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Cour suprême du Canada

Privilèges de constructeur—Travaux abandonnés—Réclamations de privilège enregistrées par sous‑traitants—Retenue statutaire—Autres sommes représentant la valeur de travaux dont l’exécution était attestée mais le paiement n’avait pas encore été effectué—Propriétaire prétendant avoir droit à la compensation—Qui a droit à la priorité sur la somme excédant la retenue statutaire—The Mechanics’ Lien Act, S.R.O. 1960, c. 233.

L’entrepreneur général pour la construction de certaines stations du métro de Toronto a fait cession de ses biens, en faillite, et a abandonné les travaux. Les appelants étaient des sous-traitants et après la faillite de l’entrepreneur, ils ont enregistré des réclamations de privilège. Ni la municipalité de Metropolitan Toronto ni la Toronto Transit Commission n’ont reçu d’avis de privilège, ou de réclamations de privilèges, avant la faillite.

Lors de la faillite, la Commission avait en main (a) le plein montant de la retenue statutaire, et (b) d’autres sommes, représentant la valeur de travaux dont l’exécution était attestée mais le paiement n’avait pas encore été effectué. Il n’y a pas de problème quant à la retenue statutaire. Les détenteurs de privilèges peuvent la toucher au complet, mais elle ne suffit pas à satisfaire toutes leurs réclamations. Ils réclament donc les sommes additionnelles que détient la Commission.

Celle-ci prétend avoir droit à la compensation de ce qu’elle doit à l’entrepreneur en défaut en plus de la retenue statutaire. La compensation est ainsi réclamée pour le montant reconnu des frais supérieurs au prix du contrat que la Commission a encourus en parachevant les travaux.

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Le protonotaire a adjugé en faveur des détenteurs de privilèges. La Cour d’appel a infirmé sa décision. Les détenteurs des privilèges en appelèrent à cette Cour.

Arrêt: Les appels doivent être rejetés.

Le propriétaire n’a fait aucun paiement après la notification du privilège. Il avait retenu une somme additionnelle et sa réclamation pour non-exécution du contrat n’est reliée qu’à cette somme. Il a encore droit au bénéfice de l’art. 11(6) de la Loi The Mechanics’ Lien Act, qui dispose que tous les paiements, jusqu’à concurrence de 85 pour-cent dans ce cas-ci, faits de bonne foi par le propriétaire à l’entrepreneur avant qu’une notification écrite du privilège ait été donnée, diminuent d’autant le privilège. Le propriétaire ne peut pas être astreint à rendre cette somme disponible, en plus de la retenue, pour le sous-traitant détenteur de privilège.

Arrêt approuvé: S.I. Guttman Ltd. v. James D. Mokry et al., [1969] 1 O.R. 7; distinction faite avec l’arrêt: Vaillancourt Lumber Co. Ltd. c. Trustees of Separate School Section No. 2, Township of Balfour et al., [1964] 1 O.R. 418.

Trois APPELS de jugements de la Cour d’appel d’Ontario, infirmant des appels d’un rapport du protonotaire G.C. Saunders, en matière de privilèges de constructeur. Appels rejetés.

Claude Thomson et R.G. Dow, pour l’appelante.

M.E. Sullivan, c.r., pour les intimées.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE JUDSON—Ces trois pourvois se rapportent à des privilèges de constructeur, réclamés par suite de la faillite de Anglin-Norcross Ontario Limited. Cette société agissait comme entrepreneur général pour la construction de certaines stations du métro de Toronto, sur la ligne Bloor-Danforth. Le 22 septembre 1967, elle a fait cession de ses biens, en faillite, et elle a abandonné les travaux. Les appelants sont des sous-traitants d’Anglin-Norcross et après sa faillite, ils ont enregistré des réclamations de privilège. Ni la Municipality of Metropolitan Toronto ni la Toronto Transit Commission n’ont reçu d’avis de privilège, ou de réclamation de privilège, avant la faillite.

[Page 207]

Lors de la faillite, la Toronto Transit Commission avait en main:

(a) le plein montant de la retenue statutaire en vertu de The Mechanics’ Lien Act, et

(b) d’autres sommes, représentant la valeur de travaux dont l’exécution était attestée mais le paiement n’avait pas encore été effectué.

Il n’y a pas de problème quant à la retenue statutaire. Les détenteurs de privilèges peuvent la toucher au complet, mais elle ne suffit pas à satisfaire toutes leurs réclamations. Ils réclament donc les sommes additionnelles que détient la Commission.

Celle-ci prétend avoir droit à la compensation de ce qu’elle doit à l’entrepreneur en défaut en plus de la retenue statutaire. La compensation est ainsi réclamée pour le montant reconnu des frais supérieurs au prix du contrat que la Commission a encourus en parachevant les travaux.

Le protonotaire a adjugé en faveur des détenteurs de privilèges. La Cour d’appel a infirmé sa décision, en disant dans son jugement que la Commission avait droit à la compensation des sommes dues à l’entrepreneur défaillant, au-delà de la retenue statutaire, jusqu’à concurrence du montant reconnu des frais additionnels qu’elle avait dû subir pour parachever les travaux. L’affaire a donc été renvoyée au protonotaire pour que celui-ci revise son rapport conformément à cette décision. Les détenteurs des privilèges en appellent à cette Cour de l’arrêt de la Cour d’appel.

L’affaire a été entendue devant le protonotaire, la Cour d’appel et cette Cour, sur un exposé des faits accepté par toutes les parties. Devant cette Cour, les avocats ont ajouté à cet exposé une entente sur le sens de deux expressions. Il ne servirait à rien de relater l’exposé de faits et les deux définitions. Les faits sont clairs. La seule question est la suivante: Qui a droit à la priorité sur la somme excédant la retenue statutaire?

Je suis d’accord avec le jugement de la majorité en Cour d’appel, tant sur l’interprétation de The Mechanics’ Lien Act que sur l’analyse de la jurisprudence. En rendant l’arrêt du 11 décembre

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1968, la Cour d’appel a suivi son propre arrêt du 15 octobre 1968 dans l’affaire S.I. Guttman Ltd. v. James D. Mokry Ltd. et al.[1], où la question de droit était exactement la même.

L’article 5(1) de The Mechanics’ Lien Act accorde à quiconque fournit un travail, des services ou des matériaux un privilège limité cependant à la somme à laquelle le créancier privilégié a droit en justice et à celle que le propriétaire doit en justice payer, sauf dans la mesure où il est autrement prescrit.

Les articles 9 et 10, qui sont subordonnés à cette restriction, la réitèrent. Ils se lisent comme suit:

[TRADUCTION] 9. Sauf disposition contraire aux présentes, le privilège n’a pas l’effet d’obliger le propriétaire à payer une somme supérieure à celle qu’il doit à l’entrepreneur.

10. Sauf disposition contraire aux présentes, quand une personne autre que l’entrepreneur réclame un privilège, sa réclamation se limite à la somme due à l’entrepreneur, sous-traitant ou autre personne pour qui le travail a été fait, les services ont été rendus ou les matériaux ont été fournis ou posés.

L’art. 11(1) et (2) traite de la retenue. Dans ce cas-ci, elle est de 15 pour cent. Cette somme est disponible en totalité pour les privilèges.

L’art. 11(6) dispose que tous les paiements, jusqu’à concurrence de 85 pour cent dans ce cas-ci, faits de bonne foi par le propriétaire à l’entrepreneur avant qu’une notification écrite du privilège ait été donnée, diminuent d’autant le privilège.

L’art. 11(7) traite de l’affectation de la retenue après l’expiration de la période de retenue.

L’art. 11(9) interdit au propriétaire d’affecter la retenue au paiement de dommages-intérêts pour défaut d’exécution du contrat, il faut l’affecter au paiement des privilèges.

Jusqu’ici, il n’y a rien dans la loi qui justifie la réclamation des détenteurs des privilèges contre la somme excédant la retenue.

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Les détenteurs de privilèges prétendent fonder leur réclamation sur l’art. 12(2) de la loi, qui se lit comme suit:

[TRADUCTION] 12. (2) Tout sous-traitant a droit d’exercer son privilège nonobstant la non exécution ou l’abandon du contrat par n’importe quel entrepreneur ou sous-traitant à l’encontre duquel il réclame.

On a soutenu que cela écarte toute réclamation du propriétaire en dommages-intérêts pour non exécution, ou abandon du contrat, à l’encontre du sous-traitant, ou toute priorité sur le privilège du sous‑traitant.

Cet article remonte à 1923. Ses effets ont été examinés dans Freedman v. Guaranty Trust Co. of Canada[2]. Il s’agissait là d’une affaire où l’entrepreneur avait abandonné le contrat et s’était enfui. Sans la promulgation de ce qui constitue maintenant l’article 12(2), précité, le sous-traitant n’aurait eu aucun recours. L’effet de la modification est exposé par le Juge d’appel Masten (à la page 203) comme suit:

[TRADUCTION] En d’autres termes il est, par cette disposition de la loi, placé pour l’exercice de son privilège sur le même pied que si les travaux, au point où ils en étaient lors de l’abandon, constituaient pro tanto une exécution légale du contrat et si l’entrepreneur principal était en droit de se faire payer par le propriétaire, sur une base de quantum meruit, la valeur du travail exécuté.

Par conséquent, les droits du sous-traitant sont ceux que la loi lui attribuent quels qu’ils soient. On a déclaré le propriétaire autorisé à faire valoir, contre le montant dû à l’entrepreneur, le coût du parachèvement de l’immeuble et des dommages pour le retard.

Le Juge d’appel Schroeder signale, dans l’affaire Guttman, que l’autorité de ce précédent n’a jamais été remise en question, même pas dans la décision récente de la Cour d’appel dans Vaillancourt Lumber Co. Ltd: v. Trustees of Separate School Section No. 2, Township of Balfour et al.[3] Dans les motifs de la Cour d’appel, on a signalé comment l’affaire Vaillancourt diffère de celle-ci. Le propriétaire avait reçu une dénonciation écrite du privilège d’un sous‑traitant. Après avoir reçu

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cette dénonciation, il a fait un autre paiement à l’entrepreneur. Cela lui fit perdre la protection accordée par l’article 11(6) de la loi:

[TRADUCTION] 11. (6) Tous les paiements, jusqu’à concurrence de 80 pour cent, tel que déterminé par le paragraphe 1, ou de 85 pour cent, tel que déterminé par le paragraphe 2, et tous les paiements autorisés par l’application des paragraphes 3 et 4, faits de bonne foi par un propriétaire à un entrepreneur, par un entrepreneur à un sous‑traitant ou par un sous-traitant à un autre sous-traitant avant la notification par écrit du privilège, de la part de la personne le réclamant, au propriétaire, entrepreneur, ou sous-traitant, selon le cas, ont pour effet de réduire pour autant le privilège.

Par conséquent, non seulement la retenue mais aussi la somme additionnelle payée après la notification du privilège auraient dû rester à la disposition de celui qui le réclamait.

Il n’y a rien de semblable dans le cas présent. Le propriétaire n’a fait aucun paiement après la notification du privilège. Il avait retenu une somme additionnelle et sa réclamation pour non exécution du contrat n’est reliée qu’à cette somme. Il a encore droit au bénéfice de l’article 11(6) et il ne peut être astreint à rendre cette somme disponible, en plus de la retenue, pour le sous-traitant détenteur de privilège. J’adopte les motifs de la majorité en Cour d’appel dans l’affaire Guttman.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Appels rejetés avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto.

Procureurs des intimés, The Municipality of Metropolitan Toronto et The Toronto Transit Commission: Bassel, Sullivan, Holland & Lawson, Toronto.

Procureurs de l’intimé, le Syndic de la faillite de Anglin-Norcross Ontario Limited, Faillie: Harries, Houser, Brown, Houlden & McCallum, Toronto.



[1] [1969] 1 O.R. 7, 1 D.L.R. (3d) 253.

[2] 64 O.L.R. 200, [1929] 4 D.L.R. 32.

[3] [1964] 1 O.R. 418, 42 D.L.R. (2d) 610.

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