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Cour suprême du Canada

Enfants mineurs—Garde d’enfants—Appel—Rôle de la Cour d’appel.

En attribuant à l’appelante la garde des deux enfants en bas âge issus du mariage, le juge de première instance a d’abord pris le bien-être des enfants comme étant la considération prépondérante mais non la seule considération, et il a ensuite estimé que des enfants en bas âge devraient être confiés à la garde de leur mère non pas en vertu d’une règle de droit mais uniquement en vertu du bon sens. La Cour d’appel a infirmé le jugement de première instance et a attribué la garde des enfants à l’intimé.

Arrêt (les juges Spence et Beetz étant dissidents): Le pourvoi doit être accueilli.

Le juge en chef Laskin et les juges Judson et de Grandpré: La Cour d’appel a commis une erreur en concluant que le juge de première instance s’était trompé. Ce dernier n’a commis aucune erreur manifeste qui justifierait une cour d’appel, dans une affaire où l’on tient compte des faits seulement, à infirmer son jugement qui doit être rétabli. Le rôle d’une cour d’appel n’est pas de réentendre une affaire.

Les juges Spence et Beetz, dissidents: Bien que la conduite des parents ne doive pas entrer en ligne de compte dans le but de faire de l’attribution de la garde des enfants une sanction, et que la considération prépondérante dans le cas de la garde des enfants doive être le bien-être de ces derniers, la conduite des parents est néanmoins un facteur nécessaire et très important qui permet de les apprécier dans le rôle de gardien de leurs enfants en bas âge. Sur ce point, l’opinion émise par la Cour d’appel doit être préférée aux conclusions tirées par le juge de première instance qui, dans les circonstances, a accordé trop d’importance au principe selon lequel les enfants en bas âge doivent être confiés à la garde de leur mère.

[Arrêts mentionnés: Hood c. Hood, [1972] R.C.S. 244; Sparks et al. c. Thompson, [1975] 1 R.C.S. 618; Métivier et al. c. Cadorette, C.S.C. 26 juin 1975, à être publié; Stein et al. v. The Ship «Kathy K» et al. (1975), 62 D.L.R. (3rd) 1; Re L. (infants), [1962] 3 All. E.R. 1.]

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POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] accueillant l’appel d’un jugement du juge Houlden qui a attribué à la mère la garde des enfants en bas âge. Pourvoi accueilli, les juges Spence et Beetz étant dissidents.


J.J. Robinette, c.r., et Charles B. Cohen, pour l’appelante.

Claude R. Thompson, et R.G. Chapman, pour l’intimé.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Judson et de Grandpré a été rendu par

LE JUGE DE GRANDPRÉ—J’ai lu avec intérêt les motifs rédigés par mon collègue le juge Spence. Je ne puis malheureusement pas partager ses conclusions.

Je conviens avec lui que deux principes fondamentaux sont à retenir:

(1) il faut donner toute l’importance qui lui est due à la situation privilégiée du juge de première instance qui, dans le cadre d’une demande de garde d’enfant, a pu voir et observer les parties en cause et donc a eu l’occasion de juger la personnalité des époux.

(2) la considération prépondérante en matière de garde d’enfants est le bien-être de ceux-ci.

Tout comme mon collègue, je pense que la Cour d’appel a mal interprété le jugement de première instance à deux égards. Le savant juge de première instance

—n’a pas pris le bien-être des enfants comme seule considération plutôt que comme considération prépondérante;

—a estimé que des enfants en bas âge devraient être confiés à la garde de leur mère non pas au regard du droit mais uniquement en vertu du bon sens.

Le juge de première instance ne s’est pas trompé et ne mérite pas les critiques formulées par la Cour d’appel sur ces deux points.

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Les deux erreurs commises par la Cour d’appel dans une affaire ne soulevant qu’une question de faits seulement (faute d’une erreur manifeste du juge de première instance que je ne trouve pas) doivent inciter cette Cour à conclure que le jugement de première instance doit être rétabli; naturellement, ce n’est pas à nous d’entendre l’affaire de nouveau conformément à la jurisprudence très ancienne en la matière, ce qui, à mon avis, règle la question. La brève étude des arrêts importants faite par le juge Laskin, alors juge puîné, dans ses motifs de dissidence dans Hood c. Hood[2] à la p. 250, est d’un grand intérêt. On peut trouver des illustrations récentes de l’opinion de cette Cour à ce sujet dans les affaires Sparks et Fairfax c. Thompson[3] à la p. 624, Métivier et al. c. Cadorette datée du 26 juin 1975 et non publiée, Stein et al. c. The Ship «Kathy K» et al.[4]

Même si l’on allait jusqu’à juger l’affaire de nouveau, je resterais convaincu que la conclusion du juge de première instance est juste pour plusieurs raisons:

a) l’étude approfondie qu’il a faite sur la conduite des parties à l’égard de la question de cruauté l’a dégagé de l’obligation de revoir les mêmes faits au moment de trancher la question de la garde des enfants; cela ne veut pas dire toutefois qu’en matière de garde des enfants, le juge a oublié ce qu’il a déclaré sur la question de cruauté.

b) je conviens avec le juge de première instance qu’une épouse peut-être «quasiment insupportable» mais néanmoins une mère merveilleuse;

c) je ne peux considérer l’épouse «quasiment insupportable» au même titre que la mère adultère, comme dans l’affaire in Re L.[5];

d) le projet soigneusement conçu de l’époux ne m’impressionne pas plus qu’il n’a impressionné le juge de première instance qui a eu, je le répète, l’occasion d’observer les faits et gestes du témoin;

e) le souci dont a fait preuve le juge de première instance indique qu’avant de se faire une opi-

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nion, il a pesé le pour et le contre de manière à ce que dans une affaire comme celle-ci où l’on tient compte des faits seulement, la conclusion tirée doit alors revêtir toute son importance.

Naturellement, si l’appelante devenait par la suite une mère moins merveilleuse pour une raison quelconque, rien n’empêcherait de rendre une autre ordonnance à la lumière des nouvelles circonstances.


Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir la décision du juge de première instance concernant la garde des deux enfants et les sommes que l’époux doit verser à l’épouse pour l’entretien des enfants ainsi que les dépens en Cour de première instance. J’accorderais aussi à l’appelante ses dépens en cette Cour et en Cour d’appel.

Le jugement des juges Spence et Beetz a été rendu par

LE JUGE SPENCE (dissident)—Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario prononcé le 29 juin 1973 accueillant un appel de la décision rendue par le juge Houlden le 12 juillet 1972.

L’appelante a intenté deux actions contre l’intimé: il s’agit premièrement d’une requête en divorce pour cruauté et deuxièmement d’une action faisant actuellement l’objet d’un appel en vue d’obtenir une pension alimentaire pour la garde et l’entretien de deux enfants en bas âge nés de son mariage avec l’intimé. L’intimé a opposé à ces deux actions une demande de garde des deux enfants. Les deux affaires ont été entendues simultanément et dans ses motifs, le juge Houlden a statué sur tous les points soulevés.

Dans une décision très détaillée et soigneusement élaborée, le juge Houlden a déclaré que l’appelante, en tant que demanderesse, n’avait pas établi la preuve de cruauté au sens de l’art. 3d) de la Loi sur le divorce, S.R.C. 1970, ch. D-8 et il a donc rejeté la requête en divorce. En outre, le savant juge de première instance a souligné qu’en n’établissant pas la preuve de cruauté aux termes de la Loi sur le divorce, la requérante n’a naturel-

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lement pas établi la preuve de la mesure de cruauté nécessaire pour lui permettre de recevoir une pension alimentaire comme le définit l’arrêt Russell v. Russell[6].

Le savant juge de première instance s’est penché ensuite sur la question de la garde des enfants qu’il a confiée à la demanderesse, appelante en l’espèce, en fixant par ordonnance une somme de quatre cents dollars pour l’entretien de chaque enfant. L’époux défendeur en appela de cette décision et l’épouse répondit par un appel incident à l’encontre du rejet de sa requête en divorce et sa demande de pension alimentaire.


Dans les motifs énoncés au nom de la Cour d’appel, le juge d’appel Jessup a conclu que l’appel incident n’était pas fondé et il l’a rejeté pour examiner ensuite l’appel de l’intimé pour la garde des enfants et pour la pension alimentaire et statuer que la décision du savant juge de première instance confiant les enfants au défendeur, appelant en Cour d’appel et intimé devant cette Cour, devait être infirmée.

Avec l’autorisation de cette Cour, l’épouse en appelle de l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario et demande la garde des enfants ainsi qu’une somme pour leur entretien, conformément aux motifs exposés par le juge Houlden après le procès.

L’avocat de l’appelante soutient vivement que la Cour d’appel de l’Ontario n’a pas accordé l’importance nécessaire à la situation privilégiée du juge de première instance qui a eu, dans le cadre d’une demande de garde des enfants, l’occasion de voir et d’observer les parties en cause pendant les neuf jours du procès et de juger la personnalité des époux réclamant chacun la garde des enfants. L’avocat de l’appelante a cité l’affaire McKee v. McKee[7], où lord Simonds déclare ce qui suit à la p. 360:

[TRADUCTION] En outre, on n’a pas contesté, et l’on ne le pourrait pas d’ailleurs, que la garde d’un enfant en bas âge est une question relevant surtout de l’appréciation du juge qui entend l’affaire et qui a l’occasion, ne s’offrant pas généralement à la Cour d’appel, de voir les parties et d’étudier la situation de l’enfant et sa décision

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ne devrait pas être modifiée à moins qu’il ne se soit fondé sur un principe erroné ou ait négligé des preuves importantes.

Des paroles semblables ont été prononcées dans plusieurs affaires, en particulier dans Willoughby v. Willoughby[8], par le juge Cohen à la p. 189 et à plusieurs reprises par cette Cour. Je cite à titre d’exemple l’opinion du juge Cartwright, alors juge puîné, dans l’affaire Bickley c. Bickley[9], à la p. 333:

[TRADUCTION] En lisant attentivement à plusieurs reprises les motifs du savant juge de première instance à la lumière de tous les éléments de preuve dans le dossier, il nous est impossible de dire qu’il n’a pas saisi pleinement l’occasion qui s’offrait à lui, et non aux cours d’appel, de voir et d’entendre les parties en cause; l’avantage ainsi offert au juge de première instance est important particulièrement dans une affaire de ce genre où la personnalité des époux qui se trouvent en litige entre beaucoup en ligne de compte. On ne veut pas dire par là que le savant juge a mal interprété une question de droit; à notre avis, la Cour d’appel n’était pas justifiée d’infirmer sa décision selon laquelle il vaut mieux que les enfants soient confiés à la garde de leur père.

Le Juge en chef actuel de cette Cour a exprimé la même opinion dans l’affaire Retzer c. Retzer[10].


Bien entendu, j’accepte une telle opinion lorsqu’il s’agit d’un pourvoi pour la garde des enfants mais il convient en même temps de tenir compte des circonstances précises qui entourent chaque affaire. Il est souvent peu utile de s’inspirer des arrêts rendus dans des affaires différentes au contexte très variable.

Dans l’affaire qui nous occupe, le savant juge de première instance a déclaré ce qui suit:

[TRADUCTION] Toute affaire de ce genre doit être jugée en fonction des faits spécifiques qui l’entourent. J’ai lu la jurisprudence, à laquelle m’a renvoyé l’avocat, qui montre comment d’autres juges ont interprété les faits soulevés dans les affaires qu’ils devaient entendre, mais je dois en fin de compte étudier les faits énoncés dans l’affaire qui m’est soumise et juger si, à mon avis, ces derniers établissent une preuve de cruauté au sens de

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l’art. 3 d) de la Loi sur le divorce. Après avoir examiné soigneusement tous les faits, je suis d’avis qu’ils n’établissent aucune preuve dans ce sens.

Bien que cette conclusion porte sur la preuve de cruauté justifiant le divorce, je suis d’avis qu’on peut l’étendre également à la garde des enfants.

Dans ses motifs, le savant juge de première instance a exposé en détail la conduite des parties en cause depuis leur mariage jusqu’à la date du procès et conclu que l’épouse n’a pas établi la preuve de la mesure de cruauté exigée par la Loi sur le divorce pour obtenir un divorce ou une pension alimentaire. C’est ensuite qu’il s’est penché sur la garde des deux enfants. Cependant, on ne peut pas tenir compte seulement des motifs exprimés en deux pages par le savant juge de première instance sur la garde des enfants sans tenir compte aussi des motifs très détaillés sur la cruauté car c’est dans ces derniers qu’il a analysé la personnalité des conjoints, élément fondamental pour la garde des enfants. Je cite tout d’abord la conclusion du savant juge de première instance sur la personnalité, au sens le plus large, de l’époux intimé:

[TRADUCTION] L’époux est un jeune dentiste, travailleur, ayant une bonne clientèle et un revenu croissant. Il est doué d’une grande intelligence et d’un physique séduisant. C’est un père aimant et dévoué. En 1969, lorsque la Bourse enregistra un certain déclin, il subit des pertes financières qui, à mon avis, étaient de courte durée et il se rétablira certainement dans un proche avenir.

Et plus loin:


[TRADUCTION] Je ne me propose pas de passer en revue toutes les dépositions de Madame Talsky devant cette Cour pendant deux jours et demi. Il me suffit de dire qu’après avoir entendu toutes les dépositions, j’ai conclu que l’intimé est un époux assez prévenant, et de plus très attentionné envers sa femme lorsque celle-ci était malade. Il avait aussi l’habitude de lui porter le petit déjeuner au lit pendant les fins de semaine. Il n’exerçait pas le mercredi matin et gardait les enfants pour que son épouse puisse aller faire ses courses et il l’aidait à s’en occuper. La requérante a admis que son époux n’était

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pas avare et lui donnait tout l’argent dont elle avait besoin. Il avait même engagé occasionnellement une domestique à temps partiel pour aider son épouse dans les travaux ménagers bien que ses moyens financiers ne le lui permettaient pas. Ainsi, le docteur Talsky avait fait preuve, jusqu’à la date même de la séparation, de prévenance envers son épouse dont le bien‑être lui tenait à cœur.

Le savant juge de première instance a parlé de l’épouse appelante en ces termes, inter alia:

[TRADUCTION] L’épouse est une femme très belle et intelligente. Elle dirige une maison propre et bien organisée. Elle est à son aise en société et maintient des activités sociales qui correspondent à la situation de son mari. Je suis certain qu’elle aime ses enfants tout autant que son époux et qu’elle est une mère tendre et affectueuse.

et plus loin:

[TRADUCTION] Je suis d’avis que la requérante a exagéré hors de toute proportion certains événements assez insignifiants. Une femme de son intelligence aurait pu résoudre facilement les problèmes dont elle se plaint si elle l’avait voulu. Pour une raison inconnue, elle a découvert tout au début de son mariage qu’elle avait fait une erreur et voulut rompre cette union. Il est regrettable qu’elle ait donné deux enfants à son mari car ils n’ont fait qu’aggraver les problèmes au sein du couple.

Voici comment je pourrais résumer les conclusions du savant juge de première instance sur la cruauté. Bien que n’étant pas parfait, aucun époux ne l’est, le conjoint était néanmoins travailleur, prévenant, dévoué envers son épouse et ses enfants dont le bien-être lui tenait à cœur et auxquels il assurait les moyens nécessaires pour subvenir amplement à leurs besoins. Par contre, l’épouse était née dans une famille où la mère, le frère et la sœur avaient souffert de troubles émotifs et psychiques qui, de l’avis du savant juge de première instance, avait contribué à la mettre dans un état de tension grave et donc accru ses risques d’avoir des troubles mentaux. Cependant, le juge de première instance s’est montré convaincu que l’épouse était saine d’esprit, au vu des témoignages. Il a ajouté que peu après le mariage, elle avait décidé de se séparer, son seul désir étant d’avoir la garde

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des deux enfants en bas âge et d’obtenir une pension alimentaire très confortable pour subvenir à ses besoins et ceux des enfants. C’est dans ce contexte que le savant juge de première instance a trouvé que l’épouse a exagéré des événements insignifiants. De l’avis du savant juge de première instance, cette tendance à exagérer des détails futiles et presque courants de la mésentente conjugale avaient en fait entamé la crédibilité de l’épouse.

Telle était l’appréciation de la personnalité des deux parties en cause par le savant juge de première instance sur la question de la cruauté. Quant à celui de la garde des enfants, il a trouvé, preuves à l’appui naturellement, que les deux époux étaient très attachés à leurs enfants. Leur fils Mark Aaron né le 4 août 1966 avait environ six ans au moment du procès. C’était un jeune garçon sain et normal. Leur fille Susan Gay née le 11 mars 1969 était âgée de trois ans et quatre mois au moment du procès. Elle était née malheureusement avec une hanche disloquée qui l’a fait beaucoup souffrir, sa mère ne l’ayant découvert qu’à son retour de l’hôpital. Elle dut rester dans un plâtre de la hanche aux orteils pendant dix-huit mois et porter une prothèse par la suite. Les soucis que causait la petite fille et tout le travail et les soins qu’elle nécessitait ont sans nul doute affecté la mère et il est certain que l’amour de celle-ci a largement contribué à redonner à sa fille une apparence normale au moment du procès.

Lors de la séparation finale des deux conjoints, l’épouse emmena les enfants avec elle. Suite aux négociations entamées par leurs avocats, l’époux abandonna la grande maison à Thornhill qu’il avait habitée précédemment avec sa famille, permettant à son épouse et à ses deux enfants d’y emménager de nouveau et s’en occupa entièrement jusqu’au procès. A ce propos, le savant juge de première instance a déclaré ce qui suit:

[TRADUCTION] Je suis tout à fait convaincu que la requérante s’occupe très bien des enfants, qu’elle est une

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mère tendre et aimante et que les enfants ne manquent de rien.

Bien entendu, la garde des enfants est prévue au par. (1) de l’art. 1 en particulier de l’Infants Act, R.S.O. 1970, c. 222 qui se lit ainsi:

[TRADUCTION] 1. (1) A la demande du père ou de la mère d’un enfant en bas âge qui peuvent faire une demande sans représentant, la Cour peut rendre une ordonnance concernant la garde d’un enfant et le droit de visite des parents dans la mesure où elle le juge raisonnable en tenant compte du bien-être de l’enfant, de la conduite et du désir des parents, et elle peut modifier ou annuler l’ordonnance à la demande de chaque conjoint ou, après leur décès, d’un tuteur nommé en vertu de la présente Loi et le cas échéant, elle peut rendre une ordonnance sur les dépens de la mère et l’obligation du père en la matière ou toute autre ordonnance comme il semble juste à la Cour.


On s’est inspiré de cet article dans de nombreuses affaires pour souligner l’importance énorme du bien‑être des enfants dont la garde fait l’objet du litige. Sans avoir à se reporter à ces affaires, il suffit de dire que ceci est fermement confirmé par la jurisprudence en la matière, comme le reconnaît le juge Houlden. En fait, le savant juge de première instance a déclaré ce qui suit:

[TRADUCTION] En outre, la considération prépondérante dans une demande de garde des enfants est le bien-être de ces derniers et je n’ai aucun doute que leur intérêt est de rester avec leur mère.

Le savant juge de première instance a admis que certaines affirmations de l’avocat de l’époux l’avaient inquiété mais il s’est montré convaincu, d’après la preuve, que les enfants étaient bien soignés par leur mère dont rien n’indique qu’elle soit incapable, mauvaise maîtresse de maison ou indigne de s’occuper de ses enfants. De nouveau, pour paraphraser la conclusion du savant juge de première instance sur tous les points soulevés, l’épouse était quasi insupportable mais néanmoins une mère merveilleuse qui devrait avoir la garde de ses enfants.

La Cour d’appel de l’Ontario considère que la conclusion du savant juge de première instance au sujet de la garde des enfants n’a pas tenu compte

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des faits qu’il avait exposés sur la question de la cruauté. C’est aussi mon avis. Le paragraphe 1(1) de l’Infants Act mentionne «la conduite des parents» et l’importance qu’il faudrait lui accorder a fait l’objet d’une vive controverse. Dans l’affaire In Re L.,[11] la Cour d’appel d’Angleterre a été saisie d’un appel à l’encontre d’une décision accordant à une mère la garde de ses deux fillettes de quatre et six ans. La mère était coupable d’adultère avec un homme marié près duquel elle est allée vivre après la séparation. La rupture de son union ne pouvait en aucun cas être attribuée à la conduite du père. La mère a refusé de réintégrer le domicile conjugal en invoquant comme seul motif son affection pour l’autre homme. Lord Denning a déclaré ce qui suit à la p. 3:


[TRADUCTION] Il va de soi que l’appréciation d’un juge qui a vu les parties en cause dans une affaire de ce genre est très importante, mais lorsque je lis le passage en question, il me semble qu’il s’est trompé: bien qu’un juge ait raison d’accorder beaucoup d’importance au bien-être des enfants et d’en faire, comme le prévoit la loi, la considération prépondérante, il doit néanmoins se rappeler qu’elle n’est pas la seule considération. Dans ce cas, bien que l’épouse soit certainement une bonne mère dans un sens du mot puisqu’elle s’occupe des enfants avec amour et assure leur sécurité dans la mesure de ses moyens, on doit se rappeler que le fait d’être une bonne mère signifie aussi former avec leur père un foyer heureux et les élever tendrement à deux. Dans la mesure où sa conduite a contribué à rompre l’équilibre du foyer, elle n’est donc pas une bonne mère.

En l’espèce, l’un des motifs avancés par le juge d’appel Jessup pour infirmer la décision du savant juge de première instance est que ce dernier a traité le bien-être des enfants comme la seule considération plutôt que comme considération prépondérante et n’a pas tenu compte de la conduite des parties en cause comme le prévoit le par. (1) de l’art. 1 de l’Infants Act. Le juge d’appel Jessup a cité le passage précédent de la décision rendue par Lord Denning dans l’affaire In Re L.

Avec respect, je suis d’avis que le savant juge de première instance a déclaré expressément et tex-

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tuellement dans ses motifs que le bien-être des enfants était la considération prépondérante.

Dans Francis c. Francis[12], la Cour d’appel de la Saskatchewan a renvoyé aussi, inter alia, au jugement dans l’affaire In Re L., le juge en chef Culliton a déclaré ce qui suit au nom de la Cour à la p. 218:

[TRADUCTION] Même si l’on doit dans certains cas se demander lequel des deux conjoints est responsable de la rupture du mariage, on ne doit pas pour autant oublier le but principal, c’est-à‑dire le bien-être des enfants. Ainsi, l’importance accordée à ce facteur dépend entièrement des circonstances entourant chaque cas. En tenant compte du facteur en question, il ne faut pas lui donner un sens répressif. Lorsqu’en l’espèce, l’intimée responsable de la rupture du mariage, est de l’avis général une bonne mère digne de se voir confier la garde de ses enfants, on devrait presque négliger ledit facteur surtout lorsque les raisons qui ont causé la rupture n’existent pratiquement plus.


Dans le cas de la garde des enfants, j’estime que la conduite des parents ne devrait pas entrer en ligne de compte pour servir de sanction contre la personne dont la conduite a été jugée immorale par la cour. Cela reviendrait à négliger totalement la considération prépondérante, à savoir le bien-être des enfants et à se servir de ces derniers comme sanction contre le coupable. Par ailleurs, je suis d’avis que la conduite des parents est un facteur nécessaire et très important en vue de les apprécier dans leur rôle de gardiens. C’est sur ce point que je ne partage pas l’opinion du savant juge de première instance mais plutôt celle qu’exprime le juge d’appel Jessup au nom de la Cour.

Comme je l’ai souligné, le savant juge de première instance a conclu qu’en fait l’épouse est une personne immature qui a tout simplement décidé de se débarrasser de son époux tout en touchant une pension alimentaire pour elle et ses enfants. L’époux est un dentiste de bonne réputation, très occupé, ayant un cabinet dans la banlieue de Toronto et pouvant se permettre de verser une

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bonne pension alimentaire pour l’entretien de l’épouse au cas où elle aurait gain de cause. Après la séparation ainsi qu’au procès, il a exposé un projet admirablement conçu pour élever ses deux enfants convenablement. Son intention était d’acheter une propriété dans la banlieue où il exerçait pour y ouvrir un cabinet au rez-de-chaussée et occuper le reste de la maison avec ses enfants. De cette manière, il pourrait prendre tous ses repas avec eux et être toujours présent en cas de nécessité. Il comptait engager une domestique qui ne remplirait pas des fonctions de gouvernante. A mon avis, il s’agissait d’un projet minutieusement préparé et tout à fait réalisable.

Par ailleurs, l’épouse dont le seul but était de se débarrasser de son mari tout en percevant une pension alimentaire n’avait pas du tout pensé à la situation nouvelle qu’elle aurait à affronter si elle n’avait pas gain de cause pour ce qui est du divorce ou de la pension alimentaire.

La grande maison de Thornhill où le couple avait habité durant les dernières années de leur mariage était en copropriété et, comme l’indique le juge d’appel Jessup, elle devait être vendue dans le cadre d’un partage des biens au moment du procès en Cour d’appel. L’épouse n’aurait donc pas pu habiter ladite résidence et elle aurait eu l’intention de louer un appartement. N’ayant pu obtenir de son époux une pension alimentaire pour elle-même ou pour l’entretien des enfants, elle se voyait contrainte de se trouver du travail et donc d’engager quelqu’un pour s’occuper des enfants pendant la journée. Détail important: lorsqu’elle avait réintégré la maison avec le consentement de son époux en attendant le procès, elle avait laissé les enfants aux soins d’une série de huit ou neuf futures mères célibataires.


L’examen de la conduite des parents révèle l’attitude sérieuse de l’époux et l’insouciance apparente de l’épouse et nous aide à décider s’il convient de confier la garde des enfants à leur père.

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Le juge d’appel Jessup a tenu compte de ces facteurs dans ses motifs.

De ces propos, j’aimerais éviter la conclusion que l’époux bien plus riche devrait se voir presque toujours confier la garde des enfants. Si l’époux jouit, en général, d’une plus grande fortune, il est mieux préparé pour verser une pension alimentaire pour l’entretien des enfants et non pour se voir forcément confier leur garde. Mais en l’occurrence l’époux pouvait se prévaloir, en plus de sa situation assez aisée, d’un projet soigneusement conçu et fort pratique pour élever ses enfants dont il ne laissait pas l’éducation au hasard contrairement à sa femme.

D’autres questions très pertinentes entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit du bien-être des enfants. Tout d’abord, la tendance fermement établie en la matière est de confier les enfants en bas âge à la garde de leur mère. Cette tendance a été parfois illustrée de façon assez vivante. Dans l’affaire Bell v. Bell[13], le juge d’appel Roach a prononcé le jugement au nom de la Cour en disant à la p. 344:

[TRADUCTION] A mon humble avis, le savant juge a négligé un autre facteur ou ne lui a pas accordé assez d’importance, à savoir qu’il s’agit d’une petite fille en bas âge. Même le père le plus prévenant et le mieux intentionné du monde ne peut remplacer une mère. Un enfant, surtout si c’est une fille, va s’adresser d’instinct à sa mère lorsqu’elle a des problèmes, du chagrin ou des craintes. C’est la nature qui l’emporte, il y a des questions auxquelles une petite fille accorde de l’importance: volants, rubans, conseils demandés et confidences chuchotées seulement à maman, les soins tendres, la voix réconfortante; tous ces détails ont un effet considérable sur la vie psychique de l’enfant. Ce facteur n’est pas nouveau, il est aussi vieux que le monde et nos tribunaux l’ont admis dans leurs jugements de façon régulière.

Le juge d’appel Jessup a cité le savant juge de première instance comme suit:

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[TRADUCTION] Une cour décidera de ne pas confier un enfant en bas âge à la garde de sa mère pour des raisons exceptionnelles: voir Weeks v. Weeks, (1955) 14 W.W.R. 529, (1955) 3 D.L.R. 704; Bell v. Bell (1955) O.W.N. 341; Re Doucette (1970), 3 R.F.L. 115. Il n’en est pas ainsi dans l’affaire qui nous occupe, à mon avis Madame Talsky est une mère excellente à tout point de vue.

et plus loin:

[TRADUCTION] A mon avis, le principe selon lequel des enfants en bas âge doivent être confiés à la garde de leur mère découle du bon sens; il ne s’agit pas d’une question de droit comme le croit à tort le savant juge de première instance; voir l’affaire Re Pittman and Pittman. Ce n’est qu’un facteur à considérer parmi tous les autres.

Je suis d’avis que les critiques ne se justifient pas. Le savant juge de première instance n’était pas d’avis qu’en droit les enfants en bas âge devraient être confiés à la garde de leur mère. Comme l’a dit le juge d’appel Roach, c’est un principe vieux comme le monde et selon le savant avocat de l’appelante, c’est une question de bon sens. C’est un des facteurs importants qui doivent entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit de la garde des enfants et le savant juge de première instance a décidé que c’était un facteur décisif mais il a eu, aux yeux de la Cour d’appel, moins de poids que les autres auxquels j’ai renvoyé. Étant donné les circonstances entourant la présente affaire et en raison de ce que j’ai souligné à propos du projet soigneusement conçu par l’époux pour élever ses enfants et être à leurs côtés, je suis d’avis que le savant juge de première instance a accordé trop d’importance à ce facteur.

Je pense aussi que le savant juge de première instance a écarté un peu trop hâtivement un autre facteur qui l’avait profondément troublé. La mère de l’épouse avait souffert de troubles psychiques et été internée à plusieurs reprises. Le frère et la sœur de l’épouse avaient souffert de troubles analogues. Le savant juge de première instance a souligné qu’une personne issue d’une telle famille avait plus de risque de souffrir des mêmes troubles mais il a conclu pourtant qu’elle jouissait de toutes ses facultés mentales. Une fois la présence équilibrante de l’époux disparue, la preuve indique, à mon avis, que la conduite erratique de la famille

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de l’épouse pourrait avoir un effet néfaste sur l’équilibre de cette dernière, ledit facteur étant très important lorsqu’il s’agit de juger si l’épouse pourra plus tard s’occuper convenablement des enfants confiés à sa garde. Le savant juge de première instance conclut ainsi:

[TRADUCTION] Bien que certaines affirmations de l’avocat de l’époux m’aient inquiété, je suis convaincu que les enfants sont actuellement bien soignés par leur mère d’après la preuve.

(C’est moi qui souligne.)


Bien que j’aie souligné le mot «actuellement», je suis d’avis que son usage démontre que le savant juge de première instance doutait que la situation restât ainsi et j’estime que ce mot exprime les mêmes craintes que les miennes dans le paragraphe précédent.

Pour tous ces motifs, je rejetterais le pourvoi. Dans son factum, l’intimé demande simplement que le pourvoi soit rejeté et ne demande aucune adjudication de dépens. En tranchant la question de la garde des enfants, la Cour d’appel n’a pas adjugé de dépens et je suis d’avis que cette Cour devrait de même ne pas adjuger de dépens.

Appel accueilli avec dépens, les JUGES SPENCE et BEETZ dissidents.

Procureurs de l’appelante: Atlin, Goldenberg, Cohen, Gamble & Armel, Toronto.

Procureurs de l’intimé: Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto.

 



[1] [1973] 3 O.R. 827.

[2] [1972] R.C.S. 244.

[3] [1975] 1 R.C.S. 618.

[4] (1975), 62 D.L.R. (3d) 1.

[5] [1962] 3 All E.R. 1.

[6] [1895] P. 315; conf. [1897] A.C. 395.

[7] [1951] A.C. 352.

[8] [1951] P. 184.

[9] [1957] R.C.S. 329.

[10] [1975] 2 R.C.S. 881.

[11] [1962] 3 All E.R. 1.

[12] (1972), 8 R.F.L. 209.

[13] [1955] O.W.N. 341.

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