Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927
Le procureur général du Québec Appelant
c.
Irwin Toy Limited Intimée
et
Gilles Moreau en sa qualité de président
de l'Office de la protection du consommateur Intervenant
et
Le procureur général de l'Ontario,
le procureur général du Nouveau‑Brunswick,
le procureur général de la Colombie‑Britannique,
le procureur général de la Saskatchewan,
Pathonic Communications Inc., Réseau Pathonic Inc.,
la Coalition contre le retour de la publicité
destinée aux enfants Intervenants
répertorié: irwin toy ltd. c. québec (procureur général)
No du greffe: 20074.
1987: 19, 20 novembre; 1989: 27 avril.
Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey*, McIntyre, Lamer, Wilson et Le Dain*.
en appel de la cour d'appel du québec
Droit constitutionnel -- Partage des pouvoirs législatifs -- Publicité commerciale -- Loi provinciale interdisant la publicité commerciale destinée à des personnes de moins de treize ans -- La loi provinciale est-elle intra vires de la législature provinciale? -- Législation déguisée -- Entrave à une entreprise fédérale -- Conflit avec la législation fédérale -- Droit criminel ‑‑ Loi constitutionnelle de 1867, art. 91, 92 -- Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chap. P-40.1, art. 248, 249 -- Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B-11, art. 3c).
Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Application ‑‑ Dérogation par déclaration expresse -- Loi provinciale interdisant la publicité commerciale destinée à des personnes de moins de treize ans -- La loi provinciale est-elle soustraite à l'application de l'art. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés par une disposition dérogatoire valide et en vigueur? -- Charte canadienne des droits et libertés, art. 33 -- Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chap. C-40.1, art. 248, 249, 364 -- Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982, L.Q. 1982, chap. 21, art. 1, 7.
Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Liberté d'expression ‑‑ Publicité commerciale -- Loi provinciale interdisant la publicité commerciale destinée à des personnes de moins de treize ans -- Portée de la liberté d'expression -- La loi provinciale porte-t-elle atteinte à la garantie de la liberté d'expression? -- La restriction que la loi provinciale impose à la liberté d'expression est-elle justifiable en vertu de l'article premier de la Charte canadienne? -- Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2b) -- Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chap. P-40.1, art. 248, 249 -- Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur, R.R.Q., chap. P-40.1, r. 1, art. 87 à 91.
Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Limites raisonnables ‑‑ Loi provinciale interdisant la publicité commerciale destinée à des personnes de moins de treize ans -- La loi provinciale est-elle trop imprécise pour constituer une limite prescrite par une règle de droit? -- La preuve relative à l'objectif visé par le législateur, existant au moment de l'adoption de la loi provinciale, est-elle la seule pertinente pour justifier la loi provinciale comme restriction raisonnable à la liberté d'expression -- Charte canadienne des droits et libertés, art. 1 -- Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chap. P‑40.1, art. 248, 249.
Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Justice fondamentale ‑‑ Vie, liberté et sécurité de la personne -- Les sociétés peuvent-elles invoquer la protection de l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés? -- Sens du mot "chacun" à l'art. 7.
Libertés publiques -- Loi provinciale sur les droits de la personne ‑‑ Liberté d'expression -- Publicité commerciale -- Loi provinciale interdisant la publicité commerciale destinée à des personnes de moins de treize ans -- Portée de la liberté d'expression -- La loi provinciale porte-t-elle atteinte à la garantie de liberté d'expression -- La restriction que la loi provinciale impose à la liberté d'expression est-elle justifiable en vertu de l'art. 9.1 de la Charte québécoise? -- Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., chap. C-12, art. 3, 9.1 -- Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chap. P-40.1, art. 248, 249 -- Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur, R.R.Q., chap. P-40.1, r. 1, art. 87 à 91.
En novembre 1980, l'intimée a demandé en Cour supérieure un jugement déclarant que les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chap. P-40.1 étaient ultra vires de l'Assemblée nationale du Québec et, subsidiairement, qu'ils enfreignaient la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Les articles 248 et 249 interdisaient la publicité commerciale destinée à des personnes de moins de treize ans. La Cour supérieure a rejeté l'action. En appel, l'intimée a aussi invoqué la Charte canadienne des droits et libertés entrée en vigueur après le jugement de la Cour supérieure. La Cour d'appel a accueilli l'appel et a conclu que les dispositions contestées enfreignaient l'al. 2b) de la Charte canadienne et que la limite imposée à la liberté d'expression par les art. 248 et 249 n'était pas justifiée en vertu de l'article premier. Le pourvoi vise à déterminer (1) si les art. 248 et 249 sont ultra vires de l'Assemblée nationale du Québec ou inopérants parce qu'ils entrent en conflit avec l'art. 3 de la Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B‑11; (2) s'ils sont soustraits à l'application de la Charte canadienne par une disposition dérogatoire valide et en vigueur; (3) s'ils portent atteinte à l'al. 2b) de la Charte canadienne et à l'art. 3 de la Charte québécoise et, dans l'affirmative, (4) si la restriction imposée par les art. 248 et 249 est justifiable en vertu de l'article premier de la Charte canadienne et de l'art. 9.1 de la Charte québécoise; et (5) s'ils enfreignent l'art. 7 de la Charte canadienne.
Arrêt (les juges Beetz et McIntyre sont dissidents): Le pourvoi est accueilli.
(1)Les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur ne sont pas ultra vires de la législature provinciale ni privés d'effet en vertu de l'art. 3 de la Loi sur la radiodiffusion.
(2)La disposition dérogatoire de l'art. 364 de la Loi sur la protection du consommateur a cessé d'avoir effet le 23 juin 1987.
(3)Les articles 248 et 249 violent l'al. 2b) de la Charte canadienne et l'art. 3 de la Charte québécoise.
(4)Le juge en chef Dickson et les juges Lamer et Wilson (les juges Beetz et McIntyre sont dissidents): Les articles 248 et 249 sont justifiés en vertu de l'article premier de la Charte canadienne et de l'art. 9.1 de la Charte québécoise.
(5)L'article 7 de la Charte canadienne ne peut être invoqué par l'intimée.
(1) La Loi constitutionnelle de 1867
Les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur, tels que modifiés ou complétés par les règlements, sont comme dans l'affaire Kellogg des dispositions législatives d'application générale relatives à la protection du consommateur et ne sont pas une tentative déguisée, sous l'apparence d'une loi d'application générale, de légiférer en matière de publicité télévisée. L'aspect dominant de la Loi aux fins de sa qualification est la réglementation de toutes les formes de publicité destinée aux personnes de moins de treize ans plutôt que l'interdiction de la publicité télévisée dont on ne peut pas dire qu'elle soit le but exclusif ni même principal de la Loi. L'importance relative de la publicité télévisée et des autres formes de publicité destinée aux enfants visées par les exemptions et l'interdiction ne constitue pas un fondement suffisant pour conclure à l'existence d'une législation déguisée.
Les articles 248 et 249 ne visent pas à s'appliquer aux entreprises de télédiffusion. Il est clair que ces articles, lus en corrélation avec l'art. 252 de la Loi sur la protection du consommateur, s'appliquent aux actes d'un annonceur et non à ceux d'un radiodiffuseur. Les dispositions contestées ne portent donc pas atteinte à la compétence exclusive du fédéral en prétendant s'appliquer à une entreprise fédérale et, ce faisant, en touchant un élément essentiel de son exploitation. En outre, l'importance des revenus de publicité dans l'exploitation d'une entreprise de télédiffusion et le fait que l'interdiction de la publicité commerciale destinée aux personnes de moins de treize ans porte atteinte à la capacité de présenter des émissions pour enfants ne constituent pas une base suffisante pour conclure que l'effet des dispositions était d'entraver l'exploitation de l'entreprise dans le sens que l'entreprise était "paralysée dans ses fonctions et ses activités". Tout au plus peut‑on affirmer que les dispositions peuvent "incidemment porter atteinte au revenu d'une ou plusieurs stations de télévision".
Les articles 248 et 249 n'entrent pas en conflit avec l'al. 3c) de la Loi sur la radiodiffusion. Cet article ne vise pas à empêcher que des lois provinciales d'application générale aient un effet incident sur des entreprises de télédiffusion. Il n'y a ni conflit ni incompatibilité opérationnelle entre la réglementation fédérale applicable aux télédiffuseurs adoptée par le CRTC et la législation provinciale sur la protection du consommateur applicable aux annonceurs. Les deux systèmes ont été conçus pour coexister. Ni les télédiffuseurs ni les annonceurs ne se trouvent dans une situation où ils doivent contrevenir à une série de normes pour se conformer à l'autre. Si chaque groupe se conforme aux normes qui lui sont applicables, il ne peut jamais y avoir de conflit entre les normes. Ce n'est que si les annonceurs tentent de se conformer seulement à la norme moins exigeante applicable aux télédiffuseurs qu'il y a conflit. Dans la mesure où le gouvernement fédéral ne tente pas de faire de cette norme moins élevée la seule applicable, il n'y a aucune raison d'invoquer la théorie de la prépondérance.
Enfin, ayant conclu que les art. 248 et 249 ont été édictés en conformité avec un objectif provincial valide et qu'ils n'entrent pas en conflit avec la réglementation fédérale, on ne peut affirmer que, parce qu'ils prévoient des sanctions en cas de violation, ils devraient être considérés en réalité comme, de par leur caractère véritable, des dispositions relatives au droit criminel. Le paragraphe 92(15) de la Loi constitutionnelle de 1867 donne à la province la compétence pour édicter des lois pénales provinciales à l'égard d'objectifs provinciaux valides par ailleurs.
(2) Application de la Charte canadienne
Selon les motifs de Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, l'art. 364 de la Loi sur la protection du consommateur -- la disposition dérogatoire type édictée par l'art. 1 de la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982, L.Q. 1982, chap. 21 -- est entré en vigueur le 23 juin 1982 et a cessé d'avoir effet le 23 juin 1987. Puisque l'article 364 n'a pas été adopté de nouveau en vertu du par. 33(4) de la Charte canadienne, les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur ne sont plus soustraits à l'application de la Charte canadienne par une disposition dérogatoire valide et en vigueur.
(3) Liberté d'expression
Le juge en chef Dickson et les juges Lamer et Wilson: Lorsqu'on allègue la violation de la garantie de liberté d'expression, la première étape de l'analyse consiste à déterminer si l'activité du demandeur relève du champ des activités protégées par la garantie. Une activité qui (1) ne transmet pas ni ne tente de transmettre une signification et qui est donc expression sans contenu ou (2) qui transmet une signification par une forme d'expression violente, ne relève pas du champ des activités protégées. Si l'activité fait partie du champ des activités protégées, la deuxième étape consiste à déterminer si l'objet ou l'effet de l'action gouvernementale en cause était de restreindre la liberté d'expression. Si le gouvernement a voulu contrôler la transmission d'une signification soit en restreignant directement le contenu de l'expression soit en restreignant une forme d'expression liée au contenu, son objet porte atteinte à la garantie. Par ailleurs, si le gouvernement veut seulement prévenir les conséquences matérielles d'une conduite donnée, son objet ne porte pas atteinte à la garantie. Pour décider si l'objet du gouvernement est simplement de prévenir des conséquences matérielles préjudiciables, il faut se demander si le méfait est dans la signification de l'activité ou dans l'influence qu'elle est susceptible d'avoir sur le comportement des autres, ou encore si le méfait est uniquement dans le résultat matériel direct de l'activité. Si le but poursuivi par le gouvernement n'était pas de restreindre la liberté d'expression, le demandeur peut encore soutenir que l'action gouvernementale a eu pour effet de restreindre sa liberté d'expression. Pour ce faire, le demandeur doit au moins décrire le message transmis et son rapport avec la recherche de la vérité, la participation au sein de la société ou l'enrichissement et l'épanouissement personnels. En l'espèce, l'activité de l'intimée relève bien du champ des activités protégées par la liberté d'expression. En adoptant les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur et les art. 87 à 91 du Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur, l'objet que poursuivait le gouvernement était d'interdire un contenu particulier d'une expression au nom de la protection des enfants. Ces dispositions apportent donc des restrictions à l'al. 2b) de la Charte canadienne et à l'art. 3 de la Charte québécoise.
Les juges Beetz et McIntyre: Les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur, qui interdisent la publicité destinée aux enfants, enfreignent l'al. 2b) de la Charte canadienne et l'art. 3 de la Charte québécoise. Les articles 248 et 249 restreignent une forme d'expression ‑‑ l'expression commerciale -- qui est protégée par l'al. 2b) et l'art. 3.
(4) Les limites raisonnables
Le juge en chef Dickson et les juges Lamer et Wilson: Les articles 248 et 249 sont assez précis pour constituer une restriction prescrite par une règle de droit. Il est possible de donner une interprétation logique à l'art. 249 qui élimine toute confusion ou toute contradiction avec l'art. 248. De plus, les art. 248 et 249 ne confèrent pas au juge un pouvoir discrétionnaire excessivement large. Selon l'article 248, le message doit avoir un contenu commercial et viser les personnes de moins de treize ans et l'art. 249 impose au juge d'évaluer trois facteurs relatifs au contexte dans lequel le message publicitaire a été présenté. Les articles 248 et 249 fournissent donc aux tribunaux une norme intelligible à appliquer pour déterminer si un message publicitaire peut faire l'objet d'une restriction.
Pour démontrer que l'objet de la Loi est urgent et réel, le gouvernement ne peut invoquer à posteriori un objet qui n'a pu motiver l'adoption de la Loi à l'origine. Toutefois, pour établir que l'objectif premier demeure urgent et réel, le gouvernement peut certainement et doit même faire appel aux meilleurs éléments de preuve qui existent au moment de l'analyse. Il en est de même en ce qui concerne la preuve que la mesure est proportionnelle à son objectif. Il est également possible d'établir qu'un objet, dont le caractère urgent et réel ne pouvait pas être établi à l'époque de l'adoption du texte législatif, a acquis ce caractère avec le temps et l'évolution des circonstances. En l'espèce, la question revient donc à déterminer si la preuve offerte par le gouvernement établit que les enfants de moins de treize ans sont incapables de faire des choix et des distinctions en ce qui concerne les produits annoncés et si cela, à son tour, justifie la restriction imposée à la publicité. Des études postérieures à l'adoption de la Loi peuvent être utilisées à cette fin.
Compte tenu des documents relatifs aux articles premier et 9.1, les art. 248 et 249 apportent une limite raisonnable à la liberté d'expression et sont justifiés en vertu de l'article premier de la Charte canadienne et de l'art. 9.1 de la Charte québécoise. L'objectif de réglementer la publicité commerciale destinée à des enfants est conforme au but général d'une loi sur la protection du consommateur, c.‑à‑d. de protéger un groupe qui est très vulnérable à la manipulation commerciale. Les enfants n'ont pas les capacités des adultes pour évaluer la force persuasive de la publicité. Le législateur a raisonnablement conclu qu'il fallait empêcher les annonceurs d'exploiter la crédulité des enfants. Les documents relatifs aux articles premier et 9.1 démontrent, selon la prépondérance des probabilités, que jusqu'à l'âge de treize ans les enfants peuvent être manipulés par la publicité commerciale et que l'objectif de protéger tous les enfants de ce groupe d'âge est fondé sur une préoccupation urgente et réelle.
Les moyens choisis par le gouvernement sont proportionnels à son objectif. Premièrement, il n'y a pas de doute que l'interdiction de la publicité destinée aux enfants a un lien rationnel avec l'objectif de protéger les enfants contre la publicité. Les mesures prises par le gouvernement visent précisément le problème traité dans les documents relatifs aux articles premier et 9.1. Il est important de souligner que nous ne sommes pas en présence d'une interdiction générale de la publicité de produits pour enfants, mais simplement d'une interdiction de présenter des messages publicitaires à ceux qui ne sont pas conscients du fait que ces messages visent à persuader. Les messages publicitaires peuvent certainement s'adresser aux véritables acheteurs, les parents ou d'autres adultes. En fait, la publicité éducative non commerciale destinée aux enfants est permise. Deuxièmement, la preuve étaye le caractère raisonnable de la conclusion du législateur qu'une interdiction de la publicité à but commercial destinée aux enfants portait le moins possible atteinte à la liberté d'expression tout en se conformant à l'objectif urgent et réel de protéger les enfants de la manipulation qu'exerce la publicité. Dans les cas où le gouvernement est en quelque sorte l'adversaire singulier de l'individu dont le droit a été violé, les tribunaux peuvent décider avec un certain degré de certitude si les moyens les moins radicaux ont été choisis pour atteindre l'objectif gouvernemental. En revanche, dans les cas où le gouvernement arbitre entre les revendications d'individus ou de groupes opposés, le choix des moyens comme celui des fins exige souvent l'évaluation de preuves scientifiques contradictoires et de demandes légitimes mais contraires quant à la répartition de ressources limitées, ce que les tribunaux ne peuvent faire avec le même degré de certitude. Bien que, selon la preuve, le gouvernement dispose d'autres options comportant une intrusion moindre qui répondent à des objectifs plus modestes, la preuve démontre aussi la nécessité d'interdire la publicité pour parvenir aux objectifs que le gouvernement s'est raisonnablement fixé. Cette Cour n'adoptera pas une interprétation restrictive de la preuve en matière de sciences humaines au nom du principe de l'atteinte minimale et n'obligera pas les législatures à choisir les moyens les moins ambitieux pour protéger des groupes vulnérables. Néanmoins, les conclusions du gouvernement doivent s'appuyer sur des éléments de preuve solides. Troisièmement, on ne laisse pas entendre que les effets de l'interdiction sont tellement sévères qu'ils l'emportent sur l'objectif urgent et réel du gouvernement. Il est toujours loisible aux annonceurs d'adresser leur message aux parents et aux autres adultes. Ils sont également libres de participer à la publicité éducative. La véritable préoccupation à l'origine de la contestation de la Loi est qu'elle touche les revenus dans une certaine mesure. Cela signifie simplement que les annonceurs devront inventer de nouvelles stratégies de commercialisation des produits pour enfants.
Les juges Beetz et McIntyre (dissidents): Les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur ne sont pas justifiés en vertu de l'article premier de la Charte canadienne ou de l'art. 9.1 de la Charte québécoise. Promouvoir le bien‑être des enfants est un objectif qui répond à une préoccupation urgente et réelle pour tout gouvernement, mais il n'a pas été démontré en l'espèce que la publicité télévisée destinée aux enfants met en danger leur bien‑être. De plus, les moyens choisis ne sont pas proportionnels à l'objectif. Une interdiction totale de la publicité télévisée destinée aux enfants jusqu'à un certain âge fixé arbitrairement indique qu'il n'a pas été tenté de satisfaire à l'exigence de proportionnalité.
La liberté d'expression est trop importante pour être écartée ou restreinte à la légère. La liberté d'expression, qu'elle soit politique, religieuse, artistique ou commerciale, ne devrait être supprimée que dans des cas où existent des motifs urgents et impératifs de le faire, et seulement alors dans la mesure et pour le temps nécessaire à la protection de la collectivité. Ce n'est pas le cas en l'espèce.
(5) Justice fondamentale
On ne peut retenir la prétention de l'intimée selon laquelle les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur portent atteinte à l'art. 7 de la Charte canadienne. Dans la présente espèce, les poursuites concernent une compagnie et non des individus. À la différence de ses dirigeants, une société ne peut invoquer la protection qu'offre l'art. 7 de la Charte. Le mot "chacun" à l'art. 7, compte tenu du reste de l'article, exclut les sociétés et autres entités qui ne peuvent jouir de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne, et ne comprend que les êtres humains.
Jurisprudence
Citée par la majorité
Arrêts appliqués: Procureur général du Québec c. Kellogg's Co. of Canada, [1978] 2 R.C.S. 211; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712; Devine c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 790; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295; arrêts examinés: Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749; Attorney-General for Manitoba v. Attorney-General for Canada, [1929] A.C. 260; Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161; arrêts mentionnés: Commission du salaire minimum v. Bell Telephone Co. of Canada, [1966] R.C.S. 767; Carnation Co. v. Quebec Agricultural Marketing Board, [1968] R.C.S. 238; Re C.F.R.B. and Attorney-General for Canada, [1973] 3 O.R. 819; Capital Cities Communications Inc. c. Conseil de la Radio‑Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141; Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1978] 2 R.C.S. 662; Mann v. The Queen, [1966] R.C.S. 238; Smith v. The Queen, [1960] R.C.S. 776; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; AFPC c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 424; SDGMR c. Saskatchewan, [1987] 1 R.C.S. 460; Palko v. Connecticut, 302 U.S. 319 (1937); Switzman v. Elbling, [1957] R.C.S. 285; Cour Eur. D. H., affaire Handyside, décision du 29 avril 1976, série A no 24; SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573; R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; Sunday Times v. United Kingdom (1979), 2 E.H.R.R. 245; Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; Alliance des professeurs de Montréal c. Procureur général du Québec, [1985] C.A. 376; F.H. Hayhurst Co. c. Langlois, [1984] C.A. 74; Saumur v. City of Quebec, [1953] 2 R.C.S. 299.
Citée par la minorité
Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712; Palko v. Connecticut, 302 U.S. 319 (1937); Switzman v. Elbling, [1957] R.C.S. 285; SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2b), 7, 33.
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., chap. C-12, art. 3, 9.1.
Code civil du Bas‑Canada, art. 987, 1001 à 1011.
Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982, L.Q. 1982, chap. 21, art. 1, 7.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27), (29), 92(10), (13), (15), (16).
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 2, 3.
Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chap. P-40.1 [auparavant L.Q. 1978, chap. 6], art. 215, 248, 249, 252, 278, 282, 316, 364 [ad. 1982, chap. 21, art. 1].
Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B‑11, art. 3c), 17(1)a).
Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur, R.R.Q. 1981, chap. P-40.1, r. 1, art. 87 à 91.
Règlement sur la télédiffusion, C.R.C. 1978, chap. 381.
Doctrine citée
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Boddewyn, J. J. Advertising to Children: Regulation and Self-regulation in 40 Countries. New York: International Advertising Association Inc., 1984.
Canada/Québec. Comité fédéral‑provincial sur la publicité destinée aux enfants. Les effets de la loi québécoise interdisant la publicité destinée aux enfants, septembre 1985. Ottawa: Ministère des approvisionnements et services Canada, 1986.
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Guide de la publicité radiodiffusée: Lois, règlements et directives relatifs à la publicité radiodiffusée. Hull: Ministère des approvisionnements et services, 1978.
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Renouvellement des licences des réseaux de télévision et de radio de la Société Radio‑Canada. Décision CRTC 79-320, le 30 avril 1979, (1979) 113 Gaz. Can., Partie I, 3082.
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POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1986] R.J.Q. 2441, 32 D.L.R. (4th) 641, 3 Q.A.C. 285, 26 C.R.R. 193, qui a rejeté un appel de la Cour supérieure, [1982] C.S. 96. Pourvoi accueilli, les juges Beetz et McIntyre sont dissidents.
Yves de Montigny et Richard Tardif, pour l'appelant.
Yvan Bolduc, Michel Robert, c.r., Luc Martineau et Marie-Josée Hogue, pour l'intimée.
Pierre Valois et Gilberte Bechara, pour l'intervenant Gilles Moreau.
Lorraine E. Weinrib, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.
Grant S. Garneau, pour l'intervenant le procureur général du Nouveau-Brunswick.
Joseph J. Arvay et Jennifer Button, pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.
Robert G. Richards, pour l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan.
Louis-Yves Fortier, c.r., et Michel Sylvestre, pour les intervenants Pathonic Communications Inc. et Réseau Pathonic Inc.
Marc Legros et Diane Lajoie, pour l'intervenant la Coalition contre le retour de la publicité destinée aux enfants.
//Le Juge en chef//
Le jugement du juge en chef Dickson et des juges Lamer et Wilson a été rendu par
LE JUGE EN CHEF ET LES JUGES LAMER ET WILSON -- Ce pourvoi, soulève plusieurs questions relatives à la constitutionnalité, en vertu des art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, et de l'al. 2b) et de l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, des art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chap. P‑40.1, qui interdisent la publicité télévisée destinée à des personnes âgées de moins de treize ans.
Le pourvoi, autorisé par cette Cour, attaque l'arrêt de la Cour d'appel du Québec (les juges Kaufman et Jacques; le juge Vallerand étant dissident) rendu le 18 septembre 1986, [1986] R.J.Q. 2441, 32 D.L.R. (4th) 641, 3 Q.A.C. 285, 26 C.R.R. 193, qui a accueilli l'appel du jugement de la Cour supérieure, district de Montréal, prononcé par le juge en chef adjoint Hugessen le 8 janvier 1982, [1982] C.S. 96, lequel rejetait l'action intentée par l'intimée en vue de faire déclarer ultra vires de l'Assemblée nationale du Québec les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur et, à titre subsidiaire, de les faire déclarer inopérants comme portant atteinte à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., chap. C-12.
I - Les dispositions législatives et constitutionnelles pertinentes
Les dispositions pertinentes de la Loi sur la protection du consommateur en sont les art. 248, 249 et 252:
248. Sous réserve de ce qui est prévu par règlement, nul ne peut faire de la publicité à but commercial destinée à des personnes de moins de treize ans.
249. Pour déterminer si un message publicitaire est ou non destiné à des personnes de moins de treize ans, on doit tenir compte du contexte de sa présentation et notamment:
a)de la nature et de la destination du bien annoncé;
b)de la manière de présenter ce message publicitaire;
c)du moment ou de l'endroit où il apparaît.
Le fait qu'un tel message publicitaire soit contenu dans un imprimé destiné à des personnes de treize ans et plus ou destiné à la fois à des personnes de moins de treize ans et à des personnes de treize ans et plus ou qu'il soit diffusé lors d'une période d'écoute destinée à des personnes de treize ans et plus ou destinée à la fois à des personnes de moins de treize ans et à des personnes de treize ans et plus ne fait pas présumer qu'il n'est pas destiné à des personnes de moins de treize ans.
252. Aux fins des articles 231, 246, 247, 248 et 250, on entend par faire de la publicité le fait de préparer, d'utiliser, de distribuer, de faire distribuer, de publier ou de faire publier, de diffuser ou de faire diffuser un message publicitaire.
Les dispositions pertinentes du Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur, R.R.Q., chap. P‑40.1, r. 1, sont les art. 87 à 91 de la section II du chapitre VII, intitulée "Publicité destinée à des enfants":
87. Aux fins de la présente section, le mot "enfant" désigne une personne âgée de moins de 13 ans.
88. Est exempté de l'application de l'article 248 de la Loi, un message publicitaire destiné à des enfants, aux conditions suivantes:
a) il doit être contenu dans une revue ou dans un encart qui est destiné à des enfants;
b) cette revue ou cet encart doit être offert en vente ou inséré dans une publication offerte en vente;
c) cette revue ou cet encart doit être publié à des intervalles n'excédant pas 3 mois; et
d) le message publicitaire doit être conforme aux exigences de l'article 91.
89. Est exempté de l'application de l'article 248 de la Loi, un message publicitaire destiné à des enfants dont l'objet est d'annoncer un spectacle qui leur est destiné, à la condition que ce message soit conforme aux exigences de l'article 91.
90. Est exempté de l'application de l'article 248 de la Loi, un message publicitaire destiné à des enfants constitué par une vitrine, un étalage, un contenant, un emballage ou une étiquette de même que celui qui y apparaît, à la condition que les exigences des paragraphes a à g, j, k, o et p de l'article 91 soient respectées.
91. Aux fins de l'application des articles 88, 89 et 90, un message publicitaire destiné à des enfants ne peut:
a) exagérer la nature, les caractéristiques, le rendement ou la durée d'un bien ou d'un service;
b) minimiser le degré d'habileté, la force, l'adresse ou l'âge requis pour faire usage d'un bien ou d'un service;
c) employer un superlatif pour décrire les caractéristiques d'un bien ou d'un service ou un diminutif pour en indiquer le coût;
d) employer un comparatif ou établir une comparaison en relation avec le bien ou le service qui fait l'objet du message publicitaire;
e) inciter directement un enfant à acheter ou à inviter une autre personne à acheter un bien ou un service ou à s'informer à leur sujet;
f) représenter des habitudes de vie sociale ou familiale répréhensibles;
g) annoncer un bien ou un service qui, par sa nature, sa qualité ou son usage ordinaire, ne devrait pas être à l'usage d'un enfant;
h) annoncer un médicament ou une spécialité pharmaceutique;
i) annoncer une vitamine sous forme liquide, en poudre ou en comprimé;
j) représenter une personne agissant d'une façon imprudente;
k) représenter un bien ou un service de façon à en suggérer un usage impropre ou dangereux;
l) représenter une personne ou un personnage connu des enfants de façon à promouvoir un bien ou un service sauf:
i. s'il s'agit d'un artiste, d'un acteur ou d'un présentateur professionnel qui ne figure pas dans une publication ou une émission destinée aux enfants;
ii. dans le cas prévu à l'article 89 à titre d'illustration de sa participation à un spectacle qui est destiné aux enfants.
Aux fins du présent paragraphe, n'est pas un personnage connu des enfants celui créé dans le but d'annoncer un bien ou un service, lorsqu'il est utilisé à cette fin seulement;
m) employer un procédé d'animation cinématographique sauf pour annoncer un spectacle d'animation cinématographique qui leur est destiné;
n) employer une bande illustrée sauf pour annoncer une publication de bandes illustrées qui leur est destinée;
o) suggérer que le fait de posséder ou d'utiliser un bien développe chez un enfant un avantage physique, social ou psychologique par rapport aux autres enfants de son âge, ou que la privation de cette marchandise a un effet contraire;
p) annoncer un bien d'une façon telle qu'un enfant soit faussement porté à croire que, pour le prix ordinaire de ce bien, il peut se procurer d'autres biens que celui annoncé.
Les articles 3 et 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec prévoient:
3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association.
9.1 Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien‑être général des citoyens du Québec.
La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l'exercice.
L'article premier, l'al. 2b) et l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés prévoient:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
. . .
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
II -L'action en jugement déclaratoire de l'intimée et les décisions de la Cour supérieure et de la Cour d'appel
Au cours de l'automne 1980, l'intimée a diffusé des messages publicitaires que l'Office de la protection du consommateur prétendait contrevenir aux art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur. Après avoir reçu plusieurs avertissements de l'Office, l'intimée a intenté, le 21 novembre 1980, une action en vue de faire déclarer ultra vires ou, subsidiairement, inopérants les art. 248 et 249 de la Loi. Au mois de décembre de la même année, quelque 188 accusations de contraventions à la Loi ont été déposées contre l'intimée. Selon cette dernière, les accusations ont finalement été rejetées pour le motif que le tribunal qui en avait été saisi n'avait pas compétence: F.H. Hayhurst Co. c. Langlois, [1984] C.A. 74. Le juge Landry de la Cour supérieure a accordé une injonction interlocutoire contre l'intimée le 26 juin 1981. L'ordonnance a été portée en appel. Une requête visant à suspendre l'injonction jusqu'à ce qu'une décision soit rendue en appel a été rejetée. Une requête pour outrage contre l'intimée et son vice‑président a été rejetée pour le motif que l'ordonnance d'injonction était trop vague. Les procédures pénales, les procédures relatives à l'injonction et à l'outrage ne sont pas vraiment pertinentes dans ce pourvoi mais elles illustrent bien les difficultés auxquelles l'intimée a fait face dans l'application des dispositions attaquées et son intérêt à intenter l'action déclaratoire.
Il ressort du jugement du juge en chef adjoint Hugessen (tel était alors son titre) que l'intimée prétendait essentiellement que les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur étaient de la législation déguisée en ce sens que, destinés apparemment à s'appliquer à l'ensemble de la publicité commerciale destinée à des personnes de moins de treize ans, leur véritable but ou objet, selon le règlement et la preuve relative à la nature de la publicité destinée aux enfants à l'époque de l'adoption des dispositions, était d'interdire la publicité télévisée destinée aux enfants de moins de treize ans. Voici comment le juge Hugessen expose la prétention de l'intimée à la p. 97: [TRADUCTION] "Le principal moyen soulevé par la demanderesse [c.‑à‑d. Irwin Toy] est qu'il s'agit d'une législation déguisée. Bien que l'interdiction vise apparemment toute forme de publicité destinée aux enfants, l'effet combiné des exemptions prévues par le règlement et de la réalité des pratiques commerciales fait que la loi a comme objet principal, et même presque exclusif, l'interdiction de messages publicitaires télévisés destinés aux enfants". En Cour supérieure, l'intimée Irwin Toy a présenté des éléments de preuve pour démontrer qu'à l'époque de l'adoption des dispositions contestées, la télévision était de très loin le média le plus utilisé en matière de publicité destinée aux enfants; que la plupart des autres médias utilisés dans ce domaine, comme les revues et les encarts, étaient visés par les exemptions des art. 87 à 91 du règlement; que les autres médias de publicité destinée aux enfants, qui ne sont pas exemptés de l'application de l'art. 248 de la Loi, ont en pratique une importance secondaire et relativement minime de sorte que l'interdiction de l'art. 248 est essentiellement, une interdiction visant uniquement, à toutes fins utiles, la publicité télévisée. Le juge Hugessen a reconnu que, si tel était le cas, il s'agirait d'une loi déguisée visant à interdire la publicité télévisée mais il s'est dit d'avis, ayant pris connaissance d'office d'autres formes de publicité destinée aux enfants, que les dispositions contestées de la Loi, compte tenu des modifications apportées par le règlement, ne visaient pas exclusivement la publicité télévisée. En raison des arguments présentés devant cette Cour au sujet de son raisonnement et de ses conclusions à cet égard, nous reproduisons en entier les passages pertinents de ses motifs, à la p. 97:
[TRADUCTION] On ne peut pas douter non plus que la loi attaquée vise et a pour but de viser la publicité télévisée. Ceci ressort clairement du libellé de l'art. 249 précité. En vertu du règlement, certaines autres formes de publicité, notamment celle apparaissant dans les revues destinées expressément aux enfants, sont exemptées de l'interdiction. La demanderesse souligne que la télévision et les revues pour enfants sont les deux principaux moyens qu'elle utilise en matière de publicité destinée aux enfants et que l'exemption prévue pour les revues signifie que la loi vise uniquement la télévision. La demanderesse souligne également qu'en ce qui concerne son entreprise il n'existe aucun autre moyen de publicité efficace et qu'elle n'utilise pas la radio, les panneaux‑réclames, les envois postaux ni aucun des divers autres supports publicitaires.
L'argument est ingénieux mais semble provenir d'une généralisation fallacieuse fondée sur une situation et des pratiques commerciales propres à la demanderesse. S'il est vrai que la demanderesse et d'autres fabricants de jouets ont largement utilisé la télévision pour leur publicité, on ne peut certainement pas affirmer que toute la publicité destinée aux enfants utilise ce média. J'ai la preuve devant moi que d'autres moyens sont utilisés par d'autres fabricants qui s'intéressent tout particulièrement au marché que constituent les enfants et, même en l'absence d'une telle preuve, je crois pouvoir prendre connaissance d'office du fait que la promotion d'articles de sport, de friandises, de céréales, d'aliments prêts‑à‑manger, de boissons gazeuses et d'un large éventail d'autres biens et services s'effectue par l'intermédiaire de la publicité destinée entièrement ou essentiellement aux enfants. La forme que peuvent prendre les moyens employés va des panneaux‑réclames dans les stades ou dans les centres sportifs aux dons d'articles de promotion comme des chapeaux ou des photos d'athlètes, aux concours ou aux livres à colorier. Sous réserve de quelques rares exceptions, tous ces moyens sont visés par l'interdiction de la loi et ne sont pas exemptés par les règlements. Par conséquent, les articles attaqués ne visent pas exclusivement la publicité télévisée.
Le juge Hugessen a conclu que les articles de la loi portant sur la publicité, y compris les dispositions contestées, avaient un objet valide, la protection du consommateur, relevant de la compétence législative provinciale en vertu des par. 13 et 16 de l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il a fait état du rapport entre les dispositions contestées et l'objet général des dispositions concernant la publicité dans le Titre II, à la p. 97:
[TRADUCTION] Comme son titre l'indique, la Loi sur la protection du consommateur a pour objet de protéger le consommateur contre les pratiques commerciales douteuses. La publicité fausse, trompeuse ou déloyale fait partie de ces pratiques. Tout le Titre II de la loi, qui comprend presque quarante articles, dont les deux articles actuellement contestés, traite de cette question. De toute évidence, le but et l'objet sont de faire en sorte qu'il soit plus difficile pour les consommateurs d'être incités à conclure de mauvais marchés ou d'être soumis à des pressions indues. Ce n'est pas sans raison que le législateur considère les enfants comme une cible particulièrement vulnérable à cet égard, soit à titre d'acheteurs et de consommateurs indépendants soit à titre d'intermédiaires par lesquels les annonceurs peuvent exercer une pression sur les parents. La loi qui vise à réglementer et à contrôler cette publicité possède un objectif provincial tout à fait valable dans les limites des pouvoirs conférés à la législature en vertu des par. 13 et 16 de l'art. 92 de l'A.A.N.B.
En ce qui concerne la prétention que les dispositions contestées sont inopérantes parce qu'elles ont pour effet d'empêcher la demanderesse de faire de la publicité par l'intermédiaire de la télévision, un domaine de compétence fédérale exclusive, le juge Hugessen, faisant état de la distinction entre le message et son support, a appliqué l'arrêt Procureur général du Québec c. Kellogg's Co. of Canada, [1978] 2 R.C.S. 211, dans lequel cette Cour a fait la distinction entre un règlement portant sur la publicité télévisée applicable à un annonceur et un règlement applicable à une station de télévision ou à une entreprise de radiodiffusion. Le juge Hugessen a conclu qu'il n'était pas nécessaire de traiter de l'argument, qui a été soulevé dans la procédure écrite mais ne l'a pas été dans les débats, selon lequel les dispositions contestées enfreignaient la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Il a également rejeté sommairement la prétention que les dispositions contestées portaient atteinte au droit de l'intimée au "discours commercial".
Le 14 janvier 1982, l'intimée a interjeté appel du jugement de la Cour supérieure qui rejetait son action en jugement déclaratoire. Le 6 novembre 1984, l'intimée s'est adressée à la Cour d'appel pour obtenir l'autorisation de modifier sa déclaration et son inscription en appel en vue d'invoquer la Charte canadienne des droits et libertés, entrée en vigueur après le jugement de la Cour supérieure, et d'obtenir, en plus de la déclaration déjà demandée, un jugement déclarant que les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur étaient inopérants parce qu'ils portaient atteinte à la liberté d'expression garantie par l'al. 2b) de la Charte, et que la disposition dérogatoire de l'art. 364 de la Loi sur la protection du consommateur, qui a pour objet d'exclure l'application des art. 2 et 7 à 15 de la Charte, était ultra vires parce que non conforme au pouvoir conféré par l'art. 33 de la Charte. La Cour d'appel a donné l'autorisation demandée et l'intimée a modifié sa déclaration en conséquence le 13 décembre 1984. La Cour d'appel a également invité les parties à soumettre des documents se rapportant à la question de la justification des dispositions en vertu de l'article premier de la Charte, pour le cas où il serait décidé que les dispositions contestées enfreignent l'al. 2b). Les parties l'ont fait.
Comme la Cour supérieure, la Cour d'appel a tranché la question de la validité selon le partage des pouvoirs en se fondant sur l'arrêt Kellogg de cette Cour et en concluant, sans élaborer davantage, que l'affaire en cause ne pouvait être distinguée de l'espèce. Sur la question de la validité de la disposition dérogatoire de l'art. 364 de la Loi sur la protection du consommateur, la Cour d'appel a appliqué son arrêt Alliance des professeurs de Montréal c. Procureur général du Québec, [1985] C.A. 376, dans lequel elle avait conclu que la disposition dérogatoire type édictée par la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982 et des lois postérieures, visant à exclure l'application des art. 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, était ultra vires parce que non conforme au pouvoir conféré par l'art. 33 de la Charte. Sur l'allégation concernant la restriction de la liberté d'expression garantie par l'al. 2b) de la Charte, la Cour a conclu que la liberté d'expression s'étendait à l'expression commerciale, que les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur portaient atteinte à la liberté d'expression et que la limite qu'ils imposaient à la liberté d'expression n'était pas justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. C'est sur ce dernier point que l'opinion des juges de la Cour d'appel diffère. Les juges de la majorité (les juges Kaufman et Jacques) ont exprimé l'avis qu'en ce qui concerne la publicité télévisée destinée à des enfants âgés de six à treize ans, les documents relatifs à l'article premier n'avaient pas démontré l'existence d'un objet législatif suffisamment important pour justifier une atteinte à une liberté garantie. Bien qu'ils aient reconnu que les documents démontraient que la publicité a des effets préjudiciables pour les enfants de six ans et moins, ils étaient d'avis que ces documents n'établissaient pas que la publicité avait un effet préjudiciable sur les autres enfants du groupe d'âge visé tant que le produit annoncé n'était pas dommageable et tant que la publicité était loyale. Le juge Vallerand, dissident sur ce point, a convenu avec ses collègues que les documents relatifs à l'article premier n'établissaient pas clairement les effets préjudiciables allégués de la publicité télévisée destinée aux personnes de moins de treize ans, mais il a exprimé l'avis que la possibilité même de l'existence de tels effets était matière à inquiétude assez sérieuse pour que l'objet législatif visé par les dispositions contestées soit suffisamment important pour répondre au premier volet du critère applicable en vertu de l'article premier, selon l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Le juge Vallerand a également exprimé l'opinion que le moyen choisi, l'interdiction totale de la publicité télévisée destinée aux personnes de moins de treize ans, était le seul moyen efficace de régler le problème et qu'il était proportionné aux fins poursuivies. Le juge Vallerand a également rejeté l'argument de la nullité des dispositions contestées pour cause d'imprécision. En fin de compte, la Cour d'appel a accueilli l'appel du jugement de la Cour supérieure et déclaré inopérants les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur.
III -Les questions constitutionnelles et les questions litigieuses que soulève le pourvoi
Par ordonnance du 30 janvier 1987, le juge Beetz a formulé de la façon suivante les questions constitutionnelles soulevées dans le présent pourvoi:
1.L'article 364 de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chap. P‑40.1, ajouté par l'art. 1 de la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982, L.Q. 1982, chap. 21, est‑il incompatible avec les dispositions de l'art. 33 de la Loi constitutionnelle de 1982 et partant ultra vires ou inopérant dans la mesure de cette incompatibilité aux termes du par. 52(1) de cette dernière loi?
2.Si la question 1 reçoit une réponse affirmative, les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur portent‑ils atteinte aux droits, libertés et garanties prévus à l'al. 2b) et à l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, et si oui, ces articles sont‑ils justifiés compte tenu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
3.Les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur sont‑ils ultra vires de la législature de la province de Québec ou sont‑ils dans quelque mesure inopérants par application de l'art. 3 de la Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B‑11?
Les questions que soulève ce pourvoi, et l'ordre dans lequel nous proposons de les traiter dans la mesure où cela est nécessaire pour trancher ce pourvoi, peuvent être résumées de la façon suivante:
1.Les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur sont‑ils ultra vires de l'Assemblée nationale du Québec ou inopérants parce qu'ils entrent en conflit avec l'art. 3 de la Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B‑11?
2.Les articles 248 et 249 sont‑ils soustraits à l'application de la Charte canadienne des droits et libertés par une disposition dérogatoire valide et en vigueur adoptée en conformité avec l'art. 33 de la Charte?
3.Les articles 248 et 249 portent‑ils atteinte à la liberté d'expression garantie par l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et l'art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec?
4.Dans l'affirmative, la restriction imposée par les art. 248 et 249 à la liberté d'expression est‑elle justifiée en vertu de l'article premier de la Charte canadienne et de l'art. 9.1 de la Charte québécoise?
5.Les articles 248 et 249 enfreignent‑ils l'art. 7 de la Charte canadienne en créant un risque de privation de liberté en des termes dont l'imprécision est inadmissible, contrairement à un principe de justice fondamentale et à l'article premier de la Charte canadienne?
Ce pourvoi a été entendu en même temps que les pourvois Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, et Devine c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 790. La question de la validité de la clause dérogatoire type et celle de savoir si la liberté d'expression s'étend à l'expression commerciale sont communes aux trois pourvois. Il convient toutefois, dans ce pourvoi, d'examiner d'abord la question de la validité ou du caractère opérant des art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur en regard du partage des pouvoirs parce que cette question précède logiquement l'examen de la violation possible de la Charte canadienne des droits et libertés. C'était la question soumise à la Cour supérieure et ce fut la première à être tranchée par la Cour d'appel. C'est sur cette question que les télédiffuseurs Pathonic Communications Inc. et Réseau Pathonic Inc. (ci‑après appelés "Pathonic") ont eu l'autorisation d'intervenir. Bien que la décision de la Cour d'appel sur cette question n'ait évidemment pas été un des motifs de l'appel interjeté par le procureur général du Québec, ce dernier a présenté des arguments à son sujet tout comme l'intimée et les intervenants.
IV -Les articles 248 et 249 sont‑ils ultra vires de l'Assemblée nationale du Québec?
Quatre questions distinctes ressortent des débats devant cette Cour concernant la validité ou le caractère opérant des art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur: a) peut‑on faire une distinction entre ces dispositions, en ce qui concerne leur qualification à des fins constitutionnelles, et la disposition contestée des règlements sur la publicité pris en application de la Loi sur la protection du consommateur dont cette Cour a dit, dans l'arrêt Kellogg, précité, qu'elle avait un objet provincial valide? b) l'effet de ces dispositions sur une entreprise de télédiffusion est‑il tel que, malgré le jugement de la Cour dans l'arrêt Kellogg, il rend ces dispositions inopérantes en ce qui concerne la publicité télévisée, comme le prétend Pathonic? c) y a‑t‑il incompatibilité pratique et opérationnelle entre ces dispositions et le régime de réglementation mis en place par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) en application de la Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B‑11? et d) ces dispositions empiètent‑elles sur le pouvoir fédéral en matière de droit criminel? Nous examinons chacune de ces questions séparément.
A. La qualification constitutionnelle des art. 248 et 249
Dans l'arrêt Kellogg, la disposition contestée était l'art. 11.53 de la section XI‑A, intitulée "Publicité destinée aux enfants", du Règlement général adopté en vertu du pouvoir conféré au lieutenant‑gouverneur en conseil par l'al. 102o) de la Loi sur la protection du consommateur "pour établir des normes concernant la publicité au sujet de tout bien faisant ou non l'objet d'un contrat ou crédit, spécialement toute publicité destinée aux enfants". L'article 11.53 du règlement prévoyait:
11.53 Nul ne peut, au Québec, préparer, utiliser, publier ou faire publier de la publicité destinée aux enfants qui:
. . .
n) emploie un dessin animé ou une bande illustrée (cartoon);
Les sociétés Kellogg avaient été accusées de plusieurs contraventions à cette disposition relativement à certaines annonces publicitaires à la télévision et on avait demandé une injonction pour leur interdire la perpétration d'autres infractions. La Cour supérieure avait accordé une injonction, [1974] C.S. 498, mais la Cour d'appel à la majorité (le juge en chef Tremblay et le juge Montgomery), [1975] C.A. 518, s'appuyant sur l'arrêt de cette Cour Commission du salaire minimum v. Bell Telephone Co. of Canada, [1966] R.C.S. 767, avait accueilli l'appel de cette décision, en déclarant que, puisque le contenu des émissions de télévision relevait exclusivement du pouvoir législatif fédéral, la loi provinciale était inopérante en ce qui concernait ce contenu. Le juge Turgeon, dissident, avait fait une distinction entre une loi relative à une matière et une loi qui y touche incidemment. Il avait conclu que le règlement contesté et la loi en vertu de laquelle il avait été adopté, relevaient de la compétence provinciale même si le règlement pouvait toucher incidemment une matière de compétence fédérale.
Dans ses motifs, auxquels ont souscrit les juges Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré, le juge Martland a conclu que la disposition contestée s'appliquait validement à la publicité télévisée parce qu'elle faisait partie d'un règlement général sur la publicité destinée aux enfants qui avait un objet provincial valide et n'avait qu'incidemment un effet sur une entreprise de télédiffusion. Dans ses motifs, auxquels ont souscrit les juges Judson et Spence, le juge en chef Laskin, dissident, a exprimé l'avis que la disposition contestée ne pouvait s'appliquer validement pour empêcher un annonceur de faire de la publicité télévisée à l'égard de ses produits parce qu'une telle application de la disposition empiétait sur une matière relevant de la compétence fédérale exclusive, le contenu des émissions de télévision.
Comme le juge Turgeon de la Cour d'appel, le juge Martland a fait une distinction entre une loi relative à une matière donnée et une loi qui y touche incidemment, citant l'arrêt de cette Cour Carnation Co. v. Quebec Agricultural Marketing Board, [1968] R.C.S. 238, pour illustrer une application comparable de cette distinction. Il a conclu que la disposition contestée visait certains types de publicités présentées par les annonceurs et non l'exploitation d'une entreprise de télédiffusion. Il a dit à la p. 225:
À mon avis, cette réglementation ne vise ni n'entrave l'exploitation d'une entreprise de radiodiffusion. En l'espèce, elle tend à empêcher les Kellogg d'utiliser un certain type d'annonces quel que soit le support publicitaire. Elle vise à contrôler l'activité commerciale des Kellogg. Le fait que les Kellogg ne puissent se servir d'annonces publicitaires télévisées peut, incidemment, porter atteinte au revenu d'une ou plusieurs stations de télévision, mais cela ne modifie pas la vraie nature de la réglementation. À cet égard, l'arrêt Carnation Company Ltd. c. La Régie des marchés agricoles du Québec est comparable.
Le juge Martland a insisté sur le fait que le règlement et l'injonction demandée visaient Kellogg et non une station de télévision. Il ne s'est cependant pas prononcé sur la question de savoir si le règlement pouvait s'appliquer validement à l'égard d'une station de télévision. Il dit, à la p. 225: "La question de savoir si la réglementation s'applique à la station de télévision ou si une injonction émise contre les Kellogg liera cette station ne se pose pas en l'espèce et je préfère ne formuler aucune opinion à ce sujet".
Dans l'arrêt Kellogg, le juge Martland a souligné que le règlement contesté avait pour but d'empêcher l'annonceur "d'utiliser un certain type d'annonces quel que soit le support publicitaire". Il visait un certain type de contenu publicitaire mais il s'appliquait à tous les supports publicitaires faisant usage d'un tel contenu. En outre, son application au contenu publicitaire était limitée, interdisant seulement les dessins animés ou les bandes illustrées, mais permettant par ailleurs la publicité destinée aux enfants. Il s'agissait donc d'une disposition d'application générale dans la poursuite d'un objet législatif que le juge Martland a ainsi défini : "la protection des enfants du Québec contre les effets préjudiciables de certains types d'annonces publicitaires" (p. 223). La disposition visait toute publicité destinée aux enfants qui utilisait des dessins animés ou des bandes illustrées, et non la publicité télévisée en soi ni le télédiffuseur. L'incidence de la distinction, sur laquelle le juge Martland a insisté, entre l'application de la disposition à un annonceur et son application à une entreprise de radiodiffusion est que la législation provinciale d'application générale portant sur le contenu publicitaire ne serait réputée empiéter sur la compétence fédérale exclusive en matière de contenu radiodiffusé que dans la mesure où elle serait applicable à une entreprise de radiodiffusion, c'est‑à‑dire au contrôle sur le contenu exercé par une telle entreprise plutôt que par un annonceur.
En l'espèce, l'intimée prétend que les dispositions contestées de la Loi sur la protection du consommateur, compte tenu des réserves que peuvent y apporter les règlements et de leur effet pratique, ont un but ou un objet différent de celui du règlement visé dans l'arrêt Kellogg. L'intimée prétend que, lorsque les dispositions contestées sont examinées en corrélation avec les règlements et la preuve, il est clair qu'elles visent principalement et essentiellement la télévision comme support de publicité destinée aux enfants, une matière de compétence fédérale exclusive. À l'appui de cette prétention, l'intimée insiste sur l'importance relative de l'interdiction de la publicité télévisée destinée aux personnes de moins de treize ans telle qu'elle ressort de la preuve et de l'étendue des exemptions que le règlement prévoit pour les autres types de publicité destinée aux enfants. L'intimée prétend que le juge de première instance a commis une erreur lorsqu'il a pris connaissance d'office de l'existence et de l'importance relative des autres types de publicité destinée aux enfants. Il est clair que la preuve présentée par l'intimée en première instance et que les documents relatifs à l'article premier et à l'art. 9.1 présentés par le procureur général du Québec révèlent que la publicité télévisée constitue de loin la forme la plus importante de publicité destinée aux enfants. Il est cependant indéniable que ce n'est pas la seule, comme l'indiquent d'ailleurs les exemptions. De plus, la préoccupation réelle que suscitent les autres formes de publicité destinée aux enfants ressort clairement de l'étendue de l'assujettissement de celles qui sont exemptées aux exigences imposées quant à leur contenu par l'art. 91 du règlement. Le procureur général du Québec soutient que la publicité télévisée, en raison de son impact massif et de sa facilité d'accès pour les enfants, ne se prête pas à une réglementation aussi précise que d'autres moyens de communication et doit donc être soumise à un régime particulier. L'intimée prétend qu'il admet donc que l'interdiction de l'art. 248 de la Loi vise principalement la publicité télévisée. Nous estimons qu'il s'agit de l'explication de l'interdiction quant à la publicité télévisée et non d'une admission que les dispositions contestées, telles que modifiées par le règlement, visent principalement cette publicité. Le procureur général du Québec fait observer que d'autres formes de publicité destinée aux enfants sont soumises à l'interdiction. Dans l'ensemble, bien que comparativement les répercussions des dispositions contestées en l'espèce sur la publicité télévisée soient beaucoup plus importantes que celles dont traitait l'affaire Kellogg, nous sommes d'avis que les art. 248 et 249 de la Loi, modifiés ou complétés par le règlement, peuvent également être qualifiés de dispositions législatives d'application générale relatives à la protection du consommateur, comme dans l'affaire Kellogg, plutôt que de tentative déguisée, sous l'apparence d'une loi d'application générale, d'édicter des dispositions relatives à la publicité télévisée. En d'autres termes, l'aspect dominant de la loi aux fins de sa qualification est la réglementation de toutes les formes de publicité destinée aux enfants de moins de treize ans plutôt que l'interdiction de la publicité télévisée dont on ne peut pas dire qu'elle soit le but exclusif ou même principal de la loi. En fait, nous partageons l'opinion du juge Hugessen qu'il est significatif, aux fins de la qualification de la loi, que d'autres formes de publicité destinée aux enfants de moins de treize ans, sans égard à leur importance relative, ne soient pas exemptées de l'interdiction. L'existence d'autres formes de publicité destinée aux enfants n'a pas été contestée sérieusement, c'est leur importance, d'un point de vue constitutionnel, pour tenter de déterminer l'aspect dominant de la loi qui a été contesté. L'existence de ces autres formes de publicité destinée aux enfants ne découle pas entièrement du fait que le juge de première instance en a pris connaissance d'office puisqu'il a dit que, même s'il n'y avait pas de preuve de l'existence de ces autres formes, il serait prêt à en prendre également connaissance d'office. À notre avis, l'importance relative de la publicité télévisée et des autres formes de publicité destinée aux enfants visées par les exemptions et l'interdiction ne constitue pas un fondement suffisant pour conclure à l'existence d'une législation déguisée. Rien n'indique que l'intérêt législatif ou réglementaire à l'égard de ces autres formes de publicité destinée aux enfants n'est qu'un simple prétexte ou une façade et que le but principal sinon exclusif en est de réglementer la publicité télévisée. Ce n'est pas l'importance relative de ces autres formes de publicité mais le caractère authentique de l'intérêt législatif qui est en cause quand il s'agit de savoir s'il y a législation déguisée.
B. L'effet des art. 248 et 249 sur les entreprises de télédiffusion
Si nous comprenons bien leur argumentation, les intervenants Pathonic, contrairement aux intimés, ne prétendent pas que, pour ce qui est de la qualification de leur but ou objet, les dispositions contestées de la Loi sur la protection du consommateur pouvaient, à la simple lecture, être distinguées, de la disposition réglementaire examinée dans l'arrêt Kellogg. Ils prétendent que les dispositions contestées sont ultra vires ou inopérantes à cause de leur effet sur une entreprise de télédiffusion. Ils soutiennent que l'interdiction de la publicité télévisée porte atteinte à une partie vitale de l'exploitation d'une telle entreprise et constitue une entrave. Les intervenants ont laissé entendre que ce qui distinguait l'affaire Kellogg de la présente espèce était la présence d'une entreprise de télédiffusion dans les procédures. La présence des intervenants dans les procédures ne fait évidemment pas des dispositions contestées des dispositions applicables à une entreprise de télédiffusion. Les intervenants veulent dire en réalité que si une entreprise de télédiffusion avait été représentée dans l'affaire Kellogg pour établir l'effet d'un règlement portant sur la publicité télévisée sur une telle entreprise, la Cour serait peut‑être parvenue à une conclusion différente.
Récemment, dans l'arrêt Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749 (Bell Canada 1988), le juge Beetz, au nom de la Cour, a revu les principes d'interprétation constitutionnelle applicables à la réglementation des entreprises fédérales. Il a fait une distinction entre les situations dans lesquelles (1) une loi provinciale porterait atteinte à un élément essentiel de l'exploitation d'une entreprise fédérale si elle était appliquée à l'entreprise et (2) l'effet de la loi provinciale, appliquée directement ou non à une entreprise fédérale, entraverait son exploitation (aux pp. 859 et 860):
. . . le test de l'entrave [est] insuffisant pour les cas où, sans aller jusqu'à l'entrave, l'application d'une loi provinciale à une entreprise fédérale touche ou affecte un élément essentiel de cette entreprise . . .
Pour que joue la règle de l'inapplicabilité, il suffit que la sujétion de l'entreprise à la loi provinciale ait pour effet d'affecter un élément vital ou essentiel de l'entreprise sans nécessairement aller jusqu'à effectivement entraver ou paralyser cette dernière.
Le gouvernement fédéral a compétence exclusive en ce qui concerne les "éléments vitaux ou essentiels" d'une entreprise fédérale, y compris sa gestion, parce que ces aspects forment le "contenu de base minimum et inattaquable" du pouvoir établi par l'application du par. 91(29) et les exceptions du par. 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867. Aucune loi provinciale qui touche ces aspects ne peut s'appliquer à une entreprise fédérale. Toutefois, lorsque la loi provinciale n'a pas pour objet de s'appliquer à une entreprise fédérale, son effet accessoire, même à l'égard d'un élément essentiel de l'exploitation de l'entreprise, n'aura normalement pas pour effet de rendre la loi provinciale ultra vires.
L'arrêt Attorney-General for Manitoba v. Attorney-General for Canada, [1929] A.C. 260 (P.C.), sur lequel Pathonic s'appuie largement, est un contre‑exemple de cette dernière affirmation et sert d'illustration à la théorie de l'entrave. La loi manitobaine en cause dans cette affaire, la Municipal and Public Utility Board Act, S.M. 1926, chap. 33, art. 162, prévoyait: [TRADUCTION] "Aucune personne, entreprise ou compagnie ne peut vendre, offrir ou convenir de vendre ou tenter, directement ou indirectement, de vendre, au Manitoba, des actions, des obligations ou d'autres valeurs d'une compagnie ou émises par une société à moins que celle‑ci n'ait d'abord été agréée par la Commission comme société dont les valeurs mobilières peuvent être vendues au Manitoba en vertu d'un certificat [. . .] émis à cet effet par la Commission." La vente en bloc de valeurs mobilières par les compagnies aux courtiers était exemptée de l'application de la loi mais la vente de ces valeurs par les courtiers au public était régie par la loi. Selon Pathonic, l'art. 162, en ce sens, ne s'appliquait pas aux compagnies elles‑mêmes mais plutôt aux courtiers. Le Conseil privé devait décider si l'art. 162 était ultra vires de la province dans la mesure il visait à s'appliquer à la vente des actions d'une compagnie constituée sous le régime fédéral.
En décidant que la province n'avait pas le pouvoir d'adopter l'art. 162, le vicomte Sumner, qui a rendu le jugement de leurs Seigneuries, a examiné l'effet de la disposition sur les compagnies constituées sous le régime fédéral (aux pp. 266 et 267):
[TRADUCTION] Une personne morale, constituée en vertu des pouvoirs du Dominion en vue de certains objets, investie, par ces pouvoirs, de la capacité de faire des affaires pour parvenir à ces objets, du statut et des privilèges de la constitution en personne morale par le Dominion, est [. . .] susceptible, dans le cours ordinaire de ses affaires, d'être immobilisée dès le moment de sa constitution, d'être paralysée dans ses fonctions et ses activités, freinée et entravée dans son activité première et essentielle qui consiste à utiliser ses pouvoirs de façon active et lucrative, par l'obligation d'obtenir de l'exécutif de la province la permission de commencer à agir et d'amasser le capital nécessaire, permission qui peut être assortie de conditions ou refusée tout simplement selon l'opinion que se fait l'exécutif, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, des plans, de l'avenir et des projets d'une entité créée par le Dominion.
Bien que l'art. 162 ne s'appliquât pas aux compagnies constituées sous le régime fédéral, il avait indirectement pour effet d'entraver leur exploitation. Cela suffisait à rendre cette disposition ultra vires de la province du Manitoba.
Même si la théorie de l'entrave a pris naissance dans des affaires relatives au pouvoir fédéral de constitution des compagnies, le juge Beetz, dans l'arrêt Bell Canada 1988, a fait ressortir la pertinence de cette théorie à l'égard de la réglementation des entreprises fédérales (à la p. 862):
[L]a transposition de la notion d'entrave du domaine des compagnies à charte fédérale à celui des entreprises fédérales peut être utile dans les cas où l'application des lois provinciales aux entreprises fédérales entrave effectivement ces dernières, ou les paralyse, ou les détruit.
Selon l'arrêt Attorney-General for Manitoba, il est clair que la notion d'entrave s'étend non seulement à l'application directe de la loi provinciale mais également à l'effet indirect de cette loi. Ainsi, lorsque l'application de la loi provinciale touche un élément essentiel d'une entreprise fédérale ou, même si elle ne s'applique pas directement à cette entreprise, a pour effet d'entraver son exploitation, la loi en question est ultra vires.
Nul doute que la publicité télévisée est un élément essentiel d'une entreprise de télédiffusion. Les services de publicité de ces entreprises relèvent donc de la compétence exclusive du pouvoir fédéral. Il est bien établi que cette compétence s'étend au contenu de ce qui est diffusé: Re C.F.R.B. and Attorney-General for Canada, [1973] 3 O.R. 819 (C.A.); Capital Cities Communications Inc. c. Le Conseil de la Radio‑Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141, et que la publicité représente une partie de ce contenu. Cependant les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur n'étaient pas destinées à s'appliquer aux entreprises de télédiffusion. Il est clair que ces articles, lus en corrélation avec l'art. 252, s'appliquent aux actes d'un annonceur et non à ceux d'un radiodiffuseur. Pathonic ne prétend pas non plus que les art. 248 et 249 s'appliquent aux télédiffuseurs. En fait, Pathonic est allée jusqu'à soutenir que la province de Québec ne pouvait réglementer les pratiques publicitaires des télédiffuseurs parce que les signaux provenant de l'extérieur de la province et captés directement par le public ou retransmis par une société de câblodistribution ne pouvaient être assujettis aux normes de la Loi sur la protection du consommateur. Bien que cet argument démontre que le gouvernement du Québec ne peut que partiellement réussir à contrôler la publicité télévisée destinée aux enfants, il démontre aussi qu'une province peut vouloir régir les annonceurs provinciaux sans appliquer ses règlements aux télédiffuseurs situés dans la province. Par conséquent, les dispositions en question ne portent pas atteinte à la compétence exclusive du fédéral en visant à s'appliquer à une entreprise fédérale et, ce faisant, en touchant un élément essentiel de son exploitation.
Quoi qu'il en soit, les dispositions ont‑elles pour effet d'entraver l'exploitation d'une entreprise fédérale? Les intervenants ont présenté des éléments de preuve pour montrer l'importance des revenus de publicité dans l'exploitation d'une entreprise de télédiffusion et pour établir que l'interdiction de la publicité commerciale destinée aux personnes de moins de treize ans porte atteinte à la capacité de présenter des émissions pour enfants. Ce n'est pas suffisant pour conclure que l'effet des dispositions est d'entraver l'exploitation de l'entreprise dans le sens que l'entreprise est "paralysée dans ses fonctions et ses activités". Tout au plus peut‑on affirmer, comme dans l'arrêt Kellogg (à la p. 225), que les dispositions "[peuvent], incidemment, porter atteinte au revenu d'une ou plusieurs stations de télévision". On ne peut non plus affirmer que les dispositions constituent une entrave potentielle à l'exploitation d'une entreprise de radiodiffusion. Interprétés strictement, comme dans le Guide d'application des articles 248 et 249 (Publicité au moins de 13 ans) publié par l'Office de la protection du consommateur (le 29 septembre 1980), les produits et services exclusivement destinés aux enfants "ne peuvent, à toutes fins pratiques, être annoncés dans les émissions pour enfants (à moins que la présentation du message ne soit telle qu'elle ne puisse, en aucune façon, susciter l'intérêt de l'enfant"). Même s'il était vrai, comme le soutient Pathonic, que les dispositions appliquées de cette façon empêchent la production d'émissions destinées aux enfants parce qu'elles suppriment leur financement éventuel -- prétention que le procureur général du Québec nie, en insistant sur le fait que les annonceurs ont toujours la possibilité d'adresser leur message aux adultes plutôt qu'aux enfants et qu'il faut également envisager dans le contexte de la reconnaissance explicite contenue dans le Guide d'application des articles 248 et 249 (à la p. 9) de la publicité éducative destinée aux enfants et produite par des sociétés privées -- cela démontre simplement que la loi impose des restrictions aux décisions d'affaires que doivent prendre ceux qui conçoivent la publicité aussi bien que ceux qui la diffusent. Il convient également de souligner que Pathonic est assujetti à une exigence parallèle, quoique moins sévère, aux termes du Code de la publicité radiotélévisée destinée aux enfants; ce Code fait partie, par renvoi, des conditions de la licence que lui a délivrée le CRTC et qui l'autorise à exploiter une entreprise de radiodiffusion (à la p. 3):
Enfants d'âge préscolaire
Les enfants d'âge préscolaire sont souvent incapables de distinguer entre le contenu d'une émission et la promotion commerciale. Voilà pourquoi tout message publicitaire diffusé le matin pendant les heures de classe doit s'adresser à la famille entière, parents ou autres adultes, plutôt qu'aux enfants.
Pathonic n'a pas prétendu que cette restriction à la conduite de ses affaires avait ou pouvait avoir un effet perturbateur sur l'exploitation de son entreprise. Nous ne pouvons conclure non plus que les art. 248 et 249 ont ou pourraient avoir cet effet.
C. La compatibilité des art. 248 et 249 avec la réglementation fédérale
Irwin Toy soutient que, même si les art. 248 et 249 n'ont pas pour effet d'entraver l'exploitation d'une entreprise fédérale, ces dispositions entrent en conflit avec la déclaration contenue à l'al. 3c) de la Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B‑11 (maintenant L.R.C. (1985), chap. B‑9):
Politique de la radiodiffusion pour le Canada
3. Il est, par les présentes, déclaré
. . .
c) que toutes les personnes autorisés à faire exploiter des entreprises de radiodiffusion sont responsables des émissions qu'elles diffusent, mais que le droit à la liberté d'expression et le droit des personnes de capter les émissions, sous la seule réserve des lois et règlements généralement applicables, est incontesté;
L'intimée soutient que le seul règlement fédéral qui restreint l'accès du public à la programmation télévisée est le Règlement sur la télédiffusion, C.R.C. 1978, chap. 381. Parce que ce règlement n'apporte pas de restrictions à la publicité destinée aux enfants et parce que l'art. 3 de la Loi sur la radiodiffusion reconnaît le droit à la liberté d'expression, sous la seule réserve des lois et des règlements d'application générale, Irwin Toy soutient que le régime de la Loi sur la radiodiffusion donne une protection législative à ses activités publicitaires. En vertu de la théorie de la prépondérance, les art. 248 et 249, dans la mesure où ils visent à s'appliquer à la publicité télévisée, sont donc inopérants.
Cet argument ne peut être accueilli. Il est en partie fondé sur une compréhension erronée de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I‑23 (maintenant L.R.C. (1985), chap. I‑21). Se fondant sur les art. 2 et 3 de la Loi d'interprétation, l'intimée conclut que le mot "loi" dans le texte français de l'art. 3 de la Loi sur la radiodiffusion renvoie uniquement aux lois fédérales d'application générale. Par conséquent, aucune loi provinciale d'application générale ne peut restreindre la publicité. En fait, l'art. 2 de la Loi d'interprétation définit divers termes, dont celui de "loi" et son équivalent anglais "Act", pour leur interprétation "[dans] la présente loi" (in this Act), et non dans toutes les lois fédérales. L'article 2 ne fait que préciser que le genre de "loi" ou "Act" visé par la Loi d'interprétation est une loi fédérale et non une loi provinciale. Cela ne signifie pas que chaque fois que le terme "loi" figure dans une loi fédérale, il ne peut s'agir que d'une loi fédérale. En outre, le texte anglais de l'art. 3 de la Loi sur la radiodiffusion utilise le terme "statutes" et non "Acts". Par conséquent, la définition des termes "loi" ou "Act" à l'art. 2 de la Loi d'interprétation n'est tout simplement pas pertinente. À supposer même qu'elle puisse avoir cet effet, la déclaration générale contenue à l'al. 3c) de la Loi sur la radiodiffusion ne vise pas à empêcher les lois provinciales d'application générale d'avoir un effet accessoire sur les entreprises de télédiffusion.
Il est peut‑être plus important encore de souligner que l'intervenant Pathonic a attiré notre attention sur une condition de sa licence que lui a imposée le CRTC en application de l'al. 17(1)a) de la Loi sur la radiodiffusion et qui est habituellement imposée aux stations privées de télédiffusion:
Cette licence est conditionnelle à ce que son titulaire s'engage à respecter les dispositions du Code de la publicité radio-télévisée destinée aux enfants publié par l'Association canadienne des radiodiffuseurs et tout amendement qui pourra lui être apporté.
Si nous avons bien compris son argumentation, Pathonic prétend qu'une telle condition constitue une mesure de réglementation prise par le CRTC qui, de ce fait, occupe le champ de la publicité télévisée destinée aux enfants.
Pour traiter de cet argument, il faut d'abord expliquer la nature du Code de la publicité radiotélévisée destinée aux enfants et son rôle comme instrument de la politique du CRTC. Selon la section A du Code (révisée, 1984):
Le Code de la publicité radiotélévisée destinée aux enfants a été conçu pour servir de complément aux principes généraux d'éthique publicitaire énoncés dans le Code canadien des normes de la publicité, qui s'applique à toutes les formes de publicité. Ces deux codes sont des suppléments à toutes les lois et à tous les règlements, tant fédéraux que provinciaux, régissant la publicité, y compris les règlements et les directives émises par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le ministère de la Consommation et des Corporations ainsi que par Santé et Bien‑être social Canada.
Le Code poursuit en donnant des directives détaillées qui sont semblables pour l'essentiel aux normes en matière de contenu établies dans le Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur (mais pour la publicité autre que télévisée) et qui, dans plusieurs cas, sont plus précises et exigeantes. Le Code prévoit cependant que les messages publicitaires conformes aux exigences établies peuvent s'adresser aux enfants. En fait, il prévoit une procédure d'approbation préalable des messages publicitaires par le "Comité de la publicité destinée aux enfants du Conseil des normes de la publicité". Quoi qu'il en soit, le Code est expressément conçu dans le but de compléter les lois fédérales et provinciales et ne prétend pas être le seul outil de réglementation applicable à la publicité destinée aux enfants.
Bien que le Code soit publié par l'Association canadienne des radiodiffuseurs et constitue donc leur propre outil de réglementation, il a fait l'objet d'un examen formel du CRTC. Le 21 août 1974, le CRTC a publié un avis intitulé "La publicité destinée aux enfants et programmation pour enfants", qui traite du Code de la publicité radiotélévisée et de son rapport avec la politique du CRTC (Guide de la publicité radiodiffusée (1978), à la p. 12):
Les opinions exprimées ont indiqué au Conseil que malgré l'efficacité des mesures auto‑disciplinaires, des mesures additionnelles étaient nécessaires pour assurer le respect du code.
Dans son rapport sur la publicité destinée aux enfants, le Comité permanent de la Chambre des Communes de la radiodiffusion, des films et de l'assistance aux arts a déclaré que malgré le mérite des méthodes auto‑disciplinaires, il conviendrait d'imposer une procédure de mise en application plus ferme.
Le Conseil, s'étant engagé à s'assurer de l'efficacité du code et à rassurer ceux que la situation inquiète, avise, par ces présentes
1.tous les titulaires de licence d'entreprises de radiodiffusion et tous les requérants, que le respect des dispositions du Code de la publicité destinée aux enfants deviendra une condition spécifique de toute licence de radiodiffusion; et,
2.qu'un délégué du C.R.T.C. représentera le Conseil à toutes les délibérations des départements de la publicité destinée aux enfants du Conseil des normes de la publicité qui sont chargés d'approuver tous les messages commerciaux destinés aux enfants.
Ainsi, en exigeant, à titre de condition de la licence, que les télédiffuseurs se conforment au Code, et en participant à la procédure d'approbation préalable des messages publicitaires destinés aux enfants, le CRTC a donné au Code un statut autre qu'un simple outil de réglementation interne de l'industrie; il est devenu le système de réglementation fédéral applicable aux stations privées de radiodiffusion.
Le système de réglementation mis en place par l'intermédiaire du Code est conçu pour s'appliquer tant aux télédiffuseurs qu'aux annonceurs. En ce qui concerne les annonceurs toutefois, le CRTC ne prétend exercer aucun contrôle obligatoire. Les conditions de la licence ne s'appliquent qu'aux télédiffuseurs. Le Code fait lui‑même état du fait (à la p. 7) que l'Association canadienne des annonceurs Inc. et l'Association des manufacturiers canadiens de jouets ont accepté de se conformer au Code. Le Code ne prétend cependant pas avoir force de loi à leur égard.
Par conséquent, peut‑on affirmer qu'il y a un conflit tel entre un système de réglementation fédéral et provincial qu'il faille invoquer la théorie de la prépondérance? Il faut répéter que les conditions applicables aux licences du fédéral, d'une part, et la loi provinciale sur la protection du consommateur, d'autre part, s'appliquent à des acteurs différents: les télédiffuseurs et les annonceurs. D'un point de vue fonctionnel, cependant, tout critère applicable aux télédiffuseurs aura automatiquement pour effet de restreindre le contenu de ce que les annonceurs produisent pour la télévision, au même titre que tout critère applicable aux annonceurs aura nécessairement pour effet de restreindre le contenu de ce que les télédiffuseurs présentent à la télévision. Par conséquent, s'il y a "incompatibilité pratique et opérationnelle" (Bell Canada 1988, précité, à la p. 867) entre les critères qui sont appliqués aux annonceurs à la télévision et les critères appliqués aux télédiffuseurs, la théorie de la prépondérance interviendra. Si toutefois les deux séries de critères sont compatibles, il est inutile d'invoquer la prépondérance. Dans l'arrêt Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, le juge Dickson (maintenant Juge en chef), s'exprimant au nom de la majorité, a fait la remarque suivante à ce sujet (à la p. 191):
En principe, il ne semble y avoir aucune raison valable de parler de prépondérance et d'exclusion sauf lorsqu'il y a un conflit véritable, comme lorsqu'une loi dit "oui" et que l'autre dit "non"; "on demande aux mêmes citoyens d'accomplir des actes incompatibles"; l'observance de l'une entraîne l'inobservance de l'autre.
Si le CRTC avait adopté le Code de la publicité destinée aux enfants non pas comme "supplément[. . .] à toutes les lois et à tous les règlements, tant fédéraux que provinciaux, régissant la publicité" mais comme la seule norme minimale applicable, la question du conflit et de l'incompatibilité opérationnelle aurait pu véritablement se poser. Mais les systèmes fédéral et provincial ont été conçus pour coexister. L'approbation préalable par le Comité de la publicité destinée aux enfants du Conseil des normes de la publicité s'ajoute à un système parallèle d'évaluation qui relève du Comité sur l'application des art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur (voir le Guide d'application des articles 248 et 249, op. cit., à la p. 1). Ni les télédiffuseurs ni les annonceurs ne se trouvent dans une situation où ils doivent contrevenir à une série de normes pour se conformer à l'autre. Si chaque groupe se conforme aux normes qui lui sont applicables, il ne peut jamais y avoir de conflit entre les normes. Ce n'est que si les annonceurs tentent de se conformer seulement à la norme moins exigeante applicable aux télédiffuseurs qu'il y a conflit. Dans la mesure où le gouvernement fédéral ne tente pas de faire de cette norme moins élevée la seule applicable, il n'y a aucune raison d'invoquer la théorie de la prépondérance.
D. Les articles 248 et 249 et le pouvoir en matière de droit criminel
Le dernier argument d'Irwin Toy concernant le partage des pouvoirs consiste à dire que les dispositions contestées empiètent sur le pouvoir que le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement en matière de droit criminel. L'article 278 de la Loi sur la protection du consommateur prévoit des peines applicables, y compris des amendes et des peines d'emprisonnement, à celui "qui est coupable d'une infraction constituant une pratique interdite". L'article 215 définit la "pratique interdite" comme "une pratique visée par les articles 219 à 251" et, bien que la définition s'applique au Titre II sur les pratiques de commerce, il n'existe aucune autre définition du terme pour expliquer son emploi à l'art. 278. L'article 278 ne constitue cependant pas la seule sanction applicable à une violation de l'art. 248. En effet, comme nous l'avons déjà mentionné, l'Office de la protection du consommateur, à un moment donné, a demandé une injonction ordonnant à Irwin Toy de cesser de faire usage de publicité commerciale destinée aux enfants. L'article 316 de la loi autorise le président de l'Office à demander des injonctions contre les personnes qui se livrent à des pratiques interdites.
Ayant conclu que les art. 248 et 249 ont été édictés en conformité avec un objectif provincial valide et qu'ils n'entrent pas en conflit avec la réglementation fédérale, on ne peut affirmer que, parce qu'ils prévoient des sanctions en cas de violation, ils devraient être considérés en réalité, de par leur caractère véritable, comme des dispositions relatives au droit criminel. Le paragraphe 92(15) de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que la législature de chaque province peut légiférer concernant:
15.L'imposition de sanctions, par voie d'amende, de pénalité ou d'emprisonnement, en vue de faire exécuter toute loi de la province sur des matières rentrant dans l'une quelconque des catégories de sujets énumérés au présent article;
Cette Cour a plusieurs fois déclaré valides des lois pénales provinciales adoptées à l'égard d'objectifs provinciaux valides par ailleurs: Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1978] 2 R.C.S. 662; Mann v. The Queen, [1966] R.C.S. 238; Smith v. The Queen, [1960] R.C.S. 776. Cela s'applique de la même manière aux dispositions législatives en cause ici.
V -Les articles 248 et 249 sont‑ils soustraits à l'application de la Charte canadienne par une disposition dérogatoire valide et en vigueur?
L'article 364 de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chap. P‑40.1, ajouté à la Loi par l'art. 1 de la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982, L.Q. 1982, chap. 21, se lit ainsi:
La présente loi a effet indépendamment des dispositions des articles 2 et 7 à 15 de la Loi constitutionnelle de 1982 (annexe B de la Loi sur le Canada, chapitre 11 du recueil des lois du Parlement du Royaume‑Uni pour l'année 1982).
En vertu du par. 33(3) de la Charte canadienne des droits et libertés, l'art. 364 a cessé d'avoir effet cinq ans après son entrée en vigueur et il n'a pas été adopté de nouveau en vertu du par. 33(4) de la Charte. La Loi édictant l'art. 364 est entrée en vigueur le 23 juin 1982. Comme cette Cour l'a décidé dans l'arrêt Ford, dans la mesure où l'art. 7 de cette loi tentait de donner un effet rétroactif aux dispositions dérogatoires, il était inopérant. Il en résulte que les dispositions dérogatoires types édictées par l'art. 1 de la Loi sont entrées en vigueur le 23 juin 1982, en conformité avec le premier paragraphe de l'art. 7 et non le 17 avril 1982 comme l'envisageait la partie de l'art. 7 qui tentait de leur donner un effet rétroactif. Cela signifie que l'art. 364 a cessé d'avoir effet le 23 juin 1987 et que les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur ne sont plus soustraits à l'application de la Charte canadienne par une disposition dérogatoire valide et en vigueur. Comme il a été dit dans l'arrêt Ford (à la p. 734), "un tribunal saisi d'une requête en jugement déclaratoire devrait dire le droit tel qu'il existe au moment de son jugement". Nous allons donc poursuivre en tenant pour acquis que les art. 248 et 249 sont soumis tant aux dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec qu'à celles de la Charte canadienne des droits et libertés.
VI -Les articles 248 et 249 restreignent‑ils la liberté d'expression garantie par les Chartes canadienne et québécoise?
A. Les pourvois Ford et Devine
Bien que la question de la liberté d'expression dans ce pourvoi ait été plaidée en même temps que les pourvois Ford et Devine, il est important de souligner que, à la différence de la présente espèce, les deux autres affaires portaient sur des mesures gouvernementales qui restreignaient l'usage de la langue de son choix. Comme la Cour l'a affirmé dans l'arrêt Ford (à la p. 748):
La langue est si intimement liée à la forme et au contenu de l'expression qu'il ne peut y avoir de véritable liberté d'expression linguistique s'il est interdit de se servir de la langue de son choix. Le langage n'est pas seulement un moyen ou un mode d'expression. Il colore le contenu et le sens de l'expression.
Dès lors qu'il était décidé que la liberté d'expression exclut l'interdiction d'utiliser la langue de son choix, la question, selon les termes de la Cour (à la p. 766), était devenue celle de savoir si "un but commercial exclut l'expression [. . .] du champ d'application de la liberté garantie". Ainsi, bien que le choix de la langue ait constitué le point principal de ces pourvois, l'aspect commercial de l'expression considérée soulevait une question accessoire. Comme la Cour l'a dit clairement à la fin de son analyse de la liberté d'expression (à la p. 767):
Bien que l'expression considérée ait un aspect commercial, il faut souligner que l'accent est mis, en l'espèce, sur le choix de la langue et sur une loi qui interdit l'emploi d'une langue. On ne nous demande pas de traiter ici de la question distincte de savoir quelle portée acceptable pourrait avoir la réglementation de la publicité (pour protéger les consommateurs, par exemple) quand divers intérêts gouvernementaux entrent en jeu, surtout lorsqu'il s'agit d'évaluer le caractère raisonnable des restrictions apportées à une telle expression commerciale, selon l'article premier de la Charte canadienne et l'art. 9.1 de la Charte québécoise.
La présente espèce porte sur la réglementation de la publicité destinée aux enfants et soulève donc directement les questions qui n'ont pas été traitées dans l'arrêt Ford. Alors qu'il suffisait dans l'arrêt Ford de rejeter la prétention que la garantie de la liberté d'expression ne s'étendait pas à l'affichage comportant un message commercial, nous devons décider dans cette affaire si les règlements qui visent seulement la publicité commerciale restreignent cette garantie. Cette question, à son tour, exige que la Cour traite plus en détail de la conclusion déjà tirée dans l'arrêt Ford qu'il n'y a pas de raison valable d'écarter l'expression commerciale, comme catégorie d'expression, de la sphère des activités protégées par l'al. 2b) de la Charte canadienne et l'art. 3 de la Charte québécoise.
B.La première étape: l'activité de la demanderesse fait‑elle partie de la sphère des activités protégées par la liberté d'expression?
La liberté d'expression vise‑t‑elle la publicité destinée aux enfants? Il faut poser cette question avant même de décider si la garantie a été restreinte. Il est clair que toute activité ne sera pas protégée par la liberté d'expression et que des mesures gouvernementales qui restreignent cette forme de publicité ne restreignent la garantie que si l'activité visée est elle-même protégée. Ainsi, par exemple, dans les arrêts Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, AFPC c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 424, et SDGMR c. Saskatchewan, [1987] 1 R.C.S. 460, cette Cour, à la majorité, a conclu que la liberté d'association ne comprenait pas le droit de grève. L'activité elle‑même ne relevait pas du champ protégé par l'al. 2d); par conséquent, le gouvernement n'enfreignait pas la Charte en la restreignant. Il faut faire le même cheminement pour l'analyse de la liberté d'expression; dans ce genre d'examen, la première étape consiste à déterminer si l'on peut dire que l'activité que souhaite poursuivre la demanderesse relève de la "liberté d'expression". Si l'activité ne relève pas de l'al. 2b), l'action gouvernementale ne peut évidemment pas être contestée en vertu de cet article.
Frederick Schauer, dans son ouvrage intitulé Free Speech: A Philosophical Enquiry (1982), parle de la nécessité de cette première étape au sujet de la notion plus restreinte de "liberté de parole", à la p. 91:
[TRADUCTION] Nous tentons d'identifier les choses qu'une personne est libre (ou du moins plus libre) de faire lorsque le principe de la liberté de parole est accepté. Quelles sont les activités qui font appel à la liberté de parole? Ces activités n'englobent évidemment pas la totalité de l'activité humaine mais [. . .] ne se limitent pas au seul mouvement de la langue, des mâchoires et des cordes vocales pour produire des sons linguistiques.
L'"expression" possède à la fois un contenu et une forme et ces deux éléments peuvent être inextricablement liés. L'activité est expressive si elle tente de transmettre une signification. Le message est son contenu. La liberté d'expression a été consacrée par notre Constitution et est garantie dans la Charte québécoise pour assurer que chacun puisse manifester ses pensées, ses opinions, ses croyances, en fait, toutes les expressions du c{oe}ur ou de l'esprit, aussi impopulaires, déplaisantes ou contestataires soient‑elles. Cette protection est, selon les Chartes canadienne et québécoise, "fondamentale" parce que dans une société libre, pluraliste et démocratique, nous attachons une grande valeur à la diversité des idées et des opinions qui est intrinsèquement salutaire tant pour la collectivité que pour l'individu. Pour le juge Cardozo de la Cour suprême des États‑Unis, la liberté d'expression était [TRADUCTION] "la matrice, l'élément essentiel de presque toute autre forme de liberté" (Palko v. Connecticut, 302 U.S. 319 (1937) à la p. 327); pour le juge Rand de la Cour suprême du Canada, elle était [TRADUCTION] "tout aussi vitale à l'esprit humain que l'est la respiration à l'existence physique de l'individu" (Switzman v. Elbling, [1957] R.C.S. 285, à la p. 306. Et comme la Cour européenne l'affirmait dans l'affaire Handyside, Cour Eur. D. H., décision du 29 avril 1976, série A no 24, à la p. 23, la liberté d'expression:
. . . vaut non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de "société démocratique".
Nous ne pouvons donc écarter une activité humaine du champ de la garantie de la liberté d'expression en se basant sur le contenu ou la signification. En effet, si l'activité transmet ou tente de transmettre une signification, elle a un contenu expressif et relève à première vue du champ de la garantie. Évidemment, bien que la plupart des activités humaines comportent à la fois des éléments d'expression et des éléments physiques, certaines activités humaines sont purement physiques et ne transmettent ni ne tentent de transmettre une signification. Il peut être difficile de dire de certaines activités quotidiennes, comme stationner une voiture, qu'elles ont un contenu expressif. Pour les faire entrer dans la sphère des activités protégées, le demandeur devrait établir qu'elles avaient pour but de transmettre un message. Par exemple, une personne célibataire pourrait, en signe de protestation publique, garer sa voiture dans une zone réservée aux conjoints des employés du gouvernement pour manifester son désaccord ou son indignation quant au moyen choisi pour répartir des ressources limitées. Si cette personne pouvait démontrer que son geste avait un contenu d'expression, elle serait, à cette étape‑ci, à l'intérieur du champ d'activité protégé et on pourrait poursuivre l'examen de la contestation fondée sur l'al. 2b).
Le contenu de l'expression peut être transmis par une variété infinie de formes d'expression: par exemple, l'écrit et le discours, les arts et même les gestes et les actes. Quoique la garantie de la liberté d'expression protège tout contenu d'une expression, il est évident que la violence comme forme d'expression ne reçoit pas cette protection. Il n'est pas nécessaire en l'espèce de définir précisément dans quel cas ou pour quelle raison une forme d'expression choisie pour transmettre un message sort du champ de la garantie. Toutefois il est parfaitement clair que, par exemple, l'auteur d'un meurtre ou d'un viol ne peut invoquer la liberté d'expression pour justifier le mode d'expression qu'il a choisi. Comme le faisait observer le juge McIntyre, au nom de la majorité, dans l'arrêt SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, lorsqu'il avait à décider si le piquetage relevait de la portée de l'al. 2b) (à la p. 588):
Cette forme d'expression sera évidemment toujours accompagnée d'actes de la part des piqueteurs, mais ce ne sont pas tous leurs actes qui auront pour effet de changer la nature de l'ensemble de l'opération et de la soustraire à la protection accordée à la liberté d'expression par la Charte. Bien sûr, cette liberté ne jouerait pas dans le cas de menaces ou d'actes de violence.
En fait, la liberté d'expression est la garantie que nous pouvons communiquer nos pensées et nos sentiments, de façon non‑violente, sans crainte de la censure.
Cette large interprétation du champ de la liberté d'expression est conforme à celle de certains théoriciens connus. Thomas Emerson dans son article "Toward a General Theory of the First Amendment" (1963), 72 Yale L. J. 877, souligne (à la p. 886) que:
[TRADUCTION] . . . la théorie de la liberté d'expression est plus qu'une méthode pour parvenir à de meilleurs jugements sociaux par des procédures démocratiques. Elle englobe une vision de la société, une foi et tout un mode de vie. La théorie vient d'une époque qui a trouvé son éveil et sa vigueur dans l'idée d'une nouvelle société dans laquelle la pensée était libre, le sort de l'homme était déterminé par le pouvoir de la raison et la possibilité de créer une civilisation rationnelle et éclairée était presque illimitée. Elle est présentée comme le moyen de parvenir à une société créatrice, progressiste, stimulante et intellectuellement solide. Elle envisage un mode de vie qui permettra à l'homme d'exploiter tout son potentiel en favorisant la tolérance, le scepticisme, la raison et l'initiative. Elle écarte l'idée d'une société tyrannique, conformiste, irrationnelle et stagnante.
D. F. B. Tucker, dans son ouvrage Law, Liberalism and Free Speech (1985), aborde la liberté d'expression selon une approche qu'il qualifie de "déontologique" où [TRADUCTION] "la sphère de liberté protégée est délimitée par l'interprétation d'une vision de l'engagement démocratique" (p. 35). C'est précisément dans cette voie que nous sommes engagés.
La première question demeure: La publicité destinée aux enfants entre‑t‑elle dans le champ de la liberté d'expression? Il est certain qu'elle vise à transmettre une signification et qu'elle ne peut être écartée pour n'avoir pas de contenu expressif. Il n'y a aucune raison non plus d'exclure la forme d'expression choisie du champ des activités protégées. Comme nous le disions dans Ford, précité, aux pp. 766 et 767:
Étant donné que cette Cour a déjà affirmé à plusieurs reprises que les droits et libertés garantis par la Charte canadienne doivent recevoir une interprétation large et libérale, il n'y a aucune raison valable d'exclure l'expression commerciale de la protection de l'al. 2b) de la Charte.
Par conséquent, il nous faut passer à la deuxième étape de l'examen et nous demander si l'objet ou l'effet de l'action gouvernementale visée était de restreindre la liberté d'expression.
Il faut répéter que, dans l'arrêt Ford, l'analyse de l'expression commerciale a pris fin à cette première étape. La Cour avait déjà conclu que les art. 58 et 69 de la Charte de la langue française visaient à interdire l'usage de la langue de son choix. L'importance primordiale du choix de la langue pour la liberté d'expression transcende l'importance que pourrait avoir le contexte dans lequel on veut utiliser l'expression. Il était donc inutile dans Ford, de pousser l'analyse pour décider si la restriction de l'expression commerciale limitait la liberté d'expression.
C.La deuxième étape: l'objet ou l'effet de l'action gouvernementale était‑il de restreindre la liberté d'expression?
Ayant décidé que l'activité de la demanderesse relève du champ d'application de la garantie de la liberté d'expression, il faut maintenant décider si l'objet ou l'effet de l'action gouvernementale contestée était de contrôler la transmission d'une signification par cette activité. Nulle part l'importance, à cette étape, d'une analyse de l'objet et de l'effet de la loi n'est affirmée plus clairement que dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, aux pp. 331 et 332, où le juge Dickson (maintenant Juge en chef), s'exprimant au nom de la majorité, a fait remarquer:
À mon avis, l'objet et l'effet d'une loi sont tous les deux importants pour déterminer sa constitutionnalité: un objet inconstitutionnel ou un effet inconstitutionnel peuvent l'un et l'autre rendre une loi invalide. Toute loi est animée par un but que le législateur compte réaliser. Ce but se réalise par les répercussions résultant de l'opération et de l'application de la loi. L'objet et l'effet respectivement, au sens du but de la loi et de ses répercussions ultimes, sont nettement liés, voire inséparables. On s'est souvent référé aux effets projetés et aux effets réels pour évaluer l'objet de la loi et ainsi sa validité.
De plus, il est essentiel d'examiner le but de la loi si l'on veut que des droits soient pleinement protégés. L'évaluation par les tribunaux de l'objet d'une loi est axée sur les objectifs poursuivis par le législateur et vise à assurer leur compatibilité avec les garanties enchâssés dans la Charte. La déclaration que certains buts outrepassent la compétence du législateur a pour effet d'arrêter l'action du gouvernement à la première étape d'une conduite inconstitutionnelle. En outre, cela permet d'assurer une protection plus prompte et plus énergique des droits garantis par la Constitution en évitant au plaideur d'avoir à prouver l'existence d'effets qui violent des droits garantis par la Charte. Cela permet également aux tribunaux de statuer sur des cas où le but d'une loi est nettement abusif, sans avoir à examiner les répercussions réelles de cette loi.
Le juge Dickson a poursuivi en précisant comment cet examen de l'objet et de l'effet devrait se faire (à la p. 334):
Bref, je partage l'avis de l'intimée que le premier critère à appliquer dans la détermination de la constitutionnalité est celui de l'objet de la loi en cause et que ses effets doivent être pris en considération lorsque la loi examinée satisfait ou, à tout le moins, est censée satisfaire à ce premier critère. Si elle ne satisfait pas au critère de l'objet, il n'est pas nécessaire d'étudier davantage ses effets parce que son invalidité est dès lors prouvée. Donc, si, de par ses répercussions, une loi qui a un objet valable porte atteinte à des droits et libertés, il serait encore possible à un plaideur de tirer argument de ses effets pour la faire déclarer inapplicable, voire même invalide. Bref, le critère des effets n'est nécessaire que pour invalider une loi qui a un objet valable; les effets ne peuvent jamais être invoqués pour sauver une loi dont l'objet n'est pas valable.
Donc, si l'objet du gouvernement était de restreindre la transmission d'une signification, la loi a apporté une restriction à l'al. 2b) et il faut déterminer en vertu de l'article premier si la loi est incompatible avec les dispositions de la Constitution. Cependant, si là n'était pas l'objet du gouvernement, la Cour doit poursuivre l'analyse et examiner l'effet de l'action gouvernementale.
a.L'objet
Dans l'application du critère de l'objet à la garantie de la liberté d'expression, il faut se garder de dériver vers l'un ou l'autre de deux extrêmes. D'un côté, la plus grande part de l'activité humaine comporte un élément d'expression et l'on pourrait conclure, selon un critère objectif, que l'un des aspects de l'objet poursuivi par le gouvernement est presque toujours de restreindre l'expression. D'un autre côté, le gouvernement peut presque toujours prétendre que le but poursuivi, d'un point de vue subjectif, correspondait à un besoin social véritable ou perçu, et non de restreindre l'expression. Pour éviter ces deux extrêmes, l'objet doit être évalué du point de vue de la garantie elle‑même. Tout comme la jurisprudence de cette Cour sur le partage des pouvoirs évalue l'objet de l'action gouvernementale en regard de la portée des pouvoirs établis en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, de même, dans les cas relatifs aux droits et aux libertés garantis par la Charte canadienne, il faut évaluer l'objet de l'action du gouvernement en regard de la portée de la garantie pertinente. Évidemment, il est important de tenir compte de la mise en garde du juge Dickson contre la "théorie de l'objet changeant" (Big M Drug Mart, précité, à la p. 335): "L'objet d'une loi est fonction de l'intention de ceux qui l'ont rédigée et adoptée à l'époque, et non pas d'un facteur variable quelconque". Cela ne veut pas dire que la mesure dans laquelle un objet est ou devient urgent et réel ne peut changer avec le temps. Dans l'arrêt Big M Drug Mart, le juge Dickson voulait principalement éviter de qualifier l'objet visé d'une façon qui changerait avec le temps. Mais il est tout aussi vrai que le gouvernement n'a pu viser un objet donné dans le contexte du partage des pouvoirs, un objet différent dans le contexte du droit ou de la liberté garantie et un autre objet encore dans le contexte des limites raisonnables et justifiées à cette garantie. Par contre, le même objet peut être évalué de différents points de vue lorsqu'on interprète le partage des pouvoirs, les restrictions apportées à une garantie ou les limites raisonnables.
Si l'objet que poursuit le gouvernement est de restreindre le contenu de l'expression en écartant des messages précis qui ne doivent pas être transmis, il restreint nécessairement la garantie de la liberté d'expression. Si l'objet que poursuit le gouvernement est de restreindre une forme d'expression en vue de contrôler l'accès au message transmis ou de contrôler la possibilité pour quelqu'un de transmettre le message, il restreint également la garantie. En revanche, lorsque le gouvernement vise seulement à contrôler les conséquences matérielles de certaines activités humaines, indépendamment du message transmis, l'objet qu'il poursuit n'est pas de contrôler l'expression. Voici comment Archibald Cox fait cette distinction (Freedom of Expression (1981), aux pp. 59 et 60):
[TRADUCTION] La ligne de démarcation [. . .] entre les restrictions apportées à la publication et la réglementation quant au temps, au lieu et au mode d'expression liés au contenu, d'une part, et la réglementation du temps, du lieu ou du mode d'expression sans égard au contenu d'autre part, illustre la différence entre l'effort généralement injustifié de l'État de supprimer des informations, des idées ou des émotions "nuisibles" et le désir souvent justifié de l'État de protéger d'autres intérêts contre les effets du bruit et des intrusions physiques qui accompagnent la parole, sans égard aux informations, aux idées ou aux émotions exprimées.
Ainsi, par exemple, une règle qui interdit la distribution de tracts restreint un mode d'expression et est "liée au contenu", même si cette restriction a pour but de préserver la propreté d'un lieu public. La règle vise à contrôler l'accès à un message transmis ainsi qu'à contrôler la possibilité pour l'auteur du tract de transmettre un message. Restreindre le mode d'expression, c'est‑à‑dire la distribution de tracts, emporte une restriction sur son contenu. Par contre, une règle qui interdit de jeter des déchets dans la rue n'est pas une restriction "liée au contenu". Elle vise à régir les conséquences matérielles d'une activité que cette activité vise ou non à transmettre une signification. Restreindre les déchets dans les rues, en tant que "mode d'expression", ne revient pas toujours à restreindre un contenu. Il va de soi que les règlements peuvent être rédigés de façon à paraître neutres quant au contenu même si leur véritable objet est de contrôler la transmission d'un message. Par exemple, dans l'arrêt Saumur v. City of Quebec, [1953] 2 R.C.S. 299, on a décidé qu'un règlement municipal qui interdisait la distribution de tracts sans l'obtention préalable de l'autorisation du chef de police constituait une tentative déguisée de restreindre l'expression.
Pour que le gouvernement puisse démontrer que son but était de prévenir une conséquence préjudiciable de la conduite visée, il faut que son but n'ait pas été d'éviter, pour reprendre les propos de Thomas Scanlon ("A Theory of Freedom of Expression", dans Dworkin, éd., The Philosophy of Law (1977), à la p. 161):
[TRADUCTION] a) que certains individus subissent un préjudice qui serait l'adoption de croyances erronées par suite de ces actes d'expression; b) que des conséquences préjudiciables se produisent par suite d'actes exécutés en raison de ces actes d'expression si le lien entre les actes d'expression et les actes préjudiciables qui s'ensuivent tient uniquement au fait que l'acte d'expression a incité les agents à croire (ou a favorisé leur tendance à croire) que ces actes valaient d'être exécutés.
Dans chacune des deux catégories établies par Scanlon, l'objet que poursuit le gouvernement est de réglementer des pensées, des opinions, des croyances ou des significations particulières. C'est le méfait visé. En revanche, lorsque le préjudice causé par l'expression en cause est direct, sans qu'aucun élément particulier de pensée, d'opinion, de croyance ou de signification n'intervienne, le règlement vise une conséquence matérielle préjudiciable et non le contenu ou la forme de l'expression.
En résumé, la qualification de l'objet du gouvernement doit se faire du point de vue de la garantie en cause. Pour ce qui concerne la liberté d'expression, si le gouvernement a voulu contrôler la transmission d'un message soit en restreignant directement le contenu de l'expression soit en restreignant une forme d'expression liée au contenu, son objet porte atteinte à la garantie. D'autre part, s'il vise seulement à prévenir les conséquences matérielles d'une conduite particulière, son objet ne porte pas atteinte à la garantie. Pour décider si l'objet du gouvernement est simplement de prévenir des conséquences matérielles préjudiciables, il faut se demander si le méfait est dans le message de l'activité ou dans l'influence qu'il est susceptible d'avoir sur le comportement des autres, ou encore si le méfait est uniquement dans le résultat matériel direct de l'activité.
b.Les effets
Même si le but poursuivi par le gouvernement n'était pas de contrôler ou restreindre la transmission d'une signification, la Cour doit encore décider si l'action du gouvernement a eu pour effet de restreindre la liberté d'expression de la demanderesse. À cette étape‑ci, il appartient à la demanderesse d'établir que cet effet s'est produit. Pour ce faire, elle doit formuler sa thèse en tenant compte des principes et des valeurs qui sous‑tendent la liberté garantie.
Nous avons déjà parlé de la nature des principes et des valeurs qui sous‑tendent la protection vigilante de la liberté d'expression dans une société comme la nôtre. Cette Cour les a également examinés dans l'arrêt Ford (aux pp. 765 à 767) et ils peuvent se résumer ainsi: (1) la recherche de la vérité est une activité qui est bonne en soi; (2) la participation à la prise de décisions d'intérêt social et politique doit être encouragée et favorisée; et (3) la diversité des formes d'enrichissement et d'épanouissement personnels doit être encouragée dans une société qui est essentiellement tolérante, même accueillante, non seulement à l'égard de ceux qui transmettent un message, mais aussi à l'égard de ceux à qui il est destiné. Pour démontrer que l'action du gouvernement a eu pour effet de restreindre sa liberté d'expression, la demanderesse doit établir que son activité favorise au moins un de ces principes. Par exemple, il ne suffirait pas de dire que des cris comportent un élément d'expression. Si la demanderesse conteste l'effet d'une action gouvernementale qui vise à réglementer le bruit, dans l'hypothèse que le but de cette action est neutre quant à l'expression, elle doit démontrer que son but est de transmettre un message qui reflète les principes qui sous‑tendent la liberté d'expression. La délimitation complète et précise des types d'activités qui favorisent ces principes relève évidemment d'un examen judiciaire qui doit être fait dans chaque cas. Mais la demanderesse doit au moins décrire le message transmis et son rapport avec la recherche de la vérité, la participation au sein de la société ou l'enrichissement et l'épanouissement personnels.
c.Les articles 248 et 249
Il ne fait pas de doute que l'objet des art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur était de restreindre à la fois un type particulier de signification et certaines formes d'expression au nom de la protection des enfants. Sous réserve de ce qui est prévu par règlement, l'art. 248 interdit la transmission d'un message commercial à des enfants de moins de treize ans. L'article 249 énonce les facteurs dont il faut tenir compte pour décider si le message commercial a réellement le contenu que la loi interdit. À première vue, le règlement qui exempte certains messages publicitaires transforme l'interdiction en une restriction quant "au moment, à l'endroit ou à la manière" qui viserait seulement la forme de l'expression. Selon les art. 88 à 90 du Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur, un message publicitaire peut être destiné aux enfants: (1) s'il paraît dans certaines revues ou certains encarts destinés aux enfants; (2) s'il annonce une émission ou un spectacle destinés aux enfants; ou (3) s'il est constitué par une vitrine, un étalage, un contenant, un emballage ou une étiquette. Pourtant, même si toute publicité destinée aux enfants était autorisée à condition d'être faite de la manière prescrite, la restriction serait liée au contenu parce qu'elle vise à limiter l'accès au message particulier qui est transmis. Cependant, le règlement en question fait plus que restreindre la manière dont un contenu particulier doit être exprimé. Il restreint le contenu directement. L'article 91 prévoit que, même lorsque les messages publicitaires destinés aux enfants sont permis, ces messages ne doivent pas, par exemple, "employer un superlatif pour décrire les caractéristiques d'un bien ou d'un service" ou "inciter directement un enfant à acheter ou à inviter une autre personne à acheter un bien ou un service ou à s'informer à leur sujet". En outre, il ressort clairement de la masse imposante de documents soumis par le procureur général du Québec ainsi que par l'intervenant Gilles Moreau, président de l'Office de la protection du consommateur, que le prétendu méfait que la Loi et le règlement visaient était le tort causé par le message lui‑même. Par conséquent, l'effet combiné de la loi et du règlement est d'interdire un message particulier. Une telle restriction ne peut être justifiée que si elle passe l'épreuve de l'article premier de la Charte canadienne et de l'art. 9.1 de la Charte québécoise.
D. Résumé et conclusion
Lorsqu'on allègue la violation de la garantie de la liberté d'expression, la première étape de l'analyse consiste à déterminer si l'activité du demandeur relève du champ des activités protégées par la garantie. Une activité qui (1) ne transmet pas ni ne tente de transmettre une signification et qui est donc expression sans contenu, ou (2) qui transmet une signification par une forme d'expression violente, ne relève pas du champ des activités protégées. Si l'activité fait partie du champ des activités protégées, la deuxième étape de l'analyse consiste à déterminer si l'objet ou l'effet de l'action gouvernementale en cause était de restreindre la liberté d'expression. Si le gouvernement a voulu contrôler la transmission d'une signification doit en restreignant directement le contenu de l'expression soit en restreignant une forme d'expression liée au contenu, son objet porte atteinte à la garantie. Par ailleurs, si le gouvernement veut seulement prévenir les conséquences matérielles d'une conduite donnée, son objet ne porte pas atteinte à la garantie. Pour déterminer si l'objet que poursuit le gouvernement vise simplement des conséquences matérielles préjudiciables, il faut se demander si le méfait est dans le message de l'activité ou dans l'influence qu'il est susceptible d'avoir sur le comportement des autres, ou si le méfait se trouve uniquement dans le résultat matériel direct de l'activité. Si le gouvernement n'avait pas pour objet de restreindre la liberté d'expression, le demandeur peut encore prétendre que l'effet de l'action du gouvernement était de restreindre son expression. Pour établir cette prétention, le demandeur doit au moins décrire la signification transmise et son rapport avec la recherche de la vérité, la participation au sein de la société ou l'enrichissement et l'épanouissement personnels.
En l'espèce, l'activité de la demanderesse relève bien du champ des activités protégées par la liberté d'expression. En adoptant les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur et les art. 87 à 91 du Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur, l'objet que poursuivait le gouvernement était d'interdire un contenu particulier d'une expression au nom de la protection des enfants. Ces dispositions apportent donc des restrictions à l'al. 2b) de la Charte canadienne et à l'art. 3 de la Charte québécoise. Elles doivent être justifiées en vertu de l'article premier de la Charte canadienne et de l'art. 9.1 de la Charte québécoise.
VII -La restriction que les art. 248 et 249 apportent à la liberté d'expression est‑elle justifiée en vertu de l'art. 9.1 de la Charte québécoise ou de l'article premier de la Charte canadienne?
Les questions traitées dans ce chapitre sont les suivantes: a) le sens, le rôle et l'effet de l'art. 9.1 de la Charte québécoise sont‑ils essentiellement différents de ceux de l'article premier de la Charte canadienne? b) le régime mis en place par les art. 248 et 249 est‑il à ce point vague qu'il ne constitue pas une restriction prescrite "par une règle de droit"? c) les documents (ci‑après appelés les documents relatifs à l'article premier et à l'art. 9.1) sur lesquels s'appuie le procureur général du Québec sont‑ils pertinents pour démontrer que les art. 248 et 249 apportent une limite raisonnable à la liberté d'expression? et d) les documents relatifs à l'article premier et à l'art. 9.1 justifient‑ils l'interdiction de la publicité commerciale destinée à des personnes de moins de treize ans?
A.Le sens de l'art. 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec
L'intimée, Irwin Toy, soutient que l'art. 3 de la Charte québécoise donne une garantie absolue à la liberté d'expression. Selon l'intimée, en l'absence d'une loi qui déclarerait que ces dispositions s'appliquent nonobstant la Charte québécoise, le procureur général du Québec ne pourrait soutenir que les art. 248 et 249 constituent une limite raisonnable à la garantie de l'art. 3. Dans l'arrêt Ford, précité, cette Cour a cependant tiré la conclusion suivante quant à l'art. 9.1 de la Charte québécoise (aux pp. 769 et 770):
En l'espèce, la Cour supérieure et la Cour d'appel ont conclu que l'art. 9.1 était une disposition justificative correspondant à l'article premier de la Charte canadienne et que son application était soumise à un critère semblable de proportionnalité et de lien rationnel. La Cour souscrit à cette conclusion.
Puisque le critère de la proportionnalité et du lien rationnel à l'égard de l'art. 9.1 de la Charte québécoise est essentiellement le même que le critère relatif à l'article premier de la Charte canadienne, les deux critères seront examinés ensemble.
B.Les articles 248 et 249 sont‑ils trop imprécis pour constituer une restriction prescrite par une règle de droit?
L'intimée soutient que les art. 248 et 249 ne sont pas assez précis pour constituer une restriction prescrite par une règle de droit. Par souci de commodité, les dispositions sont reproduites ici:
248. Sous réserve de ce qui est prévu par règlement, nul ne peut faire de la publicité à but commercial destinée à des personnes de moins de treize ans.
249. Pour déterminer si un message publicitaire est ou non destiné à des personnes de moins de treize ans, on doit tenir compte du contexte de sa présentation et notamment:
a) de la nature et de la destination du bien annoncé;
b) de la manière de présenter ce message publicitaire;
c) du moment ou de l'endroit où il apparaît.
Le fait qu'un tel message publicitaire soit contenu dans un imprimé destiné à des personnes de treize ans et plus ou destiné à la fois et à des personnes de moins de treize ans et à des personnes de treize ans et plus ou qu'il soit diffusé lors d'une période d'écoute destinée à des personnes de treize ans et plus ou destinée à la fois à des personnes de moins de treize ans et à des personnes de treize ans et plus ne fait pas présumer qu'il n'est pas destiné à des personnes de moins de treize ans.
L'argumentation de l'intimée quant au caractère imprécis de ces dispositions comporte trois volets: (1) les art. 248 et 249 forment un ensemble confus, voire contradictoire; (2) ils ne fournissent pas aux tribunaux d'indications suffisantes sur la façon d'interpréter l'interdiction de la publicité commerciale destinée aux enfants; et (3) le pouvoir discrétionnaire d'adopter des règlements est trop large. Il n'est pas nécessaire de traiter du troisième argument parce que cette Cour a déjà conclu qu'une restriction "est prescrite par une règle de droit au sens de l'art. 1 si elle est prévue expressément par une loi ou un règlement, ou si elle découle nécessairement des termes d'une loi ou d'un règlement, ou de ses conditions d'application" (R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640, aux pp. 650 et 651, le juge Le Dain au nom de la Cour). (Nous soulignons**.) Un règlement promulgué en vertu d'un pouvoir discrétionnaire prévu par la loi, tel que celui en espèce, constitue une restriction prescrite par une règle de droit. Par conséquent seuls les deux premiers arguments seront examinés.
a.La confusion et la contradiction
L'intimée allègue que le dernier paragraphe de l'art. 249 fait qu'il est presque impossible pour le fabricant d'un produit pour enfant de savoir si un message publicitaire relatif à ce produit sera contraire à l'art. 248. Un auteur a fait la même observation au sujet de ce paragraphe (Martin, "Business Practices ‑ Title II of the Quebec Consumer Protection Act" dans Conférences Mémorial Meredith 1979, La nouvelle Loi du Québec sur la protection du consommateur (1980), à la p. 222):
[TRADUCTION] Lorsqu'on lit la disposition attentivement, il semble que les imprimés ou que la période de diffusion destinés seulement aux adultes soient tous deux visés, ce qui diffère apparemment du début de cet article dans lequel il est dit qu'on doit tenir compte du contexte de la présentation du message publicitaire. Lorsque l'article est pris dans son ensemble, il semble que le fait que le message publicitaire paraisse dans l'Atlantic Monthly ou une publication de ce genre ne puisse être invoqué à l'appui de l'existence d'une présomption que le message publicitaire n'était pas destiné aux enfants. Par contre, ce fait pourrait être pris en considération à titre d'élément du contexte de la présentation du message publicitaire. Bref, il y a une contradiction dans les termes de l'article et sa rédaction mériterait d'être reprise.
Nous sommes d'avis qu'il est possible de donner une interprétation logique à l'art. 249. Le dernier paragraphe a pour objet restreint d'assurer que les trois facteurs dont le juge doit tenir compte, c.‑à‑d. la nature et la destination des biens annoncés, la manière de présenter le message publicitaire et le moment ou l'endroit où il apparaît, sont évalués ensemble. Le dernier paragraphe ne porte que sur le troisième facteur, le moment et l'endroit. Il dit clairement qu'une publicité pour un produit destiné aux enfants présentée de façon à attirer l'attention des enfants est interdite même si le public susceptible de la voir est composé en majeure partie d'adultes. Évidemment lorsque, après évaluation de "la manière de présenter" un message publicitaire, le juge conclut qu'aucun enfant n'est susceptible de le voir, il est également peu probable que les moyens choisis aient été conçus pour attirer l'attention des enfants. Mais il faut évaluer tous les facteurs selon la prépondérance des probabilités. On ne peut tirer aucune présomption de l'examen du troisième facteur seul. Interprétés de cette façon, les art. 248 et 249 n'ont rien d'intrinsèquement confus ou contradictoire.
b.Le pouvoir discrétionnaire des tribunaux
L'intimée prétend que le critère établi par les art. 248 et 249 confère au juge un pouvoir discrétionnaire excessivement large pour décider si un message publicitaire est destiné aux enfants. L'intimée cite l'introduction du Guide d'application des articles 248 et 249 qui traite de l'interdiction de faire de la publicité commerciale destinée aux enfants:
Cependant, les termes mêmes de la loi peuvent prêter à diverses interprétations, créant ainsi une marge discrétionnaire dans son application. Par exemple, une telle discrétion existe dans la détermination de ce que l'on entend par "destinée à des enfants". L'Office croit donc important de publier les critères qu'il a établis pour déterminer si une publicité est permise ou non, eu égard à la loi.
L'intimée a expliqué que la mention de l'existence d'une "marge discrétionnaire" dans un document émanant de l'organisme chargé de l'application de la loi démontre bien que les art. 248 et 249 sont imprécis.
En droit, la précision absolue est rare, voire inexistante. La question est de savoir si le législateur a formulé une norme intelligible sur laquelle le pouvoir judiciaire doit se fonder pour exécuter ses fonctions. L'interprétation de la manière d'appliquer une norme dans des cas particuliers comporte toujours un élément discrétionnaire parce que la norme ne peut jamais préciser tous les cas d'application. Par contre, s'il n'existe aucune norme intelligible et si le législateur a conféré le pouvoir discrétionnaire absolu de faire ce qui semble être le mieux dans une grande variété de cas, il n'y a pas de restriction prescrite "par une règle de droit".
Les articles 248 et 249 fournissent une norme intelligible à appliquer pour déterminer si un message publicitaire peut faire l'objet d'une restriction. Selon l'article 248, le message doit avoir un contenu commercial et viser les personnes de moins de treize ans. Comme on l'a déjà expliqué, l'art. 249 impose au juge d'évaluer trois facteurs relatifs au contexte dans lequel le message publicitaire a été présenté. Il ne confère pas aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire d'interdire les messages publicitaires qu'ils veulent. Afin d'aider les annonceurs à se conformer aux critères des art. 248 et 249, l'Office de la protection du consommateur a donné une série de directives détaillées qui ne lient pas les tribunaux. On ne peut déduire de l'existence des directives que les tribunaux n'ont pas de norme intelligible à appliquer. On peut seulement en déduire que l'Office a jugé raisonnable, dans le cadre de son mandat, d'établir une procédure volontaire d'approbation préalable qui permet aux annonceurs dans la plupart des cas de soumettre leurs annonces à un processus décisionnel administratif plutôt que judiciaire.
C. La pertinence des documents relatifs à l'article premier et à l'art. 9.1
L'intimée prétend que seuls les éléments de preuve relatifs à l'objet visé par le législateur, existant à l'époque de l'adoption des art. 248 et 249, sont pertinents pour décider si ces articles constituent une limite raisonnable à la liberté d'expression. Elle conteste donc la pertinence des études postérieures à l'adoption de la Loi sur la protection du consommateur, études dont le gouvernement ne disposait pas au moment de l'adoption de la loi.
Lorsque le fondement de sa loi n'est pas clair, le gouvernement doit présenter une preuve forte et persuasive afin d'établir que les dispositions en cause sont justifiées compte tenu des éléments constitutifs de l'analyse en vertu de l'article premier ou de l'art. 9.1. (voir R. c. Oakes, précité, à la p. 138). Pour démontrer que l'objet de la loi est urgent et réel, le gouvernement ne peut invoquer à posteriori un objet qui n'a pu motiver l'adoption de la loi à l'origine (voir R. v. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 335). Toutefois, pour établir que l'objectif premier demeure urgent et réel, le gouvernement peut certainement et doit même faire appel aux meilleurs éléments de preuve qui existent au moment de l'analyse. Il en est de même en ce qui concerne la preuve que la mesure est proportionnelle à son objectif (voir R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, à la p. 769). Il est également possible d'établir qu'un objet, dont le caractère urgent et réel ne pouvait pas être établi à l'époque de l'adoption du texte législatif, a acquis ce caractère avec le temps et l'évolution des circonstances.
L'intimée prétend que les débats parlementaires n'apportent aucune preuve quant à l'intention du gouvernement lors de l'adoption des art. 248 et 249 et allègue donc que toute autre preuve est superflue. Cependant, la déclaration suivante du ministre responsable de la loi, au sujet des motifs pour lesquels le gouvernement a choisi la limite de treize ans, explique assez bien l'objet général de la loi (Journal des débats, Commissions parlementaires, 3e sess., 31e Lég., Commission permanente des consommateurs, coopératives et institutions financières, Étude du projet de loi no 72 -- Loi sur la protection du consommateur (10), le 12 décembre 1978 -- no 226, à la p. B‑9501):
Mme Payette: Ce que nous voulions éviter à tout prix -- je pense que c'est à partir d'une observation de la part de l'office quant aux messages qui sont télédiffusés présentement -- c'était de ne pas rejoindre véritablement les enfants. La proposition qui nous était faite d'inclure dans le projet de loi des enfants d'âge préscolaire ne nous paraissait pas une proposition suffisante dans les circonstances. Il nous paraissait que treize ans était une bonne moyenne. Il se peut que certains enfants, à douze ans, soient en mesure de faire des distinctions, de faire des choix. Il est sûr qu'à partir de quatorze ans, en général, ils sont en mesure de le faire. Alors, il nous paraissait que treize ans était arbitraire et juste à la fois.
Et comme on s'appuie aussi sur une réglementation qui est en vigueur depuis un certain nombre d'années et qui comprend l'âge de treize ans, nous avons retenu cet âge, à partir des expériences qui ont été faites jusqu'à maintenant.
La question revient donc à déterminer si la preuve offerte par le gouvernement établit que les enfants de moins de treize ans sont incapables de faire des choix et des distinctions en ce qui concerne les produits annoncés et si cela, à son tour, justifie la restriction imposée à la publicité. Des études postérieures à l'adoption de la loi peuvent être utilisées à cette fin.
On peut se demander pourquoi le procureur général n'a pas présenté en preuve certains rapports et certaines études que le gouvernement a utilisés tant au moment de l'adoption de la loi qu'après, au moment de la révision de son application. Le procureur général ne s'est pas servi non plus des délibérations de deux commissions parlementaires, l'une convoquée en 1976 et l'autre en 1978 pour tenir des audiences au sujet des modifications à apporter à la Loi sur la protection du consommateur. Dans son témoignage devant la commission en 1978, la ministre a fait appel à plusieurs reprises aux études menées pour le compte du gouvernement et, en particulier, à un document déposé auprès de la commission et préparé par l'Office de la protection du consommateur au sujet du projet de loi sur la publicité destinée aux enfants. Aucun de ces documents n'a été déposé. En septembre 1985, le Comité fédéral‑provincial sur la publicité destinée aux enfants a préparé un rapport intitulé Les effets de la loi québécoise interdisant la publicité destinée aux enfants. Le procureur général a jugé bon de ne pas présenter ce rapport à la Cour. Il nous reste donc à examiner la constitutionnalité de la loi à partir des documents déposés.
D.Les documents relatifs à l'article premier et à l'art. 9.1 justifient‑ils l'interdiction de la publicité commerciale destinée aux personnes de moins de treize ans?
Il est maintenant bien établi qu'il incombe à la partie qui cherche à maintenir la restriction apportée à un droit ou à une liberté, en l'espèce le procureur général du Québec, de justifier cette restriction et que l'analyse doit être faite de la façon décrite par le juge en chef Dickson dans l'arrêt R. c. Oakes, précité.
a.Un besoin urgent et réel
La première étape de l'analyse consiste à se demander si l'objectif que cherche à atteindre la loi contestée se rapporte à des préoccupations "urgentes et réelles dans une société libre et démocratique". Le juge en chef Dickson a expliqué cette exigence dans l'arrêt Oakes, aux pp. 138 et 139:
En premier lieu, l'objectif que visent à servir les mesures qui apportent une restriction à un droit ou à une liberté garantis par la Charte, doit être "suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution": R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. La norme doit être sévère afin que les objectifs peu importants ou contraires aux principes qui constituent l'essence même d'une société libre et démocratique ne bénéficient pas de la protection de l'article premier. Il faut à tout le moins qu'un objectif se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique, pour qu'on puisse le qualifier de suffisamment important.
Puisque nous avons déjà conclu que les activités de la demanderesse relèvent du champ des activités protégées par la liberté d'expression et que l'objet de la loi est d'interdire un contenu particulier d'expression au nom de la protection des enfants, ce n'est pas trop demander que d'exiger que la préoccupation qui a donné lieu à la législation restrictive soit urgente et réelle. Sans cette norme élevée de justification, les droits et libertés protégés par la Constitution perdraient une grande partie de leur valeur.
À notre avis, le procureur général du Québec a fait la preuve que la préoccupation qui a abouti à l'adoption de la loi contestée était urgente et réelle et que l'objet de la loi était d'une très grande importance. La préoccupation est de protéger un groupe qui est particulièrement vulnérable aux nombreuses techniques de séduction et de manipulation de la publicité. Selon les termes mêmes du procureur général du Québec, "Ce sont eux qui vivent le plus manifestement cette situation d'infériorité et de déséquilibre entre producteurs et consommateurs que le législateur a voulu corriger". Les documents présentés en preuve devant cette Cour font état d'une préoccupation généralisée dans les sociétés occidentales à l'égard de l'effet des médias et particulièrement, mais pas seulement, celui de la publicité télévisée, sur le développement et les perceptions des jeunes enfants. (Par exemple: Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, Décision CRTC 79‑320, le 30 avril 1979, Renouvellement des licences des réseaux de télévision et de radio de la Société Radio‑Canada, (1979) 113 Gaz. Can., Partie I, 3082; Association canadienne des radiodiffuseurs, Code de la publicité radiotélévisée destinée aux enfants, op. cit.; Société Radio‑Canada, Critères de la politique du code publicitaire, voir en particulier, "Radio‑Canada et la publicité destinée aux enfants"; National Association of Broadcasters, Television Code (21e éd. 1980), voir en particulier "Responsibility Towards Children"; Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), Publicité destinée aux enfants: Attestations à des fins publicitaires (1982); et J. J. Boddewyn, Advertising to Children: Regulation and Self‑regulation in 40 Countries (1984)). De façon générale, les préoccupations à l'origine de la loi et de la réglementation volontaire dans ce domaine concernent la vulnérabilité particulière des jeunes enfants face à la manipulation exercée par les médias, leur incapacité de distinguer la fiction de la réalité ou de saisir l'intention persuasive que comporte le message et les effets secondaires des influences extérieures sur la famille et l'autorité parentale. Les solutions apportées aux problèmes perçus sont aussi variées que les agences et gouvernements qui les ont formulées. Tous s'accordent cependant sur l'importance du problème.
Pour établir le contexte factuel de cette préoccupation générale, le procureur général s'est surtout fondé sur le U.S. Federal Trade Commission (FTC) Final Staff Report and Recommendation, In the Matter of Children's Advertising, qui contient une étude approfondie de la preuve scientifique qui existait sur le sujet en 1981. Le rapport découle d'une procédure de réglementation établie par le FTC. Dans ce rapport, l'analyse des capacités cognitives des enfants pour évaluer la publicité télévisée qui leur est destinée et des moyens possibles de minimiser les effets nuisibles de cette publicité, est pertinente en l'espèce. Selon l'une des principales conclusions du rapport, les jeunes enfants (de 2 à 6 ans) sont incapables de distinguer la fiction de la réalité ou les messages publicitaires des émissions proprement dites, et ils croient aveuglément ce que présente les messages publicitaires (aux pp. 34 et 35):
[TRADUCTION] En résumé, le dossier produit en vue d'établir des règlements démontre qu'en raison de leurs capacités cognitives spécifiques, les jeunes enfants sont incapables de bien comprendre la publicité télévisée qui leur est destinée même s'ils en saisissent certains aspects. Ils croient aveuglément le message de vente. Ils ne perçoivent pas correctement la distorsion persuasive de la publicité et leur expérience de la vie n'est pas suffisante pour leur permettre d'envisager un point de vue contraire. Enfin, le contenu, l'endroit et les diverses techniques de la publicité commerciale destinée aux enfants sont choisis pour attirer les enfants et mettre en valeur la publicité et le produit. Par conséquent, les enfants sont incapables d'évaluer correctement la publicité qui leur est destinée.
Le rapport étaye solidement la conclusion que la publicité télévisée destinée aux jeunes enfants est en soi manipulatrice. Elle vise à promouvoir des produits en convainquant ceux qui sont toujours prêts à tout croire.
Il est raisonnable d'étendre la portée de cette conclusion de deux façons. Premièrement, elle peut s'appliquer à la publicité dans d'autres médias. Par exemple, le rapport de l'OCDE, précité, porte sur la publicité destinée aux enfants dans tous les médias, y compris la télévision, bien que la majeure partie de la preuve se rapporte à la force persuasive de la publicité télévisée. Deuxièmement, elle peut s'appliquer à la publicité destinée à des enfants plus âgés (7 à 13 ans). Le procureur général a déposé un certain nombre d'études qui arrivent à des conclusions quelque peu différentes quant à l'âge auquel les enfants acquièrent des capacités cognitives suffisantes pour reconnaître la nature persuasive de la publicité et évaluer sa valeur relative. Les études permettent de dire que quelque part entre l'âge de sept ans et l'adolescence, les enfants deviennent tout aussi capables que les adultes de comprendre les messages publicitaires et d'y réagir. La Cour d'appel, à la majorité, a donné une interprétation restrictive à cette preuve et a conclu qu'elle justifiait uniquement l'objectif de réglementation de la publicité destinée aux enfants de six ans ou moins et non la publicité destinée aux enfants de sept à treize ans. Elle a conclu, et nous partageons son avis, que la preuve était plus convaincante à l'égard des plus jeunes. Les opinions ne sont pas unanimes quant à la catégorie des plus âgés. Le législateur n'était cependant pas obligé de se limiter seulement à protéger le groupe le plus clairement vulnérable. Il était tenu seulement d'exercer un jugement raisonnable dans l'identification du groupe vulnérable.
Comme l'a souligné le juge en chef Dickson dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., précité, aux pp. 781 et 782, au sujet de la décision législative d'exempter les commerces qui comptaient sept employés ou moins de l'obligation de fermer leurs portes le dimanche:
J'ajouterais que je ne vois rien de magique dans le choix du chiffre sept plutôt que, disons, cinq, dix ou quinze employés comme étant le nombre limite pour être admissible à l'exemption. En évaluant les intérêts qu'ont les salariés du commerce de détail à bénéficier d'un jour commun de congé avec leurs familles et leurs amis par rapport aux droits que possèdent les personnes touchées en vertu de l'al. 2a), le législateur s'est engagé dans le processus envisagé par l'article premier de la Charte. Une "limite raisonnable" est une limite qui, compte tenu des principes énoncés dans l'arrêt Oakes, pouvait être raisonnablement imposée par le législateur. Les tribunaux ne sont pas appelés à substituer des opinions judiciaires à celles du législateur quant à l'endroit où trancher une ligne de démarcation.
On peut dire la même chose de l'évaluation de preuves scientifiques crédibles mais divergentes et du choix de treize ans plutôt que de dix ou de sept ans comme l'âge limite supérieur du groupe protégé en cause. Lorsque le législateur arbitre entre les revendications divergentes de différents groupes de la collectivité, il est obligé de tracer une ligne de démarcation qui est à la fois le point de départ légitime des unes et le point où les autres disparaissent, sans être en mesure de savoir exactement où cette ligne se trouve. Si le législateur a fait une évaluation raisonnable quant à la place appropriée de la ligne de démarcation, surtout quand cette évaluation exige l'appréciation de preuves scientifiques contradictoires et la répartition de ressources limitées, il n'appartient pas aux tribunaux de se prononcer après coup. Ce serait seulement substituer une évaluation à une autre. Quand on traite de groupes hétérogènes en soi et définis en fonction de l'âge ou d'une caractéristique analogue à l'âge, la preuve qu'une forte majorité du groupe requiert le genre de protection prévue par le gouvernement peut permettre d'établir que le groupe a été défini de façon raisonnable. En l'espèce, le législateur a arbitré entre les revendications des annonceurs et de ceux qui demandent une information de nature commerciale, d'une part, et les revendications des enfants et des parents, d'autre part. La preuve est suffisante pour placer la ligne de démarcation à l'âge de treize ans et nous ne nous permettrions pas de retracer la ligne. Soulignons que, dans l'arrêt Ford, précité, aux pp. 777 à 779, la Cour a également reconnu que le gouvernement disposait d'une certaine latitude pour formuler des objectifs légitimes fondés sur des preuves en matière de sciences humaines qui n'étaient pas totalement concluantes.
Bref, l'objectif de réglementer la publicité commerciale destinée à des enfants est conforme au but général d'une loi sur la protection du consommateur, c.‑à‑d. de protéger un groupe qui est très vulnérable à la manipulation commerciale. De plus, ce but ressort de la théorie générale des contrats (voir, par exemple, les art. 987 et 1001 à 1011 du Code civil du Bas‑Canada sur les contrats conclus avec des mineurs). Les capacités des enfants ne sont pas aussi développées que celles des adultes pour évaluer la force persuasive de la publicité et les messages publicitaires destinés aux enfants tirent avantage de ce fait. Le législateur a raisonnablement conclu qu'il fallait empêcher que les annonceurs exploitent les enfants soit en les incitant à acheter soit en les incitant à presser leurs parents d'acheter. D'une façon comme de l'autre, l'annonceur ne pourrait pas tirer profit de la crédulité des enfants. Les documents relatifs aux articles premier et 9.1 démontrent, selon la prépondérance des probabilités, que jusqu'à l'âge de treize ans les enfants peuvent être manipulés par la publicité commerciale et que l'objectif de protéger tous les enfants de ce groupe d'âge est fondé sur une préoccupation urgente et réelle. Nous sommes donc d'avis que le procureur général s'est acquitté de l'obligation que lui imposait la première partie du critère de l'arrêt Oakes.
b.Des moyens proportionnels aux fins
La deuxième partie du critère des articles premier et 9.1 exige qu'on soupèse un certain nombre de facteurs pour déterminer si les moyens choisis par le gouvernement sont proportionnels à son objectif. Comme l'a affirmé le juge en chef Dickson dans l'arrêt Edwards Books and Art Ltd., précité, à la p. 768:
En second lieu, les moyens choisis pour atteindre ces objectifs doivent être proportionnels ou appropriés à ces fins. La proportionnalité requise, à son tour, comporte normalement trois aspects: les mesures restrictives doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question, ou avoir un lien rationnel avec cet objectif; elles doivent être de nature à porter le moins possible atteinte au droit en question et leurs effets ne doivent pas empiéter sur les droits individuels ou collectifs au point que l'objectif législatif, si important soit‑il, soit néanmoins supplanté par l'atteinte aux droits.
i.Le lien rationnel
Il n'y a pas de doute que l'interdiction de la publicité destinée aux enfants a un lien rationnel avec l'objectif de protéger les enfants contre la publicité. Les mesures prises par le gouvernement visent précisément le problème traité dans les documents relatifs aux articles premier et 9.1. Il est important de souligner que nous ne sommes pas en présence d'une interdiction générale de la publicité de produits pour enfants mais simplement d'une interdiction de présenter des messages publicitaires à ceux qui ne sont pas conscients du fait que ces messages visent à persuader. Les messages publicitaires peuvent certainement s'adresser aux véritables acheteurs, les parents ou d'autres adultes. En fait, la publicité éducative non commerciale destinée aux enfants est permise. En termes simples, on veut empêcher les annonceurs de tirer profit de l'incapacité des enfants de distinguer la réalité de la fiction ou de reconnaître la force persuasive cachée du message publicitaire, et donc d'y résister ou d'y réagir avec un certain scepticisme. En l'espèce, nous sommes d'avis que la preuve démontre l'existence du lien rationnel nécessaire entre les moyens et l'objectif. Par opposition, dans l'arrêt Ford, aucun lien rationnel n'avait été établi entre l'exclusion de toutes les autres langues que le français de l'affichage au Québec et la communication de la réalité de la société québécoise à travers son "visage linguistique".
ii.L'atteinte minimale au droit ou à la liberté
Abordons maintenant l'autre exigence selon laquelle, même à supposer qu'il y ait un tel lien rationnel, "le moyen choisi doit être de nature à porter "le moins possible" atteinte au droit ou à la liberté en question": Oakes, précité, p. 139. Nous tenons à souligner qu'à cet égard la norme de preuve est celle qui s'applique en matière civile, c.-à-d. la preuve selon la prépondérance des probabilités. En outre, comme l'a souligné le juge en chef Dickson dans l'arrêt Oakes, précité, à la p. 137:
La norme générale applicable en matière civile comporte différents degrés de probabilité qui varient en fonction de la nature de chaque espèce: voir Sopinka et Lederman, The Law of Evidence in Civil Cases (Toronto: 1974), à la p. 385. Comme l'explique lord Denning dans Bater v. Bater, [1950] 2 All E.R. 458 (C.A.), à la p. 495:
[TRADUCTION] La preuve peut être faite selon la prépondérance des probabilités, mais cette norme peut comporter des degrés de probabilité. Ce degré dépend de l'objet du litige. Une cour civile, saisie d'une accusation de fraude, exigera naturellement un degré de probabilité plus élevé que celui qu'elle exigerait en examinant si la faute a été établie. Elle n'adopte pas une norme aussi sévère que le ferait une cour criminelle, même en examinant une accusation de nature criminelle, mais il reste qu'elle exige un degré de probabilité proportionné aux circonstances.
Cette remarque est particulièrement pertinente relativement au volet de "l'atteinte minimale" du critère de proportionnalité de l'arrêt Oakes. C'est à la partie qui cherche à maintenir la restriction qu'il incombe de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les moyens choisis portent le moins possible atteinte au droit ou à la liberté en question. Ce qui est "le moins possible" va bien sûr varier selon l'objectif du gouvernement et les moyens dont il dispose pour l'atteindre. Comme le Juge en chef l'a dit dans l'arrêt Oakes, précité, p. 139:
Même si la nature du critère de proportionnalité pourra varier selon les circonstances, les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes.
Ainsi, en faisant correspondre les moyens et les fins, et en se demandant s'il a été porté le moins possible atteinte aux droits ou aux libertés, le législateur en arbitrant entre les revendications de groupes concurrents, sera encore obligé de trouver le point d'équilibre sans pouvoir être absolument certain d'où il se trouve. Les groupes vulnérables vont revendiquer la protection du gouvernement alors que les autres groupes et individus affirmeront que le gouvernement ne doit pas intervenir. Dans l'arrêt Edwards Books and Art Ltd., précité, le juge en chef Dickson a exprimé une préoccupation importante en ce qui concerne la situation des groupes vulnérables (à la p. 779):
Je crois que lorsqu'ils interprètent et appliquent la Charte, les tribunaux doivent veiller à ce qu'elle ne devienne pas simplement l'instrument dont se serviront les plus favorisés pour écarter des lois dont l'objet est d'améliorer le sort des moins favorisés.
Pour trouver le point d'équilibre entre des groupes concurrents, le choix des moyens, comme celui des fins, exige souvent l'évaluation de preuves scientifiques contradictoires et de demandes légitimes mais contraires quant à la répartition de ressources limitées. Les institutions démocratiques visent à ce que nous partagions tous la responsabilité de ces choix difficiles. Ainsi, lorsque les tribunaux sont appelés à contrôler les résultats des délibérations du législateur, surtout en matière de protection de groupes vulnérables, ils doivent garder à l'esprit la fonction représentative du pouvoir législatif. Par exemple "en réglementant une industrie ou un commerce, il est loisible au législateur de limiter sa réforme législative à des secteurs où il semble y avoir des préoccupations particulièrement urgentes ou à des catégories où cela semble particulièrement nécessaire" (Edwards Books and Art Ltd., précité, p. 772).
Il arrive parfois qu'au lieu d'arbitrer entre des groupes différents, le gouvernement devienne plutôt ce qu'on pourrait appeler l'adversaire singulier de l'individu dont le droit a été violé. Par exemple, pour justifier une atteinte à des droits consacrés par les art. 7 à 14 de la Charte, l'État fera valoir, au nom de toute la société, sa responsabilité de poursuivre les criminels alors que la personne fera valoir le caractère prépondérant des principes de justice fondamentale. Il est possible qu'il n'y ait pas de demandes contradictoires venant de différents groupes. Dans de tels cas, et d'ailleurs chaque fois que l'objet du gouvernement se rapporte au maintien de l'autorité et de l'impartialité du système judiciaire, les tribunaux peuvent décider avec un certain degré de certitude si les [TRADUCTION] "moyens les moins radicaux" ont été choisis pour parvenir à l'objectif compte tenu de la somme d'expérience acquise dans le règlement de ces questions: voir Sunday Times v. United Kingdom (1979), 2 E.H.R.R. 245, à la p. 276. Il ne sera peut‑être pas possible d'atteindre le même degré de certitude dans des cas exigeant la conciliation de revendications contraires de groupes ou d'individus ou la répartition de ressources gouvernementales limitées.
En l'espèce, la Cour est appelée à évaluer des preuves contradictoires, qui relèvent des sciences humaines, quant aux moyens appropriés de faire face au problème de la publicité destinée aux enfants. La question est de savoir si le gouvernement était raisonnablement fondé, compte tenu de la preuve offerte, à conclure qu'interdire toute publicité destinée aux enfants portait le moins possible atteinte à la liberté d'expression étant donné l'objectif urgent et réel que visait le gouvernement.
La meilleure preuve à l'appui de l'affirmation que cette interdiction porte le moins possible atteinte à la liberté d'expression provient du rapport de la FTC. Parce qu'on a conclu dans le rapport que les enfants n'ont pas la capacité de discerner le but persuasif du message publicitaire, une réglementation du contenu ne pouvait régler le problème. Selon les conclusions du rapport, le seul moyen efficace de traiter de la publicité destinée aux enfants était de l'interdire tout à fait car [TRADUCTION] "[u]n correctif informationnel n'éliminerait ni ne surmonterait les limites cognitives qui empêchent les jeunes enfants de comprendre ce que sont les messages publicitaires" (p. 36). Cependant, on conclut également dans le rapport qu'une telle interdiction ne pourrait être mise en {oe}uvre ni à partir des données sur la composition de l'auditoire ni à partir d'une définition de la "publicité destinée aux enfants". En conséquence, le rapport ne recommandait pas l'interdiction (à la p. 2):
[TRADUCTION] [L]es documents ont révélé que le seul correctif efficace serait d'interdire toute publicité destinée aux jeunes enfants et cette interdiction ne peut, à toutes fins pratiques, être mise en {oe}uvre.
Le rapport fait état de deux raisons pour lesquelles une interdiction ne pourrait être mise en {oe}uvre à partir de données sur la composition de l'auditoire. Premièrement, selon le rapport, les catégories de téléspectateurs ne sont pas assez compartimentées pour que l'on puisse interdire totalement la publicité pendant des périodes d'écoute au cours desquelles, d'après les cotes d'écoute, les émissions sont destinées aux jeunes enfants. On a identifié une seule émission du réseau qui attirait un auditoire composé de plus de 30 p. 100 de jeunes enfants. Deuxièmement, si le pourcentage était ramené à 20 p. 100 par exemple, une interdiction absolue viserait trop de téléspectateurs autres que des enfants et n'atteindrait toujours pas toutes les émissions que les enfants regardent fréquemment (aux pp. 39 à 41):
[TRADUCTION] Les données indiquent que si une tranche de 50 p. 100 ou de 30 p. 100 de l'auditoire était utilisée (c.‑à‑d. lorsque les jeunes enfants représentent 50 p. 100 ou 30 p. 100 des téléspectateurs réels), la publicité présentée au cours d'une seule émission du réseau (Captain Kangaroo) serait touchée. Ce n'est que si la tranche était réduite à 20 p. 100 qu'un plus grand nombre d'émissions seraient touchées par l'interdiction. Le personnel de la Commission ne recommande pas l'utilisation d'une tranche réduite à 20 p. 100 parce que cela toucherait 80 p. 100 de téléspectateurs qui ne sont pas de jeunes enfants et n'ont pas leurs limites cognitives . . .
Le personnel ne recommande pas la mise en {oe}uvre d'une interdiction fondée sur le chiffre de 20 p. 100 parce que l'étendue de l'interdiction serait encore insuffisante du point de vue de la publicité visée et de la proportion de la période d'écoute totale des enfants [. . .] Une analyse plus poussée des périodes d'écoute chez les jeunes enfants (deux à cinq ans) indique plus précisément que, si une tranche de 20 p. 100 était utilisée, seule la publicité de 24 émissions présentées sur le réseau serait touchée et que 22 de ces émissions sont présentées le samedi ou le dimanche matin. L'utilisation d'une tranche de 20 p. 100 ne viserait pas les émissions destinées aux enfants présentées au cours d'autres périodes d'écoute. Les matins de la fin de semaine représente seulement 13 p. 100 de la période d'écoute hebdomadaire d'un jeune enfant.
Parce que le rapport portait surtout sur l'effet de la publicité destinée aux jeunes enfants (2 à 6 ans) et tenait pour acquis que celle destinée aux plus âgés (7 à 13 ans) ne soulevait aucune difficulté, la FTC a conclu assez raisonnablement qu'aucune définition ne permettait de faire une distinction adéquate entre la publicité destinée aux jeunes enfants et celle destinée aux enfants plus âgés (aux pp. 44 et 45):
[TRADUCTION] Le personnel a proposé dans le rapport [provisoire] une définition de "publicité destinée aux enfants" fondée sur la planification des émissions. Si un correctif était apporté selon cette définition, la publicité serait interdite "au cours ou aux alentours d'émissions qui sont qualifiées d'émissions pour enfants à partir de jugements préconçus". Le défaut majeur et inhérent de cette définition est qu'elle n'établit pas de distinctions entre les émissions destinées aux plus jeunes enfants et celles destinées aux plus âgés . . .
L'absence de précision dans la classification des émissions pour les enfants de deux à six ans, paraît coïncider avec la pratique commerciale de ne pas adresser les messages publicitaire uniquement aux jeunes enfants. Par exemple, CBS a déclaré: "bien que certains annonceurs qui utilisent la télévision puissent vouloir s'adresser aux jeunes auditeurs, il arrive rarement, sinon jamais, qu'ils adressent exclusivement leurs messages aux jeunes enfants."
Les articles 248 et 249 conservent le raisonnement qui selon le rapport de la FTC justifierait l'interdiction tout en apportant une solution aux limites pratiques qui y sont mentionnées. Les articles visent un groupe d'âge plus large que celui envisagé dans le rapport de la FTC et autorisent toujours les messages publicitaires destinés aux adultes, évitant ainsi les difficultés que le rapport associe à une interdiction fondée sur la composition de l'auditoire et à une interdiction fondée sur la définition de l'expression "publicité destinée aux enfants". Le Guide d'application des articles 248 et 249 illustre bien ce point. Il identifie un certain nombre de périodes d'écoute pendant la journée au cours desquelles plus de 15 p. 100 de l'auditoire, selon les statistiques du Bureau of Broadcast Measurement (BBM), sont des enfants de 2 à 11 ans. Il a été possible d'identifier ces périodes d'écoute malgré les arguments de la FTC, justement parce qu'on a utilisé un groupe cible plus large. En outre, à partir de ce groupe cible plus large, l'Office de la protection du consommateur a pu identifier les produits et méthodes publicitaires destinés aux enfants. De cette façon, la tranche de 15 p. 100 ne sert pas à justifier l'interdiction de toute publicité (comme était censée le faire la tranche de 20 p. 100 examinée par la FTC). En identifiant les catégories (1) de produits, (2) de messages publicitaires et (3) d'auditeurs, le Guide prévoit une évaluation très élaborée pour déterminer quand un message publicitaire est destiné aux enfants. Ces trois catégories proviennent directement de l'art. 249 et l'Office les a conçues dans le but d'appliquer le même critère que les tribunaux utilisent lorsqu'ils soupèsent différents facteurs. Trois catégories de produits sont identifiées: (1) les produits exclusivement destinés aux enfants (les jouets, certaines friandises et certains aliments); (2) les produits qui présentent un attrait marqué pour les enfants (certains jeux, certaines céréales et certains desserts); et (3) les produits destinés aux adultes. Quatre catégories de messages publicitaires sont identifiées: (1) les messages qui ne sont pas susceptibles d'intéresser les enfants; (2) les messages qui ne sont pas conçus pour intéresser les enfants; (3) les messages partiellement destinés aux enfants; et (4) les messages principalement destinés aux enfants. Trois catégories d'auditoires sont identifiées: (1) l'auditoire qui comprend plus de 15 p. 100 d'enfants; (2) l'auditoire qui comprend entre 5 p. 100 et 15 p. 100 d'enfants; et (3) l'auditoire qui comprend moins de 5. p. 100 d'enfants. À partir de cela, le Guide a établi une grille qui indique les différents types de messages publicitaires associés aux diverses catégories de produits qui seront permis selon la composition de l'auditoire. Un comité de l'Office responsable d'un système d'approbation préalable aide les annonceurs à déterminer si un message publicitaire donné risque d'être interdit.
Bien que les art. 248 et 249 ne reprennent pas tous les éléments contenus dans le Guide, ils fournissent le cadre qui permet effectivement d'interdire les messages publicitaires destinés aux enfants. En dernier ressort, il appartient aux tribunaux et non à l'Office de la protection du consommateur de décider si, par exemple, la restriction la plus sévère à la publicité devrait s'appliquer lorsque l'auditoire comprend plus de 15 p. 100 d'enfants plutôt que par exemple 20 p. 100. Mais si l'interdiction est le seul moyen efficace d'atteindre l'objectif du législateur, et si une telle interdiction ne peut être appliquée que grâce à un critère souple qui permet de soupeser les différents facteurs, on ne peut reprocher au législateur de laisser cette tâche aux tribunaux. Cela pourrait d'ailleurs permettre d'assurer que l'atteinte minimale à la liberté d'expression est un facteur constant dans l'application de la loi.
Évidemment, malgré les conclusions contraires du rapport de la FTC, l'intimée a soutenu que l'interdiction de la publicité n'était pas le seul moyen efficace de régler le problème de la publicité destinée aux enfants. Elle a fait valoir en particulier le mécanisme d'autodiscipline prévu dans le Code de la publicité radiotélévisée destinée aux enfants comme un autre moyen évident et a insisté sur le fait que le Québec était seul parmi les pays industrialisés à interdire la publicité destinée aux enfants (voir Boddewyn, op. cit.) La dernière affirmation mérite d'être nuancée à deux égards. Premièrement, depuis 1984, la Belgique, le Danemark, la Norvège et la Suède interdisent la diffusion de messages publicitaires à la télévision et à la radio. Deuxièmement, partout au Canada, comme en Italie, le réseau public n'accepte pas les messages publicitaires destinés aux enfants (sauf, dans le cas de Radio‑Canada, au cours des "émissions familiales"). Par conséquent, l'interdiction que le Québec impose à la publicité destinée aux enfants n'est pas disproportionnée en comparaison des mesures adoptées dans d'autres ressorts. De plus, les mesures législatives visant à protéger des groupes vulnérables ne se limitent pas nécessairement au plus petit commun dénominateur des mesures prises ailleurs. Selon des objectifs plus limités que ceux que recherche le Québec, il se peut que certains gouvernements concluent raisonnablement que l'autodiscipline est un moyen approprié de régler le problème de la publicité destinée aux enfants. Mais ayant conclu que la publicité destinée aux personnes de moins de 13 ans était en soi manipulatrice, le législateur québécois pouvait tout aussi raisonnablement conclure que la seule solution législative efficace était de l'interdire.
En résumé, la preuve montre le caractère raisonnable de la conclusion du législateur que l'interdiction de la publicité commerciale destinée aux enfants constituait l'atteinte minimale à la liberté d'expression qui répondait à l'objectif urgent et réel de protéger les enfants contre la manipulation qu'exerce la publicité. Bien que, selon la preuve, le gouvernement dispose d'autres options comportant une intrusion moindre qui répondent à des objectifs plus modestes, la preuve démontre aussi la nécessité d'interdire la publicité pour parvenir aux objectifs que le gouvernement s'est raisonnablement fixés. Cette Cour n'adoptera pas une interprétation restrictive de la preuve en matière de sciences humaines, au nom du principe de l'atteinte minimale, et n'obligera pas les législatures à choisir les moyens les moins ambitieux pour protéger des groupes vulnérables. Néanmoins, les conclusions du gouvernement doivent s'appuyer sur des éléments de preuve solides. Dans l'arrêt Ford, aucun élément de preuve n'avait été présenté pour démontrer que l'exclusion de toutes les langues autres que le français était nécessaire pour parvenir à l'objectif visé qui était de protéger la langue française et de refléter la réalité de la société québécoise. Les éléments de preuve présentés établissaient tout au plus qu'une nette prédominance de la langue française dans le "visage linguistique" serait proportionnelle à cet objectif. La Cour était prête à reconnaître au gouvernement une certaine latitude dans cette évaluation même s'il existait des mesures constituant une intrusion moindre, comme exiger que le français soit aussi en évidence que toute autre langue. Mais il fallait quand même fournir des éléments de preuve à l'appui de la conclusion que les moyens choisis étaient proportionnels aux fins poursuivies et qu'ils portaient le moins possible atteinte à la liberté d'expression. Dans l'arrêt Ford, ces éléments de preuve étaient inexistants.
iii.Les effets préjudiciables
En l'espèce, on ne laisse pas entendre que les effets de l'interdiction sont tellement sévères qu'ils l'emportent sur l'objectif urgent et réel du gouvernement. Il est toujours loisible aux annonceurs d'adresser leur message aux parents et aux autres adultes. Ils sont également libres de participer à la publicité éducative. La véritable préoccupation à l'origine de la contestation de la loi est qu'elle touche les revenus dans une certaine mesure. Cela signifie simplement que les annonceurs devront inventer de nouvelles stratégies de commercialisation des produits pour enfants. Il n'y a donc aucun risque "qu'en raison de la gravité [des] effets préjudiciables [de la mesure] sur des particuliers ou sur des groupes, la mesure ne soit pas justifiée par les objectifs qu'elle est destinée à servir" (Oakes, à la p. 140). Le dernier élément du critère de proportionnalité est respecté. Par opposition, dans l'arrêt Ford, le procureur général du Québec avait souligné l'importance du "visage linguistique" pour l'identité et la culture francophones et, pourtant, la mesure prise avait pour effet d'interdire la manifestation publique de l'identité et la culture des non‑francophones.
c.Conclusion
À partir des documents relatifs à l'article premier et à l'art. 9.1, nous concluons que les art. 248 et 249 apportent une restriction raisonnable à la liberté d'expression et que la loi est donc valide en application de l'article premier de la Charte canadienne et de l'art. 9.1 de la Charte québécoise.
VIII -Les articles 248 et 249 portent‑ils atteinte à l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?
Il nous reste à examiner une question. L'intimée affirme que les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur portent atteinte à l'art. 7 de la Charte. Selon son argument, la loi pourrait apporter une restriction à la liberté qui ne serait pas conforme aux principes de justice fondamentale. L'intimée soutient que l'art. 278 de la Loi sur la protection du consommateur, en corrélation avec les art. 248 et 249, prévoit des sanctions pénales fondées sur une interdiction dont le manque de précision est inadmissible. L'appelant n'a pas pris position sur la question de savoir si les principes de justice fondamentale font jouer la "doctrine de l'imprécision". Son argument est simplement que la loi n'est pas imprécise, argument accepté par le juge Vallerand qui est le seul, en Cour d'appel, à en avoir traité.
Nous avons décidé dans le contexte de l'analyse en vertu de l'article premier que les art. 248 et 249 ne sont pas imprécis, quant aux allégations relatives à la confusion, à la contradiction ou au pouvoir discrétionnaire des tribunaux. Ainsi, il ne serait possible de les contester en vertu de l'art. 7 que si on appliquait à la sanction pénale un critère plus sévère du caractère imprécis.
Cependant une question doit logiquement précéder celle de l'imprécision, celle de savoir si les sociétés peuvent invoquer l'art. 7 de la Charte. Afin de bien comprendre les arguments de l'intimée à cet égard, nous reproduisons le régime des peines que la loi prévoit lorsqu'il y a violation des art. 248 et 249.
278. Une personne autre qu'une corporation qui est coupable d'une infraction constituant une pratique interdite ou qui enfreint les paragraphes b, c, d, e ou f de l'article 277 est passible:
a) pour une première infraction, d'une amende de $200 à $5 000;
b) pour une infraction subséquente à une même disposition de la présente loi ou d'un règlement commise dans un délai de deux ans, d'une amende de $400 à $10 000, d'un emprisonnement d'au plus six mois ou à la fois d'une amende et d'un emprisonnement.
Une corporation coupable d'une infraction visée à l'alinéa précédent est passible d'une amende minimale cinq fois plus élevée et d'une amende maximale dix fois plus élevée que celles qui sont prévues à l'alinéa précédent.
L'article 215 prévoit que les art. 248 et 249 constituent des "pratiques interdites" au sens de l'article précédent:
215. Constitue une pratique interdite aux fins du présent titre une pratique visée par les articles 219 à 251.
282. Lorsqu'une corporation commet une infraction à la présente loi ou à un règlement, un administrateur ou un représentant de cette corporation qui avait connaissance de l'infraction est réputé être partie à l'infraction et est passible de la peine prévue aux articles 278 ou 279 pour une personne autre qu'une corporation, à moins qu'il n'établisse à la satisfaction du tribunal qu'il n'a pas acquiescé à la commission de cette infraction.
La peine d'emprisonnement est clairement envisagée lorsqu'il y a violation, entre autres, des art. 248 et 249 de la loi. Il va de soi qu'une société ne peut faire l'objet d'une peine d'emprisonnement. En vertu de l'art. 282 de la loi, les administrateurs de sociétés sont réputés être parties aux infractions perpétrées par la société et sont donc passibles des peines énumérées ci-dessus. Ce sont donc les administrateurs et les représentants des sociétés qui risquent, selon la loi, de subir une restriction de liberté du genre de celle envisagée dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486. En l'espèce, les poursuites concernent une compagnie et non des individus. Dans le contexte d'une restriction physique à la liberté, il appartiendrait aux dirigeants d'une société dont la conduite est contraire à l'art. 282 de la loi de soulever en vertu de l'art. 7 des arguments fondés sur l'absence de précision ou sur l'attribution à des individus d'une responsabilité qui revient à la société. Ce n'est pas le cas en l'espèce.
Pour invoquer des arguments fondés sur l'art. 7 dans un cas comme celui‑ci, où les dirigeants de la société ne sont pas identifiés comme des parties à l'instance, la société devrait faire valoir qu'on a porté atteinte à sa vie, à sa liberté ou à la sécurité de sa personne d'une manière qui n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale. À notre avis, une société ne peut invoquer la protection qu'offre l'art. 7 de la Charte. Premièrement, nous aurions à établir de quelle manière une société peut être privée du droit "à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne". Nous avons déjà souligné que c'est un non‑sens de dire d'une société qu'elle est condamnée à l'emprisonnement. Affirmer qu'une procédure de faillite et de liquidation fait intervenir l'art. 7, reviendrait à fausser complètement le sens du droit à la vie. Le seul autre argument est de prétendre que les sociétés sont protégées contre la privation d'une sorte de "liberté économique".
Plusieurs raisons nous amènent à rejeter cet argument. Il est utile de citer encore l'art. 7:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
Ce qui frappe immédiatement dans cet article c'est l'inclusion de l'expression "la sécurité de sa personne" par opposition à "propriété". Cela contraste avec la formulation classique libérale qui, par exemple, a été adoptée dans les Cinquième et Quatorzième amendements de la Constitution américaine, qui prévoient que nul ne sera privé [TRADUCTION] "de la vie, de la liberté et de sa propriété sans l'application régulière de la loi". À notre avis, l'exclusion intentionnelle de la propriété de l'art. 7 et son remplacement par la "sécurité de sa personne" a un double effet. Premièrement, cela permet d'en déduire globalement que les droits économiques, généralement désignés par le terme "propriété", ne relèvent pas de la garantie de l'art. 7. Cela ne signifie pas cependant qu'aucun droit comportant un élément économique ne peut être visé par l'expression "sécurité de sa personne". Les tribunaux d'instance inférieure ont conclu que la rubrique des "droits économiques" couvre un vaste éventail d'intérêts qui comprennent tant certains droits reconnus dans diverses conventions internationales -- tels la sécurité sociale, l'égalité du salaire pour un travail égal, le droit à une alimentation, un habillement et un logement adéquats -- que les droits traditionnels relatifs aux biens et aux contrats. Ce serait agir avec précipitation, à notre avis, que d'exclure tous ces droits alors que nous en sommes au début de l'interprétation de la Charte. À ce moment‑ci, nous ne voulons pas nous prononcer sur la question de savoir si ces droits économiques, fondamentaux à la vie de la personne et à sa survie, doivent être traités comme s'ils étaient de la même nature que les droits économiques des sociétés commerciales. Ce faisant, nous concluons que l'inclusion de l'expression "sécurité de sa personne" à l'art. 7 a comme deuxième effet de n'accorder aucune protection constitutionnelle aux droits économiques d'une société.
En effet il nous semble que, pris globalement, cet article avait pour but d'accorder une protection à un niveau individuel seulement. Une lecture ordinaire, conforme au bon sens, de la phrase "[c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne" fait ressortir l'élément humain visé; seul un être humain peut avoir ces droits. Le terme "chacun" doit donc être lu en fonction du reste de l'article et défini de façon à exclure les sociétés et autres entités qui ne peuvent jouir de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne, et de façon à ne comprendre que les êtres humains. À cet égard, l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, ne trouve aucune application. Il n'y a aucune poursuite pénale en cours en l'espèce de sorte que le principe formulé dans l'arrêt Big M Drug Mart n'entre pas en jeu.
IX -Dispositif et réponses aux questions constitutionnelles
Pour ces motifs, le pourvoi est accueilli avec dépens et les réponses aux questions constitutionnelles sont les suivantes:
1.L'article 364 de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chap. P‑40.1, ajouté par l'art. 1 de la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982, L.Q. 1982, chap. 21, est‑il incompatible avec les dispositions de l'art. 33 de la Loi constitutionnelle de 1982 et partant ultra vires ou inopérant dans la mesure de cette incompatibilité aux termes du par. 52(1) de cette dernière loi?
Réponse:Non, sauf dans la mesure où l'art. 7 de la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982, L.Q. 1982, chap. 21, lui accorde un effet rétroactif. Cependant, puisque l'effet de l'art. 364 a pris fin le 23 juin 1987, il n'existe plus de disposition dérogatoire valide et en vigueur.
2.Si la question 1 reçoit une réponse affirmative, les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur portent‑ils atteinte aux droits, libertés et garanties prévus à l'al. 2b) et à l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, et si oui, ces articles sont‑ils justifiés compte tenu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
Réponse:Les articles 248 et 249 portent atteinte à l'al. 2b) de la Charte canadienne et à l'art. 3 de la Charte québécoise mais sont justifiés en application de l'article premier de la Charte canadienne et de l'art. 9.1 de la Charte québécoise. L'intimée ne peut invoquer l'art. 7 de la Charte canadienne.
3.Les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur sont‑ils ultra vires de la législature de la province de Québec ou sont‑ils dans quelque mesure inopérants par application de l'art. 3 de la Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B‑11?
Réponse:Non.
//Le juge McIntyre//
Version française des motifs des juges Beetz et McIntyre rendus par
LE JUGE McINTYRE (dissident) -- J'ai eu l'avantage de lire les motifs de la majorité dans ce pourvoi. Ils énoncent les faits ainsi que les dispositions législatives et réglementaires en cause. Je n'ai donc pas besoin d'y revenir. Ils énoncent également les questions constitutionnelles formulées par le juge Beetz quant aux points litigieux dans cette affaire.
Je souscris à la réponse donnée par mes collègues à la première question: puisque l'effet de l'art. 364 de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chap. P‑40.1, a pris fin, il n'existe plus de disposition dérogatoire valide et en vigueur qui puisse influencer l'issue de ce pourvoi. Je souscris aussi à la réponse donnée à la troisième question: les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur ne sont pas ultra vires de l'Assemblée nationale du Québec et ces dispositions ne sont pas privées de leur effet par l'application de l'art. 3 de la Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B‑11. Mon point de désaccord avec mes collègues tient à leur réponse à la deuxième question. Si je conclus, comme eux, que les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur enfreignent l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et l'art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., chap. C-12, je ne suis pas d'accord pour dire qu'ils peuvent être justifiés en vertu de l'article premier de la Charte canadienne ou de l'art. 9.1 de la Charte québécoise.
Je préfère ne pas tenter, dans les présents motifs, de définir les limites de l'application de l'al. 2b) de la Charte et de délimiter, en termes généraux, le champ des activités protégées par cet alinéa. Je me contenterai de faire observer que cette Cour, dans Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, a décidé que l'expression commerciale était protégée par l'al. 2b). Voici ce que la Cour a dit, aux pp. 766 et 767:
Étant donné que cette Cour a déjà affirmé à plusieurs reprises que les droits et libertés garantis par la Charte canadienne doivent recevoir une interprétation large et libérale, il n'y a aucune raison valable d'exclure l'expression commerciale de la protection de l'al. 2b) de la Charte. Notons que les tribunaux d'instance inférieure ont eu recours au même genre d'interprétation large et généreuse pour faire bénéficier l'expression commerciale de la protection accordée à la liberté d'expression de l'art. 3 de la Charte québécoise. Au‑delà de sa valeur intrinsèque en tant que mode d'expression, l'expression commerciale qui, répétons‑le, protège autant celui qui s'exprime que celui qui l'écoute, joue un rôle considérable en permettant aux individus de faire des choix économiques éclairés, ce qui représente un aspect important de l'épanouissement individuel et de l'autonomie personnelle. La Cour rejette donc l'opinion selon laquelle l'expression commerciale ne sert aucune valeur individuelle ou sociale dans une société libre et démocratique et, pour cette raison, ne mérite aucune protection constitutionnelle.
Il est donc évident que les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur restreignent des formes d'expression qui bénéficient de la protection de l'al. 2b). Puisque je suis d'accord que les deux articles, qui interdisent la publicité destinée aux enfants, enfreignent un droit protégé par l'al. 2b), la seule question à trancher est de savoir si les articles peuvent être justifiés comme limites raisonnables en vertu de l'article premier de la Charte.
L'importance de la liberté d'expression
La liberté d'expression est une liberté fondamentale garantie par l'al. 2b). Son importance et sa valeur ne peuvent certainement pas être mises en doute. Mes collègues l'admettent et citent divers textes qui reconnaissent l'importance du principe. Ils citent le juge Cardozo, dans Palko v. Connecticut, 302 U.S. 319 (1937), à la p. 327, qui décrit la liberté d'expression comme [TRADUCTION] "la matrice, l'élément essentiel de presque toute autre forme de liberté", ainsi que le juge Rand, dans Switzman v. Elbling, [1957] R.C.S. 285, à la p. 306, qui l'estime [TRADUCTION] "tout aussi vitale à l'esprit humain que l'est la respiration à l'existence physique de l'individu". Ils citent d'autres textes sur ce point. Je ferai observer aussi que la liberté d'expression est reconnue depuis longtemps au Canada comme un principe d'importance fondamentale et même que, bien avant l'adoption de la Charte, les tribunaux canadiens ont élevé ce principe à un statut virtuellement constitutionnel (voir SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, aux pp. 584 à 586).
L'article premier
Il est bien établi que, pour déroger à une garantie constitutionnelle, le gouvernement qui préconise une limite imposée par une règle de droit doit démontrer l'existence d'un but ou d'un objectif répondant à une préoccupation réelle et urgente. Il est certain que promouvoir le bien‑être des enfants est un objectif qui répond à une préoccupation urgente et réelle pour tout gouvernement.
Mais peut‑on dire que la publicité télévisée destinée aux enfants met en danger leur bien‑être? Je ne suis pas convaincu que cela a été démontré. Certaines preuves soumises indiquent que les jeunes enfants sont incapables de faire une distinction entre la réalité et la fiction dans la publicité. Ce n'est pas surprenant: bien des adultes ont le même problème. Toutefois, les enfants ne restent pas des enfants. Ils grandissent et, s'il est sans doute vrai que la publicité destinée aux enfants est une source d'irritation pour les parents, il n'a nullement été démontré qu'elle fait du tort aux enfants. Les enfants vivent dans le monde de la fiction, de l'imaginaire et du semblant. La littérature enfantine se fonde sur ces concepts. Lorsqu'ils mûrissent, les enfants évoluent et on peut s'attendre à ce qu'ils se mettent hors de la portée de tout mal qui pourrait résulter de la publicité. À mon avis, il n'a aucunement été prouvé qu'il y a danger pour les enfants. De plus, même si je pouvais parvenir à une autre conclusion, je serais d'avis par ailleurs que la restriction doit échouer sur la question de la proportionnalité. Une interdiction totale de la publicité télévisée destinée aux enfants jusqu'à un certain âge fixé arbitrairement indique qu'il n'a pas été tenté de satisfaire à l'exigence de proportionnalité.
En conclusion, je dirai que la liberté d'expression est trop importante pour être écartée ou restreinte à la légère. Il est ironique de constater que la plupart des restrictions à la liberté d'expression, et donc au droit à la connaissance et à l'information, sont justifiées par l'argument que cette restriction est pour le bien de ceux dont les droits seront limités. C'est ce postulat qui a amené l'église primitive à restreindre l'accès à l'information et même à interdire la diffusion et la lecture des Écritures dans une langue comprise par le peuple. L'argument selon lequel la liberté d'expression était dangereuse a été utilisé pour faire opposition à l'instruction publique à ses débuts ou pour la limiter. L'instruction pour les femmes a subi un grand retard parce qu'on disait que de plus larges connaissances ne feraient que les rendre insatisfaites de leur rôle dans la société. Je ne dis pas que les limites imposées par les art. 248 et 249 sont d'une importance colossale ni que leur maintien causerait un dommage irréparable. Je dis cependant que ces limites représentent une brèche dans un principe d'importance vitale pour une société libre et démocratique et que, pour cette raison, même s'il pouvait être démontré que la publicité du type de celle qui est interdite a été préjudiciable à un ou plusieurs enfants, je serais quand même d'avis de ne pas maintenir cette restriction. Notre préoccupation devrait être de reconnaître qu'au cours de ce siècle, nous avons été les témoins de la corruption profonde de sociétés tout entières par la suppression de la libre expression. Nous ne devrions pas à la légère faire un pas, même petit, dans cette direction.
Il faut admettre que la liberté d'expression, malgré son importance particulière, est, comme tous les droits, sujette à restrictions. Elle n'est pas absolue. On a souvent dit que personne n'a le droit de crier "au feu" dans une salle de spectacles remplie de spectateurs. Cela illustre un cas extrême et parfaitement clair, mais il y aura, bien sûr, d'autres situations dans lesquelles il sera nécessaire, et donc justifié, de restreindre ce droit. Mais tel n'est pas, à mon avis, le cas en l'espèce. La liberté d'expression, qu'elle soit politique, religieuse, artistique ou commerciale, ne devrait être supprimée que dans des cas où existent des motifs urgents et impératifs de le faire, et seulement alors dans la mesure et pour le temps nécessaire à la protection de la collectivité.
À mon avis, on ne peut trouver de justification à ces articles en vertu de l'article premier de la Charte. Je rejetterais donc le pourvoi et répondrais à la deuxième question constitutionnelle de la manière suivante:
2.Si la question 1 reçoit une réponse affirmative, les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur portent‑ils atteinte aux droits, libertés et garanties prévus à l'al. 2b) et à l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, et si oui, ces articles sont‑ils justifiés compte tenu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
Réponse:Les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur violent l'al. 2b) de la Charte canadienne et l'art. 3 de la Charte québécoise et ne sont pas justifiés en vertu de l'article premier de la Charte canadienne ni de l'art. 9.1 de la Charte québécoise. En accord avec la majorité, je conclus que l'art. 7 de la Charte canadienne ne peut être invoqué par l'intimée.
Pourvoi accueilli avec dépens, les juges BEETZ et McINTYRE sont dissidents.
Procureurs de l'appelant: Jean-K. Samson et Yves de Montigny, Ste‑Foy.
Procureurs de l'intimée: Heenan, Blaikie, Montréal; Robert, Dansereau, Barré, Marchessault & Lauzon, Montréal.
Procureurs de l'intervenant Gilles Moreau: Valois & Associés, Montréal.
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Richard F. Chaloner, Toronto.
Procureur de l'intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick: Gordon F. Gregory, Fredericton.
Procureur de l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique: Le procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.
Procureur de l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan: Brian Barrington-Foote, Regina.
Procureurs des intervenants Pathonic Communications Inc. et Réseau Pathonic Inc.: Ogilvy, Renault, Montréal.
Procureurs de l'intervenante la Coalition contre le retour de la publicité destinée aux enfants: Legros & Lajoie, Anjou.