Cour suprême du Canada
Reibl c. Hughes, [1980] 2 R.C.S. 880
Date: 1980-10-07
John Reibl (Demandeur) Appelant;
et
Robert A. Hughes (Défendeur) Intimé.
1980: 5 juin; 1980: 7 octobre.
Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre et Chouinard.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
Voies de fait—Consentement—Divulgation—Endartériectomie pour réduire le risque d’attaque ultérieure—Risque d’attaque ou de décès pendant ou après l’opération—Attaque causant la paralysie—Aucune divulgation sauf l’avis que le risque d’attaque est supérieur à défaut d’opérer—Consentement valide ou non—Voies de fait ou non.
Médecins et chirurgiens—Négligence—Obligation de diligence—Divulgation—Causalité—Endartériectomie pour réduire le risque d’attaque—Risque d’attaque ou de décès pendant ou après l’opération—Attaque causant la paralysie—Aucune divulgation sauf l’avis que le risque d’attaque est supérieur à défaut d’opérer—Intimé conscient de l’inquiétude de l’appelant au sujet de son droit à une pension—Négligence ou non de l’intimé.
Pendant ou immédiatement après une opération grave mais pratiquée selon les règles de l’art, Reibl a été victime d’un accident cérébro-vasculaire qui l’a laissé paralysé du côté droit et invalide. Le risque d’un accident cérébro-vasculaire, d’une paralysie et même de la mort était présent à la fois pendant l’opération ou après et si le patient refusait de la subir. En répondant aux questions du patient sur le risque d’accident cérébro-vasculaire, le chirurgien ne l’a pas informé des risques de paralysie durant ou après l’opération, mais a souligné que le risque de paralysie était plus grand si le patient ne subissait pas l’opération. En témoignage, le patient a déclaré qu’il aurait renoncé à cette opération facultative jusqu’à ce qu’il ait acquis un droit à une pension à vie un an et demi plus tard, et aurait choisi une vie plus courte et normale de préférence à une vie plus longue d’invalide. La nature des renseignements donnés par le chirurgien intimé et leur suffisance dans les circonstances vont au cœur des questions considérées par la Cour.
En première instance, Reibl a reçu des dommages-intérêts pour voies de fait et négligence malgré son consentement formel à l’opération, parce que son consentement n’était pas un «consentement éclairé»; il a fait valoir qu’il n’avait pas été informé des risques d’accident
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cérébro-vasculaire ou de paralysie résultant de l’opération. La Cour d’appel de l’Ontario a ordonné un nouveau procès tant sur la responsabilité que sur les dommages-intérêts, mais a écarté les voies de fait comme fondement possible de la responsabilité. La responsabilité est la seule question en litige devant cette Cour. Le défendeur intimé cherche à faire confirmer le jugement attaqué et à le faire modifier par le rejet de l’action. Vu le temps écoulé depuis que les dommages corporels sont survenus, un nouveau procès devient indésirable.
Arrêt: Le pourvoi est accueilli.
En l’absence de bonnes raisons pour ordonner un nouveau procès sur la seule question de la responsabilité, il faut alors décider si l’on doit rétablir le jugement de première instance sur l’un ou l’autre de ses fondements ou sur les deux, ou s’il faut exonérer le défendeur de toute responsabilité.
La vulgarisation de l’expression «consentement éclairé» pour ce qui est, au fond, un devoir de divulguer certains risques de la chirurgie ou de la thérapie joue un rôle dans la reconnaissance des voies de fait comme fondement de la responsabilité, même lorsqu’il y a eu consentement exprès qu’on n’a pas outrepassé. La distinction entre la situation où un manquement au devoir de divulguer appuie une action fondée sur les voies de fait et celle où ce manquement dénote seulement de la négligence est non seulement difficile à appliquer mais également incompatible avec les éléments du droit d’action pour voies de fait. Les actions relatives à une opération ou à un autre traitement médical devraient être limitées aux cas où l’opération a été pratiquée ou le traitement administré sans aucun consentement ou, exception faite des urgences, si l’on est allé au-delà du consentement donné. Cette norme comprendrait les cas où il y a eu une présentation inexacte de l’opération ou du traitement pour lequel un consentement a été obtenu et une intervention chirurgicale ou un traitement différent. Dans les situations où l’on allègue que les risques que comporte l’opération ou le traitement n’ont pas été divulgués au patient alors qu’ils auraient dû l’être, mais que l’opération pratiquée ou le traitement administré est bien ce à quoi le demandeur a consenti (en présumant que la responsabilité ne peut être fondée sur la négligence), l’omission de divulguer ne vicie pas le consentement de sorte que l’opération ou le traitement constitue une atteinte injustifiée, non autorisée et volontaire de l’intégrité physique du patient. Malgré qu’il soit tentant de dire que l’authenticité du consentement à un traitement médical est fonction de la divulgation adéquate des risques qu’il comporte, en l’absence de présentation inexacte ou de fraude pour obtenir le consentement au traitement, l’omission de divulguer les risques que com-
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porte l’opération quelle que soit leur importance, devrait relever de la négligence et non des voies de fait.
Quant à la norme de divulgation des risques, ce serait aller trop loin de dire qu’«il est préférable de laisser à la discrétion du médecin la façon d’expliquer à un patient donné la nature et le degré de risque que comporte l’intervention». Permettre que les témoignages des médecins experts déterminent quels sont les risques importants et, donc, ceux à divulguer et quels risques ne sont pas importants, équivaut à confier à la profession médicale toute la question de la portée du devoir de divulguer, y compris celle de savoir s’il y eut manquement à ce devoir. Bien sûr, les témoignages des médecins experts sont pertinents aux conclusions sur les risques inhérents à l’opération ou autre traitement envisagé, ou qui en résultent. Mettre à l’épreuve des experts médicaux la divulgation des risques n’est pas concluant parce que le patient peut avoir exprimé des inquiétudes au médecin et ce dernier est tenu d’y répondre de façon raisonnable. Le devoir de divulgation du médecin s’applique aussi bien à ce qu’il sait ou devrait savoir qu’un certain patient considère pertinent à la décision de subir ou non le traitement prescrit, qu’aux risques importants que les connaissances médicales requises permettent d’identifier. L’importance de la non-divulgation de certains risques sur le consentement éclairé est une question qui relève de l’arbitre des faits, question sur laquelle il y aura probablement des témoignages de médecins mais également d’autres témoignages, dont celui du patient ou de membres de sa famille.
Sur la question de causalité, la Cour s’est demandé objectivement dans quelle mesure la prépondérance des risques de l’opération sur ceux de l’absence d’opération pèse en faveur de l’intervention chirurgicale. Le défaut de bien divulguer le pour et le contre et toute considération spéciale touchant un patient donné deviennent très pertinents. Ce n’est pas parce que la preuve médicale établit le caractère raisonnable de l’opération envisagée qu’une personne raisonnable placée dans la situation du patient accepterait nécessairement de la subir, si on lui divulguait de façon adéquate les risques que comporte l’opération comparés aux risques de ne pas la subir. La situation particulière du patient et l’équilibre des risques que présente l’opération ou l’absence d’opération réduiraient, dans une évaluation objective, l’effet de la recommandation du chirurgien. En décidant quelle décision aurait prise une personne raisonnable placée dans la situation du patient, la situation particulière du patient doit être considérée objectivement et non subjectivement.
En l’espèce, une personne raisonnable placée dans la situation du demandeur aurait, suivant la prépondérance
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des probabilités, choisi de ne pas subir l’opération à ce moment particulier.
Jurisprudence: Arrêts examinés: Hopp c. Lepp, [1980] 2 R.C.S. 192; Kelly v. Hazlett (1976), 15 O.R. (2d) 290; Schloendorff v. Society of New York Hospital (1914), 211 N.Y. 125, 105 N.E. 92.
POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1], qui a ordonné un nouveau procès tant sur la responsabilité que sur les dommages-intérêts. Pourvoi accueilli.
D.W. Goudie, c.r., pour le demandeur, appelant.
D.K. Laidlaw, c.r., et C.L. Campbell, c.r., pour le défendeur, intimé.
Version française du jugement de la Cour rendu par
LE JUGE EN CHEF—Le demandeur appelant, alors âgé de 44 ans, a subi une intervention chirurgicale grave le 18 mars 1970 pour faire supprimer une obstruction à l’artère carotide interne gauche, qui avait réduit à quinze pour cent la circulation sanguine dans le vaisseau. L’opération a été pratiquée selon les règles de l’art par le défendeur intimé, un neurochirurgien compétent. Cependant, au cours de l’opération ou immédiatement après, le demandeur a été victime d’un accident cérébrovascular qui l’a laissé paralysé du côté droit et invalide. Le demandeur avait, bien sûr, consenti formellement à l’opération. Toutefois, il a introduit une action en dommages-intérêts fondée sur la négligence et les voies de fait, alléguant que son consentement n’était pas un «consentement éclairé». En première instance, le juge Haines lui a accordé une indemnité globale de $225,000.
La Cour d’appel de l’Ontario à la majorité a ordonné un nouveau procès tant sur la responsabilité que sur les dommages-intérêts. Par la voix du juge Brooke (aux motifs duquel le juge Blair a souscrit), la Cour a écarté les voies de fait comme fondement possible de la responsabilité, compte tenu des faits. Le juge Jessup, dissident en partie, aurait ordonné un nouveau procès sur la seule question des dommages-intérêts, acceptant le jugement de première instance sur la responsabilité.
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A l’audition du pourvoi par cette Cour, suite à l’autorisation d’interjeter appel obtenue par le demandeur, l’avocat du défendeur intimé a consenti à accepter l’indemnité accordée et à limiter sa contestation à la responsabilité, cherchant non seulement à faire confirmer le jugement attaqué mais à le faire «modifier» par le rejet de l’action. Bien que, strictement parlant, la demande de modification eût dû faire l’objet d’un pourvoi incident, l’avocat de l’appelant ne s’y est pas opposé et je ne vois pas pourquoi je ne régulariserais pas cette demande de rejet nunc pro tunc. En fait, ni l’un ni l’autre des avocats ne désirent un nouveau procès, ce qui se comprend bien puisqu’il s’est écoulé plus de dix ans depuis que les dommages corporels sont survenus. Donc, à moins que de bonnes raisons n’appuient l’ordonnance de nouveau procès sur la seule question de la responsabilité, il faut alors décider si l’on doit rétablir le jugement de première instance sur l’un ou l’autre de ses fondements ou sur les deux, ou s’il faut exonérer le défendeur de toute responsabilité.
Il n’y a plus de doute maintenant que la relation entre un chirurgien et son patient fait naître chez le chirurgien le devoir de divulguer au patient ce que j’appelerai tous les risques importants que présente l’opération recommandée. La portée du devoir de divulguer a été examinée dans l’arrêt de cette Cour Hopp c. Lepp[2], à la p. 210; elle y est énoncée comme suit:
En résumé, la jurisprudence indique qu’en obtenant le consentement d’un patient à une opération chirurgicale sur sa personne, un chirurgien doit, généralement, répondre aux questions précises que lui pose le patient sur les risques courus et doit, sans qu’on le questionne, lui divulguer la nature de l’opération envisagée, sa gravité, tous risques importants et tous risques particuliers ou inhabituels que présente cette opération. Cependant, ceci dit, il faut ajouter que l’étendue du devoir de divulguer et la question de savoir s’il y a eu manquement sont des questions qu’il faut décider en tenant compte des circonstances de chaque cas particulier.
Dans l’arrêt Hopp c. Lepp, précité, la Cour a également fait remarquer que même si un certain risque ne constitue qu’une simple possibilité qu’il n’est généralement pas nécessaire de divulguer, on
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doit le considérer comme un risque important qu’il faut divulguer, si sa réalisation entraîne des conséquences graves, par exemple, la paralysie ou la mort.
En l’espèce, l’opération ou ses suites présentaient le risque d’un accident cérébro-vasculaire, d’une paralysie et même de la mort. C’était, sans aucun doute, un risque important. Par ailleurs, il ressort clairement de la preuve que si le patient refusait l’opération pour supprimer l’obstruction, il risquait également de subir un accident cérébrovasculaire pouvant entraîner la mort. Il ne fait aucun doute que cette opération est très délicate et on ne prétend plus du tout qu’elle a été pratiquée incorrectement. (Je ferais remarquer que la question de la suffisance des soins postopératoires n’a pas été soulevée devant cette Cour.) Donc, dans une situation telle la présente, jusqu’où doit aller la précision des renseignements pour permettre au patient de faire un choix «éclairé» sur la question de savoir s’il doit subir l’opération ou refuser de la subir? Un des facteurs importants pour le demandeur était le fait qu’il ne restait environ qu’un an et demi à courir pour qu’il ait droit à une pension à vie en tant qu’employé de Ford Motor Company. Le juge de première instance a fait remarquer (pour reprendre ses paroles) que [TRADUCTION] «à cause de la tragédie dont il a été victime à ce moment précis, il ne peut recevoir certaines indemnités pour incapacité prolongée prévues par la convention collective entre Ford Motor Company of Canada Limited et ses employés payés à l’heure ayant dix ans d’ancienneté». Au moment de l’opération, le demandeur travaillait pour son employeur depuis 8.4 ans. Il a déclaré dans son témoignage que, si on l’avait bien renseigné sur l’ampleur du risque que présentait l’opération, il aurait décidé de ne pas la subir, du moins pas avant d’avoir droit à sa pension et, de plus, il aurait choisi une vie normale plus courte de préférence à une vie plus longue d’invalide à cause de l’opération. Bien qu’une intervention chirurgicale facultative ait été indiquée dans l’état du demandeur, il n’y avait (comme l’a conclu le juge de première instance) aucune urgence nécessitant un traitement chirurgical immédiat.
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Cela me ramène à la question de la nature des renseignements donnés par le chirurgien intimé au demandeur et leur suffisance dans les circonstances. J’examinerai tour à tour, (1) les constatations et la conclusion du juge de première instance sur cette question; (2) la question de savoir si, vu ses constatations, la conclusion de responsabilité pour voies de fait était fondée; (3) l’évaluation faite par la Cour d’appel pour ordonner un nouveau procès; et (4) la preuve en l’espèce qui, à l’appui des prétentions du demandeur, comprend principalement son témoignage et celui de deux neurochirurgiens, les Dr Irving Schacter et Robert Elgie, et des extraits de l’interrogatoire préalable du défendeur et, à l’appui des arguments du défendeur, comprend son témoignage et celui d’un neurochirurgien, le Dr William Lougheed, les deux seuls témoins cités par le défendeur; (5) le devoir de divulguer et l’examen des conclusions des cours d’instance inférieure et (6) la question de savoir si le lien de causalité a été établi.
1. Les constatations du juge de première instance
Le juge de première instance a abordé la question de la divulgation adéquate des risques que comporte l’opération en précisant tout d’abord la portée du devoir de divulguer. Il a dit:
[TRADUCTION] Relativement à une réclamation fondée sur la négligence, la question du consentement éclairé à un traitement est concomitante de l’obligation de diligence du médecin. L’obligation de compétence et de prudence du chirurgien qui informe et conseille suffisamment son patient sur les risques particuliers que présente l’intervention chirurgicale envisagée, découle de la relation qui existe entre eux. C’est un exemple particulier du devoir imposé aux membres des professions libérales qui sont placés dans une situation fiduciaire et sont appelés, expressément ou implicitement, à fournir des renseignements ou des conseils à un client qui désire être guidé dans sa décision et qui a le droit de l’être: Nocton v. Lord Ashburton, [1914] A.C. 932; Kenny v. Lockwood, [1937] O.R. 142. Ce devoir n’exige pas que l’on informe le patient des dangers inhérents ou possibles que présente toute intervention chirurgicale, tels les dangers de l’anesthésie, le risque d’infection, questions dont toute personne raisonnable est présumée consciente. Il concerne les risques précis connus du chirurgien et propres au traitement envisagé. La portée de ce devoir professionnel de diligence est déterminée par l’évaluation de nombreux facteurs intimement liés dont
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l’importance est particulière à chaque cas, comme une urgence exigeant un traitement immédiat, le tempérament et le niveau intellectuels du patient, sa capacité d’apprécier les faits pertinents et de s’y adapter, la gravité des risques connus, selon à la fois leur probabilité et leur intensité s’ils se réalisent. La difficulté évidente qu’éprouve un tribunal non spécialisé à évaluer lui-même ces facteurs, a fait qu’en ce domaine du droit, on a laissé la détermination de la portée de ce devoir dans chaque cas particulier au jugement médical, question que les cours doivent trancher en se fondant sur le témoignage de médecins experts.
Le juge de première instance a ensuite tiré les conclusions suivantes:
[TRADUCTION] Compte tenu des témoignages des experts, les Dr Schacter et Elgie, je suis d’avis que, dans les circonstances de l’espèce, le devoir du chirurgien, défini par la pratique générale reconnue dans la collectivité neurochirurgicale, consistait à expliquer au patient le problème que présentait la sténose [soit le rétrécissement] de cette artère et, en raison des graves complications possibles pour le système nerveux central, à expliquer le mieux possible au patient les risques précis inhérents à ce type de chirurgie artérielle, en fournissant suffisamment de données anatomiques et statistiques pour permettre au patient de comprendre l’importance du risque qu’il courait, soit de mourir des suites de l’opération soit d’être victime d’un accident cérébro-vasculaire qui pourrait le rendre invalide. Dans ces circonstances, le chirurgien devait également expliquer au patient les risques que comportait le refus de subir l’opération. La décision face à l’opération relevait alors du patient qui, les experts l’ont reconnu, armé de la recommandation du chirurgien de subir l’opération, serait néanmoins conscient que, pour un bon motif, il lui était possible d’y renoncer.
Il n’était pas difficile, dans les circonstances, de s’acquitter du devoir dont je parle. Comme je l’ai fait remarquer, le demandeur est un homme intelligent et tout à fait capable de suivre une explication simple mais suffisante du risque qu’on lui demandait de prendre. Je suis convaincu que si le Dr Hughes avait fait venir son patient et lui avait dit, se servant d’un croquis explicatif au besoin—«J’ai l’intention de supprimer une obstruction partielle dans une artère à quelques pouces de votre cerveau. Il se pourrait que, par suite de cette intervention, un fragment de tissus pénètre dans votre cerveau et, dans ce cas, vous avez 4 pour cent de chances de mourir et 10 pour cent d’être victime d’un accident cérébro-vasculaire», il ne fait aucun doute que le demandeur aurait catégoriquement refusé. Le demandeur avait le droit de connaître ce risque et le défendeur avait le
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devoir de le lui divulguer. Je n’ai aucun doute, après avoir évalué les témoignages du demandeur et de son épouse, celui du défendeur de même que les extraits pertinents de l’interrogatoire préalable du défendeur, que le défendeur a manqué à son devoir à deux points de vue importants. Tout d’abord, je conclus que, bien qu’il ait fait comprendre la marche de l’opération au demandeur de sorte que celui-ci savait qu’on allait pratiquer une opération pour supprimer l’obstruction d’une artère menant au cerveau, le défendeur n’a pas suffisamment expliqué au demandeur le but de l’opération. Par conséquent, je conclus que le demandeur a probablement été laissé sous la fausse impression que l’opération visait à soulager ses maux de tête, à réduire sa tension artérielle et à lui permettre de travailler normalement. De plus, et ce qui est plus important, je suis d’avis que le défendeur ne s’est pas suffisamment soucié de faire comprendre au demandeur, et de s’assurer qu’il avait compris la gravité, la nature et l’étendue des risques précis que comporte l’endartériectomie, en particulier le risque de décès ou d’accident cérébro-vasculaire plus ou moins grave que peut entraîner l’opération. Le témoignage du défendeur sur cette question présente les incohérences et les imprécisions compréhensibles que le passage de six ans et demi ne manque pas de produire. Tout bien considéré, je retiens de son témoignage qu’il a dit au demandeur qu’il serait préférable qu’il subisse l’opération. En mettant les choses au mieux, je suis d’avis que l’ambiguïté de ses explications était telle qu’elle était susceptible de laisser croire, même à un patient qui maîtrise mieux la langue anglaise que le demandeur, que le seul facteur important était la probabilité relative d’une vie en bonne santé dont il jouirait au cours des prochaines années grâce à l’opération et dont il se priverait en y renonçant. Je suis d’avis qu’il n’a pas expliqué avec toute l’attention qu’il devait les risques précis que pouvait entraîner l’échec de l’opération. Le demandeur a donc eu l’impression que l’opération ne comportait aucun risque important, sauf les risques inhérents à toute intervention chirurgicale. Je conclus également que c’est par suite de la violation du devoir du défendeur que le demandeur a consenti à subir l’opération et je suis convaincu, compte tenu de la preuve, qu’il n’aurait pas donné ce consentement n’eût été la négligence susmentionnée du défendeur dans l’exécution de son devoir.
Pour ces motifs, je suis également d’avis que le défendeur est responsable de voies de fait.
2. La responsabilité pour voies de fait
A mon avis, ces constatations ne justifient pas la conclusion de responsabilité pour voies de fait. La vulgarisation de l’expression «consentement
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éclairé» pour ce qui est, au fond, un devoir de divulguer certains risques de la chirurgie ou de la thérapie paraît avoir joué un certain rôle dans la reconnaissance des voies de fait comme fondement de la responsabilité, même lorsqu’il y a eu consentement exprès au traitement et que le chirurgien ou le thérapeute a agi dans le cadre du consentement donné. Il serait préférable d’abandonner l’expression lorsqu’elle tend à confondre voies de fait et négligence. Le juge Haines en première instance a adopté la distinction faite par le juge Morden, tel était alors son titre, dans l’arrêt Kelly v. Hazlett[3] entre la situation où un manquement au devoir de divulguer appuie une action fondée sur les voies de fait et celle où ce manquement dénote seulement de la négligence. Le juge Morden s’est exprimé comme suit aux pp. 312 et 313:
[TRADUCTION] A mon sens, il est raisonnable d’examiner la question du consentement éclairé, pour ce qui est des allégations de voies de fait, sous l’angle des renseignements donnés. Si la nature et le caractère mêmes de l’opération pratiquée sont en substance ce qui avait été recommandé au demandeur et ce à quoi il a consenti, alors il n’y a pas eu atteinte à la personne du demandeur sans son consentement, indépendamment de toute omission de divulguer les risques indirects qu’entraîne l’opération. Toutefois, si l’on peut établir que cette omission a causé un préjudice au patient et qu’aucun motif médical raisonnable ne la justifiait, elle peut faire l’objet d’une réclamation fondée sur la négligence.
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Toutefois, il faut reconnaître que ce critère présente des faiblesses aussi bien théoriques que pratiques. Dans certains cas, il sera difficile de distinguer et de dissocier la question des risques consécutifs ou indirects de la nature et du caractère mêmes de l’opération ou de l’intervention prévue. C’était peut-être la situation dans Halushka v. University of Saskatchewan [(1965), 53 D.L.R. (2d) 436]. Plus le risque est probable plus l’on peut dire qu’il fait partie intégrante de la nature et du caractère de l’opération. De plus, même si un risque est réellement indirect, tout en étant important, on peut dire que sa divulgation est à ce point essentielle à une décision éclairée de subir l’opération que le défaut de le divulguer vicie le consentement.
Ce juge avait dit plus tôt dans ses motifs (à la p. 310) que [TRADUCTION] «la question du consentement «éclairé» peut se présenter à la fois dans les
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actions fondées sur les voies de fait et dans celles fondées sur la négligence: pour les premières, le défaut du médecin de donner des renseignements suffisants à son patient peut vicier le consentement apparent, alors que, pour les dernières, l’omission de s’assurer qu’un patient est bien informé peut équivaloir, dans certaines circonstances, à un acte de négligence».
La distinction qu’on a voulu faire est, à mon avis, non seulement d’application très difficile mais également incompatible avec les éléments du droit d’action pour voies de fait. L’acte délictuel est intentionnel, puisque c’est une atteinte injustifiée et non autorisée à la sécurité physique d’une personne. Il est vrai qu’elle offre à un demandeur certains avantages dont il ne bénéficie pas dans une action fondée sur la négligence puisqu’elle n’exige pas la preuve de la causalité et qu’elle impose au défendeur l’obligation de prouver qu’il y a eu consentement à ce qui a suivi. Ici encore la preuve médicale n’est pas nécessaire, bien qu’il me semble que si l’on invoque les voies de fait lorsqu’il y a eu certains manquements au devoir de divulguer, il faudrait qu’une preuve de cette nature soit faite devant le tribunal pour lui permettre de décider s’il y a eu un tel manquement.
Dans l’arrêt Schloendorff v. Society of New York Hospital[4], aux pp. 129 et 130 et à la p. 93 respectivement, le juge Cardozo a déclaré que [TRADUCTION] «tout être humain adulte et sain d’esprit a le droit de décider ce que doit subir son propre corps; un chirurgien qui pratique une opération sans le consentement de son patient commet des voies de fait pour lesquelles il est passible de dommages-intérêts». On ne peut étendre la portée de cette déclaration bien connue au-delà de sa teneur littérale pour appuyer une action fondée sur les voies de fait lorsqu’un patient a consenti à subir l’intervention chirurgicale pratiquée sur lui, mais qu’il y a eu violation du devoir de divulguer les risques qu’elle comportait. A mon avis, les actions fondées sur les voies de fait relatives à une opération ou à un autre traitement médical devraient être limitées aux cas où l’opération a été pratiquée ou le traitement administré sans aucun consente-
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ment ou, exception faite des urgences, lorsque l’opération ou le traitement va au-delà de ce à quoi le patient a consenti.
Cette norme comprendrait les cas où il y a eu une présentation inexacte de l’opération ou du traitement pour lequel un consentement a été obtenu et une intervention chirurgicale ou un traitement différent. Voir par exemple, Marshall v. Curry[5] (consentement à une opération pour traiter une hernie; le médecin procède à l’ablation des testicules du patient; action pour voies de fait); Murray v. McMurchy[6], (consentement à une césarienne; le médecin pratique la stérilisation de la patiente; le médecin est responsable d’atteinte à l’intégrité physique de la personne); Mulloy v. Hop Sang[7], (on demande au médecin de remettre une main en état, et non pas d’amputer; il procède à l’amputation; il est jugé responsable d’atteinte à l’intégrité physique); Winn v. Alexander and the Soldiers’ Memorial Hospital[8] (consentement à une césarienne; le médecin procède ensuite à la stérilisation de la patiente); Schweizer v. Central Hospital et al.[9] (le patient consent à une opération à l’orteil; le médecin pratique une opération dans le dos (arthrodèse); le médecin est responsable d’atteinte à l’intégrité physique de la personne).
Dans les situations où l’on allègue que les risques que comporte l’opération ou le traitement n’ont pas été divulgués au patient alors qu’ils auraient dû l’être, mais que l’opération pratiquée ou le traitement administré est bien ce à quoi le demandeur a consenti (la responsabilité ne peut être fondée sur la négligence pour l’opération ou le traitement recommandé compte tenu de l’état du patient), je ne comprends pas comment on peut dire que l’omission de divulguer vicie le consentement de sorte que l’opération ou le traitement constitue une atteinte injustifiée, non autorisée et volontaire à l’intégrité physique du patient. Je comprends qu’il soit tentant de dire que l’authenticité du consentement à un traitement médical est fonction de la divulgation adéquate des risques qu’il comporte, mais, à mon avis, en l’absence de
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présentation inexacte ou de fraude pour obtenir le consentement au traitement, l’omission de divulguer les risques que comporte l’opération quelle que soit leur importance, devrait relever de la négligence et non des voies de fait. Bien que cette omission ait trait au choix éclairé de subir ou de refuser le traitement approprié et recommandé, elle se présente comme la violation d’une obligation antérieure de diligence comparable, en termes d’obligation juridique, à l’obligation de diligence dans l’administration du traitement particulier auquel a consenti le patient. Ce n’est pas un critère de la validité du consentement.
3. L’évaluation de la Cour d’appel
Le juge Brooke, qui s’est exprimé au nom de la majorité de la Cour d’appel, a fait remarquer avec raison que [TRADUCTION] «Le devoir envers le patient [celui de divulguer] est déterminé par la Cour et, s’il est accepté, le témoignage des experts sert à déterminer si le défendeur s’en est acquitté. Pour qu’il y ait un droit d’action [fondé sur la négligence], le manquement du défendeur à son devoir de diligence doit causer des pertes et un préjudice au demandeur». Il a ensuite examiné les motifs de jugement du juge Haines et en a commenté comme suit la décision:
[TRADUCTION] A mon avis, vu la conclusion que le demandeur avait l’impression que l’opération ne présentait que les risques et conséquences possibles de toute intervention chirurgicale, on doit présumer que le savant juge de première instance a rejeté l’explication du défendeur que le demandeur savait que l’opération pouvait causer un accident cérébro-vasculaire. Il importe de noter que le savant juge de première instance ne se prononce pas sur la crédibilité et, en fait, qu’il ne met pas en doute l’affirmation du défendeur portant qu’il croyait que le demandeur comprenait le risque. Toutefois, le savant juge de première instance n’appuie pas seulement son jugement sur l’absence de mise en garde, mais également sur le fait que le défendeur n’a pas pris soin d’expliquer suffisamment le degré de risque. Il s’est appuyé sur les témoignages des docteurs Elgie et Schacter et, avec égards, je crois que, compte tenu de l’importance que le savant juge de première instance accorde aux données statistiques, il n’a pas saisi l’importance réelle des témoignages de ces deux médecins. Les docteurs Schacter et Elgie ont apparemment abordé de façon analogue la question de l’explication des risques de l’opération, mais l’accent ne portait pas sur les don-
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nées statistiques. Seul le Dr Elgie a parlé de statistiques en expliquant de quelle façon il conseillerait un patient dont il cherche à obtenir le consentement pour pratiquer cette opération et, à cet égard, sa réponse est différente de celle du Dr Schacter.
Le juge Brooke a fait une critique sévère de l’utilisation de statistiques non expliquées qui paraissent se rapporter au degré de risque que comporte une opération particulière. Voici ce qu’il a dit à cet égard:
[TRADUCTION] Il suffit de remarquer à quel point les statistiques données par les docteurs Hughes et Elgie dans leur témoignage varient pour démontrer la confusion qui pourrait résulter de leur utilisation. En contre-interrogatoire le Dr Hughes a répondu qu’il évaluait à 4 pour cent la possibilité de décès résultant de l’opération, ce qui correspond au plus haut pourcentage donné par le Dr Elgie qui la situe entre 2 et 4 pour cent. Relativement aux accidents cérébro-vasculaires entraînant la paralysie ou une invalidité temporaire, le Dr Hughes a évalué la possibilité à 10 pour cent, ce qui est cinq fois le plus petit pourcentage donné par le Dr Elgie et presque deux fois et demi son pourcentage le plus élevé. Cumulativement, les pourcentages du Dr Hughes totalisent 14 pour cent ce qui est trois fois plus que l’évaluation le plus basse du Dr Elgie et deux fois plus que son évaluation la plus haute. Elles diffèrent vraiment beaucoup. On n’a pas expliqué la raison de cette différence. Personne ne l’a demandé aux médecins. Et pourtant, dans ses motifs et, en particulier, dans son analyse de la conduite du défendeur, le juge de première instance a mentionné principalement les statistiques données par le Dr Hughes bien que l’on n’ait pas allégué que le médecin ait voulu s’en servir. Si la différence résulte uniquement ou partiellement de l’expérience personnelle des chirurgiens, comme semblent l’indiquer certains éléments de preuve, alors peut-être s’explique-t-elle par la nature des cas rencontrés par chacun des médecins, et les chances de survie dans les cas traités par l’un d’eux étaient inférieures à celles des cas traités par l’autre. Si tel est le cas, il y avait peut-être de bonnes raisons de ne pas mentionner de statistiques au patient, mais de simplement comparer sa situation s’il subit l’opération et s’il refuse de la subir, et de l’encourager à la subir compte tenu de son jeune âge et de sa force qui lui assuraient des chances de survie. Je ne crois pas que la preuve justifie la déclaration du savant juge de première instance et j’hésiterais à formuler de telles exigences car, à mon avis, les statistiques peuvent être très trompeuses. Il est préférable de laisser à la discrétion du médecin la façon d’expliquer à un patient donné la nature et le degré de risque que comporte l’intervention. La suffisance de l’explication est facile à vérifier.
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Je crois que la Cour d’appel de l’Ontario est allée trop loin pour ce qui est de la norme de divulgation des risques lorsqu’elle dit, dans le passage susmentionné de ses motifs, que [TRADUCTION] «il est préférable de laisser à la discrétion du médecin la façon d’expliquer à un patient donné la nature et le degré de risque que comporte l’intervention». Bien sûr, on peut la mettre à l’épreuve du témoignage de médecins experts, mais cela non plus n’est pas concluant. Le patient peut avoir exprimé des inquiétudes au médecin et ce dernier est tenu d’y répondre de façon raisonnable. Le devoir de divulgation du médecin s’applique aussi bien à ce qu’il sait ou devrait savoir qu’un certain patient considère pertinent à la décision de subir ou non le traitement prescrit, qu’aux risques importants que les connaissances médicales requises permettent d’identifier.
Il importe d’examiner plus à fond cette question. La Cour d’appel de l’Ontario a adopté une norme médicale professionnelle non seulement pour déterminer les risques importants à divulguer mais également, et concurremment, pour déterminer s’il y a eu manquement au devoir de divulguer. C’est également la façon dont le juge de première instance a abordé la question, même si sa conclusion sur les faits est défavorable au défendeur. (En réalité, le juge de première instance semble avoir donné une trop grande portée au devoir de divulguer. La Cour d’appel, au contraire, semble l’avoir trop restreint. De façon générale, le défaut de mentionner des statistiques ne devrait pas influer sur le devoir de divulguer ni constituer un facteur dans la décision de savoir s’il y a eu manquement au devoir.) Permettre que les témoignages des médecins experts déterminent quels sont les risques importants et, donc, ceux à divulguer et, corrélativement, quels risques ne sont pas importants, équivaut à confier à la profession médicale toute la question de la portée du devoir de divulguer, y compris celle de savoir s’il y a eu manquement à ce devoir. Bien sûr, les témoignages des médecins experts sont pertinents aux conclusions sur les risques inhérents à l’opération ou autre traitement envisagé, ou qui en résultent. Ils seront également utiles pour déterminer l’importance des risques, mais cette question ne doit pas être résolue sur la seule foi des témoignages des médecins experts. La
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question en litige ici diffère de celle qui se présente lorsqu’il s’agit de savoir si le médecin a exercé son activité professionnelle conformément aux normes professionnelles applicables. Il s’agit ici d’examiner quels sont les droits du patient de connaître les risques que comporte sa décision d’accepter ou de refuser de subir une opération ou un traitement.
L’importance de la non-divulgation de certains risques sur le consentement éclairé est une question qui relève de l’arbitre des faits, question sur laquelle il y aura vraisemblablement des témoignages de médecins, mais également d’autres témoignages, dont celui du patient ou de membres de sa famille. Certes, il est possible qu’un patient donné écarte la question des risques et soit tout à fait disposé à subir l’opération ou traitement, quels qu’ils soient. Pareille situation ne présente aucune difficulté. Encore une fois, il se peut qu’en raison de facteurs émotifs, un patient donné soit incapable de faire face aux faits pertinents à l’opération ou au traitement envisagé et, dans un tel cas, le médecin peut être justifié de taire ou de généraliser des renseignements qui devraient normalement être plus précis.
Un commentaire intitulé «New Trends in Informed Consent?» (1975), 54 Neb. L. Rev. 66, aux pp. 90, 91, donne un résumé utile des questions sur lesquelles le témoignage de médecins demeure important dans les cas de non-divulgation. Après avoir fait remarquer que le témoignage de médecins ne devrait pas dicter la décision relative au manquement à la norme de diligence, l’auteur poursuit (en mentionnant l’arrêt Canterbury v. S pence, cité plus loin):
[TRADUCTION] Même dans l’arrêt Canterbury on dit formellement que le témoignage d’experts demeurera nécessaire, sauf dans les cas les plus clairs, pour établir (1) les risques inhérents à une intervention ou à un traitement donné, (2) les conséquences de l’absence de traitement, (3) les traitements possibles et leurs risques et (4) la cause du préjudice subi par le patient demandeur. Finalement, si le médecin défendeur revendique une exception, le témoignage d’experts sera nécessaire pour établir l’existence (1) d’une urgence qui éliminerait la nécessité d’obtenir le consentement et (2) l’effet sur le patient de la divulgation de risques lorsqu’une divulgation complète paraît médicalement injustifiée.
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Le savant juge de la Cour d’appel est également d’avis que la mention de statistiques, de même que l’affirmation que le défendeur aurait dû fournir au patient les renseignements qu’il a donnés en témoignage quant au pourcentage d’accident cérébrovascular ou de décès, a entraîné une conclusion erronée sur la causalité. Voici un extrait de ses motifs sur ce point:
[TRADUCTION] fil faudrait que les statistiques soient expliquées au patient et ensuite examinées par rapport à sa situation s’il ne subit pas l’opération. L’opinion du savant juge de première instance aurait-elle été différente s’il avait tenu compte des statistiques du Dr Elgie ou de celles des deux médecins? Cela n’indique-t-il pas la confusion dans laquelle serait plongé un patient qui essayerait de concilier la recommandation du médecin de subir l’opération et une possibilité globale inexpliquée de 14 pour cent de risques?
J’estime que le savant juge de première instance n’a pas tenu compte de la méthode suivie par les Dr Elgie et Schacter, qui consistait à présenter une déclaration générale de la situation au patient.
Le juge Brooke a mentionné certains extraits des témoignages qu’ont rendus les Dr Elgie et Schacter et les a résumés comme suit:
[TRADUCTION] Si je comprends bien le témoignage du Dr Elgie, il s’agit d’expliquer au patient qu’il s’expose à un plus grand risque d’accident cérébro-vasculaire ou de décès au cours de l’année s’il ne subit pas l’opération qu’il ne s’y expose en la subissant, et que ce risque se maintiendrait. Le témoignage du Dr Schacter va dans le même sens. Je suis d’avis que la preuve ne justifie pas le recours à la proposition aux termes de laquelle le juge de première instance a statué sur les arguments du demandeur et a déterminé si le défendeur avait été négligent et, le cas échéant, si cette négligence avait causé une perte ou un préjudice au demandeur.
Un jugement dans ce type d’affaire est difficile parce qu’il est généralement fondé sur un examen en rétrospective.
Il a ensuite examiné une série d’arrêts américains sur la causalité, y compris l’arrêt qui fait autorité Canterbury v. S pence[10], certiorari refusé[11], Cobbs v. Grant[12] et Barnette v. Potenza[13] et a fait les commentaires suivants:
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[TRADUCTION] Dans les actions fondées sur la négligence, nos tribunaux ont adopté un critère subjectif. Quant aux arrêts susmentionnés, on ne doit pas croire que j’adopte ou que je propose l’adoption de la doctrine du consentement éclairé que certains tribunaux américains ont élaborée. Les renvois faits à ce stade-ci visent à enrichir la discussion sur la question de la preuve. Il ne faudrait pas écarter l’expérience relatée ci‑dessus puisque ces tribunaux ont été amenés à conclure de la sorte parce que seule l’adoption d’un critère objectif pouvait permettre de faire justice aux parties. Il n’est jamais trop tard pour apporter des changements. Je crois que c’est une pratique prudente ici d’analyser les arguments du demandeur de façon objective avant de les examiner de façon subjective.
La négligence du défendeur a-t-elle causé le préjudice subi par le demandeur? S’il est capable d’établir qu’il a subi un préjudice par suite du traitement et qu’il (ou du moins un homme raisonnable dans sa situation) n’y aurait pas consenti en connaissance de cause, il a droit à des dommages-intérêts. Je suis respectueusement d’avis que le savant juge de première instance n’a pas examiné cette question correctement.
Il s’est fondé sur ce moyen pour ordonner un nouveau procès.
Si la jurisprudence canadienne a jusqu’à maintenant suivi un critère de causalité subjectif, ce sont des tribunaux, autre que cette Cour, qui ont adopté cette façon de voir: voir Koehler et al. v. Cook[14], à la p. 767; Kelly v. Hazlett, précité, à la p. 320. Cette question est encore inexplorée ici. L’alternative au critère subjectif est le critère objectif, c’est-à-dire ce qu’une personne raisonnable dans la situation du patient aurait fait si les risques que comporte l’opération avaient été bien divulgués. Les arguments en faveur de la norme objective ont été énoncés avec concision dans le passage suivant tiré d’un commentaire paru à (1973), 48 N.Y.U.L. Rev. 548, à la p. 550, intitulé «Informed Consent—A Proposed Standard for Medical Disclosure»:
[TRADUCTION] Puisque la causalité directe n’existe que si la divulgation avait amené le patient à refuser le traitement envisagé, il faut élaborer une norme pour déterminer si le patient aurait refusé de subir le traitement si on l’avait informé des risques. Deux normes possibles existent: ce patient donné aurait-il refusé le traitement s’il avait été renseigné (considération subjec-
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tive)?; ou une personne prudente placée dans la situation du demandeur, connaissant tous les risques importants, aurait-elle refusé le traitement (considération objective)? La norme objective est préférable puisque la norme subjective présente un défaut flagrant: elle est subordonnée au témoignage du demandeur quant à son état d’esprit, exposant le médecin à l’analyse rétrospective du patient et à sa rancœur.
Cependant, la norme objective pose un problème troublant, savoir si l’on pourrait établir la causalité lorsque le chirurgien a recommandé une opération qui est justifiée par l’état du patient. Pouvons-nous dire qu’une personne raisonnable placée dans la situation du patient, à qui les risques que comporte l’opération auraient été bien divulgués, déciderait de ne pas subir l’opération contrairement à la recommandation du chirurgien? La norme objective de ce qu’une personne raisonnable ferait dans la situation du patient semble donner un avantage à l’évaluation du chirurgien quant à la nécessité relative de l’opération et à la preuve médicale à l’appui de cette nécessité. Pouvait-on raisonnablement refuser de la subir? Le juge Brooke a perçu ce problème lorsqu’il a suggéré un critère à la fois objectif et subjectif.
Je doute que cela résolve le problème. On peut difficilement s’attendre à ce que le patient qui intente une poursuite admette qu’il aurait consenti à l’opération même en connaissant tous les risques qu’elle comportait. Sa poursuite tend à indiquer, que gravement handicapé suite à l’opération, il est convaincu qu’il n’y aurait pas consenti si on lui avait bien divulgué les risques de l’opération comparés aux risques que présentait le refus de la subir. Cependant, l’application d’un critère subjectif à la causalité aurait pour effet corrélatif d’accorder un avantage à l’examen en rétrospective, un avantage encore plus grand que celui dont bénéficierait la preuve médicale si on évaluait la causalité selon une norme objective.
J’estime que le parti le plus sûr sur la question de la causalité est de se demander objectivement dans quelle mesure la prépondérance des risques de l’opération sur ceux de l’absence d’opération pèse en faveur de l’intervention chirurgicale. Le défaut de bien divulguer le pour et le contre devient donc très pertinent. Il en est de même de
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toute considération spéciale touchant un patient donné. Par exemple, le patient peut avoir posé des questions précises qui ont été écartées ou auxquelles on a partiellement ou faussement répondu. En l’espèce, l’espérance d’une pension intégrale serait une considération spéciale qui, bien qu’on doive la considérer objectivement, se dégage de la situation particulière du patient. De même, d’autres aspects de la norme objective devraient être appliqués à ce qu’une personne prudente, une personne raisonnable placée dans la situation particulière du patient, accepterait ou refuserait si elle connaissait tous les risques importants ou particuliers que comporte l’opération ou l’absence d’opération. Ainsi, loin d’être non pertinent, le témoignage du patient est essentiel à sa réclamation.
L’adoption d’une norme objective ne signifie pas que la question de la causalité est entièrement dans les mains du chirurgien. Ce n’est pas parce que la preuve médicale établit le caractère raisonnable de l’opération envisagée qu’une personne raisonnable placée dans la situation du patient accepterait nécessairement de la subir, si on lui divulguait de façon adéquate les risques que comporte l’opération comparés aux risques de ne pas la subir. La situation particulière du patient et l’équilibre des risques que présente l’opération ou l’absence d’opération réduiraient, dans une évaluation objective, l’effet de la recommandation du chirurgien. D’ailleurs, si le risque que présente le refus de subir l’opération était considérablement plus grave pour un patient que les risques qu’elle comporte, la norme objective favorisera sans conteste l’exonération du chirurgien qui n’a pas fait la divulgation requise. Puisque la responsabilité repose seulement sur la négligence, lorsqu’il y a défaut de divulguer les risques importants, la question de la causalité dépendra du patient selon le critère subjectif, et l’acceptation de son témoignage entraînera inévitablement la responsabilité à moins, bien sûr, que l’on ait conclu qu’il n’y a pas eu manquement au devoir de divulguer. Il est donc préférable, à mon avis, d’appliquer la norme objective à la question de la causalité.
En disant que le critère est fondé sur la décision qu’aurait prise une personne raisonnable placée dans la situation du patient, je dois préciser que les
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inquiétudes particulières du patient doivent également avoir un fondement raisonnable; sinon, la marge de subjectivité serait supérieure à celle permise dans un critère objectif. Ainsi, par exemple, les craintes non reliées aux risques importants qui n’ont pas été divulgués bien qu’ils eussent dû l’être, ne seraient pas des facteurs de causalité. Toutefois, on pourrait rattacher des considérations économiques à la causalité lorsque, par exemple, la perte d’un œil suite à la non-divulgation de risques importants entraîne la perte d’un emploi qui requiert une bonne vision. En bref, bien que l’on doive tenir compte de la situation particulière d’un patient, situation qui variera selon le patient, il faut l’évaluer objectivement en fonction de ce qui est raisonnable.
4. La preuve
Je dois donc maintenant examiner la preuve compte tenu des divergences d’opinion qu’elle a suscitées en première instance et en appel. De plus, l’opinion de la majorité de la Cour d’appel semble plutôt favoriser l’exonération du défendeur qu’une ordonnance de nouveau procès. En ce qui concerne le devoir de divulguer et le manquement imputé, la preuve fondamentale n’est pas tellement constituée des témoignages du Dr Elgie et du Dr Schacter ou celui du Dr Lougheed, mais plutôt de ceux du demandeur et du défendeur puisqu’ils rapportent ce que le défendeur a dit au demandeur et les inquiétudes possibles dont ce dernier a fait part au défendeur avant que ne soit pratiquée l’opération.
Le demandeur a commencé à souffrir de maux de tête violents au printemps 1969. Le médecin de son épouse était le Dr Szabo qui, comme le demandeur, est d’origine hongroise. Le demandeur est allé consulter le Dr Szabo qui l’a examiné, a diagnostiqué de l’hypertension et lui a prescrit des médicaments. Il n’y a pas eu d’amélioration et le Dr Szabo a conseillé au demandeur d’aller subir un examen médical complet à l’hôpital. On y a découvert qu’il souffrait également de diabète. Après un séjour à l’hôpital il est retourné au travail. Cependant, ses maux de tête persistaient et, sur la recommandation du Dr Szabo, il est retourné à l’hôpital en février 1970. Le demandeur a été confié aux soins du Dr Szabo et d’un spécialiste, le Dr Orr, qui avait diagnostiqué le diabète au cours
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du séjour antérieur du demandeur à l’hôpital. Il a subi d’autres examens et a été astreint à un régime sévère et ses maux de tête se sont calmés. Son hypertension tenace inquiétait les médecins et, avec le consentement du Dr Szabo, le Dr Orr a fait appel au Dr Hughes, le défendeur.
Le défendeur a vu le demandeur pour la première fois à l’hôpital le 6 mars 1970. Le demandeur souffrait à nouveau de maux de tête et, en l’examinant, le Dr Hughes a dit qu’il semblait y avoir une obstruction dans les artères gauches au niveau du cou. Le 10 mars 1970, un artériogramme a été pris et le Dr Hughes a constaté un rétrécissement tellement important de l’artère carotide gauche que seulement quinze pour cent de la circulation sanguine normale passait par l’artère qui irrigue le cerveau. Le Dr Hughes a conseillé une opération et le demandeur a signé une formule de consentement quelques jours avant que l’opération ne soit pratiquée. Elle a été retardée de plusieurs jours afin de permettre au demandeur de rencontrer son avocat au sujet de l’hypothèque de sa maison.
Je reproduis maintenant le témoignage du demandeur relativement aux renseignements que le Dr Hughes lui a donnés sur l’opération. On trouve les questions et réponses pertinentes dans l’interrogatoire principal à partir de la p. 117 du volume 1 du dossier d’appel:
[TRADUCTION] Q. VOUS nous avez dit que le Dr Hughes vous avait dit qu’il devait pratiquer une opération pour enlever la partie abîmée?
R. Oui.
Q. le Dr Hughes vous a-t-il dit quelque chose d’autre à l’époque et que lui avez-vous dit?
R. Bien, la façon dont il me disait que c’était à la première phase et il m’a également dit qu’il devait enlever à peu près cette longueur-ci (le témoin indique).
Q. Vous indiquez environ trois quarts de pouce .
SA SEIGNEURIE: Environ trois quarts de pouce?
Q. Je crois.
Q. En tant qu’outilleur-ajusteur vous devez savoir?
R. Ce n’était pas quelque chose que l’on pouvait mesurer. Pour donner une idée, je dirais environ ceci (le témoin indique).
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Me HOWIE: Le Dr Hughes vous a-t-il dit quelque chose d’autre et que lui avez-vous dit?
R. Il a dit «L’artère est comme un boyau de caoutchouc. Il faut la couper, la réunir à nouveau et voilà une petite opération, et vous êtes un homme fort, jeune, en bonne santé et dans 10 jours vous pourrez retourner au travail».
Q. Qu’avez-vous dit?
R. Je pensais, «Seulement, dans 10 jours environ ce sera Pâques et si tout se passe ainsi je serai avec ma famille pour Pâques» et j’ai dit «Allez-y et faites l’opération».
Q. Où cela se passait-il?
R. Dans ma chambre à l’hôpital.
Q. Le Dr Hughes est venu dans votre chambre?
R. Oui.
Q. Y avait-il quelqu’un d’autre dans la chambre?
R. Sans doute un compagnon de chambre puisqu’il y avait deux lits dans la chambre.
Q. Est-ce la fin de la conversation ou s’il y a eu quelque chose d’autre?
R. Oui, il n’y a rien eu d’autre.
Q. Vous vouliez en parler avec quelqu’un d’autre?
R. C’était comme ceci. Nous en parlions mon compagnon de chambre et moi alors que son épouse lui rendait visite et elle m’a demandé de quoi je souffrais. Je lui ai dit que ce n’était qu’un mal de tête qui commençait lorsque je me penchais et elle a dit «J’ai le même problème». Elle a dit «J’ai le même problème depuis plus de 20 ans avec ce même genre de mal de tête que vous avez. Ils ont voulu m’opérer, mais j’ai eu peur de subir l’opérations et j’ai refusé de la subir.» Elle m’a également dit que dans ce cas, il fallait remplacer l’artère par un tube de plastique. J’y ai pensé et je me suis dit que je devrais peut-être essayer de voir le Dr Hughes et lui poser des questions à ce sujet. Je me suis adressé à l’infirmière en chef et j’ai réussi à revoir le Dr Hughes.
Q. En avez-vous à un certain moment discuté avec le Dr Szabo?
R. Le Dr Szabo venait tous les jours et je lui ai posé une question à ce sujet et il a répondu «Écoutez, je ne sais pas grand chose là-dessus. Si je savais cela je serais spécialiste moi-même. Vous êtes en bonnes mains avec le Dr Hughes et faites ce qu’il vous dit».
Q. Vous rappelez-vous d’autres conversations que vous auriez eues à l’époque avec le Dr Szabo concernant l’opération ou ce qu’elle impliquait ou les risques qu’elle comportait?
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R. Il n’a été question d’absolument aucun risque.
Q. Vous nous avez dit que vous désiriez revoir le Dr Hughes pour en discuter?
R. Oui.
Q. Le Dr Hughes est-il revenu à votre chambre?
R. Oui, il est venu une fois et a dit «C’est une situation différente, parce que cette dame n’est pas jeune comme vous». Le problème était déjà très grave chez elle alors que chez moi il n’en était qu’à sa première phase. Il a dit «Vous n’avez pas à vous inquiéter de cela. Il ne sera pas nécessaire d’installer un tube de plastique dans cette coupure».
Q. Quelles discussions avez-vous eues concernant les risques de l’opération?
R. En toute honnêteté, je n’avais aucun doute à ce sujet. Je n’ai même pas pensé qu’il y avait des risques. D’une manière ou d’une autre, je n’ai jamais eu à voir de médecin ni à subir d’opération. Je n’y ai même pas pensé.
Q. Vous a-t-il dit ce qu’il arriverait si vous ne subissiez pas l’opération?
R. Oui, il a dit «C’est à vous de décider si vous désirez subir l’opération ou non. Vous pouvez vivre quelques années. Vous pouvez vivre encore sept ou dix ans. Un de ces jours vous tomberez sur le nez et voilà. Si vous le faites maintenant, dans la première phase, vous n’aurez pas de problème plus tard».
Q. Le Dr Hughes a-t-il mentionné autre chose au sujet des risques de l’opération?
R. Il n’a rien mentionné.
Nous trouvons aux pp. 121 et 124 les questions et réponses suivantes:
[TRADUCTION] Q. Si vous aviez su et si l’on vous avait dit qu’un accident cérébro‑vasculaire pouvait résulter de cette opération, quelle décision auriezvous prise?
R. Puis-je dire quelque chose? Tout d’abord je ne savais même pas ce qu’était un accident cérébrovasculaire. Deuxièmement, si j’avais eu à choisir entre vivre une vie courte comme une personne normale ou vivre comme un handicapé le reste de mes jours, j’aurais choisi une vie courte et d’être une personne normale. Je n’aurais pas à me traîner comme je le fais maintenant.
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Q. Avez-vous eu d’autres conversations avec le Dr Hughes avant l’opération le mercredi?
R. En toute honnêteté, je ne peux me souvenir de rien.
Après l’opération, qui a entraîné la paralysie dont souffre le demandeur, ce dernier a vu le Dr Hughes à deux reprises tel qu’il appert des extraits suivants de son témoignage principal:
[TRADUCTION] Q. VOUS dites que vous avez vu le Dr Hughes après l’opération, environ une semaine après?
R. Tout d’abord j’ai demandé à le voir et j’essayais de dire à mon épouse que je voulais voir le médecin qui m’avait opéré, elle a compris et nous demandions tous les deux à le voir. L’infirmière en chef est venue et a dit «Il est en vacances, dès son retour nous communiquerons avec lui».
Q. Le Dr Hughes est-il finalement venu vous voir?
R. Oui, j’étais en chaise roulante à l’extérieur de ma chambre et je l’ai vu passer, je l’ai appelé, il est venu et je lui ai dit «Regardez-moi, vous voyez mon état», et il a dit «Ne vous en faites pas. Tout va se rétablir». Il a regardé ma main et a essayé d’ouvrir mes doigts. Il a dit «Essayez de les bouger», et il n’y avait pas de mouvement. Il a dit «Ne vous en faites pas, tout va se rétablir». Il essayait sans doute de me remonter le moral.
Q. Avez-vous revu le Dr Hughes?
R. Je l’ai vu une autre fois beaucoup plus tard après avoir été transféré au Shedoke Rehabilitation Centre. C’était la première semaine, après qu’ils m’ont laissé rentrer chez moi. Quelqu’un est venu me chercher et m’a ramené à la maison. C’était un samedi ou un dimanche. Je ne sais pas exactement la date. Le dimanche soir je devais revenir à Shedoke à nouveau. J’étais tellement désespéré et je voulais vraiment voir le Dr Hughes et j’ai dit à mon épouse, «Emmène-moi à son bureau je veux lui parler de cela. Que va-t-il m’arriver». Je ne suis pas retourné à l’hôpital. Je suis allé à son bureau sans rendez-vous et j’ai dit «Je dois lui parler». Alors je l’ai vu et je lui ai demandé comment et pourquoi j’en étais venu à être un handicapé.
Q. Que vous a répondu le Dr Hughes?
R. Le Dr Hughes a dit «Cela n’a tout simplement pas réussi». Il a dit «Je regrette». Il a également placé le stéthoscope et a dit que tout n’était pas encore très bien. Il entendait encore un mouvement. 11 a dit «Je regrette, cela n’a pas réussi», et j’ai dit «mais pourquoi cela n’a-t-il pas réussi?» Et il a dit
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«Voici, vous avez travaillé pour Ford Motor Company et vous essayez plusieurs fois de faire un travail et pour une raison inconnue ça ne réussit pas. Une vis va dans la mauvaise direction et il faut la remplacer ou autrement remédier au problème». J’ai dit «C’est bien. Faisons la même chose avec moi aussi. Recommencez tout à zéro et mettez moi sur la table, opérez et faites-le, ce que vous avez raté, ce qui n’a pas réussi dans votre travail». Il a dit «Non, je ne le ferai pas. Si je le faisais, vous pourriez en mourir. Je ne vous toucherai plus». Voilà ce qu’il a dit.
Q. Avez-vous parlé avec lui pour lui dire qu’il aurait pu vous prévenir de cette éventualité?
R. J’ai dit «Vous m’avez présenté la chose comme étant toute simple comme s’il n’y avait rien à craindre», et il a dit «Oui, c’est ce que j’ai d’abord pensé. Il y avait une autre obstruction, pas seulement celle au niveau de votre cou, mais une autre petite obstruction dans votre cerveau et je n’ai pas pu l’atteindre, c’est ce qui a causé le problème». Il a dit «Je n’y toucherai pas. Je ne peux pas l’atteindre». J’ai dit «Pourquoi ne m’avez-vous pas dit la première fois qu’il n’y avait pas seulement cette obstruction mais qu’il y en avait une autre que vous ne pouviez atteindre?» Je n’ai pas vraiment obtenu de réponse à cette question. Mon épouse lui parlait et lui posait également des questions et sa question était «Pourquoi ne l’avez-vous pas prévenu du risque qu’il courait en subissant l’opération?» Il a répondu à mon épouse «Je ne dirais pas à un de mes patients le risque qu’il court parce que cela l’effrayerait ou quelque chose comme cela».
J’en viens maintenant au contre-interrogatoire du demandeur sur la question des renseignements que lui a donnés le Dr Hughes ou de la divulgation qu’il lui a faite. Voici la transcription des notes sténographiques du témoignage, volume 1, aux pp. 156 et suiv.; elles commencent par une mention de l’artériogramme:
[TRADUCTION] Q. Il vous a dit qu’il vous ferait passer un examen qui consistait à introduire de la teinture dans vos veines?
R. Oui.
Q. Il vous a expliqué ce qu’il allait faire?
R. Oui.
Q. Vous vous sentiez rassuré parce que vous aviez l’impression que le Dr Hughes savait ce qu’il faisait?
R. Je lui ai fait confiance tout au long.
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Q. Vous avez subi l’examen environ un jour plus tard?
R. Oui.
Q. Vous avez eu une autre conversation avec le Dr Hughes?
R. Oui.
Q. À cette époque le Dr Hughes vous a dit que vous aviez un rétrécissement dans l’artère du côté gauche du cou?
R. Oui.
Q. Avez-vous compris ce que c’était?
R. D’une certaine façon je n’étais pas trop certain parce que c’était nouveau pour moi. J’y ai pensé et je lui ai posé des questions à ce sujet de même qu’à mon compagnon. Après le départ du médecin tout le monde est intéressé à ce qui se passe et à ce qui est arrivé. Nous en parlions.
Q. Lorsque le Dr Hughes vous a dit que vous aviez un rétrécissement d’une artère du cou, avez‑vous compris ce qu’il disait?
R. J’ai compris l’artère. Je ne sais pas comment cela se produit et ce qui en est la cause. Je n’avais pas la moindre idée de ce que c’était parce que, ce qu’il m’a dit, était quelque chose de nouveau.
Q. A-t-il employé des expressions médicales ou a-t-il simplement dit que vous aviez un rétrécissement?
R. Je crois qu’il a essayé de me dire mais je ne pouvais pas comprendre.
Q. Il a essayé mais vous ne pouviez pas comprendre à cause de l’anglais?
R. Je ne pouvais pas comprendre.
Q. Si je comprends bien son conseil vous suffisait?
R. Bien sûr.
Q. Vous a-t-il dit que la circulation sanguine dans votre artère avait diminué ou était inférieure à ce qu’elle devrait être?
R. Oui, et il a dit que du côté gauche de mon cerveau il y avait une obstruction qui était la cause de tous mes problèmes. C’est ce qu’il m’a dit.
Q. L’hypertension. Ai-je raison de dire que vous n’avez pas compris où il voulait en venir exactement?
R. Honnêtement, j’ai simplement pensé que le sang qui s’acheminait vers mon cerveau causait les maux de tête et les étourdissements et tout le reste.
Q. C’est ce que vous pensiez?
R. Oui.
Q. Si je comprends bien, cela n’était pas clair pour vous?
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R. Non, je n’en étais pas certain.
Q. Vous avez également eu des conversations avec le Dr Hughes concernant ce qu’il ferait pour faciliter la circulation sanguine dans le cou?
R. C’est exact.
Q. Si j’ai bien compris ce que vous nous avez dit hier, il a laissé entendre que c’était une opération qu’il pouvait pratiquer?
R. Oui.
Q. Il vous a également laissé entendre que votre problème deviendrait plus grave ou plus complexe si vous attendiez que si vous subissiez l’opération maintenant?
R. C’est exact.
Q. Est-ce que cela vous a été dit en une fois après les examens? A-t-il parlé de tout cela?
R. C’est après avoir vu tous les résultats des examens qu’il m’a dit tout cela.
Q. Si je comprends bien, comme vous l’avez décrit, après ce moment-là, après la conversation que vous avez eue avec le Dr Hughes, vous avez parlé avec d’autres patients dans la chambre?
R. Oui.
Q. Avez-vous reparlé au Dr Hughes?
R. Je lui ai demandé d’en reparler.
Q. Lorsque vous lui avez reparlé, vous aviez certaines inquiétudes concernant l’opération?
R. Oui.
Q. Qu’avez-vous demandé au Dr Hughes?
R. Honnêtement, je lui ai mentionné le tube pour cette femme.
Q. Il a dit qu’il n’avait pas besoin de l’utiliser?
R. Parce que ce n’était qu’à la première phase.
Q. Vous a-t-il parlé d’un patient de l’autre côté du couloir qu’il avait opéré?
R. Une personne plus âgée, comme l’autre, à qui il avait dû faire quelque chose du même genre je ne sais où. Je crois que son cas était différent du mien. Il n’avait aucun doute que tout se passerait bien pour moi. Il a dit «Vous êtes jeune et fort et ce n’est qu’à la première phase».
Q. Le Dr Hughes vous a dit que vos problèmes seraient moins grave si vous subissiez l’intervention?
R. Tout de suite.
Q. Que si vous attendiez et il vous a dit ce qui pourrait arriver si vous attendiez?
[Page 908]
R. Si j’attendais deux ans ou plus, je serais peut-être dans la même situation que l’autre personne dont l’état l’inquiétait.
Q. Qu’est-il advenu de cette autre personne?
R. Honnêtement, je ne l’ai jamais vue et je ne lui ai jamais parlé. Je l’ai aperçue de loin. Je ne lui ai jamais parlé de cela.
Q. La conversation est allée plus loin que cela, n’est-ce pas? Le Dr Hughes vous a dit que vous pouviez tomber, que vous pouviez mourir, ou avoir des maux de tête?
SA SEIGNEURIE: Posez une seule question à la fois.
Mc CAMPBELL: Vous nous avez dit hier que le Dr Hughes vous avait parlé de ce qui pourrait arriver si vous attendiez et vous avez dit que vous pourriez tomber sur le nez?
R. Oui, si j’attends plusieurs années, un de ces jours ma situation sera tellement mauvaise que je perdrai conscience, je tomberai, et je serai étendu là et je serai mort. Ce n’est pas quelque chose pour demain ni le jour suivant ni dans un mois si j’attends.
Q. A un certain moment, c’est ce qui devait vous arriver?
R. Oui.
Q. A-t-il expliqué le risque?
R. C’est un risque que d’attendre quelques années de plus, cinq ou sept ans. Nous en avons parlé.
Q. Lui avez-vous posé d’autres questions concernant l’opération, savoir de quelle façon il procéderait ou ce qu’il allait faire?
R. Honnêtement, je ne lui ai pas demandé. il indiquait où serait l’opération, il l’indiquait avec son doigt, juste ici (le témoin indique).
Q. Vous a-t-il dit ce qu’il ferait?
R. II a dit voici l’artère et voici l’obstruction, il devait enlever la partie abîmée de l’artère. La seule chose que je n’aime pas c’est qu’il ne m’a pas dit que j’avais une seconde obstruction quelque part dans le cerveau. Il n’a parlé que de celle qu’il devait opérer. J’ai dit «Dr Hughes, pourquoi ne m’avezvous pas parlé de l’autre également» il a dit parce que «C’est quelque chose que je ne pouvais atteindre», et c’est ce qui a causé le problème.
Q. Vous avez compris que c’était ce que vous aviez à l’époque?
R. Je ne l’ai pas su avant l’opération. Il m’a dit cela seulement après ma paralysie.
[Page 909]
Q. Il ne vous avait pas mentionné avant l’opération que vous aviez quelque chose au cerveau?
R. Il ne m’a rien dit à ce sujet.
Q. Voulez-vous dire que c’était là à ce moment-là?
R. C’est ce qu’il m’a dit. Lorsqu’il a eu la certitude d’après les examens, il a dit que l’obstruction était ici et il voyait déjà l’autre également, mais il ne m’en a pas parlé.
Q. Comment savez-vous qu’il voyait l’autre à ce moment-là?
R. Il me l’a dit lui-même à son bureau lorsque je l’ai vu.
Q. Vous a-t-il dit que c’était là depuis le début?
R. Oui, c’était déjà là. Il l’a vu à l’examen de mon cerveau.
¼
Q. Lorsque le Dr Hughes vous a dit ce qu’il ferait pendant l’opération et pourquoi il croyait que vous devriez subir une opération, avez-vous compris tout ce qu’il vous disait?
R. J’ai compris pourquoi il voulait la pratiquer et j’ai reconnu également que s’il le faisait à temps il n’y aurait peut-être pas de problème plus tard. Je voulais me faire opérer.
Q. Avez-vous discuté avec le Dr Hughes de la possibilité de paralysie?
R. Non. Les mots paralysie ou accident cérébro-vasculaire ne me sont jamais venus à l’esprit et je ne savais rien à ce sujet avant d’en être une victime et de voir d’autres gens victimes de ce problème.
Q. Saviez-vous ce que signifiait le mot?
R. A ce moment-là je ne savais pas.
Q. Vous ne savez pas si le Dr Hughes l’a employé ou non?
R. Je n’ai entendu personne l’employer. Ni le Dr Hughes ni le Dr Szabo, les mots paralysie et accident cérébro-vasculaire n’ont jamais été prononcés. Personne ne me les a mentionnés.
Q. Vous ne saviez pas ce qu’ils voulaient dire?
R. Même à cela, je n’ai rien compris parce qu’ils me sont tout à fait étrangers.
Q. Quoi qu’ils aient pu dire sur ce sujet, vous n’auriez pas compris?
R. Eux-mêmes ne me l’ont pas mentionné, ils n’ont même pas prononcé les mots. Ils n’ont pas employé en me parlant de mots comme paralysie ou accident cérébro‑vasculaire. Leur seul souci était de rétablir ma pression sanguine à la normale et c’est pourquoi ils m’ont prescrit des pilules et si ces
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dernières n’avaient aucun effet ils devaient trouver un autre moyen.
¼
Q. Avez-vous eu une autre conversation avec lui concernant l’opération?
R. Non pas avec le Dr Orr.
Q. Et quant au Dr Szabo?
R. C’était lui. Je lui ai demandé en langage direct, le mien et l’anglais et, avec le Dr Szabo, je comprenais suffisamment d’anglais. J’ai dit «Si vous ne savez pas comment prononcer le mot en hongrois essayez de me l’expliquer en anglais», Il a répondu «Vous êtes en bonnes mains et si je connaissais la réponse à cela je serais spécialiste moi-même».
Q. Si je comprends bien, vous ne vous souvenez de rien d’autre que vous aurait dit le Dr Szabo?
R. Rien d’autre.
Dans le témoignage que l’épouse du patient a donné en interrogatoire principal, il y a un élément de preuve qui appuie ce qu’il a lui-même dit au sujet d’une visite au bureau du défendeur après l’opération. Voici ce que l’on trouve dans les notes sténographiques, volume 2 du dossier, aux pp. 314 et 315:
[TRADUCTION] Q. VOUS avez dit que vous avez parlé au Dr Hughes environ deux mois après l’opération?
R. Oui.
Q. Où s’est déroulée cette conversation?
R. Dans son bureau.
Q. Qui était présent?
R. Seulement mon mari, moi-même et lui. J’ai amené mon mari.
Q. Tous les trois?
R. Oui.
Q. Parlez-moi de cette conversation?
R. Bien elle a été très longue. C’est comme si nous avions essayé de savoir ce qui se passait, ce qui nous était arrivé, parce que nous n’en avions aucune idée. Il a dit que l’opération n’avait pas réussi, il lui a promis que tout se rétablirait dans son bras et son côté droits, même s’il ne pouvait plus peindre ou dessiner comme il en avait l’habitude, et c’est très pénible pour lui. Mon mari voulait qu’il pratique une autre opération afin de le rétablir et il a dit qu’il ne pouvait pas parce qu’il y avait une autre obstruction à l’arrière de la tête. Il nous l’a montrée. Il y a une toute petite obstruction. Je lui ai demandé «Pourquoi n’avez-vous pas
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prévenu mon mari parce qu’il aurait préféré mourir plutôt que d’avoir cette opération qui Ta laissé handicapé» et il a dit «Mme Reibl, je ne dis jamais ces choses à mes patients».
Q. Vous a-t-il dit pourquoi?
R. Non, il n’a rien dit. Peut-être; je ne sais pas. C’était un cauchemar.
Q. Vous souvenez-vous d’autre chose au sujet de la conversation que vous avez eue avec Dr Hughes?
R. Il a parlé du travail de mon mari; «Lorsque vous travaillez vous faites des erreurs, également, n’est-ce pas, qu’il est impossible de corriger?» Mon mari a dit «Si je place une vis incorrectement je l’enlève et je la remets. Faites de même», et il a dit qu’il ne le pouvait pas.
Il n’y a pas eu de contre-interrogatoire sur ce témoignage.
Ayant fait témoigner les Dr Schacter et Elgie, l’avocat du demandeur a terminé sa preuve en lisant, pour qu’ils soient versés au dossier, certains extraits de l’interrogatoire préalable du défendeur. Il s’agit des notes sténographiques, volume 2, aux pp. 325 et suiv.:
¼
[TRADUCTION] «Q. Très bien. Décririez-vous la lésion que vous a permis de découvrir l’artériogramme comme asymptomatique?
R. Oui, je la décrirais ainsi.
Q. Que voulez-vous dire par asymptomatique?
R. C’est-à-dire qui ne cause pas de mauvais fonctionnement ou d’anormalité neurologique décelable.»
¼
«Q. Combien en avez-vous pratiqué avant celle que vous avez pratiqué sur le demandeur, John Reibl?
R. C’est-à-dire jusqu’en 1970?
Q. Oui.
R. Environ 60 ou 70.
Q. Combien y avait-il de patients asymptomatiques parmi ceux-là?
R. Oh, 4 ou 5, je crois.
Q. Parmi ces 60 ou 70 combien d’accidents cérébrovasculars se sont produits?
R. Au moment de l’opération ou après celle-ci?
Q. Pendant l’opération?
[Page 912]
R. C’est difficile de dire réellement si quelque chose s’est produit pendant l’opération ou dans l’heure ou les deux heures qui suivent l’opération pendant la période de réveil, alors que le patient est encore sous l’effet de l’anesthésie, etc., mais je crois qu’il s’agit d’environ 10 à 15 pour cent. Cela s’échelonne bien súr sur une longue période de temps et nous opérions auparavant des patients qui avaient été victimes d’accidents cérébro‑vasculaires graves, ce que l’expérience nous a appris à ne plus faire, aussi, les statistiques s’améliorent avec le temps.»
¼
«Q. Parmi ces 4 ou 5 patients asymptomatiques, certains ont-ils été victimes d’accidents cérébro‑vasculaires?
R. Oui.
Q. Combien?
R. Un seulement, un seulement.
Q. Sans compter M. Reibl?
R. Non, un avant lui.
Q. Parmi les 60 ou 70 que vous avez opérés combien sont morts des suites de l’opération?
R. Bon, il s’agit pour la plupart des premières opérations. Je dirais probablement 8 ou 9 ou 8 à 10.
Q. Très bien. En mars 1970, existait-il des données médicales ou des documents pour indiquer quel genre de risques résultait généralement de ce type d’intervention chirurgicale?
R. A cette époque, le taux de mortalité avait beaucoup diminué. Il était inférieur à 4 pour cent. Le taux de morbidité se situait encore aux environs de 10 pour cent.
Q. Par morbidité vous voulez dire ceux qui sont victimes d’un accident cérébro‑vasculaire?
R. Des complications de l’opération ou des problèmes immédiats.»
¼
«Q. Alors, à cette époque, que pensiez-vous du risque que comportait ce type d’opération?
R. J’estimais à l’époque que, en d’autres mots, que le risque de paralysie chez un patient était plus grand s’il n’y avait pas d’opération qu’il ne l’était avec l’opération et c’est en réalité ce qui a été dit au patient.
Q. Bien, mis à part le risque qu’il courait lui-même s’il ne subissait pas l’opération, quels risques comportait l’opération elle-même, à votre avis?
R. Bien, la possibilité d’un accident cérébro-vasculaire.
[Page 913]
Q. A combien évalueriez-vous ce risque en pourcentage?
R. A mon avis, je ne crois pas lui avoir donné de chiffre précis sauf lui avoir dit ce qu’il était préférable qu’il fasse, à environ 10 ou 15 pour cent.»
Votre Seigneurie, nous nous reportons maintenant à la p. 28, aux questions 249 à 252:
«Q. Docteur, nous ne pouvons vous poser cette question pour l’instant. Vous avez terminé l’opération. Quand avez-vous vu le patient pour la première fois ensuite?
R. Au cours de l’heure suivante, aux soins intensifs. Je répète que je garde ces patients aux soins intensifs pour la première nuit et je faisais une visite après avoir terminé l’opération, il devait être environ 4 h 30 je crois. Quand je suis retourné aux soins intensifs, il commençait à s’éveiller à ce moment.
Q. Y avait-il alors des symptômes de—
R. Oui, de fait, les filles venaient de l’examiner lorsque je suis arrivé aux soins intensifs et elles trouvaient que la poigne, la poigne de sa main droite était plutôt faible.
Q. Oui, et qu’avez-vous fait?
R. Alors je l’ai examiné à nouveau à ce moment et son bras droit était faible et j’ai trouvé que sa jambe droite présentait une faiblesse minimale à ce moment-là.
¼
Q. Était-il toujours inconscient à ce moment-là?
R. Il commençait à s’éveiller. Je ne dirais pas qu’il était réellement conscient, peut-être, mais il commençait certainement à émettre des sons et à parler en quelque sorte.»
«Q. Était-il alors évident qu’il avait été victime d’un accident cérébro-vasculaire?
R. Il semblait être victime d’un accident cérébro-vasculaire à ce moment-là.
Q. Lorsque vous l’avez vu?
R. Un accident cérébro-vasculaire était en cours, oui.»
¼
Q. Alors, il était vraiment paralysé du côté droit?
R. C’est exact.
Q. Quelle est l’expression médicale pour désigner cela?
[Page 914]
R. L’hémiplégie.»
¼
«Q. Avez-vous eu d’autres conversations avec le demandeur M. Reibl après le dernier examen que vous lui avez fait lors de son séjour à l’hôpital en 1970?
R. Oui, il est venu à mon bureau le 4 mai 1970¼
Q. Pouvez-vous me relater la conversation au meilleur de votre souvenir?
R. Bien, il était vraiment contrarié à ce moment parce qu’il ne croyait pas qu’on lui avait dit que cette possibilité de faiblesse pourrait résulter de l’opération. Cela semblait une idée fixe chez lui.»
¼
«Q. Avez-vous pris des notes de la conversation cette fois?
R. J’ai quelques notes ici. Je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit de précis sur ce qu’il a dit, mais j’ai des notes au sujet de son travail, outilleur-ajusteur. II ne pouvait pas travailler au Canada comme outilleur-ajusteur à cause de la barrière linguistique et aussi, ce qui l’inquiétait vraiment était le fait qu’il avait travaillé chez Ford pendant huit ans et demi et qu’il fallait quelque chose comme dix ans avant de pouvoir bénéficier du plan de pension et cela bien sûr l’inquiétait sérieusement. Il était mécontent de la rééducation. Il l’a mentionné. Il ne croyait pas que l’on s’occupait suffisamment de lui au Shedoke Centre [un centre de rééducation] et j’ai noté qu’il n’avait pas bon moral, ce qui signifie plus ou moins qu’il était déprimé. Il dit qu’il ne retournerait probablement jamais chez Ford.»
¼
«Q. Dr Hughes, considérez-vous que l’opération que vous avez pratiquée était d’une certaine façon une opération d’urgence, c’est-à-dire une opération visant à remédier à une situation d’urgence qui existait alors?
R. Non.»
Dans son interrogatoire principal, le Dr Hughes, le défendeur, a parlé de la détection d’un bruit ou d’un son dans l’artère carotide gauche du demandeur au cours d’un examen initial. Il a ensuite parlé de l’artériogramme qui a révélé un rétrécissement de l’artère d’où une diminution substantielle de la circulation sanguine. Son témoignage principal se poursuit comme suit, à la p. 334 du volume 2 du dossier d’appel:
[Page 915]
[TRADUCTION] Q. Ayant visualisé cela au moyen de l’artériogramme, aviez-vous une opinion quant à la procédure appropriée?
R. Oui. J’étais d’avis que, même si ce rétrécissement de l’artère ne causait aucune déficience neurologique évidente ou aucun problème neurologique à ce moment-là, il fallait sans doute le faire disparaître pour prévenir un accident cérébro-vasculaire plus tard.
Q. A votre avis, et reportons-nous à l’année 1970, que lui réservait le futur s’il ne subissait pas l’opération par opposition au risque s’il la subissait?
R. Je peux dire, je crois, qu’à cette époque, nous avions des preuves certaines que laisser une artère dans cet état présentait certainement un risque plus grand d’accident cérébro-vasculaire au cours des années suivantes.
Q. Qu’avez-vous pu déterminer relativement à son système vasculaire et à son état à cet égard?
R. Il y avait une petite plaque plus haut dans l’artère du même côté. Il y en avait une autre, très petite, du côté droit juste au niveau de la division de l’artère principale.
Q. Manifestait-il un déficit neurologique?
R. Non, aucun. Lors de son séjour antérieur à l’hôpital il avait passé, je crois un electro‑encéphalogramme dont le résultat était normal.
Q. Avez-vous parlé de l’opération avec le demandeur?
R. Oui, je lui en ai parlé.
Q. De l’opération qui a finalement été pratiquée?
R. Oui, c’est exact.
Q. Une endartériectomie?
R. Oui.
Q. Quand lui avez-vous parlé de l’opération qu’il devait subir et que lui avez-vous dit?
R. Je crois que c’était le lendemain de l’artériogramme. A cette époque, nous faisions les angiogrammes très souvent en début d’après-midi de sorte qu’ils étaient encore assez endormis le reste de l’après-midi et vous n’aviez pas la possibilité de leur en parler. Aussi, vous parlez au patient le lendemain.
Q. Il y a 6 ans de cela et vous n’avez pas pris de notes?
R. Non.
Q. Qu’avez-vous dit?
[Page 916]
R. Je lui ai parlé du fait qu’il y avait un rétrécissement de l’artère, que seulement 10 à 15 pour cent du sang pouvait circuler, et que je croyais que les chances de prévenir un accident cérébro‑vasculaire étaient meilleures s’il subissait l’opération que s’il demeurait ainsi, dans ce dernier cas il pouvait subir un accident cérébro-vasculaire dans les années suivantes.
Q. Avez-vous mentionné des statistiques?
R. Non, je n’ai pas donné de chiffres. J’ai utilisé ma connaissance des tendances en ce sens.
Q. Au cours de cette première conversation a-t-il pose des questions?
R. Non, aucune.
Q. Vous a-t-il donné une réponse à ce moment-là?
R. Je crois qu’il a dit vouloir qu’on fasse quelque chose. Je crois que ses maux de tête l’inquiétaient beaucoup à ce moment-là et j’ai l’impression qu’il désirait qu’on fasse quelque chose pour tout améliorer, pas seulement le rétrécissement ou le problème cérébro-vasculaire. II a dit «Allez-y, prenez les dispositions nécessaires».
Q. Lui avez-vous dit que ses maux de tête étaient reliés au bruit?
R. Je lui ai dit, et il m’avait interrogé à ce sujet, et je ne suis pas certain si c’était lors de cette conversation ou par la suite, mais je lui ai dit que je ne croyais pas que ses maux de tête diminueraient nécessairement. En fait, je lui ai dit que je ne croyais pas que l’opération aurait pour effet de les atténuer.
Q. Avez-vous eu plus d’une conversation avec lui pour discuter de ce que l’avenir lui réservait et lui expliquer l’opération?
R. Oui.
Q. Combien de fois lui avez-vous parlé?
R. Deux ou trois fois après cette première conversation. Probablement deux autres fois après la première fois où je lui ai parlé de l’opération.
Q. Sur quelle période de temps?
R. Sur une période de 4 ou 5 jours.
Q. Si vous pouvez distinguer les différentes conversations et ce que vous avez dit à une occasion particulière lorsqu’on retourne en arrière, je vous demande quel était en général le contenu de l’ensemble des conversations?
R. Je sais qu’à un certain moment le Dr Szabo était avec moi et nous avons parlé de cela au patient et le Dr Szabo lui a expliqué, aussi bien qu’il pouvait le faire en hongrois, langue que je ne comprends
[Page 917]
pas; quoi qu’il en soit, il a expliqué à nouveau l’opération au patient et je crois qu’il essayait de lui transmettre mon opinion que - - - -
ME HOWIE: NOUS sommes sur un terrain difficile et je vois ce que le docteur essaie de dire. S’il n’a pas compris ce que le Dr Szabo a essayé de dire je préférerais que le Dr Szabo le dise lui-même:
SA SEIGNEURIE: Allez-vous le citer?
ME LAIDLAW: Je le crois.
SA SEIGNEURIE: Dans ces circonstances.
ME LAIDLAW: Tenons-nous en à ce que je peux faire avec ce témoin.
SA SEIGNEURIE: Il écoute quelqu’un qui parle en hongrois?
R. Oui.
ME LAIDLAW: Tout d’abord, aviez-vous déjà expliqué la procédure de l’opération au demandeur? Lui avez-vous expliqué la procédure?
R. L’incision par exemple?
Q. Même en termes généraux?
R. C’était pour faire disparaître cette obstruction ou blocage de l’artère.
Q. Et le Dr Szabo était présent une fois, avez-vous eu une conversation avec le Dr Szabo en sa présence sur ce qui allait se passer?
R. J’avais parlé au Dr Szabo précédemment et je ne sais pas si c’était par coïncidence ou non, mais nous avons vu le patient en même temps.
SA SEIGNEURIE: Avez-vous donné des explications au patient en présence du Dr Szabo alors que le Dr Szabo agissait comme interprète?
R. C’est exact.
ME LAIDLAW: Qu’avez-vous dit au demandeur lorsque le Dr Szabo agissait comme interprète?
R. Que nous estimions qu’il était dans l’intérêt du patient que l’artère soit opérée, que la circulation sanguine normale soit rétablie et, à nouveau la question s’est posée, «Quels sont les risques qu’il m’arrive quelque chose, la paralysie?» Je suis certain qu’il a employé ce mot. Je lui a dit qu’à mon avis, les risques de subir un accident cérébro‑vasculaire étaient plus élevés s’il ne subissait pas l’opération que s’il la subissait.
Q. Vous a-t-il demandé s’il risquait d’en subir un de toute façon par suite de l’opération?
R. Oui, c’est ce qu’il demandait.
Q. Que lui avez-vous dit?
ME HOWIE: C’est une question suggestive et importante.
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ME LAIDLAW: Que lui avez-vous dit?
SA SEIGNEURIE: Ne guidez pas le témoin Me Laidlaw, s’il-vous-plaît.
ME LAIDLAW: Que lui avez-vous dit?
R. Je lui ai répété que les risques de subir un accident cérébro-vasculaire étaient moins élevés s’il subissait l’opération que s’il demeurait dans son état actuel.
Q. A-t-il eu d’autres questions ou points d’interrogation sur ce sujet avant l’opération?
R. Je ne me souviens de rien. Il semblait vraiment vouloir que l’on s’y mette, qu’on l’opère et qu’on rétablisse tout.
Le défendeur est allé voir le demandeur dans la salle de réveil après l’opération et a remarqué une certaine faiblesse du bras droit. Le patient a été transféré à l’unité de soins intensifs et son état s’est aggravé. Le Dr Hughes a été rappelé à son chevet. Voici le témoignage du médecin:
[TRADUCTION] Q. Son était était-il différent de ce qu’il était dans la salle de réveil?
R. Oui.
Q. Combien de temps s’était-il écoulé?
R. Peut-être une autre demi-heure après son transfert de la salle de réveil à l’unité de soins intensifs, une demi-heure à trois quarts d’heure.
Q. Quelle a été votre opinion lorsque vous l’avez vu à l’unité de soins intensifs?
R. J’étais sous l’impression qu’il était en train de faire un accident cérébro-vasculaire, et je me demandais si un caillot de sang s’était déplacé, s’il faisait une embolie ou si une occlusion commençait à se former dans l’artère carotide. Sa faiblesse dans le bras droit me laissait croire qu’un petit caillot s’était détaché de la région suturée. C’est pourquoi je pensais que nous pourrions sans doute laisser les choses telles quelles et ne rien faire à ce moment précis. Lorsque son état s’est aggravé, dans certains de ses autres signes vitaux—il commençait un oedème au cerveau à ce moment—j’étais d’avis qu’il ne fallait pas le soumettre à une nouvelle opération à ce moment-là compte tenu des très grands risques de décès.
Q. A cause de quoi?
R. Simplement à cause de l’hémorragie au cerveau, puisque dans tout infarctus, qu’il résulte d’une embolie, d’une occlusion de l’artère du cou, d’une insuffisance vasculaire, entraîne un ramollissement cérébral qui entraîne de la faiblesse; les
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vaisseaux sanguins sont plus faibles, et si la circulation sanguine est rétablie la pression supplémentaire causera souvent une hémorragie cérébrale.
Le Dr Hughes a également dit que dans un bref intervalle, environ quinze minutes, il avait lui‑même remarqué que l’état d’hémiparésie du demandeur était devenu un état d’hémiplégie. Il serait dangereux, a-t-il dit, d’opérer à nouveau un tel patient puisque le taux de mortalité se situe entre vingt et soixante pour cent. Une autre partie du témoignage principal a porté sur les soins postopératoires qui, je l’ai dit précédemment, ne sont pas en litige devant cette Cour.
Il y a finalement le contre-interrogatoire du défendeur dont je désire reproduire ici les parties pertinentes quant à la divulgation des risques que comportait l’opération envisagée ou l’absence de cette opération. Cette question est traitée dans le volume 2 du dossier d’appel, à partir de la p. 361:
[TRADUCTION] Q. Je désire examiner la question du risque. Tout d’abord, reconnaissez-vous qu’en 1970 vous étiez conscient du fait que l’opération que vous recommandiez à M. Reibl comportait des risques précis?
R. Oui, elle comportait certains risques. Ils étaient en réalité plutôt minimes.
Q. Dans l’interrogatoire préalable dont j’ai fait lecture hier, vous indiquez que le taux de mortalité était inférieur à 4 pour cent et que le taux de morbidité se situait aux environs de 10 pour cent?
R. Oui, je crois que c’était probablement même inférieur à cela.
Q. En 1973, vous étiez d’avis que c’était ce que j’ai dit? Est-ce exact?
R. A l’interrogatoire préalable?
Q. Oui?
R. Oui.
Q. Reconnaissez-vous que tous vos patients, quelle que soit l’intervention chirurgicale que vous envisagez, ont le droit de donner un consentement éclairé; est-ce juste?
R. Oui.
Q. Lorsque nous parlons d’«éclairé», nous voulons dire que le patient devrait être suffisamment conscient des risques et de la nature de l’opération pour pouvoir décider de la subir ou de ne pas la subir?
R. C’est exact.
[Page 920]
Q. Reconnaissez-vous que c’est la norme que devrait suivre tout bon neurochirurgien pour ce qui est d’obtenir ou de ne pas obtenir le consentement du patient?
R. Oui.
Q. Je désire m’assurer que nous nous comprenons bien. Toute opération présente des risques?
R. C’est exact.
Q. Lorsque nous parlons des risques ordinaires de l’opération, nous voulons dire des choses comme le bistouri du chirurgien qui glisse et blesse, un anesthésique qui n’agit pas bien, une faute de la part de l’anesthésiste. L’un ou l’autre d’une douzaine de facteurs que comporte ordinairement une opération?
R. C’est exact.
Q. Lorsque vous en venez au déroulement précis alors, en plus d’informer le patient que toute opération présente des risques, ce que la plupart des gens devraient comprendre de toute façon, lorsque vous en venez au déroulement précis, reconnaissez-vous que vous avez l’obligation d’informer votre patient des risques précis?
R. Oui, cela peut varier un peu selon le patient mais, de façon générale, oui.
Q. Pourquoi dites-vous que cela peut varier un peu selon le patient?
R. Certains patients sont certainement très nerveux, anxieux.
Q. Effrayés?
R. Effrayés, oui. A d’autres, vous essayez d’expliquer la situation et ils disent, «je ne veux rien savoir de cela. Allons-y et faites le travail.»
Q. Vous est-il très souvent arrivé d’expliquer à un patient les risques précis que comporte l’intervention particulière que vous envisagiez dans l’intérêt du patient et que ce dernier ait refusé l’opération?
R. Oui.
Q. Trop nerveux ou trop effrayé, ou quelque chose d’autre?
R. Oui.
Q. Même dans des situations où ils ont entendu parler de gens qui l’ont subie et qui sont paralysés en Italie, dans l’est ou ailleurs?
R. Oui.
Q. Dans ce cas-ci c’était votre désir au nom de votre patient de l’aider?
[Page 921]
R. Oui.
Q. Donc, vous désiriez vraiment qu’il subisse l’opération dans ce cas-ci?
R. J’étais d’avis qu’il en bénéficierait vraiment, oui.
Q. Si je vous disais qu’en l’espèce, vous n’avez jamais informé précisément votre patient des risques précis que comportait cette opération?
R. Je n’ai pas eu besoin de le faire parce que le patient m’a lui-même interrogé à ce sujet.
Q. En d’autres mots, et corrigez-moi si j’ai tort, il vous a dit, «Se pourrait-il que je reste paralysé?» ou des mots dans ce sens-là?
R. Oui, c’est exact.
Q. En d’autres mots, il a amené le sujet dans la conversation?
R. Oui.
Q. Lui avez-vous dit alors quels étaient les risques de paralysie immédiate ou dans les quelques jours suivant cette opération?
R. Non, je ne lui ai pas donné de temps précis après l’opération. Je lui ai dit que le risque d’être paralysé s’il ne subissit pas l’opération était plus grand—que le risque d’être paralysé s’il ne subissait pas l’opération était plus grand que s’il la subissait.
Q. Vous avez essayé de comparer le risque d’être paralysé suite à l’opération à celui d’être paralysé sans l’opération?
R. C’est exact.
Q. N’est-il pas vrai que vous lui avez dit, alors que vous vouliez l’informer de ce qui arriverait s’il ne subissait pas l’opération, vous lui avez dit qu’il pourrait très bien un jour, dans quelques années, être victime d’un accident cérébro-vasculaire ou d’autres mots dans ce sens-là, et tomber sur le nez?
R. Je ne sais pas si j’ai dit, «sur le nez», mais au moins qu’il pouvait tomber.
Q. Il pouvait très bien être victime d’un accident cérébro-vasculaire dans les années suivantes s’il ne subissait pas l’opération?
R. C’est cela.
Q. Toutefois, si je vous disais que ce dont vous n’avez pas spécifiquement parlé à votre patient, c’est du risque précis qu’il courait de faire un accident cérébro-vasculaire et, en fait, d’être paralysé s’il subissait cette opération. Comprenez-vous la distinction?
[Page 922]
R. Oui. J’étais d’avis qu’il réalisait qu’il pouvait être victime d’un accident cérébro‑vasculaire puisqu’il posait la question.
Q. Croyez-vous qu’il ait réellement compris ce qu’était un accident cérébro-vasculaire?
R. Il a dit, sinon le mot «paralysé», le mot «faiblesse».
Q. Revenons à votre interrogatoire préalable, page 14, question 139. Si mon confrère s’oppose à ce que je vais dire, il peut me le faire savoir. Plus haut sur cette page vous avez dit à la cour comment vous avez expliqué au patient l’intervention que vous alliez pratiquer, la description matérielle de ce que vous alliez faire:
«Q. Bon. A-t-il semblé alors comprendre de quoi il s’agissait?
R. Oui, en fait il a parlé de complications possibles. Voici la première question qu’il m’a posée, «Quels sont les possibilités d’être victime d’un accident cérébro‑vasculaire?» »
A-t-il employé ces mots?
R. Bien, s’il n’a pas parlé «d’accident cérébro-vasculaire», il a dit «paralysé».
Q. Vous ne vous souvenez pas exactement?
R. Non, mais je me rends bien compte qu’il a posé une question concernant les complications.
Q. Vous avez eu l’impression que cela portait sur la crainte d’être paralysé ou quelque chose du genre?
R. Oui.
¼
«Q. Et que lui avez-vous dit?
R. Je lui ai dit à nouveau, ou pour la première fois, que les chances étaient à notre avis meilleures, les chances de ne pas—J’ai utilisé la négative je crois. Les chances de ne pas subir d’accident cérébro-vasculaire étaient meilleures avec l’opération que s’il demeurait dans son état actuel.
Q. En somme, vous lui avez dit qu’il serait préférable qu’il subisse l’opération plutôt que de ne pas la subir?
R. Oui.»
Est-ce exact?
R. C’est exact.
Q. Reconnaissez-vous que vous n’avez pas discuté avec lui des pourcentages de risque, indépendamment de ce que vous lui avez dit concernant cette intervention particulière, d’être victime d’un accident cérébro-vasculaire ou d’être paralysé par suite de l’opération?
[Page 923]
R. Je n’ai pas donné de statistiques.
Q. Voici ce qui me préoccupe: Le demandeur dit «Si j’avais su et si vous, Dr Hughes, m’aviez dit que suite à cette opération, je pourrais être immédiatement paralysé, alors j’aurais pris une décision tout à fait différente. Tout ce que je croyais était que de toute façon si je subissais l’opération je serais éventuellement victime d’un accident cérébro‑vasculaire». Vous avez entendu son témoignage?
R. Oui.
Q. Qu’en dites-vous?
R. Je ne crois pas qu’il ait mentionné de délai lui non plus.
Q. Il n’a pas mentionné de délai. N’est-il pas vrai que vous ne lui avez pas dit qu’il courait un risque de façon positive, que s’il subissait l’opération il courait le risque d’être victime d’un accident cerebrovascular et d’être paralysé, en fait, immédiatement après l’opération?
R. Je n’ai pas dit cela précisément.
Q. Ne croyez-vous pas que votre patient avait le droit de le savoir précisément afin de vous donner un consentement éclairé ou de refuser son consentement?
R. Bien, je crois que puisque nous parlions d’un délai de 4 ou 5 ans, je crois, dans la mesure où nous parlions d’un accident cérébro-vasculaire sans opération, je pense que nous parlions à peu près du même délai. Je n’ai pas mentionné un délai d’un jour ou deux, d’un mois ou d’une année ni dans un cas ni dans l’autre.
Q. Ne croyez-vous pas que votre patient était probablement sous l’impression que s’il ne subissait pas l’opération il pourrait très bien, et le risque était plus grand, être victime d’un accident cérébro-vasculaire dans les 4 ou 5 ans, que si vous l’opériez?
R. Oui.
Q. Si je vous disais qu’il n’a pas compris et que vous ne lui avez pas dit qu’il courait un risque précis, s’il subissait l’opération, de rester paralysé?
R. Encore une fois, seulement compte tenu du fait que nous avons parlé des risques que comportait l’opération ou l’absence d’opération sans prévoir de délai pour les complications postopératoires.
Q. Page 18 de l’interrogatoire préalable, question 172:
«Q. M. Reibl vous a-t-il déjà demandé s’il pouvait être paralysé par suite de l’opération?
[Page 924]
R. De cette façon?
Q. Ou par d’autres mots à cet effet?
R. Bien, d’une certaine façon oui, il a dit «Quels sont les risques d’être paralysé par suite de l’opération?»
Q. Et avez-vous répondu à cette question?
R. Oui.
Q. Et quelle a été votre réponse?
R. Je lui ai dit que le risque d’être paralysé s’il subissait l’opération était inférieur au risque qu’il courait d’être paralysé s’il ne subissait pas l’opération.»
[Q.] Est-ce ce que vous dites? Reconnaissez-vous que c’est là ce que vous lui avez dit?
R. Oui, je le crois.
Q. Si l’on tient pour acquis que c’est ce qu’il a dit?
R. Oui.
Q. Un peu plus bas:
«C’est une chose que je n’ai pas comprise, Docteur.» Vous avez réellement parlé de paralysie, n’est-ce pas?
R. Oui.
Q. J’ai cru comprendre de ce que vous avez dit plus tôt que le cœur de vos conversations était toujours «Regardez, vous risquez d’être victime d’un accident cérébro-vasculaire si vous ne subissez pas l’opération. Donc, il est préférable que vous la subissiez.»?
R. Oui.
Vous a-t-on posé cette question et avez-vous donné cette réponse?
R. Au moment de l’interrogatoire préalable?
Q. Oui?
R. Oui.
Q. Était-ce vrai?
R. Oui.
Une partie du contre-interrogatoire porte sur la question d’opérer à nouveau le demandeur, et je reproduis une seule question-réponse:
[TRADUCTION] Q. En d’autres mots, en 1970 vous n’envisagiez, sous aucune considération, d’opérer à nouveau un patient sur lequel vous aviez pratiqué une endartériectomie de la carotide; est-ce juste?
R. Je le crois.
Le Dr Hughes a ensuite répété qu’en raison des «risques très élevés de mortalité», il n’opérerait pas à nouveau.
[Page 925]
5. Le manquement au devoir de divulguer: examen des conclusions des cours d’instance inférieure
A mon avis, la preuve au dossier justifie amplement la conclusion du juge de première instance que le demandeur a été simplement informé ou a uniquement compris qu’il serait préférable de subir l’opération plutôt que de refuser de la subir. Cela n’était pas une divulgation adéquate ni suffisante du risque que comportait l’opération elle-même, un risque que le défendeur connaissait bien compte tenu de sa propre expérience: des soixante à soixante-dix opérations semblables qu’il avait antérieurement pratiquées, huit ou dix ont entraîné la mort des patients. Bien que le taux de mortalité ait été à la baisse en 1970, selon le Dr Hughes le taux de morbidité (maladie) se situait toujours aux environs de dix pour cent. Le juge de première instance était également justifié de conclure que le demandeur, qui s’inquiétait de ses maux de tête continus et qui souffrait également d’hypertension, avait l’impression que l’opération le soulagerait des maux de tête et réduirait son hypertension de sorte qu’il pourrait continuer à travailler. Le Dr Hughes a dit clairement dans son témoignage que l’opération n’éliminerait pas les maux de tête mais, comme l’a conclu le juge de première instance, il ne l’a pas expliqué aussi clairement au demandeur.
Les conclusions qui précèdent s’appuient sur la preuve, indépendamment du recours aux prétendues statistiques que la majorité de la Cour d’appel a critiqué. Bien que le juge Brooke, qui a exprimé l’opinion majoritaire de la Cour d’appel, semble ne pas tenir compte des constatations du juge de première instance parce que ce dernier ne s’est pas prononcé sur la crédibilité, il est évident à mon avis qu’en parvenant à ses conclusions, le juge de première instance a pesé la preuve et a donc mesuré son importance relative sur les questions qu’il devait trancher. Le témoignage du défendeur comportait des incohérences, comme le juge de première instance l’a fait remarquer dans ses motifs, et il lui appartenait de les concilier pour parvenir à ses conclusions. Par exemple, dans son interrogatoire principal, le défendeur a dit qu’il avait informer le demandeur du risque d’un accident cérébro‑vasculaire pendant l’opération et, en
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contre-interrogatoire, il a dit que les risques de l’opération étaient assez minimes. De plus, en contre‑interrogatoire, il a dit ne pas avoir informé le patient que l’opération pouvait entraîner un accident cérébro-vasculaire dans un délai précis après l’opération et il est revenu à une déclaration qu’il a souvent répétée, que les risques de paralysie étaient plus grands s’il n’opérait pas que s’il opérait. (C’est également la seule chose que le Dr Lougheed, témoin de la défense, a mentionné quant au risque que comportait l’opération ou l’absence d’opération. Son témoignage a presque uniquement porté sur les soins postopératoires et sur la question de savoir s’il était possible d’opérer à nouveau. Il a dit que ce n’était pas possible. Cependant, comme je l’ai dit plus tôt, les soins postopératoires ne sont pas en litige devant cette Cour.) De plus, le défendeur a situé la réalisation de ce risque au cours des années suivantes et non pas immédiatement. De fait, lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire s’il avait dit au patient que l’opération comportait le risque d’un accident cérébro-vasculaire il a répondu [TRADUCTION] «Je n’ai pas dit cela précisément». C’est certainement un cas où un juge de première instance, ici un juge expérimenté, est mieux placé qu’une cour d’appel ou que cette Cour pour décider quels témoignages accepter et quelles conclusions en tirer.
Dans les passages précités des motifs du juge Brooke, qui a exprimé l’opinion majoritaire de la Cour d’appel, on trouve deux façons d’aborder la question cruciale de savoir si le défendeur a prévenu le demandeur du risque d’accident cérébrovasculaire que comportait l’opération même. Dans le premier passage cité, le savant juge d’appel a considéré la conclusion du juge de première instance sur cette question comme une conclusion que le demandeur n’a pas été mis au courant de ce risque. C’est nettement une bonne appréciation de la conclusion du juge de première instance. Toutefois, le juge Brooke poursuit son examen de l’affaire et de la preuve comme s’il y avait eu une divulgation partielle, bien qu’insuffisante, du risque particulier, ce qui l’a amené à évaluer les statistiques mentionnées par le juge de première instance et à critiquer leur utilisation. Dans le second passage cité des motifs du juge Brooke où il
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examine les statistiques, il ne tient pas compte de la conclusion du juge de première instance portant qu’il n’y a pas eu divulgation des risques que comportait l’opération elle-même. A mon avis, la Cour d’appel a omis d’examiner cette question directement. Compte tenu du propre témoignage du défendeur qu’il n’a pas divulgué le risque, même si le demandeur a lui-même soulevé la question des risques qu’il courait sur la table d’opération, il est à mon sens indubitable qu’il y a eu manquement à cet égard au devoir de divulguer.
En fait, les motifs de la Cour d’appel dans un autre passage, que je n’ai pas encore cité, appuient la conclusion du juge de première instance que le défendeur n’a pas divulgué adéquatement le risque que comportait l’opération elle-même. Voici ce qu’a dit le juge Brook sur cette question:
[TRADUCTION] Il [le défendeur] n’a pas parlé spécifiquement des questions de décès ou de paralysie en tant que risques que comportait l’opération; il a expliqué qu’il croyait que le patient était conscient du risque compte tenu des questions qu’il avait posées lorsqu’ils ont parlé de l’opération. Il était d’opinion qu’aucun détail supplémentaire n’était nécessaire.
Il semble donc y avoir à cet égard des conclusions de fait concordantes contre le défendeur sur une question principale en litige.
Plusieurs considérations pertinentes qui motivent les conclusions du juge de première instance n’ont pas été contestées. Tout d’abord, aucune urgence ne rendait l’opération obligatoire. On n’a remarqué aucun déficit neurologique. Le défendeur lui-même reportait à quatre ou cinq ans le risque d’un accident cérébro-vasculaire. Tout risque immédiat découlerait de l’opération et non du refus de la subir. De plus, il devait être évident pour le défendeur que le demandeur éprouvait certaines difficultés en anglais et qu’il devait donc s’assurer qu’il était compris. Finalement, aucune preuve n’indiquait que le demandeur était tendu émotivement ou qu’il était incapable d’accepter la divulgation du risque sérieux auquel il s’exposait en subissant l’opération. À mon avis, les motifs de la majorité de la Cour d’appel ne s’appuient sur aucun élément de preuve qui permette de modifier les conclusions du juge de première instance sur le
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manquement du défendeur au devoir de divulguer. Bien sûr, la preuve médicale est pertinente sur ce que ce devoir comporte, mais, ceci dit, il appartient à l’arbitre des faits d’en fixer la portée et de décider s’il y a eu manquement à ce devoir. Comme je l’ai déjà dit, les prétendues données statistiques utilisées par le juge de première instance n’ont pas eu d’incidence sur les motifs qui ont servi de fondement à ses conclusions décisives. La Cour d’appel a toutefois conclu que le juge de première instance n’avait pas accordé l’attention nécessaire à la question de la causalité. Il ne l’a pas laissée de côté, même s’il eut été préférable qu’il l’examine plus attentivement. La question demeure donc de savoir si cela constitue un fondement suffisant pour ordonner un nouveau procès.
6. La causalité
En l’espèce, les points suivants sont pertinents à la question de savoir si une personne raisonnable placée dans la situation du demandeur aurait refusé de subir l’opération à ce moment particulier: s’il avait conservé son emploi pendant encore un an et demi environ, il aurait acquis le droit à une pension; il n’y avait pas de déficit neurologique alors apparent; aucune urgence directe ne rendait l’opération obligatoire; l’opération comportait un risque sérieux d’accident cérébro-vasculaire ou un risque plus grave, alors qu’en l’absence d’opération, il s’agissait d’un risque futur, incertain dans le temps ou que l’on pouvait fixer de façon aléatoire à trois ans ou davantage. Puisque, selon la conclusion du juge de première instance, le demandeur était sous la fausse impression, par suite du manquement du défendeur au devoir de divulguer, que l’opération aurait pour effet de soulager ses maux de tête persistants, cela constituerait, chez une personne raisonnable placée dans la situation du demandeur, une raison de plus pour refuser de subir l’opération à ce moment particulier.
À mon avis, une personne raisonnable placée dans la situation du demandeur aurait, suivant la prépondérance des probabilités, choisi de ne pas subir l’opération à ce moment particulier.
La Conclusion
Je suis par conséquent d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de
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rétablir le jugement de première instance. L’appelant a droit à ses dépens dans toutes les cours.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs du demandeur, appelant: Thomson, Rogers, Toronto.
Procureurs du défendeur, intimé: McCarthy & McCarthy, Toronto.
[1] (1978), 89 D.L.R. (3d) 112, (1978), 21 O.R. (2d) 14.
[2] [1980] 2 R.C.S. 192.
[3] (1976), 15 O.R. (2d) 290.
[4] (1914), 211 N.Y. 125, 105 N.E. 92.
[5] [1933] 3 D.L.R. 260.
[6] [1949] 2 D.L.R. 442.
[7] [1935] 1 W.W.R. 714.
[8] [1940] O.W.N. 238.
[9] (1974), 53 D.L.R. (3d) 494.
[10] (1972), 464 F. 2d 772.
[11] 409 U.S. 1064.
[12] (1972), 502 P. 2d 1.
[13] (1974), 359 N.Y.S. 2d 432.
[14] (1975), 65 D.L.R. (3d) 766.