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Cour suprême du Canada

Droit administratif—Police—Renvoi—L’appelant, un stagiaire, renvoyé par le chef de police—Motifs du renvoi ambigus—Pouvoir de renvoi conféré exclusivement au Comité (Board of Police Commissioners)—Ratification par le Comité du renvoi sans adopter de résolution, sans rédiger de procès-verbal et sans entendre ni aviser l’appelant—Validité du renvoi—The Police Act, R.S.O. 1970, chap. 351, art. 29—Règlement 680, art. 27b).

L’appelant était employé par l’intimé comme agent de police en stage et, en vertu de l’art. 9 de la convention collective qui lie l’Association des policiers de Sarnia (dont il est devenu membre) et l’intimé, il était susceptible de renvoi «sans avis, sans qu’il soit tenu compte du Code de discipline policière et sans procès ni audition devant le Comité, à tout moment au cours de la¼ période [de 18 mois après son entrée en fonction]». La convention collective a été conclue en application de l’art. 29 de The Police Act. En vertu de l’art. 9 de la convention collective et de l’al. 27b) du Règlement 680 établi en vertu de The Police Act, le pouvoir de renvoyer appartient exclusivement au Comité.

L’appelant en compagnie d’un autre agent de police prenait un verre dans une taverne d’une municipalité voisine lorsque, suite à une bagarre, la police de l’endroit a été appelée. En vertu de The Police Act, la conduite de l’autre agent de police a fait l’objet d’une enquête à laquelle l’appelant a témoigné. Le lendemain il a été informé de son renvoi par le chef de police. Au cours de son témoignage, le chef de police a déclaré avoir précisé à la demande de l’appelant le motif de son renvoi «stage insatisfaisant—pas ce à quoi on s’attendait». Le chef de police déclare dans son témoignage que, bien qu’il n’ait pas assisté en personne à l’enquête, on lui a dit que l’appelant devait être renvoyé parce qu’il avait menti

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sous serment. Le Comité intimé a ultérieurement été avisé du congédiement et, bien qu’aucune décision n’ait encore été rendue à l’enquête, il a confirmé le renvoi sans adopter de résolution, ni rédiger de procès-verbal et sans avoir convoqué l’appelant devant lui ni l’avoir avisé qu’il était effectivement renvoyé.


La Cour divisionnaire de l’Ontario a conclu à l’unanimité que le comité de police compétent aurait pu confirmer le renvoi effectué par le chef de police si la résolution nécessaire à cette fin avait été adoptée. L’ordonnance de la Cour divisionnaire enjoignant la réintégration de l’appelant a été infirmée par un arrêt majoritaire de la Cour d’appel de l’Ontario.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

On ne doit pas priver un agent de police de son statut à la légère par une mesure non autorisée Puisque le Comité intimé n’a pas dit à l’appelant qu’il était congédié, celui-ci était fondé à croire que le chef de police l’avait congédié. La convention collective confère exclusivement au Comité intimé le pouvoir de renvoi qui ne peut être délégué. La possibilité que l’appelant aurait eu de se défendre n’en est pas une puisqu’il s’agissait d’une défense devant une personne qui n’avait aucun pouvoir de renvoi, soit le chef de police. Il est loin d’être évident que l’appelant connaissait le motif de son renvoi à l’époque. Le Comité intimé ne s’est pas acquitté du devoir que lui confère la loi en matière de renvoi puisqu’il n’a même pas fait savoir à l’appelant que son cas allait être examiné. Il n’y a pas eu de renvoi valable en droit.

Jurisprudence: Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1], qui a accueilli un appel interjeté d’un arrêt de la Cour divisionnaire de l’Ontario réintégrant l’appelant. Pourvoi accueilli.

Robert Murray, c.r., pour l’appelant.

H.W. Rowan, c.r., et Carl C. Fleck, c.r., pour l’intimé.

Dennis W. Brown, c.r., pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

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Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE EN CHEF—La question principale en l’espèce est de savoir si l’appelant Proctor, alors un agent de police en stage, a été légalement renvoyé. On peut noter des nuances entre cette affaire et l’arrêt de cette Cour, Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police[2], mais la solution appropriée de ce pourvoi ne dépend pas de cet arrêt.


La Cour divisionnaire de l’Ontario, saisie de la demande de révision du renvoi, a conclu à l’unanimité que, bien que ce soit le chef de police qui ait effectivement procédé au renvoi, le comité de police compétent pouvait le confirmer; cependant, une résolution était nécessaire à cette fin et aucune n’a été adoptée. Son ordonnance enjoignant la réintégration de l’appelant a été infirmée par un arrêt majoritaire de la Cour d’appel de l’Ontario. Les juges Brooke et Thorson ont conclu, pour des motifs différents, que l’appel devait être accueilli. Le juge Wilson, en dissidence, aurait rejeté l’appel.

L’appelant a formé ce pourvoi sur autorisation de cette Cour. Les faits essentiels ne sont pas contestés. The Board of Commissioners of Police (ci-après appelé le Comité) de Sarnia l’a engagé le 10 février 1975 comme agent de police de quatrième classe. Au début de l’année suivante, il est devenu agent de troisième classe. Il est néanmoins demeuré en stage et, en vertu de l’article 9 de la convention collective qui lie l’Association des policiers de Sarnia (dont il est devenu membre) et le Comité, il était susceptible de renvoi [TRADUCTION] «sans avis, sans qu’il soit tenu compte du Code de discipline policière et sans procès ni audition devant le Comité, à tout moment au cours de la¼ période [de 18 mois après son entrée en fonction]». La convention collective a été conclue en application de l’art. 29 de The Police Act, R.S.O. 1970, chap. 351, modifié par 1972 (Ont.), chap. 103. Je reviendrai à l’art. 29 plus loin dans ces motifs; je veux d’abord parler de l’al. 21b) du Règlement 680 établi en vertu de The Police Act. Cette disposition, qui a été examinée dans l’arrêt Nicholson, se lit comme suit:

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[TRADUCTION] 27. Un chef de police, officier ou autre agent de police n’est passible d’une peine en vertu de cette Partie qu’après audition et décision finale sur une accusation, selon la procédure d’appel prévue par cette Partie, ou après expiration du délai d’appel, mais rien aux présentes ne porte atteinte au pouvoir d’un comité ou d’un conseil,

¼

b) de mettre fin à l’emploi d’un agent de police dans les dix-huit mois suivant son entrée en fonction;

¼

Il est évident, tant en vertu de l’article 9 de la convention collective qu’en vertu de l’al. 27b) du Règlement, que le pouvoir de renvoyer appartient au Comité.


Le 14 mai 1976, Proctor a été convoqué devant le chef de police qui lui a dit que ses services n’étaient plus requis et qu’il devait remettre son équipement, ordre auquel Proctor a obtempéré. La preuve révèle que le 19 février 1976 Proctor, en compagnie d’un autre agent de police, un nommé Archer, prenait un verre dans une taverne d’une municipalité voisine. Suite à une bagarre, la police de l’endroit a été appelée et, en conséquence, Archer a été renvoyé. En vertu de The Police Act, la conduite d’Archer a fait l’objet d’une enquête à laquelle Proctor a témoigné. Aucune décision n’avait encore été rendue lorsque Proctor a été renvoyé. Proctor affirme dans son témoignage avoir alors demandé le motif de son renvoi au chef de police qui lui a répondu [TRADUCTION] «stage insatisfaisant—pas ce à quoi on s’attendait». Le chef de police déclare dans son témoignage que, bien qu’il n’ait pas assisté en personne à l’enquête Archer, on lui a dit que Proctor devait être renvoyé parce qu’il avait menti sous serment, probablement parce qu’il avait rendu un témoignage favorable à Archer. Je fais remarquer ici que l’enquête Archer a eu lieu le 13 mai et que Proctor a été renvoyé le lendemain.

L’avocat du Comité reconnaît que seul le Comité a le pouvoir de renvoyer un agent de police, qu’il s’agisse d’un agent en stage ou non, et que l’exercice de ce pouvoir ne peut être délégué au chef de police. Le dossier montre que le Comité a ultérieurement été avisé du congédiement et qu’il

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l’a examiné à la réunion du 1er juin 1976. Un membre a estimé que le congédiement était hâtif car aucune décision n’avait encore été rendue dans l’affaire Archer. Néanmoins, le Comité, apparemment à la majorité, a confirmé le renvoi. Aucune résolution n’a été adoptée (comme je l’ai déjà signalé), aucun procès-verbal n’a été rédigé, Proctor n’a jamais été convoqué devant le Comité et celui-ci ne l’a pas avisé qu’il était effectivement renvoyé.

En Cour d’appel, le juge Brooke, qui fait partie de la majorité, a pris comme point de départ que seul le Comité peut congédier un agent de police, bien que le chef puisse le suspendre en attendant que le Comité examine sa recommandation de renvoi. Il est toutefois d’avis qu’il faut appliquer les dispositions de la convention collective de façon réaliste et que, bien que la clarté de la preuve laisse quelque peu à désirer, il suffit de démontrer que la décision réelle de renvoi a été prise par le Comité. En outre, aucune résolution n’est nécessaire, contrairement à ce qu’a estimé la Cour divisionnaire. Je ne crois pas nécessaire de contester les conclusions du juge Brooke sur les faits ou sur son évaluation de la preuve. Il est évident que, puisque le Comité n’a pas dit à Proctor qu’il était congédié, celui-ci était fondé à croire que le chef de police l’avait congédié. Or, ce dernier n’avait pas le pouvoir de le faire. L’article 9 de la convention collective confère exclusivement au Comité le pouvoir de renvoi. On ne doit pas priver un agent de police de son statut à la légère comme c’est le cas en l’espèce, et encore moins par une mesure non autorisée.


Le juge Thorson, qui est arrivé à la même conclusion que le juge Brooke, est d’avis que l’art. 29 de The Police Act énumère de façon exhaustive les matières qui peuvent faire l’objet de négociations collectives entre le Comité et l’Association de policiers de Sarnia. Voici les paragraphes pertinents de cet article.

[TRADUCTION] 29. (1) Une majorité des membres de la force policière peut, lorsque aucune convention n’est en vigueur ou dans les quatre-vingt-dix jours qui précèdent la date à laquelle une convention viendrait à expiration si ce n’était de l’article 36, donner un avis écrit au conseil municipal ou au comité, le cas échéant, de son désir de négocier en vue d’en arriver à un accord sur une

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convention ou sur le renouvellement, avec ou sans modification, de la convention alors en vigueur ou sur une nouvelle convention.

(2) Lorsqu’un avis a été donné en vertu du paragraphe (1), le conseil municipal ou le comité, le cas échéant, doit se réunir avec le comité de négociation des membres de la force policière dans les quinze jours de l’avis ou dans tout autre délai dont les parties conviennent; les parties doivent négocier de bonne foi et déployer tout effort raisonnable pour en arriver à un accord sur une convention écrite qui définit et fixe la rémunération, les pensions, les congés de maladie, la procédure de grief ou les conditions de travail des membres de la force policière, autres que le chef de police et tout chef de police adjoint, à l’exception des conditions de travail régies par un règlement établi par le lieutenant-gouverneur en conseil sous le régime de la présente loi.

¼


Le savant juge est d’avis que l’art. 9 de la convention collective excède la portée de l’art. 29 précité et qu’il ne s’agit pas d’une «condition de travail». Ainsi, on ne peut pas l’invoquer (contrairement à ce qu’a estimé le juge Brooke) comme fondement du pouvoir de congédier un agent de police en stage sans respecter les exigences de l’arrêt Nicholson, savoir donner un avis des motifs du renvoi et accorder une possibilité équitable de se défendre. Le juge Thorson conclut cependant que Proctor savait pourquoi il était renvoyé, qu’il était inutile de le préciser formellement et qu’il a eu la possibilité de se défendre. Il me semble que la possibilité qu’il aurait eue de se défendre n’en est pas une puisqu’il s’agissait d’une défense devant une personne, le chef de police, qui, de l’aveu général, n’a aucun pouvoir de renvoi. Il est loin d’être évident que Proctor connaissait le motif de son renvoi à l’époque. Le savant juge ne dit pas quel est ce motif, si c’est le fait que Proctor était avec Archer lorsque ce dernier a participé à une bagarre dans une taverne ou si c’est la déclaration postérieure que le chef de police a faite non pas à Proctor mais dans son témoignage, et fondée sur un rapport venant de tiers, que Proctor avait menti sous serment à l’enquête Archer. Il a néanmoins conclu (d’accord avec le juge Brooke) que la preuve étaye l’opinion que le Comité a pris la décision de renvoyer Proctor et que cette décision est valable.

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C’est une conclusion étrange si l’on considère que le Comité n’a rien dit à Proctor, ne l’a pas vu et n’a pas communiqué par écrit avec lui et que, suivant le dossier, c’est le chef de police qui a procédé au renvoi. Madame le juge Wilson est dans une position inattaquable lorsqu’elle dit que le Comité n’a pas pu s’acquitter du devoir que lui confère la loi en matière de renvoi puisqu’il n’a même pas fait savoir à Proctor que son cas allait être examiné. Bref, il n’y a pas eu de renvoi valable en droit.

L’avocat du Comité intimé a cherché à s’appuyer sur une déclaration que l’avocat de Proctor a faite en refusant de laisser son client répondre à une question au contre-interrogatoire sur son affidavit. En formulant son objection, l’avocat de Proctor a notamment dit [TRADUCTION] «nous ne contestons pas le bien-fondé du renvoi». Le contexte de la déclaration complète est suffisamment clair: la question pertinente était de savoir si le chef de police avait le pouvoir d’effectuer le renvoi. Je n’accorde aucune valeur au point soulevé par l’avocat du Comité, point qu’il n’a même pas invoqué devant les tribunaux d’instance inférieure.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario et de rétablir l’ordonnance de la Cour divisionnaire assortie de l’ordre additionnel d’accorder à Proctor le statut auquel il aurait eu droit s’il n’avait pas été illégalement congédié. L’appelant a droit aux dépens dans toutes les cours, mais il n’y aura pas d’adjudication de dépens à l’égard du procureur général de l’Ontario dont la Loi exigeait l’intervention.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs pour l’appelant: McEachran & Associates, Sarnia.

Procureurs pour l’intimé: Rowan & Temple, Toronto.

Procureur pour l’intervenant: Dennis W. Brown, Toronto.

 

 



[1] (1979), 24 O.R. (2d) 715, (1980), 99 D.L.R. (3d) 356.

[2] [1979] 1 R.C.S. 311.

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