverneur;

L’article 146, déjà cité, prévoit l’admission d’au­tres colonies et territoires dans l’union.

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Par une modification de l’art. 9I de l’A.A.N.B. adoptée en 1949, le Parlement fédéral a reçu un pouvoir limité de modification. Le paragraphe 1 de l’art. 91 lui permet de légiférer relativement à:

1. La modification, de temps à autre, de la constitution du Canada, sauf en ce qui concerne les matières rentrant dans les catégories de sujets que la présente loi attribue exclusivement aux législatures des provinces, ou en ce qui concerne les droits ou privilèges accordés ou garan­tis, par la présente loi ou par toute autre loi constitution­nelle, à la législature ou au gouvernement d’une pro­vince, ou à quelque catégorie de personnes en matière d’écoles, ou en ce qui regarde l’emploi de l’anglais ou du français, ou les prescriptions portant que le parlement du Canada tiendra au moins une session chaque année et que la durée de chaque chambre des communes sera limitée à cinq années, depuis le jour du rapport des brefs ordonnant l’élection de cette chambre; toutefois, le parlement du Canada peut prolonger la durée d’une cham­bre des communes en temps de guerre, d’invasion ou d’insurrection, réelles ou appréhendées, si cette prolon­gation n’est pas l’objet d’une opposition exprimée par les votes de plus du tiers des membres de ladite chambre.

Cette disposition exclut spécifiquement de sa portée, notamment, les matières qui relèvent des catégories de sujets attribués exclusivement aux provinces. Cette Cour a examiné la portée de l’art. 91(1) dans le Renvoi: Compétence du Parlement relativement à la Chambre haute[34] (ci-après appelé le Renvoi sur le Sénat). Cette Cour y a décidé à l’unanimité que le gouvernement fédéral ne pouvait pas abolir le Sénat en invoquant l’art. 91(1). Elle a conclu que l’expression «constitution du Canada» au par. 91(l) dans son contexte se rapporte seulement à l’entité juridique fédérale. Il est significatif que lorsqu’aussi récemment qu’en 1949, les chambres du Parlement ont demandé et obtenu un article permettant au Parlement fédéral de modifier la Constitution par voie législative, la formulation de l’article en cause assure que ce pouvoir ne permettra pas de conclure implicitement aux droits de toucher aux pouvoirs attribués aux provinces par l’A.A.N.B.

Etant donné que la constitution canadienne a été créée par l’A.A.N.B. sous forme de loi impériale, il s’ensuit qu’en l’absence de disposition modifica­trice, seule l’adoption d’une loi impériale pourrait

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la modifier. Au cours des années, elle a subi de nombreuses modifications de cette façon. Depuis 1895, on a vu se développer la pratique de la requête officielle au Parlement impérial au moyen d’une adresse conjointe des deux chambres du Parlement. Cette forme de procédure avait été suivie plus tôt à l’égard des modifications de lActe d’Union, 1840. C’est aussi la procédure énoncée à l’art. 146 de l’A.A.N.B. pour s’adresser à la Reine, agissant de l’avis de son Conseil privé, pour admet­tre des colonies existantes ou des territoires dans l’union.

La liste des modifications constitutionnelles adoptée depuis 1867 par le Parlement impérial se trouve dans le Livre blanc de M. Favreau de 1965, publié par le gouvernement fédéral et approuvé par les gouvernements provinciaux. Cette Cour l’a citée dans le Renvoi sur le Sénat. Beaucoup de ces modifications visaient seulement la procédure, tel le report du rajustement de la représentation à la Chambre des communes en 1916 et 1943 en atten­dant la fin des hostilités. Les modifications qui sont importantes relativement à la procédure de modification appropriée ont été discutées dans ce Livre et elles méritent à notre avis d’être à nou­veau citées au complet:

(1) Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1871—

(Établissement de nouvelles provinces et adminis­tration de territoires)

Comme c’était la première fois que le Canada cher­chait à faire modifier sa Constitution, le gouvernement de l’époque n’avait aucun précédent pour le guider. 11 présenta donc une demande de modification au Parlement du Royaume-Uni sans consulter le Parlement du Canada, lequel protesta énergiquement. L’opposition reprocha au gouvernement de n’avoir pas obtenu le consentement préalable de l’autorité législative cana­dienne. Le gouvernement convint que les projets de modification devraient être soumis au Parlement et la Chambre des Communes adopta à l’unanimité une réso­lution portant que « . . le gouvernement doit obtenir l’assentiment préalable du Parlement du Dominion avant de demander que des changements soient apportés aux dispositions de l’Acte de l’Amérique du Nord bri­tannique». Quelques jours plus tard, le gouvernement présenta une adresse conjointe qui fut adoptée par les deux chambres du Parlement et qui servit de base à la promulgation ultérieure de la modification par le Parlement britannique.

[Page 827]

(2) Acte du Parlement du Canada de 1875—

(Privilèges, immunités et pouvoirs des Chambres du Parlement)

Le gouvernement d’alors, malgré le principe qu’il avait mis de l’avant et qu’il avait fait adopter à l’unani­mité par le Parlement du Canada quatre années aupara­vant lorsqu’il était dans l’opposition, demanda cette modification sans «l’assentiment préalable» ou la présen­tation d’une adresse officielle du Parlement canadien. De nouvelles protestations se firent entendre et une résolution analogue à celle de 1871 fut soumise à la Chambre des Communes. Après un débat, le gouvernement reconnut la justesse du principe dont il s’était antérieurement fait le protagoniste, à l’effet que tous les projets de modification de la Constitution doivent être soumis au Parlement. La nouvelle résolution fut retirée lorsque le gouvernement concéda que la présentation d’une adresse conjointe des deux chambres du Parlement était le seul moyen approprié d’obtenir des modifi­cations de la Constitution.

(3) Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1886—

(Représentation des territoires au Parlement)

Le gouvernement du Canada fit parvenir au Parlement du Royaume-Uni sa demande de cette modifica­tion de la Constitution, au moyen d’une adresse officielle des deux chambres du Parlement. A une exception près, cette procédure a été depuis suivie par tous les gouverne­ments canadiens. L’exception fut l’adoption en 1895 par le Parlement du Royaume-Uni de l’Acte concernant l’Orateur canadien (nomination d’un suppléant), laquelle, en raison des circonstances particulières, ne souleva pas de protestations.

(4) Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1907—(Subventions aux provinces)

Pour la première fois, à cette occasion, le gouvernement fédéral consulta les provinces au sujet d’une modi­fication de la Constitution. La modification intéressait directement les neuf provinces de l’époque. Elles furent, par conséquent, toutes consultées et huit des neuf gou­vernements provinciaux acceptèrent la proposition fédé­rale. Une province manifesta son opposition, tant au Canada qu’en Grande-Bretagne. Le gouvernement bri­tannique apporta des changements d’importance secon­daire au texte du projet de loi et la modification fut adoptée.

(5) Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1915—(Redéfinition des divisions sénatoriales)

Cette modification fut édictée sans consultation des provinces et sans intervention des gouvernements provinciaux.

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Son importance dans l’évolution constitutionnelle du Canada tient au fait qu’elle fut présentée sous la forme d’un projet de loi canadien qui fut incorporé dans l’adresse à la Couronne et adoptée sans modification par le Parlement britannique.

(6) Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1930—

(Compétence des provinces de l’Ouest à l’égard de leurs ressources naturelles)

Cette modification de la Constitution fut la première à se rapporter à un domaine de compétence provinciale mais sans intéresser directement toutes les provinces. Elle fut obtenue par le gouvernement fédéral après consultation des seules provinces directement en cause.

(7) Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1940—

(Assurance-chômage)

Cette modification fut la première à changer la répar­tition des pouvoirs législatifs, établie par la Constitution de 1867, entre le Parlement et les législatures des pro­vinces. Elle transféra des provinces au Fédéral le pouvoir de légiférer en matière d’assurance-chômage. Le gouver­nement fédéral obtint d’abord l’assentiment de tous Ies gouvernements provinciaux. Dans ce cas, comme dans les cas précédents où l’assentiment des provinces fut demandé, aucun des gouvernements provinciaux ne soumit la question à la Législature. Cependant, dans une des provinces la Législature adopta une résolution après que le premier ministre eût, au nom de son gouvernement, déjà donné son assentiment à la modification.

(8) Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1943-

(Ajournement du rajustement de la représentation à la Chambre des Communes)

Le gouvernement fédéral ne consulta pas les provinces avant de demander cette modification. Le Parlement du Royaume-Uni l’accorda malgré les protestations d’un des gouvernements provinciaux. Selon la thèse du gou­vernement fédéral, la modification ne concernait que le gouvernement du Canada car elle ne touchait ni les gouvernements ni les législatures des provinces.

(9) Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1946—

(Rajustement de la représentation à la Chambre des Communes)

Le gouvernement fédéral procéda de la même façon que pour la modification de 1943—c’est-à-dire sans consulter les provinces—et pour les mêmes raisons.

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(10) Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1949—

(Entrée de Terre-Neuve dans la Confédération)

Une résolution fut présentée à la Chambre des Com­munes demandant que le gouvernement fédéral ne procède pas à cette modification sans consultation préalable des gouvernements provinciaux. La résolution n’indi­quait pas ce qu’il fallait entendre par «consultation. Cependant, la modification fut promulguée sans que les gouvernements provinciaux soient consultés ou protestent officiellement, bien que l’un ou deux d’entre eux eussent déclaré publiquement que des consultations auraient dû avoir lieu.

(11) Acte de l’Amérique du Nord britannique (no 2) de 1949—

(Pouvoir du Parlement de modifier la Constitution du Canada sous certains de ses aspects)

Cette modification fut obtenue sans consultation des gouvernements des provinces et sans leur assentiment, le gouvernement fédéral s’en tenant à la thèse qu’il avait adoptée lors des modifications de I943 et 1946. Cepen­dant, à une conférence fédérale-provinciale sur la Cons­titution tenue l’année suivante, le gouvernement fédéral déclara qu’advenant un accord sur une procédure géné­rale de modification de la Constitution au Canada, il serait disposé à examiner à nouveau les dispositions essentielles de la modification de 1949.

(12) Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1951—

(Pensions de vieillesse)

Cette modification fut adoptée après que le gouvernement fédéral eût obtenu l’assentiment de toutes les provinces. Les gouvernements des provinces de Québec, de la Saskatchewan et du Manitoba soumirent le projet de modification à leur Législature qui les autorisa à s’y rallier. Les autres gouvernements provinciaux l’approu­vèrent de leur propre chef.

(13) Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1960—

(Durée des fonctions de certains juges)

Le gouvernement fédéral ne demanda cette modifica­tion qu’après avoir obtenu l’assentiment de toutes les provinces parce qu’elle prévoyait la retraite obligatoire à 75 ans des juges des tribunaux provinciaux. Le gouver­nement du Québec soumit encore une fois la question à sa Législature avant de signifier son assentiment.

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(14) Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1964—

(Pensions de vieillesse et prestations additionnelles)

Cette modification fut adoptée avec l’assentiment de tous les gouvernements provinciaux ainsi que, dans le cas du Québec, celui de l’Assemblée législative. Elle vise l’article 94A qui fut établi, avec l’assentiment de toutes les provinces, par la modification de 1951.

Le Livre blanc de M. Favreau poursuit:

En cinq occasions—en 1907, 1940, 1951, 1960 et 1964—le gouvernement fédéral a consulté toutes les provinces sur des projets de modification intéressant directement chacune d’elles. Il ne s’est présenté jusqu’ici qu’un seul cas où une modification a été demandée par le gouvernement fédéral après consultation des seules provinces directement impliquées. Il s’agit de la modifi­cation de 1930 qui transférait aux provinces de l’Ouest les ressources naturelles qui relevaient du gouvernement fédéral depuis leur entrée dans la Confédération. En dix occasions—en 1871, 1875, 1886, 1895, 1915, 1916, 1943, 1946, 1949 et 1949 (2)—des modifications ont été apportées à la Constitution, sans consultation préalable des provinces, à l’égard de questions que le gouvernement fédéral jugeait de sa compétence exclusive. Dans les quatre derniers cas ci-dessus, une ou deux provinces ont protesté, soutenant que des consultations fédérales-provinciales auraient dû avoir lieu avant que le Parlement ne soit appelé à se prononcer.

On ne relève aucun cas où une modification de lA.A.N.B. qui intéresse directement les relations fédérales-provinciales, c’est-à-dire qui change les pouvoirs législatifs provinciaux, ait été adoptée sans consultation fédérale avec toutes les provinces et sans leur consentement. En particulier, c’est la procédure suivie dans les quatre cas postérieurs à l’adoption du Statut de Westminster, 1931.

Cet historique des modifications révèle l’exis­tence de contraintes constitutionnelles. Bien que le choix de la procédure par la résolution soit en lui-même une question de responsabilité parlemen­taire interne, les adresses au Souverain relèvent de deux domaines. Les résolutions concernant l’entité juridique fédérale et les pouvoirs fédéraux ont été présentées sans s’en rapporter à d’autres qu’aux membres des chambres fédérales. Les résolutions

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réduisant l’autorité provinciale n’ont jamais été adoptées sans l’accord des provinces. En d’autres mots, les principes constitutionnels normaux qui reconnaissent l’inviolabilité des pouvoirs législatifs distincts et exclusifs ont été intégrés au mécanisme de procédure par résolution.

L’historique des modifications constitutionnelles suit également l’évolution de la souveraineté cana­dienne. L’A.A.N.B. n’avait aucunement pour but de séparer le Canada du Commonwealth britanni­que. Toutefois, le rôle vital du consentement cana­dien en tant qu’expression de la souveraineté cana­dienne est illustré par le fait qu’aucune modification constitutionnelle n’a été adoptée sans ce consentement.

Le Statut de Westminster, 1931 a été adopté après deux conférences impériales tenues en 1926 et 1930 auxquelles assistaient des représentants du Royaume-Uni, du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l’Afrique du Sud, de l’Etat libre d’Irlande et de Terre-Neuve. A la première conférence, la position constitutionnelle existante a été formulée dans une déclaration appelée (da Déclaration Balfour»:

[TRADUCTION] Il s’agit de collectivités autonomes au sein de l’Empire britannique, de statut égal et en aucune façon subordonnées l’une à l’autre pour ce qui est de leurs affaires internes ou extérieures, tout en étant unies par une allégeance commune à la Couronne, et librement associées comme membres du Commonwealth bri­tannique des Nations.

Le Statut de Westminster, 1931 a été adopté pour donner effet en droit britannique au statut souverain désormais reconnu des collectivités au sein de l’Empire britannique.

Les articles suivants du Statut nous ont été mentionnés au cours des plaidoiries:

2. (1) La Loi de 1865 relative à la validité des lois des colonies ne doit s’appliquer à aucune loi adoptée par le Parlement d’un Dominion postérieurement à la procla­mation de la présente loi.

(2) Nulle loi et nulle disposition de toute loi édictée postérieurement à la proclamation de la présente loi par le Parlement d’un Dominion ne sera invalide ou inopé­rante à cause de son incompatibilité avec la législation d’Angleterre, ou avec les dispositions de toute loi existante

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ou à venir émanée du Parlement du Royaume-Uni, ou avec tout arrêté, statut ou règlement rendu en exécu­tion de toute loi comme susdit, et les attributions du Parlement d’un Dominion comprendront la faculté d’abroger ou de modifier toute loi ou tout arrêté, statut ou règlement comme susdit faisant partie de la législa­tion de ce Dominion.

3. Il est déclaré et statué par les présentes que le Parlement d’un Dominion a le plein pouvoir d’adopter des lois d’une portée extra-territoriale.

4. Nulle loi du Parlement du Royaume-Uni adoptée postérieurement à l’entrée en vigueur de la présente Loi ne doit s’étendre ou être censée s’étendre à un Dominion, comme partie de la législation en vigueur dans ce Domi­nion, à moins qu’il n’y soit expressément déclaré que ce Dominion a demandé cette loi et a consenti à ce qu’elle soit édictée.

7. (1) Rien dans la présente Loi ne doit être considéré comme se rapportant à l’abrogation ou à la modification des Actes de l’Amérique du Nord britannique, 1867 à 1930, ou d’un arrêté, statut ou règlement quelconque édicté en vertu desdites Actes.

(2) Les dispositions de l’article deux de la présente Loi doivent s’étendre aux lois édictées par les provinces du Canada et aux pouvoirs des législatures de ces provinces.

(3) Les pouvoirs que la présente Loi confère au Parlement du Canada ou aux législatures des provinces ne les autorisent qu’à légiférer sur des questions qui sont de leur compétence respective.

Nous ne considérons pas que l’art. 4 ait des répercussions réelles sur la question en cause en l’espèce. L’article utilise le mot «s’étendre» et, à notre avis, il veut donc dire qu’en l’absence de la déclaration mentionnée dans l’article, nulle loi du Royaume-Uni ne fera partie de la législation en vigueur dans un dominion. Il est toutefois intéres­sant de voir que toutes les modifications adoptées après l’entrée en vigueur du Statut de Westmins­ter, 1931 contiennent une déclaration que le Canada les a demandées et y a consenti.

Les dominions auxquels le Statut de Westmins­ter, 1931 s’applique étaient tous des Etats unitaires sauf le Canada et l’Australie, et la constitution australienne contenait déjà une disposition modifi­catrice.

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Quant au Canada, la portée possible de l’art. 2 a été une source d’inquiétude pour les provinces parce qu’une interprétation possible était de permettre au Parlement fédéral d’abroger ou de modi­fier l’A.A.N.B. L’article 7 est le résultat de cette inquiétude. Le Livre blanc de M. Favreau traite de l’historique de cette question aux pp. 18 et 19:

Le 30 juin 1931, le très honorable R.B. Bennett, premier ministre du Canada, soumit à la Chambre des Communes une résolution proposant qu’une adresse soit présentée à Sa Majesté pour demander la promulgation du Statut de Westminster. Le préambule de la résolu­tion déclarait:

«Considérant que les autorités compétentes au Canada ont étudié l’opportunité et la mesure dans laquelle les principes contenus dans le projet de loi du Parlement du Royaume-Uni devraient s’appliquer à la législation provinciale; et qu’à une conférence interprovinciale, tenue à Ottawa, les septième et huitième jours d’avril en l’an mil neuf cent trente et un de Notre Seigneur, une clause fut approuvée par les délégués du gouvernement de Sa Majesté au Canada et des gouvernements de toutes les provinces du Canada, pour être insérée dans le projet de loi dans le but de déclarer que les dispositions du projet de loi relatives à l’acte concernant la validité des lois colo­niales devraient s’étendre aux lois adoptées par les provinces du Canada et aux pouvoirs des législatures des provinces; et aussi dans le but de déclarer que rien dans le projet de loi ne serait censé s’appliquer à l’abrogation, à la modification ou au changement des Actes de l’Amérique du Nord britannique, de 1867 à 1930, ou de toute ordonnance, règle ou tout règlement établi sous leur empire; et aussi dans le but de décla­rer que les pouvoirs conférés par le projet de loi au Parlement du Canada et aux législatures des provinces devraient être restreints à l’adoption des lois se rapportant à des questions relevant de la juridiction du Parlement du Canada ou de l’une quelconque des législatures des provinces respectivement.»

Le premier ministre rappela que la Conférence fédé­rale-provinciale mentionnée dans le préambule avait été convoquée sur les instances de l’Ontario, qui avait reçu l’appui d’autres provinces. Certaines d’entre elles avaient exprimé des craintes que des dispositions aussi étendues que celles qui devaient s’inscrire dans le Statut de Westminster ne permettent à un parlement fédéral d’empiéter sur les droits d’une législature provinciale et d’exercer des pouvoirs qui dépassent sa propre compé­tence. Il fit ressortir que « ... au cas où l’on prétendrait que les droits des provinces définis dans l’Acte de l’Amé­rique du Nord britannique sont diminués, modifiés ou

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abrogés» un article du Statut d’application spéciale au Canada devait déclarer, avec l’accord unanime des pro­vinces, que tel n’était pas le cas.

Le Statut de Westminster, 1931 fut adopté le I1 décembre 193I. Plus tôt dans l’année, Me Louis St-Laurent, alors président de l’Association du Barreau canadien et distingué constitutionnaliste, avait parlé dans son discours présidentiel, publié à (193I) 9 R. du B. Can. 525, des résolutions de la Chambre des communes et du Sénat demandant l’adoption du Statut. Son discours ne se situe pas dans un contexte politique. A l’époque, il n’occu­pait aucun poste politique. Ce n’est que plus tard qu’il est devenu député à la Chambre des commu­nes et ministre de la Couronne. L’extrait suivant de ce discours [à la p. 533] est pertinent à la question dont la Cour est saisie:

[TRADUCTION] Certes, il se peut que, bien qu’à la fois le Dominion et les provinces restent soumis à la compé­tence législative du Parlement de Sa Majesté au Royaume-Uni, ce Parlement ait, en théorie, les pleins pouvoirs pour modifier la répartition de la compétence législative entre eux. Mais après la déclaration de 1926 portant qu’à la fois le Royaume-Uni et les Dominions sont des collectivités autonomes à statut égal, en aucune façon subordonnées les uns aux autres sur quelque aspect de leurs affaires internes ou extérieures, il semble réellement peu probable que le Parlement du Royaume-Uni se mette à légiférer pour le territoire d’un de ces dominions, à moins qu’il soit expressément déclaré dans l’Acte que ce dominion a demandé l’adoption du projet de loi et y consente. Et si le Royaume-Uni et les Dominions ont un statut égal et ne sont en aucune façon subordonnés les uns aux autres sur quelque aspect de leurs affaires internes ou extérieures, la disposition de l’article 92 de l’Acte de 1867 portant que dans chaque province la législature a le pouvoir exclusif de faire des lois relatives à l’amendement de temps à autre de sa constitution, sauf les dispositions relatives à la charge de lieutenant-gouverneur, ne semble-t-elle pas indiquer que les chambres du Parlement du Dominion n’auraient pas compétence pour demander l’adoption de lois qui pourraient étendre ou réduire l’autonomie législative provin­ciale ou y consentir? Il est vrai qu’il est prévu que l’un des paragraphes du Statut de Westminster déclare que rien dans cette loi ne doit être considéré comme se rapportant à l’abrogation ou à la modification des Actes de l’Amérique du Nord britannique, 1867 à 1930, ou

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d’un arrêté, statut ou règlement quelconque édicté en vertu desdits actes; mais la déclaration faite à la Confé­rence impériale prétend être un énoncé de la position constitutionnelle reconnue et, si c’est effectivement le cas, faut-il ajouter quelque chose pour qu’il soit clair que la constitution des provinces peut seulement être modi­fiée ou touchée par les provinces elles-mêmes?

L’article 92 exclut la compétence fédérale à cet égard, et la déclaration de 1926 semble effectivement faire état d’une position constitutionnelle qui empêche l’interven­tion à leur sujet de tout autre parlement auquel elles ne seraient aucunement subordonnées.

Le Statut de Westminster, 1931 a donné une reconnaissance législative au statut souverain indé­pendant du Canada en tant que nation. Toutefois, quoique le Canada en tant que nation ait été reconnu comme souverain, le gouvernement de la nation restait de type fédéral et le Parlement fédéral n’a pas acquis seul le contrôle complet de l’exercice de cette souveraineté. Une interprétation possible de l’art. 2 du Statut de Westminster, 1931, pris isolément serait de donner ce contrôle au Parlement fédéral, mais l’adoption de l’art. 7, sur l’instance des provinces, visait à empêcher que le Parlement fédéral n’exerce ce pouvoir. Le paragraphe 7(3) en particulier reconnaît explicitement le maintien de la division des pouvoirs créée par l’A.A.N.B. Les pouvoirs conférés au Parlement du Canada par le Statut de Westminster, 1931 ne l’autorisent qu’à légiférer sur des questions qui sont de sa compétence.

Aux termes du par. 7(1), le Parlement impérial est demeuré l’instrument juridique d’adoption de modifications des A.A.N.B., 1867-1930. Ceci n’a nettement aucun effet sur la procédure existante qui a été utilisée pour obtenir la modification de l’A.A.N.B. La procédure par résolution qui, après 1895, a produit toutes les modifications constitu­tionnelles jusqu’en 1931, a été suivie pour toutes les modifications constitutionnelles adoptées depuis 193I.

Le procureur général du Canada a présenté un argument faussement simple à l’appui de la léga­lité de la résolution en question ici. Il a fait valoir que la résolution n’est pas une loi et qu’en consé­quence, elle ne se prête pas à une détermination

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judiciaire et qu’en outre les deux chambres peuvent légalement passer toutes les résolutions qu’el­les veulent. Le Parlement impérial a toute l’auto­rité légale voulue pour modifier l’A.A.N.B en adoptant une loi et son pouvoir à cet égard ne peut être mis en doute. Donc, si le Parlement impérial adopte une loi en réponse à une résolution du Sénat et de la Chambre des communes, il ne peut être question d’illégalité.

Toutefois, on a aussi soutenu que bien que le Parlement impérial ait toute l’autorité légale pour modifier l’A.A.N.B., il existe une convention «ferme et fixe» que pareille modification ne sera adoptée qu’en réponse à une résolution des deux chambres en ce sens et, en outre, qu’il adoptera toutes les modifications de l’A.A.N.B. ainsi demandées.

En définitive, si l’on se penche sur le processus du point de vue du fond plutôt que de la forme, on affirme en fait que le Sénat et la Chambre des communes ont le pouvoir de faire adopter toutes les modifications de l’A.A.N.B. qu’ils veulent, même si elles suppriment, sans le consentement provincial, des pouvoirs législatifs que l’A.A.N.B. accorde aux provinces.

A l’appui de la proposition que les résolutions sont des questions de procédure parlementaire interne qui ne se prêtent pas à une détermination judiciaire, on a cité deux auteurs britanniques. Dans son Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 10e éd., Dicey déclare aux pp. 54 et 55 que la résolution des chambres n’est pas une loi et que chaque chambre a la complète maîtrise de sa propre procédure. Dans The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 18e éd., à la p. 195, May confirme la règle que chaque chambre a compétence exclusive sur sa propre procédure interne.

Quand des autorités anglaises, tels Dicey et May, traitent du pouvoir des chambres du Parlement d’adopter des résolutions et de leur effet, elles envisagent les résolutions des chambres du Parlement dans un Etat unitaire. Aux termes de la constitution britannique, la seule limite du pouvoir du Parlement est qu’il doit exprimer son autorité

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par des lois. Une «modification constitutionnelle» en vertu de la constitution britannique peut être adoptée par des lois normales. En conséquence, ces autorités ne sont d’aucune utilité pour fixer les limites, le cas échéant, du pouvoir d’un ordre de gouvernement dans un Etat fédéral relativement à l’utilisation d’une procédure de modification acceptée pour réduire les pouvoirs de l’autre ordre législatif. La résolution en cause ici n’est pas une question de procédure interne. On reconnaît qu’une résolution du Sénat et de la Chambre des communes constitue un moyen de s’adresser au Parlement impérial pour qu’il légifère pour effec­tuer une modification constitutionnelle.

Selon le procureur général, le pouvoir du Sénat et de la Chambre des communes d’adopter des résolutions de tous genres et de les utiliser à toutes fins est reconnu par l’art. 18 de l’A.A.N.B. et l’art. 4 de la Loi sur le Sénat et la Chambre des communes, S.R.C. I970, chap. S-8. L’article 18 de l’A.A.N.B. prévoit:

18. Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséde­ront et exerceront le Sénat et la Chambre des Commu­nes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par acte du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu’aucun acte du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de la passation du présent acte, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande et par les membres de cette Chambre.

Le texte actuel de l’art. 18 a été adopté par l’Acte du Parlement du Canada, 1875 pour remplacer l’art. I8 de l’A.A.N.B., 1867. La rédaction différente des deux articles n’est pas pertinente à la question en litige ici.

L’article 18 ne crée ni ne reconnaît en lui-même l’existence des privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes. Il prévoit que leurs privilèges, immunités et pouvoirs seront ceux prescrits de temps à autre par acte du Parlement du Canada, sous réserve que le Parlement ne pourra par une loi donner au Sénat ou à la Cham­bre des communes des privilèges, immunités ou pouvoirs qui excèdent ceux que possède la Cham­bre des communes du Parlement du Royaume-Uni.

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Le Parlement ne peut attribuer des pouvoirs législatifs à ses deux chambres. En outre, parce qu’à la différence du Parlement du Royaume-Uni, l’étendue du pouvoir de légiférer du Parlement est limitée, il ne peut attribuer au Sénat et à la Chambre des communes des pouvoirs qu’il ne pos­sède pas lui-même.

Dans l’exercice des pouvoirs que lui a accordés l’art. 18 de l’A.A.N.B., le Parlement du Canada a adopté en 1868 un Acte pour définir les privilèges, immunités et attributions du Sénat et de la Chambre des communes, 1868 (Can.), chap. 23. Les articles 1 et 2 de cet acte prévoit ce qui suit:

1. Le Sénat et la Chambre des Communes, respectivement, ainsi que les membres de ces corps, posséderont et exerceront les mêmes privilèges, immunités et attribu­tions que ceux possédés et exercés, à l’époque de la passation de l’acte de l’Amérique Britannique du Nord, 1867, par la Chambre des Communes du parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, et par ses membres, en tant qu’ils ne sont pas incompati­bles avec l’acte ci-haut cité.

2. Ces privilèges, immunités et attributions seront censés former partie et formeront partie de la loi géné­rale et publique du Canada, et il ne sera pas nécessaire de les alléguer spécialement, mais il devra en être judi­ciairement pris connaissance par tous les tribunaux et par tous les juges en Canada.

Les dispositions essentielles de ces deux articles ont été reprises dans les lois ultérieures. On les retrouve actuellement aux art. 4 et 5 de la Loi sur le Sénat et la Chambre des communes, précitée:

4. Le Sénat et la Chambre des communes, respectivement, ainsi que leurs membres respectifs, possèdent et exercent

a) les mêmes privilèges, immunités et attributions que possédaient et exerçaient lorsque a été voté l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni, ainsi que ses membres, dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec ladite loi; et

b) Les privilèges, immunités et attributions qui sont de temps à autre définis par une loi du Parlement du Canada, n’excédant pas ceux que possédaient et exer­çaient, respectivement, à la date de cette loi, la Cham­bre des communes du Parlement du Royaume-Uni et ses membres.

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5. Ces privilèges, immunités et attributions font partie de la loi générale et publique du Canada, et il n’est pas nécessaire de les alléguer spécialement, mais tous les tribunaux et tous les juges du Canada doivent en pren­dre judiciairement connaissance.

Le Parlement n’a pas conféré au Sénat et à la Chambre des communes tous les privilèges, immu­nités et attributions que possédait et exerçait la Chambre des communes du Royaume-Uni, mais les leur a seulement conférés «dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec ladite loi», c’est-à-dire l’A.A.N.B., 1867. Il reconnaît ainsi que certai­nes attributions que possède la Chambre des com­munes du Royaume-Uni peuvent ne pas être com­patibles avec les dispositions de l’A.A.N.B.

A notre avis, cette très importante restriction tient compte du fait que, tandis que la Chambre des communes du Royaume-Uni est l’une des chambres du Parlement d’un Etat unitaire, le Sénat et la Chambre des communes canadiens sont les chambres d’un parlement d’un Etat fédéral, dont les pouvoirs ne sont pas totaux, mais précisément limités par la loi qui l’a créé.

Afin d’adopter la résolution actuellement en cause, le Sénat et la Chambre des communes doivent prétendre exercer une attribution. On doit en trouver la source à l’al. 4a) de la Loi sur le Sénat et la Chambre des communes, puisqu’au­cune autre loi n’a été adoptée jusqu’à ce jour, à part cet alinéa, qui définit effectivement les privi­lèges, immunités et attributions des deux chambres du Parlement. La résolution dont nous sommes saisis a été adoptée dans le but de faire modifier l’A.A.N.B., modification dont il est admis que l’effet est de réduire les pouvoirs législatifs provin­ciaux aux termes de l’art. 92 de l’A.A.N.B. A notre avis, ce pouvoir n’est pas compatible avec l’A.A.N.B., il lui est opposé. C’est un pouvoir qui est en rupture avec le fondement même de l’A.A.N.B. Par conséquent, vu les limitations que l’al. a) de l’art. 4 contient, il ne confère pas ce pouvoir. Le Sénat et la Chambre des communes prétendent exercer un pouvoir qu’ils ne possèdent pas.

L’effet de la position adoptée par le procureur général du Canada est que les deux chambres du Parlement ont un contrôle total sur le déclenchement

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d’un mécanisme par lequel ils peuvent faire modifier l’A.A.N.B. à leur gré. On a carrément concédé au cours des plaidoiries qu’il n’y avait pas de limites aux genres de modifications ainsi conce­vables. A notre avis, il découle en substance de cet argument que, depuis au plus tard 1931, les pro­vinces ne doivent pas leur existence continue à leur pouvoir constitutionnel exprimé dans l’A.A.N.B., mais à la tolérance du Parlement fédéral. Quoique le Parlement fédéral ait été pendant cette période incompétent pour légiférer sur les matières attri­buées aux provinces par l’art. 92, ses deux cham­bres pouvaient à tout moment le faire au moyen d’une résolution adressée au Parlement impérial, qui viendrait modifier l’A.A.N.B.

En somme, le procureur général du Canada affirme que les deux chambres du Parlement détiennent un pouvoir de demander des modifica­tions de l’A.A.N.B. qui pourraient bouleverser et même détruire le régime fédéral de gouvernement constitutionnel du Canada. Nous ne connaissons pas de sources juridiques possibles de ce pouvoir. La Chambre des communes et le Sénat font partie du Parlement du Canada. L’article 17 de lA.A.N.B. énonce qu’il «y aura, pour le Canada, un parlement qui sera composé de la Reine, d’une chambre haute appelée le Sénat, et de la Chambre des communes». Aux termes de l’art. 91 de l’A.A.N.B., les lois sont adoptées par la Reine, de l’avis et du consentement du Sénat et de la Cham­bre des communes. Ces deux éléments du Parlement ne peuvent d’eux-mêmes adopter des lois, et le Parlement ne pourrait leur conférer des pouvoirs plus grands que ceux qu’il possède lui-même.

Le procureur général du Canada prétend qu’é­tant donné que le par. 7(1) du Statut de West­minster, 1931 laisse l’abrogation ou la modifica­tion des Actes de l’Amérique du Nord britannique, 1867 à 1930 dans les mains du Parlement impérial, rien n’empêche les deux chambres du Parlement de demander une modification en la forme qu’elles désirent. Cet argument signifie que les deux cham­bres du Parlement peuvent accomplir indirectement, par l’intervention du Parlement impérial, ce que le Parlement du Canada est lui-même incapa­ble de faire. A notre avis, les deux chambres n’ont

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pas l’autorité voulue, de leur propre chef, pour obtenir des modifications constitutionnelles qui toucheraient au fondement même du régime fédé­ral canadien, c’est-à-dire la division complète des pouvoirs législatifs entre le Parlement du Canada et les législatures provinciales. Il incombe à cette Cour d’examiner cette revendication de droits dans l’optique de la préservation de la Constitution.

Dès l’origine, cette Cour s’est activement pen­chée sur la constitutionnalité des lois tant fédérales que provinciales. Son rôle s’est généralement étendu à l’interprétation des termes exprès de l’A.A.N.B. Toutefois, à l’occasion, cette Cour a eu à examiner des questions pour lesquelles l’A.A.N.B. n’offrait aucune réponse. Dans chaque cas, elle a rejeté la revendication de pouvoir qui porterait atteinte aux principes fondamentaux de la Constitution.

Dans l’arrêt Amax Potash Ltd. et autres c. Gouvernement de la Saskatchewan[35], la demande­resse cherchait à faire déclarer ultra vires des articles de The Mineral Taxation Act, R.S.S. 1965, chap. 64, et des règlements adoptés en vertu de cette loi et à recouvrer des montants payés à titre de taxes en vertu des règlements. Le gouver­nement de la Saskatchewan a contesté que ces articles fussent ultra vires, mais a également prétendu qu’il n’y avait pas de cause d’action puisque le par. 5(7) de The Proceedings against the Crown Act, R.S.S. 1965, chap. 87, empêchait de recou­vrer les fonds payés à la Couronne. La partie pertinente du par. 5(7) prévoit:

[TRADUCTION] (7) On ne peut exercer aucun recours contre la Couronne en vertu du présent ou de tout autre article de la Loi au regard d’actes ou d’omissions commis ou ayant apparemment été commis dans l’exer­cice d’un pouvoir conféré ou censé avoir été conféré à la Couronne en vertu d’une loi ou d’une disposition législa­tive qui excédait, excède ou pourrait excéder la compé­tence de la Législature; ...

Dans ses motifs, le juge Dickson, qui a rendu le jugement de la Cour, déclare à la p. 590:

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On dit qu’un État est souverain et qu’il n’appartient pas aux tribunaux de juger de la raison d’être ni de la sagesse de la volonté expresse du législateur. En tant que déclaration de principe, c’est indubitablement exact, mais dans un État fédéral, le principe général doit céder devant les exigences de la constitution qui définit les limites de la souveraineté et de la suprématie. Les tribunaux ne mettront pas en doute la sagesse des textes législatifs qui, aux termes de la Constitution canadienne, relèvent de la compétence des législatures, mais une des hautes fonctions de cette Cour est de s’assurer que les législatures n’outrepassent pas les limites de leur mandat constitutionnel et n’exercent pas illégalement certains pouvoirs. La Saskatchewan et l’Alberta ont fait savoir à cette Cour que les notions de justice et d’équité ne sont pas pertinentes en l’espèce. S’il en résulte une injustice, c’est à l’électorat qu’il appartient de la corriger et non aux tribunaux. Apparemment les deux provinces ne trouvent rien d’incohérent ni d’anormal à interdire à un sujet de recouvrer des sommes d’argent payées sous protêt à la Couronne en exécution d’une loi subséquem­ment jugée ultra vires.

A mon avis, le par. 5(7) de The Proceedings against the Crown Act va beaucoup plus loin que de simplement accorder une immunité à la Couronne. Dans le présent contexte, il touche directement au droit de lever des impôts. Par conséquent, il touche à la répartition des pouvoirs prévue à lActe de l’Amérique du Nord britan­nique, 1867. Il soulève également la question du droit d’une province, ou même du Parlement fédéral, de violer la constitution canadienne. Il est évident que si le Parlement fédéral ou une législature provinciale peuvent imposer des impôts en outrepassant leurs pouvoirs et se donner à cet égard une immunité par le biais d’une loi existante ou ex post facto, ils pourraient ainsi se placer dans la même situation que s’ils avaient agi en vertu de leurs pouvoirs constitutionnels respectifs. Refuser la res­titution de revenus perçus sous la contrainte en vertu d’une loi ultra vires revient à permettre à la législature provinciale de faire indirectement ce qu’elle ne peut faire directement, et imposer des obligations illégales par des moyens détournés.

Dans l’affaire British Columbia Power Corp. c. British Columbia Electric Co. et autres[36], cette Cour devait décider si on pouvait rendre une ordonnance de séquestre pour administrer des biens en attendant que soit rendue une décision sur la constitutionnalité de certaines lois de la Colom­bie-Britannique; l’issue du litige devait déterminer

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si la Couronne avait un droit sur les actions ordi­naires de British Columbia Electric Company Limited que la loi lui donnait.

On a prétendu qu’une ordonnance de séquestre ne pouvait être rendue en vertu de la prérogative d’immunité de la Couronne. Voici ce que le juge en chef Kerwin, qui a rendu le jugement de la Cour, déclare aux pp. 644 et 645:

[TRADUCTION] A mon avis, dans un système fédératif où l’autorité législative se divise, comme les prérogatives de la Couronne, entre le Dominion et les provinces, il n’est pas permis à la Couronne, du chef du Canada ou d’une province, de réclamer une immunité fondée sur un droit dans certaine propriété, lorsque ce droit dépend entièrement et uniquement de la validité de la législation qu’elle a elle-même passée, s’il existe un doute raisonna­ble quant à la validité constitutionnelle de cette législa­tion. Lui permettre d’agir ainsi serait lui permettre, par l’exercice de droits en vertu d’une législation qui excède ses pouvoirs, d’obtenir le même résultat que si cette législation était valide. Dans un système fédératif, il me semble qu’en pareille circonstance, le tribunal a la même compétence pour préserver des biens dont le titre dépend de la validité d’une législation que pour établir la vali­dité de la législation elle-même.

Dans Attorney General of Nova Scotia c. Attor­ney General of Canada[37], la Cour devait examiner la validité de lois qui envisageaient une délégation de pouvoirs législatifs de la législature provinciale au Parlement du Canada et du Parlement à la législature provinciale. Le juge en chef Rinfret déclare aux pp. 34 et 35:

[TRADUCTION] La Constitution du Canada n’appar­tient ni au Parlement, ni aux législatures; elle appartient au pays. C’est en elle que les citoyens de ce pays trouveront la protection des droits auxquels ils peuvent prétendre. Le fait que le Parlement ne peut légiférer que sur les sujets que lui assigne l’article 91, et que chaque province peut légiférer exclusivement sur les matières que lui assigne l’article 92, fait partie de cette protec­tion. Les Canadiens sont fondés à exiger que seul le Parlement du Canada adopte des lois en vertu de l’arti­cle 91, de même que la population de chaque province est fondée à exiger que la législation portant sur les matières qu’énumère l’article 92 provienne exclusivement de la législature de celle-ci. Dans chaque cas, les députés élus au Parlement ou aux législatures sont les seuls auxquels on a confié le pouvoir et le devoir de

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légiférer en ce qui concerne les sujets que l’Acte consti­tutionnel a attribués à titre exclusif à chacun d’entre eux.

Ni l’article 91 ni l’article 92 ne formule un quelcon­que pouvoir de délégation, de même qu’en vérité, c’est en vain que l’on y rechercherait un quelconque pouvoir pour l’un de ces organes d’accepter une délégation de l’autre; il ne fait aucun doute pour moi que, si l’on avait eu l’intention de conférer de tels pouvoirs, on l’aurait exprimé en termes clairs et non équivoques. Dans le plan d’ensemble de l’Acte de l’Amérique du Nord britanni­que, il devait y avoir, selon les termes de lord Atkin dans le Renvoi relatif aux conventions de travail ([1937] A.C. 326), «des compartiments étanches, parties essen­tielles de sa structure première».

Aucun des organes législatifs, qu’il soit fédéral ou provincial, ne possède la moindre parcelle des pouvoirs dont l’autre est investi, et il ne peut en recevoir par la voie d’une délégation. A cet égard, le mot «exclusivement», employé aussi bien à l’article 91 qu’à l’article 92, établit une ligne de démarcation nette, et il n’appartient ni au Parlement ni aux législatures de se conférer des pouvoirs les uns aux autres.

Dans le Renvoi relatif aux lois de l’Alberta[38], la Cour a notamment examiné la constitutionnalité de The Accurate News and Information Act qui imposait certains devoirs de publication aux jour­naux publiés en Alberta. Le juge en chef Duff (avec qui le juge Davis était d’accord) y parle du droit à la discussion publique et de l’autorité du Parlement pour le protéger, et déclare aux pp. I33 et I34:

[TRADUCTION] Cette compétence repose sur le principe que les pouvoirs indispensables à la protection de la Constitution elle-même découlent par déduction néces­saire de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique pris dans son ensemble (Fort Frances Pulp & Power Co. Ltd. v. Manitoba Free Press Co. Ltd., ([1923] A.C. 695)) et, puisque la matière au sujet de laquelle le pouvoir est exercé n’est pas exclusivement une matière provinciale, elle appartient nécessairement au Parlement.

On peut noter que dans les cas susmentionnés, les principes et doctrines juridiques élaborés par le judiciaire ont plusieurs points communs. Premièrement, aucun ne figure dans les dispositions expresses des Actes de l’Amérique du Nord bri­tannique ni dans d’autres textes constitutionnels.

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Deuxièmement, on a considéré qu’ils représentent tous des exigences constitutionnelles découlant du caractère fédéral de la Constitution du Canada. Troisièmement, on leur a accordé à tous un plein effet juridique, c’est-à-dire qu’on les a utilisés pour faire annuler des textes de loi. Quatrièmement, ils ont tous été élaborés par le judiciaire pour répon­dre à une inititative [sic] législative particulière à l’égard de laquelle on pourrait dire, comme le fait le juge Dickson dans l’affaire Amax (précitée) à la p. 591, que: «La jurisprudence en droit constitu­tionnel canadien n’a jamais traité directement de cette question ... ».

Les décisions examinées ci-dessus sont toutes des arrêts de cette Cour. Nous avons déjà parlé de l’arrêt du Conseil privé dans l’affaire des Conven­tions de travail qui, à notre avis, apporte par analogie une aide précieuse pour résoudre le litige soumis à la Cour. Le procureur général du Canada y faisait valoir que le pouvoir du gouvernement fédéral de conclure des traités au nom d’un Canada souverain permettait au Parlement fédéral de légiférer conformément aux obligations contractées aux termes d’un traité. Le Conseil privé a rejeté cette prétention et décidé que le Parlement fédéral ne bénéficiait pas d’une compétence légis­lative plus grande du fait de l’accession du Canada à la souveraineté. Le Parlement fédéral n’était pas investi d’une autorité législative additionnelle à cause des engagements qu’il avait pris aux termes d’un traité international.

Le procureur général du Canada prétend en l’espèce que seul le Parlement fédéral peut parler au nom du Canada en tant qu’Etat souverain. Selon la pratique de modification de l’A.A.N.B. qui s’est développée, seules les chambres du Parlement peuvent prier le Parlement impérial de modifier l’A.A.N.B. et, aux termes d’une conven­tion ferme et fixe, ce dernier doit s’y conformer. Rien, prétend-on, n’empêche donc juridiquement de soumettre au Parlement impérial par une réso­lution des deux chambres une demande de modifi­cation de l’A.A.N.B. qui a un effet sur la division fondamentale des pouvoirs législatifs enchâssés dans l’A.A.N.B.

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A notre avis, l’accession du Canada au statut souverain international ne permet pas au Parlement fédéral, dont l’autorité législative est limitée aux matières définies à l’art. 91 de l’A.A.N.B., de faire unilatéralement, au moyen d’une résolution de ses deux chambres, une modification de l’A.A.N.B. qui serait contraire au principe fondamental de la division des pouvoirs créée par cet acte. La revendication de ce droit, qui n’a jamais été tentée auparavant, est non seulement contraire au régime fédéral créé par l’A.A.N.B., mais va également à l’encontre de l’objectif visé par l’art. 7 du Statut de Westminster, 1931.

On peut résumer en ces termes la position fédé­rale en l’espèce. Bien que le Parlement fédéral n’ait pas l’autorité voulue pour atteindre les objec­tifs énoncés dans la résolution en adoptant lui-même une loi, il peut échapper à cette limitation de son autorité en la faisant adopter par le Parlement impérial sur l’ordre d’une résolution des deux chambres du Parlement fédéral. Le Parlement fédéral tente ainsi d’accomplir indirectement ce que juridiquement il ne peut faire directement, en détournant vers une fin illégale le mode normal de résolution utilisé pour obtenir du Parlement impé­rial l’adoption de modifications constitutionnelles, A notre avis, puisque l’adoption d’une telle modifi­cation excède le pouvoir du Parlement fédéral, il est également hors du pouvoir de ses deux cham­bres de le faire par l’intermédiaire du Parlement impérial.

Nous faisons nôtre l’opinion exprimée par le très honorable Louis St-Laurent, alors premier minis­tre du Canada, le 3I janvier I949, lorsqu’il dit au cours du débat sur l’adresse:

Quant aux questions confiées par la constitution aux gouvernements provinciaux, il est impossible au Parlement fédéral de les leur retirer. Notre compétence ne s’étend pas à ce qui a été confié exclusivement aux provinces. Nous ne pouvons demander que soit modifié quelque chose qui échappe à notre juridiction, qui elle, ne porte que sur les questions qui nous sont expressé­ment confiées. Nous pouvons demander que soit modi­fiée la façon de nous occuper de ces questions-là, ...

(Débats de la Chambre des communes, 1949, vol. 1, à la p. 87.)

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Ce passage définit clairement l’étendue du pouvoir du Parlement fédéral de demander de son propre chef des modifications de l’A.A.N.B. Il est limité aux matières que l’A.A.N.B. lui a attribuées.

CONCLUSIONS:

L’A.A.N.B. a créé une union fédérale. Il est de l’essence même de la nature fédérale de la Consti­tution que le Parlement du Canada et les législatu­res des provinces aient des pouvoirs législatifs dis­tincts. Le Conseil privé s’est prononcé sur la nature des pouvoirs législatifs des provinces aux termes de l’art. 92 et sur le statut des législatures provincia­les dans les arrêts Hodge et Maritime Bank (préci­tés). Nous reprenons la déclaration de lord Watson dans cette dernière affaire aux pp. 441 et 442:

[TRADUCTION] Le but de l’Acte n’était pas de fusionner les provinces en une seule ni de subordonner les gouver­nements provinciaux à une autorité centrale, mais de créer un gouvernement fédéral dans lequel elles seraient toutes représentées et auquel serait confiée de façon exclusive l’administration des affaires dans lesquelles elles avaient un intérêt commun, chaque province conservant son indépendance et son autonomie.

Le maintien de la division fondamentale des pouvoirs législatifs a été reconnu au par. 7(3) du Statut de Westminster, 1931. Le Parlement du Canada n’a pas le pouvoir d’empiéter sur le domaine des pouvoirs législatifs conférés aux légis­latures provinciales. Le but de l’art. 7 du Statut était de protéger les pouvoirs législatifs provin­ciaux des atteintes possibles du Parlement fédéral compte tenu des pouvoirs que le Statut lui conférait.

La reconnaissance du statut du Canada en tant qu’Etat souverain n’a pas modifié sa nature fédé­rale. C’est un Etat souverain, mais son gouvernement est de type fédéral avec une division nette des pouvoirs législatifs. La résolution en cause ici pourrait seulement constituer une expression réelle de la souveraineté canadienne si elle avait l’appui des deux ordres de gouvernement.

Les deux chambres du Parlement canadien revendiquent le pouvoir d’effectuer unilatéralement une modification de l’A.A.N.B. qu’elles désirent,

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y compris la réduction des pouvoirs législatifs provinciaux. Ceci attaque à la base l’ensemble du régime fédéral. Ainsi on affirme le droit d’une partie du régime gouvernemental canadien de réduire les pouvoirs de l’autre partie sans son consentement.

L’exercice de ce pouvoir ne repose sur aucun fondement législatif. Au contraire, les pouvoirs qu’accorde au Sénat et à la Chambre des commu­nes l’al. 4a) de la Loi sur le Sénat et la Chambre des communes, excluent le pouvoir d’agir de façon incompatible avec l’A.A.N.B. L’exercice de ce pouvoir n’a aucun appui dans une convention constitu­tionnelle. La convention constitutionnelle va tota­lement en sens contraire. Nous ne voyons aucun autre fondement de la reconnaissance de l’exis­tence de ce pouvoir. Ceci étant, il appartient à cette Cour, à qui il incombe de protéger et de préserver la constitution canadienne, de déclarer que ce pouvoir n’existe pas. Nous sommes donc d’avis que la constitution canadienne ne confère pas au Sénat et à la Chambre des communes le pouvoir de faire modifier la constitution cana­dienne relativement aux pouvoirs législatifs provin­ciaux sans le consentement des provinces.

La question B du renvoi du Québec soulève le point de savoir si le Sénat et la Chambre des communes du Canada sont habilités à faire modi­fier la constitution canadienne «sans l’assentiment des provinces et malgré l’objection de plusieurs d’entre elles». Lorsque le procureur général de la Saskatchewan a traité de la question 3 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve, il a fait valoir qu’il n’était pas nécessaire dans ces procédures que la Cour statue sur la nécessité du consentement unanime de toutes les provinces aux modifications constitutionnelles proposées dans la résolution. Il suffisait pour répondre à la question de souligner l’opposition de huit provinces qui regroupent une majorité de la population du Canada.

Nous sommes d’avis de répondre à la question B par la négative. Nous sommes d’avis de répondre à la question 3 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve par l’affirmative sans décider pour l’instant si le consentement y mentionné doit être unanime.

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—II—

LE JUGE EN CHEF ET LES JUGES ESTEY ET

MCINTYRE (dissidents)—Ces motifs visent seulement la question 2 des renvois du Manitoba[39] et deTerre-Neuve[40] et la partie conventionnelle de la question B du renvoi du Québec[41]. Notre opinion sur les autres questions soulevées dans les trois renvois est exprimée dans un autre jugement. Comme nous l’expliquerons plus loin, les questions examinées dans ces motifs ne soulèvent aucun point de droit et normalement la Cour n’entrepren­drait pas d’y répondre car il n’entre pas dans ses fonctions d’aller au-delà des déterminations juridi­ques. Mais du fait de la nature inhabituelle de ces renvois et du fait que les points soulevés par les questions dont nous sommes saisis ont été assez longuement plaidés devant la Cour et qu’ils font l’objet des motifs de la majorité auxquels, avec les plus grands égards, nous ne pouvons souscrire, nous estimons devoir répondre aux questions nonobstant leur nature non juridique.

La question 2 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve est formulée en ces termes:

2. Y a-t-il une convention constitutionnelle aux termes de laquelle la Chambre des communes et le Sénat du Canada ne peuvent, sans le consentement préalable des provinces, demander à Sa Majesté la Reine de déposer devant le Parlement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord un projet de modification de la Constitution du Canada qui a un effet sur les relations fédérales-provinciales ou les pouvoirs, les droits ou les privilèges que la Constitu­tion du Canada accorde ou garantit aux provinces, à leurs législatures ou à leurs gouvernements?

La même question découle de la formulation de la question B du renvoi du Québec:

B. La constitution canadienne habilite-t-elle, soit par statut, convention ou autrement, le Sénat et la Chambre des communes du Canada à faire modifier la constitu­tion canadienne sans l’assentiment des provinces et malgré l’objection de plusieurs d’entre elles de façon à porter atteinte:

(i) à l’autorité législative des législatures provinciales en vertu de la constitution canadienne?

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 (ii) au statut ou ‘rôle des législatures ou gouvernements provinciaux au sein de la fédération canadienne?

Il faut souligner dès maintenant que la conven­tion mentionnée dans ces questions et défendue par toutes les provinces opposées au projet, à l’excep­tion de la Saskatchewan, est une convention cons­titutionnelle selon laquelle, avant que les deux chambres du Parlement canadien ne demandent à Sa Majesté la Reine de déposer devant le Parlement du Royaume-Uni un projet de modification de la Constitution du Canada qui a un effet sur les relations fédérales-provinciales, il faut obtenir le consentement des provinces. Il ressort clairement de la formulation des questions et des plaidoiries que le consentement visé est celui de toutes les provinces. C’est donc à cette question qu’il faut répondre dans cette partie des renvois. Une réponse affirmative reviendrait à déclarer existante une convention qui exige le consentement de toutes les provinces alors qu’une réponse négative en nierait évidemment l’existence. La Cour n’a aucune autre option car, dans un renvoi de cette nature, elle ne peut répondre qu’aux questions soumises et ne peut évoquer de son propre chef des questions qui conduiraient à des réponses non solli­citées: voir Renvoi relatif à la Cour de Magistrat de Québec[42] (aux pp. 779 et 780); Lord’s Day Alliance of Canada v. Attorney-General for Manitoba[43]; Attorney-General for Ontario v. Attorney-General for Canada and Another[44] et Renvoi: Waters and Water-Powers[45]

Dans l’affaire Lord’s Day Alliance, la situation a été exprimée succinctement par lord Blanesburgh, aux pp. 388 et 389. Il dit:

[TRADUCTION] Il faut souligner que chacune de ces questions vise un état de chose qui découle de la nouvelle Loi dûment mise en vigueur. Le lieutenant-gouverneur en conseil veut être informé de la légalité des excursions auxquelles il se réfère, seulement en supposant que cette loi est entrée en vigueur, et on ne défend aucunement la question de leur légalité en dehors de la Loi. Toutefois, les appelants ont demandé avec insistance à leurs Sei­gneuries d’analyser et de trancher l’argument que ces excursions sont légales au Manitoba tout à fait indépendamment

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de la Loi, d’autant que certains des savants juges de la Cour d’appel en l’espèce avaient exprimé cette opinion qu’annonçait une décision antérieure de la même cour.

Leurs Seigneuries s’abstiendront de suivre ce chemin pour une raison majeure qu’ils choisissent parmi plusieurs autres qui pourraient justifier une réserve en l’espèce.

Les lois qui autorisent l’exécutif du gouvernement, qu’il s’agisse de celui du Dominion du Canada ou d’une province canadienne, à demander par une requête directe à la Cour de répondre à une question tant de fait que de droit, bien qu’elle relève de la compétence des législatures respectives, imposent un devoir nouveau dont la Cour doit s’acquitter mais sans l’élargir: voir Attorney-General for Ontario v. Attorney-General for Canada, [[1912] A.C. 571.] Il est plus que normalement opportun dans les cas de ces renvois qu’un tribunal s’abstienne de traiter de questions autres que celles qui lui sont déférées en termes exprès et leurs Seigneuries en l’espèce suivront cette règle.

Lorsqu’il y a ambiguïté ou que les questions sont formulées en des termes si généraux qu’une réponse précise est difficile ou impossible à donner, le tribunal peut qualifier les réponses, répondre en termes généraux ou refuser de répondre: voir le Renvoi: Waters and Water-Powers, précité. Aucune considération de ce genre ne s’applique en l’espèce. Les questions soumises à la Cour ne sont pas ambiguës. La question 2 des renvois du Mani­toba et de Terre-Neuve parle sans restriction du «consentement ... des provinces». La question B du renvoi du Québec utilise les termes «l’assenti­ment des provinces», également sans restriction. Les expressions «des provinces» ou «les provinces du Canada» dans ce contexte ou dans l’usage général signifie en français courant toutes les pro­vinces du Canada et notre examen de la question doit se faire sur cette base. La Cour ne serait à notre avis pas justifiée de retoucher les questions pour leur donner un sens qui n’est pas clairement exprimé. Selon l’usage ordinaire, ces expressions signifient chaque province. Cela connote à son tour toutes les provinces. Il en est ainsi parce que la question présume que toutes les provinces sont sur un pied d’égalité pour ce qui est de leur situation constitutionnelle respective. Il n’est pas vraiment possible de soutenir que l’emploi répété de l’ex-pression «chambres du Parlement» dans le dossier

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soumis à cette Cour dans ces pourvois pourrait signifier l’une ou l’autre ou une seule des chambres du Parlement; en d’autres termes, si le consentement des chambres du Parlement était requis par la loi, cela ne saurait comprendre la possibilité que le consentement d’une des chambres du Parlement suffise. Il en est de même des questions qui nous sont soumises.

Qu’est-ce qu’une convention et, en particulier, une convention constitutionnelle? Quoique nos réponses à la question 2 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve et à la question B du renvoi du Québec diffèrent de celles de la majorité de la Cour, nous sommes d’accord avec la plus grande partie de l’analyse de la nature générale des conventions constitutionnelles faites dans les motifs de jugement de la majorité que nous avons eu l’avan­tage de lire. Nous souscrivons également au passage des motifs de jugement du juge en chef Freedman du Manitoba dans le renvoi du Mani­toba, approuvé et cité par la majorité. Nous ne sommes toutefois pas d’accord avec la proposition que l’on peut qualifier d’inconstitutionnel au sens strict ou juridique le non-respect d’une convention, ou que son respect pourrait être de quelque façon une exigence constitutionnelle au sens de la ques­tion 3 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve. Dans un Etat fédéral où la caractéristique essen­tielle de la Constitution doit être la répartition des pouvoirs entre les deux ordres de gouvernement, chacun étant souverain dans sa propre sphère législative, constitutionnalité et légalité doivent être synonymes et les règles conventionnelles rece­vront une importance moindre que celle qu’elles peuvent avoir dans un Etat unitaire comme le Royaume-Uni. Au risque d’une répétition indue, il faut à nouveau souligner qu’on doit distinguer le régime constitutionnel dans un Etat unitaire et les pratiques des entités politiques nationales et régio­nales d’un Etat fédéral d’une part, du droit consti­tutionnel d’un Etat fédéral d’autre part. Ce droit ne peut avoir des origines coutumières ou informelles, mais il doit découler d’un texte en bonne et due forme qui est la source de l’autorité, l’autorité légale, qui permet aux entités centrales et régiona­les de fonctionner et d’exercer leurs pouvoirs.

La Constitution du Canada, comme le souligne la majorité, n’est écrite qu’en partie, c’est-à-dire

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consacrée par des textes législatifs qui ont force de loi et qui comprennent outre l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (ci-après appelé l’A.A.N.B.), les autres textes de lois énumérés dans les motifs de la majorité. Une autre partie de la Constitution, et d’ailleurs des plus importante, est formée de la coutume et de l’usage, qui ont adopté en grande partie les pratiques du Parlement du Royaume-Uni en les adaptant à la nature fédérale de ce pays. Avec le temps, ceux-ci ont évolué pour former avec les lois mentionnées ci-dessus et cer­taines règles de common law une constitution pour le Canada. Cette constitution repose donc sur des lois et des règles de common law qui disent le droit et ont force de loi, et des coutumes, usages et conventions élaborés en sciences politiques qui, sans avoir force de loi en ce sens qu’il existe un mécanisme juridique d’application ou une sanction légale de leur violation, forment un élément vital de la Constitution sans lequel elle serait incom­plète et incapable d’atteindre son but.

Comme le souligne la majorité, il existe une différence fondamentale entre les règles de droit (c’est-à-dire celles tirées de la loi et de la common law) de la Constitution et les règles conventionnelles: alors qu’une violation des règles de droit, qu’elles soient de nature législative ou de common law, a des conséquences juridiques puisque les tribunaux la réprimeront, aucune sanction de ce genre n’existe pour la violation ou le non-respect des règles conventionnelles. Pour que les conven­tions constitutionnelles soient respectées, il faut que les acteurs qu’elles sont censées lier acceptent l’obligation de s’y conformer. Lorsque cette consi­dération est insuffisante pour en forcer le respect, aucun tribunal ne peut donner juridiquement effet à la convention. La sanction du non-respect d’une convention est politique en ce sens que le mépris d’une convention peut conduire à une défaite politique, à la perte d’un poste ou à d’autres consé­quences politiques, mais les tribunaux ne pourront en tenir compte puisqu’ils sont limités aux ques­tions de droit seulement. Toutefois, les tribunaux peuvent reconnaître l’existence de conventions et c’est ce qu’on nous demande de faire en répondant aux questions. La réponse, qu’elle soit affirmative ou négative, peut être sans effet juridique et les tribunaux n’imposeront ni n’annuleront des actes

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conformes au droit même s’ils sont en contradic­tion directe avec des conventions bien établies. On trouve l’un des multiples exemples de l’application de ce principe dans l’arrêt Madzimbamuto v. Lardner-Burke and George[46]. Une simple conven­tion ne peut conférer pareil pouvoir à l’un ou l’autre ordre de gouvernement. Une convention canadienne pourrait seulement avoir un effet néga­tif, c’est-à-dire limiter l’exercice de ce pouvoir. Toutefois aucune pratique limitative ne peut avoir pour effet de faire perdre ce pouvoir s’il existe en droit.

Il existe différentes sortes de conventions et d’usages, mais en l’espèce il s’agit seulement de ce qu’on peut appeler les conventions «constitution­nelles» ou règles de la Constitution. Le professeur Dicey les décrit dans la dixième édition de son ouvrage, Law of the Constitution, 1959, aux pp. 23 et 24 dans le passage suivant:

[TRADUCTION] Il existe un groupe de règles qui sont au sens le plus strict des «règles de droit» puisque ce sont des règles auxquelles (qu’elles soient écrites ou non, sous forme de lois ou dérivant d’une masse de coutume, de tradition ou de maximes judiciaires comme la common law) les tribunaux donnent effet; ces règles constituent «le droit constitutionnel» au sens propre de cette expres­sion et, pour les distinguer, on peut les qualifier collecti­vement de «règles de la constitution».

L’autre groupe de règles est formé des conventions, des arrangements, des habitudes ou pratiques qui, quoiqu’ils puissent régir la conduite des nombreux tenants du pouvoir souverain, du Gouvernement ou d’autres fonc­tionnaires, ne constituent aucunement en réalité des règles de droit puisque les tribunaux n’y donnent pas effet. Pour la distinguer, on peut qualifier cette partie du droit constitutionnel de «convention de la constitution» ou de moralité constitutionnelle.

Plus loin à la p. 27, après une discussion d’exem­ples tirés de la pratique anglaise, il dit:

[TRADUCTION] Aux termes de la constitution anglaise, elles ont un point commun: aucune n’est une «règle de droit» au sens véritable de ce mot, car aucun tribunal ne pourrait prendre connaissance de sa violation.

Et plus loin aux pp. 30 et 31, il ajoute:

[TRADUCTION] Il [l’avocat ou le professeur de droit] n’a pas à s’intéresser directement aux conventions ou

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aux arrangements. lls varient d’une génération à l’autre et presque d’une année à l’autre. La question de savoir si un Gouvernement défait aux élections devrait démission­ner le jour du résultat de l’élection ou peut à bon droit conserver son poste jusqu’à une défaite au Parlement, est ou peut être une question d’importance pratique. Les opinions sur ce point qui ont cours aujourd’hui diffèrent (dit-on) des opinions ou perceptions qui avaient cours voici trente ans et sont possiblement différentes de celles qui auront cours dans dix ans d’ici. Des précédents de poids et de solides autorités sont cités des deux côtés sur cette question épineuse; les dicta ou la pratique de Russell et Peel peuvent être opposés à ceux de Beaconsfield et Gladstone. Toutefois, il ne s’agit pas d’une matière juridique mais politique et ni l’avocat ni la classe du professeur de droit ne doit s’en inquiéter. S’il doit se pencher sur le sujet, c’est seulement dans la mesure où on peut lui demander de montrer quelle est la relation (le cas échéant) entre les conventions de la constitution et le droit constitutionnel.

Ce point de vue est celui des auteurs canadiens tel le professeur Peter W. Hogg dans Constitutional Law of Canada, 1977, qui traite de la question en ces ternies à la p. 7:

[TRADUCTION] Les conventions sont des règles de la constitution auxquelles les tribunaux ne donnent pas effet. Comme les tribunaux ne leur donnent pas effet, on les considère au mieux comme des règles non juridiques, mais étant donné qu’elles régissent en fait les méca­nismes de la constitution, elles jouent un rôle important pour le constitutionnaliste. Les conventions prescrivent effectivement la façon dont les pouvoirs seront exercés. Certaines conventions transfèrent le pouvoir réel d’un détenteur légitime à une autre instance. D’autres conventions limitent un pouvoir apparemment vaste ou même prescrivent qu’un pouvoir donné ne sera pas exercé du tout.

A la page 8, il dit:

[TRADUCTION] Si un personnage officiel enfreint une convention, il est alors habituel, en particulier au Royaume-Uni, de qualifier l’acte ou l’omission d’«in­constitutionnel». Mais il faut distinguer soigneusement l’utilisation du terme inconstitutionnel du cas où une règle juridique de la constitution a été enfreinte. Lorsque l’inconstitutionnalité découle d’une violation du droit, le prétendu acte est normalement nul et il existe un recours devant les tribunaux. Mais lorsque «l’incons­titutionnalité» découle simplement d’une violation de convention, la loi n’a pas été violée et il n’existe aucun

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remède en droit. Si un tribunal accordait effectivement un redressement pour une violation de convention, par exemple, en déclarant invalide une loi adoptée pour le Canada par le Parlement du Royaume-Uni sans la demande ni le consentement du Canada ou en ordonnant au gouverneur général contre sa volonté de donner sa sanction à un projet de loi passé par les deux chambres du Parlement, nous devrions alors changer notre vocabu­laire et décrire la règle que l’on croyait être une conven­tion comme une règle de common law. En d’autres termes, une décision judiciaire pourrait avoir l’effet de transformer une règle conventionnelle en une règle de droit. Une convention peut également être transformée en règle de droit en devenant une loi.

Il convient de souligner que, selon les propos du professeur Hogg dans la citation précédente, une décision judiciaire pourrait transformer une règle conventionnelle en une règle de droit, comme pourrait le faire l’adoption d’une convention sous forme de loi. Il est indubitable qu’une loi, qui incor­porerait les termes d’une convention, pourrait créer du droit positif mais, à notre avis, il n’appar­tient pas aux tribunaux d’élever une convention au rang de principe juridique. Comme on le dit ci-des­sus, les tribunaux peuvent reconnaître l’existence des conventions dans leur propre domaine. C’est tout ce que l’on peut à bon droit demander à la Cour dans sa réponse à la question 2 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve et à la partie conventionnelle de la question B du renvoi du Québec: une réponse de la Cour qui reconnaisse l’existence de la convention ou qui la nie. Si la Cour postulait d’autres conventions qui exigent moins que le consentement unanime des provinces aux modifications constitutionnelles, elle excé­derait le cadre des renvois et ce faisant, elle répon­drait à une question que les renvois ne posent pas. Cela reviendrait en fait à établir par déclaration judiciaire une formule de modification de la cons­titution canadienne qui, en plus d’excéder le pouvoir déclaratoire de la Cour, puisqu’il ne s’agit pas d’une question posée par les renvois soumis à la Cour, serait incomplète car elle ne préciserait pas l’étendue ou le pourcentage de consentement pro­vincial nécessaire. En outre, toutes les provinces, à l’exception de la Saskatchewan, s’y opposent: les provinces favorables à la position du Parlement fédéral, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick, parce que selon elles il n’existe pas de convention, et

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celles opposées à la position fédérale, le Québec, la Nouvelle-Écosse, l’Ile-du-Prince-Édouard, le Manitoba, l’Alberta et la Colombie-Britannique, parce que selon elles la participation provinciale est déjà fixée par ce qu’on peut appeler «la règle de l’unanimité».

Quoique fréquemment non écrites, les conven­tions peuvent néanmoins être consignées par écrit. Elles peuvent découler d’une entente précise entre les parties liées ou, ce qui est plus habituel, elles peuvent découler de la pratique et de l’usage. Il est également vrai que des conventions peuvent deve­nir des règles de droit mais, à notre avis, il faudrait pour ce faire une démarche juridique en bonne et due forme, telle l’adoption d’une loi. Le Statut de Westminster, 1931 offre un exemple de la promul­gation législative de conventions relatives aux rela­tions constitutionnelles entre le Royaume-Uni et les différents Dominions. Quelle que soit l’origine d’une convention, la condition essentielle de sa reconnaissance est que les parties en cause se considèrent liées par elle. Quoique de par sa nature même, une convention manque souvent de préci­sion et de clarté dans l’expression d’une règle de droit, on doit pouvoir la reconnaître, la connaître et la comprendre avec suffisamment de clarté pour pouvoir s’y conformer et immédiatement discerner son non-respect. Elle doit également jouer un rôle constitutionnel nécessaire.

La constitution canadienne comprend plusieurs conventions de ce genre et bien que selon les époques elles aient pu prendre différentes formes, que l’on puisse noter des changements et une évolution et qu’indubitablement il s’agisse d’un processus continu, on leur reconnaît néanmoins le statut de règles ou conventions de la constitution canadienne, connues et suivies à une époque donnée dans les affaires canadiennes. Comme les motifs de la majorité le soulignent, il y a de nombreux exemples. La règle générale suivant laquelle le gouverneur général agira seulement sur l’avis du premier ministre est purement conven­tionnelle et ne découle d’aucun texte législatif. Entre dans la même catégorie la règle voulant qu’après une élection générale, le gouverneur géné­ral demande au chef du parti qui réunit le plus grand nombre de sièges de former un gouvernement.

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La règle du gouvernement responsable, savoir qu’un gouvernement qui perd la confiance de la Chambre des communes doit démissionner de lui-même ou en obtenir la dissolution, les principes généraux de la règle de la majorité et du gouvernement responsable qui sous-tendent les travaux quo­tidiens des institutions de l’exécutif et du législatif de chaque ordre de gouvernement et un assortiment d’autres arrangements conventionnels peuvent servir d’illustrations. Ces règles ont une ori­gine historique et ont lié, et lient toujours, les acteurs sur la scène constitutionnelle canadienne depuis des générations. Nul ne peut douter qu’elles soient en vigueur ni qu’elles existent vraiment en tant que force opérante de la constitution canadienne. Elles sont néanmoins conventionnelles et donc distinctes des règles purement juridiques. On les observe sans hésiter parce que toutes les parties en cause reconnaissent leur existence et acceptent de les observer, se considérant liées par elles. Même si, comme le dit la majorité de la Cour, cela peut surprendre beaucoup de Canadiens, ces conventions n’ont aucune force juridique. En bref, il s’agit du produit de l’expérience politique dont l’adoption permet au processus politique de fonc­tionner d’une façon acceptable pour la collectivité.

Ce sont alors des conventions établies. Elles sont définies, compréhensibles et comprises. Leur ac­ceptation est incontestée non seulement de la part des acteurs sur la scène politique, mais aussi du grand public. Peut-on dire qu’il s’est créé une convention aussi bien définie et acceptée sur la question de la participation provinciale à la modifi­cation de la constitution canadienne? C’est à la lumière de cette comparaison que l’on doit exami­ner l’existence d’une présumée convention consti­tutionnelle. A notre avis, il est tout à fait clair que la réponse doit être négative. L’étendue de la participation provinciale aux modifications consti­tutionnelles constitue un sujet de controverse per­manente dans la vie politique canadienne depuis des générations. A notre avis, on ne peut affirmer qu’un point de vue sur le sujet est devenu si clair et si largement accepté qu’il constitue une convention constitutionnelle. Il faut remarquer qu’il existe une différence fondamentale entre la convention selon le concept de Dicey et la convention que certaines provinces soutiennent en l’espèce. La convention

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de Dicey se rapporte à l’activité des individus et des institutions dans une démocratie parlementaire de type unitaire. Elle ne restreint ni ne limite l’autorité ou la souveraineté du Parlement ou de la Couronne. La convention que l’on cherche à faire valoir en l’espèce, tronquerait l’activité de l’exé­cutif et du législatif au niveau fédéral. Ceci imposerait une limite à un corps lui-même souve­rain au sein de la Constitution. Il est manifeste que la reconnaissance de pareille convention, même dans le domaine politique et non juridique, exi­gerait de la part de l’entité souveraine qui serait ainsi liée un acquiescement clair et non simplement une affirmation de la majorité des bénéfi­ciaires de cette convention, les entités provinciales souveraines.

Un examen de l’expérience canadienne depuis la Confédération, tout en gardant à l’esprit les consi­dérations énoncées ci-dessus, vient appuyer notre conclusion sur ce point. On peut faire observer à ce stade qu’au cours des plaidoiries devant cette Cour, nul n’a suggéré qu’il existait actuellement une procédure de modification autre que les adres­ses des deux chambres du Parlement à Sa Majesté la Reine. On a fait valoir toutefois qu’il s’agissait seulement d’une étape de procédure et qu’avant que le Parlement puisse l’entreprendre, il fallait obtenir le consentement des provinces. Il faut donc nous arrêter à la fréquence avec laquelle le consen­tement provincial a été obtenu ou omis, aux cir­constances dans lesquelles on l’a cherché ou non, à la nature des modifications en cause et à l’attitude provinciale à cet égard. Comme il ressort d’autres motifs exposés dans ces renvois, ici et par les autres cours, il y a eu quelque vingt-deux modifi­cations de l’A.A.N.B. depuis la Confédération. Un énoncé bref de chaque modification est repris ci-dessous pour plus de commodité; ils sont tirés de la publication gouvernementale ci-après appelée le Livre blanc et intitulée «Modifications de la Cons­titution du Canada», publiée en 1965 sous l’auto­rité de l’honorable Guy Favreau, ministre fédéral de la Justice:

(1) L’Acte de la Terre de Rupert de 1868 autorisa le Canada à acquérir les droits de la Compagnie de la baie d’Hudson sur la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest. Il prévoyait aussi que la

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Couronne, sur présentation d’adresses de la part des chambres du Parlement du Canada, pourrait déclarer que le territoire ferait partie du Canada, et que le Parlement du Canada pourrait faire des lois pour y assurer la paix, l’ordre et le bon gouvernement.

(2) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1871 ratifia l’Acte du Manitoba adopté par le Parlement du Canada en 1870, qui créait la pro­vince du Manitoba et lui donnait une constitution semblable à celles des autres provinces. De plus, l’Acte conférait au Parlement du Canada le pouvoir d’ériger de nouvelles provinces dans n’importe quel territoire canadien non compris alors dans une province, de modifier les limites de toute province (avec l’accord de sa Législature) et de pourvoir à l’administration, la paix, l’ordre et le bon gouvernement de tout territoire non compris dans une province.

(3) L’Acte du Parlement du Canada de 1875 modifia l’article 18 de l’Acte de l’Amérique du Nord bri­tannique de 1867, qui énonce les privilèges, immu­nités et pouvoirs de chacune des chambres du Parlement.

(4) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1886 autorisa le Parlement du Canada à pourvoir à la représentation au Sénat et à la Chambre des Communes de tout territoire non compris dans une province.

(5) La Loi de 1893 sur la revision du droit statutaire abrogea certaines dispositions périmées de l’Acte de 1867.

(6) L’Acte concernant l’Orateur canadien (nomination d’un suppléant) de 1895 confirma une loi du Parlement du Canada qui permet la nomination d’un orateur suppléant au Sénat.

(7) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1907 établit une nouvelle échelle de subventions financières aux provinces en remplacement de celles qui sont prévues à l’article 118 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867. Tout en n’abrogeant pas expressément l’article primitif, il en rendit les dispositions inopérantes.

(8) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1915 redéfinit les divisions sénatoriales du Canada pour tenir compte de l’existence des provinces du Manitoba, de la Colombie-Britannique, de la Sas­katchewan et de l’Alberta. Bien qu’il n’ait pas modifié expressément le texte de l’article 22 primi­tif, il en a sûrement changé la portée.

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(9) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1916 prolongea la durée du Parlement du Canada alors en fonctions au delà de la période normale de cinq ans.

(10) La Loi de 1927 sur la revision du droit statutaire une fois encore abrogea des dispositions périmées ou désuètes des statuts du Royaume-Uni, y com­pris deux dispositions des Actes de l’Amérique du Nord britannique.

(11) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1930 confirma les accords relatifs aux ressources naturelles intervenus entre le gouvernement du Canada et ceux du Manitoba, de la Colombie-Bri­tannique, de l’Alberta et de la Saskatchewan et leur donna force de loi, nonobstant toute disposi­tion contraire des Actes de l’Amérique du Nord britannique.

(12) Le Statut de Westminster de 1931, tout en ne modifiant pas directement les Actes de l’Amérique du Nord britannique, changea certaines de leurs dispositions. C’est ainsi, par exemple, que le Parlement du Canada fut autorisé à faire des lois ayant une portée extra-territoriale. En outre, le Parlement et les législatures des provinces furent habili­tés, dans la limite des pouvoirs respectifs que leur confèrent les Actes de l’Amérique du Nord britan­nique, à abroger tout statut du Royaume-Uni faisant alors partie des lois du Canada à l’excep­tion expresse, cependant, de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique lui-même.

(13) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1940 accorda au Parlement du Canada la compé­tence exclusive de légiférer en matière d’assu­rance-chômage.

(14) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1943 ajourna le rajustement de la représentation à la Chambre des Communes jusqu’à la première session du Parlement qui suivrait la fin des hostilités.

(15) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1946 remplaça l’article 51 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 et changea les dispo­sitions relatives au rajustement de la représenta­tion à la Chambre des Communes.

(16) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1949 sanctionna les Conditions d’union entre le Canada et Terre-Neuve.

(17) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique (no 2) de 1949 habilita le Parlement du Canada à modi­fier la Constitution du Canada, à l’exception de certaines catégories de sujets.

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(18) La Loi de 1950 sur la revision du droit statutaire abrogea un article désuet de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867.

(19) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1951 autorisa le Parlement du Canada à légiférer concurremment avec les provinces sur les pensions de vieillesse.

(20) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1960 modifia l’article 99 et changea la durée des fonctions des juges des cours supérieures.

(21) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1964 modifia les pouvoirs conférés au Parlement du Canada par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1951 au sujet des pensions de vieillesse et des prestations additionnelles.

(22) Modifications par arrêté en conseil

L’article 146 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique prévoyait l’adjonction au Canada d’autres territoires de l’Amérique du Nord britan­nique par arrêté en conseil et stipulait que les dispositions de tels arrêtés auraient le même effet que si elles avaient été édictées par le Parlement du Royaume-Uni. En vertu de cet article, la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest furent admis par arrêté en conseil du 23 juin 1870; la Colombie-Britannique par arrêté en conseil du 16 mai 1871; et l’Île-du-Prince-Édouard par arrêté en conseil du 26 juin 1873. Comme tous ces arrêtés renferment des dispositions d’un caractère consti­tutionnel, ayant pour objet d’adapter les clauses de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique aux nouvelles provinces—avec les variations nécessai­res dans chaque cas—ils doivent être considérés comme des modifications d’ordre constitutionnel.

Il faut se rappeler en examinant ces modifica­tions qu’elles n’ont pas toutes la même pertinence ou le même poids dans le contexte de la présente affaire. La question 2 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve et l’aspect conventionnel de la question B du renvoi du Québec mettent en cause la convenance de modifications non consensuelles qui ont un effet sur les relations fédérales-provin­ciales et sur les pouvoirs, droits et privilèges des provinces. Les questions ne limitent pas l’examen aux modifications qui ont eu un effet sur la répar­tition des pouvoirs législatifs entre le Parlement fédéral et les législatures provinciales. Puisque la répartition des pouvoirs est l’essence même d’un régime fédéral, les modifications qui y touchent intéressent tout particulièrement les provinces. Les

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précédents tirés de ces modifications doivent rece­voir une attention particulière. Il ne s’ensuit toutefois pas qu’il faille, dans cette affaire, ne pas tenir compte des autres modifications qui ont eu un effet sur les relations fédérales-provinciales sans toutefois changer la répartition des pouvoirs. En soupesant les différentes modifications, il faut considérer quelle a été la réaction des provinces. C’est certainement le véritable critère de pertinence dans cette discussion. A maintes reprises, des pro­vinces ont considéré que des modifications sans effet sur la répartition du pouvoir législatif étaient suffisamment indésirables pour entraîner une vive opposition. Le critère de l’existence actuelle ou passée de la convention ressort de l’examen des résultats de cette opposition. Voici en quels termes le professeur William S. Livingston a commenté, dans Federalism and Constitutional Change, (Oxford University Press, 1956) à la p. 62, la modification de 1943 qui n’avait aucun effet sur la répartition des pouvoirs et celle de 1940 qui en avait:

[TRADUCTION] La différence importante entre les deux modifications découle bien sûr du fait que celle de 1940 change nettement et de façon appréciable la répartition des pouvoirs, une partie de la Constitution qui, a-t-on fait valoir, mérite spécialement la protection accordée par le principe du consentement unanime. Mais les faits eux-mêmes démontrent qu’au moins une des provinces a considéré la modification de 1943 comme suffisamment importante pour entraîner de longues et amères protes­tations devant l’attitude dédaigneuse du gouvernement du Dominion. Si l’unanimité sert à protéger les pro­vinces, seules ou collectivement, il est raisonnable de penser que les provinces devraient être celles qui déci­dent quand l’invoquer. Par le fonctionnement même du principe, une province ne protestera pas à moins qu’elle considère que l’affaire en cause en vaut la peine.

Le véritable critère de pertinence des différentes modifications à nos fins est un examen du degré d’opposition provinciale qu’elles ont entraîné, quelle qu’en soit la raison, de la considération reçue par cette opposition et de son influence sur le cours des procédures de modification.

Avant la modification effectuée par l’A.A.N.B. en 1930, on trouve au moins trois modifications, celles de 1886, 1907 et 1915 qui ont eu un effet appréciable sur les provinces et qui ont été adop­tées sans le consentement de toutes les provinces.

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La modification de 1886 autorisait le Parlement à pourvoir à la représentation parlementaire au Sénat et à la Chambre des communes des territoi­res non compris dans une province et changeait ainsi l’équilibre de la représentation des provinces. Celle de I907 modifiait le fondement des subven­tions fédérales payables aux provinces et a donc eu un effet direct sur les intérêts des provinces. Celle de 1915, qui redéfinissait les divisions territoriales de la représentation sénatoriale, constituait donc une modification potentielle de l’équilibre provin­cial. Celles de 1886 et de 1915 ont été adoptées sans consultation ni consentement provinciaux et celle de I907 a reçu le consentement de toutes les provinces sauf la Colombie-Britannique qui s’est activement opposée à son adoption tant au Canada qu’au Royaume-Uni. La modification fut adoptée avec des changements mineurs. A vrai dire, ces précédents n’ont en eux-mêmes qu’une influence modeste sur l’examen de la question soumise à la Cour. Il est clair toutefois qu’un examen des modi­fications faites jusqu’en 1930 n’appuie aucunement l’existence de la convention. Aucune n’a reçu l’en­tière approbation provinciale.

L’A.A.N.B. de 1930 prévoit le transfert des ressources naturelles situées dans les territoires pro­vinciaux aux provinces du Manitoba, de la Saskat­chewan et de l’Alberta. Il prévoit aussi le nouveau transfert de biens-fonds ferroviaires à la Colombie-Britannique. Seules consentirent à cette modifica­tion les provinces directement en cause, c’est-à-dire les quatre provinces de l’Ouest, quoique l’entente eût reçu l’approbation générale des autres provinces comme il appert d’une conférence de 1927. Ceci est un précédent d’un poids modeste, mais il vaut la peine de noter que bien que les intérêts de toutes les provinces non impliquées fussent touchés par l’aliénation de ressources rele­vant antérieurement du fédéral, on n’a pas consi­déré nécessaire d’obtenir leur consentement en bonne et due forme. Il est plus que d’un intérêt anecdotique de noter que dans la procédure de modification prévue dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1930 on ne trouve aucune obli­gation d’obtenir le consentement ni la participation des cinq autres provinces (qui existaient alors) bien que leur intérêt indirect dans des ressources fédé­rales ait pu être touché.

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Les parties n’ont pas considéré que les modifica­tions de I943, 1946, I949, 1949(2), 1950 et 1960 étaient très pertinentes en l’espèce et elles ont fait peu de commentaires à leur égard, mais toutes ces modifications, excepté celle de 1960, ont été adop­tées sans l’entier consentement des provinces. Sous réserve de ce qu’on ajoutera ultérieurement à propos de la modification de 1943, il reste donc à considérer le Statut de Westminster, 1931 et les modifications de 1940, 195I et 1964. Le Statut de Westminster, 1931 et les modifications de I940, 1951 et 1964 ont eu un effet direct sur les pro­vinces. La participation canadienne à la formula­tion des dispositions du Statut et lesdites modifica­tions ont reçu le consentement de toutes les provinces. Les provinces opposées au projet se sont lourdement appuyées sur ces cas pour justifier une réponse affirmative à ta question 2 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve et négative à l’aspect conventionnel de la question B du renvoi du Québec. Quant au Statut de Westminster, 1931, il a libéré les lois fédérales et provinciales des restric­tions imposées par la Loi relative à la validité des lois des colonies de 1865 et a donné une forme législative à des conventions qui s’étaient dévelop­pées avec l’évolution des anciennes colonies vers l’autonomie. La répartition pré-existante du pouvoir législatif entre les législatures provinciales et fédérales au Canada n’y était toutefois aucunement touchée et il n’a ni reconnu ni donné de forme législative à des conventions exigeant le consentement des provinces aux modifications de l’A.A.N.B. En fait, par le par. 7(1), la question des modifications de l’A.A.N.B. est spécifiquement exclue de son champ d’application.

La modification de 1940, qui transfère le pouvoir législatif sur l’assurance-chômage au Parlement fédéral, a également reçu un consentement provincial total. Il convient de souligner ici toutefois que lorsqu’on a interrogé M. Mackenzie King, alors premier ministre, en Chambre des communes sur cette question, il a reconnu que les consente­ments avaient été obtenus, mais il a précisé qu’on avait choisi ce moyen pour éviter des problèmes constitutionnels sur ce point et a nié la nécessité de pareil consentement. On trouve la discussion suivante consignée dans les débats de la Chambre des communes, 1940, aux pp. 1153 et 1157:

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Le très hon. M. MACKENZIE KING: ... Nous avons évité tout ce qui aurait pu passer pour une pres­sion sur les provinces et nous avons évité, en outre, une question d’ordre constitutionnel très grave, celle de savoir si, en modifiant l’Acte de l’Amérique britannique du Nord, il est nécessaire d’obtenir l’assentiment de toutes les provinces, ou si le consentement d’un certain nombre d’entre elles aurait pu suffire. Cette question pourra se présenter plus tard, .. .

M. J. T. THORSON (Selkirk): Quelques observa­tions seulement à l’appui de ce projet de résolution. Ce projet d’assurance-chômage est une phase très impor­tante du programme de réforme nationale qu’il faut absolument inaugurer dans ce pays. Je tiens, cependant à opposer mon opinion à ceux qui soutiennent que nous ne pouvons demander la permission de modifier l’Acte de l’Amérique britannique du Nord, sans avoir obtenu, au préalable, le consentement des provinces. J’estime que cela n’est pas nécessaire. D’autre part, il serait sage de procéder avec circonspection. Tous les honorables députés sont certainement très heureux que toutes les provinces aient consenti à cette mesure. Je ne désire cependant pas que nous terminions ce débat en recon­naissant directement ou indirectement qu’en principe il nous faut obtenir le consentement des provinces avant de demander la modification de l’Acte de l’Amérique bri­tannique du Nord. Heureusement pour nous, il ne s’agit en ce moment que d’un débat académique.

Le très hon. M. LAPOINTE: Je puis dire à mon honorable ami que ni le premier ministre ni moi n’avons dit que cela est nécessaire; nous avons dit que cela est désirable.

M. THORSON: Le premier ministre (M. Mackenzie King) a déclaré bien clairement que nous ne débattons pas ici cette question, attendu que toutes les provinces ont manifesté leur consentement à la demande de cet amendement.

Il ressort de ce qui précède que le premier ministre d’alors a reconnu l’existence d’une difficulté à cet égard. On ne peut dire toutefois que ses propos appuient l’opinion que, selon lui, il existait une convention exigeant le consentement des provinces. Il est clair, nous semble-t-il, qu’il a obtenu le consentement des provinces à cette occasion pour éviter de réveiller le débat sur le sujet; c’était une question de bonne politique plutôt qu’une exigence constitutionnelle. Il est bien certain que le gouver­nement fédéral préférerait toujours, d’un point de

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vue politique, obtenir l’approbation des provinces, mais la position des autorités fédérales qui ressort de la discussion précitée entre parlementaires n’ap­puie pas la proposition qu’elles se considéraient comme liées par une convention.

Nous sommes bien sûr conscients que d’autres déclarations ont été faites à ce sujet par des per­sonnalités politiques haut placées de même que par des universitaires connus. Les plaidoiries en ont fait valoir plusieurs. Nous n’avons pas l’intention d’en traiter en détail. Il suffit de dire qu’on en trouve beaucoup en faveur de l’existence de la convention et beaucoup qui la nient. Certains des auteurs de ces déclarations se sont contredits sur ce point à différentes étapes de leur carrière. Le débat sur cette question reste entier et dure depuis longtemps mais, à notre avis, il n’a jamais été résolu en faveur de l’existence de la convention. La controverse permanente sur le sujet entre politi­ciens et universitaires ajoute seulement du poids à l’argument qu’aucune convention relative au con­sentement des provinces n’a obtenu de reconnais­sance constitutionnelle jusqu’à ce jour.

La modification de 1951 a obtenu l’entière approbation des provinces comme celle de I964. La modification de 1951 donne au Parlement fé­déral le pouvoir sur les pensions de vieillesse et celle de 1964 n’est qu’une clarification des disposi­tions originales de I951. A notre avis, elles ont le même objet et ne constituent qu’un seul précédent en faveur de l’existence de la convention.

Après un examen des modifications faites depuis la Confédération et après avoir remarqué que sur vingt-deux modifications énumérées ci-dessus, il n’y a que quatre cas où l’on ait cherché ou obtenu le consentement unanime des provinces, et même après avoir accordé un poids spécial aux modifica­tions invoquées par les provinces, nous ne pouvons convenir que l’histoire justifie de conclure que la convention qu’elles revendiquent s’est concrétisée.

On a accordé un grand poids à la modification de 1940 relative à la Loi sur l’assurance-chômage en tant que précédent favorable à l’existence de la convention. Malgré l’obtention du consentement

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des provinces à la modification de I940, le gouver­nement fédéral a procédé trois ans plus tard à la modification de I943 sans leur consentement et malgré les vives protestations de la province de Québec. Cette modification ne touchait pas aux pouvoirs provinciaux. Elle avait trait au report du rajustement de la représentation à la Chambre des communes. Néanmoins, le Québec l’a considérée d’importance suffisante, parce que ses intérêts étaient particulièrement touchés, pour susciter une opposition active que le gouvernement fédéral a ignorée en obtenant la modification. En discutant de cette modification dans son ouvrage déjà men­tionné, Livingston dit aux pp. 6I et 62:

[TRADUCTION] Mais bien que le traitement de la Loi de 1940 ait dangereusement frôlé l’acceptation du prin­cipe du consentement unanime, la procédure suivie en 1943 a détruit tout espoir que la question ait été réglée. La modification de 1943 avait pour but de retarder le rajustement des sièges de la Chambre des communes jusqu’après la guerre. La constitution (art. 51) pres­crivait le rajustement et exigeait donc une loi du Parlement britannique pour le retarder. Le Québec dont la population avait augmenté beaucoup plus que celle des autres provinces, devait considérablement profiter du rajustement des sièges et n’était pas du tout disposé à le retarder. Mais la difficulté et l’injustice de réorganiser la base de représentation pendant les hostilités poussa le gouvernement à faire voter son projet par la Chambre. M. St-Laurent, alors ministre de la Justice, introduisit et défendit le projet qui avait l’appui des deux partis d’opposition; l’issue à la Chambre ne fut jamais sérieusement douteuse. Le gouvernement du Dominion n’avait aucunement tenté de consulter les provinces et cette action n’a entraîné aucune protestation sauf celle du Québec. Cette province s’est toutefois vigoureusement opposée à la façon dont le gouvernement a traité la question et a protesté tant à Québec qu’à Ottawa. La législature provinciale adopta une résolution de protesta­tion qu’elle demanda au gouvernement de transmettre au gouvernement britannique. Mackenzie King refusa cependant en répondant que l’affaire ne concernait que le Parlement du Dominion et non les législatures provin­ciales; que la théorie du pacte était indéfendable tant en théorie qu’en droit; et que les Britanniques ne pouvaient en prendre connaissance puisqu’ils étaient liés par l’adresse du Parlement du Dominion. Des plaintes amères se firent entendre à la Chambre portant que le gouvernement dédaignait tout simplement la protesta­tion officielle de la législature du Québec et que pareille [sic] autoritarisme portait atteinte à la Constitution et violait

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les droits des provinces. Mais le gouvernement, assuré de l’appui de l’opposition, mit l’affaire au vote sans même répondre à ces protestations.

En bref, nous remarquons qu’au cours des cent quatorze années écoulées depuis la Confédération, le Canada est passé d’un groupe de quatre colonies un peu chancelantes à un Etat moderne et indé­pendant, dont la taille, la puissance et la richesse ont grandement augmenté et dont les structures sociales et gouvernementales étaient inconcevables en 1867. Il est indéniable que les relations Domi­nion-provinces ont profondément changé pendant cette période. Bien des facteurs ont influencé ce processus et les modifications de l’A.A.N.B., toutes les modifications, ont joué un rôle important et elles doivent toutes entrer en ligne de compte dans la solution de cette question. Dans quatre cas seulement, l’entier consentement des provinces a été obtenu et, dans plusieurs autres, le gouvernement fédéral a procédé aux modifications malgré une opposition provinciale active. A notre avis, il est extrêmement irréaliste de dire que la conven­tion s’est concrétisée.

Toujours à l’appui de l’argument conventionnel, on a cité le Livre blanc susmentionné. On a affirmé que la déclaration de principe énoncée à la p. 15 qui constitue une prise de position gouvernementale faisant autorité, est décisive sur ce point. Voici le résumé des principes:

Les principes généraux suivants se dégagent du résumé qui précède:

Premièrement, bien qu’une loi du Royaume-Uni soit nécessaire pour modifier l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, une telle loi n’est promulguée que sur la demande officielle du Canada. Le Parlement du Royaume-Uni n’adopte aucune loi touchant le Canada à moins qu’elle ne soit demandée et acceptée par le Canada; inversement, toute modification que le Canada a demandée dans le passé a été adoptée.

Deuxièmement, le Parlement du Canada doit autori­ser toute demande au Parlement britannique de modifier l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Ce principe a été établi dès le début et l’on ne s’en est pas écarté depuis 1895. Une demande de modification prend inva­riablement la forme d’une adresse conjointe de la Chambre

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des Communes et du Sénat du Canada à Sa Majesté.

Troisièmement, le Parlement britannique ne peut procéder à une modification de la Constitution du Canada à la seule demande d’une province canadienne. Certaines tentatives ont été faites par des provinces dans ce sens, mais sans succès. La première, qui remonte à 1868, émanait d’une province qui n’était pas satisfaite à l’épo­que des conditions de la Confédération. D’autres ont suivi en 1869, 1874 et 1887. Le gouvernement britanni­que a chaque fois refusé de donner suite aux instances des gouvernements provinciaux, soutenant qu’il ne devait pas intervenir dans les affaires du Canada, sauf s’il en était requis par le gouvernement fédéral agissant au nom de tout le Canada.

Quatrièmement, le Parlement du Canada ne procède pas à une modification de la Constitution intéressant directement les rapports fédératifs sans avoir au préa­lable consulté les provinces et obtenu leur assentiment. Ce principe ne s’est pas concrétisé aussi tôt que les autres, mais, à partir de 1907 et en particulier depuis 1930, il a été de plus en plus affirmé et accepté. Il n’a pas été facile, cependant, de préciser la nature et l’éten­due de la participation provinciale à la procédure de modification.

Les provinces opposées au projet invoquent essentiellement le quatrième principe. A notre avis, elles attribuent trop de poids à l’énoncé des quatre principes. L’auteur du Livre blanc avait pris le soin de dire à la p. 11:

Néanmoins, un certain nombre de règles et de princi­pes, inspirés des méthodes et des moyens grâce auxquels diverses modifications à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ont pu être obtenues depuis 1867, se sont dégagés au cours des années. Bien que n’ayant strictement aucun caractère obligatoire sur le plan cons­titutionnel, ils ont fini par être reconnus et acceptés dans la pratique comme éléments de la procédure de modifi­cation au Canada. [Les italiques sont de nous.]

Il ne semble pas avoir été convaincu que les princi­pes étaient devenus si bien établis qu’ils avaient acquis une force constitutionnelle rigoureuse. En outre, nous ne pouvons accorder au quatrième principe l’importance que lui donnent les provinces opposées au projet. La première phrase se prononce vigoureusement en faveur de l’existence de la convention. Si on en restait là, sous réserve de ce que l’auteur dit avant, cela constituerait une déclaration d’un grand poids. Toutefois, la troisième

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phrase contredit la première et en fait l’annule. En suggérant qu’on puisse exiger le consentement par­tiel des provinces, le quatrième principe répond à la question 2 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve et à la partie conventionnelle de la question B du renvoi du Québec à l’encontre des provinces. L’auteur du Livre blanc fait seulement valoir que le principe «a été de plus en plus affirmé», c’est-à-dire «partiellement» et non «complètement». Une convention exige la reconnaissance universelle des acteurs en cause et il en est certainement ainsi lorsque, comme en l’espèce, l’acceptation d’une convention implique qu’un corps souverain qui y serait partie renonce à un pouvoir. En outre en reconnaissant l’incertitude de la définition de l’étendue de la participation provinciale, il nie l’existence d’une convention, y compris celle que suggère la province de la Saskatchewan. S’il est difficile de définir l’étendue de la participation provinciale, ce qui est certainement le cas, on ne peut dire qu’une convention à cet égard soit établie et reconnue en tant que condition constitutionnelle de l’adoption d’une modification. C’est la difficulté même de fixer l’étendue de la participation provin­ciale qui, tant qu’elle n’est pas résolue, empêche la formation ou la reconnaissance d’une convention. Elle prive une supposée convention de ce degré de définition nécessaire à son fonctionnement, à son effet obligatoire sur ceux qu’elle est censée lier et elle rend difficile sinon impossible d’en discerner clairement la violation. A notre avis, le quatrième principe énoncé dans le Livre blanc ne favorise pas la prétention provinciale.

On a aussi fait valoir que le Canada a été constitué comme une union fédérale et que l’exis­tence d’un pouvoir juridique du gouvernement cen­tral de changer unilatéralement la Constitution est incompatible avec le concept du fédéralisme. Ainsi la convention, fait-on valoir, découle de la néces­sité d’empêcher cet acte unilatéral et de préserver la nature fédérale du Canada. A cet égard, on doit manifestement reconnaître que, dans une union fédérale, les pouvoirs et droits de chacun des deux ordres de gouvernement doivent être protégés des attaques de l’autre. Toute l’histoire du droit consti­tutionnel et des litiges constitutionnels au Canada depuis la Confédération porte sur cette question vitale. On nous demande de dire si le besoin de

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préserver les principes du fédéralisme canadien impose une convention qui exige le consentement des provinces pour que le gouvernement fédéral puisse, par l’exercice de ses pouvoirs, obtenir une modification de la constitution canadienne. Si la convention exige seulement un consentement par­tiel comme le prétend la Saskatchewan, il est difficile de voir comment le concept fédéral est alors protégé car si cela satisfaisait les provinces favorables à la modification, celles qui refusent leur consentement pourraient crier à la coercition. Si le consentement unanime est exigé (comme le prétendent les autres provinces opposées au projet) même si l’on peut dire que globalement le concept du fédéralisme serait ainsi protégé, cette protection ne serait atteinte qu’au prix de la méconnaissance de la nature particulière du fédéralisme canadien. L’A.A.N.B. n’a pas créé un Etat fédéral idéal ou parfait. Ses dispositions accordent un certain degré de primauté au Parlement fédéral. Il est indubita­ble que cela est plus notable au Canada que dans beaucoup d’autres Etats fédéraux. Par exemple, il suffit à cet égard de penser au pouvoir de réserve et de désaveu des lois provinciales, au pouvoir de déclarer des ouvrages publics dans une province à l’avantage général du Canada pour les placer sous le contrôle réglementaire fédéral, aux vastes pou­voirs de légiférer généralement pour la paix, l’or­dre et le bon gouvernement du Canada dans son ensemble, au pouvoir de légiférer en matière crimi­nelle pour tout le pays et à celui de créer des provinces à partir des territoires existants et de les admettre dans la Confédération, de même qu’à la primauté accordée aux lois fédérales. C’est la nature particulière du fédéralisme canadien qui prive de sa force l’argument du fédéralisme décrit ci-dessus. C’est d’autant plus vrai quand il impli­que le règlement final des affaires constitutionnelles canadiennes avec un gouvernement étranger, puisque l’autorité fédérale est le seul véhicule entre le Canada et le Souverain et que le Canada seul a le pouvoir requis en matière d’affaires extérieures. Nous rejetons donc l’argument que la préservation des principes du fédéralisme canadien requiert la reconnaissance de la convention plaidée devant nous.

Quoiqu’il ne soit pas nécessaire de le faire à propos de la question 2, nous nous sentons obligés

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de faire un commentaire additionnel relatif à l’ar­gument du fédéralisme. On a fait valoir que les autorités fédérales se prévalaient d’un pouvoir d’agir sans restriction au mépris des souhaits pro­vinciaux, ce qui pouvait alter jusqu’à transformer le Canada en un Etat unitaire au moyen d’un vote majoritaire des chambres du Parlement. On peut régler cet argument en quelques mots. Ce que la Cour doit faire, c’est répondre aux questions posées dans les trois renvois. Comme on l’a déjà dit, la Cour ne peut rien faire de plus. Les ques­tions visent toutes la constitutionnalité de projets précis de modification constitutionnelle; elles seules constituent l’objet complet de l’examen de la Cour et ses commentaires doivent s’y limiter. Il n’appartient pas à la Cour d’exprimer une opinion sur la sagesse ou le manque de sagesse de ces projets. Elle doit seulement se pencher sur leur constitutionnalité. Toutefois, comme l’argument unitaire a été soulevé, on doit à notre avis souli­gner que les projets constitutionnels fédéraux, qui préservent un Etat fédéral sans changer la réparti­tion ou l’équilibre. des pouvoirs, créeraient une formule de modification qui enchâsserait les droits des provinces en matière de modification dans une position sure, juridique et constitutionnelle et mettraient également fin au pouvoir actuel du Parlement fédéral d’agir unilatéralement dans les affai­res constitutionnelles. Ainsi, on peut dire que la résolution parlementaire en cause ici, mis à part l’adoption de la Charte des droits qui circonscrit les pouvoirs législatifs à la fois des législatures fédérale et provinciales, ne modifie pas réellement la constitution canadienne. Elle a pour effet de compléter une constitution incomplète en remé­diant à sa lacune actuelle, c’est-à-dire l’absence d’une formule de modification, ce qui permettra de modifier la Constitution au Canada comme il sied à un Etat souverain. Il ne s’agit pas ici d’une action qui de quelque façon a pour effet de transformer cette union fédérale en un Etat unitaire. L’argument de dernier ressort qui fait appel au spectre d’un Etat unitaire n’a aucune validité.

Pour tous ces motifs, nous répondons aux ques­tions posées dans les trois renvois comme suit:

Les renvois du Manitoba et de Terre-Neuve: Question 2: Non.

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Le renvoi du Québec:

Question B

(i): Oui.

(ii): Oui.

LES JUGES MARTLAND, RITCHIE, DICKSON, BEETZ, CHOUINARD ET LAMER—La deuxième question du renvoi du Manitoba[47] et du renvoi de Terre-Neuve[48] est identique:

2. Y a-t-il une convention constitutionnelle aux termes de laquelle la Chambre des communes et le Sénat du Canada ne peuvent, sans le consentement préalable des provinces, demander à Sa Majesté la Reine de déposer devant le Parlement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord un projet de modification de la Constitution du Canada qui a un effet sur les relations fédérales-provinciales ou les pouvoirs, les droits ou les privilèges que la Constitu­tion du Canada accorde ou garantit aux provinces, à leurs législatures ou à leurs gouvernements?

Quant à la question B du renvoi du Québec[49], elle se lit en partie comme suit:

B. La constitution canadienne habilite-t-elle ... par convention ... le Sénat et la Chambre des communes du Canada à faire modifier la constitution canadienne sans l’assentiment des provinces et malgré l’objection de plusieurs d’entre elles de façon à porter atteinte:

(i) à l’autorité législative des législatures provinciales en vertu de la constitution canadienne?

(ii) au statut ou rôle des législatures ou gouverne­ments provinciaux au sein de la fédération cana­dienne?

Pour ces questions, les expressions «Constitution du Canada» et «constitution canadienne» ne se rapportent pas à des sujets qui intéressent seulement le gouvernement fédéral ou l’entité juridique fédérale. Elles ont clairement le sens le plus large possible et comprennent le système global des règles et principes qui régissent la répartition ou l’exercice des pouvoirs constitutionnels dans l’ensemble et dans chaque partie de .l’Etat canadien. Tout au long de ces motifs, c’est ce sens large qu’elles auront.

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Le sens de la deuxième question des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve appelle d’autres commentaires.

Comme on le verra plus loin, les procureurs de plusieurs provinces ont plaidé avec vigueur que la convention existe et qu’elle exige le consentement de toutes les provinces. Notre interprétation de l’exposé de leur position ne nous a toutefois pas amenés à penser qu’il fallait interpréter la deuxième question des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve pour y répondre comme si le coeur de la question se lisait:

... sans le consentement préalable de toutes les provinces ...

Quoi qu’il en soit, on ne doit pas à notre avis l’interpréter ainsi.

Il aurait été simple d’y inclure le mot %toutes» si l’on avait voulu en restreindre le sens. Mais nous ne pensons pas que c’était l’intention. La question soulève essentiellement le point de savoir s’il y a une convention constitutionnelle qui empêche la Chambre des communes et le Sénat du Canada d’agir seuls. Le fond de la question est donc de déterminer si conventionnellement le consentement provincial est obligatoire et non si, en ce cas, il doit être unanime. En outre, cette interprétation de la question s’accorde mieux avec le texte de la ques­tion B du renvoi du Québec qui se réfère à un critère moindre que celui de l’unanimité en disant:

.. sans l’assentiment des provinces et malgré l’objection de plusieurs d’entre elles ...

Si les questions paraissent ambiguës, la Cour ne devrait pas, dans un renvoi constitutionnel, être dans une situation pire que celle d’un témoin à un procès, et se sentir obligée de répondre par oui ou par non. Si elle estime qu’une question peut être trompeuse ou si elle veut seulement éviter de ris­quer un malentendu, il lui est loisible d’interpréter la question comme dans le Renvoi: Compétence du Parlement relativement à la Chambre haute (le Renvoi sur le Sénat)[50], à la p. 59, ou de nuancer à

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la fois la question et la réponse comme dans le Renvoi. Waters and Water-Powers[51]

I—La nature des conventions constitutionnelles

Une partie appréciable des règles de la constitu­tion canadienne est écrite. On ne les trouve pas dans un document unique appelé constitution mais dans un grand nombre de lois dont certaines ont été adoptées par le Parlement de Westminster, tel lActe de lAmérique du Nord britannique, 1867, I867 (R.-U.), chap. 3, (l’A.A.N.B.) ou par le Parlement du Canada comme lActe de lAlberta, I905 (Can.), chap. 3, l’Acte de la Saskatchewan, 1905 (Can.), chap. 42, la Loi sur le Sénat et la Chambre des communes, S.R.C. 1970, chap. S-8, ou par les législatures provinciales comme les lois électorales provinciales. On les trouve également dans des arrêtés en conseil, tels l’arrêté impérial en conseil du 16 mai 1871 qui admet la Colombie-Britannique dans l’Union, et l’arrêté impérial en conseil du 26 juin 1873, qui admet l’lle-du-Prince-Edouard dans l’Union.

Une autre partie de la Constitution du Canada est formée de règles de common law. Ce sont des règles que les tribunaux ont élaborées au cours des siècles dans l’exécution de leurs fonctions judiciai­res. Une part importante de ces règles a trait à la prérogative de la Couronne. Les articles 9 et 15 de lA.A.N.B. prévoient:

9. A la Reine continueront d’être et sont par le présent attribués le gouvernement et le pouvoir exécutifs du Canada.

15. A la Reine continuera d’être et est par le présent attribué le commandement en chef des milices de terre et de mer et de toutes les forces militaires et navales en Canada.

Par ailleurs, l’Acte ne s’étend pas beaucoup sur les éléments du «gouvernement et pouvoir exécu­tifs» et l’on doit recourir à la common law pour les découvrir, mis à part l’autorité déléguée à l’exécu­tif par la loi.

En common law, l’autorité de la Couronne com­prend notamment la prérogative de grâce ou de

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clémence[52] et le pouvoir de constituer en compa­gnie par charte de façon à conférer une capacité générale analogue à celle d’une personne physique[53]. La prérogative royale met la Couronne dans une situation privilégiée en tant que créancière[54], en ce qui concerne l’héritage de terres à défaut d’héritiers[55] ou relativement à la propriété de métaux précieux[56] et bona vacantia[57]. C’est également aux termes de la prérogative et de la common law que la Couronne nomme et accrédite des ambassadeurs, déclare la guerre, conclut des traités et c’est au nom de la Reine que l’on délivre des passeports.

On désigne du terme générique de droit consti­tutionnel les parties de la Constitution du Canada qui sont formées de règles législatives et de règles de common law. En cas de doute ou de litige, il appartient aux tribunaux de déclarer le droit et, puisque le droit est parfois violé, il appartient en général aux tribunaux d’établir s’il y a effectivement eu violation dans des cas donnés et dans l’affirmative d’appliquer les sanctions prévues par la loi, qu’il s’agisse de sanctions pénales ou civiles telle une déclaration de nullité. Ainsi, quand les tribunaux déclarent qu’une loi fédérale ou provin­ciale excède la compétence législative de la législa­ture qui l’a adoptée, ils la ‘déclarent nulle et non avenue et ils refusent de lui donner effet. En ce sens, on peut dire que les tribunaux administrent ou font respecter le droit constitutionnel.

Bien des Canadiens seraient probablement surpris d’apprendre que des parties importantes de la Constitution du Canada, celles avec lesquelles ils sont le plus familiers parce qu’elles sont directement

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en cause quand ils exercent leur droit de vote aux élections fédérales et provinciales, ne se trouvent nulle part dans le droit constitutionnel. Par exemple, selon une exigence fondamentale de la Constitution, si l’opposition obtient la majorité aux élections, le gouvernement doit offrir immédiatement sa démission. Mais si fondamentale soit-elle, cette exigence de la Constitution ne fait pas partie du droit constitutionnel.

Une autre exigence constitutionnelle veut que la personne nommée premier ministre fédéral ou pro­vincial par la Couronne et qui est effectivement le chef du gouvernement ait l’appui de la chambre élue de la législature; en pratique, ce sera dans la plupart des cas le chef du parti politique qui a gagné une majorité de sièges à une élection géné­rale. Les autres ministres sont nommés par la Couronne sur l’avis du premier ministre fédéral ou provincial lorsqu’il forme ou remanie son cabinet. Les ministres doivent continuellement jouir de la confiance de la chambre élue de la législature, personnellement et collectivement. S’ils la perdent, ils doivent soit démissionner, soit demander à la Couronne de dissoudre la législature et de tenir une élection générale. La plupart des pouvoirs de la Couronne en vertu de la prérogative sont seulement exercés sur l’avis du premier ministre ou du cabinet ce qui signifie que ces derniers l’exercent effectivement ainsi que les innombrables pouvoirs délégués par les lois à la Couronne en conseil.

Pourtant, on peut dire qu’aucune de ces règles essentielles de la Constitution n’est du droit consti­tutionnel. C’est apparemment Dicey qui, dans la première édition de son ouvrage Law of the Con­stitution, en 1885, les a baptisées «conventions constitutionnelles», une expression qui est rapidement devenue consacrée (voir W. S. Holdsworth, «The Conventions of the Eighteenth Century Con­stitution», (1932) 17 Iowa Law Rev. 161). Sous ces termes, Dicey décrit les principes et règles du gouvernement responsable, dont plusieurs ont été cités ci-dessus et qui régissent les relations entre la Couronne, le premier ministre, le cabinet et les deux chambres du Parlement. Ces règles ont été élaborées en Grande-Bretagne au moyen de la coutume et du précédent au cours du dix-neuvième siècle et ont été exportées dans les colonies britan­niques qui obtenaient leur autonomie.

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Dicey a d’abord donné l’impression que les conventions constitutionnelles sont un phénomène moderne, propre au Royaume-Uni. Mais il a reconnu dans des éditions ultérieures que l’on trouve différentes conventions dans d’autres consti­tutions. Comme l’a écrit sir William Holdsworth (précité, à la p. 162):

[TRADUCTION] En fait, des conventions doivent se développer en tout temps et dans tous les endroits où les pouvoirs du gouvernement sont conférés à différentes personnes ou organes, où, en d’autres mots, il y a une constitution mixte. «Les parties constituantes d’un Etat», dit Burke, [French Revolution, 28.] «sont obligées d’être fidèles à leurs engagements publics les unes envers les autres, et vis-à-vis de tous ceux qui tirent un sérieux intérêt de leurs promesses, de même que l’ensemble de l’Etat est obligé d’être fidèle à ses engagements envers les différentes collectivités.» Nécessairement, des règles conventionnelles prennent forme pour régir les mécanismes des différentes parties de la Constitution, leurs relations réciproques et avec les sujets.

Au sein de l’Empire britannique, les pouvoirs du gouvernement étaient conférés à différents organes qui ont fourni un terrain fertile à la croissance de nouvelles conventions constitutionnelles, inconnues de Dicey, par lesquelles des colonies autonomes ont acquis un statut égal et indépendant au sein du Commonwealth. Plusieurs d’entre elles ont été consacrées par le Statut de Westminster, 1931, 1931 (R.-U.), chap. 4.

Une constitution fédérale assure la répartition des pouvoirs entre divers gouvernements et législa­tures et peut aussi constituer un terrain fertile de croissance de conventions constitutionnelles entre ces derniers. Il est concevable par exemple que l’usage et la pratique puissent donner naissance à des conventions canadiennes relatives à la tenue de conférences fédérales-provinciales, à la nomination des lieutenants-gouverneurs, à la réserve ou au désaveu des lois provinciales. C’est à cette possibi­lité que le juge en chef Duff fait allusion quand il parle de [TRADUCTION] d’usage constitutionnel ou pratique constitutionnelle» dans le Renvoi sur le pouvoir de réserve et de désaveu des lois provinciales[58], à la p. 78. Auparavant, il les avait baptisées [TRADUCTION] «conventions constitutionnelles

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reconnues» dans l’arrêt Wilson v. Esqui­malt and Nanaimo Railway Co.[59], à la p. 210.

L’objet principal des conventions constitution­nelles est d’assurer que le cadre juridique de la Constitution fonctionnera selon les principes ou valeurs constitutionnelles dominantes de l’époque. Par exemple, la valeur constitutionnelle qui est le pivot des conventions dont on vient de parler et qui se rapportent au gouvernement responsable est le principe démocratique: les pouvoirs de l’Etat doi­vent être exercés conformément aux voeux de l’électorat. La valeur ou principe constitutionnel auquel se rattachent les conventions qui régissent les relations entre les membres du Commonwealth est l’indépendance des anciennes colonies britanni­ques.

Fondées sur la coutume et les précédents, les conventions constitutionnelles sont habituellement des règles non écrites. Toutefois certaines ont pu être consignées dans les comptes rendus et docu­ments des conférences impériales, dans le préam­bule des lois tel le Statut de Westminster, 1931, ou dans les comptes rendus et documents des confé­rences fédérales-provinciales. Régulièrement les membres des gouvernements s’y réfèrent et les reconnaissent.

Les règles conventionnelles de la Constitution présentent une particularité frappante. Contrairement au droit constitutionnel, elles ne sont pas administrées par les tribunaux. Cette situation est notamment due au fait qu’à la différence des règles de common law, les conventions ne sont pas des règles judiciaires. Elles ne s’appuient pas sur des précédents judiciaires, mais sur des précédents établis par les institutions mêmes du gouvernement. Elles ne participent pas non plus des ordres législatifs auxquels les tribunaux ont pour fonction et devoir d’obéir et qu’ils doivent respecter. En outre, les appliquer signifierait imposer des sanc­tions en bonne et due forme si elles sont violées. Mais le régime juridique dont elles sont distinctes ne prévoit pas de sanctions de la sorte pour leur violation.

Peut-être la raison principale pour laquelle les règles conventionnelles ne peuvent être appliquées

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par les tribunaux est qu’elles entrent généralement en conflit avec les règles juridiques qu’elles postu­lent. Or les tribunaux sont tenus d’appliquer les règles juridiques. Il ne s’agit pas d’un conflit d’un genre qui entraînerait la perpétration d’illégalités. Il résulte du fait que les règles juridiques créent des facultés, pouvoirs discrétionnaires et droits étendus dont les conventions prescrivent qu’ils doi­vent être exercés seulement d’une façon limitée, si tant est qu’ils puissent l’être.

Des exemples illustrent ce point.

En droit, la Reine, le gouverneur général ou le lieutenant-gouverneur pourrait refuser de donner la sanction à tous les projets de lois adoptés par les deux chambres du Parlement ou par une assem­blée législative selon le cas. Mais par convention, ils ne peuvent de leur propre chef refuser de donner la sanction à aucun projet de loi pour quelque motif que ce soit, par exemple parce qu’ils désapprouvent la politique en cause. Il y a là un conflit entre une règle juridique qui crée un pouvoir discrétionnaire total et une règle convention­nelle qui le neutralise complètement. Mais, comme les lois, les conventions sont parfois violées. Si cette convention particulière était violée et la sanc­tion refusée à tort, les tribunaux seraient tenus d’appliquer la loi et non la convention. Ils refuseraient de reconnaître la validité d’une loi qui a fait l’objet d’un veto. C’est ce qui s’est produit dans l’affaire Gallant v. The King[60]. Le jugement dans cette affaire est en harmonie avec l’arrêt classique Stockdale v. Hansard[61] où, en Angleterre, la Cour du Banc de la Reine a décidé que seules la Reine et les deux chambres du Parlement pouvaient faire ou défaire les lois. Le lieutenant-gouverneur qui avait refusé la sanction dans l’affaire Gallant l’a apparemment fait vers la fin de son mandat. S’il en avait été autrement, il n’est pas inconcevable que son refus aurait entraîné une crise politique qui aurait amené sa destitution, ce qui montre que si remédier à une violation de convention ne relève pas des tribunaux, par contre la violation n’est pas

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nécessairement sans remède. Le remède relève d’autres institutions gouvernementales; en outre, ce n’est pas un remède formel et il peut être administré avec moins de certitude ou de régula­rité qu’il le serait par un tribunal.

Une convention fondamentale dont on a parlé ci-dessus offre un autre exemple du conflit entre droit et convention: si après une élection générale où l’opposition a obtenu la majorité des sièges, le gouvernement refusait de donner sa démission et s’accrochait au pouvoir, il commettrait par là une violation fondamentale des conventions, si sérieuse d’ailleurs qu’on pourrait la considérer équivalente à un coup d’Etat. Le remède dans ce cas relèverait du gouverneur général ou du lieutenant-gouver­neur selon le cas, qui serait justifié de congédier le ministère et de demander à l’opposition de former le gouvernement. Mais si la Couronne n’agissait pas promptement, les tribunaux ne pourraient rien y faire si ce n’est au risque de créer un état de discontinuité juridique, c’est-à-dire une forme de révolution. Une ordonnance ou un règlement adopté par un ministre en vertu de pouvoirs confé­rés par la loi et valide par ailleurs ne pourrait être invalidé aux motifs que, par convention, le ministre ne devrait plus être ministre. Un bref de quo warranto visant les ministres, en supposant que le quo warranta puisse être utilisé contre un ministre de la Couronne, ce qui est très douteux, ne serait d’aucune utilité pour les destituer. Si on leur demandait de justifier leur présence à un poste ministériel, ils répondraient qu’ils l’occupent de par le bon plaisir de la Couronne aux termes d’un mandat émanant de cette dernière et cette réponse serait complète en droit car, en droit, le gouvernement est en poste de par le bon plaisir de la Couronne bien que par convention il le soit de par la volonté du peuple.

Ce conflit entre la convention et le droit qui empêche les tribunaux de faire respecter les conventions, empêche également ces dernières de se cristalliser en règle de droit, à moins que la cristal­lisation se fasse par l’adoption d’une loi.

C’est parce que la sanction des conventions relève des institutions gouvernementales autres que les tribunaux, tels le gouverneur général, le lieute­nant-gouverneur, les chambres du Parlement ou

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l’opinion publique et, en définitive, l’électorat, qu’on dit généralement qu’elles sont politiques.

Avec égards, nous adoptons la définition de convention donnée par le savant juge en chef du Manitoba, le juge Freedman, dans le renvoi du Manitoba, précité, aux pp. 13 et 14:

[TRADUCTION] Qu’est-ce qu’une convention constitu­tionnelle? On trouve d’assez nombreux écrits sur le sujet. Bien qu’il puisse y avoir des nuances entre les constitutionnalistes, les experts en sciences politiques et les juges qui y ont contribué, on peut énoncer comme suit avec un certain degré d’assurance les caractéristi­ques essentielles d’une convention. Ainsi il existe un consensus général qu’une convention se situe quelque part entre un usage ou une coutume d’une part et une loi constitutionnelle de l’autre. Il y a un consensus général que si l’on cherchait à fixer cette position avec plus de précision, on placerait la convention plus près de la loi que de l’usage ou de la coutume. Il existe également un consensus général qu’aune convention est une règle que ceux à qui elle s’applique considèrent comme obligatoire». Hogg, Constitutional Law of Canada (1977), p. 9. Selon la prépondérance des autorités sinon le consen­sus général, la sanction de la violation d’une convention est politique et non juridique.

Il faut garder à l’esprit toutefois que bien qu’il ne s’agisse pas de lois, certaines conventions peuvent être plus importantes que certaines lois. Leur importance dépend de la valeur ou du principe qu’elles sont censées protéger. En outre, elles forment une partie intégrante de la Constitution et du régime constitutionnel. Elles relèvent du sens du mot «Constitution» dans le préambule de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867:

Considérant que les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont exprimé le désir de contracter une Union Fédérale ... avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni:

C’est pourquoi il est tout à fait juste de dire que violer une convention revient à faire quelque chose d’inconstitutionnel même si cela n’a aucune consé­quence juridique directe. Mais on peut aussi utili­ser les termes «constitutionnel» et «inconstitution­nel» dans un sens juridique strict, comme par exemple dans le cas d’une loi déclarée ultra vires ou inconstitutionnelle. Une équation permet peut-être de résumer ce qui précède: conventions constitutionnelles

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plus droit constitutionnel égalent la Constitution complète du pays.

II—Doit-on répondre aux questions?

Les procureurs du Canada et de l’Ontario ont soutenu qu’il ne fallait pas répondre à la deuxième question des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve et à la partie conventionnelle de la question B du renvoi du Québec parce qu’elles rie soulèvent pas de point justiciable des tribunaux et qu’il ne convient pas qu’ils en soient saisis. Ils ont fait valoir que déterminer si une convention particu­lière existe est une question purement politique. L’existence d’une convention donnée est toujours obscure et sujette à discussion. En outre, les conventions changent, sont relativement imprécises et ne se prêtent pas aux déterminations judiciaires.

La même thèse a été présentée en substance aux trois cours d’instance inférieure et à notre avis, rejetée à bon droit par toutes les trois, avec la dissidence du juge Hall en Cour d’appel du Manitoba.

Nous sommes d’accord avec ce que le juge en chef Freedman écrit à ce sujet à la p. 13 du renvoi du Manitoba:

[TRADUCTION] A mon avis cette thèse va trop loin. Qualifier la question 2 de «purement politique» est une exagération. Il est bien possible qu’il y ait un élément politique dans la question, qui découle du contenu de l’adresse conjointe. Mais cela ne clôt pas la discussion. Si la question 2, tout en étant en partie politique, possède des traits constitutionnels, elle appelle légitimement notre réponse.

A mon sens, demander à cette Cour de décider s’il y a une convention constitutionnelle, dans les circonstances décrites, portant que le fédéral n’agira pas sans l’accord des provinces, soulève une question qui du moins en partie est de nature constitutionnelle. Elle exige donc une réponse et je me propose d’y répondre.

La question 2 n’a pas uniquement à faire avec la légalité pure, mais elle a tout à faire avec un point fondamental de constitutionnalité et de légitimité. Vu le fondement législatif large sur lequel les gouvernements du Manitoba, de Terre-Neuve et du Québec ont le pouvoir de poser des questions à leurs trois cours d’appel respectives, ils ont à notre avis le droit d’obtenir une réponse à une question de ce genre.

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En outre, l’un des arguments principaux énoncé par le Manitoba à l’égard de la question 3 est que la convention constitutionnelle mentionnée à la question 2 s’est cristallisée en une règle de droit. Toutes les parties admettent que la question 3 soulève un point de droit. Nous sommes d’accord avec le juge Matas de la Cour d’appel du Mani­toba qu’il serait difficile d’y répondre sans faire une analyse des points soulevés par la question 2. Il nous incombe donc de répondre à la question 2.

Enfin, on ne nous demande pas de décider qu’une convention a effectivement abrogé une disposition de l’A.A.N.B., comme c’était le cas dans le Renvoi sur le pouvoir de réserve et de désaveu des lois provinciales (précité). On ne nous demande pas de faire respecter une convention. On nous demande de déterminer si elle existe. Les tribu­naux l’ont nettement fait à maintes reprises en Angleterre et dans le Commonwealth pour donner un soutien et un cadre à une interprétation consti­tutionnelle ou législative. Plusieurs de ces arrêts sont mentionnés dans les motifs de la majorité de cette Cour relatifs à la question de savoir si les conventions constitutionnelles sont susceptibles de se cristalliser en règle de droit. Il y en a bien d’autres parmi lesquels Commonwealth v. Kreglinger[62], Liversidge v. Anderson[63], Carltona Ltd. v. Commissioners of Works[64], Adegbenro v. Akintola[65], Ibralebbe v. The Queen[66]. Cette Cour a fait de même dans l’arrêt récent Arseneau c. La Reine[67] à la p. 149 et dans l’arrêt encore inédit rendu le 6 avril 1981 après une nouvelle audition Procureur général du Québec c. Blaikie et autres[68].

En reconnaissant l’existence de règles conven­tionnelles, les tribunaux les ont décrites, les ont parfois commentées et ont donné à leur égard des précisions qui découlent de la forme écrite d’un jugement. Ils n’ont pas reculé devant cette tâche à cause des aspects politiques des conventions ni à cause de leur présumé caractère vague, incertain ou changeant.

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A notre avis, dans un renvoi constitutionnel nous ne devons pas refuser d’accomplir ce genre d’exer­cice auquel les tribunaux se livrent depuis des années de leur propre chef.

IIl—La convention existe-t-elle?

Les procureurs du Canada, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick ont soutenu qu’il n’existe pas de convention constitutionnelle qui empêche la Chambre des communes et le Sénat du Canada de déposer devant le Parlement de Westminster un projet de modification de la Constitution du Canada qui a un effet sur les relations fédérales-provinciales, etc., sans le consentement des provinces.

Les procureurs du Manitoba, de Terre-Neuve, du Québec, de la Nouvelle-Écosse, de la Colombie-Britannique, de l’I!e-du-Prince-Edouard et de l’Al­berta ont soutenu que la convention existe effecti­vement, qu’elle exige l’accord de toutes les provinces et que la deuxième question des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve doit donc recevoir une réponse affirmative.

Le procureur de la Saskatchewan convient que la question doit recevoir une réponse affirmative mais sur un fondement différent. Il soutient que la convention existe effectivement et qu’elle exige un certain degré d’accord provincial. Le procureur de la Saskatchewan soutient en outre que la résolu­tion soumise à la Cour n’a pas reçu un degré suffisant de consentement provincial.

Nous devons dire tout de suite que nous sommes d’accord avec la position du procureur de la Sas­katchewan sur ce point.

1. La catégorie de modifications constitutionnelles envisagée par la question

Les modifications constitutionnelles relèvent de trois catégories: (1) les modifications qu’une légis­lature provinciale peut faire seule en vertu du par. 92(l) de l’A.A.N.B.; (2) les modifications que le Parlement du Canada peut faire seul en vertu du par. 91(l) de l’A.A.N.B.; (3) toutes les autres modifications.

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Les deux premières catégories sont sans intérêt aux fins de ces renvois. Bien que la formulation des deuxième et troisième questions des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve puisse être assez large pour englober toutes les modifications de la troisième catégorie, il n’est pas nécessaire aux fins présentes d’examiner les modifications qui ont seu­lement un effet indirect sur les relations fédérales-provinciales. D’une certaine façon, la plupart des modifications de la troisième catégorie sont sus­ceptibles d’avoir un effet sur les relations fédéra­les-provinciales jusqu’à un certain point. Mais nous devons nous limiter à l’examen des modifica­tions qui ont

... un effet direct sur les relations fédérales-provinciales en ce sens qu’elle[s] ... modifie[nt] ... les pouvoirs législatifs fédéral et provinciaux .. .

(Renvoi sur le Sénat, précité, à la p. 65.)

La raison en est que l’on doit interpréter les deuxième et troisième questions des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve à la lumière de la première question. Elles doivent viser la même catégorie précise de modifications constitutionnelles que celtes que l’on cherche à obtenir par le «projet de résolution portant adresse commune à Sa Majesté la Reine concernant la Constitution du Canada». Plus précisément, elles doivent certainement viser des modifications telles la Charte des droits, qui restreint les pouvoirs législatifs fédé­raux et provinciaux, et la formule de modification, qui permettrait la modification de la Constitution, y compris la répartition des pouvoirs législatifs.

Ces projets de modification ont une caractéristi­que essentielle: ils ont le plus direct des effets sur les relations fédérales-provinciales en modifiant les pouvoirs législatifs et en fournissant une formule pour effectuer ce changement.

Donc, en substance sinon dans les termes, le point soulevé par la deuxième question des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve est de savoir s’il existe une convention constitutionnelle de par laquelle les provinces doivent consentir aux modifi­cations qui changent les pouvoirs législatifs et prévoient une méthode pour effectuer ce changement. Le même point est soulevé par la question B du renvoi du Québec déjà citée en partie.

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2. Conditions à remplir pour établir une conven­tion

Les conditions à remplir pour établir une con­vention ressemblent à celles qui s’appliquent au droit coutumier. Les précédents et l’usage sont nécessaires mais ne suffisent pas. Ils doivent être normatifs. Nous adoptons le passage suivant de l’ouvrage de sir W. Ivor Jennings, The Law and the Constitution, 5e éd., 1959, à la p. 136:

[TRADUCTION] Nous devons nous poser trois questions: premièrement, y a-t-il des précédents; deuxièmement, les acteurs dans les précédents se croyaient-ils liés par une règle; et troisièmement, la règle a-t-elle une raison d’être? Un seul précédent avec une bonne raison peut suffire à établir la règle. Toute une série de précédents sans raison peut ne servir à rien à moins qu’il ne soit parfaitement certain que les personnes visées se considè­rent ainsi liées.

i) Les précédents

On trouve dans le Livre blanc publié en 1965 sous l’autorité de l’honorable Guy Favreau, alors ministre de la Justice du Canada, sous le titre «Modifications de la Constitution du Canada» un historique des lois édictées par le Parlement de Westminster pour modifier la Constitution du Canada (le Livre blanc). Cet historique est cité dans le Renvoi sur le Sénat (précité), mais nous estimons nécessaire de le reproduire ici pour plus de commodité:

(l) L’Acte de la Terre de Rupert de 1868 autorisa le Canada à acquérir les droits de la Compagnie de la baie d’Hudson sur la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest. Il prévoyait aussi que la Couronne, sur présentation d’adresses de la part des chambres du Parlement du Canada. pourrait déclarer que le territoire ferait partie du Canada, et que le Parlement du Canada pourrait faire des lois pour y assurer la paix, l’ordre et le bon gouvernement.

(2) LActe de l’Amérique du Nord britannique de 1871 ratifia l’Acte du Manitoba adopté par le Parlement du Canada en 1870, qui créait la prov­ince du Manitoba et lui donnait une constitution semblable à celles des autres provinces. De plus, l’Acte conférait au Parlement du Canada le pouvoir d’ériger de nouvelles provinces dans n’importe quel territoire canadien non compris alors dans une province [mais non de modifier par la suite ces lois constitutives]; de modifier les limites de toute province (avec l’accord de sa Législature) et de pourvoir à l’administration, la paix, l’ordre et le bon gouvernement de tout territoire non compris dans une province.

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(3) L’Acte du Parlement du Canada de 1875 modifia

l’article 18 de l’Acte de l’Amérique du Nord bri­tannique de 1867, qui énonce les privilèges, immu­nités et pouvoirs de chacune des chambres du Parlement.

(4) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1886 autorisa le Parlement du Canada à pourvoir à la représentation au Sénat et à la Chambre des Communes de tout territoire non compris dans une province.

*(5) La Loi de 1893 sur la revision du droit statutaire abrogea certaines dispositions périmées de l’Acte de 1867.

(6) L’Acte concernant l’Orateur canadien (nomination d’un suppléant) de 1895 confirma une loi du Parlement du Canada qui permet la nomination d’un orateur suppléant au Sénat.

(7) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1907 établit une nouvelle échelle de subventions financières aux provinces en remplacement de celles qui sont prévues à l’article 118 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867. Tout en n’abrogeant pas expressément l’article primitif, il en rendit les dispositions inopérantes.

(8) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1915 redéfinit les divisions sénatoriales du Canada pour tenir compte de l’existence des provinces du Manitoba, de la Colombie-Britannique, de la Sas­katchewan et de l’Alberta. Bien qu’il n’ait pas modifié expressément le texte de l’article 22 primi­tif, il en a sûrement changé la portée.

(9) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1916 prolongea la durée du Parlement du Canada alors en fonctions au-delà de la période normale de cinq ans.

*(10) La Loi de 1927 sur la revision du droit statutaire une fois encore abrogea des dispositions périmées ou désuètes des statuts du Royaume-Uni, y com­pris deux dispositions des Actes de l’Amérique du Nord britannique.

(11) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1930 confirma les accords relatifs aux ressources naturelles intervenus entre le gouvernement du Canada et ceux du Manitoba, de la Colombie-Bri­tannique, de l’Alberta et de la Saskatchewan et leur donna force de loi, nonobstant toute disposi­tion contraire des Actes de l’Amérique du Nord britannique.

________

* II semble que le Parlement de Westminster ait adopté ces modifications de sa propre initiative et non en réponse à une résolution conjointe du Sénat et de la Chambre des communes.

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(12) Le Statut de Westminster de 1931, tout en ne modifiant pas directement les Actes de l’Amérique du Nord britannique, changea certaines de leurs dispositions. C’est ainsi, par exemple, que le Parlement du Canada fut autorisé à faire des lois ayant une portée extra-territoriale. En outre, le Parlement et les législatures des provinces furent habili­tés, dans la limite des pouvoirs respectifs que leur confèrent les Actes de l’Amérique du Nord britan­nique, à abroger tout statut du Royaume-Uni faisant alors partie des lois du Canada à l’excep­tion expresse, cependant, de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique lui-même..

(13) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1940 accorda au Parlement du Canada la compé­tence exclusive de légiférer en matière d’assu­rance-chômage.

(14) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1943 ajourna le rajustement de la représentation à la Chambre des Communes jusqu’à la première session du Parlement qui suivrait la fin des hostilités.

(15) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1946 remplaça l’article 51 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 et changea les dispo­sitions relatives au rajustement de la représenta­tion à la Chambre des Communes.

(16) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1949 sanctionna les Conditions d’union entre le Canada et Terre-Neuve.

(17) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique (n° 2) de 1949 habilita le Parlement du Canada à modi­fier la Constitution du Canada, à l’exception de certaines catégories de sujets.

*(18) La Loi de 1950 sur la revision du droit statutaire abrogea un article désuet de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867.

(19) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1951 autorisa le Parlement du Canada à légiférer concurremment avec les provinces sur les pensions de vieillesse.

(20) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1960 modifia l’article 99 et changea la durée des fonctions des juges des cours supérieures.

(21) L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1964 modifia les pouvoirs conférés au Parlement du Canada par l’Acte de l’Amérique du Nord

________

* Il semble que le Parlement de Westminster ait adopté ces modifications de sa propre initiative et non en réponse à une résolution conjointe du Sénat et de la Chambre des communes.

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britannique de 1951 au sujet des pensions de vieillesse et des prestations additionnelles.

(22) Modifications par arrêté en conseil

L’article 146 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique prévoyait l’adjonction au Canada d’autres territoires de l’Amérique du Nord britan­nique par arrêté en conseil et stipulait que les dispositions de tels arrêtés auraient le même effet que si elles avaient été édictées par le Parlement du Royaume-Uni. En vertu de cet article, la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest furent admis par arrêté en conseil du 23 juin 1870; la Colombie-Britannique par arrêté en conseil du 16 mai 1871; et l’Île-du-Prince-Édouard par arrêté en conseil du 26 juin 1873. Comme tous ces arrêtés renferment des dispositions d’un caractère consti­tutionnel, ayant pour objet d’adapter les clauses de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique aux nouvelles provinces,—avec les variations nécessai­res dans chaque cas,—ils doivent être considérés comme des modifications d’ordre constitutionnel.

Pour les motifs déjà énoncés, il faut faire un choix parmi ces précédents. On doit aussi les consi­dérer du point de vue positif de même que du point de vue négatif.

Sur ces vingt-deux modifications ou groupes de modifications, cinq ont un effet direct sur les relations fédérales-provinciales en ce sens qu’elles changent les pouvoirs législatifs provinciaux: il s’agit de la modification de 1930, du Statut de Westminster, 1931, et des mofidications [sic] de 1940, 1951 et 1964.

Aux termes des conventions confirmées par la modification de 1930, les provinces de l’Ouest ont reçu la propriété et le contrôle administratif de leurs ressources naturelles pour qu’elles soient sur un pied d’égalité à cet égard avec les colonies qui se sont unies à l’origine. Les provinces de l’Ouest ont toutefois reçu ces ressources naturelles assujet­ties à des restrictions sur leur pouvoir de légiférer relativement aux droits de chasse et de pêche des Indiens. En outre, ces conventions ont fourni un objet très important au pouvoir provincial de légi­férer relativement à «l’administration et la vente des terres publiques, appartenant à la province, et des bois et forêts qui s’y trouvent» en vertu du par. 92(5) de l’A.A.N.B. Le titre complet de l’Acte est le suivant:

[Page 892]

Acte pour confirmer et donner effet à certaines conven­tions passées entre le Gouvernement du Dominion du Canada et les Gouvernements des provinces du Mani­toba, de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et de la Saskatchewan respectivement

Le préambule de l’Acte énonce que «le Parlement du Canada et la Législature de la Province à laquelle elle a trait ont approuvé chacune des dites conventions». Les autres provinces ne perdirent ni pouvoir ni droit ou privilège en conséquence. De toute façon le projet de transfert des ressources naturelles aux provinces de l’Ouest avait été discuté à la conférence Dominion-provinces de 1927 et avait recueilli l’approbation générale: Paul Gérin-Lajoie, Constitutional Amendment in Canada, 1950, aux pp. 91 et 92.

Toutes les provinces ont souscrit à l’adoption du Statut de Westminster, 1931. Il modifiait les pou­voirs législatifs: le Parlement et les législatures furent habilités, dans la limite de leurs pouvoirs, à abroger toutes lois du Royaume-Uni qui faisaient alors partie des lois du Canada; le Parlement fut également autorisé à faire des lois d’une portée extra-territoriale.

La modification de 1940 est d’un intérêt parti­culier en ce qu’elle transfère un pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales au Parlement du Canada.

En 1938, le discours du Trône déclarait:

Le Gouvernement a voulu s’assurer le concours des provinces aux fins d’apporter à l’Acte de l’Amérique britannique du Nord une modification autorisant le Parlement du Canada à établir sans délai un régime national d’assurance-chômage. Mes ministres espèrent que la proposition sera approuvée assez tôt pour qu’une loi sur l’assurance-chômage soit adoptée dès la présente session du Parlement.

(Débats des Communes, 1938, à la p. 2.)

En novembre 1937, le gouvernement du Canada était entré en rapport avec les provinces pour leur demander leur avis en principe. Plus tard, un projet de modification circula. Dès mars 1938, cinq des neuf provinces avaient approuvé le projet de modification. L’Ontario avait donné son accord de principe, mais l’Alberta, le Nouveau-Brunswick et le Québec avaient refusé de s’y joindre. Le

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projet de modification n’eut pas de suite jusqu’en juin 1940 où le premier ministre King annonça à la Chambre des communes que les neuf provinces avaient donné leur accord au projet de modifica­tion (voir Paul Gérin-Lajoie, précité, à la p. 106).

Les modifications de 1951 et 1964 ont changé les pouvoirs législatifs: des domaines de compé­tence provinciale exclusive sont devenus des domaines de compétence législative concurrente. Toutes les provinces y ont donné leur accord.

Ces cinq modifications sont les seules que l’on peut considérer comme des précédents positifs qui ont eu un effet direct sur les relations fédérales-provinciales en ce sens qu’elles ont modifié les pouvoirs législatifs.

Les cinq modifications ont reçu l’approbation de chacune des provinces dont le pouvoir législatif était ainsi touché.

En termes négatifs, on ne trouve depuis la Confédération aucune modification qui change les pou­voirs législatifs provinciaux sans l’accord d’une province dont les pouvoirs législatifs auraient ainsi été modifiés.

Il n’existe aucune exception.

En outre, en des termes négatifs encore plus éloquents, en 1951, un projet de modification fut mis de l’avant pour donner aux provinces un pouvoir limité en matière de taxation indirecte. L’On­tario et le Québec s’y opposèrent et le projet n’a pas eu de suite (voir Débats des Communes, 1951, aux pp. 2742 et 2786 à 2804).

La conférence constitutionnelle de 1960 avait élaboré une formule de modification de la Consti­tution du Canada. Aux termes de cette formule, la répartition des pouvoirs législatifs aurait pu être modifiée. La grande majorité des participants ont jugé la formule acceptable, mais il subsistait des divergences et le projet n’eut pas de suite (voir Livre blanc, à la p. 29).

En 1964, une conférence des premiers ministres adopta à l’unanimité une formule de modification qui aurait permis la modification des pouvoirs législatifs. Le Québec retira ultérieurement son accord et le projet n’eut pas de suite (voir Comité

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conjoint spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada, n° 5, 23 août 1978, à la p. 14, M. le professeur Lederman).

Finalement, en 1971, des projets de modification qui comprenaient une formule de modification ont été approuvés par le gouvernement fédéral et huit des dix gouvernements provinciaux. Le Québec était en désaccord et la Saskatchewan qui avait un nouveau gouvernement n’a pas pris position parce qu’on estimait que le désaccord du Québec rendait la question théorique. Le projet n’eut pas de suite (voir Gérald A. Beaudoin, Le partage des pou­voirs, I980, à la p. 349).

L’accumulation de ces précédents, positifs et négatifs, concordants et sans exception, ne suffit pas en soi à établir l’existence de la convention, mais indubitablement, elle nous oriente dans sa direction. D’ailleurs, si les précédents se trouvaient seuls, on pourrait alléguer que l’unanimité est requise.

Dans le Renvoi sur le Sénat (précité), cette Cour est allée assez loin lorsqu’elle a reconnu la signification de certains de ces précédents aux pp. 63 à 65:

Les modifications de 1940, 1951, 1960 et 1964, concer­nant l’assurance-chômage, les pensions de vieillesse, la retraite obligatoire des juges et des prestations supplé­mentaires aux pensions de vieillesse, ont toutes été faites du consentement unanime des provinces.

La modification de 1949 qui a édicté le par. 91(l) de l’Acte visait manifestement à obvier à la nécessité de la promulgation d’une loi par le Parlement britannique pour apporter à l’Acte des modifications qui, jusqu’alors, avaient été obtenues par une résolution conjointe des deux Chambres du Parlement sans le consentement des provinces. Les lois adoptées depuis 1949 en vertu du par. 91(1), n’ont pas, pour citer le Livre blanc, «porté atteinte aux relations fédérales-provinciales». Les lois suivantes ont été adoptées par le Parlement du Canada ...

La Cour énumère alors les cinq modifications édictées par le Parlement du Canada conformément au par. 91(1) de l’A.A.N.B. et poursuit:

Toutes ces mesures portaient sur ce que l’on pourrait appeler des questions fédérales «internes» qui, selon la

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pratique antérieure à 1949, auraient été soumises au Parlement britannique par voie de résolution conjointe des deux Chambres du Parlement sans la consentement des provinces.

A notre avis, et nous l’exprimons avec égards, la majorité de la Cour d’appel du Québec a commis une erreur sur ce point en ne distinguant pas les différents types de modifications constitutionnelles. La Cour d’appel du Québec a mis toutes ou presque toutes les modifications constitutionnelles depuis 1867 sur un pied d’égalité et, comme on pouvait s’y attendre, a conclu non seulement à l’inexistence d’une convention exigeant le consen­tement des provinces mais même à l’existence apparente d’une convention à l’effet contraire. (Voir les motifs du juge Crête, juge en chef du Québec, et du juge Turgeon, aux pp. 94 et 105 du renvoi du Québec, précité. Le juge Owen a souscrit aux motifs du juge Turgeon sur ce point et le juge Bélanger à ceux du juge en chef Crête et du juge Turgeon.)

A notre avis, et nous l’exprimons également avec égards, la Cour d’appel du Manitoba a commis une erreur semblable mais de moindre portée ce qui explique peut-être que le juge en chef Freedman ait écrit à la p. 21, en son nom et au nom des juges Matas et Huband sur ce point:

[TRADUCTION] On peut nettement faire valoir que nous nous dirigeons vers ce type de convention. Nous n’y sommes pas encore arrivés.

Nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire de traiter des catégories de modifications constitu­tionnelles autres que celles qui changent les pou­voirs législatifs ou prévoient une méthode pour ce faire. Mais nous allons brièvement traiter de deux modifications sur lesquelles on a insisté pour appuyer l’argument qu’il n’existe pas de conven­tion. Il s’agit de la modification de 1907 qui a augmenté l’échelle des subventions financières aux provinces et de celle de 1949 qui sanctionne les conditions de l’union entre le Canada et Terre-Neuve.

On a allégué que la Colombie-Britannique s’est opposée à la modification de 1907 qu’avaient approuvée toutes les autres provinces.

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Même si c’était le cas, ce précédent constituerait au mieux un argument contre la règle de l’unanimité.

Mais le fait est que la Colombie-Britannique avait effectivement accepté en principe l’augmen­tation des subventions financières aux provinces; elle en voulait davantage et s’opposait à la finalité proposée de l’augmentation. L’aspect finalité a été supprimé de la modification par les autorités du Royaume-Uni. M. Winston Churchill, sous-secré­taire d’Etat pour les colonies, a fait le commen­taire suivant devant la Chambre des communes:

[TRADUCTION] Par égard pour les arguments présentés par la Colombie-Britannique, les mots «final et immua­ble» appliqués à l’échelle révisée, ont été omis du projet de loi.

(Commons Debates, (R.-U.), 13 juin 1907, à la p. 16I7.)

Finalement, le premier ministre de la Colombie-Britannique n’a pas refusé d’accepter l’adoption de la loi (voir A. B. Keith, The Constitutional Law of the British Dominions, 1933, à la p. 109).

Le juge Turgeon dans le renvoi du Québec a souligné que, sans le consentement du Québec, la modification de 1949 a confirmé la frontière Qué­bec-Labrador qu’avait délimitée le rapport du Comité judiciaire du Conseil privé en date du 1er mars 1927.

L’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération était envisagée dès le début par l’art. 146 de l’A.A.N.B. C’est à la demande du Québec en 1904 que le litige relatif à la frontière a été finalement soumis au Comité judiciaire (voir Procès-verbal du Conseil privé (Canada), C.P. 82 M du 18 avril 1904). Le Québec participa à l’audition, représenté par un avocat nommé et payé par la province bien que celle-ci ne soit pas intervenue séparément du Canada. Lors de l’adoption de la modification de 1949, le premier ministre du Québec aurait dit à une conférence de presse simplement que la pro­vince aurait dû être «consultée» ou «avisée» par simple «courtoisie». On ne prétend pas qu’il ait dit que le consentement de la province était requis. Voir Luce Patenaude, Le Labrador à l’heure de la contestation, 1972, aux pp. 6, 7, 13, 14, 193 et 194. Le premier ministre de la Nouvelle-Écosse a

[Page 897]

parlé dans le même sens. Ni l’un ni l’autre n’a formulé de demande ni de protestation officielle (voir Paul Gérin-Lajoie, précité, à la p. 129).

Nous ne voyons pas en quoi ce précédent peut avoir un effet sur la convention.

Le juge Turgeon a aussi souligné dans le renvoi du Québec que la Charte des droits en annexe au projet de résolution d’adresse commune ne change pas la répartition des pouvoirs entre le Parlement du Canada et les législatures provinciales.

Cette observation peut vouloir appuyer la propo­sition qu’il faut distinguer les cinq précédents posi­tifs susmentionnés et que ces précédents ne devraient pas régir la situation soumise à la Cour puisque dans ces cinq ans, la répartition des pou­voirs législatifs a été modifiée.

Nous répondons à cet argument que si le con­sentement des provinces était requis dans ces cinq cas, il le serait a fortiori en l’espèce.

Chacune de ces cinq modifications constitution­nelles entraîne un changement limité des pouvoirs législatifs, relativement à un chef de compétence législative comme l’assurance-chômage. Alors que si le projet de Charte des droits devenait loi, chacun des chefs de compétence législative provin­ciale (et fédérale) pourrait être touché. En outre, la Charte des droits aurait un effet rétrospectivement de même que prospectivement de sorte que les lois édictées par une province à l’avenir de même que celles édictées dans le passé, même avant la Confédération, seraient susceptibles d’être attaquées en cas d’incompatibilité avec les disposi­tions de la Charte des droits. Cette Charte dimi­nuerait donc l’autorité législative provinciale sur une échelle dépassant l’effet des modifications constitutionnelles antérieures pour lesquelles le consentement des provinces avait été demandé et obtenu.

Enfin, on a souligné au cours des plaidoiries que dans quatre des cinq modifications mentionnées ci-dessus auxquelles les provinces avaient effectivement donné leur consentement, celui-ci n’était pas mentionné dans les lois adoptées par le Parlement

[Page 898]

de Westminster. Ceci ne change pas le fait que le consentement avait été obtenu.

ii) Les acteurs qui considèrent la règle comme obligatoire

Dans le Livre blanc on trouve le passage suivant aux pp. 10 et 11:

MÉTHODES ADOPTÉES DANS LE PASSÉ POUR MODIFIER L’ACTE DE L’AMÉRIQUE DU NORD BRITANNIQUE

La méthode prévue pour la modification de la consti­tution est généralement un aspect essentiel du droit qui régit un pays. Cela est particulièrement vrai lorsque la constitution est renfermée dans un texte officiel, comme c’est le cas dans des États fédéraux tels l’Australie, les États-Unis et la Suisse. Dans ces pays, la formule de modification est une partie importante de l’acte constitutif.

Le Canada se trouve, à cet égard, dans une situation exceptionnelle sur le plan constitutionnel. Non seulement l’Acte de l’Amérique du Nord britannique n’habi­lite aucune autorité législative canadienne à en modifier les dispositions, sauf dans la mesure indiquée au début du présent chapitre, mais il n’indique pas davantage une procédure clairement définie que le Canada pourrait suivre pour obtenir du Parlement britannique des modi­fications de la Constitution. En conséquence, les façons de procéder ont varié de temps à autre et ont donné lieu régulièrement à des controverses et à des incertitudes quant aux conditions auxquelles la modification de diverses dispositions de la Constitution doit être soumise.

Néanmoins, un certain nombre de règles et de princi­pes, inspirés des méthodes et des moyens grâce auxquels diverses modifications à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ont pu être obtenues depuis 1867, se sont dégagés au cours des années. Bien que n’ayant strictement aucun caractère obligatoire sur le plan cons­titutionnel, ils ont fini par être reconnus et acceptés dans la pratique comme éléments de la procédure de modifi­cation au Canada.

Dans le but d’identifier et de décrire les règles et principes qui se sont ainsi fait jour, les paragraphes qui suivent retracent l’historique des méthodes qui ont été employées depuis 97 ans pour obtenir du Parlement du Royaume-Uni des modifications de la Constitution. Cette revue ne porte pas sur toutes les modifications, mais seulement sur celles qui ont contribué à l’établissement des règles et principes constitutionnels qui sont maintenant acceptés.

[Page 899]

Suit une liste de quatorze modifications consti­tutionnelles qui auraient «contribué à l’établissement des règles et principes constitutionnels qui sont maintenant acceptés». Le Livre blanc poursuit ensuite par l’énumération de ces principes, à la p. 15:

Les principes généraux suivants se dégagent du résumé qui précède:

Premièrement, bien qu’une loi du Royaume-Uni soit nécessaire pour modifier l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, une telle loi n’est promulguée que sur la demande officielle du Canada. Le Parlement du Royaume-Uni n’adopte aucune loi touchant le Canada à moins qu’elle ne soit demandée et acceptée par le Canada; inversement, toute modification que le Canada a demandée dans le passé a été adoptée.

Deuxièmement, le Parlement du Canada doit autoriser toute. demande au Parlement britannique de modi­fier l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Ce principe a été établi dès le début et l’on ne s’en est pas écarté depuis 1895. Une demande de modification prend invariablement la forme d’une adresse conjointe de la Chambre des Communes et du Sénat du Canada à Sa Majesté.

Troisièmement, le Parlement britannique ne peut procéder à une modification de la Constitution du Canada à la seule demande d’une province canadienne. Certaines tentatives ont été faites par des provinces dans ce sens, mais sans succès. La première, qui remonte à 1868, émanait d’une province qui n’était pas satisfaite à l’épo­que des conditions de la Confédération. D’autres ont suivi en 1869, 1874 et 1887. Le gouvernement britanni­que a chaque fois refusé de donner suite aux instances des gouvernements provinciaux, soutenant qu’il ne devait pas intervenir dans les affaires du Canada, sauf s’il en était requis par le gouvernement fédéral agissant au nom de tout le Canada.

Quatrièmement, le Parlement du Canada ne procède pas à une modification de la Constitution intéressant directement les rapports fédératifs sans avoir au pré­alable consulté les provinces et obtenu leur assentiment. Ce principe ne s’est pas concrétisé aussi tôt que les autres, mais, à partir de 1907 et en particulier depuis 1930, ii a été de plus en plus affirmé et accepté. Il n’a pas été facile, cependant, de préciser la nature et l’éten­due de la participation provinciale à la procédure de modification.

Le texte qui précède les quatre principes géné­raux indique clairement qu’il traite des conventions.

[Page 900]

ll se réfère au droit (et dans le texte anglais aux conventions) qui régit un pays et aux règles constitutionnelles qui, sans avoir strictement de caractère obligatoire (c’est-à-dire au sens juridi­que) ont fini par être reconnues et acceptées dans la pratique comme éléments de la procédure de modification au Canada. Les trois premiers princi­pes généraux sont des énoncés de conventions cons­titutionnelles bien connues régissant les relations entre le Canada et le Royaume-Uni en ce qui concerne les modifications constitutionnelles.

A notre avis, le quatrième principe général énonce et reconnaît également et indubitablement comme une règle de la constitution canadienne la convention mentionnée dans la deuxième question des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve de même qu’à la question B du renvoi du Québec, savoir, qu’il faut obtenir l’accord provincial aux modifications qui changent les pouvoirs législatifs provinciaux.

Il ne s’agit pas d’une déclaration faite de manière casuelle. On la trouve dans un document soigneusement rédigé dont toutes les provinces ont pris connaissance avant sa publication et qu’elles ont toutes trouvé satisfaisant (voir Débats des Communes, 1965, à le p. 11764 et le texte docu­mentaire publié par le gouvernement du Canada, Le rôle du Royaume-Uni dans la modification de la Constitution du Canada (mars 1981), à la p. 32). Il a été publié comme Livre ‘blanc, soit comme l’exposé officiel d’une politique gouvernementale, sous l’autorité du ministre fédéral de la Justice en tant que membre d’un gouvernement responsable devant le Parlement et pour autant que nous sachions, aucune chambre ne l’a contesté. Par cette déclaration, tous les acteurs dans les précédents reconnaissent que l’exigence d’un consentement provincial est une règle constitutionnelle.

Dans le renvoi du Manitoba, le juge en chef Freedman s’est dit d’avis que la troisième phrase du quatrième principe général énoncé dans le Livre blanc contredit et donc annule la première phrase.

Avec égards, cette interprétation est erronée. La première phrase vise l’existence de la convention et la troisième, non pas son existence mais le degré d’assentiment provincial nécessaire à l’égard de

[Page 901]

cette catégorie de modification constitutionnelle. Il semble clair que bien que les précédents pris isolément favorisent la thèse de l’unanimité, l’on ne peut dire que tous les acteurs dans les précédents aient accepté le principe de l’unanimité.

Les déclarations du premier ministre King à la Chambre des communes en 1938 et 1940 sur la modification relative à l’assurance-chômage illus­trent cette distinction.

En 1938, certaines provinces n’avaient pas encore donné leur assentiment à la modification relative à l’assurance-chômage et l’on trouve le dialogue suivant dans les Débats de la Chambre des communes, 1938, à la p. 1795:

Le très hon. R. B. BENNETT (chef de l’opposition): Le premier ministre me permettra peut-être de lui poser une question de plus: Croit-il nécessaire ou désirable une entente préalable entre les provinces avant d’agir? *

Le très bon. MACKENZIE KING: Je ne crois pas le moment opportun de répondre à cette question. Mieux vaudrait attendre que nous ayons pris tout d’abord connaissance des réponses que nous recevrons.

En 1940, M. J. T. Thorson, qui n’était pas membre du gouvernement à cette époque, a contesté la prétention qu’il était nécessaire d’obtenir l’assentiment des provinces avant de présenter une demande de modification de l’A.A.N.B. M. Lapointe répondit:

Je puis dire à mon honorable ami que ni le premier ministre ni moi n’avons dit que cela est nécessaire; nous avons dit que cela est désirable.

(Débats des Communes, 1940, à la p. 1157.)

Mais en fait, voici ce que le premier ministre avait dit:

Nous avons évité tout ce qui aurait pu passer pour une pression sur les provinces et nous avons évité, en outre, une question d’ordre constitutionnel très grave, celle de savoir si, en modifiant l’Acte de l’Amérique britannique du Nord, il est nécessaire d’obtenir l’assentiment de toutes les provinces, ou si le consentement d’un certain nombre d’entre elles aurait pu suffire. Cette question

______

* Suivant le texte anglais, texte original, Monsieur Bennett demande si tine entente préalable entre toutes les provinces est nécessaire ou désirable.

[Page 902]

pourra se présenter plus tard mais, au sujet de l’assu­rance-chômage ...

(Débats des Communes, 1940 à la p. I153.)

Cette déclaration laisse planer un doute sur le point de savoir si l’unanimité est nécessaire, mais aucun sur le point de savoir si un appui provincial appréciable est requis.

Quant à la réponse de M. Lapointe, elle est neutre et on doit l’accompagner de plusieurs autres déclarations qu’il a faites indiquant la nécessité du consentement des provinces (par exemple: Débats des Communes, 1924, aux pp. 515 et 516; Débats des Communes, 1925, aux pp. 299 et 300; Débats des Communes, 1931, aux pp. 1467 et 1468; Débats des Communes, 1940, à la p. 1145).

Le premier ministre Bennett avait pris une atti­tude semblable à l’égard de la règle de l’unanimité au cours de la conférence Dominion-provinces de 1931. Selon le compte rendu, il aurait dit:

[TRADUCTION] Quant à l’exigence de l’unanimité pour modifier l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, ceci signifierait qu’une seule province, par exemple l’Île-du-Prince-Edouard, pourrait totalement bloquer tout chan­gement. Aucun État ne requiert actuellement l’unani­mité. L’Australie ne le fait pas; pas plus que l’Afrique du Sud, un pays bilingue. D’un certain point de vue, il [M. Bennett] pouvait reconnaître que l’unanimité pou­vait être désirable, mais d’un autre, cela semble totalement irréaliste vu l’évolution politique actuelle de l’Em­pire britannique et qui plus est du monde entier. Il doit évidemment exister des mécanismes de protection pour les minorités, mais il ne doit pas y avoir de rigidité absolue à l’égard du changement.

(Compte rendu de la conférence Dominion-pro­vinces, 1931, aux pp. 8 et 9.)

On nous a cité une multitude de déclarations de politiciens canadiens sur ce point. Quelques-unes sont défavorables à la position provinciale, mais elles émanent généralement de politiciens qui, comme M. J. T. Thorson, n’étaient pas ministres en poste et qu’on ne saurait considérer comme des «acteurs dans les précédents».

La plupart des déclarations émanant d’hommes d’Etat sont favorables à l’exigence conventionnelle du consentement des provinces. Nous n’en citerons que deux.

[Page 903]

En discutant la modification de 1943, M. St-Laurent a fait valoir qu’elle ne changeait pas la répartition des pouvoirs fédéraux et provinciaux. Il dit:

L’honorable L. S. ST-LAURENT (ministre de la Justice):

[NOTRE TRADUCTION] Je suis prêt à concéder aux honorables députés que si l’on devait proposer des modi­fications qui changent la répartition des compétences législatives ou administratives entre les provinces d’une part et le Parlement fédéral de l’autre, on ne saurait convenablement le faire sans le consentement de l’orga­nisme à qui la constitution a conféré les pouvoirs que l’on chercherait à lui enlever.

A mon avis, il aurait été tout à fait inconvenant d’enlever aux provinces sans leur consentement quelque chose qui, de par la constitution, leur revient.

(Débats des Communes, 1943, à la p. 448.)

La déclaration vise les convenances, c’est-à-dire la conformité aux usages, ce qui est la terminologie ordinairement utilisée pour les conventions consti­tutionnelles.

En 1960, on a suggéré au premier ministre Diefenbaker que son projet de Déclaration cana­dienne des droits soit enchâssé dans la Constitu­tion et lie les provinces comme le ferait la Charte des droits annexée au projet de résolution d’adresse commune. Voici comment il a traité de cette suggestion:

D’aucuns prétendent que pour être efficace, la mesure doit s’étendre aux provinces également. Ils doivent se rendre compte qu’il est impossible d’obtenir le consentement de toutes les provinces.

Pour ce qui est d’une modification constitutionnelle, elle est impossible à réaliser à l’heure actuelle.

M. Winch: Pourquoi?

Le très hon. M. Diefenbaker: Tout simplement parce qu’on ne pourrait obtenir l’assentiment des provinces à des dispositions qui toucheraient aux droits de propriété et aux droits civils,

Je tiens à ajouter que, si jamais les provinces sont disposées à donner leur accord à une modification cons­titutionnelle comprenant une déclaration des droits qui

[Page 904]

énoncerait ces libertés, le gouvernement s’empressera de collaborer. Nous présenterons sans tarder une modifica­tion constitutionnelle, englobant non seulement la com­pétence fédérale mais aussi celle des provinces, dès que toutes les provinces y consentiront.

(Débats des Communes, 1960, aux pp. 5891 et 5892.)

Le premier ministre Diefenbaker était nettement d’avis que la Déclaration canadienne des droits ne pouvait être enchâssée dans la Constitu­tion et devenir applicable aux provinces sans leur consentement à toutes. Nous avons aussi indiqué que bien que les précédents favorisent l’unanimité, il ne semble pas que tous les acteurs dans les précédents aient accepté que la règle de l’unani­mité les lie.

En 1965, le Livre blanc énonçait:

Il n’a pas été facile ... de préciser la nature et l’étendue de la participation provinciale â la procédure de modification.

Il ne s’est rien produit depuis cette époque qui nous permettrait de conclure de façon plus précise.

On ne peut pas dire non plus que ce manque de précision est tel qu’il empêche le principe d’acqué­rir le statut constitutionnel de règle convention­nelle. Si un consensus s’était dégagé sur le degré d’accord provincial nécessaire, une formule de modification aurait rapidement été adoptée et nous ne nous trouverions plus dans le domaine des conventions. Exiger autant de précision que s’il en était ainsi et que s’il s’agissait d’une règle de droit revient à nier que ce secteur de la constitution canadienne peut être régi par des règles conven­tionnelles,

En outre, le gouvernement du Canada et les gouvernements des provinces ont tenté d’en venir à un consensus sur une formule de modification au cours des dix conférences fédérales-provinciales tenues en 1927, 1931, 1935, 1950, 1960, 1964, 1971, 1978, 1979 et 1980 (voir Gérald A. Beau­doin, précité, à la p. 346). Un problème majeur à ces conférences était la mesure du consentement provincial. Aucun consensus ne s’est dégagé sur ce point. Mais la discussion de ce point précis depuis plus de cinquante ans postule que tous les gouver­nements en cause reconnaissent clairement le principe

[Page 905]

qu’un degré appréciable de consentement pro­vincial est nécessaire.

Il ne convient pas que la Cour conçoive dans l’abstrait une formule précise qui indiquerait en termes positifs quel degré de consentement provin­cial est nécessaire pour que la convention soit respectée. Les conventions, de par leur nature, s’élaborent dans l’arène politique et il revient aux acteurs politiques, et non à cette Cour, de fixer l’étendue du consentement provincial nécessaire.

Il suffit que la Cour décide qu’au moins un degré appréciable de consentement provincial est nécessaire et décide ensuite si la situation qu’on lui soumet y satisfait. En l’espèce, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick sont d’accord avec les projets de modification alors que les huit autres provinces s’y opposent. Aucune norme concevable ne permettrait de penser que cette situation est à la hauteur. Elle ne révèle nettement pas un degré d’accord provincial suffisant. On ne peut rien ajouter d’utile à cet égard.

iii) Une raison d’être de la règle

La raison d’être de la règle est le principe fédéral. Le Canada est une union fédérale. Le préambule de l’A.A.N.B. énonce que

... les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont exprimé le désir de contracter une Union Fédérale . .

D’innombrables déclarations judiciaires recon­naissent le caractère fédéral de la constitution canadienne. Nous n’en citerons qu’une, celle de lord Watson dans l’arrêt Liquidators of the Maritime Bank of Canada v. Receiver-General of New Brunswick, précité, aux pp. 441 et 442:

[TRADUCTION] Le but de l’Acte n’était pas de fusionner les provinces en une seule ni de subordonner les gouver­nements provinciaux à une autorité centrale, mais de créer un gouvernement fédéral dans lequel elles seraient toutes représentées et auquel serait confiée de façon exclusive l’administration des affaires dans lesquelles elles avaient un intérêt commun, chaque province conservant son indépendance et son autonomie.

Le principe fédéral est irréconciliable avec un état des affaires où l’action unilatérale des autorités

[Page 906]

fédérales peut entraîner la modification des pouvoirs législatifs provinciaux. Il irait vraiment à l’encontre du principe fédéral qu’«un changement radical de [la] constitution [soit décidé] à la demande d’une simple majorité des membres de la Chambre des communes et du Sénat canadiens» (Compte rendu de la conférence Dominion-provin­ces de 1931, à la p. 3).

C’est là un élément essentiel du principe fédéral clairement reconnu à la conférence Dominion-pro­vinces de 1931. Cette conférence fut convoquée pour examiner le projet de Statut de Westminster de même qu’un projet d’art. 7 qui se rapportait exclusivement à la situation canadienne.

A l’ouverture de la conférence, le premier minis­tre Bennett a déclaré:

[TRADUCTION] Il faut noter que rien dans le Statut ne confère au Parlement du Canada le pouvoir de modifier la constitution.

La situation qui prévaut est qu’aucune modification de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ne pourra être faite à l’avenir si ce n’est par suite d’une action appropriée au Canada et à Londres. Par le passé, cette action appropriée s’est concrétisée dans une adresse des deux chambres du Parlement canadien au Parlement de Westminster. On a toutefois reconnu que ceci pourrait entraîner un changement radical de notre constitution à la demande d’une simple majorité des membres de la Chambre des communes et du Sénat canadiens. Le projet initial du Statut semblait, de l’avis de certains gouvernements provinciaux, sanctionner pareille procé­dure, mais dans le projet soumis à la conférence, ce n’était pas du tout le cas.

(Compte rendu de la conférence Dominion-pro­vinces de 1931, aux pp. 3 et 4.)

Cette déclaration n’a pas satisfait le premier ministre Taschereau du Québec qui déclarait le lendemain (à la p. I2):

[TRADUCTION] Voulons-nous que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique soit modifié à la demande du Dominion seulement, sans le consentement des pro­vinces? Voulons-nous qu’il soit modifié par le Parlement du Canada? Le Québec ne peut accepter aucune de ces suggestions. ll n’est pas prêt à convenir que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique puisse être modifié sans le consentement des provinces.

[Page 907]

M. Geoffrion de la délégation du Québec proposa une modification au par. 7(l) du projet de loi afin de régler la difficulté.

Le premier ministre Bennett répondit (à la p. 13):

[TRADUCTION] Notre but est de laisser les choses en l’état et nous essayons précisément de ne pas faire ce qui, selon M. Taschereau, pourrait en résulter.

Le lendemain, la conférence était saisie d’un autre projet d’art. 7 dont le premier alinéa est celui qui fut adopté en définitive. Le premier ministre Taschereau n’était toujours pas rassuré (à la p. 18):

[TRADUCTION] M. Taschereau a déclaré que dans la mesure où l’abrogation de la Loi relative à la validité des lois des colonies est en cause, il n’a aucune objection à faire. En outre, il juge favorablement le nouveau projet d’article 7, mais il a besoin de plus de temps pour l’examiner. Toutefois, tant dans son préambule que dans son article 4, le Statut donne toujours implicitement au Dominion le seul droit de demander une modification de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Il met noir sur blanc ce qui a été la pratique par le passé. Pouvons-nous être sûr, a-t-il demandé, que le gouvernement du Dominion ne demandera pas une modification de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique à Westminster sans le consentement des provinces?

Le premier ministre Bennett répondit (aux pp. I9 et 20):

[TRADUCTION] M. Bennett a estimé que le paragra­phe 1 du nouvel article 7 devrait mettre fin aux craintes de M. Taschereau concernant la modification de la constitution par l’action unilatérale du Dominion. M. Taschereau répondit qu’il voyait bien que le pouvoir de modification n’était pas changé par le Statut, mais que la pratique à cet égard avait été mise noir sur blanc et que cette pratique, qui exclut les provinces, n’est pas satisfaisante.

Selon M. Bennett, le Statut ne va pas si loin. A son avis, pour des modifications mineures telles que le chan­gement du quorum de la Chambre des communes, il n’y avait aucune raison de consulter les provinces, mais pour des modifications plus importantes, telle la répartition des pouvoirs législatifs, il faudrait naturellement les consulter.

Des modifications antérieures de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique n’avaient pas soulevé de contro­verse, mais M. Taschereau pouvait assurer ses collègues

[Page 908]

qu’il n’y aurait aucune modification de l’aspect fédéral de la Constitution du Canada sans consultation des provinces qui, il faut s’en souvenir, ont les mêmes pou­voirs dans leur domaine respectif que le Dominion dans le sien.

Plusieurs premiers ministres partageaient l’inquiétude du premier ministre Taschereau. C’est dans cette optique que le par. 7(l) du Statut de Westminster, 1931 fut reformulé. L’effet juridique de cette nouvelle version est un point que soulève la troisième question des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve. Mais le fait qu’il y ait eu une tentative d’action du point de vue juridique donne encore plus d’impact sur le plan conventionnel.

Il est également vrai que le premier ministre Bennett parlait de consultation des provinces plutôt que de leur consentement, mais il faut inter­préter cela à la lumière de, sa déclaration précitée où il exprime sa répugnance à accepter le principe de l’unanimité.

En outre, comme on peut le lire dans le qua­trième principe général du Livre blanc, l’exigence du consentement provincial ne s’est pas concrétisée aussi tôt que d’autres principes, mais à partir de 1907 et en particulier de 1930, il a été de plus en plus affirmé et accepté. Le compte rendu de la conférence Dominion-provinces de 1931 le démon­tre clairement.

Viennent ensuite les précédents positifs de 1940, 1951 et 1964 de même que les précédents négatifs de 1951, 1960 et 1964, tous discutés ci-dessus. En 1965, la règle était reconnue comme une règle constitutionnelle obligatoire formulée dans le qua­trième principe général du Livre blanc déjà cité qui se lit en partie comme suit:

Quatrièmement, le Parlement du Canada ne procède pas à une modification de la Constitution intéressant directement les rapports fédératifs sans avoir au préala­ble consulté les provinces et obtenu leur assentiment.

Le but de cette règle conventionnelle est de protéger le caractère fédéral de la constitution canadienne et d’éviter l’anomalie par laquelle la Chambre des communes et le Sénat pourraient obtenir par simple résolution ce qu’ils ne pourraient validement accomplir par une loi.

[Page 909]

Les procureurs du Canada, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick ont soutenu que les projets de modification ne vont pas à l’encontre du principe fédéral et que, s’ils devenaient lois, le Canada serait toujours une fédération. Le principe fédéral’ serait même renforcé, a-t-on dit, puisque les pro­vinces auraient juridiquement un rôle important à jouer vu la formule de modification.

Il est vrai que le Canada resterait une fédération si les projets de modification devenaient lois. Mais ce serait une fédération différente devenue telle à la demande d’une majorité des Chambres du Parlement fédéral agissant seul. C’est ce processus même qui va à l’encontre du principe fédéral.

Le procureur de la Saskatchewan a suggéré que le projet de modification était peut-être divisible; que le projet de Charte des droits allait à l’encon­tre du principe fédéral puisqu’il changerait unilaté­ralement les pouvoirs législatifs alors que le projet de formule de modification ne porterait pas atteinte au principe fédéral.

Nous ne pouvons accéder à cette suggestion. Les procureurs du Canada (de même que ceux des autres parties et de tous les intervenants) ont adopté la position ferme que le projet de modifica­tion constitue un ensemble indivisible. De plus, et pour répéter, quel que soit le résultat, le processus porte atteinte au principe fédéral. C’est en tant que protection contre ce processus que la conven­tion constitutionnelle est née.

IV—Conclusion

Sans exprimer d’opinion sur son degré, nous en venons à la conclusion que le consentement des provinces du Canada, est constitutionnellement nécessaire à l’adoption du «Projet de résolution portant adresse commune à Sa Majesté la Reine concernant la Constitution du Canada» et que l’adoption de cette résolution sans ce consentement serait inconstitutionnelle au sens conventionnel.

Sous réserve de ces motifs, nous sommes d’avis de répondre à la deuxième question des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve et à l’a partie de la question B du renvoi du Québec qui porte sur les conventions de la façon suivante:

[Page 910]

2. Y a-t-il une convention constitutionnelle aux termes de laquelle la Chambre des communes et le Sénat du Canada ne peuvent, sans le consentement préalable des provinces, demander à Sa Majesté la Reine de déposer devant le Parlement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’lrlande du Nord un projet de modification de la Constitution du Canada qui a un effet sur les relations fédérales-provinciales ou les pouvoirs, les droits ou les privilèges que la Constitu­tion du Canada accorde ou garantit aux provinces, à leurs législatures ou à leurs gouvernements?

Oui.

B. La constitution canadienne habilite-t-elle ... par ... convention ... le Sénat et la Chambre des commu­nes du Canada à faire modifier la constitution cana­dienne sans l’assentiment des provinces et malgré l’objection de plusieurs d’entre elles de façon à porter atteinte:

(i) à l’autorité législative des législatures provinciales en vertu de la constitution canadienne?

(ii) au statut ou rôle des législatures ou gouverne­ments provinciaux au sein de la fédération cana­dienne?

Non.

Les questions soumises ont reçu les réponses suivantes:

a) Questions 1, 2 et 3 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve:

Question 1: Oui.

Question 2: Oui. (Le Juge en chef et les juges Estey et McIntyre dissi­dents.)

Question 3: Du point de vue de la conven­tion constitutionnelle «oui». (Le Juge en chef et les juges. Estey et McIntyre dissidents.)

Du point de vue juridique «non» (Les juges Martland et Ritchie dissidents.)

b) Question 4 du renvoi de Terre-Neuve:

Question 4: Celle exprimée dans les motifs de la Cour d’appel de Terre-Neuve avec la modification

[Page 911]

apportée dans les présents motifs.

c) Questions A et B du renvoi du Québec:

Question A:

(i) Oui.

(ii) Oui.

Question B:

(i)

a) Par statut, non.

b) Par convention, non. (Le Juge en chef et les juges Estey et McIntyre dissi­dents.)

c) Du point de vue juridique, oui. (Les juges Martland et Ritchie dissidents.)

(ii)

a) Par statut, non.

b) Par convention, non. (Le Juge en chef et les juges Estey et McIntyre dissi­dents.)

c) Du point de vue juridique, oui.

(Les juges Martland et Ritchie dissidents.)

Procureur du procureur général du Canada: Roger Tassé, Ottawa.

Procureur du procureur général du Manitoba: Gordon E. Pilkey, Winnipeg.

Procureur du procureur général de Terre-Neuve.: Ronald G. Penney, St-Jean.

Procureur du procureur général du Québec: Daniel Jacoby, Québec.

Procureur du procureur général de la Saskat­chewan: Richard Gosse, Regina.

Procureurs du procureur général de l’Alberta: Ross W. Painsley et William Henkel, Edmonton.

Procureurs du procureur général de la Colom­bie-Britannique: Russell & Dumoulin, Vancouver.

Procureur du procureur général de la Nouvelle-Écosse: Gordon F. Coles, Halifax.

[Page 912]

Procureur du procureur général de l’Ile-du-Prince-Edouard: Arthur J. Currie, Charlottetown.

Procureur du procureur général de l’Ontario: H. Allan Lea!, Toronto.

Procureur du procureur général du Nouveau-Brunswick: Gordon F. Gregory, Fredericton.

Procureurs de Four Nations Confederacy Inc.: Taylor, Brazzell et McCaffrey, Winnipeg.



[1] (1981), 117 D.L.R. (3d) 1; [1981] 2 W.W.R. 193.

[2] (1981), 118 D.L.R. (3d) 1, 82 A.P.R. 503, 29 Nfld. & P.E.I.R. 503.

[3] [1981] C.A. 80; (1981), 120 D.L.R. 385.

[4] (1981), 117 D.L.R. (3d) 1.

[5] (1981), 118 D.L.R. (3d) 1.

[6] [1981] C.A. 80.

[7] [1969] 1 A.C. 645.

[8] [1936] R.C.S. 461.

[9] [1937] A.C. 326.

[10] [1938] R.C.S. 71.

[11] [1935] A.C. 500.

[12] [1976] 1 Q.B. 752.

[13] [1916] 2 A.C. 610.

[14] [1926] I.R. 402.

[15] (1958), 100 C.L.R. 597.

[16] [1971] 2 All E.R. 1380.

[17] [1980] 1 R.C.S. 54.

[18] [1899] A.C. 626.

[19] [1939] A.C. 468.

[20] (1883), 9 App. Cas. 117.

[21] [1892] A.C. 437.

[22] [1967] R.C.S. 792.

[23] [1951] R.C.S. 31.

[24] [1948] 4 D.L.R. 1.

[25] (1981), 117 D.L.R. (3d) 1.

[26] (1981), 118 D.L.R. (3d) 1.

[27] [1981] C.A. 80.

[28] (1883), 9 App. Cas. 117.

[29] [1892] A.C. 437.

[30] [1916] 1 A.C. 566.

[31] [1912] A.C. 571.

[32] [1958] R.C.S. 626.

[33] [1937] A.C. 326.

[34] [1980] 1 R.C.S. 54.

[35] [1977] 2 R.S.C. 576.

[36] [1962] R.C.S. 642.

[37] [1951] R.C.S. 31.

[38] [1938] R.C.S. 100.

[39] (1981), 117 D.L.R. (3d) 1.

[40] (1981), 118 D.L.R. (3d) 1.

[41] [1981] C.A. 80.

[42] [1965] R.C.S. 772.

[43] [1925] A.C. 384.

[44] [1912] A.C. 571.

[45] [1929] R.C.S. 200.

[46] [1969] 1 A.C. 645.

[47] (1981), 117 D.L.R. (3d) 1.

[48] (1981), 118 D.L.R. (3d) 1.

[49] [1981] C.A. 80.

[50] [1980] 1 R.C.S. 54.

[51] [1929] R.C.S. 200.

[52] 52 Reference as to the Effect of the Exercise of the Royal Prerogative of Mercy upon Deportation Proceedings, [19331 R.C.S. 269.

[53] Bonanza Creek Gold Mining Co. v. The King, [19161 1 A.C. 566.

[54] Liquidators of the Maritime Bank of Canada v. Receiver-General of New Brunswick, [18921 A.C. 437.

[55] Attorney-General of Ontario v. Mercer (1883), 8 App. - Cas. 767.

[56] Attorney-General of British Columbia v. Attorney-Gene­ral of Canada (1889), 14 App. Cas. 295.

[57] R. v. Attorney General of British Columbia, [19241 A.C. 213.

[58] [1938] R.C.S. 71.

[59] [1922] 1 A.C. 202.

[60] [1949] 2 D.L.R. 425; (1948), 23 M.P.R. 48. Voir aussi un commentaire de la situation par K. M. Martin à (1946) 24 R. du B. Can. 434.

[61] (1839), 9 Ad. and E. 1.

[62] (1926), 37 C.L.R. 393.

[63] [1942] A.C. 206.

[64] [1943] 2 All E.R. 560.

[65] [1963] A.C. 614.

[66] [1964] A.C. 900.

[67] [1979] 2 R.C.S. 136.

[68] Maintenant publié à [1981] 1 R.C.S. 312.

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