O'Hara c. Colombie-Britannique, [1987] 2 R.C.S. 591
Terrance Patrick O'Hara et John Earl Kirkbride Appelants
c.
Sa Majesté La Reine du chef de la province de la Colombie‑Britannique, le procureur général de la province de la Colombie‑Britannique, Malcolm A. Matheson, Mary Saunders et Richard M. MacIntosh Intimés
et
Le procureur général de l'Ontario, le procureur général du Québec, le procureur général du Nouveau‑Brunswick et le procureur général de l'Alberta Intervenants
répertorié: o'hara c. colombie‑britannique
No du greffe: 20260.
1987: 2 juin; 1987: 19 novembre.
Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Lamer, Wilson, Le Dain, La Forest et L'Heureux‑Dubé.
en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique
Droit constitutionnel ‑‑ Répartition des pouvoirs législatifs ‑‑ Administration de la justice et droit criminel ‑‑ Commission d'enquête provinciale ‑‑ Enquête sur des présumés méfaits qu'auraient commis des agents de police provinciaux ‑‑ Commission dotée du pouvoir d'obliger les témoins à déposer sous serment ‑‑ Validité du décret créant la Commission ‑‑ Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27), 92(6), (14), (16).
En vertu de l'Inquiry Act de la Colombie‑Britannique, le lieutenant‑gouverneur en conseil a promulgué le décret no 590 qui a nommé trois commissaires chargés d'enquêter et de faire rapport sur toutes les questions reliées aux blessures qu'aurait subies un détenu dans un poste de police. Le détenu s'est plaint qu'il avait été agressé par des agents de police au cours de sa détention et que sa blessure résultait de cette agression. Les appelants et les autres agents de police en fonction la nuit de l'incident ont été sommés de comparaître devant la Commission. Les agents ont alors demandé à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique une ordonnance déclarant que le décret outrepassait les pouvoirs de la province. Ils ont soutenu que le mandat de la Commission fixée par le décret empiétait sur le pouvoir législatif exclusif que le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement parce que l'objet principal de la Commission était d'examiner si certaines infractions précises s'étaient produites et, le cas échéant, de déterminer qui était responsable. Les requêtes ont été rejetées et la Cour d'appel a confirmé ce jugement.
Arrêt (le juge Estey est dissident): Le pourvoi est rejeté.
Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Lamer, Wilson, Le Dain, La Forest et L'Heureux‑Dubé: Le paragraphe 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867 autorise une province à créer une commission pour enquêter et faire rapport sur des méfaits qu'auraient commis des membres d'un corps de police qui relève de sa compétence et pour permettre à une telle commission d'obliger les témoins à déposer. Toutefois, il y a des limites au pouvoir d'une province d'établir une commission d'enquête et de la doter de pouvoirs d'enquête coercitifs. Premièrement, une province doit respecter la compétence fédérale en matière de droit criminel et de procédure criminelle. Par exemple, une commission d'enquête établie uniquement pour déterminer la responsabilité criminelle et pour contourner la protection que le Code criminel accorde à un accusé outrepasserait les pouvoirs d'une province, car il s'agirait d'une matière relative au droit criminel et à la procédure en matière criminelle. Deuxièmement, une province ne peut se fonder sur sa compétence aux termes du par. 92(14) pour s'ingérer dans la gestion d'un organisme fédéral. Troisièmement, ni une province ni le Parlement ne peuvent porter atteinte aux droits des citoyens canadiens en établissant des commissions d'enquête de ce genre.
En l'espèce, le décret relève de la compétence législative de la province. La Commission d'enquête était chargée d'enquêter sur des présumés méfaits pour des fins différentes de celles qui sous‑tendent le droit criminel et la procédure criminelle. L'enquête n'a pas pour but de déterminer la responsabilité criminelle, mais elle a pour but d'aller jusqu'au fond d'un cas de mauvaise conduite de la part de la police qui a porté atteinte à la bonne administration de la justice. Les autorités fédérales n'ont pas compétence pour imposer des mesures disciplinaires aux agents de police visés par l'enquête.
En outre, étant donné que le présumé méfait s'est produit dans une prison, le par. 92(6) de la Loi constitutionnelle de 1867 constitue un fondement constitutionnel indépendant du par. 92(14) sur lequel peut s'appuyer la compétence provinciale à l'égard de l'enquête. Il convient également de mentionner le par. 92(16).
Le juge Estey (dissident): Le droit criminel et la procédure en matière criminelle ne peuvent être contournés par une mesure provinciale prise sous le régime d'une loi générale en matière d'enquêtes. Le principal et apparemment seul but de l'enquête était d'isoler et d'identifier les véritables délinquants afin de les poursuivre. Cette situation offre une base précaire pour étendre ou projeter les observations faites par cette Cour dans l'arrêt Faber c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 9. Certes, il existe une démarcation très mince pour déterminer si le recours à une enquête provinciale coercitive, qui porte atteinte aux droits que possèdent les citoyens en vertu de nos lois en matière criminelle, empiète sur la compétence fédérale. Vu la gravité des conséquences possibles pour la personne d'un empiétement provincial sur le processus criminel, les tribunaux devraient être très prudents en élargissant les enquêtes relatives aux matières criminelles que les provinces peuvent à l'occasion mettre sur pied.
Jurisprudence
Citée par le juge en chef Dickson
Arrêts appliqués: Faber c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 9; Procureur général du Québec et Keable c. Procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 218; Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152; Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60; Procureur général de l'Alberta c. Putnam, [1981] 2 R.C.S. 267; arrêts mentionnés: Re Nelles and Grange (1984), 9 D.L.R. (4th) 79; R. v. Hoffmann‑La Roche Ltd. (Nos. 1 & 2) (1981), 33 O.R. (2d) 694; Procureur général du Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée, [1983] 2 R.C.S. 206; Re Public Inquiries Act (1919), 48 D.L.R. 237; Reference Re the Adoption Act, [1938] R.C.S. 398; Kelly & Sons v. Mathers (1915), 23 D.L.R. 225; Batary v. Attorney General for Saskatchewan, [1965] R.C.S. 465.
Citée par le juge Estey (dissident)
Faber c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 9; Batary v. Attorney General for Saskatchewan, [1965] R.C.S. 465; Procureur général du Québec et Keable c. Procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 218; Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 11h), 13.
Inquiry Act, R.S.B.C. 1979, chap. 198, art. 8.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27), 92(6), (14), (16).
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E‑10.
Police Act, R.S.B.C. 1979, chap. 331, art. 40.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1987), 36 D.L.R. (4th) 308, 33 C.C.C. (3d) 90, [1987] 3 W.W.R. 362 (sub nom. Robinson v. B.C. (Govt.)), qui a confirmé le jugement du juge Legg (1986), 3 B.C.L.R. (2d) 77, 28 C.C.C. (3d) 489, [1986] 4 W.W.R. 729, qui avait rejeté la demande des appelants portant que le décret no 590 outrepassait la compétence de la province. Pourvoi rejeté, le juge Estey est dissident.
Richard R. Sugden et George Sourisseau, pour l'appelant O'Hara.
A. G. Henderson, pour l'appelant Kirkbride.
Brian R. D. Smith, c.r., et E. Robert A. Edwards, c.r., pour les intimés Sa Majesté la Reine et le procureur général de la Colombie‑ Britannique.
Lucy Cecchetto, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.
Yves de Montigny, pour l'intervenant le procureur général du Québec.
Grant S. Garneau, pour l'intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.
William Henkel, c.r., pour l'intervenant le procureur général de l'Alberta.
Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges Beetz, McIntyre, Lamer, Wilson, Le Dain, La Forest et L'Heureux‑Dubé rendu par
1. Le Juge en chef‑‑Le présent pourvoi soulève la question de savoir si la Loi constitutionnelle de 1867 autorise une province à établir une commission chargée d'enquêter et de faire rapport sur des méfaits qu'auraient commis des membres de ses propres corps de police et à doter cette commission du pouvoir d'obliger les témoins à déposer sous serment.
I
Les faits
2. Michael Jacobsen (qui n'est pas partie à la présente affaire) a été arrêté par la police alors qu'il était en état d'ébriété, puis incarcéré dans une prison de la police municipale de Vancouver, en Colombie‑Britannique. Les appelants O'Hara et Kirkbride sont des agents de la police municipale de Vancouver qui, avec quatre autres agents, étaient en fonction à la prison municipale cette nuit‑là. Environ cinq heures après son incarcération, Jacobsen a été remis en liberté et s'est rendu immédiatement dans un hôpital local pour faire soigner une blessure grave à son genou. Jacobsen s'est plaint qu'il avait été agressé par un seul ou plusieurs agents au cours de sa détention et que sa blessure résultait de cette agression.
3. Par suite de sa plainte, la police municipale de Vancouver a mené une enquête interne approfondie. Les résultats de cette enquête ont été transmis au substitut du procureur général du district qui a déterminé que la preuve soumise ne pourrait pas appuyer des accusations criminelles en raison de l'absence d'éléments de preuve identifiant le ou les agresseurs. Les autorités policières ont décidé de ne prendre aucune autre mesure. Toutefois, se fondant sur l'art. 40 de la Police Act, R.S.B.C. 1979, chap. 331, Jacobsen a demandé la tenue d'une enquête publique sur la conduite du caporal Nixon, qui était le sous‑officier en fonction à la prison municipale au moment où il a été détenu. Jacobsen a allégué que Nixon était la personne qui l'avait agressé. En outre, Jacobsen a intenté une action contre la ville de Vancouver, le directeur de la police M. Stewart, la Commission de police de Vancouver et les agents de police qui étaient en fonction cette nuit‑là, en vue d'obtenir des dommages‑intérêts pour des blessures corporelles résultant de l'agression qu'il aurait subie.
4. Une enquête a été instituée conformément à l'art. 40 de la Police Act. Après avoir entendu les dépositions de Jacobsen, des agents de police en question et de douze autres témoins, le comité d'enquête de la Commission de police de Vancouver a, dans des motifs écrits, rejeté la plainte portée contre Nixon, concluant qu'aucun élément de preuve fiable ne permettait d'identifier un agent en particulier. Toutefois, la Commission a conclu que les blessures subies par Jacobsen avaient été causées par une agression perpétrée par au moins deux des agents de police en fonction cette nuit‑là et que certains ou la totalité de ces agents avaient participé au "camouflage" des événements. La Commission a demandé que le directeur de la police, sinon la Commission de police de la Colombie‑Britannique, examine l'affaire pour voir ce qui est réellement arrivé à Jacobsen au cours de la nuit en question.
5. L'action civile intentée par Jacobsen contre Stewart, le directeur de la police, le sergent Cox et la Commission de police de Vancouver a par la suite été rejetée. L'action civile intentée contre les autres agents de police a été réglée; la ville a payé.
6. Le lieutenant‑gouverneur en conseil a promulgué le décret no 590 conformément à l'Inquiry Act, R.S.B.C. 1979, chap. 198. Dans ce décret, il a nommé les intimés Matheson, Saunders et MacIntosh (qui ne prennent pas position dans le présent pourvoi), membres de la Commission de police de la Colombie‑Britannique, à titre de commissaires chargés d'enquêter et de faire rapport sur toutes les questions reliées aux blessures qu'aurait subies Jacobsen. Voici les modalités du décret:
1. Une commission nommant Malcolm A. Matheson, président de la Commission de police de la Colombie‑Britannique, ainsi que Mary Saunders et Richard M. MacIntosh, membres de cette commission, à titre de commissaires aux termes de la partie 2 de l'Inquiry Act, chargés d'enquêter et de faire rapport sur toutes les questions reliées aux blessures qu'aurait subies Michael Albert Jacobsen le 30 septembre 1983 et qui, selon ce qu'il a déclaré, ont été causées au cours de sa détention dans un poste de police de Vancouver à cette date, sur les résultats d'une enquête interne de la police, des enquêtes et des audiences qui ont suivi la plainte déposée par M. Jacobsen aux termes de la Police Act et sur la question de savoir si tous les éléments de preuve pertinents ont été correctement présentés et donnés sincèrement au cours de ces enquêtes et audiences. En particulier, la Commission est chargée d'enquêter et de faire rapport sur
a) tous les facteurs entourant la détention de Jacobsen au poste de police de Vancouver le 30 septembre 1983, plus particulièrement, sur les motifs de cette détention et la durée de celle‑ci,
b) la question de savoir si Jacobsen a subi des blessures alors qu'il était détenu par la police et, dans l'affirmative, sur la gravité de celles‑ci, sur la ou les personnes qui les ont infligées, les motifs pour lesquels elles ont été infligées et le moment et l'endroit où les blessures ont été causées,
c) la question de savoir si un membre du personnel de la police de Vancouver a joué un rôle dans l'agression contre Jacobsen, a eu ou pris connaissance des blessures qu'il a subies et, dans l'affirmative, de qui il s'agit et dans quelle mesure chacun a contribué aux blessures ou en a eu ou pris connaissance,
d) la question de savoir si un agent de police qui a eu connaissance de l'agression (le cas échéant) contre Jacobsen a pris des mesures pour l'empêcher de subir des blessures et, sinon, pourquoi pas, et
e) tous les dossiers d'enquêtes relatives à des questions de discipline interne, les poursuites judiciaires et autres enquêtes qui ont eu lieu par suite des plaintes déposées par Jacobsen aux termes de la Police Act ou d'une action civile intentée contre le corps de police de Vancouver et sur la question de savoir si, de l'avis des commissaires, des éléments de preuve ont été falsifiés, n'ont pas été présentés ou ont été supprimés lors de ces enquêtes et procédures et, dans l'affirmative, dans quelle mesure et, si nécessaire, par quelle personne . . .
La promulgation du décret no 590 était accompagnée d'un communiqué de presse du ministère du Procureur général de la Colombie‑Britannique, dans lequel on déclarait que les commissaires tiendraient une audience publique sur les circonstances entourant les blessures qui auraient été infligées [TRADUCTION] "y compris le moment, l'endroit et par quelle personne". Selon le communiqué de presse, la commission aurait [TRADUCTION] "un pouvoir semblable à celui dont jouit normalement un tribunal judiciaire saisi d'une instance aux termes du Code criminel".
7. Les appelants et les autres agents de police ont été sommés de comparaître devant la Commission. Les agents ont alors demandé à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique une ordonnance déclarant que le décret outrepassait les pouvoirs de la province, une injonction empêchant les commissaires de procéder et une ordonnance annulant les sommations qui leur avaient été adressées. Le juge Legg a rejeté les requêtes: (1986), 28 C.C.C. (3d) 489. L'appel interjeté devant la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a été rejeté: (1987), 33 C.C.C. (3d) 90. Cette Cour a accordé l'autorisation de pourvoi contre l'arrêt de la Cour d'appel.
II
Jugements
Rapport du comité d'enquête publique de la Commission de police de Vancouver
8. Madame Kathleen Keating, présidente du comité d'enquête publique créé aux termes de l'art. 40 de la Police Act, par suite de la plainte de Jacobsen, fait les observations suivantes dans son rapport:
[TRADUCTION] Il s'agit de l'affaire la plus troublante dont a été saisi ce comité. Elle concerne un jeune homme qui a été arrêté et amené en prison parce qu'on considérait qu'il était dans un état d'ébriété trop avancé pour s'occuper de lui‑même après que le conducteur de la voiture dans laquelle il prenait place eut été arrêté pour conduite avec facultés affaiblies.
Agé de 25 ans et en bonne santé, quoiqu'en état d'ébriété, il est arrivé à la prison vers 5 h le matin du 30 septembre 1983. Cinq heures plus tard, il a été remis en liberté alors qu'il souffrait d'une fracture de la rotule et on lui a conseillé de "se faire examiner sans délai". Bien qu'il ait été incapable de s'appuyer sur sa jambe, il a réussi à se rendre à l'hôpital où on l'a opéré le jour même et plusieurs fois par la suite. Il est peu probable que son genou retrouve jamais sa pleine mobilité.
Bien qu'il se soit produit un événement qui ne peut être qu'inusité, quelle que soit la manière dont la rotule a pu être fracturée, aucun des sept agents et gardiens ayant déposé qu'ils étaient en fonction à ce moment‑là, ne pouvait se souvenir que quelque chose d'inhabituel était arrivé ce matin‑là.
Le rapport se termine par les passages suivants:
[TRADUCTION] Cette affaire trouble la Commission pour un certain nombre de raisons. D'abord et avant tout, il est évident que, entre le moment où il est arrivé à la prison vers 5 h le 30 septembre 1983 et environ une demi‑heure plus tard, M. Jacobsen a subi une blessure grave. Malgré certaines hypothèses avancées par plusieurs témoins selon lesquelles cette blessure aurait pu survenir par suite d'une bagarre dans la cellule ou d'une chute alors que M. Jacobsen se déplaçait avec son pantalon aux genoux, rien ne les corrobore et il n'y a aucun motif de ne pas ajouter foi au témoignage de M. Rice [qui était dans la même cellule que Jacobsen]. Par conséquent, la Commission est d'avis que la blessure subie par M. Jacobsen a été causée par les actes d'au moins une personne en fonction dans la prison cette nuit‑là. Toutefois, il est tout à fait vrai, comme le soutient Me Hall [l'avocat du caporal Nixon], qu'il n'y a aucun élément de preuve fiable en matière d'identification permettant de conclure à la culpabilité d'un agent en particulier.
Cela nous amène à la seconde source d'inquiétude. Il se peut que, de toute façon, il n'ait pas été possible d'obtenir une meilleure identification. Toutefois, il se peut qu'une preuve appropriée en matière d'identification aurait pu être obtenue s'il y avait eu une autre séance d'identification au début de l'enquête. La séance d'identification au moyen de photographies qui a été présentée en preuve n'a pas semblé très satisfaisante étant donné la qualité et l'âge de certaines des photos. La pratique selon laquelle le témoin doit examiner un groupe d'agents présents dans la salle d'audience n'est également pas appropriée. Il y a de bonnes raisons pour que les séances d'identification aient lieu dans un contexte approprié, dans des circonstances contrôlées, et ces raisons ne cessent pas de s'appliquer lorsque des policiers sont accusés.
Troisièmement, il y a une lacune dans les inscriptions qui auraient dû être portées au registre de la prison la nuit en question. Le caporal Nixon a déclaré à l'agent enquêteur qu'un membre du personnel infirmier a mentionné qu'on apporterait de la glace pour un prisonnier dont le genou était enflé. Toutefois il n'a pas veillé à ce que cela soit correctement inscrit dans le registre. Le gardien O'Hara a donné la glace au prisonnier, mais n'a pas veillé à ce que ce soit inscrit dans le registre. Les inscriptions qui auraient dû alerter le personnel de la prison, à supposer qu'il n'ait pas été déjà au courant d'un incident quelconque, ont été faites par l'infirmière de garde à 5 h 30 et par la deuxième infirmière, cinq heures plus tard. Ces inscriptions ou les observations qu'elles contiennent n'ont jamais été communiquées au personnel de la prison.
Quatrièmement, il est inacceptable qu'un prisonnier soit remis en liberté dans l'état où se trouvait M. Jacobsen sans qu'au moins on lui offre d'appeler un taxi pour le conduire à l'hôpital.
Étant donné les circonstances soulignées précédemment, la Commission approuve la décision du comité de discipline de ne prendre aucune mesure contre le caporal Nixon.
Toutefois, on ne peut en rester là. Une blessure grave a été causée et aucune explication plausible n'a été donnée si ce n'est qu'au moins deux agents auraient commis de graves infractions au code de discipline. Cette explication entraîne également la conclusion inévitable qu'au moins certains parmi les agents qui ont témoigné ont participé au "camouflage" des événements qui se sont déroulés cette nuit‑là. Si on en restait là, l'intégrité du service serait gravement diminuée aux yeux du public qu'il sert et, à notre avis, aux yeux de ses propres membres.
Par conséquent, la Commission est d'avis de demander au directeur de la police d'entreprendre un examen de l'affaire aux fins d'établir, premièrement, ce qui est réellement arrivé à M. Jacobsen la nuit en question, et deuxièmement, qui est impliqué dans cet incident et dans le camouflage subséquent. Par ailleurs, il se peut que le directeur de la police préfère qu'un tel examen soit effectué par la Commission de police de la Colombie‑Britannique, ce qui satisferait la Commission.
La Cour suprême de la Colombie‑Britannique
9. Devant le juge en chambre Legg, les six policiers requérants ont soutenu que l'objet premier de la commission constituée aux termes du décret était d'examiner si certaines infractions précises s'étaient produites et, dans l'affirmative, de déterminer qui était responsable; ils ont soutenu que le décret exigeait que les commissaires enquêtent pour déterminer si les requérants avaient agressé Jacobsen, s'ils avaient aidé ou encouragé à commettre l'agression et s'ils s'étaient parjurés en témoignant à l'enquête de la Commission de police de Vancouver; ils ont dit que le mandat de la Commission énoncé dans le décret outrepassait la compétence de la province aux termes des par. 92(14) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867 et empiétait sur le pouvoir législatif exclusif que le par. 91(27) de cette loi confère au Parlement du Canada. À l'appui de la position des requérants, l'avocat a invoqué les arrêts de la Cour d'appel de l'Ontario Re Nelles and Grange (1984), 9 D.L.R. (4th) 79, et R. v. Hoffmann‑La Roche Ltd. (Nos. 1 & 2) (1981), 33 O.R. (2d) 694, ainsi que l'arrêt de cette Cour Procureur général du Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée, [1983] 2 R.C.S. 206.
10. Le substitut du procureur général de la Colombie‑Britannique a reconnu que le but de la Commission était d'enquêter sur les allégations de comportement illégal et sur l'identité de ceux qui ont infligé les blessures, mais il a soutenu que cela relevait de la compétence législative que possède la province en vertu des par. 92(14) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867. Il a soutenu que le décret était autorisé par l'Inquiry Act de la Colombie‑Britannique. L'article 8 de cette loi autorise la tenue d'une enquête sur [TRADUCTION] "l'administration de la justice". Il a soutenu qu'il ne pouvait y avoir de doute que l'enquête, qui visait à déterminer les circonstances entourant le traitement d'un prisonnier entre les mains d'un corps de police constitué par la province et régi par la Police Act, portait sur "l'administration de la justice". La conduite des membres de la police provinciale dans l'exercice de leurs fonctions était clairement une question qui relevait du par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867 et de "l'administration de la justice dans la province". Le substitut du procureur général a en outre soutenu que le passage des motifs de l'arrêt Nelles sur lequel s'est fondé l'avocat des requérants constituait une opinion incidente et n'avait pas force obligatoire, et que la Cour était tenue, en vertu de l'arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique Re Public Inquiries Act (1919), 48 D.L.R. 237, de conclure qu'il est loisible à la province d'établir une commission chargée de faire rapport sur une activité précise qui peut imposer une responsabilité criminelle ou civile à une personne désignée. Le substitut a soutenu que la restriction conditionnelle proposée par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Nelles était erronée et qu'il n'y avait aucun obstacle constitutionnel à ce qu'une province autorise une enquête sur la perpétration de crimes et à ce qu'elle donne le nom des contrevenants. Le substitut s'est fondé également sur les arrêts Faber c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 9, Procureur général du Québec et Keable c. Procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 218 ("Keable no 1"), Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152, et Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60 ("Keable no 2"), pour appuyer l'argument selon lequel l'enquête relevait de la compétence constitutionnelle de la province.
11. Après avoir longuement passé en revue la jurisprudence, le juge Legg a dit (à la p. 505):
[TRADUCTION] J'ai examiné l'effet de la publication le même jour des motifs de l'arrêt Keable no 2 et de l'arrêt Transports Nationaux. Bien que les motifs du juge en chef Laskin dans l'arrêt Transports Nationaux, qui approuvent entièrement les motifs du juge Martin dans Hoffmann‑La Roche, semblent imposer une restriction aux arrêts Keable, il n'y a aucune déclaration de la Cour dans l'arrêt Transports Nationaux, qui désavoue expressément la décision rendue par le juge Pigeon dans l'arrêt Keable no 1 à la p. 67 des C.C.C. et à la p. 179 des D.L.R., et que j'ai citée plus haut à la p. 503 des présents motifs. En fait, la Cour ne mentionne pas l'arrêt Keable no 1 dans l'arrêt Transports Nationaux. De plus, l'arrêt Transports Nationaux ne portait pas sur la constitutionnalité d'un décret pris par une province. Il s'agissait plutôt de savoir si le Parlement du Canada avait compétence pour adopter des mesures législatives (art. 2 du Code criminel et art. 15 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C‑23) autorisant le procureur général du Canada à présenter des actes d'accusation et à intenter des poursuites relativement à de présumées violations de cette loi. J'en suis donc venu à la conclusion que je suis tenu d'appliquer à l'espèce le raisonnement des arrêts Keable no 1 et Keable no 2.
En appliquant ces arrêts, il a conclu (à la p. 506):
[TRADUCTION] À mon avis, lorsqu'on examine l'ensemble du texte du décret en fonction des circonstances qui l'entourent, l'enquête qu'il autorise peut à juste titre être classée comme une enquête qui, de par son caractère véritable, porte sur l'administration de la justice dans la province. Le décret est semblable à celui examiné dans l'arrêt Keable no 1. Le raisonnement adopté par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Keable no 1 s'applique et plus particulièrement le passage, tiré de la p. 67 des C.C.C. et de la p. 179 des D.L.R., des motifs du juge Pigeon que j'ai cité précédemment, où l'on maintient la validité du mandat du commissaire "dans la mesure où il s'agit d'une enquête sur des activités criminelles spécifiées". Le décret est également conforme au raisonnement adopté par la Cour suprême dans l'arrêt Keable no 2 que j'ai cité à la p. 504 des présents motifs, où le juge Beetz déclare: ". . . une province peut faire enquête sur le comportement présumément illégal ou répréhensible de corps de police relevant de sa compétence constitutionnelle de même que sur le comportement présumément illégal de tout agent de la paix".
Pour ces motifs, je suis d'avis que le décret relève de la compétence législative de la province. Les arguments présentés par les requérants selon lesquels l'enquête constitue un empiétement sur le pouvoir législatif du Parlement du Canada aux termes du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 sont rejetés.
Le juge Legg a ensuite rejeté l'argument des appelants (abandonné depuis lors) selon lequel l'enquête contreviendrait aux art. 7 et 13 ainsi qu'à l'al. 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés. Ainsi, il a dit (à la p. 507):
[TRADUCTION] Je conviens avec le substitut du procureur général que la commission d'enquête établie aux termes du décret est un organisme doté de pouvoirs de recommandation et non de pouvoirs de décision. Elle fera rapport de ses conclusions au lieutenant‑gouverneur en conseil. Elle ne prendra aucune décision quant à la culpabilité ou à l'innocence ni quant à la responsabilité civile ou criminelle. Elle ne peut ni mettre fin à l'emploi ni imposer autrement une mesure disciplinaire à une personne. Son rapport n'entraînera pas nécessairement des procédures subséquentes contre qui que ce soit. Ainsi, on ne peut dire que l'enquête portera atteinte à la liberté ou à la sécurité d'une personne . . .
Pour ensuite ajouter:
[TRADUCTION] On ne peut présumer que les procédures qui se dérouleront devant les commissaires nommés aux termes du décret ne seront pas conformes aux "principes de justice fondamentale". Il faut plutôt présumer qu'elles le seront. Si ce n'est pas le cas, elles pourront faire l'objet d'un examen judiciaire à un moment opportun.
La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique
12. Le juge Seaton (à l'opinion duquel ont souscrit les juges Craig et Esson) a prononcé oralement des motifs rejetant l'appel. Il a dit (à la p. 94):
[TRADUCTION] Les motifs du juge Legg sont complets et détaillés. Je conviens avec lui que cette enquête porte non pas sur un crime, mais sur l'administration de la justice en Colombie‑Britannique. Cette conclusion est conforme aux arrêts de la Cour suprême du Canada.
Il a ajouté:
[TRADUCTION] Quelque chose de très grave s'est produit au poste de police de Vancouver cette nuit‑là. La justice ne pourra être correctement administrée que lorsqu'on aura découvert ce qui s'est produit dans cette affaire, parce que c'est seulement à ce moment‑là que des mesures pourront être prises pour veiller à ce que cela ne se reproduise plus. De même, ce qui est arrivé en l'espèce est susceptible de diminuer la confiance du public dans l'administration de la justice. Une enquête publique est nécessaire pour que le public sache que l'on s'occupe de cette affaire. Accessoirement à l'enquête, on pourrait découvrir des éléments de preuve qui permettraient de porter des accusations. Cette possibilité ne rend pas l'enquête ultra vires. Je suis d'accord avec le juge Legg. Je suis d'avis de rejeter l'appel.
III
La question constitutionnelle
13. Le 13 avril 1987, la question constitutionnelle suivante a été formulée relativement au présent pourvoi:
Le décret no 590 promulgué le 19 mars 1986 outrepasse‑t‑il, en totalité ou en partie, la compétence de la province de la Colombie‑Britannique pour le motif qu'il s'agit d'un texte législatif concernant le droit criminel, y compris la procédure en matière criminelle, au sens du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867?
Les procureurs généraux de l'Ontario, du Québec, du Nouveau‑Brunswick et de l'Alberta sont intervenus en l'espèce pour appuyer le procureur général de la Colombie‑Britannique. Le procureur général du Canada n'a pas pris position dans le pourvoi.
IV
Le droit
14. Le paragraphe 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867 accorde aux législatures provinciales le pouvoir d'adopter des lois concernant "l'administration de la justice dans la province, y compris la constitution, le maintien et l'organisation de tribunaux provinciaux, de juridiction tant civile que criminelle, y compris la procédure en matière civile devant ces tribunaux". Cette Cour a établi depuis longtemps qu'une province est responsable de l'application du droit dans la province et est chargée du contrôle et de la surveillance de l'application du droit dans la province en ce qui a trait aux lois provinciales et au droit criminel défini par le Parlement fédéral. Le juge en chef Duff a affirmé, dans le renvoi Reference Re the Adoption Act, [1938] R.C.S. 398, que la responsabilité des provinces en la matière s'étendait à [TRADUCTION] "la police du pays, l'application du droit criminel, l'élimination du crime et des troubles de l'ordre public". La responsabilité provinciale en matière d'"administration de la justice" a été interprétée plus récemment ainsi par le juge Beetz dans les motifs concordants qu'il a rédigés dans l'arrêt Di Iorio, précité, à la p. 223:
Avant la Confédération, l'administration de la justice, y compris l'administration de la justice en matière criminelle, était l'affaire des provinces. Au paragraphe (27) de l'art. 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, on a prévu que le droit criminel, tant les questions de fond que de procédure, relèverait de l'autorité législative exclusive du Parlement du Canada. Mais sous réserve de cette disposition et de la primauté des lois fédérales adoptées en vertu des pouvoirs inhérents ou accessoires du Parlement, les provinces devaient demeurer responsables en principe de l'application du droit criminel et conserver la compétence qu'elles possédaient jusque‑là sur l'administration de la justice en matière criminelle. Elles ont effectivement continué à maintenir l'ordre sur leur territoire respectif, à enquêter sur les crimes, à recueillir des renseignements et constituer des dossiers en cette matière, à poursuivre les criminels et à contrôler les corps de police, les shérifs, les coroners, les commissaires aux incendies, les fonctionnaires de la justice, la convocation des jurés, les engagements dans les cours criminelles et autres matières semblables. [Je souligne.]
15. Le juge Legg de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a indiqué la nature générale et l'effet des principales décisions sur ce point et, à mon avis, a conclu à bon droit que, malgré la compétence exclusive dont jouit le Parlement relativement au droit criminel et à la procédure en matière criminelle, le par. 92(14) autorise une province à établir une commission pour enquêter et faire rapport sur des méfaits qu'auraient commis des membres d'un corps de police qui relève de sa compétence et pour permettre à une telle commission d'obliger les témoins à déposer.
16. Je suis d'accord avec les décisions des tribunaux de la Colombie‑Britannique et ce pour deux raisons principales. Premièrement, il est bien établi que, conformément au par. 92(14), une province peut créer une commission ou un organisme d'enquête et, dans certaines circonstances du moins, les doter de pouvoirs d'enquête coercitifs. Par exemple, dans l'arrêt Faber, cette Cour a conclu à la majorité qu'une province pouvait donner au coroner des pouvoirs d'enquête coercitifs. Dans des arrêts subséquents, cette Cour a appliqué le principe énoncé dans l'arrêt Faber pour confirmer la validité d'enquêtes provinciales portant sur de présumés méfaits de la police. Voir Di Iorio, Keable no 1, Procureur général de l'Alberta c. Putnam, [1981] 2 R.C.S. 267, et Keable no 2. Voir également l'arrêt de la Cour d'appel du Manitoba Kelly & Sons v. Mathers (1915), 23 D.L.R. 225 à la p. 247, le juge Cameron. Par exemple, dans l'arrêt Keable no 1, le juge Pigeon a conclu qu'aux termes du par. 92(14) une province a le droit d'instituer une enquête sur certaines activités précises présumément criminelles d'agents de la police fédérale, bien qu'elle ne puisse pas s'ingérer dans la gestion d'un corps de police fédéral. Il a dit, à la p. 242, que le personnel de la G.R.C. "ne jouit d'aucune immunité contre le pouvoir des autorités provinciales appropriées de faire enquête et d'instituer des poursuites en cas d'actes criminels commis par l'un deux comme par toute autre personne". Dans l'arrêt Putnam, la Cour était saisie de la question de savoir si la Police Act, 1973, S.A. 1973, chap. 44 (maintenant R.S.A. 1980, chap. P‑12), et ses dispositions en matière de discipline et de surveillance pouvaient s'appliquer constitutionnellement afin de prévoir une procédure permettant d'imposer des mesures disciplinaires aux agents de la G.R.C. qui avaient exercé des activités outrepassant le cadre des services de police pour lesquels un contrat avait été passé avec la province. Le juge en chef Laskin, s'exprimant au nom de la Cour à la majorité, a conclu que l'imposition de mesures disciplinaires à la G.R.C. était un domaine de responsabilité fédérale exclusive. Dans l'arrêt Putnam, on ne se préoccupait pas tant de la possibilité d'un empiétement provincial sur la preuve et la procédure en matière criminelle, que de l'intervention provinciale dans des organismes fédéraux.
17. Alors, depuis les arrêts Keable no 1 et Putnam, il est évident que les limites de "l'administration de la justice" ne comprennent pas les mesures disciplinaires, l'organisation et la gestion de la G.R.C. Toutefois, dans les motifs de dissidence que j'ai rédigés dans l'affaire Putnam, j'ai tenté d'établir clairement que "l'administration de la justice" comprend l'organisation et la gestion des corps de police créés par des lois provinciales. Comme je l'ai dit, à la p. 279:
Il n'a jamais fait de doute que du point de vue constitutionnel l'expression "administration de la justice dans la province" comporte la responsabilité de fournir des services généraux de police. Il est donc évident que la province peut nommer et surveiller les agents de police municipaux et provinciaux et prendre contre eux des mesures disciplinaires.
Sur ce point, je crois que la Cour est unanime. Donc, l'arrêt Putnam montre que la portée d'une enquête provinciale sur des méfaits de la police provinciale est plus grande que celle d'une enquête provinciale équivalente sur des corps de police fédéraux. On ne retrouve pas l'une des préoccupations dans ce domaine, savoir l'ingérence de la province dans la gestion d'un organisme fédéral.
18. Il est vrai que le pouvoir d'établir une telle commission d'enquête n'est pas sans limites. Une province doit respecter la compétence fédérale relative au droit criminel et à la procédure en matière criminelle. Par exemple, une province ne peut obliger une personne accusée d'une infraction criminelle à témoigner devant une commission d'enquête provinciale relativement aux circonstances à l'origine de cette accusation: Batary v. Attorney General for Saskatchewan, [1965] R.C.S. 465. Une province ne peut pas non plus adopter des mesures législatives habilitant un agent de police à citer un suspect devant les autorités et à le soumettre à un interrogatoire obligatoire sous serment en ce qui a trait à son implication dans un crime, aux seules fins d'obtenir suffisamment d'éléments de preuve pour porter des accusations criminelles. Voir Procureur général du Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée, précité. De plus, une province ne peut se fonder sur sa compétence en matière d'"administration de la justice dans la province" pour s'ingérer dans la gestion d'un organisme fédéral. La province n'a donc pas compétence pour autoriser une commission d'enquête, chargée de faire enquête sur des allégations d'actes illégaux ou répréhensibles de la part de divers corps policiers, y compris la G.R.C., à étendre son enquête à l'administration et à la gestion de ce corps de police: voir les arrêts Keable no 1 et Putnam. Toutefois, malgré ces restrictions, la jurisprudence de cette Cour établit clairement que, dans certaines circonstances, une province peut doter les commissions d'enquête provinciales de pouvoirs d'enquête coercitifs.
19. Deuxièmement, je suis d'avis que ces circonstances sont présentes en l'espèce. Le paragraphe 92(14) autorise non seulement la création de commissions d'enquête provinciales dans certaines circonstances, mais constitue également le fondement du pouvoir provincial en matière de nomination, de surveillance et de discipline des agents de police municipaux et provinciaux. Cette Cour l'a reconnu de façon unanime dans l'arrêt Keable no 2. À la page 79, le juge Beetz énonce ce principe de la manière suivante:
Le mandat du commissaire intimé ne porte pas sur les pouvoirs, devoirs et attributions des agents de la paix tels que déterminés par le droit criminel mais sur la manière dont ils ont pu être exercés en fait dans les circonstances que récite le mandat. Ce sont là des matières qui relèvent de l'administration de la justice et qui comprennent la discipline des corps de police et de leurs membres. L'arrêt Saulnier c. Commission de police du Québec, [1976] 1 R.C.S. 572, en est une illustration. Dans Procureur général de l'Alberta c. Putnam, [1981] 2 R.C.S. 267, cette Cour a décidé qu'une province ne détient pas le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires contre des agents de la G.R.C. affectés à des fonctions de police locale mais elle reconnaît implicitement comme un postulat qu'une province a ce pouvoir relativement aux agents de police provinciaux et municipaux. Le juge Dickson, dissident, mais pas sur ce point précis, écrit à la p. 279:
Il est donc évident que la province peut nommer et surveiller les agents de police municipaux et provinciaux et prendre contre eux des mesures disciplinaires.
Par le même raisonnement, une province peut faire enquête sur le comportement présumément illégal ou répréhensible de corps de police relevant de sa compétence constitutionnelle de même que sur le comportement présumément illégal de tout agent de la paix. [Je souligne.]
20. L'avocat de O'Hara fait valoir que le décret visé en l'espèce est, de par son caractère véritable, tout à fait différent de celui dont il était question dans les arrêts Keable no 1 et Keable no 2. On affirme que l'objet principal de la commission d'enquête dans l'arrêt Keable était de faire enquête sur les procédures de la police en général, un objectif provincial régulier relativement à l'administration de la justice. On soutient que (i) dans l'arrêt Keable no 1 et dans l'arrêt Keable no 2, l'enquête sur des événements précis était nécessaire dans le cadre du mandat plus large de la commission en ce qui a trait aux procédures de la police en général et (ii) que ce mandat ne figure absolument pas dans le décret no 590. On soutient que, bien qu'une commission d'enquête provinciale puisse validement examiner la conduite de la police dans l'ensemble, elle ne peut pas faire enquête sur des événements précis relativement à une présumée conduite criminelle de la part de la police.
21. Selon mon interprétation du mandat de la Commission Keable de 1977 (voir [1979] 1 R.C.S. 218, aux pp. 226 et 227), celle‑ci était tenue d'enquêter et de faire rapport sur quatre événements précis, une certaine perquisition, une entrée illégale, un incendie et un vol de dynamite, de même que sur le comportement de toutes les personnes impliquées dans ces actes et événements. En ce qui a trait à l'un de ces événements, savoir la perquisition effectuée pendant la nuit du 6 au 7 octobre 1972, au 3459 de la rue Saint‑Hubert à Montréal, la Commission était chargée d'enquêter et de faire rapport sur les divergences entre les différentes versions qui avaient été données concernant cette perquisition. Il est vrai que, selon les derniers paragraphes de son mandat, la Commission Keable est chargée:
c) d'enquêter et de faire rapport sur les procédés employés lors des actes visés au paragraphe b) ainsi que la fréquence de leur utilisation;
d) de faire des recommandations sur les mesures à prendre pour éviter que les actes illégaux ou répréhensibles que découvre la Commission ne se reproduisent à l'avenir; [Je souligne.]
Toutefois, je ne considère pas cela comme une caractéristique constitutionnelle décisive permettant d'établir une distinction. Dans l'arrêt Keable no 1, le juge Pigeon affirme, à la p. 241:
D'un autre côté, l'opinion majoritaire dans l'arrêt Di Iorio c. Gardien de la prison commune de Montréal me paraît concluante sur la validité du mandat de la Commission dans la mesure où il s'agit d'une enquête sur des activités criminelles spécifiées. Je ne vois aucune possibilité de distinction entre ce genre d'enquête et une enquête sur le "crime organisé" comme dans l'arrêt Di Iorio, ou une enquête de coroner sur un homicide criminel, comme dans l'arrêt Faber c. La Reine, ou une enquête de prévôt des incendies sur un incendie criminel comme dans l'arrêt Regina v. Coote. Malgré l'argumentation de l'avocat du Solliciteur général du Canada, je me vois obligé par cette jurisprudence de conclure que ces enquêtes relèvent de "l'administration de la justice dans la province".
De même, dans l'arrêt Keable no 2, on a conclu qu'une enquête sur un méfait précis qu'aurait commis la police provinciale se rapporte à "l'administration de la justice dans la province" et relève donc de la compétence législative provinciale. Le juge Beetz dit, à la p. 78:
Un autre moyen soulevé par l'appelant, c'est que le mandat du commissaire intimé porte illégalement sur des actes spécifiques qui ne peuvent être l'objet que d'une préenquête criminelle.
Le même moyen a été soulevé dans Keable no 1 mais cette Cour l'a rejeté . . .
Je rejetterais également ce moyen. [Je souligne.]
22. Il y a implicitement un certain chevauchement dans l'attribution aux provinces du pouvoir de légiférer en matière d'administration de la justice et dans l'attribution au Parlement du pouvoir de légiférer relativement au droit criminel et à la procédure en matière criminelle. Une matière peut très bien faire légitimement l'objet de mesures législatives provinciales relatives à l'administration de la justice et, pour d'autres fins, relever de la compétence fédérale sur le droit criminel et la procédure en matière criminelle: Di Iorio, précité, à la p. 207. C'est le cas en l'espèce. L'administration de la justice en ce pays est représentée et assurée par la constitution de services de police et d'autres organismes d'exécution de la loi qui sont chargés d'enquêter, de découvrir et de réprimer le crime au sein de leurs provinces respectives. La surveillance des corps de police et la discipline à laquelle ils sont assujettis sont également nécessaires pour l'administration de la justice. Le paragraphe 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867 comprend l'administration de la justice criminelle: Di Iorio. Une province a un intérêt constitutionnel valide et légitime pour déterminer la nature, la source et les motifs des activités répréhensibles, voire criminelles, exercées par les membres des corps de police qui relèvent de sa compétence. C'est la gestion des moyens d'administrer la justice dans la province qui est en jeu. À mon avis, le fait qu'une telle activité puisse par la suite constituer le fondement d'une accusation criminelle et ainsi toucher les intérêts du gouvernement fédéral relativement au droit criminel et à la procédure en matière criminelle, ne porte pas atteinte à ce principe fondamental. Comme le soutient le procureur général de la Colombie‑Britannique, le but de la présente enquête est d'aller jusqu'au fond d'un cas de mauvaise conduite de la part de la police qui a porté atteinte à la bonne administration de la justice. Les autorités fédérales n'ont pas compétence pour imposer des mesures disciplinaires aux agents de police visés par l'enquête. Le gouvernement fédéral n'a rien à voir avec les agissements du corps de police de Vancouver. La commission d'enquête est chargée d'enquêter sur de présumés méfaits pour des fins différentes de celles qui sous‑tendent le droit criminel et la procédure en matière criminelle. L'enquête n'a pas pour but de déterminer la responsabilité criminelle. Comme tel, ce but n'est pas différent de celui de l'enquête d'un coroner dont la constitutionnalité a été confirmée par cette Cour dans l'arrêt Faber, précité. En réalité, étant donné que le présumé méfait s'est produit dans une prison, la province possède un pouvoir législatif supplémentaire pour enquêter sur les événements en question, dans la mesure où le par. 92(6) lui permet de légiférer relativement à "l'établissement, l'entretien et l'administration des prisons publiques et des maisons de correction dans la province". Le paragraphe 92(6) constitue un fondement constitutionnel indépendant du par. 92(14) sur lequel peut s'appuyer la compétence provinciale à l'égard de l'enquête. On pourrait aussi mentionner le par. 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prévoit qu'une province peut légiférer sur "généralement, toutes les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province".
23. Comme je l'ai dit, il y a des limites au pouvoir d'une province d'établir une commission d'enquête et de la doter de pouvoirs d'enquête coercitifs. D'une manière générale, ces limites se divisent en deux volets. Premièrement, une province ne peut porter atteinte aux intérêts du gouvernement fédéral en matière d'adoption et de mise sur pied d'un système uniforme de justice criminelle au pays tel que prévu dans le Code criminel. Une enquête instituée uniquement pour déterminer la responsabilité criminelle et pour contourner la protection que le Code criminel accorde à un accusé outrepasserait les pouvoirs d'une province, car il s'agirait d'une matière relative au droit criminel et à la procédure en matière criminelle. Cette limite à la compétence provinciale constitue la reconnaissance de la nature fédérale de notre système d'autonomie gouvernementale. Deuxièmement, ni une province ni le Parlement ne peuvent porter atteinte aux droits des citoyens canadiens en instituant des enquêtes de ce genre. Cette restriction est d'un genre différent. Il s'agit de la reconnaissance du respect des droits et libertés individuels et elle est incorporée dans la common law, dans diverses lois écrites des deux paliers de gouvernement, y compris la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E‑10, et plus récemment, la Charte. Par conséquent, aucun des deux paliers de gouvernement ne peut établir ni exiger des procédures qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux, comme le droit à la protection contre l'auto‑incrimination défini dans notre droit. Il suffit de dire que, bien que les appelants aient formulé leurs arguments dans des termes qui s'apparentent fortement à une contestation de la constitutionnalité de l'enquête fondée sur ces dernières préoccupations, on a seulement demandé à cette Cour d'en examiner la constitutionnalité en fonction du partage des pouvoirs entre les deux paliers de gouvernement. Par conséquent, je n'exprime aucune opinion quant à la nature et à l'étendue des droits que garantissent la Charte et le droit de la preuve relativement aux procédures de la commission d'enquête, sauf pour dire que ces droits doivent évidemment être respectés par les autorités concernées.
V
Conclusion
24. Il convient de répondre à la question constitutionnelle par la négative. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Version française des motifs rendus par
25. Le juge Estey (dissident)‑‑En toute déférence, après avoir longuement examiné les deux dispositions constitutionnelles dont il est question dans ce pourvoi, savoir les par. 92(14) et (6) de la Loi constitutionnelle de 1867, je conclus que le pourvoi doit être accueilli. Les faits et les dispositions constitutionnelles applicables sont énoncés dans les motifs du Juge en chef et il ne m'est pas nécessaire de les reprendre ici.
26. L'enquête provinciale, entreprise conformément à l'art. 40 de la Police Act, R.S.B.C. 1979, chap. 331, a permis de déterminer que la blessure subie par Jacobsen résultait d'une agression commise en prison par deux ou plusieurs agents de police. Tout ce qu'il restait à faire à la commission d'enquête maintenant établie en vertu de l'Inquiry Act de la province était de déterminer qui était coupable et d'obtenir les données nécessaires pour porter les accusations criminelles appropriées.
27. Dans l'arrêt Batary v. Attorney General for Saskatchewan, [1965] R.C.S. 465, cette Cour a énoncé l'exigence constitutionnelle de base applicable aux enquêtes provinciales sous forme d'enquêtes du coroner qui sont liées, comme c'est souvent le cas, au processus criminel. Le juge Cartwright (alors juge puîné) affirme, aux pp. 476 et 478:
[TRADUCTION] Ce serait une étrange incohérence si la loi qui protège soigneusement un accusé contre la contrainte de faire une déclaration à l'enquête préliminaire, permettait que cette enquête soit ajournée pour que la poursuite ait l'opportunité d'amener l'accusé devant un coroner et de le soumettre contre sa volonté à un interrogatoire et contre‑interrogatoire sur sa prétendue culpabilité. En l'absence de mots précis dans une loi du parlement ou autre autorité irrésistible, ceci n'est pas la loi.
...
. . . je suis d'avis que toute législation tendant à faire le changement dans la loi décrit dans la première phrase du présent alinéa ou à abroger ou modifier les règles actuelles qui protègent une personne accusée d'un crime contre l'obligation de témoigner contre elle‑même est une législation sur le droit criminel, y compris la procédure en matière criminelle, et relève donc de l'autorité législative exclusive du Parlement du Canada en vertu du par. (27) de l'art. 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
L'existence d'une accusation pendante n'est pas déterminante quant à l'opportunité de tenir une enquête provinciale dans le cadre des étapes qui précèdent des procédures criminelles.
28. C'est peut‑être dans l'arrêt Faber c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 9, que l'on a atteint le point culminant en ce qui concerne les activités d'un organisme provincial en matière d'application du droit criminel. Le juge de Grandpré, s'exprimant au nom de la Cour à la majorité, a approuvé une enquête du coroner pour le motif qu'elle précédait le commencement des procédures criminelles et qu'il s'agissait d'un organisme provincial validement constitué. Le préjudice causé à la personne accusée ou susceptible de l'être n'a pas été pris en considération par la Cour. Le risque de continuer à procéder dans ce sens est bien exposé par le juge Pigeon, dissident, lorsqu'il affirme (aux pp. 17 et 18):
À mon avis, la décision dans Batary, bien qu'elle ait été rendue dans une affaire où la personne soupçonnée avait effectivement été accusée avant l'enquête, est tout aussi applicable lorsqu'une personne est susceptible d'être accusée. La loi contestée visait à remplacer une disposition qui traitait les deux situations sur un pied d'égalité, et cette loi a été déclarée invalide pour le motif qu'elle portait [TRADUCTION] "sur le droit criminel, y compris la procédure en matière criminelle". On n'a fait aucune distinction en prononçant l'invalidité pour ce motif, et cette conclusion sur la nature et la validité de la loi ne peut être considérée comme visant uniquement la situation particulière qui découlait des faits en cause. Même si tel était le cas, il faudrait tirer la même conclusion dans la présente affaire quant à la nature de l'enquête du coroner.
29. Ces considérations et d'autres semblables se sont présentées dans l'affaire Procureur général du Québec et Keable c. Procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 218 ("Keable no 1"). J'estime que les propos que j'ai tenus dans cette affaire s'appliquent ici et je me permets d'en citer un court extrait (aux pp. 254 et 256):
Je n'interprète pas l'arrêt Di Iorio [Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S 152] comme allant jusqu'à permettre à une province de porter atteinte au droit sacré de garder le silence pendant ce qui est en fait une enquête criminelle. Une enquête sur l'incidence des crimes ou sur l'ensemble des caractéristiques des crimes dans une province, ou une enquête sur le fonctionnement des forces de l'ordre provinciales sont des choses bien différentes d'une enquête sur un événement défini de façon précise ou sur une série d'événements, en vue d'intenter des poursuites criminelles. La première catégorie peut comprendre des enquêtes sur les crimes en général et on peut les entreprendre aux termes de la législation provinciale sur les enquêtes. La seconde catégorie exige qu'on enquête sur des crimes précis. Le Parlement a établi la procédure à cet égard et l'action provinciale aux termes de la législation générale sur les enquêtes ne saurait pas plus y faire échec que dans le cas des principes fondamentaux du droit criminel.
...
L'existence ou l'inexistence, parfois presque fortuite ou du moins indirecte, d'une inculpation par acte d'accusation, dénonciation ou autrement ne constitue pas, à mon avis, un facteur décisif pour déterminer le statut constitutionnel d'un processus comme celui qui nous est soumis.
Il se pourrait bien sûr qu'une enquête provinciale valide nécessite que l'on passe du général au particulier, des activités criminelles en général à la perpétration de crimes véritables par des personnes connues ou inconnues. Il est évident qu'il est impossible d'en arriver à une formule qui permettra de classifier instantanément une enquête tenue par une province, comme conforme ou non conforme à son mandat constitutionnel. De nouveau, voici un passage tiré de la p. 257 de l'arrêt Keable no 1, précité:
C'est le Code criminel qui énonce la procédure prescrite par l'autorité souveraine, le Parlement du Canada, et cette procédure doit être respectée dans les enquêtes sur les crimes et les poursuites en découlant. Dans l'accomplissement du rôle que lui fixe le par. 92(14) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, la province peut être obligée, ou elle peut juger utile, de faire examiner, par les organismes exécutifs habituels ou par une commission d'enquête, le fonctionnement matériel de sa police et les activités du personnel policier et la fréquence des crimes dans la province ainsi que leur nature. C'était le point soumis à la Cour dans Di Iorio, précité. À l'opposé, les forces de l'ordre provinciales peuvent évidemment faire enquête sur les allégations ou soupçons de crimes précis dans le but d'intenter des poursuites en vertu du droit criminel. Ces enquêtes doivent suivre la procédure criminelle prescrite par le Parlement fédéral et rien d'autre, comme, par exemple recourir à une enquête coercitive en vertu de la législation générale provinciale sur les enquêtes.
30. J'estime que le facteur prépondérant a été décrit dans l'arrêt Keable no 1, précité, et encore une fois, qu'il s'applique en l'espèce (à la p. 258):
Un des principaux bastions du droit criminel est le droit de l'accusé de se taire. En termes pratiques, tant que ce droit n'est pas modifié par le Parlement, il ne peut être diminué, tronqué ni altéré par une province.
31. Le principal et apparemment seul but de l'enquête examinée en l'espèce est la poursuite du travail des enquêtes antérieures sur ces événements de façon à isoler et à identifier les vrais délinquants afin de les poursuivre. À mon avis, cette situation offre une base précaire pour étendre ou projeter les observations faites par cette Cour dans l'arrêt Faber, précité. Ces circonstances me rappellent plutôt les mises en garde du juge Pigeon, précité, dans cette même affaire.
32. Certes, il existe une démarcation très mince pour déterminer si le recours à une enquête provinciale coercitive, qui porte effectivement atteinte aux droits que possèdent les citoyens en vertu de nos lois en matière criminelle et qui se sont développés au cours des années dans la procédure et le droit positif fédéraux, empiète sur la compétence fédérale. Vu la gravité des conséquences possibles pour la personne d'un empiétement provincial sur le processus criminel, les tribunaux, à mon sens, devraient être très prudents en élargissant les enquêtes relatives aux matières criminelles que les provinces peuvent au besoin mettre sur pied.
33. Le paragraphe 92(6) pourrait peut‑être fournir un fondement constitutionnel à l'action provinciale en vertu de l'Inquiry Act si le décret qui crée la commission d'enquête énonçait des objectifs institutionnels généraux analogues aux dispositions considérées favorablement par cette Cour dans l'arrêt Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60. Le mandat de cette commission d'enquête toutefois est étroit et vise carrément la découverte de l'identité des délinquants. En définitive, je conclus que, comme le par. 92(14) ne peut à bon droit justifier une telle enquête dans ces circonstances, le par. 92(6) ne le peut pas non plus.
34. Je suis donc d'avis d'accueillir le pourvoi.
Pourvoi rejeté avec dépens, le juge Estey est dissident.
Procureurs de l'appelant O'Hara: Braidwood, MacKenzie, Brewer & Greyell, Vancouver.
Procureurs de l'appelant Kirkbride: Davis & Company, Vancouver.
Procureur des intimés Sa Majesté la Reine et le procureur général de la Colombie‑Britannique: Le ministère du Procureur général, Victoria.
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Le ministère du Procureur général, Toronto.
Procureur de l'intervenant le procureur général du Québec: Yves de Montigny, Ste‑Foy.
Procureur de l'intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick: Gordon F. Gregory, Fredericton.
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Alberta: Le ministère du Procureur général, Edmonton.