R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613
Sa Majesté La Reine Appelante;
et
Paul Mathew Therens Intimé;
et
Le procureur général du Canada, le procureur général de l'Ontario et le procureur général du Québec Intervenants.
No du greffe: 17692.
1984: 21 juin; 1985: 23 mai.
Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Ritchie*, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson et Le Dain.
*Le juge Ritchie n'a pas pris part au jugement.
en appel de la cour d'appel de la saskatchewan
Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Droit à l’assistance d’un avocat ‑‑ Conduite avec facultés affaiblies ‑‑ Accusé sommé de suivre un policier en vue de fournir des échantillons d’haleine pour fins d’analyse ‑‑ L’accusé était‑il détenu? ‑‑ La police était‑elle tenue d’informer l’accusé de son droit à l’assistance d’un avocat? ‑‑ Code criminel, art. 234.1(1), 235(1), (2), 236(1), 237 ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 10.
Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits‑‑Redressement ‑‑ Violation du droit à l’assistance d’un avocat ‑‑ Conduite avec facultés affaiblies‑‑Preuve obtenue au moyen de l’alcootest écartée conformément à l’art. 24(2) de la Charte ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 10, 24(1), (2).
Droit criminel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Conduite avec facultés affaiblies ‑‑ Violation du droit à l’assistance d’un avocat ‑‑ Exclusion de la preuve obtenue au moyen de l’alcootest ‑‑ Code criminel, art. 234.1(1), 235(1), (2), 236(1), 237 ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 10, 24.
L'intimé a perdu la maîtrise de son véhicule à moteur qui a percuté un arbre. Un policier a sommé l'intimé de fournir des échantillons de son haleine à des fins d'analyse conformément au par. 235(1) du Code criminel. L'intimé a suivi le policier jusqu'au poste de police où il a obtempéré à la sommation et il a été accusé, par la suite, d'avoir conduit un véhicule à moteur alors que son taux d'alcoolémie dépassait la limite permise, contrairement au par. 236(1) du Code. Au cours du procès, l'avocat de l'intimé s'est opposé à l'admission du certificat d'analyse et, se fondant sur l'art. 24 de la Charte, a demandé qu'il soit écarté pour le motif qu'il y a eu atteinte au droit de l'intimé, garanti par l'al. 10b) de la Charte, d'être informé, en cas d'arrestation ou de détention, de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat. Le juge du procès a fait droit à cette demande et a rejeté l'accusation à défaut d'une autre preuve quant au taux d'alcoolémie de l'intimé. Il a conclu qu'il y avait eu détention de l'intimé au sens de l'art. 10 de la Charte, que le par. 24(1) de la Charte habilitait la cour à écarter le certificat si elle jugeait cela convenable et juste eu égard aux circonstances et que la cour n'était pas obligée de s'en tenir au seul critère énoncé au par. 24(2). La Cour d'appel à la majorité a confirmé cette décision.
Arrêt (les juges McIntyre et Le Dain sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.
1) Détention et violation du droit de l'intimé à l'assistance d'un avocat
Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Lamer et Le Dain: Il y a eu violation des droits que garantit à l'intimé l'al. 10b) de la Charte. La personne qui obtempère à la sommation qui lui a été faite, conformément au par. 235(1) du Code criminel, de suivre un policier jusqu'au poste de police pour y subir un alcootest, est "détenue" au sens de l'art. 10 de la Charte et elle a, par conséquent, le droit d'être informée de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat.
Le mot "détention" employé à l'art. 10 vise une entrave à la liberté d'une durée variable, autre qu'une arrestation par suite de laquelle une personne peut raisonnablement avoir besoin de l'assistance d'un avocat, mais pourrait, en l'absence de cette garantie constitutionnelle, être empêchée d'y avoir recours sans délai. Outre le cas où il y a privation de liberté par contrainte physique, il y a également "détention" au sens de l'art. 10 lorsqu'un policier restreint la liberté d'action d'une personne au moyen d'une sommation ou d'un ordre qui peut avoir des conséquences sérieuses sur le plan juridique et qui a pour effet d'empêcher l'accès à un avocat. Il doit cependant y avoir une certaine forme de contrainte ou de coercition. Toute responsabilité criminelle découlant du refus d'obtempérer à une sommation ou à un ordre d'un policier suffit pour rendre l'obéissance involontaire. Suivant le par. 235(2), est coupable d'un acte criminel quiconque, sans excuse raisonnable, refuse d'obtempérer à une sommation faite en vertu du par. 235(1).
Nonobstant toute similitude avec l'art. 10 de la Charte, le sens qu'a donné cette Cour, dans l'arrêt Chromiak, au mot "détenue" utilisé à l'al. 2c) de la Déclaration canadienne des droits n'est pas déterminant quant à la question en litige. La prémisse portant qu'il faut présumer que les rédacteurs de la Charte ont voulu que ses termes reçoivent le sens que leur donnait la jurisprudence à l'époque de son adoption n'est pas un guide fiable quant à la façon de l'interpréter et de l'appliquer. De par sa nature même, une charte constitutionnelle des droits et libertés doit être rédigée en termes généraux susceptibles d'évolution et d'adaptation par les tribunaux. Pour déterminer le sens du mot "détention" utilisé à l'art. 10, c'est l'objet de cet article qu'il faut examiner.
Les juges Beetz, Estey, Chouinard et Wilson: Lorsque les policiers lui ont fait subir l'alcootest en application du par. 235(1) du Code, l'intimé était détenu au sens de l'art. 10 de la Charte et il y a eu violation des droits qui lui sont garantis par cet article. Les agents de la paix ne lui ont pas accordé le droit d'avoir recours "sans délai" à l'assistance d'un avocat et ils ne l'ont pas non plus informé de ce droit.
2) Le droit de l’intimé à l’assistance d’un avocat est‑il assujetti, en vertu du par. 235(1) du Code, à une restriction prescrite par une règle de droit?
Les juges Beetz, Estey, Chouinard et Wilson: La Cour ne s'intéresse pas à l'art. 1 de la Charte puisque le Parlement n'a pas voulu, au par. 235(1) du Code, restreindre le droit que garantit à l'intimé l'al. 10b) de la Charte. Selon l'article 1, tous les droits garantis par la Charte, y compris ceux prévus par l'art. 10, ne peuvent être restreints «que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables...» En l'espèce, la restriction du droit de l'intimé de consulter son avocat a été imposée par la conduite des policiers et non par le Parlement.
Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre et Le Dain: Le paragraphe 235(1) du Code n'a pas pour objet de limiter le droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. Une sommation visée au par. 235(1) doit être faite "sur‑le‑champ ou dès que possible" et la personne à qui est adressée cette sommation doit fournir un échantillon d'haleine "sur‑le‑champ ou dès que possible". La condition relative au délai de deux heures imposée par le sous‑al. 237(1)b)(ii) n'empêche pas de communiquer avec un avocat avant de subir l'alcootest. Lorsqu'une personne est détenue par suite d'une sommation faite en vertu du par. 235(1), le droit d'être informée de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat n'est donc pas assujetti à une restriction prescrite par une règle de droit au sens de l'art. 1 de la Charte.
Le juge Lamer: La violation des droits de l'intimé ne découle pas de l'application de la loi, mais résulte des actes des policiers. C'est pourquoi il n'est pas nécessaire d'examiner en l'espèce si, en vertu de l'art. 1 de la Charte, le "système d'alcootest" établi par le par. 235(1) et l'art. 237 du Code criminel restreint les droits garantis par la Charte dans des limites qui soient raisonnables.
3) La preuve obtenue au moyen de l'alcootest doit‑elle être exclue?
Les juges Beetz, Estey, Chouinard et Wilson: La question de l'admissibilité de la preuve obtenue au moyen de l'alcootest doit être tranchée en fonction du par. 24(2) de la Charte et non en fonction du par. 24(1). Seul le paragraphe 24(2) habilite un tribunal à écarter des éléments de preuve lorsque ces éléments de preuve "ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits...garantis par la...[C]harte,...s'il est établi...que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice". En l'espèce, il ne fait pas de doute que la preuve doit être exclue. Les policiers ont violé de façon flagrante un droit garanti par la Charte sans avoir le pouvoir légal de le faire. Utiliser cette preuve dans ces circonstances serait nettement susceptible de "déconsidérer l'administration de la justice".
Le juge en chef Dickson et le juge Lamer: La preuve obtenue au moyen de l'alcootest en l'espèce a été obtenue dans des conditions qui portent atteinte aux droits que garantit à l'intimé l'al. 10b) de la Charte. Toutefois, le simple fait que la violation du droit soit survenue avant l'obtention de la preuve n'est pas suffisant pour remplir cette condition. En effet, s'il n'existe qu'un rapport temporel entre la violation et l'obtention de la preuve, les éléments de preuve n'ont pas été "obtenus dans des conditions qui portent atteinte" à des droits garantis par la Charte. Lorsqu'on demande à un détenu de fournir un élément de preuve susceptible de l'incriminer et que le refus d'obtempérer à cette demande est punissable comme acte criminel, comme c'est le cas en vertu de l'art. 235 du Code, l'al. 10b) impose l'obligation de ne pas sommer le détenu de fournir cet élément de preuve sans l'avoir préalablement informé des droits que lui garantit l'al. 10b) et lui avoir donné une possibilité raisonnable d'avoir recours à l'assistance d'un avocat, y compris un délai raisonnable pour ce faire. Le manquement à cette obligation conduit à l'obtention d'éléments de preuve dans des conditions qui portent atteinte aux droits que garantit au détenu l'al. 10b). L'admission de la preuve obtenue au moyen de l'alcootest est susceptible, eu égard aux circonstances, de déconsidérer l'administration de la justice. Par conséquent, étant donné que la preuve peut être régulièrement écartée en application du par. 24(2) de la Charte, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur la possibilité d'obtenir l'exclusion d'éléments de preuve à titre de redressement convenable et juste au sens du par. 24(1).
Les juges McIntyre et Le Dain, dissidents: Même s'il y a eu violation du droit que garantit à l'intimé l'art. 10 de la Charte, la preuve obtenue au moyen de l'alcootest n'aurait pas dû être exclue. La Cour d'appel a commis une erreur en confirmant l'exclusion de la preuve pour le motif que cela était convenable et juste eu égard aux circonstances, au sens du par. 24(1) de la Charte. Il est évident qu'en faisant suivre du par. 24(2), qui prévoit expressément l'exclusion d'éléments de preuve, les dispositions générales du par. 24(1), les rédacteurs de la Charte ont voulu que ce redressement particulier soit régi entièrement par les termes du par. 24(2). L'élément de preuve que représente le certificat d'analyse a été obtenu dans des conditions qui portent atteinte au droit de l'intimé d'avoir recours à l'assistance d'un avocat et satisfait à la première condition de ce paragraphe, mais son utilisation dans les circonstances de la présente affaire n'est pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Le droit à l'assistance d'un avocat est d'une importance fondamentale et sa négation dans un contexte de droit criminel ne peut que constituer à première vue un acte qui déconsidère l'administration de la justice. Toutefois, compte tenu de l'arrêt Chromiak de cette Cour, le policier pouvait présumer de bonne foi que l'intimé n'avait pas ce droit suite à une sommation faite en vertu de l'art. 235 du Code criminel. En raison de ce fondement sur la bonne foi, l'utilisation de la preuve obtenue au moyen de l'alcootest en l'espèce n'est pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
Le juge McIntyre, dissident: Exclure la preuve obtenue au moyen de l'alcootest en se fondant uniquement sur la conclusion qu'un droit garanti par la Charte a été violé en l'obtenant reviendrait à ignorer les dispositions du par. 24(2) de la Charte. L'exclusion d'une telle preuve n'est pas automatique. Elle ne doit être écartée que s'il est établi, eu égard aux circonstances, que son utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Cela n'a pas été établi en l'espèce.
Jurisprudence
Arrêt examiné: Chromiak c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 471, confirmant (1979), 46 C.C.C. (2d) 310; arrêts examinés: R. v. Currie (1983), 4 C.C.C. (3d) 217; R. v. Trask (1983), 6 C.C.C. (3d) 132; Rahn v. The Queen (1984), 11 C.C.C. (3d) 152; R. v. Simmons (1984), 11 C.C.C. (3d) 193; R. v. Talbourdet (1984), 12 C.C.C. (3d) 173; arrêts mentionnés: Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; Hogan c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 574; Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640; R. v. Collins (1983), 5 C.C.C. (3d) 141; R. v. Cohen (1983), 5 C.C.C. (3d) 156; R. v. Stevens (1983), 7 C.C.C. (3d) 260; R. v. Chapin (1983), 7 C.C.C. (3d) 538; R. v. Manninen (1983), 8 C.C.C. (3d) 193; Minister of Home Affairs v. Fisher, [1980] A.C. 319; Brownridge c. La Reine, [1972] R.C.S. 926; Miranda v. Arizona, 384 U.S. 436 (1966).
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 10, 24.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 234.1(1) [aj. 1974‑75‑76, chap. 93, art. 15], 235 [abr. & rempl. 1974‑75‑76, chap. 93, art. 16], 236 [abr. & rempl. 1974‑75‑76, chap. 93, art. 17], 237(1)c) [abr. & rempl. 1974‑75‑76, chap. 93, art. 18].
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, app. III, art. 2c).
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52.
Doctrine citée
Dworkin, R. Taking Rights Seriously, London, Duckworth, 1977.
Fleming, J. G. The Law of Torts, 6th ed., Sydney, Law Book Company Ltd., 1983.
Gibson D. «Determining Disrepute: Opinion Polls and the Canadian Charter of Rights and Freedoms» (1983), 61 R. du B. can. 377.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Saskatchewan (1983), 5 C.C.C. (3d) 409, 148 D.L.R. (3d) 672, 23 Sask. R. 81, 33 C.R. (3d) 204, 5 C.R.R. 157, 20 M.V.R. 8, [1983] 4 W.W.R. 385, qui a rejeté un appel de Sa Majesté formé par voie d'exposé de cause à l'encontre de l'acquittement de l'accusé prononcé par le juge Muir de la Cour provinciale (1982), 70 C.C.C. (2d) 468, 16 M.V.R. 285, relativement à une accusation portée en vertu du par. 236(1) du Code criminel. Pourvoi rejeté, les juges McIntyre et Le Dain sont dissidents.
D. Murray Brown, James MacPherson et Andrew Petter, pour l'appelante.
Robert Skinner et Vikas Khaladkar, pour l'intimé.
S. R. Fainstein, pour l'intervenant le procureur général du Canada.
Edward Then, c.r., pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.
Jean‑François Dionne, pour l'intervenant le procureur général du Québec.
Version française des motifs rendus par
1. Le Juge en Chef‑‑Pour les mêmes raisons qu'il a données dans son jugement, je suis d'accord avec le juge Le Dain pour dire que l'intimé a été détenu au sens de l'art. 10 de la Charte canadienne des droits et libertés et qu'il y a eu violation des droits que lui garantit l'al. 10b). Je suis également d'accord avec le juge Le Dain pour dire que le par. 235(1) ne crée pas une limite prescrite par une règle de droit, au sens de l'art. 1 de la Charte, au droit d'une personne détenue d'être informée de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. Le paragraphe 235(1) n'oblige pas, expressément ou par déduction nécessaire, la police à refuser à une personne détenue le droit d'être informée des droits que lui garantit l'al. 10b).
2. Je suis d'accord avec le juge Lamer pour dire que la preuve obtenue au moyen de l'alcootest en l'espèce a été obtenue dans des conditions qui portent atteinte aux droits garantis à l'intimé par l'al. 10b) et qu'il a été établi, eu égard aux circonstances, que son utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Par conséquent, le certificat d'analyse préparé conformément à l'art. 237 du Code criminel doit être écarté en vertu du par. 24(2) de la Charte.
3. Puisque la preuve a été régulièrement écartée en application du par. 24(2) de la Charte, je ne veux pas qu'on pense que je me prononce sur la possibilité d'obtenir l'exclusion d'éléments de preuve à titre de redressement convenable et juste au sens du par. 24(1) de la Charte.
4. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le présent pourvoi.
Version française des motifs des juges Beetz, Estey, Chouinard et Wilson rendus par
5. Le Juge Estey‑‑J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement rédigés en l'espèce par mon collègue le juge Le Dain et, bien que je sois d'accord, comme la suite l'indique, avec une bonne partie de ce qu'il a écrit, je ne saurais être d'accord avec sa conclusion. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi pour ces raisons.
6. Je suis d'accord pour dire que l'intimé‑défendeur était "détenu" au sens de l'art. 10 de la Charte canadienne des droits et libertés lorsque les policiers lui ont fait subir l'alcootest en application de l'art. 235 du Code criminel. Cet article du Code criminel prévoit clairement qu'il est possible, dans certaines circonstances, de retarder le moment où l'on fera subir ce test. Il n'en est pas de même pour le par. 234.1(1) du Code. Dans le premier cas, l'article du Code prévoit qu'un agent de la paix peut "par sommation, exiger sur‑le‑champ ou dès que possible" qu'une personne fournisse des échantillons d'haleine. Dans le second cas, le par. 234.1(1) dispose que la personne qui conduit le véhicule à moteur doit "soumettre sur‑le‑champ tout échantillon d'haleine".
7. L'alinéa 10b) de la Charte prévoit ce qui suit:
10. Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention:
...
b) d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit; ...
Aucun des deux droits garantis à l'al. 10b) de la Charte n'a été respecté par la police. Les agents de la paix n'ont pas accordé à l'intimé le droit d'avoir recours «sans délai» à l'assitance d'un avocat et ils ne l'ont pas non plus informé de ce droit. Rien dans le présent dossier n'indique qu'il était impossible aux policiers d'accorder à l'intimé un délai raisonnable lui permettant de communiquer avec son avocat.
8. Les dispositions de l'art. 235 ne peuvent pas justifier l'omission de garantir ces droits. Tel que souligné plus haut, l'intimé est seulement tenu, aux termes de l'art. 235, de s'exécuter "dès que possible". Il ne s'agit pas en l'espèce d'une procédure en vertu de l'art. 234.1, qui peut soulever des questions différentes. Il ne nous est pas nécessaire non plus, d'après le présent dossier, de trancher la question plus épineuse de savoir ce que l'agent de la paix peut faire conformément à l'art. 235 du Code dès que les conditions de l'al. 10b) de la Charte sont remplies. De plus, étant donné que, comme nous le verrons, le par. 24(2) de la Charte a pour effet d'exclure les éléments de preuve ainsi obtenus, il n'est pas nécessaire d'invoquer le par. 24(1) de la Charte.
9. Par conséquent, je suis d'accord avec mon collègue pour dire qu'il y a eu violation des droits que garantit à l'intimé l'al. 10b).
10. Puisque le Parlement n'a pas voulu, au par. 235(1), restreindre le droit que garantit à l'intimé l'al. 10b) de la Charte, la Cour ne s'intéresse pas en l'espèce à l'art. 1 de la Charte. Selon cet article, tous les droits que garantit la Charte, y compris ceux prévus par l'art. 10, ne peuvent être restreints «que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables...» En l'espèce, le Parlement n'a pas voulu prescrire une telle restriction et par conséquent l'art. 1 de la Charte n'entre pas en jeu. La restriction du droit de l'intimé de consulter son avocat a été imposée par la conduite des policiers et non par le Parlement.
11. Cela nous amène à la principale question en litige dans le présent pourvoi, savoir l'admissibilité de la preuve relative au taux d'alcool présent dans le sang de l'intimé, tel que déterminé par le test subi en application du par. 235(1) du Code. L'admissibilité de cette preuve doit, à mon avis, et sur ce point je suis encore du même avis que mon collègue le juge Le Dain, être déterminée en fonction du par. 24(2) de la Charte et non du par. (1) de cet article, comme l'a estimé la Cour d'appel. Seul le paragraphe 24(2) de la Charte habilite un tribunal à écarter des éléments de preuve lorsque ces «éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte...». Le paragraphe (2) prévoit ensuite, en termes impératifs:
...ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
(C'est moi qui souligne.)
En l'espèce, les policiers ont violé de façon flagrante un droit garanti par la Charte sans avoir le pouvoir légal de le faire. Une violation aussi manifeste que celle qui a été commise en l'espèce doit, à mon avis, entraîner le rejet des éléments de preuve ainsi obtenus. En l'espèce, nous nous intéressons seulement aux éléments de preuve directs ou aux éléments de preuve obtenus directement par ce moyen et je n'ai pas ici à examiner la question des éléments de preuve obtenus indirectement par ce moyen. Ne pas rejeter ces éléments de preuve, compte tenu des faits et des circonstances de l'espèce, reviendrait à inviter les policiers à ne pas tenir compte des droits que garantit aux citoyens la Charte, et à le faire en étant assuré de l'impunité. Si la police pouvait, par sa conduite, violer l'al. 10b) de la Charte sans avoir le pouvoir légal de le faire, comme c'est le cas en l'espèce, et sans que cela n'entraîne l'inadmissibilité des éléments de preuve obtenus grâce à cette violation, l'al. 10b) serait alors dénué de tout sens et n'aurait plus sa place dans la liste des "garanties juridiques" que l'on trouve dans la Charte.
12. La violation par les policiers d'un droit fondamental garanti par la Charte, tel qu'il ressort en l'espèce, rend ces éléments de preuve inadmissibles. L'utilisation de ces éléments de preuve dans ces circonstances serait nettement susceptible de "déconsidérer l'administration de la justice". Je suis fermement convaincu que ce serait tout à fait irréfléchi de la part de la Cour que de s'étendre, aux premiers jours d'existence de la Charte, sur le sens de l'expression "administration de la justice" et plus particulièrement sur ses paramètres. Il y aura sans aucun doute, au cours des années à venir, un développement progressif de la délimitation et de la définition des termes utilisés au par. 24(2) de la Charte.
13. Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
Version française des motifs rendus par
14. Le Juge McIntyre (dissident)‑‑Je suis entièrement d'accord avec les motifs de jugement du juge Le Dain. Je tiens à ajouter qu'exclure la preuve contestée en l'espèce en se fondant uniquement sur la conclusion qu'un droit garanti par la Charte a été violé en l'obtenant reviendrait à ignorer les dispositions du par. 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. À mon avis, ce paragraphe doit s'appliquer. L'exclusion d'une telle preuve n'est pas automatique. Elle ne doit être écartée que s'il est établi, eu égard aux circonstances, que son utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. À mon avis, cela n'est pas établi en l'espèce. L'exclusion de la preuve, dans les circonstances de la présente affaire, contribuerait grandement en soi à déconsidérer l'administration de la justice.
Version française des motifs rendus par
15. Le Juge Lamer‑‑Les questions que soulève ce pourvoi sont les suivantes: L'intimé était‑il détenu au sens de l'al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés? Y a‑t‑il eu violation des droits que lui garantit l'al. 10b)? Le cas échéant, s'agit‑il d'une restriction prescrite par une règle de droit et dans des limites qui soient raisonnables? Si non, quelle réparation doit être accordée et quelle doit être l'issue de ce pourvoi?
16. J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement de mes collègues les juges Estey et Le Dain.
17. Pour les raisons données par le juge Le Dain dans son jugement, je suis d'avis que l'intimé était détenu. Je suis également d'accord avec le juge Le Dain pour conclure qu'il y a eu en l'espèce violation des droits que l'al. 10b) garantit à l'intimé. Manifestement, celui‑ci n'a nullement été informé, comme détenu, de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat. Comme l'expose le juge Estey dans ses motifs, la violation des droits de l'intimé ne découle pas ici de l'application de la loi mais résulte des actes des policiers et il n'est pas nécessaire, à mon avis, d'examiner en l'espèce si, en vertu de l'art. 1 de la Charte, le "système d'alcootest" établi par le par. 235(1) et l'art. 237 du Code criminel restreint les droits garantis par la Charte dans des limites qui soient raisonnables. Considérant l'interprétation qui doit, selon moi, être donnée à l'al. 10b), cette question sera certainement soulevée dans d'autres litiges.
18. À première vue, il peut sembler inutile de discuter plus à fond la teneur de l'al. 10b) puisque, d'après les faits de l'espèce, il est manifeste qu'il y a eu violation du droit qui y est reconnu, et ce, quelle qu'en puisse être la teneur. Cependant, pour remplir les conditions nécessaires à l'exclusion d'éléments de preuve en vertu du par. 24(2), non seulement faut‑il qu'il y ait eu violation d'un droit garanti par la Charte, mais encore qu'il y ait, comme l'a dit le juge Le Dain, "un lien ou un rapport quelconque entre la violation ou la négation du droit ou de la liberté en question et l'obtention de la preuve que la demande vise à faire écarter".
19. Avec égards, cependant, je ne puis souscrire à la proposition avancée ensuite par le juge Le Dain, selon laquelle il suffit, pour remplir cette condition, que la violation ou la négation du droit soit survenue avant l'obtention de la preuve. En effet, s'il n'existe qu'un rapport temporel entre la violation et l'obtention de la preuve, les éléments de preuve n'ont pas été "obtenus dans des conditions qui portent atteinte" à des droits garantis par la Charte.
20. Ainsi, en abordant les conséquences qui doivent découler, en vertu de l'art. 24, de la violation commise en l'espèce, il est nécessaire de revenir en arrière et d'interpréter l'al. 10b) pour savoir si, en vertu du par. 24(2), la "preuve obtenue au moyen de l'alcootest" a été obtenue dans des conditions qui portent atteinte au droit qui y est reconnu. En effet, si on donne une interprétation littérale à l'al. 10b), il n'y a alors absolument aucun rapport entre, d'une part, le fait d'exiger des échantillons d'haleine et, d'autre part, celui d'informer le détenu de ses droits et de ne pas l'empêcher de les exercer.
21. Je ne donnerai pas ici une définition exhaustive des droits garantis par l'al. 10b) et je limiterai mes observations à cet égard à ce qui est strictement nécessaire à la décision en l'espèce. Selon moi, l'al. 10b) exige au moins que les autorités informent le détenu de ses droits et qu'elles ne l'empêchent aucunement de les exercer; de plus, lorsqu'on demande à un détenu de fournir un élément de preuve susceptible de l'incriminer et que le refus d'obtempérer à cette demande est punissable comme acte criminel, comme c'est le cas en vertu de l'art. 235 du Code, l'al. 10b) impose aussi l'obligation de ne pas sommer le détenu de fournir cet élément de preuve sans l'avoir préalablement informé des droits que lui garantit l'al. 10b) et lui avoir donné une possibilité raisonnable d'avoir recours à l'assistance d'un avocat, y compris un délai raisonnable pour ce faire. Le manquement à cette obligation conduit à l'obtention d'un élément de preuve dans des conditions qui portent atteinte aux droits garantis au détenu par l'al. 10b). Définir de façon plus étroite le droit reconnu à l'al. 10b) le dépouillerait presque de son contenu étant donné que les réparations, en cas de violation, ne mettraient que rarement en jeu l'admissibilité des éléments de preuve obtenus par l'intermédiaire de l'accusé.
22. La question de savoir si l'al. 10b) va plus loin de manière à couvrir, par exemple, le principe énoncé dans l'arrêt Miranda v. Arizona, 384 U.S. 436 (1966), et à s'appliquer notamment aux interrogatoires ou aux parades d'identification policière, n'a pas à être tranchée en l'espèce et je m'abstiendrai de le faire.
23. Ne se pose pas non plus en l'espèce la question de la conformité du par. 235(1) du Code, en général, et du délai de deux heures qu'il prescrit, en particulier, avec l'al. 10b) et notamment avec l'aspect de ce dernier qui consiste à se voir accorder un délai raisonnable pour consulter un avocat. Je préfère m'abstenir d'aborder cette question pour la raison suivante. Si nous devions conclure que le par. 235(1) impose effectivement une restriction quant au délai que l'agent de la paix peut accorder au détenu pour exercer les droits qui lui sont garantis par l'al. 10b) avant de lui demander de fournir un échantillon d'haleine, nous disposerions, à mon avis, d'un dossier très incomplet pour la détermination du caractère raisonnable de la restriction en fonction du critère énoncé à l'art. 1 de la Charte. Je pense que cette question, si elle doit être abordée, fera l'objet d'un examen plus approprié dans une affaire où on aura produit des éléments de preuve à l'appui de la démonstration que les autorités ont l'obligation de faire en vertu de l'art. 1. Par exemple, pourquoi un délai de deux heures? Est‑ce pour des raisons scientifiques relatives à la fiabilité du résultat? J'imagine que c'est le cas, mais je n'en trouve aucune preuve au dossier.
24. En l'espèce, le test a été requis par l'agent de la paix et administré au détenu avant que ce dernier ne soit informé de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. Ce faisant, le policier a violé les droits garantis à l'accusé par l'al. 10b) et obtenu les "éléments de preuve découlant de l'alcootest" dans des conditions qui portent atteinte à ces droits.
25. Je suis d'avis de statuer sur la présente espèce de la même manière que l'a fait le juge Estey, et ce, pour les motifs qu'il a exposés dans son jugement. En effet, je suis d'avis que l'admission de la preuve obtenue au moyen de l'alcootest est susceptible en l'espèce de déconsidérer l'administration de la justice. Ayant tiré cette conclusion, il ne m'est pas nécessaire d'exprimer un point de vue au sujet de l'exclusion de la preuve en vertu du par. 24(1).
26. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
Version française des motifs rendus par
27. Le Juge Le Dain (dissident)‑‑Ce pourvoi soulève les questions suivantes sur lesquelles différentes opinions ont été exprimées par les cours d'appel de certaines provinces:
1. Une personne qui, en vertu du par. 235(1) du Code criminel, a été sommée de suivre un policier au poste de police pour y subir un alcootest bénéficie‑t‑elle du droit, garanti par l'art. 10 de la Charte canadienne des droits et libertés, d'avoir recours à l'assistance d'un avocat?
2. En cas de violation ou de négation de ce droit à l'assistance d'un avocat, la preuve obtenue au moyen de l'alcootest peut‑elle être écartée conformément au par. 24(1) de la Charte, pour le motif que le tribunal estime que cela est convenable et juste eu égard aux circonstances, ou ne peut‑elle être écartée que conformément au par. 24(2) pour le motif qu'elle a été obtenue dans des conditions qui portent atteinte au droit d'avoir recours à un avocat et que, eu égard aux circonstances, son utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice?
3. Si la preuve a été obtenue dans des conditions qui portent atteinte au droit à l'assistance d'un avocat et si elle ne doit être écartée qu'en fonction du critère énoncé au par. 24(2) de la Charte, quel sens faut‑il alors donner à ce critère et comment faut‑il l'appliquer dans les circonstances qui se présentent en l'espèce?
28. Le paragraphe 235(1) du Code criminel et les art. 10 et 24 de la Charte sont ainsi conçus:
235. (1) L'agent de la paix qui croit, en s'appuyant sur des motifs raisonnables et probables, qu'une personne est en train de commettre, ou a commis au cours des deux heures précédentes, une infraction à l'article 234 ou 236, peut, par sommation, exiger sur‑le‑champ ou dès que possible, qu'elle fournisse les échantillons d'haleine qui, de l'avis d'un technicien qualifié visé au paragraphe 237(6), sont nécessaires à une analyse convenable pour permettre de déterminer son taux d'alcoolémie et qu'elle le suive afin de prélever ces échantillons.
10. Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention:
a) d'être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention;
b) d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit;
c) de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d'obtenir, le cas échéant, sa libération.
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
I
29. Ce pourvoi est formé, avec l'autorisation de cette Cour, contre un arrêt rendu le 15 avril 1983 par la Cour d'appel de la Saskatchewan, 5 C.C.C. (3d) 409, qui a rejeté un appel formé par voie d'exposé de cause contre un jugement rendu le 30 juillet 1982 par le juge Alastair J. Muir de la Cour provinciale de la Saskatchewan, 70 C.C.C. (2d) 468, qui avait rejeté une accusation reprochant à l'intimé [TRADUCTION] «d'avoir, le 25 avril 1982 ou vers cette date, dans la ville de Moose Jaw en Saskatchewan, conduit un véhicule à moteur alors que son taux d'alcoolémie dépassait 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang, contrairement au par. 236(1) du Code criminel».
30. Les conclusions de fait tirées par le juge Muir au cours du procès de l'intimé sont énoncées ainsi dans l'exposé de cause:
[TRADUCTION]
a) Le 24 avril 1982, vers 22 h 30, l'accusé a perdu la maîtrise d'un véhicule à moteur qu'il conduisait dans une rue de la ville de Moose Jaw; le véhicule a percuté un arbre au bord de la rue.
b) Peu après, l'agent Measner de la police de Moose Jaw est arrivé sur les lieux et a procédé à une enquête. Conformément au par. 235(1) du Code criminel, l'agent Measner, s'appuyant sur des motifs raisonnables et probables, a sommé l'accusé de le suivre afin de prélever des échantillons de son haleine à des fins d'analyse. L'accusé a obtempéré à la sommation et a fourni les échantillons demandés.
c) À aucun moment n'a‑t‑on informé l'accusé de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat.
d) Tout au cours de l'enquête, l'accusé s'est montré coopératif et il n'a jamais été mis en état d'arrestation.
31. Dans les motifs qu'il a rendus au nom de la Cour d'appel de la Saskatchewan à la majorité, le juge Tallis affirme, à la p. 420: [TRADUCTION] "Les avocats reconnaissent que, par suite d'une sommation qui lui a été faite en vertu du par. 235(1) du Code criminel, l'intimé a suivi le policier dans une voiture de police jusqu'au poste de police de Moose Jaw, où il a subi les alcootests". Il n'y avait aucune preuve que l'accusé était lui‑même au courant de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat.
32. Au cours du procès de l'intimé, le ministère public a cherché à produire en preuve le certificat d'analyse préparé, conformément à l'art. 237 du Code criminel, par le technicien qui a fait subir l'alcootest. L'avocat de l'intimé s'est opposé à l'admission du certificat et, se fondant sur l'art. 24 de la Charte, a demandé qu'il soit écarté pour le motif qu'il y a eu atteinte au droit de l'intimé, garanti par l'art. 10 de la Charte, d'être informé, en cas d'arrestation ou de détention, de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat. Le juge du procès a fait droit à cette demande, a ordonné que le certificat soit écarté et, à défaut d'une autre preuve quant au taux d'alcoolémie de l'intimé, a rejeté l'accusation. Il a conclu qu'il y avait eu détention de l'intimé au sens de l'art. 10 de la Charte, que le par. 24(1) de la Charte habilitait la cour à écarter le certificat si elle jugeait cela convenable et juste eu égard aux circonstances et que la cour n'était pas obligée de s'en tenir au seul critère énoncé au par. 24(2), savoir le risque que l'administration de la justice soit déconsidérée par l'utilisation de cette preuve.
33. Les questions soumises à la Cour d'appel dans l'exposé de cause sont les suivantes:
[TRADUCTION] (1) La cour a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant que l'accusé, Paul Mathew Therens, avait été détenu au sens de l'article 10 de la Charte canadienne des droits et libertés?
(2) La cour a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant que le par. 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés l'habilite à écarter des éléments de preuve peu importe que leur utilisation soit ou non susceptible de déconsidérer l'administration de la justice?
(3) La cour a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant qu'il était juste et convenable dans les circonstances de la présente espèce d'écarter de la preuve les certificats d'analyse produits par la poursuite?
34. À l'audition de l'appel, le substitut du procureur général a abandonné la troisième question pour le motif qu'elle ne portait pas exclusivement sur une question de droit. La Cour d'appel de la Saskatchewan à la majorité a répondu par la négative aux deux premières questions et a rejeté l'appel. Le juge Tallis, à l'avis duquel ont souscrit le juge en chef Bayda et les juges Hall et Cameron, a conclu que l'entrave à la liberté de l'intimé résultant de la sommation qui lui a été faite en vertu du par. 235(1) du Code criminel constitue de la détention au sens de l'art. 10 de la Charte, de sorte qu'il y a eu violation ou négation du droit qu'il avait d'être informé de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat. De plus, toujours selon le juge Tallis, le certificat d'analyse pouvait être écarté de la preuve conformément au par. 24(1) de la Charte, et ce, nonobstant le par. 24(2) qui prévoit expressément l'exclusion des éléments de preuve obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la Charte. Dans des motifs distincts, le juge en chef Bayda exprime un avis concordant quant au pouvoir d'écarter des éléments de preuve conféré par l'art. 24(2). Le juge Brownridge, dissident, a conclu qu'il n'y avait pas eu de détention au sens de l'art. 10 de la Charte et que, de toute façon, l'exclusion d'éléments de preuve à titre de redressement en vertu de l'art. 24 est régie exclusivement par les termes du par. (2) de cet article.
II
35. En cour de première instance et en cour d'appel, la question de savoir s'il y avait eu détention dépendait essentiellement, tout comme dans le cas des arrêts d'autres cours d'appel, de l'effet à donner à l'arrêt de cette Cour Chromiak c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 471, portant sur une demande, faite en vertu du par. 234.1(1) du Code criminel, de fournir un échantillon d'haleine pour fin d'analyse immédiate et sur le droit, garanti par l'al. 2c) de la Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, app. III, de consulter un avocat. Les dispositions en question sont ainsi rédigées:
234.1 (1) L'agent de la paix qui a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans le sang du conducteur d'un véhicule à moteur ou de celui qui en a la garde à l'arrêt, peut lui demander de lui soumettre sur‑le‑champ tout échantillon d'haleine qu'il estime nécessaire pour procéder à une analyse convenable au moyen d'un alcooltest approuvé et de le suivre, si nécessaire, pour permettre de prélever cet échantillon.
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
...
c) privant une personne arrêtée ou détenue
(i) du droit d'être promptement informée des motifs de son arrestation ou de sa détention,
(ii) du droit de retenir et constituer un avocat sans délai, ou
(iii) du recours par voie d'habeas corpus pour qu'il soit jugé de la validité de sa détention et que sa libération soit ordonnée si la détention n'est pas légale;
36. Dans l'arrêt Chromiak, cette Cour a conclu à l'unanimité qu'une personne qui obtempère à une demande, faite en vertu du par. 234.1(1), de suivre un policier et de fournir un échantillon d'haleine pour fin d'analyse immédiate n'est pas détenue au sens de l'al. 2c) de la Déclaration canadienne des droits. Pour connaître le sens donné aux mots "détenue" et "détention" par le juge Ritchie qui a rendu l'arrêt de la Cour, il suffit de se reporter aux passages suivants tirés des pp. 478 et 479 de ses motifs:
Il me paraît évident que le mot "détention" ne comprend pas nécessairement l'arrestation, mais les mots "détenir" et "détention" employés à l'al. 2c) de la Déclaration canadienne des droits se rapportent, à mon avis, à une certaine forme de contrainte et je crois que le texte du sous‑al. 2c)(iii), qui garantit à une personne le "recours par voie d'habeas corpus pour qu'il soit jugé de la validité de sa détention et que sa libération soit ordonnée si la détention n'est pas légale", envisage clairement que la personne "détenue" que vise l'article est une personne qui est détenue en vertu de l'application régulière de la loi. Cette interprétation est renforcée par les art. 28(2)b), 30, 136a), 248 et 250 de la version anglaise du Code Criminel dans lesquels les mots "to detain" sont constamment employés en rapport avec une véritable contrainte physique.
Je suis d'accord avec la Cour d'appel que les remarques suivantes du juge Pigeon dans l'arrêt Brownridge sont pertinentes au par. 234.1(1) et aux faits de la présente affaire. Bien que le juge Pigeon ait exprimé une opinion dissidente, je ne crois pas que ses remarques s'écartent du principe que je viens de mentionner. Le juge Pigeon a dit aux pp. 943 et 944:
La situation juridique de celui qui, sur demande, suit un agent de la paix pour qu'un test de l'haleine soit effectué ne diffère pas de celle d'un conducteur qui est tenu de laisser quelqu'un inspecter ses freins ou de se diriger vers une balance pour que soit pesé son véhicule en vertu du par. (6) de l'art. 39 ou du par. (3) de l'art. 78 du Highway Traffic Act, R.S.O. 1970, c. 202. Il est tenu de se soumettre au test. S'il part, ou essaie de partir, pour éviter le test, il peut être arrêté et inculpé mais cela ne veut pas dire qu'il a été jusqu'à ce moment‑là en état d'arrestation. Il n'a fait que se conformer à des directives que les agents de police sont autorisés à donner. Les automobilistes ne peuvent pas raisonnablement s'attendre d'être autorisés à demander un avis juridique avant d'obtempérer à ces ordres. Les agents de police sont pleinement justifiés de traiter comme un refus définitif le refus d'obtempérer tant qu'un avis juridique n'est pas obtenu.
Le sous‑alinéa (ii) de l'alinéa (c) de l'art. 2 de la Déclaration des droits modifie‑t‑il la situation en common law, en ce qui concerne les automobilistes que l'on somme de se soumettre au test requis par le Code criminel, par opposition aux tests requis par la législation provinciale? Je ne le crois pas. La disposition à l'étude s'applique à "une personne arrêtée ou détenue". Telle n'est pas, me semble‑t‑il, la situation juridique de celui de qui l'on a exigé qu'il suive un agent de la paix pour qu'un test de l'haleine soit effectué. Il se peut fort bien que le test soit négatif, et en pareil cas, il serait bien erroné de dire que cette personne a été arrêtée ou détenue, puis libérée. "Détenu" signifie gardé, comme il ressort de dispositions telles que l'art. 15 de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I‑2.
37. L'appelante soutient en l'espèce que, dans l'arrêt Chromiak, cette Cour a en réalité établi qu'une personne à qui est adressée une sommation conformément au par. 235(1) du Code criminel n'est pas détenue au sens de l'al. 2c) de la Déclaration canadienne des droits, et que la même conclusion doit s'appliquer à l'art. 10 de la Charte en raison de la formulation semblable de ces deux dispositions qui garantissent le droit à l'assistance d'un avocat. À l'appui de cet argument, l'appelante adopte le raisonnement relatif à cette question qui se dégage des arrêts d'autres cours d'appel, que nous allons examiner un peu plus loin. Il est d'abord nécessaire d'examiner les motifs du juge Muir et ceux de la Cour d'appel de la Saskatchewan dans la présente instance.
38. Le juge Muir a fait la distinction avec l'arrêt Chromiak parce que celui‑ci porte sur une demande en vertu du par. 234.1(1) et non pas sur une sommation visée au par. 235(1). En Cour d'appel, le juge Tallis a lui aussi insisté sur la différence entre ces deux dispositions, en particulier sur les conséquences plus graves qui se rattachent à une sommation faite en vertu du par. 235(1) et sur le besoin plus grand qui en découle d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. Il a en outre insisté sur la différence qui existe, sur le plan constitutionnel, entre la Déclaration canadienne des droits et la Charte qui, dit‑il, [TRADUCTION] "n'est pas qu'une simple règle d'interprétation applicable aux lois fédérales" (p. 423). Après avoir cité les propos de lord Wilberforce dans la décision Minister of Home Affairs v. Fisher, [1980] A.C. 319, à la p. 328, concernant [TRADUCTION] "l'interprétation généreuse" qu'on doit donner à la Constitution des Bermudes, le juge Tallis affirme, aux pp. 423 et 424:
[TRADUCTION] Les idéaux constitutionnels de notre pays sont enchâssés dans la Charte qui ne peut être "vivante" que dans la mesure où elle est interprétée d'une manière significative du point de vue du citoyen ordinaire qui a rarement des démêlés avec la justice. Les droits fondamentaux accordés aux citoyens par l'al. 10b) doivent être abordés en donnant au mot "détention" son sens populaire, c'est‑à‑dire son sens naturel ou ordinaire. L'application de la Charte ne doit pas être contrecarrée ou rendue moins efficace par des interprétations techniques ou formalistes des mots ordinaires de notre langue. En procédant ainsi, on évitera à nos citoyens d'avoir le sentiment que la Charte ne confère que des droits purement théoriques. Si l'on veut que ces droits soient préservés et que l'on puisse s'en prévaloir dans la vie de tous les jours, il ne faut pas succomber à la tentation de choisir un point de vue restrictif, car l'adoption d'un tel point de vue en définissant le mot "détenir" revient à dire que la loi ne reconnaît pas à un accusé, avant son arrestation, les droits prévus à l'al. 10b).
39. Quant à la question de savoir si une sommation faite en vertu du par. 235(1) emporte une détention au sens de l'art. 10 de la Charte, le juge Tallis formule le raisonnement et la conclusion suivants, aux pp. 424 et 425:
[TRADUCTION] De toute évidence, le savant juge du procès pouvait conclure à une entrave temporaire à la liberté qui, sans être vraiment une arrestation, constituait de la "détention" au sens ordinaire de ce terme. Dans les circonstances de l'espèce, la loi autorise un agent de la paix qui a des motifs raisonnables et probables de croire que l'accusé a commis, au cours des deux heures précédentes, une infraction à l'art. 234 ou 236, à entraver temporairement sa liberté afin d'exécuter les procédures autorisées par la loi. Certes, cette entrave temporaire à la liberté peut s'effectuer sans qu'il soit nécessaire de procéder à une arrestation proprement dite, mais il n'y a aucune raison pour laquelle l'al. 10b) de la Charte ne doit pas s'appliquer. Un citoyen récalcitrant ou bien informé pourrait provoquer son arrestation et, par conséquent, l'application de la Charte en essayant de fuir l'agent de la paix ou encore en refusant de le suivre jusqu'à l'endroit où se trouve l'alcootest, en l'occurrence le poste de police. Tant du point de vue légal que social, une telle situation ne serait guère souhaitable. Par ailleurs, le citoyen ordinaire préférerait obtempérer à la sommation de l'agent de la paix plutôt que de s'exposer à la possibilité d'être embarrassé par d'autres procédures qui pourraient s'ensuivre. Il ne fait pas de doute que les citoyens ordinaires qui ont peu de rapports avec le système judiciaire doivent eux aussi bénéficier des droits accordés par l'al. 10b) de la Charte. Compte tenu des circonstances de la présente espèce et, en particulier, de la teneur de la sommation qui lui a été faite, on ne saurait affirmer que l'intimé était libre de partir s'il le souhaitait. Dire qu'il n'a pas été détenu n'est qu'une fiction qui fait abstraction du sens courant qu'ont les mots dans l'esprit du citoyen ordinaire. Un observateur trop empressé pourrait facilement conclure que l'intimé a été détenu et il aurait le sentiment tout au moins que l'agent de la paix a mis l'intimé en état d'arrestation provisoire. Bien qu'elles ne traitent pas directement de l'interprétation du mot "détention" employé à l'al. 10b) de la Charte, plusieurs décisions en matière d'arrestation illégale ou de séquestration présentent une conception de la détention qui correspond de façon très réaliste à celle qu'en a le citoyen ordinaire: voir Conn v. David Spencer Ltd., [1930] 1 D.L.R. 805, [1930] 1 W.W.R. 26, 42 B.C.R. 128, une affaire de séquestration où le demandeur se trouvait dans un magasin libre‑service lorsqu'un gardien de sécurité lui a tapé sur l'épaule et l'a accusé d'avoir volé un pain de savon. On lui a demandé de monter dans une pièce à l'étage supérieur. Bien que n'ayant pas commis de vol, il a estimé que, le magasin étant achalandé, mieux valait ne pas résister. Quant à la question de savoir si le demandeur s'était rendu de son propre gré dans la pièce où devait avoir lieu l'interrogatoire ou s'il l'avait fait parce que le gardien l'accusait de vol, la cour a conclu que le demandeur n'a pas perdu son droit d'action en allant volontairement répondre à l'accusation portée contre lui. À ce propos, la cour s'est demandé "comment une personne peut‑elle savoir si on fera usage de force si elle n'obéit pas à l'ordre donné?...on peut entraver la liberté d'une personne sans même porter la main sur elle." On pourrait mentionner également Chaytor et al. v. London, New York & Paris Ass'n of Fashion Ltd. and Price (1961), 30 D.L.R. (2d) 527, 46 M.P.R. 151, et Lebrun v. High‑Low Foods Ltd. et al. (1968), 69 D.L.R. (2d) 433, 65 W.W.R. 353.
40. Le juge Brownridge, dissident, a conclu que, dans l'arrêt Chromiak, cette Cour a donné au mot "détenue" figurant à l'al. 2c) de la Déclaration canadienne des droits un sens qui exclut manifestement le cas où l'on obtempère à une sommation faite conformément au par. 235(1), et qu'il n'y avait aucune raison de ne pas appliquer ce même sens au terme "détention" employé à l'art. 10 de la Charte. À la page 417, il affirme: [TRADUCTION] "Je rejette le point de vue selon lequel le Parlement du Canada a voulu, en rédigeant la Charte, s'éloigner complètement des principes de droit qui existaient avant son entrée en vigueur. Selon moi, le mot "détention" utilisé dans la Charte doit avoir le même sens qu'il avait dans la Déclaration des droits".
41. D'autres cours d'appel ont décidé que le sens donné au mot "détenue" dans l'arrêt Chromiak doit être appliqué également au mot "détention" qui figure à l'art. 10 de la Charte et, en lui donnant ce sens, elles ont conclu que le fait d'obtempérer à une sommation faite en vertu du par. 235(1) n'entraîne pas une détention au sens de l'art. 10. Voir R. v. Currie (1983), 4 C.C.C. (3d) 217 (D.A.C.S.N.‑É.); R. v. Trask (1983), 6 C.C.C. (3d) 132 (C.A.T.‑N.); Rahn v. The Queen (1984), 11 C.C.C. (3d) 152 (C.A. Alb.) (Les affaires Trask1 et Rahn2 ont été portées en appel devant cette Cour et ont été entendues en même temps que le présent pourvoi.) La Cour d'appel de l'Ontario a également formulé des observations sur l'arrêt Chromiak dans l'arrêt R. v. Simmons (1984), 11 C.C.C. (3d) 193, où l'on s'est demandé s'il y a droit à l'assistance d'un avocat lorsqu'on est soumis à une fouille corporelle en vertu de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40. L'argumentation de l'appelante reprend les motifs qui ont été donnés dans ces arrêts pour justifier, quant à la question de la détention, une conclusion contraire à celle tirée en l'espèce par la Cour d'appel de la Saskatchewan à la majorité. Ces motifs peuvent se résumer ainsi:
1 Voir [1985] 1 R.C.S. 655.
2 Voir [1985] 1 R.C.S. 659.
42. (1) On ne peut faire avec l'arrêt Chromiak une distinction fondée sur la différence qui existerait entre une demande visée au par. 234.1(1) et une sommation visée au par. 235(1) parce que a) il n'y a entre les deux dispositions aucune différence marquée en ce qui a trait au pouvoir qu'elles confèrent de porter atteinte à la liberté ou à la liberté d'action, et parce que b) le juge Ritchie, en adoptant les motifs du juge Pigeon dans l'arrêt Brownridge c. La Reine, [1972] R.C.S. 926, et en concluant que les décisions relatives au par. 235(1) s'appliquaient à la question dont il était saisi, a exprimé sans équivoque son avis que le fait d'obtempérer à une sommation faite en vertu du par. 235(1) ne constitue pas une détention au sens de l'al. 2c) de la Déclaration canadienne des droits.
43. (2) La différence qui existe sur le plan constitutionnel entre la nature ou le statut de la Charte et la nature ou le statut de la Déclaration canadienne des droits ne justifie pas qu'on fasse une distinction avec l'arrêt Chromiak parce qu'il faut supposer qu'en employant le mot "détention" à l'art. 10 de la Charte, qui reprend essentiellement les mêmes termes que l'al. 2c) de la Déclaration canadienne des droits, les rédacteurs de la Charte ont voulu employer ce mot dans le sens qui lui a été attribué dans l'arrêt Chromiak.
44. (3) Le droit, garanti tant par l'al. 10c) de la Charte que par l'al. 2c) de la Déclaration canadienne des droits, de recourir à l'habeas corpus pour contester la légalité d'une détention témoigne de ce que l'entrave à la liberté qu'entraîne une sommation visée au par. 235(1) n'a ni la nature ni la durée envisagée par les dispositions en question.
45. (4) Il ressort de l'arrêt Chromiak que le mot "détention" connote l'exercice d'une contrainte, alors que l'obéissance à une sommation faite en vertu du par. 235(1) est purement volontaire.
46. Je suis d'accord avec la prétention qu'il n'est pas possible de faire avec l'arrêt Chromiak une distinction fondée sur l'existence d'une différence marquée entre le par. 234.1(1) et le par. 235(1) en ce qui concerne le pouvoir qu'ils confèrent de porter atteinte à la liberté ou à la liberté d'action. Les deux dispositions habilitent un policier à enjoindre à une personne de le suivre et de fournir un échantillon d'haleine. On a laissé entendre que la différence pratique qui existe, sur les plans de leur nature et de leur durée, entre une atteinte à la liberté résultant d'une sommation visée au par. 235(1) et celle résultant d'une demande faite en vertu du par. 234.1(1) suffit pour établir une distinction entre ces deux dispositions en ce qui a trait à la question de la détention. Une telle distinction est évoquée par le juge Tarnopolsky, à la p. 224 de l'arrêt Simmons, précité, où, en limitant l'application de l'arrêt Chromiak à une demande faite en vertu du par. 234.1(1), il affirme: [TRADUCTION] "L'arrêt Chromiak traite des analyses sur place d'échantillons d'haleine; il n'établit nullement si une personne est "détenue" lorsqu'elle est obligée de subir un examen quelconque dans les locaux d'un organisme gouvernemental comme un poste de police". Le fait que l'alcootest que l'on demande de subir en vertu du par. 234.1(1) est généralement administré à l'arrière d'une voiture de police alors que celui demandé en vertu du par. 235(1) est généralement administré dans un poste de police, ne constitue qu'une simple différence de degré en ce qui concerne la question de la détention. À mon avis, cette différence ne permet aucunement de tirer une conclusion, fondée sur des principes, qu'une sommation visée au par. 235(1) entraîne une détention si ce n'est pas le cas d'une demande faite en vertu du par. 234.1(1).
47. D'autres cours d'appel qui, sur la question de la détention, sont arrivées à une conclusion contraire à celle tirée par la Cour d'appel de la Saskatchewan en l'espèce, ont jugé que, nonobstant la différence qui existe sur le plan constitutionnel entre la nature ou le statut de la Charte et la nature ou le statut de la Déclaration canadienne des droits, le mot "détention" à l'art. 10 de la Charte doit recevoir le même sens que cette Cour lui a donné dans l'arrêt Chromiak, en raison de la formulation essentiellement similaire des deux dispositions qui garantissent le droit à l'assistance d'un avocat. Suivant le raisonnement adopté par ces cours, si les rédacteurs de la Charte avaient jugé inacceptables le sens et l'effet donnés au mot "détention" dans l'arrêt Chromiak, ils auraient pu facilement adopter une formulation différente comme critère du droit à l'assistance d'un avocat. Voir les arrêts Currie, précité, le juge Macdonald, à la p. 222; Trask, précité, le juge Gushue, à la p. 137; Rahn, précité, le juge Laycraft, à la p. 161; Simmons, précité, le juge en chef Howland de l'Ontario, à la p. 211.
48. Selon moi, la prémisse portant qu'il faut présumer que les rédacteurs de la Charte ont voulu que ses termes reçoivent le sens que leur donnait la jurisprudence à l'époque de son adoption n'est pas un guide fiable quant à la façon de l'interpréter et de l'appliquer. De par sa nature même une charte constitutionnelle des droits et libertés doit être rédigée en termes généraux susceptibles d'évolution et d'adaptation par les tribunaux. Comme l'affirme le juge Dickson (alors juge puîné) dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, à la p. 155: "L'interprétation d'une constitution est tout à fait différente de l'interprétation d'une loi". Même si les rédacteurs de la Charte avaient entretenu certaines réserves quant au sens que cette Cour a donné, dans l'arrêt Chromiak, au mot "détenue" employé à l'al. 2c) de la Déclaration canadienne des droits, à supposer qu'ils en aient tenu compte, il serait tout à fait contre‑indiqué, voire impossible, dans un document constitutionnel de ce genre, de formuler des restrictions détaillées en prévision de questions comme celle soulevée dans le présent pourvoi. Voir la distinction qui est faite entre les mots concepts et conceptions dans Dworkin, Taking Rights Seriously (1977), aux pp. 132 à 137. Ce processus de réexamen relève nécessairement des tribunaux. Même s'il est évident que, dans plusieurs cas comme celui de l'art. 10, les rédacteurs de la Charte ont repris la formulation de la Déclaration canadienne des droits, il est également évident que la Charte, en raison de son caractère constitutionnel, doit être considérée comme une nouvelle déclaration des droits et libertés et du pouvoir et de la responsabilité qu'ont les tribunaux de les protéger. Cela découle, d'une part, de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui dissipe tout doute ou toute incertitude qui puisse subsister quant à l'effet général de la Charte, en disposant qu'elle fait partie de la loi suprême du Canada et qu'elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit, et d'autre part, de l'art. 24 de la Charte qui prévoit que toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances. Avec égards, j'estime qu'en examinant la relation entre une décision rendue sous le régime de la Déclaration canadienne des droits et une question qui relève de la Charte, un tribunal ne peut qu'avoir présent à l'esprit une réalité indéniable et implacable de l'histoire judiciaire du Canada, savoir que, dans l'ensemble, à l'exception de quelques cas notables, les tribunaux ont ressenti une certaine incertitude ou ambivalence dans l'application de la Déclaration canadienne des droits, du fait que celle‑ci ne traduit pas un mandat constitutionnel clair de rendre des décisions judiciaires ayant pour effet de limiter ou de restreindre la souveraineté traditionnelle du Parlement. L'importance du nouveau mandat constitutionnel de contrôle judiciaire prévu par la Charte a été soulignée par cette Cour dans ses arrêts récents Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, et Hunter c. Southam Inc., précité.
49. De plus, malgré la similitude qui existe entre la formulation de l'al. 2c) de la Déclaration canadienne des droits et celle de l'art. 10 de la Charte, la Charte diffère de la Déclaration par l'ampleur et la nature du droit à l'assistance d'un avocat qu'elle accorde et par sa façon d'envisager la restriction ou la limitation de ce droit et, selon moi, cette différence doit avoir une influence sur la façon de l'interpréter et de l'appliquer. L'alinéa 10b) de la Charte garantit non seulement le droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat, comme c'est le cas du sous‑al. 2c)(ii) de la Déclaration canadienne des droits, mais encore le droit d'être informé de ce droit. Voilà qui, à mon avis, démontre l'importance accrue que la Charte attache au droit de consulter un avocat. Une différence importante entre le droit à l'assistance d'un avocat conféré par la Déclaration canadienne des droits et celui accordé par la Charte réside dans le fait que, suivant l'art. 1 de la Charte, ce droit ne peut être restreint que dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Ainsi, le droit en question est expressément restreint d'une manière qui permet de le traiter avec plus de souplesse. Voir l'arrêt R. v. Talbourdet (1984), 12 C.C.C. (3d) 173, à la p. 180, où le juge Cameron de la Cour d'appel laisse entendre que, si la Déclaration canadienne des droits avait contenu une disposition semblable, cette Cour aurait très bien pu aborder différemment la question soulevée dans l'affaire Chromiak. La signification et la portée données au mot "détenue" dans l'arrêt Chromiak représentaient les seuls moyens de fixer des limites raisonnables au droit à l'assistance d'un avocat. Pour ces raisons additionnelles, je suis d'avis, avec grands égards pour les tenants du point de vue contraire, qu'on ne peut présumer que les rédacteurs de la Charte ont voulu, en adoptant la formulation de l'art. 10, que le mot "détention" reçoive nécessairement, dans le cas d'une demande faite en vertu du par. 234.1(1) ou d'une sommation visée au par. 235(1), la signification et la portée que cette Cour a données au terme "détenue" dans l'arrêt Chromiak.
50. Ceux qui, sur la question de la détention, sont arrivés à une conclusion différente de celle tirée, en l'espèce, par la Cour d'appel de la Saskatchewan à la majorité ont attaché une importance particulière à ce qu'ils ont perçu comme l'incidence du recours par voie d'habeas corpus prévu au sous‑al. 2c)(iii) de la Déclaration canadienne des droits et à l'al. 10c) de la Charte, qui, selon eux, indique le genre d'atteinte à la liberté ou à la liberté d'action qu'envisage nécessairement le mot "détention" que l'on trouve dans ces dispositions. Le juge Ritchie a estimé dans l'arrêt Chromiak qu'en prévoyant un recours par voie d'habeas corpus ce qui était envisagé était une détention "en vertu de l'application régulière de la loi". Il est probable qu'on voulait alors parler d'une détention imposée dans l'exercice apparent d'un pouvoir légal. D'autres juges, qui ont souligné l'importance du fait que l'on prévoit un recours par voie d'habeas corpus, ont parlé plutôt de la durée de la détention qui était nécessairement envisagée. Voir ce que disent le juge Macdonald dans l'arrêt Currie, précité, à la p. 230, le juge Laycraft dans l'arrêt Rahn, précité, à la p. 161, et le juge en chef Howland de l'Ontario dans l'arrêt Simmons, précité, à la p. 212. Ces juges ont conclu que ce qu'on a dû envisager était une entrave à la liberté d'une durée suffisante pour permettre que sa légalité soit contestée par voie d'habeas corpus. Avec égards, je partage sur cette question l'opinion exprimée par le juge Tarnopolsky dans l'arrêt Simmons, précité, à la p. 222 où il affirme: [TRADUCTION] "Selon moi, l'art. 10 confère des droits dont on doit pouvoir se prévaloir chaque fois que cela peut être approprié. Il n'est toutefois pas toujours nécessaire d'invoquer chacun de ces droits. Par conséquent, même si la courte durée d'une détention rend pratiquement impossible un recours par voie d'habeas corpus, il ne s'agit pas moins d'une détention." J'estime que l'art. 10 de la Charte vise nécessairement une multiplicité de détentions de diverses durées et que, dans bien des cas, le recours par voie d'habeas corpus se révélera inefficace parce que la détention aura pris fin avant que la demande ne puisse être formulée et qu'une décision ne soit rendue à son sujet. Bien sûr, on peut avoir recours à l'habeas corpus pour déterminer la légalité d'une détention lorsque les circonstances le permettent. Mais, le fait que cela peut parfois être impossible en raison de la durée limitée de la détention n'est pas une raison, à mon avis, de limiter le sens du mot "détention" aux détentions d'une certaine durée.
51. Pour déterminer le sens à donner au terme "détention" employé à l'art. 10 de la Charte, il est nécessaire d'examiner l'objet de cet article. C'est cette façon d'aborder l'interprétation et l'application de la Charte qui a reçu l'approbation de cette Cour dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., précité, où le juge Dickson affirme, à la p. l57: "Puisque la façon appropriée d'aborder l'interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés est de considérer le but qu'elle vise, il est d'abord nécessaire de préciser le but fondamental de l'art. 8 pour pouvoir évaluer le caractère raisonnable ou abusif de l'effet d'une fouille ou d'une perquisition ou d'une loi autorisant une fouille ou une perquisition: en d'autres termes, il faut d'abord délimiter la nature des droits qu'il vise à protéger".
52. L'article 10 de la Charte vise à assurer que, dans certaines situations, une personne soit informée de son droit à l'assistance d'un avocat et qu'elle puisse obtenir cette assistance sans délai. Il est évident que les cas (l'arrestation et la détention) mentionnés expressément à l'art. 10 ne sont pas les seuls où une personne peut avoir raisonnablement besoin de l'assistance d'un avocat, mais qu'il s'agit de situations où l'entrave à la liberté pourrait, par ailleurs, avoir pour effet de rendre impossible l'accès à un avocat ou d'amener une personne à conclure qu'elle n'est pas en mesure d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. En utilisant le mot "détention", l'art. 10 de la Charte vise une entrave à la liberté autre qu'une arrestation par suite de laquelle une personne peut raisonnablement avoir besoin de l'assistance d'un avocat, mais pourrait, en l'absence de cette garantie constitutionnelle, être empêchée d'y avoir recours sans délai.
53. Outre le cas où il y a privation de liberté par contrainte physique, j'estime qu'il y a détention au sens de l'art. 10 de la Charte lorsqu'un policier ou un autre agent de l'état restreint la liberté d'action d'une personne au moyen d'une sommation ou d'un ordre qui peut entraîner des conséquences sérieuses sur le plan juridique et qui a pour effet d'empêcher l'accès à un avocat.
54. Dans l'arrêt Chromiak, cette Cour a conclu que le mot "détention" connote "une certaine forme de contrainte". Il ne fait aucun doute qu'une certaine forme de contrainte ou de coercition doit être exercée pour qu'il y ait atteinte à la liberté ou à la liberté d'action équivalant à une détention au sens de l'art. 10 de la Charte. À ce qu'il me semble, la question est de savoir si cette contrainte doit être physique ou s'il peut s'agir également d'une contrainte psychologique ou morale qui a pour effet d'inhiber la volonté tout autant que l'usage, ou la menace d'usage, de la force physique. La question est de savoir si la personne qui fait l'objet d'une sommation ou d'un ordre émanant d'un policier ou d'un autre agent de l'état peut raisonnablement s'estimer libre de refuser d'y obtempérer.
55. Les deux points de vue relatifs à cette question sont mis en contraste dans la déclaration du juge Clement de la Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt Chromiak, que le juge Macdonald a citée en l'approuvant dans l'arrêt Currie, et dans la déclaration déjà citée qu'a faite le juge Tallis en l'espèce. Dans l'arrêt Chromiak (1979), 46 C.C.C. (2d) 310, à la p. 318, le juge Clement affirme: [TRADUCTION] "Chromiak a fait son choix librement sans y être contraint par une détention ou une menace de détention légale ou non". Le juge Macdonald écrit, à la p. 231 de l'arrêt Currie: [TRADUCTION] "Il n'y a, en l'espèce, aucun élément de privation involontaire de liberté. Il n'y a pas eu d'atteinte à sa liberté de choix‑‑ on lui a donné le choix de suivre ou non le policier. Il a choisi de l'accompagner sans manifester la moindre hésitation et sans avoir été menacé de détention s'il refusait." Dans le passage cité antérieurement, le juge Tallis exprime le point de vue contraire: "Par ailleurs, le citoyen ordinaire préférerait obtempérer à la sommation de l'agent de la paix plutôt que de s'exposer à la possibilité d'être embarrassé par d'autres procédures qui pourraient s'ensuivre... Compte tenu des circonstances de la présente espèce et, en particulier, de la teneur de la sommation qui lui a été faite, on ne saurait affirmer que l'intimé était libre de partir s'il le souhaitait."
56. Suivant le par. 235(2), est coupable d'un acte criminel quiconque, sans excuse raisonnable, refuse d'obtempérer à une sommation faite en vertu du par. 235(1). Il est irréaliste de dire d'une personne qui est passible d'arrestation et de poursuites pour refus d'obtempérer à une sommation faite par un agent de la paix dans l'exercice du pouvoir que lui confère la loi, qu'elle est libre de refuser d'obtempérer à cette sommation. La responsabilité criminelle qu'entraîne le refus d'obtempérer constitue une contrainte réelle. C'est précisément ce genre de contrainte ou coercition psychologique exercée par les conséquences du refus d'obtempérer à une sommation faite en vertu du par. 235(1) que le juge Laskin (alors juge puîné) semble avoir eu à l'esprit dans l'arrêt Hogan c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 574, à la p. 587, où il dit: "Il n'y a pas de doute, par conséquent, que l'accusé était "détenu" au sens du sous‑al. (ii) de l'al. c) de l'art. 2 de la Déclaration canadienne des droits; il était passible de poursuites en vertu du par. (2) de l'art. 235 si, sans excuse raisonnable, il refusait d'obtempérer à la sommation, qui impliquait l'obligation d'accompagner l'agent de la paix pour s'y soumettre". Toute responsabilité criminelle découlant du refus d'obtempérer à une sommation ou à un ordre d'un policier doit suffire pour rendre l'obéissance involontaire. Ce serait le cas, par exemple, de l'obéissance lorsque le refus d'obtempérer reviendrait à entraver volontairement un policier dans l'exécution de son devoir, contrairement à l'art. 118 du Code criminel.
57. Bien que cela ne soit pas strictement nécessaire aux fins du présent litige, j'irais encore plus loin. À mon avis, il est, en règle générale, irréaliste de considérer l'obéissance à une sommation ou à un ordre d'un policier comme un acte réellement volontaire en ce sens que l'intéressé se sent libre d'obéir ou de désobéir, même lorsque la sommation ou l'ordre en question n'est autorisé ni par la loi ni par la common law, et que, par conséquent, le refus d'y obtempérer n'entraîne aucune responsabilité criminelle. La plupart des citoyens ne connaissent pas très exactement les limites que la loi impose aux pouvoirs de la police. Plutôt que de s'exposer à l'usage de la force physique ou à des poursuites pour avoir volontairement entravé la police dans l'exécution de son devoir, il est probable que la personne raisonnable péchera par excès de prudence et obtempérera à la sommation en présumant qu'elle est légale. L'élément de contrainte psychologique, sous forme d'une perception raisonnable qu'on n'a vraiment pas le choix, suffit pour rendre involontaire la privation de liberté. Il peut y avoir détention sans qu'il y ait contrainte physique ou menace de contrainte physique, si la personne intéressée se soumet ou acquiesce à la privation de liberté et croit raisonnablement qu'elle n'a pas le choix d'agir autrement.
58. Pour ces motifs, je suis d'avis que, par suite de la sommation qui lui a été faite en vertu du par. 235(1) de suivre le policier jusqu'au poste de police pour y subir un alcootest, il y a eu détention de l'intimé au sens de l'art. 10 de la Charte.
59. L'intimé avait donc le droit, au moment de sa détention, d'être informé de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et il y a eu violation ou négation de ce droit, à moins qu'on ne puisse démontrer que le droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat (et, par conséquent, celui d'être informé de ce droit) n'existe pas dans le contexte d'une sommation faite en vertu du par. 235(1), en raison d'une restriction qui satisfait aux exigences de l'art. 1 de la Charte, dont voici le texte:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
60. L'article 1 exige que cette restriction soit prescrite par une règle de droit, qu'elle soit raisonnable et que sa justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. L'exigence que la restriction soit prescrite par une règle de droit vise surtout à faire la distinction entre une restriction imposée par la loi et une restriction arbitraire. Une restriction est prescrite par une règle de droit au sens de l'art. 1 si elle est prévue expressément par une loi ou un règlement, ou si elle découle nécessairement des termes d'une loi ou d'un règlement, ou de ses conditions d'application. La restriction peut aussi résulter de l'application d'une règle de common law. Le par. 235(1) et les dispositions connexes du Code criminel relatives aux alcootests n'ont pas expressément pour objet de limiter le droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. Pareille restriction, s'il en est, doit se dégager implicitement du texte de ces dispositions ou de leurs conditions d'application. Par exemple, dans l'arrêt Talbourdet, précité, la Cour d'appel de la Saskatchewan a conclu que le par. 234.1(1) du Code criminel contient une telle restriction du fait qu'il exige qu'un échantillon d'haleine soit fourni "sur‑le‑champ" au moyen d'un alcootest. La cour a conclu que cette exigence empêchait de communiquer avec un avocat avant d'obtempérer à une demande faite en vertu du par. 234.1(1). Dans le cas d'une sommation en vertu du par. 235(1), la portée du texte de cette disposition et de ses conditions d'application est quelque peu différente. Une sommation visée au par. 235(1) doit être faite "sur‑le‑champ ou dès que possible" et la personne à laquelle est adressée cette sommation doit fournir un échantillon d'haleine "sur‑le‑champ ou dès que possible". De tels échantillons ne peuvent servir de preuve d'une infraction aux art. 234 ou 236 du Code criminel que "si chaque échantillon a été prélevé dès qu'il a été matériellement possible de le faire après le moment où l'infraction est alléguée avoir été commise et, de toute façon, pas plus de deux heures après ce moment, le second l'ayant été au moins quinze minutes après le premier" (sous‑al. 237(1)c)(ii)). À la différence du par. 234.1(1) où l'échantillon demandé doit être soumis "sur‑le‑champ", cette condition relative au délai de deux heures n'empêche pas de communiquer avec un avocat avant de subir l'alcootest. Le droit, au moment de la détention résultant d'une sommation faite en vertu du par. 235(1), d'être informé de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat n'est donc pas restreint par une règle de droit au sens de l'art. 1 de la Charte. Il n'est pas nécessaire en l'espèce d'examiner la question de savoir si le délai de deux heures prévu par le par. 237(1) impose une limite justifiée à la nature et à l'étendue de l'accès à un avocat qu'on peut avoir dans des circonstances données.
III
61. Il est maintenant nécessaire d'examiner si, en raison de cette violation ou négation du droit à l'assistance d'un avocat, la preuve obtenue au moyen de l'alcootest aurait dû être écartée conformément à l'art. 24 de la Charte. Par souci de commodité, je reproduis de nouveau l'art. 24:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
62. Comme je l'ai déjà fait remarquer dans les présents motifs, la première question que soulève l'art. 24 est de savoir si, comme l'a conclu la Cour d'appel de la Saskatchewan à la majorité, un élément de preuve peut être écarté conformément au par. 24(1) pour le motif qu'il est convenable et juste de le faire eu égard aux circonstances, ou s'il ne peut être écarté que conformément au par. 24(2) pour le motif que, eu égard aux circonstances, son utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Selon le juge Tallis, à l'avis duquel ont souscrit les juges Hall et Cameron, si seul le par. 24(2) autorisait l'exclusion d'éléments de preuve, une personne, victime de violation ou de négation de ses droits ou libertés, se trouverait souvent sans aucun recours approprié ou efficace. Dans les motifs concordants qu'il a rédigés sur cette question, le juge en chef Bayda affirme que si le Parlement avait voulu que l'exclusion d'éléments de preuve en raison d'une atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte ne puisse se fonder que sur le par. 24(2), il aurait inséré le mot "seulement" après le mot "écartés" dans ce paragraphe. Même s'il ne lui était pas nécessaire de se prononcer sur ce point, compte tenu de sa conclusion sur la question de la détention, le juge Brownridge a exprimé brièvement l'avis qu'un élément de preuve ne peut être écarté en vertu de l'art. 24 de la Charte que si son utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Il a affirmé ce qui suit: [TRADUCTION] "Il me semblerait anormal que le pouvoir même qui est ainsi restreint par le par. 24(2) puisse être conféré à un tribunal par le par. 24(1), mais sans aucune restriction de ce genre".
63. Le juge du procès et la Cour d'appel à la majorité ont conclu que le par. 24(2) impose l'obligation d'écarter des éléments de preuve si leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, mais que le par. 24(1) confère le pouvoir discrétionnaire de les écarter si le tribunal estime convenable et juste de le faire eu égard aux circonstances. Il semblerait que cette distinction entre obligation et pouvoir discrétionnaire constitue le fondement principal du point de vue de la majorité portant que les rédacteurs de la Charte ont voulu prévoir deux motifs différents d'exclure des éléments de preuve lorsqu'il y a eu violation ou négation d'un droit ou d'une liberté garantis.
64. Je n'estime pas nécessaire d'examiner s'il y a lieu, comme l'a laissé entendre l'avocat de l'appelante, de considérer l'historique législatif de l'art. 24 pour trancher cette question. D'après le texte de l'art. 24, je suis convaincu qu'on a voulu que seul le par. 24(2) permette d'écarter des éléments de preuve par suite d'une atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte. Il est évident, à mon avis, qu'en faisant suivre du par. 24(2), qui prévoit expressément l'exclusion d'éléments de preuve, les dispositions générales du par. 24(1), les rédacteurs de la Charte ont voulu que ce redressement particulier soit régi entièrement par les termes du par. 24(2). Il n'est guère raisonnable de prêter à ces derniers l'intention de contraindre les cours saisies d'une demande d'exclusion d'éléments de preuve à appliquer deux critères, le premier étant de savoir si l'utilisation de ces éléments est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice et, le second, dans le cas d'une réponse négative, étant de savoir si leur exclusion est néanmoins convenable et juste eu égard aux circonstances. Il résulterait inévitablement de cet autre critère ou redressement que le par. 24(2) deviendrait lettre morte. Les rédacteurs de la Charte n'ont pu vouloir que la restriction explicite et délibérément adoptée qu'impose le par. 24(2) au pouvoir d'écarter des éléments de preuve en raison d'une atteinte à un droit ou à une liberté garantis soit ainsi minée ou contournée. Selon moi, les premiers mots du par. 24(2), "Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1)", visent simplement une demande de redressement fondée sur le par. 24(1). Ces mots me renforcent dans ma conclusion que le critère énoncé au par. 24(2) est le seul applicable pour déterminer s'il y a lieu d'écarter des éléments de preuve. Je conclus donc que la Cour d'appel de la Saskatchewan a commis une erreur de droit en confirmant l'exclusion de la preuve obtenue au moyen de l'alcootest pour le motif que cela était convenable et juste eu égard aux circonstances, au sens du par. 24(1) de la Charte.
IV
65. Il est alors nécessaire d'examiner le sens du critère prescrit par le par. 24(2) ainsi que son application aux faits qui se dégagent du dossier en l'espèce. Deux conditions doivent être remplies pour que des éléments de preuve puissent être écartés conformément au par. 24(2): a) ils doivent avoir été obtenus dans des conditions qui portent atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte et b) eu égard aux circonstances, l'utilisation de ces éléments de preuve doit être susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. D'après la première condition, il doit y avoir un lien ou un rapport quelconque entre la violation ou la négation du droit ou de la liberté en question et l'obtention de la preuve que la demande vise à faire écarter. Certains tribunaux ont conclu, ou semblent avoir présumé, qu'il doit s'agir d'un lien de causalité analogue à celui qui, en matière délictuelle, est exprimé par les mots "n'eût été". (Voir Fleming, The Law of Torts (6e ed. 1983), à la p. 171.) Il s'agit là essentiellement du point de vue adopté par le juge Gushue, au nom de la Cour d'appel de Terre‑Neuve, dans l'arrêt R. v. Trask, précité, où il affirme à la p. 137:
[TRADUCTION] La preuve n'a pas été obtenue d'une manière qui contrevient à la Charte. Elle a été obtenue régulièrement en conformité avec les dispositions du Code criminel. Il n'y a aucune preuve que l'accusé pouvait raisonnablement refuser de fournir des échantillons de son haleine. Si on l'avait informé de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat et s'il avait effectivement consulté un avocat, ce dernier lui aurait sûrement dit qu'il était tenu de fournir les échantillons demandés.
66. À mon avis, les mots anglais obtained in a manner that infringed or denied any rights or freedoms guaranteed by this Charter, particulièrement lorsqu'ils sont rapprochés de leur version française "obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte", ne connotent ou n'exigent aucun lien de causalité. Il suffit que la violation ou la négation du droit ou de la liberté soit survenue avant ou pendant l'obtention de la preuve. Il n'est pas nécessaire d'établir que la preuve n'aurait pas été obtenue n'eût été la violation de la Charte. Un tel point de vue reconnaît suffisamment le préjudice intrinsèque que cause la violation d'un droit ou d'une liberté garantis par la Charte sans parler de son incidence sur l'obtention d'éléments de preuve. Je conviens toutefois que, dans le cas d'une preuve dérivée, ce dont il n'est pas question en l'espèce, il peut parfois être nécessaire d'examiner la question de l'absence relative du lien de causalité.
67. En définitive, je suis d'avis que l'élément de preuve que représente le certificat d'analyse en l'espèce a été obtenu dans des conditions qui portaient atteinte au droit de l'intimé d'être informé de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat, et qu'il satisfait ainsi à la première condition du par. 24(2).
68. Le sens et la portée des mots "s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice", qui figurent au par. 24(2), ont été abondamment commentés aussi bien dans la jurisprudence que dans la doctrine. Loin de s'en tenir au texte du par. 24(2) lui‑même, les glossateurs ont puisé dans diverses sources, notamment: la common law du Canada, d'Angleterre et d'autres pays du Commonwealth relative à l'exclusion des éléments de preuve obtenus illégalement, l'expérience concernant la règle d'exclusion "absolue" appliquée aux États‑Unis, les différentes recommandations de réforme du droit faites antérieurement à l'adoption de la Charte, les motifs de jugement des juges Estey et Lamer dans l'arrêt Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640, et l'historique législatif du par. 24(2).
69. Les cours d'appel ont, dans l'ensemble, quoique parfois sous certaines réserves, adopté ce qu'on appelle maintenant le critère de "ce qui choque la collectivité" proposé par le juge Lamer dans l'arrêt Rothman. Voir les arrêts R. v. Collins (1983), 5 C.C.C. (3d) 141 (C.A.C.‑B.), R. v. Cohen (1983), 5 C.C.C. (3d) 156 (C.A.C.‑B.), R. v. Stevens (1983), 7 C.C.C. (3d) 260 (D.A.C.S.N.‑é.), R. v. Chapin (1983), 7 C.C.C. (3d) 538 (C.A. Ont.), R. v. Manninen (1983), 8 C.C.C. (3d) 193 (C.A. Ont.), et R. v. Simmons, précité.
70. L'arrêt Rothman porte sur l'admissibilité d'une déclaration faite par l'accusé, alors qu'il se trouvait dans sa cellule et après qu'il eut indiqué à la police qu'il ne voulait pas faire de déclaration, à un policier qui se faisait passer pour un camionneur détenu à cause d'une contravention aux règles de la circulation. Cette Cour à la majorité a conclu que la déclaration de l'accusé était volontaire et, partant, admissible. Le juge Lamer, quoique d'accord quant au résultat, a estimé qu'une déclaration, même obtenue dans des circonstances qui ne la rendent pas irrecevable, doit néanmoins être exclue si, par suite de ce qu'une personne en situation d'autorité a pu faire ou dire en vue d'obtenir cette déclaration, l'utilisation qu'on en ferait dans l'instance ternirait l'image de la justice. Selon le juge Lamer, ce qui ternirait l'image de la justice serait une conduite de la part de la police qui choquerait la collectivité.
71. Le juge Estey, à l'avis duquel le juge en chef Laskin a souscrit, a conclu dans ses motifs de dissidence que la déclaration devait être jugée inadmissible parce qu'elle a été fournie dans des circonstances susceptibles de discréditer l'administration de la justice. Le juge Estey a estimé que l'administration de la justice serait discréditée par tout ce qui porterait atteinte à l'intérêt du public dans l'intégrité de la justice.
72. Le critère proposé par le juge Estey a été perçu comme moins restrictif que celui du juge Lamer. Cela semble tenir, du moins en partie, à ce que le juge Estey, en appliquant son critère aux faits de l'affaire, est arrivé à une conclusion différente sur la question de savoir si la conduite de la police aurait pour effet de discréditer l'administration de la justice.
73. Dans l'arrêt Cohen, précité, le juge Anderson, dissident, dit préférer le critère du juge Estey. Ce point de vue a reçu l'appui exprès ou implicite de plusieurs glossateurs.
74. Dans les arrêts Manninen, Chapin et Simmons, précités, la Cour d'appel de l'Ontario, tout en reconnaissant que ce qui choquerait la collectivité aurait clairement pour effet de déconsidérer l'administration de la justice, a indiqué qu'elle ne croyait pas que l'application des termes du par. 24(2) doit dépendre uniquement de ce critère. Le juge en chef Howland affirme dans l'arrêt Simmons, à la p. 218:
[TRADUCTION] Si la preuve a été obtenue d'une manière qui choque l'ensemble des Canadiens, elle est sans aucun doute inadmissible parce que son utilisation déconsidérerait l'administration de la justice. Toutefois, il peut y avoir des cas où l'administration de la justice est déconsidérée au sens du par. 24(2) sans pour autant que cela choque l'ensemble des Canadiens. À mon avis, il est préférable que la question de savoir si les exigences du par. 24(2) de la Charte ont été remplies soit tranchée en fonction de chaque cas, et de ne pas substituer aux termes explicites de la loi un critère fondé sur ce qui "choquerait la collectivité" ou quelque autre critère.
75. Avec égards, je suis d'accord pour dire qu'il ne faut pas substituer aux termes utilisés au par. 24(2) une autre expression du critère applicable, tirée d'un contexte juridique différent. Le fait que les droits et libertés garantis par la Charte sont enchâssés dans la Constitution change l'importance relative des valeurs dont il faut tenir compte dans l'application du critère énoncé au par. 24(2). Ce paragraphe paraît viser principalement à éviter que, par suite de la violation des droits et libertés garantis par la Constitution, l'administration de la justice cesse d'être respectée et d'inspirer confiance. Bien entendu, l'application du par. 24(2) exige implicitement que l'on prenne en considération une autre valeur, savoir la possibilité d'utiliser un élément de preuve par ailleurs admissible, pour établir la vérité devant les tribunaux, particulièrement en matière criminelle. La question que soulève le par. 24(2) est de savoir dans quelles circonstances cette valeur doit céder le pas à la nécessité de protéger et de faire respecter les droits et libertés garantis par la Constitution, par l'application de ce qui peut être dans un cas donné l'unique redressement efficace.
76. Les facteurs ou les circonstances dont on doit tenir compte pour décider si l'utilisation de certains éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice ont eux aussi été souvent commentés dans la jurisprudence et dans la doctrine. Il ne serait guère judicieux de tenter de dresser une liste exhaustive des facteurs qui sont pertinents en l'espèce. La jurisprudence a toutefois, et à juste titre selon moi, prêté à certains de ces facteurs une importance et une portée toutes particulières, surtout dans le contexte du droit, conféré par l'art. 8 de la Charte, à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Sous ce rapport, les deux éléments principaux à prendre en considération sont la gravité relative de la violation de la Constitution et la gravité relative de l'accusation criminelle. La gravité relative d'une violation de la Constitution a été évaluée en fonction de la question de savoir si elle a été commise de bonne foi ou par inadvertance ou si elle est de pure forme, ou encore s'il s'agit d'une violation délibérée, volontaire ou flagrante. Un autre facteur pertinent consiste à déterminer si cette violation a été motivée par l'urgence de la situation ou par la nécessité d'empêcher la perte ou la destruction de la preuve.
77. À mon avis, quand on les applique à la négation du droit à l'assistance d'un avocat, ces facteurs doivent être soupesés de façon différente vu l'importance que revêt ce droit en matière criminelle. J'estime que le droit à l'assistance d'un avocat est à ce point fondamental que sa négation dans un contexte de droit criminel constitue à première vue un acte qui déconsidère l'administration de la justice. Cet effet est non pas diminué, mais plutôt amplifié par la gravité relative de la responsabilité criminelle possible. Toutefois, compte tenu de l'arrêt Chromiak de cette Cour, j'estime que le policier en l'espèce pouvait présumer de bonne foi que l'intimé n'avait pas droit à l'assistance d'un avocat, suite à une sommation faite en vertu du par. 235(1) du Code criminel. En raison de ce fondement sur la bonne foi, il m'est impossible de conclure, eu égard aux circonstances, comme l'exige le par. 24(2) de la Charte, que l'utilisation de la preuve obtenue au moyen de l'alcootest en l'espèce est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Voir le juge Tarnopolsky dans l'arrêt Simmons, précité, aux pp. 228 et 229. La preuve ne peut donc être écartée.
78. Comme l'indique cette conclusion, j'estime en outre que la question de savoir s'il y a lieu d'écarter des éléments de preuve parce que, eu égard aux circonstances, leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, est une question de droit qu'une cour peut trancher sans avoir bénéficié d'aucune preuve quant à l'effet réel ou probable que cette utilisation aura sur l'opinion publique. Bien sûr, l'application des facteurs pertinents dépendra dans certains cas de questions de fait qui doivent être établies par la preuve, mais la question du sens et de l'application du critère énoncé au par. 24(2) est, comme toute autre question d'admissibilité de la preuve, une question de droit. C'est la cour qui est la mieux placée pour juger de ce qui est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Il n'existe d'ailleurs aucune preuve qui permette de déterminer avec certitude quel effet aurait sur l'opinion publique l'admission de tel ou tel élément de preuve dans les circonstances d'une affaire donnée. On a déjà proposé le recours à des sondages d'opinion (voir D. Gibson, "Determining Disrepute: Opinion Polls and the Canadian Charter of Rights and Freedoms" (1983), 61 R. du B. can. 377). Mais, selon moi, cette proposition se heurte à deux objections qui lui sont fatales. Il y a d'abord ce que le professeur Gibson appelle l'exigence de la [TRADUCTION] "précision". Comment pourrait‑on, au moyen d'un sondage d'opinion, faire entrer en ligne de compte toutes les circonstances d'une affaire et comment pourrait‑on arriver à soupeser, comme on doit obligatoirement le faire, les différents facteurs pertinents? La seconde objection porte que les frais qu'entraînerait l'exigence d'une preuve de ce genre, qui, puisqu'ils devraient être supportés par la personne qui a été victime d'une atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Constitution, contribueraient inévitablement à réduire les possibilités d'exercer le recours prévu au par. 24(2). Contrairement à ce que d'aucuns prétendent, l'exclusion d'éléments de preuve en vertu du par. 24(2) ne relève pas de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Le paragraphe 24(2) comporte l'application d'un critère général, ce qui confère nécessairement à la cour une certaine latitude, mais pas vraiment un pouvoir discrétionnaire. Le pouvoir discrétionnaire se caractérise par l'existence d'un choix quant au parti à prendre et non pas simplement par le fait d'avoir à appliquer une norme souple. Aux termes du par. 24(2), lorsqu'un juge conclut que l'utilisation d'une preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, il a le devoir et non pas le pouvoir discrétionnaire d'écarter cette preuve. Cette distinction revêt évidemment une certaine importance relativement à l'étendue du contrôle qui peut être fait d'une décision rendue en vertu du par. 24(2).
79. Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel de la Saskatchewan ainsi que la décision du juge Muir et d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.
Pourvoi rejeté, les juges McIntyre et Le Dain sont dissidents.
Procureur de l’appelante: Richard Gosse, Regina.
Procureurs de l’intimé: Robert Skinner et Vikas Khaladkar, Regina.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada: Roger Tassé, Ottawa.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l'Ontario: Le procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec: Le procureur général du Québec, Ste‑Foy.