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Cour Suprême du Canada

Testament—Don à X et ses héritiers—Legs mixte de biens meubles et immeubles—Substitution ou dévolution du droit de propriété.

Dans leurs testaments respectifs, Frank Clinton Ottewell et son frère, Fred S. Ottewell, se sont légué mutuellement l’universalité de leurs biens. Le testament de Frank était rédigé dans les mêmes termes que celui de Fred, mutatis mutandis. Fred est décédé quelque deux ans et demi avant Frank et sa succession, composée uniquement de biens mobiliers, est passée à son frère. Le testateur Frank est décédé et a laissé dans sa succession des biens meubles et des biens immeubles.

L’appelante est la fille unique et la seule parente de Fred. Les intimés, de même que l’appelante, sont les parents de Frank habiles à lui succéder ab intestat. En revendiquant la totalité du résidu de la succession de Frank, l’appelante prétend que les mots qui terminent la clause du legs résiduaire «pour les posséder, lui, ses héritiers, ses exécuteurs et administrateurs de façon absolue et à perpétuité» impliquent une substitution et non une dévolution du droit de propriété. Le juge en chambre et la majorité de la Chambre d’appel ont statué que les mots en question sont des termes de dévolution de propriété et, en conséquence, ont rejeté la réclamation de l’appelante.

Arrêt: L’appel doit être rejeté.

Les termes du testament en question sont depuis longtemps interprétés comme indiquant la dévolution de la propriété et non une substitution. Il n’est plus nécessaire de les insérer pour léguer la pleine pro-

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priété d’immeubles et ils sont impropres dans un legs de biens meubles; mais cela ne change ni leur sens ni leur effet. La règle que le legs de biens mobiliers à une personne et à ses héritiers a pour effet de transmettre à la personne nommée la pleine propriété s’applique également aux legs mixtes de biens meubles et immeubles.

Le sens du testament est clair; il ne comporte aucune ambiguïté. L’examen des circonstances qui ont entouré sa signature ne révèle aucune ambiguïté cachée, et elles ne sont donc pas pertinentes.

Arrêt suivi: In re McElligott; Grant v. McElligott, [1944] Ch. 216 à 219.

APPEL d’un jugement de la Chambre d’appel de la Cour suprême d’Alberta[1], rejetant un appel d’un jugement du Juge en Chef Milvain de la Division de première instance. Appel rejeté.

A.G. Macdonald, c.r., pour l’appelante.

P.M. Owen, c.r., et G.D. Lavallée, c.r., pour les intimés.

B.D. Patterson, pour les exécuteurs.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE EN CHEF—Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la Chambre d’appel de la Cour Suprême d’Alberta1 rendu le 23 juillet 1969, rejetant l’appel d’une décision du Juge en chef Milvain de la Division de première instance rendue le 27 novembre 1968. Le Juge d’appel Porter était dissident et il aurait accueilli l’appel.

La requête présentée au Juge en chef Milvain tendait à faire interpréter le testament de feu Frank Clinton Ottewell, décédé le 30 décembre 1967 et ayant laissé dans sa succession des immeubles estimés à $158,000 et des biens meubles estimés à $194,661.14, et à faire déterminer quels sont les ayants droit au résidu de la succession.

Il s’agit d’un testament simple, rédigé dans les termes suivants:

[TRADUCTION] CECI EST LE TESTAMENT du soussigné, FRANK CLINTON OTTEWELL, demeurant à Clover Bar dans la province d’Alberta.

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JE REVOQUE PAR LES PRÉSENTES tous testaments et toutes dispositions testamentaires quelconques que j’ai faits avant ce jour.

J’INSTITUE, NOMME ET DÉSIGNE Guy Patterson et Bruce D. Patterson, ou le survivant d’entre eux, les exécuteurs et fiduciaires de mon présent testament et je les appelle ci-après mes fiduciaires.

JE lègue à l’Église-Unie de Clover Bar le produit de la police d’assurance-vie de la Mutual Life au montant de deux mille dollars ($2,000). Ladite Église-Unie de Clover Bar disposera du produit susdit comme elle l’entendra.

JE DONNE, LÈGUE ET ABANDONNE à mon frère Fred S. Ottewell, le reste et résidu de tous mes biens meubles et immeubles en quoi qu’ils puissent consister et où qu’ils puissent se trouver pour les posséder, lui, ses héritiers, ses exécuteurs et administrateurs de façon absolue et à perpétuité.

EN FOI DE QUOI j’ai, moi ledit FRANK CLINTON OTTEWELL, testateur, signé mon présent testament ce 19e jour de juin 1957.

Vient ensuite l’attestation dans sa forme habituelle, l’un des témoins étant Bruce D. Patterson.

La question qui se pose est celle du sens véritable et de l’effet du legs universel, Fred S. Ottewell étant décédé le 15 juin 1965, donc avant le testateur. L’appelante, fille unique et seule parente de Fred. S. Ottewell revendique la totalité du résidu. Les intimés prétendent que le résidu se divise entre les plus proches parents du testateur. Si leur prétention est accueillie, l’appelante n’aura droit qu’à un huitième de ce résidu.

Certains faits, outre ceux que j’ai mentionnés plus haut, ont été admis devant les Cours d’Alberta. Je vais les énoncer sans m’arrêter à examiner leur pertinence.

Frank C. Ottewell et son frère jumeau Fred S. Ottewell étaient cultivateurs dans le district de Clover Bar, en Alberta. Lors du décès de Fred, ils habitaient ensemble depuis quelques années. Frank C. Ottewell, le testateur, était célibataire; son frère, Fred S. Ottewell, était divorcé. Ce dernier a fait son testament le 5 mai 1957 et Frank C. Ottewell a fait le sien le 19 juin 1957. Le testament de Frank C. Ottewell était rédigé

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dans les mêmes termes que celui de Fred S. Ottewell, mutatis mutandis, sauf le legs à l’Église-Unie de Clover Bar au testament de Frank C. Ottewell, ils se léguaient mutuellement l’universalité de leurs biens. Les deux testaments ont été rédigés par les mêmes avocats, à Edmonton et l’avocat Bruce D. Patterson a attesté les deux à titre de témoin. Lorsqu’ils ont signé leurs testaments les jumeaux Ottewell avaient 52 ans et l’appelante avait 30 ans. Outre l’appelante, les plus proches parents de Frank C. Ottewell habiles à lui succéder ab intestat en 1957 étaient:

—un frère de 75 ans

—une soeur de 74 ans

—un frère de 71 ans

—une soeur de 78 ans

—un frère de 70 ans

—trois nièces de 21, 18 et 14 ans respectivement, filles d’un frère prédécédé en 1950

—une soeur qui est décédée en 1961 laissant un fils âgé de 41 ans en 1957.

Fred S. Ottewell est décédé le 15 juin 1965; sa succession composée de biens mobiliers avait une valeur nette de $125,862.98. Elle est passée à son frère, Frank C. Ottewell.

L’appelante prétend que les mots qui terminent la clause du legs résiduaire «pour les posséder, lui, ses héritiers, ses exécuteurs et administrateurs de façon absolue et à perpétuité» impliquent une substitution et non une dévolution du droit de propriété. Je ne puis trouver de fondement à cette théorie ni dans l’abondante jurisprudence citée à l’audition, ni dans la doctrine. Des décisions comme l’affaire In Re Marshall Estate[2] où il s’agit de testaments dans lesquels le legs ou la disposition sont «à X ou ses héritiers» ne sont d’aucune utilité. Les termes du testament que nous examinons sont depuis longtemps interprétés comme indiquant la dévolution de la propriété et non une substitution. Il est bien vrai qu’il n’est plus nécessaire de les insérer pour léguer la pleine propriété d’immeubles et que, comme le fait remarquer le Juge Vaisey dans l’affaire In re McElligott; Grant v. McElligott[3], ils sont impropres dans un

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legs de biens meubles, mais cela ne change ni leur sens ni leur effet. Je suis d’accord avec le Juge Vaisey quand il dit, dans ses motifs de jugement dans la dernière affaire susmentionnée, cités par le Juge d’appel Johnson:

[TRADUCTION] …sans aucun doute possible, je crois, le legs de biens mobiliers à une personne et à ses héritiers a pour effet de transmettre à la personne nommée la pleine propriété, ses termes étant suffisants à cette fin bien qu’ils soient impropres.

Je suis d’accord avec le Juge d’appel Johnson que cette règle s’applique également aux legs mixtes de biens meubles et immeubles.

A mon avis, dans le traité de Theobald, Wills, 12e Ed., art. 417, p. 127, on trouve un bon exposé du rôle d’un tribunal en matière d’interprétation:

[TRADUCTION] Ce qu’il faut faire d’abord, c’est interpréter le testament. Le sens à donner, suivant les règles d’interprétation, aux mots qu’on y trouve ne saurait être modifié par la considération des circonstances entourant la signature du testament. Il ne faut pas d’abord rechercher les circonstances particulières, et ensuite, à la lumière de ces circonstances, interpréter le testament, mais bien interpréter d’abord le testament. Si le sens est clair, on ne peut considérer les circonstances particulières pour mettre ce sens en question ou pour en chercher un autre.

A mon avis, le sens de ce testament-ci est clair; il ne comporte aucune ambiguïté. L’examen des circonstances qui ont entouré sa signature ne révèle aucune ambiguïté cachée, et elles ne sont donc pas pertinentes. Le Juge en Chef Milvain et la majorité de la Chambre d’appel ont correctement interpété le testament.

Dans l’ensemble, je suis d’accord avec les motifs qu’ont donnés le Juge en chef Milvain et le Juge d’appel Johnson à l’effet que les mots extraits de la clause du legs résiduaire sont des termes de dévolution de propriété.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. A la question que cette Cour leur a posée, tous les avocats en cette cause ont répondu que quel que soit le résultat du pourvoi, vu la dissidence à la Chambre d’appel, la succession devrait payer les dépens

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de toutes les parties représentées ici. Aussi, mais, non sans quelque hésitation, j’en ordonne ainsi.

Appel rejeté.

Procureurs de l’appelante: Macdonald, Spitz & Lavallée, Edmonton.

Procureurs des intimés, Ella Hamilton, George Ottewell, John Devereux and Jennie Smith: Field, Hyndman, Field, Owen, Blakey & Bodner, Edmonton.

Procureurs des intimés, William J. Ottewell, Arthur Ottewell, Sylvia Carruthers, Alberta Ottewell and Linda Milligan: Lavallée, Feehan & Remesz, Edmonton.

 



[1] (1969), 70 W.W.R. 47.

[2] [1944] 2 W.W.R. 334.

[3] [1944] Ch. 216 à la p. 219.

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