COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. Pritchard, [2008] 3 R.C.S. 195, 2008 CSC 59 |
Date : 20081030 Dossier : 31970 |
Entre :
David Mostyn Pritchard
Appelant
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein
Motifs de jugement : (par. 1 à 41) |
Le juge Binnie (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein) |
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R. c. Pritchard, [2008] 3 R.C.S. 195, 2008 CSC 59
David Mostyn Pritchard Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
Répertorié : R. c. Pritchard
Référence neutre : 2008 CSC 59.
No du greffe : 31970.
2008 : 18 avril; 2008 : 30 octobre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.
en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique
Droit criminel — Classification du meurtre — Séquestration et meurtre — La séquestration au cours d’un vol qualifié constitue‑t‑elle une séquestration pour la classification du meurtre comme meurtre au premier degré ou comme meurtre au deuxième degré? — L’accusé a‑t‑il causé la mort de la victime en commettant la séquestration? — Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 231(5).
M, un fournisseur « en gros » de drogue, et sa femme S ont caché une grosse quantité de marijuana à un endroit secret de leur ferme situé à 250‑300 mètres de la maison. M a quitté la ferme pour quelques jours. À son retour, S avait disparu. Les traces de pas de S et de M ainsi que celles d’au moins une autre personne menaient à la planque de marijuana. La marijuana avait disparu. Il n’y avait pas trace de lutte et une fouille n’a pas permis de trouver le corps de S. Sur le fondement d’une preuve circonstancielle, l’accusé a été inculpé du meurtre de S commis au cours d’un vol qualifié. Au procès, le ministère public a fait valoir que l’accusé avait forcé S sous la menace d’un fusil à révéler la planque de marijuana et à transporter la marijuana à un camion. Il a aussi soutenu que S avait été séquestrée, puis tuée, de sorte que le jury pouvait prononcer un verdict de meurtre au premier degré par application de l’al. 231(5)e) du Code criminel. Le jury a déclaré l’accusé coupable de meurtre au premier degré, et la Cour d’appel a confirmé la déclaration de culpabilité.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
Le paragraphe 231(5) du Code criminel reflète la politique du Parlement en matière de détermination de la peine, qui est de considérer que les meurtres commis à l’occasion de crimes de domination sont particulièrement répréhensibles et qu’ils méritent une peine plus sévère. Il ressort du libellé du par. 231(5) qu’un meurtre au deuxième degré sera assimilé à un meurtre au premier degré dans les cas où il existe un lien causal et temporel entre le meurtre et l’une des infractions sous‑jacentes prévues dans cette disposition dans des circonstances qui font de l’ensemble des actes en question une seule affaire. Le vol qualifié, contrairement à la séquestration, n’est pas une infraction sous‑jacente selon le par. 231(5); toutefois, pour l’application de l’al. 231(5)e), S a été séquestrée si elle a été soumise à la contrainte physique ou forcée d’agir contre sa volonté pendant un laps de temps assez long avant sa mort et que sa séquestration n’était pas seulement un élément inhérent au meurtre. Le mot « forcible », qui figure dans la version anglaise de l’al. 231(5)e), n’ajoute rien aux éléments de l’infraction de séquestration. [2] [19] [24-25] [27] [35]
Pour déclarer l’accusé coupable de meurtre au premier degré, le jury devait constater que la mort de S faisait partie d’une série continue d’événements constituant une seule opération qui établit à la fois sa mort et l’infraction distincte de séquestration. Le lien temporel‑causal requis est établi lorsque la séquestration crée une domination illégale continue sur la victime et que l’accusé exploite sa position de force pour commettre le meurtre. Le fait que la série d’événements révèle en plus un vol qualifié n’empêche pas l’application de l’al. 231(5)e). Si l’argument de l’accusé était juste, un accusé serait en meilleure position s’il avait séquestré, volé et tué sa victime que s’il l’avait seulement séquestrée et tuée. Un tel résultat irait à l’encontre de l’intention du législateur, car il permettrait qu’un crime non énuméré à la liste du par. 231(5) serve à atténuer l’effet de cette disposition. [3] [22] [35]
En l’espèce, le jury était en droit de prononcer un verdict de meurtre au premier degré. Une preuve abondante permettait de conclure que les éléments constitutifs de la séquestration au sens du par. 279(2) commise indépendamment de la perpétration du meurtre avaient été établis. Le jury pouvait parfaitement conclure, d’après le témoignage de l’accusé, qu’il avait enterré la victime et remarqué la tache de sang derrière sa tête, qu’un coup de feu avait atteint la victime et causé sa mort, et que le recours à un fusil avait aidé l’accusé à dominer la victime en vue de localiser la marijuana et de la transférer dans son camion. Le but de la séquestration — le vol — ne change rien au fait que, sous la menace d’un fusil, la victime a été séquestrée pendant un laps de temps qui, compte tenu de la distance entre la planque et la maison, a dû être assez long. D’autre part, la victime est sans doute morte presque aussitôt après avoir été atteinte d’un coup de feu à la tête. D’après cette preuve, il était ainsi loisible au jury de conclure que l’accusé, après avoir mis la main sur la marijuana, a choisi d’exploiter sa situation de domination — résultant du fait qu’il avait séquestré S sous la menace d’une arme à feu — pour la tuer. Il existait donc un lien temporel et causal suffisant pour faire de ces événements une « seule affaire ». [4] [37-38]
Jurisprudence
Arrêts examinés : R. c. Paré, [1987] 2 R.C.S. 618; R. c. Strong (1990), 60 C.C.C. (3d) 516; arrêts mentionnés : R. c. Russell, [2001] 2 R.C.S. 804, 2001 CSC 53; R. c. Luxton, [1990] 2 R.C.S. 711; R. c. Stevens (1984), 11 C.C.C. (3d) 518; R. c. Harbottle, [1993] 3 R.C.S. 306; R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633; R. c. Gratton (1985), 18 C.C.C. (3d) 462; R. c. Tremblay, [1997] J.Q. no 1816 (QL); R. c. Mullings, 2005 CarswellOnt 3022; R. c. Kingsley, [1995] J.Q. no 1325 (QL); R. c. Simon, [2001] J.Q. no 1328 (QL); R. c. Kimberley (2001), 157 C.C.C. (3d) 129; R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74; R. c. Bradley (2003), 223 Nfld. & P.E.I.R. 225, 2003 PESCTD 30; R. c. Sandhu, 2005 CarswellOnt 8306; R. c. Gourgon (1979), 19 C.R. (3d) 272; R. c. Dollan (1982), 65 C.C.C. (2d) 240, autorisation d’appel refusée, [1982] 1 R.C.S. vii; R. c. Pitre (1991), 2 B.C.A.C. 186; R. c. Hein (2004), 189 C.C.C. (3d) 381; R. c. Johnson (2002), 166 C.C.C. (3d) 44.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 230, 231(1), (2), (5), 279(2), (3), 343.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Newbury, Hall et Kirkpatrick) (2007), 217 C.C.C. (3d) 1, 238 B.C.A.C. 1, 393 W.A.C. 1, 2007 CarswellBC 269, [2007] B.C.J. No. 243 (QL), 2007 BCCA 82, qui a confirmé la déclaration de culpabilité de l’accusé pour meurtre au premier degré. Pourvoi rejeté.
Richard C. Gibbs, c.r., et Rod H. G. Holloway, pour l’appelant.
Trevor Shaw et Kathleen M. Ker, pour l’intimée.
Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] Le juge Binnie — En l’espèce, il a été établi que Mme Pirkko Skolos a été tuée pendant un vol de marijuana à sa ferme, située dans un lieu isolé près de Topley en Colombie‑Britannique. L’appelant ne conteste plus que la preuve suffit pour justifier une déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré. Il s’agit de déterminer en l’espèce si le meurtre au deuxième degré peut être assimilé à un meurtre au premier degré par application de l’al. 231(5)e) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, parce qu’il a été commis, selon le ministère public, pendant que l’appelant, en contravention du par. 279(2), tenait Mme Pirkko Skolos séquestrée. Le jury a accepté l’argument du ministère public et a prononcé un verdict de meurtre au premier degré.
[2] L’appelant soutient que les jurés ne disposaient d’aucun élément de preuve leur permettant, s’ils avaient reçu des directives appropriées, de tirer une telle conclusion. Toute la preuve qui pesait contre lui (à part quelques aveux faits dans une déclaration à la police) était circonstancielle. Il ne suffisait pas, selon lui, que le ministère public établisse que la séquestration était accessoire au vol qualifié. Le jury aurait dû recevoir des directives en ce sens. Le vol qualifié, contrairement à la séquestration, n’est pas une infraction sous‑jacente selon le par. 231(5). L’appelant ajoute que l’exposé au jury avait pour effet de faire du vol qualifié une infraction sous‑jacente, ce qui prolonge sa période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle, la faisant passer de 10 ans à 25 ans, contrairement à la volonté du législateur, qui a établi une liste restreinte d’infractions donnant lieu à l’application du par. 231(5).
[3] Je reconnais avec l’appelant que le ministère public doit, pour qu’un meurtre au deuxième degré puisse être assimilé à un meurtre au premier degré par application du par. 231(5), prouver que le meurtre faisait partie d’une série continue d’événements constituant une seule opération qui établit non seulement le meurtre mais également l’infraction distincte de séquestration. Toutefois, si la séquestration est établie, le fait que la série d’événements révèle en plus un vol qualifié n’empêche pas l’application de l’al. 231(5)e).
[4] En l’espèce, il y avait amplement de preuves démontrant la séquestration. L’appelant admet que c’est lui qui finalement a enterré le corps de Mme Skolos. À ce moment, il a remarqué une tache de sang (qu’on croit être le point d’entrée d’une balle) à l’arrière de la tête de la victime. Cela tend à indiquer qu’elle était déjà sous la domination de son agresseur lorsqu’elle a été abattue. L’appelant a témoigné qu’il avait initialement prévu de commettre le vol qualifié avec une autre personne et que leur plan comportait l’utilisation d’une arme à feu. Il ressort de la preuve que l’agresseur a gardé la victime sous sa domination pendant assez longtemps avant le meurtre. La marijuana était planquée à 250‑300 mètres de la maison, à un endroit que Mme Skolos et son mari gardaient secret. Il fallait d’abord la localiser, puis la transporter de la « planque » au camion qui attendait. L’appelant fait remarquer qu’il n’y avait aucune preuve de lutte ou de tentative de fuite. En fait, dit‑il, rien ne porte à croire que la victime a refusé de coopérer. À mon avis, toutefois, le jury pouvait parfaitement conclure que c’est sous la menace d’une arme à feu que l’appelant a amené la victime à « coopérer », c’est‑à‑dire à lui indiquer l’emplacement de la planque et peut‑être à servir de « mule » pour l’aider à transporter la marijuana jusqu’à son camion (comme il l’avait d’ailleurs prévu, selon ses propres déclarations) avant qu’elle ne soit tuée. Les directives du juge à ce sujet ont plutôt été indûment favorables à l’appelant. Le jury était en droit de prononcer un verdict de meurtre au premier degré. Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi.
I. Les faits
[5] En novembre 1995, un fournisseur « en gros » de drogue, Myles Skolos, a reçu un important chargement de marijuana à la ferme où il vivait avec sa femme, Pirkko. Ils ont mis la marijuana dans trois coffres qu’ils ont cachés dans une « planque ». Quelque temps plus tard, M. Skolos a laissé sa femme pour aller à l’enterrement de son frère sur l’île de Vancouver. À son retour, sa femme, de même que son portefeuille et des chèques avaient disparu. On pouvait voir dans la neige les traces de pas de M. Skolos ainsi que celles de sa femme et d’au moins une autre personne en direction de la planque. Deux des coffres et toute la marijuana avaient disparu.
[6] Lorsque la police a fouillé la ferme, il a semblé qu’un gros camion ou autre véhicule automobile avait roulé dans l’allée, mais aucune empreinte de pneu distinctive n’a pu être identifiée. Il n’y avait pas trace de lutte, ni trace de sang à la maison et à la planque. Une fouille minutieuse de la ferme à l’aide d’un chien pisteur n’a pas permis de trouver le corps de la victime.
[7] Bill Wall, le frère d’un important client de M. Skolos, a indiqué aux policiers qu’il était possible qu’il ait parlé à l’appelant de l’arrivée de la cargaison. L’appelant avait de lourds antécédents comme trafiquant de drogue et homme de main. La police l’a interrogé et a intercepté ses communications privées. Il a nié être au courant de l’arrivée de la cargaison. Il a admis être déjà allé à la ferme, mais il a dit ne pas s’y être rendu à l’époque où la victime a été portée disparue.
[8] Pendant plusieurs mois, l’appelant a fourni à la police des renseignements et des alibis qu’il a par la suite reconnu être faux. Toutefois, le 19 janvier 2000, la veille du procès, il a conclu une entente d’immunité restreinte avec la police. Dans cette entente, il s’est engagé à collaborer pleinement à l’enquête et à indiquer aux policiers où se trouvait le corps de la victime, qu’il avait, dit‑il, enterré pour aider Bill Wall, le « véritable » meurtrier. En retour, le ministère public a convenu que l’appelant ne serait pas accusé de meurtre au premier degré. En dépit des renseignements donnés par l’appelant et des fouilles exhaustives qu’ont effectuées les policiers, le corps n’a jamais été trouvé. Bill Wall a nié toute participation. Le ministère public a maintenu les accusations de meurtre au premier degré.
[9] La déclaration faite par l’appelant le 19 janvier 2000 était dans l’ensemble compatible avec le témoignage qu’il a livré au procès. Il a dit avoir discuté pendant de nombreux mois avec Bill Wall du plan de voler la marijuana des Skolos en utilisant une arme à feu pour obtenir leur « coopération ». Il prétend avoir rencontré Bill Wall par hasard le 23 novembre, qui lui aurait alors dit que le plan serait mis à exécution le même soir. Celui‑ci lui aurait dit que la marijuana avait été livrée à la ferme des Skolos et que lui et un de ses collaborateurs s’y rendraient pour en prendre possession. L’appelant ne devait pas, selon M. Wall, participer au vol, mais ils étaient tous censés se rencontrer plus tard ce soir‑là.
[10] L’appelant a témoigné que, lorsque Bill Wall s’est présenté avec deux coffres de marijuana, celui‑ci lui a dit qu’il avait accidentellement tiré sur Mme Skolos. Bill Wall lui aurait dit que le coup de feu était parti accidentellement pendant qu’il revenait de la planque à la maison avec la victime, mais qu’il [traduction] « continuait à tirer sur elle » et qu’il « avait complètement perdu la tête ».
[11] Dans son témoignage, l’appelant a indiqué que lui et M. Wall ont sorti les coffres de marijuana du camion de M. Wall et les ont placés dans une remise. Il aurait également dit à celui‑ci qu’il enterrerait le corps de la victime dans un trou qu’il avait déjà creusé pour y cacher le corps de quelqu’un d’autre (personne‑cible dans une autre affaire). Il est par la suite revenu récupérer les coffres après le départ de M. Wall. Il a témoigné qu’après avoir enterré la victime (remarquant la tache de sang derrière sa tête) il a comblé le trou avec des déblais et des feuilles pour que le sol paraisse intact. Il est ensuite allé rejoindre sa petite amie à un motel, bourré de marijuana et d’argent.
[12] Bill Wall a longuement témoigné. Il a tout nié. Il a dit n’avoir jamais discuté avec l’appelant de l’éventuel vol de la cargaison de marijuana à la ferme des Skolos. Il n’avait aucune raison de le faire. Il entretenait une relation d’affaires fructueuse avec la victime et son mari.
[13] La petite amie de l’appelant a témoigné que, le soir en question, il s’est absenté de la chambre du motel pendant environ huit heures et est revenu avec deux coffres remplis de marijuana et une importante somme d’argent de fraîche date. Elle a également dirigé les policiers vers l’un des deux coffres volés dont l’appelant s’était débarrassé en le lançant par‑dessus un talus. À l’intérieur du coffre, les policiers ont trouvé un sac de plastique portant l’empreinte du pouce de l’appelant. Les policiers ont établi qu’il s’agissait du même genre de sac de plastique dans lequel Myles Skolos gardait sa provision personnelle de « bourgeons ».
II. Historique judiciaire
A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique (le juge Preston)
[14] Le procès, qui a débuté avec 130 jours de voir‑dire et de requêtes, a été long et complexe. Le ministère public a clos sa preuve après avoir fait entendre 73 témoins et déposé 141 pièces, dont des enregistrements sonores. Après le rejet d’une demande de verdict imposé de meurtre au premier degré ([2002] B.C.J. No. 2964 (QL), 2002 BCSC 1387), la défense a fait entendre neuf témoins, dont l’accusé. Le juge du procès a distribué une copie de son exposé à chaque juré. Voici un extrait de ses directives sur la question de la séquestration dans le contexte de l’al. 231(5)e) :
[traduction] Un meurtre est assimilé à un meurtre au premier degré seulement s’il a été commis lors de la séquestration de [la victime] ou pendant que [l’accusé] tentait de la séquestrer.
Si vous concluez que la restriction des mouvements de [la victime] n’était que momentanée et qu’elle faisait seulement partie intégrante du vol qualifié, il ne s’agit pas d’une séquestration justifiant qu’on assimile un meurtre au deuxième degré à un meurtre au premier degré. Par contre, si la restriction était plus que momentanée et qu’elle était caractérisée par la domination de [l’accusé] sur [la victime], alors la séquestration suffit pour qu’un meurtre au deuxième degré soit assimilé à un meurtre au premier degré.
[15] Pendant leurs délibérations, les jurés ont demandé des précisions sur les caractéristiques d’une séquestration justifiant qu’un meurtre soit considéré comme un meurtre au premier degré, ce à quoi le juge a répondu :
[traduction] Comme vous pouvez le constater, le vol qualifié implique un acte de violence ou une menace de violence contre la personne qui en est victime. Dans certains cas, la restriction des mouvements de la victime n’est que momentanée. Le vol d’un portefeuille à la pointe du couteau, s’il ne dure que quelques secondes, en est un exemple.
. . .
Si le voleur exerce une domination sur la victime et que, de ce fait, la restriction des mouvements de la victime est plus que momentanée, alors la perpétration de l’infraction de séquestration est établie.
Comme je l’ai déjà dit, le jury a prononcé un verdict de meurtre au premier degré.
B. Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (2007), 217 C.C.C. (3d) 1, 2007 BCCA 82
(1) Motifs de la juge Newbury (souscrivant au résultat)
[16] La juge Newbury a statué que la preuve permettait au jury d’inférer que la victime avait été tuée pendant le vol de la marijuana et que l’appelant était effectivement le meurtrier. Après avoir examiné la jurisprudence, elle a conclu que [traduction] « les directives du juge du procès sur la question de la séquestration étaient fondées [. . .] Il était loisible au jury de conclure, au vu de la preuve offerte en l’espèce, que [la victime] avait été séquestrée et qu’elle avait été tuée pendant sa séquestration » (par. 86). La juge Newbury était en désaccord avec ses collègues quant à une question de preuve qui n’a toutefois pas été soulevée par l’appelant devant la Cour.
(2) Motifs du juge Hall (le juge Kirkpatrick y souscrivant)
[17] Le juge Hall a estimé que dans l’ensemble — à part la déclaration que l’appelant avait faite aux policiers en janvier 2000 et son témoignage au procès — le jury disposait d’une forte preuve lui permettant de rendre un verdict de meurtre au premier degré. À son avis, la totalité de la preuve circonstancielle menait [traduction] « inéluctablement » à la conclusion que l’appelant avait volé la marijuana à la victime et avait tuée celle‑ci pendant qu’il la séquestrait lors de la perpétration du vol qualifié.
III. Dispositions législatives pertinentes
[18] Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46
Meurtre au premier degré
231. (1) Il existe deux catégories de meurtres : ceux du premier degré et ceux du deuxième degré.
(2) Le meurtre au premier degré est le meurtre commis avec préméditation et de propos délibéré.
. . .
(5) Indépendamment de toute préméditation, le meurtre que commet une personne est assimilé à un meurtre au premier degré lorsque la mort est causée par cette personne, en commettant ou tentant de commettre une infraction prévue à l’un des articles suivants :
a) l’article 76 (détournement d’aéronef);
b) l’article 271 (agression sexuelle);
c) l’article 272 (agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles);
d) l’article 273 (agression sexuelle grave);
e) l’article 279 (enlèvement et séquestration);
f) l’article 279.1 (prise d’otage).
Séquestration
279. . . .
(2) Quiconque, sans autorisation légitime, séquestre, emprisonne ou saisit de force une autre personne est coupable :
a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix‑huit mois.
(3) Dans les poursuites engagées en vertu du présent article, le fait que la personne à l’égard de laquelle il est allégué que l’infraction a été commise n’a pas offert de résistance, ne constitue une défense que si le prévenu prouve que l’absence de résistance n’a pas été causée par des menaces, la contrainte, la violence ou une manifestation de force.
Vol qualifié
343. Commet un vol qualifié quiconque, selon le cas :
a) vole et, pour extorquer la chose volée ou empêcher ou maîtriser toute résistance au vol, emploie la violence ou des menaces de violence contre une personne ou des biens;
b) vole quelqu’un et, au moment où il vole, ou immédiatement avant ou après, blesse, bat ou frappe cette personne ou se porte à des actes de violence contre elle;
c) se livre à des voies de fait sur une personne avec l’intention de la voler;
d) vole une personne alors qu’il est muni d’une arme offensive ou d’une imitation d’une telle arme.
IV. Analyse
[19] Le paragraphe 231(5) reflète la politique du Parlement en matière de détermination de la peine, qui est de considérer que les meurtres commis à l’occasion de crimes de domination sont particulièrement répréhensibles et qu’ils méritent une peine plus sévère. L’expression « en commettant ou tentant de commettre » « exige l’existence d’un lien temporel et causal étroit entre le meurtre et une infraction énumérée » : R. c. Russell, [2001] 2 R.C.S. 804, 2001 CSC 53, par. 43. Voir aussi R. c. Paré, [1987] 2 R.C.S. 618, p. 632; R. c. Luxton, [1990] 2 R.C.S. 711, p. 722‑723; R. c. Stevens (1984), 11 C.C.C. (3d) 518 (C.A. Ont.), p. 541. Le juge Cory a décrit l’objet du par. 231(5) dans R. c. Harbottle, [1993] 3 R.C.S. 306, p. 323 :
Le meurtre au premier degré est une forme grave de meurtre et non une infraction matérielle précise distincte. [. . .] Cette disposition ne doit être prise en considération qu’après que le jury a reconnu l’accusé coupable de meurtre pour avoir causé la mort de la victime. L’accusé déclaré coupable de meurtre au deuxième degré se voit imposer une peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité. Ce que le jury doit alors décider c’est s’il existe des circonstances aggravantes justifiant l’impossibilité de bénéficier de la libération conditionnelle avant un quart de siècle. C’est alors qu’entre en jeu l’exigence d’un lien de causalité énoncée au par. [231(5)]. La gravité du crime et la sévérité de la sentence indiquent [toutes] les deux qu’il faut établir l’existence d’un degré substantiel et élevé de culpabilité, outre celle de meurtre, pour que l’accusé soit déclaré coupable de meurtre au premier degré. [Soulignement omis.]
[20] Le degré de culpabilité est élevé « lorsqu’un meurtre est perpétré par une personne qui commet déjà un abus de pouvoir en dominant illégalement une autre personne [. . .] Aussi, le législateur a‑t‑il décidé d’assimiler ce type de meurtres à des meurtres au premier degré » (Paré, p. 633).
[21] Une conduite qui constitue une violation du par. 279(2) (séquestration) est un des « facteurs aggravants » énumérés au par. 231(5). Le vol qualifié (art. 343) n’y figure pas. L’appelant insiste, très justement, sur la grave conséquence qu’entraîne l’application du par. 231(5), à savoir l’impossibilité de bénéficier d’une libération conditionnelle pendant 25 ans. Il faut, dit‑il, interpréter le par. 231(5) textuellement et téléologiquement en conservant à l’esprit cette conséquence dramatique. Il soutient que [traduction] « [l]a séquestration inhérente à tous les vols qualifiés est souvent minimale et vise seulement à contrer l’éventuelle résistance au vol ». À son avis, « il est préférable de donner à la séquestration une définition qui suppose l’exercice d’une forme de contrainte ou de domination plus grande que celle qui est accessoire à la perpétration d’un vol qualifié » « parce que le juge des faits doit ainsi tenir compte du degré et de la nature de la séquestration pendant un vol qualifié pour décider si le voleur a effectivement séquestré la victime pour une fin autre que celle de faciliter le vol. Cette approche permet d’éviter que la séquestration accessoire à un vol qualifié mène automatiquement à un verdict de meurtre au premier degré lorsque le meurtre se produit au cours d’un vol qualifié » (mémoire de l’appelant, par. 3 (je souligne)). Selon lui, il faut démontrer que la séquestration a eu lieu « indépendamment » du vol qualifié pour que le par. 231(5) puisse être invoqué en l’espèce (par. 80).
[22] Si l’argument de l’appelant était juste, un accusé serait en meilleure position s’il avait séquestré, volé et tué sa victime que s’il l’avait seulement séquestrée et tuée. Un tel résultat irait à l’encontre de l’intention du législateur, car il permettrait qu’un crime non énuméré à la liste du par. 231(5) serve à atténuer l’effet de cette disposition.
[23] L’appelant fait remarquer que le vol qualifié était une infraction sous‑jacente au meurtre selon l’art. 230 du Code criminel, qui visait, dans certaines circonstances, à éliminer l’exigence de faire la preuve d’une prévision subjective de la mort et qui a été annulé par la Cour dans R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633. Il soutient que le ministère public cherche, sur le fondement du par. 231(5), à obtenir de façon détournée ce qu’il n’a pu obtenir directement en s’appuyant sur l’art. 230, c’est‑à‑dire faire du vol qualifié une infraction sous‑jacente. Soit dit en tout respect, ce raisonnement n’est pas convaincant. Il est question de séquestration à l’al. 231(5)e). C’est l’appelant et non le législateur qui a introduit le vol qualifié dans l’argument fondé sur l’al. 231(5)e). En ce qui concerne l’al. 231(5)e), la Cour doit décider si, en plus du meurtre, les éléments constitutifs de l’infraction de séquestration ont été établis (par. 279(2)).
A. La séquestration
[24] Selon la jurisprudence, si pendant un laps de temps assez long Mme Skolos a été soumise à la contrainte physique ou forcée d’agir contre sa volonté, de sorte qu’elle n’était pas libre de ses mouvements, il s’agit d’une séquestration au sens du par. 279(2) : voir Luxton, p. 723; R. c. Gratton (1985), 18 C.C.C. (3d) 462 (C.A. Ont.), le juge Cory, p. 475; R. c. Tremblay, [1997] J.Q. no 1816 (QL), le juge LeBel (maintenant juge de notre Cour), par. 15‑17; et R. c. Mullings, 2005 CarswellOnt 3022 (C.S.J.), le juge Durno, par. 39.
[25] L’emploi du terme « forcible » entre parenthèses dans la version anglaise de l’al. 231(5)e) cause une certaine confusion. La mention entre parenthèses n’est pas une composante essentielle de la disposition; elle y est insérée par souci de commodité. Au paragraphe 279(2), la locution « de force » (forcibly dans la version anglaise) qualifie seulement le verbe « saisit ». Elle ne qualifie pas les verbes « séquestre » et « emprisonne ». Le mot « forcible », qui figure dans la version anglaise de l’al. 231(5)e), n’ajoute rien aux éléments de l’infraction prévue au par. 279(2). Ce qu’il importe de retenir à propos du par. 231(5), toutefois, c’est que non seulement il renvoie aux infractions énumérées (comme celles visées au par. 279(2)), mais qu’il exige aussi, comme nous le verrons plus loin, l’existence d’un lien temporel et causal entre le meurtre et la perpétration de l’infraction énumérée.
B. La séquestration associée à des infractions non énumérées au par. 231(5)
[26] La thèse de l’appelant concernant l’effet immunisant du vol qualifié se fonde sur son interprétation de R. c. Strong (1990), 60 C.C.C. (3d) 516, de la Cour d’appel de l’Alberta, dans lequel la cour a conclu qu’[traduction] « il est clair que le législateur a choisi de ne pas inclure le vol qualifié dans la liste des infractions » énumérées à l’actuel par. 231(5) et qu’il
[traduction] ne peut donc avoir voulu que le recours momentané à la contrainte inhérente à la violence ou à la menace de violence qu’impliquent tous les vols qualifiés déclenche l’application de l’article. Cela équivaudrait à inclure le vol qualifié dans la liste des infractions figurant au [par. 231(5)] sans en faire expressément mention. [Je souligne; p. 527.]
Voir également R. c. Kingsley, [1995] J.Q. no 1325 (QL); R. c. Simon, [2001] J.Q. no 1328 (QL), par. 22. Bien que tous les vols qualifiés impliquent le recours à la violence ou à la menace de violence, la séquestration ne sera pas dans tous les cas, selon le niveau de violence, suffisamment longue pour tomber sous le coup du par. 279(2) (voir Gratton et Tremblay). Le vol qualifié ne comporte pas dans tous les cas la domination de la victime. Ainsi, les meurtres associés à des vols qualifiés ne tombent pas nécessairement sous le coup de l’al. 231(5)e).
[27] Même si la séquestration satisfait aux exigences du par. 279(2), elle ne donnera pas lieu à l’application de l’al. 231(5)e) si elle se dissout dans l’acte même du meurtre. Pour déclencher l’application de l’al. 231(5)e), la séquestration et le meurtre doivent constituer des actes criminels distincts : R. c. Kimberley (2001), 157 C.C.C. (3d) 129 (C.A. Ont.), le juge Doherty, par. 108. Ainsi, pour ce qui est de l’al. 231(5)e), il s’agit de savoir non pas si la séquestration a été perpétrée indépendamment du vol qualifié mais plutôt si la séquestration a été commise de manière distincte et indépendamment du meurtre. Si, comme l’a fait valoir l’avocat de l’appelant [traduction] « le meurtre et la séquestration se confondent, un verdict de meurtre au premier degré est exclu » (transcription, p. 22). Il s’est appuyé sur l’arrêt Kimberley dans lequel la cour énonce (au par. 108) que si [traduction] « la séquestration et le meurtre ne font qu’un » rien ne permet de déclarer l’appelant coupable de meurtre au premier degré par application de l’al. 231(5)e). À titre d’exemple, un meurtrier malhabile pourrait mettre un temps considérable à étrangler à mort sa victime, mais le temps est inextricablement lié au fait de tuer. Toutefois, si le jury est convaincu que la séquestration n’était pas un élément « inhérent » au geste meurtrier mis en preuve, cela signifie que le ministère public a réussi à démontrer la perpétration d’un acte criminel distinct, prévu au par. 279(2). Si le jury est convaincu que le meurtre a été commis pendant cette séquestration de telle sorte que la série d’événements constitue une « seule opération », les exigences de l’al. 231(5)e) sont remplies. Voir R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74, p. 86.
[28] La preuve d’un vol qualifié, à elle seule, ne déclenche pas l’application du par. 231(5), mais elle n’empêche pas non plus son application. Si la perpétration de l’infraction de séquestration a été établie, le fait qu’un vol qualifié rend l’acte encore plus répréhensible n’aidera pas l’accusé. Sur le plan pratique, cette approche semble avoir donné de bons résultats en première instance. Dans R. c. Bradley (2003), 223 Nfld. & P.E.I.R. 225, 2003 PESCTD 30, par exemple, l’accusé, après une consommation immodérée de cocaïne, est entré par effraction dans l’appartement de son ex‑épouse et l’a tuée à coups de hache. Il s’agissait de savoir si l’accusé avait commis le meurtre « en commettant » l’infraction de harcèlement criminel, de telle sorte que son acte criminel devait être assimilé à un meurtre au premier degré par application du par. 231(6). La cour a statué que le fait qu’il soit entré dans l’embrasure de la porte (en [traduction] « grognant » et en tenant ses bras au dessus de sa tête) constituait du harcèlement criminel, surtout compte tenu de la « relation hautement violente » du couple, au cours de laquelle il l’avait traquée et avait menacé de la tuer. Le harcèlement était distinct du meurtre (par. 114) tout en faisant partie, avec le meurtre, de la même opération (par. 109).
[29] Par ailleurs, dans R. c. Sandhu, 2005 CarswellOnt 8306 (C.S.J.), plusieurs accusés ont cerné et tué la victime au cours d’une attaque soudaine, qui a duré entre 30 et 45 secondes. L’accusé a présenté une demande de verdict imposé d’acquittement à l’égard de l’accusation de meurtre au premier degré en raison de la séquestration. La cour a accueilli la demande au motif que la preuve permettait d’établir seulement la perpétration d’un meurtre [traduction] « commis rapidement, efficacement et en collaboration » (par. 21), et non celle de deux infractions distinctes. Certes, les accusés ont séquestré la victime, mais il s’agissait d’un aspect accessoire de l’attaque ayant causé la mort. L’analyse de la cour est compatible avec le raisonnement appliqué dans Paré et Kimberley en ce qui concerne le par. 231(5). Si la séquestration n’implique pas l’exercice d’une domination supplémentaire, alors on ne peut dire que l’accusé a séquestré la victime et qu’il a par la suite exploité cette situation de domination pour commettre le meurtre. Il y a eu seulement un épisode de domination, créé par le meurtre, à l’occasion duquel la victime a été séquestrée. Il ne s’agit pas d’un cas d’application du par. 231(5).
C. Étendre la portée de l’opinion incidente dans R. c. Strong
[30] L’appelant exhorte la Cour à adopter la voie tracée par l’arrêt Strong et les arrêts qui l’ont suivi pour exclure du par. 231(5) non seulement la séquestration « inhérente » à « tout vol qualifié » mais également la séquestration qui « vise » à perpétrer d’autres infractions non énumérées au par. 231(5) ou qui est « accessoire » à une infraction non énumérée (mémoire, par. 59, 72 et 79), une proposition qui embrasse une bonne partie du Code criminel. En fin de compte, comme je l’ai déjà signalé, la thèse de l’appelant consiste à dire qu’il faut démontrer que [traduction] « la séquestration a eu lieu indépendamment de l’infraction qui n’est pas sous‑jacente » (par. 80 (je souligne)).
[31] Cette approche a été rejetée par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans R. c. Gourgon (1979), 19 C.R. (3d) 272, le juge McFarlane, p. 279 :
[traduction] Que ce soit expressément ou implicitement, rien dans ces dispositions ne concerne le but de la séquestration. Rien non plus dans l’historique législatif ne permet de penser que le législateur ait pu restreindre ainsi la notion de « séquestration ». La thèse que la séquestration à seule fin de perpétrer un vol qualifié est exclue ne saurait être retenue. [Je souligne.]
Elle a aussi été rejetée par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Dollan (1982), 65 C.C.C. (2d) 240 (autorisation d’appel refusée, [1982] 1 R.C.S. vii, le juge Zuber, p. 245 :
[traduction] Il importe peu que la séquestration puisse être accessoire à la perpétration d’un autre crime pourvu qu’il y ait eu séquestration en violation [du par. 279(2)] . . .
Elle a été de nouveau rejetée par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans R. c. Pitre (1991), 2 B.C.A.C. 186, le juge Wood, par. 29 :
[traduction] . . . la preuve permettait à un jury qui a reçu des directives appropriées et qui agit de façon raisonnable de conclure que le Dr Piderman était séquestré lors de l’agression ayant entraîné sa mort. Il importe peu de savoir si la séquestration était accessoire ou non à un vol qualifié.
La Cour d’appel de l’Ontario l’a aussi rejetée dans Kimberley, le juge Doherty, par. 103 :
[traduction] Toutefois, la disposition ne contient pas en soi de limite de cette nature. Elle fait mention d’infractions commises en violation de l’art. 279, la séquestration étant l’une des infractions créées par cette disposition. Rien dans l’al. 231(5)e) ne permet de conclure que les séquestrations accessoires ou liées à la perpétration d’autres crimes ne sont pas visées par cette disposition.
De plus, la Cour d’appel de la Saskatchewan l’a rejetée dans R. c. Hein (2004), 189 C.C.C. (3d) 381, la juge Gerwing, par. 27 :
[traduction] . . . la victime a été privée de sa liberté de mouvement et a été rendue impuissante. Cette situation justifiait les directives du juge concernant la possibilité de conclure à l’existence d’un cas de séquestration donnant lieu à un verdict de meurtre au premier degré. Nous concluons que l’exposé au jury ne comporte pas d’erreur.
Voir également R. c. Johnson (2002), 166 C.C.C. (3d) 44 (C.A. Ont.), par. 39.
[32] La thèse que la période de séquestration attribuable à la commission d’une infraction non énumérée ne doit pas être prise en compte pour l’application du par. 231(5) est une fois de plus soulevée en l’espèce et devrait, cette fois encore, être rejetée. Comme je l’ai indiqué au départ, je souscris au raisonnement adopté dans la jurisprudence susmentionnée selon lequel le fait que l’accusé ait séquestré sa victime pour commettre une infraction non énumérée n’empêche pas l’application de l’al. 231(5)e).
D. Le lien temporel et causal
[33] Bien sûr, il faut aussi établir que le meurtrier a tué la victime « en commettant ou tentant de commettre » l’infraction énumérée. Comme il a été souligné dans Paré, il n’est pas pour autant nécessaire qu’il y ait « simultanéité parfaite » entre le meurtre et l’infraction sous‑jacente, mais « l’existence d’un étroit lien temporel et causal » est requise (Paré, p. 629). Comme l’a fait remarquer le juge Wilson dans Paré :
. . . c’est la domination illégale continue exercée sur la victime qui confère de la continuité à la suite d’événements qui aboutissent au meurtre. Le meurtre représente une exploitation de la position de force créée par l’infraction sous‑jacente et fait de l’ensemble des actes qui constituent la conduite en question « une seule affaire ». C’est ce point de vue qui, à mon avis, traduit le mieux la philosophie qui sous‑tend le par. [231(5)]. [p. 633]
[34] La remarque incidente est étayée par le contexte factuel de cet arrêt, où l’accusé a assassiné un jeune garçon deux minutes après avoir commis sur lui un attentat à la pudeur. Le meurtre a été motivé par la crainte que le garçon ne raconte l’incident à sa mère. Il existait un lien temporel (une seule opération continue) et causal (la cause du meurtre étant la crainte que l’agression sexuelle ne soit divulguée) entre le meurtre et l’agression sexuelle. En l’espèce, il était tout aussi loisible au jury de conclure que les infractions étaient liées sur les plans temporel et causal.
E. Résumé de l’interprétation qu’il convient de donner à l’al. 231(5)e)
[35] Ainsi, il ressort de la jurisprudence qu’un meurtre au deuxième degré sera assimilé à un meurtre au premier degré dans les cas où il existe un lien causal et temporel entre le meurtre et l’infraction sous‑jacente (en l’espèce, la séquestration) dans des circonstances qui font de l’ensemble des actes en question une seule affaire (Paré). Le lien temporel‑causal est établi lorsque la séquestration crée une « domination illégale continue [. . .] sur la victime » et que l’accusé choisit d’exploiter sa position de force pour commettre le meurtre (Paré, p. 633, et Johnson, par. 39). Si cette condition est remplie, le fait qu’en cours de route d’autres infractions aient été commises ne saurait empêcher l’application du par. 231(5).
V. Application aux faits
[36] Dans sa déclaration à la police datée du 19 janvier 2000, l’appelant avait souligné qu’il était prévu d’utiliser une arme à feu pour commettre le vol :
[traduction] Il était prévu de s’y rendre armés de fusils afin de le maîtriser, comme, comme je l’avais dit, lorsque vous commettez un de ces vols vous devez tenir les gens en main et c’est avec un fusil qu’on peut le plus facilement y arriver, vous savez que vous pouvez les tenir en main à une distance de cent quinze pieds [. . .] la plupart des gens sont vraiment intimidés et effrayés par la vue d’un fusil. . . [dossier de l’appelant, p. 9004]
[37] À mon avis, le jury pouvait parfaitement conclure, d’après le témoignage de l’appelant, qu’il avait enterré la victime et remarqué la tache de sang derrière sa tête, qu’un coup de feu avait atteint la victime et causé sa mort, et que le recours à un fusil avait aidé l’appelant à dominer la victime en vue de localiser la marijuana et de la transférer dans son camion. Le but de la séquestration (le vol) ne change rien au fait que, sous la menace d’un fusil, la victime a été séquestrée pendant un laps de temps qui, compte tenu de la distance de 250‑300 mètres à parcourir dans la neige, de la planque à la maison, a dû être assez long. D’autre part, la victime est sans doute morte presque aussitôt après avoir été atteinte d’un coup de feu à la tête. Une preuve abondante permettait de conclure que les éléments constitutifs de la séquestration au sens du par. 279(2) commise indépendamment de la perpétration du meurtre avaient été établis.
[38] Il était loisible au jury de conclure que l’appelant, après avoir mis la main sur la marijuana, a choisi d’exploiter sa situation de domination — résultant du fait qu’il avait séquestré Mme Skolos sous la menace d’une arme à feu — pour la tuer, éliminant ainsi un témoin potentiel. Il existait donc un lien temporel et causal suffisant pour faire de ces événements sordides une « seule affaire » au sens de Paré.
[39] Le juge du procès a indiqué au jury que le ministère public devait établir que la victime avait été séquestrée et que la séquestration ne faisait pas [traduction] « partie intégrante du vol qualifié ». Cette directive était favorable à l’appelant étant donné qu’elle donnait à penser que la séquestration faisant partie « intégrante » du vol qualifié et celle faisant partie « intégrante » du meurtre ne déclencheraient pas l’application de l’al. 231(5)e).
[40] Le jury s’est appuyé sur une directive exempte d’erreur justifiant annulation pour rendre son verdict et, comme la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, je suis d’avis de maintenir le verdict.
VI. Dispositif
[41] Le pourvoi est rejeté.
Pourvoi rejeté.
Procureur de l’appelant : Legal Services Society of British Columbia, Vancouver.
Procureur de l’intimée : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Vancouver.