Cour suprême du Canada
MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370
Date: 1980-07-18
[NAS omis] Soldat R.C. MacKay, Force régulière des Forces canadiennes Appelant;
et
Sa Majesté La Reine Intimée.
1980: 5 février; 1980: 18 juillet.
Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey, Mclntyre et Chouinard.
EN APPEL DU TRIBUNAL D’APPEL DES COURS MARTIALES
Droit constitutionnel—Cour martiale—Égalité devant la loi—Procureur à charge militaire au lieu du procureur général—Tribunal indépendant et non préjugé—Déclaration canadienne des droits, art. 1a), 1b), 2e) et 2f)—Acte de l’Amérique du Nord britannique, art. 91(7).
L’appelant, qui fait partie de la force régulière des Forces canadiennes, a été jugé par une Cour martiale permanente sur sept accusations portées conformément à l’art. 120 de la Loi sur la défense nationale, six des accusations ont trait au trafic d’un stupéfiant contrairement au par. 4(1) de la Loi sur les stupéfiants, et la dernière à la possession d’un stupéfiant contrairement à l’art. 3 de la Loi sur les stupéfiants. Il a été acquitté sur l’une des accusations de trafic et déclaré coupable sur les six autres chefs. Il a été condamné à soixante jours d’emprisonnement. En appel, le Tribunal d’appel des cours martiales a infirmé sa déclaration de culpabilité sur une des accusations de trafic et l’a confirmée sur les cinq accusations restantes. Les infractions de trafic dont il a été déclaré coupable impliquent d’autres membres des forces armées et trois d’entre elles avaient été commises dans des casernes militaires. L’infraction de possession y avait également été commise.
On a demandé à cette Cour de répondre aux questions constitutionnelles suivantes: 1. Les dispositions de la Loi sur la défense nationale, qui autorisent le procès du personnel militaire accusé d’infractions criminelles commises au Canada en violation de la Loi sur les stupéfiants ou du Code criminel devant des tribunaux militaires, sont-elles inopérantes en raison des al. 1a), 1b), 2e) et 2f) de la Déclaration canadienne des droits? 2. Est-ce que la Loi sur la défense nationale est ultra vires du Parlement du Canada dans la mesure où elle permet au procureur à charge militaire et non au procureur général d’une province ou au procureur général du Canada d’instituer et de mener des poursuites criminelles devant des tribunaux militaires pour des infractions commises au Canada en violation de la Loi sur les stupéfiants ou du Code criminel?
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Arrêt (le juge en chef Laskin et le juge Estey sont dissidents): Le pourvoi est rejeté et les deux questions reçoivent une réponse négative.
Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz et Chouinard: La Loi sur la défense nationale, en vertu de laquelle les accusations ont été portées en l’espèce, est une loi édictée en application de l’obligation de légiférer assignée au Parlement par le par. 91(7) de l’A.A.N.B. qui dispose: «… l’autorité législative exclusive du Parlement du Canada s’étend à … la milice, le service militaire et le service naval, et la défense du pays». Ce pouvoir doit comporter celui d’édicter des lois pour réglementer et régir les membres des forces armées, ce qui implique en conséquence l’adoption de dispositions établissant des tribunaux chargés de leur application. Dans l’arrêt Prata c. Le ministre de la Main d’œuvre et de l’Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376, où cette Cour a décidé que l’al. b) du par. (1) de la Déclaration canadienne des droits n’exige pas que toutes les lois fédérales doivent s’appliquer de la même manière à tous les individus, va directement à l’encontre de la prétention que l’appelant fonde sur l’al. 1b) de la Déclaration des droits en l’espèce.
La prétention de l’appelant que la possibilité de porter des accusations contre un militaire devant une cour martiale ou devant un tribunal civil l’expose à une dualité de poursuites criminelles caractéristique de l’inégalité devant la loi, est insoutenable. Il faut cependant garder à l’esprit qu’en vertu de la Loi sur la défense nationale, la compétence des tribunaux civils n’est jamais exclue (par. 61(1)) et que le droit militaire, qui côtoie de près le droit commun général, en fait lui-même partie, quoiqu’il soit restreint dans son application aux membres des forces armées. L’application de l’art. 120 de la Loi sur la défense nationale entraîne nécessairement des différences entre la façon dont sont traités les membres des forces armées et les civils et le principe de l’égalité devant la loi n’interdit pas au Parlement d’adopter, pour des raisons dictées par une saine politique législative, des lois qui s’appliquent à une catégorie de personnes à l’exclusion d’une autre. La manière dont l’appelant a été inculpé et son procès intenté n’a pas violé ses droits fondamentaux.
La prétention de l’appelant qu’il a été privé d’une audition par un tribunal indépendant et non préjugé parce que le président de la cour martiale permanente était membre des forces armées est aussi insoutenable. Absolument rien ne laisse entendre que le président ait agi avec partialité ou que sa nomination a eu pour résultat de priver l’appelant d’un procès devant un tribunal indépendant et non préjugé ou qu’elle visait ce
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résultat. La première question doit donc recevoir une réponse négative.
Quant à la seconde question, le pouvoir en l’espèce de nommer un fonctionnaire fédéral pour mener la poursuite relative à l’infraction ressortit à bon droit à la compétence fédérale. La question a été résolue dans l’arrêt Hauser, [1979] 1 R.C.S. 984. Elle doit aussi recevoir une réponse négative.
Les juges Dickson et Mclntyre: On n’a pas déclaré que la Loi sur la défense nationale devait s’appliquer nonobstant les dispositions de la Déclaration des droits et il faut donc en garder les dispositions à l’esprit quand on interprète la Loi.
La plaidoirie de l’appelant, qu’un procès en cour martiale contrevient à la Déclaration des droits parce qu’elle prive le militaire de son droit à une audition impartiale par un tribunal indépendant et non préjugé, comme le prévoit l’al. 2f), ne peut être acceptée. Depuis toujours, les officiers des forces armées ont rempli cette fonction judiciaire. Les officiers ne sont pas moins aptes que des personnes nommées à des fonctions judiciaires dans la société civile à adapter leurs attitudes de façon à remplir l’obligation d’impartialité qui leur incombe. De plus, l’existence d’un Tribunal d’appel des cours martiales, une cour d’appel professionnelle ayant une compétence générale d’appel sur les cours martiales, est une garantie importante.
Le deuxième moyen de l’appelant soulève la question de savoir si le fait que les militaires sont jugés par une cour martiale conformément au droit militaire pour une infraction au droit criminel canadien les prive de l’égalité devant la loi en violation de l’al. 1b) et de l’art. 2 de la Déclaration des droits. L’interprétation prétorienne de l’expression «égalité devant la loi» a avancé la proposition qu’une loi adoptée par le Parlement ne contrevient pas au principe de l’égalité devant la loi si elle est adoptée en cherchant l’accomplissement d’un «objectif fédéral régulier». Il est incontestable que le Parlement a le pouvoir de légiférer de façon à viser un groupe ou une catégorie de la société plutôt qu’un autre sans nécessairement enfreindre pour autant la Déclaration des droits. La question à résoudre dans chaque cas est celle de savoir si l’inégalité qui peut être créée par la loi vis-à-vis d’une catégorie particulière—ici les militaires—est arbitraire, fantaisiste ou superflue, ou si elle a un fondement rationnel et acceptable en tant que dérogation nécessaire au principe général de l’application universelle de la loi pour faire face à des conditions particulières et atteindre un objectif social nécessaire et souhaitable.
La création d’un droit militaire et des tribunaux que requiert son application, ce qui implique nécessairement
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que, dans certains cas, le traitement juridique des militaires sera différent de celui des civils, ne constitue pas en soi un déni d’égalité devant la loi. Il ne faut cependant pas oublier que, puisqu’il faut respecter le principe de l’égalité devant la loi, on ne peut y déroger que lorsque cela est nécessaire pour accomplir des objectifs socialement souhaitables et, dans ce cas, seulement dans la mesure nécessaire pour y parvenir dans les circonstances. Lorsque les dispositions de la Loi sur la défense nationale confèrent aux cours martiales compétence pour juger des soldats au Canada pour des infractions qui constituent des infractions aux lois pénales canadiennes pour lesquelles des civils pourraient également être poursuivis, et lorsque ni la perpétration ni la nature de ces infractions ne sont nécessairement reliées aux forces armées, elles sont inopérantes parce que contraires à la Déclaration des droits. En l’espèce, les infractions sont suffisamment reliées à la vie militaire pour relever de la compétence des tribunaux militaires. Le trafic et la possession de stupéfiants, sur une base militaire, ne peuvent avoir d’autre effet que de porter atteinte aux niveaux de discipline et d’efficacité des forces armées.
Le juge en chef Laskin et le juge Estey, dissidents: Un traitement spécial et une réglementation spéciale des forces armées à ce titre constituent une classification raisonnable qui, tant que la réglementation ne comporte aucune discrimination non pertinente, est sans doute compatible avec la Déclaration des droits. On prétend toutefois en l’espèce que l’on a nettement débordé du cadre d’un code militaire interne par l’art. 120 de la Loi sur la défense nationale puisqu’on y prévoit la poursuite d’infractions aux lois pénales ordinaires devant des tribunaux militaires, sans que les membres des forces armées accusés soient placés, face à ces lois, dans la même situation que les autres membres du public accusés des mêmes infractions.
Il est fondamental que lorsqu’une personne, quel que soit son statut ou son occupation, est accusée d’une infraction à la loi pénale ordinaire et doit être jugée en vertu de cette loi et conformément à ses prescriptions, elle ait le droit d’être jugée par une cour de justice, distincte de la poursuite et au-dessus de tout soupçon d’influence ou de dépendance d’autres personnes. Rien dans le cas où l’accusé fait partie des forces armées n’exige les connaissances ou l’habileté spéciales d’un officier supérieur, comme ce serait le cas si une infraction purement militaire ou disciplinaire relative à l’activité militaire était en cause. Par conséquent, l’al. 2f) de la Déclaration des droits a été violé, parce que l’accusé, inculpé d’une infraction criminelle, avait le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et non préjugé.
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L’appelant doit également avoir gain de cause en l’espèce parce qu’il a été privé du droit à l’égalité devant la loi, contrairement à l’al. 1b) de la Déclaration des droits. Il ne peut exister au Canada deux façons tellement différentes de juger des infractions à la loi ordinaire, selon que l’accusé fait ou non partie des forces armées. Dans l’affaire Drybones, c’était des Indiens, en l’espèce, ce sont des membres des forces armées, qui sont désavantagés, en bref, traités différemment des autres quant à l’application de la même loi. L’article 120 sur la Loi sur la Défense nationale doit être déclaré inopérant dans la mesure où il impose aux membres des forces armées une responsabilité différente et, d’ailleurs, plus lourde pour une violation de la loi ordinaire que celle qui incombe aux autres personnes au Canada à qui cette loi-là s’applique aussi.
[Jurisprudence: Prata c. Le ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376; R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; Bliss c. Le procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 183; Smythe c. La Reine, [1971] R.C.S. 680; R. v. Court of Sessions, Ex p. Lafleur, [1967] 3 C.C.C. 244; R. c. Hauser, [1979] 1 R.C.S. 984.]
POURVOI à l’encontre d’un arrêt du Tribunal d’appel des cours martiales, qui a modifié un jugement de la cour martiale permanente. Pourvoi rejeté, le Juge en chef et le juge Estey étant dissidents.
B.A. Crane, c.r., et D.R. Wilson pour l’appelant.
T.B. Smith, c.r., et S.H. Forster, pour l’intimée.
Version française des motifs du juge en chef Laskin et du juge Estey rendu par
LE JUGE EN CHEF (dissident)—L’appelant fait partie des Forces armées canadiennes en poste à Victoria (Colombie-Britannique). Il a été jugé par une Cour martiale permanente sur sept accusations portées conformément à l’art. 120 de la Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, chap. N-4, modifiée; six des accusations ont trait au trafic d’un stupéfiant contrairement au par. 4(1) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, modifiée, et la dernière à la possession d’un stupéfiant contrairement à l’art. 3 de la Loi sur les stupéfiants. Il a été acquitté sur l’une des accusa-
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tions de trafic et déclaré coupable sur les six autres chefs. Il a été condamné à soixante jours d’emprisonnement. En appel, le Tribunal d’appel des cours martiales a infirmé sa déclaration de culpabilité sur une des accusations de trafic et l’a confirmée sur les cinq accusations restantes. Les infractions de trafic dont il a été déclaré coupable impliquent d’autres membres des forces armées et trois d’entre elles avaient été commises dans des casernes militaires. L’infraction de possession y avait également été commise.
La seule question en litige dans le pourvoi à cette Cour, interjeté avec son autorisation, est celle de savoir si le mode de poursuite et de procès et la possibilité que l’accusé soit déclaré coupable en vertu de la Loi sur les stupéfiants par le biais de l’art. 120 de la Loi sur la défense nationale, contreviennent aux al. 2f), et 1b) de la Déclaration canadienne des droits, 1960 (Can.), chap. 44 (S.R.C. 1970, Appendice III), parce que, (1) accusé d’une infraction criminelle (par opposition à une infraction disciplinaire relevant du droit militaire), il n’a pas été jugé par un tribunal impartial et non préjugé et (2) il a été privé du droit à l’égalité devant la loi.
La Loi sur la défense nationale ne contient aucune déclaration expresse excluant l’application de la Déclaration canadienne des droits conformément à l’art. 2 de cette dernière. L’application de la Loi sur la défense nationale est, en conséquence, soumise à la Déclaration canadienne des droits qui, aux termes de son par. 5(2), s’applique à toute loi fédérale et aux règlements établis sous son régime, édictés ou adoptés avant ou après la mise en vigueur de celle-ci.
Il est nécessaire de se reporter à l’économie de la Loi sur la défense nationale et à certaines de ses dispositions pour trancher les questions en litige dans le présent pourvoi. Il me faut dire dès maintenant que l’adoption d’un code particulier régissant les forces armées sous leur aspect militaire et concernant les activités et la discipline militaires n’est pas contestée en l’espèce. A cet égard, on peut se reporter aux art. 62 à 119 de la Loi sur la défense nationale. Un traitement spécial et une réglementation spéciale des forces armées à ce titre constituent une classification raisonnable qui,
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tant que la réglementation ne comporte aucune discrimination non pertinente, est sans doute compatible avec la Déclaration canadienne des droits. On prétend toutefois en l’espèce que l’on a nettement débordé du cadre d’un code militaire interne par l’art. 120 de la Loi sur la défense nationale et les dispositions connexes, puisqu’on y prévoit la poursuite d’infractions aux lois pénales ordinaires devant des tribunaux militaires, sans que les membres des forces armées accusés soient placés, face à ces lois, dans la même situation que les autres membres du public accusés des mêmes infractions.
La Loi sur la défense nationale traite en termes très généraux de ce qu’elle appelle des «infractions militaires». L’expression est définie à l’art. 2: «une infraction visée par la présente loi, par le Code criminel ou par toute autre loi du Parlement du Canada, et commise par une personne pendant son assujettissement au Code de discipline militaire». Le Code de discipline militaire s’applique évidemment aux membres des forces régulières et, dans les circonstances prescrites, aux membres des forces de réserve. Il vise essentiellement les infractions à la discipline et l’inconduite dans le cadre d’activités militaires mais, comme l’indique la définition précitée, il vise également des infractions sanctionnées par la loi ordinaire et prescrit qu’un membre des forces armées accusé sera jugé par un tribunal militaire pour toutes les sortes d’«infractions militaires». L’article 60 de la Loi énonce la seule exception, soit qu’«un tribunal militaire ne doit juger aucune personne accusée d’un crime de meurtre, de viol ou d’homicide involontaire coupable, commis au Canada».
L’article 125 de la Loi fixe une échelle des peines pour les infractions militaires; néanmoins, lorsqu’il s’agit d’infractions à la loi ordinaire, c’est la peine prévue par cette loi qui s’applique. C’est ce que prévoit l’art. 120 que l’on trouve sous le titre Infractions punissables par la loi ordinaire; en voici les dispositions pertinentes en l’espèce:
120. (1) Une action ou omission
a) qui se produit au Canada et est punissable selon la Partie XII de la présente loi, le Code criminel ou toute autre loi du Parlement du Canada; ou
b) qui se produit en dehors du Canada et qui, si elle était faite au Canada, serait punissable suivant la
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Partie XII de la présente loi, le Code criminel ou toute autre loi du Parlement du Canada;
est une infraction tombant sous le coup de la présente Partie, et toute personne qui en est déclarée coupable encourt la peine prévue au paragraphe (2).
(2) Sous réserve du paragraphe (3), un tribunal militaire déclarant une personne coupable aux termes du paragraphe (1) doit,
a) si la déclaration de culpabilité est relative à une infraction
(i) commise au Canada, sous le régime de la Partie XII de la présente loi, du Code criminel ou de toute autre loi du Parlement du Canada, et pour laquelle une peine minimum est prescrite, ou
(ii) commise hors du Canada sous le régime de l’article 218 du Code criminel,
infliger une peine en conformité de la disposition législative qui prescrit la peine minimum pour l’infraction; ou,
b) dans tout autre cas,
(i) infliger la peine prévue pour l’infraction par la Partie XII de la présente loi, le Code criminel ou l’autre loi pertinente, ou
(ii) infliger la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ou une moindre peine.
Certaines infractions semblables à des infractions au Code criminel sont incluses dans la catégorie d’infractions militaires, mais font l’objet de dispositions distinctes comme, par exemple, le vol à l’art. 104 et le recel à l’art. 105. Ces exceptions n’influent pas sur le caractère général de l’art. 120 et, bien qu’il ne soit pas nécessaire de trancher cette question en l’espèce, il se peut que l’on ait le choix de poursuivre un accusé en pareil cas soit en vertu du Code criminel soit en vertu des dispositions spéciales que je viens de mentionner.
Il est également pertinent en l’espèce de noter que l’art. 61 de la Loi sur la défense nationale établit que «rien dans le Code de discipline militaire n’atteint la compétence d’un tribunal civil pour juger une personne sur une infraction jugeable par ce tribunal». Un militaire qui est d’abord jugé par un tribunal militaire (comme en l’espèce, par une cour martiale permanente), est donc exposé à être jugé de nouveau (que le tribunal militaire l’ait déclaré coupable ou l’ait acquitté), sous réserve seulement de la restriction concernant la peine qu’énonce le par. 61(2) en ces termes:
61. (1) …
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(2) Lorsqu’une personne, condamnée par un tribunal militaire à l’égard d’une déclaration de culpabilité sur une accusation d’avoir commis une infraction militaire, est dans la suite jugée par un tribunal civil pour la même infraction ou pour toute autre infraction dont elle aurait pu être déclarée coupable sur cette accusation, le tribunal civil doit, en prononçant la peine, tenir compte de toute punition infligée par le tribunal militaire pour l’infraction militaire.
Cependant, l’inverse n’est pas vrai. Si un tribunal civil a d’abord jugé un militaire, celui-ci ne peut, selon le par. 56(1) de la Loi sur la défense nationale, être jugé de nouveau par un tribunal militaire ni pour l’infraction qui a spécifiquement fait l’objet du procès devant le tribunal civil ni pour aucune infraction incluse.
Ceci m’amène à examiner la composition d’un tribunal militaire, défini à l’art. 2 comme «une cour martiale ou une personne qui préside un procès sommaire». Aux fins du présent pourvoi, je ne m’arrête pas au cas des personnes qui président un procès sommaire. Les articles 141 et 142 de la Loi sur la défense nationale prévoient qu’un procès sommaire, dans les circonstances prescrites, est présidé par un officier commandant ou par des commandants supérieurs, détenant, dans ce dernier cas, au moins le grade de brigadier-général, ou par tout autre officier désigné à cette fin par le ministre de la Défense nationale. Il y a différentes sortes de cours martiales, savoir des cours martiales générales, des cours martiales disciplinaires, des cours martiales permanentes et des cours martiales générales spéciales. Ces différentes cours martiales ont apparemment compétence conjointe sur les «infractions militaires», mais leur composition et leur nombre diffèrent. Ce n’est que dans le cas d’une cour martiale permanente ou d’une cour martiale générale spéciale, que l’officier président, en qualité de membre unique de ce type de cours, doit avoir une formation juridique.
L’article 154, intitulé Cours martiales permanentes, se lit comme suit:
154.(1) Le gouverneur en conseil peut créer des cours martiales permanentes, et chacune de ces cours martiales se compose d’un officier, appelé le président, qui est ou a été un avocat inscrit pendant plus de trois ans et qui doit être nommé par ou sur l’autorité du Ministre.
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(2) Sous réserve de toute restriction prescrite dans les règlements, une cour martiale permanente peut juger toute personne qui, sous le régime de la Partie IV, est susceptible d’être accusée, poursuivie et jugée sur l’inculpation d’avoir commis une infraction militaire, mais une cour martiale permanente ne doit pas prononcer de sentence renfermant une peine supérieure, dans l’échelle des punitions, à l’emprisonnement pour une période de moins de deux ans.
En l’espèce, c’est l’officier commandant de l’accusé qui a porté les accusations contre lui. Un commandant supérieur a ordonné la constitution d’une cour martiale permanente et un membre des forces armées, un lieutenant-colonel, a été nommé en qualité de cour martiale permanente à partir d’une liste approuvée conformément à l’art. 154. Tant l’officier constituant la cour martiale permanente que le procureur à charge faisaient partie du bureau du juge-avocat général. En bref, l’accusé, qui a été jugé sur des accusations portées en vertu d’une loi fédérale générale, la Loi sur les stupéfiants, était entre les mains de ses supérieurs militaires à l’égard des accusations, de la poursuite et du tribunal qui l’a jugé. Certes le Tribunal d’appel des cours martiales, formé de juges de la Cour fédérale du Canada et d’autres juges de cours supérieurs nommés par le gouverneur en conseil en vertu de l’art. 201 de la Loi sur la défense nationale, jouit à la fois de l’indépendance et de l’apparence d’indépendance de par sa composition; on ne peut en dire autant de la constitution d’une cour martiale permanente lorsqu’elle juge un accusé pour la violation d’une loi pénale ordinaire. Inutile de dire que l’intégrité de l’officier président n’est pas mise en cause; c’est tout simplement qu’il est inapte, compte tenu de ses rapports étroits avec la poursuite et le système militaire tout entier, à présider un procès sur des infractions à la loi pénale ordinaire. Ce serait différent s’il s’agissait d’une infraction à la discipline militaire, quelque chose spécialement lié à l’appartenance de l’accusé aux forces armées. A mon avis, la définition large des «infractions militaires», qui inclut les infractions à la loi ordinaire, ne fait pas d’une cour martiale permanente l’équivalent d’un officier judiciaire nommé de manière indépendante; il s’agit simplement d’une personne nommée de façon ad hoc, sans statut permanent, et issue du milieu très particulier auquel appartiennent à la
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fois l’accusé, son poursuivant et son «juge»: Voir Committee for Justice and Liberty et autres c. L’Office national de l’énergie et autres[1].
A mon avis, il est fondamental que lorsqu’une personne, quel que soit son statut ou son occupation, est accusée d’une infraction à la loi pénale ordinaire et doit être jugée en vertu de cette loi et conformément à ses prescriptions, elle ait le droit d’être jugée par une cour de justice, distincte de la poursuite et au-dessus de tout soupçon d’influence ou de dépendance d’autres personnes. Il n’y a rien dans le cas où l’accusé fait partie des forces armées, qui exige les connaissances ou l’habileté spéciales d’un officier supérieur, comme ce serait le cas si une infraction purement militaire ou disciplinaire relative à l’activité militaire était en cause. Il en découle que l’al. 2f) de la Déclaration canadienne des droits a été violé, parce que l’accusé, inculpé d’une infraction criminelle, avait le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et non préjugé. L’alinéa 2f) établit que nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme
privant une personne accusée d’un acte criminel du droit à la présomption d’innocence jusqu’à ce que la preuve de sa culpabilité ait été établie en conformité de la loi, après une audition impartiale et publique de sa cause par un tribunal indépendant et non préjugé, ou la privant sans juste cause du droit à un cautionnement raisonnable.
En bref, je considère que les dispositions de la Loi sur la défense nationale sont inopérantes dans la mesure où elles prévoient que les infractions à la loi ordinaire sont jugées par des tribunaux militaires.
Je suis d’avis que l’appelant doit également avoir gain de cause en l’espèce sur le second moyen qu’il a invoqué, savoir, qu’il a été privé du droit à l’égalité devant la loi, contrairement à l’al. 1b) de la Déclaration canadienne des droits. Je ne peux concevoir qu’il puisse exister au Canada deux façons tellement différentes de juger des infractions à la loi ordinaire, selon que l’accusé fait partie ou non des forces armées. Je ne crois pas que l’on puisse admettre non plus, compte tenu de la Déclaration canadienne des droits, la possibilité d’exposer un accusé à être jugé par les tribunaux
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civils pour une infraction dont il a d’abord été jugé par un tribunal militaire. Une personne accusée d’une infraction criminelle en vertu de la loi ordinaire, qu’il s’agisse du Code criminel ou d’une autre loi pénale fédérale comme la Loi sur les stupéfiants, jouit de la protection procédurale établie par le Code criminel, sous réserve des dispositions particulières de la loi pénale fédérale en vertu de laquelle elle est accusée et jugée. Cet accusé comparaît devant un juge indépendant et non préjugé; il peut avoir le droit de demander un procès devant jury et de s’appuyer sur d’autres dispositions pour obtenir, par exemple une enquête préliminaire, interjeter appel de la sentence (ce qui ne lui est pas permis devant le Tribunal d’appel des cours martiales: voir l’art. 183 et les par. 200(1), 202(3)), ou demander une libération sans condition ou une sentence suspendue.
La présente affaire, à mon avis, correspond exactement en principe à l’arrêt de cette Cour La Reine c. Drybones[2], et se nourrit également de ce qu’elle a dit dans l’arrêt Curr c. La Reine[3], et de l’opinion de la majorité dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Lavell[4].
Dans l’affaire Drybones, il s’agissait du cas d’un Indien qui, en vertu de l’al. 94b) de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, chap. 149, pouvait être accusé et déclaré coupable d’avoir été ivre hors d’une réserve, même dans sa propre maison, alors qu’aucune autre personne ne pouvait l’être à moins d’être ivre dans un lieu public. La situation, exposée par le juge Ritchie, qui a exprimé l’opinion de la majorité de cette Cour, était la suivante à la p. 290:
Il s’ensuit donc qu’un Indien qui est ivre chez lui, mais hors d’une réserve, est coupable d’une infraction et passible d’une amende d’au moins $10 ou d’un emprisonnement n’excédant pas 3 mois ou des deux peines à la fois, alors que n’importe quel autre citoyen des Territoires peut, à sa guise, s’enivrer ailleurs que dans un lieu public, sans commettre une infraction. Et même si cet autre citoyen est déclaré coupable de se trouver en état d’ivresse dans un lieu public, la seule peine que prévoit l’ordonnance est: [TRADUCTION] «une amende d’au plus
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$50. ou … un emprisonnement n’excédant pas 30 jours ou … les deux peines à la fois.»
Dans l’affaire Drybones, c’était des Indiens, en l’espèce, ce sont des membres des forces armées, qui sont désavantagés, en bref traités différemment des autres quant à l’applications de la même loi. Dans ses motifs, le juge Ritchie dit de façon suffisamment claire que la Déclaration canadienne des droits est plus qu’une loi d’interprétation (qui serait inefficace dès qu’il deviendrait évident que la loi fédérale ne peut être interprétée d’une façon qui soit compatible avec elle); plus exactement, elle requiert non seulement une interprétation mais aussi une application de la loi fédérale compatibles avec ses exigences et elle rend cette loi inopérante s’il y a incompatibilité et dans la mesure de celle-ci. Il a rejeté en ces termes la méthode d’«interprétation» adoptée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Regina v. Gonzales[5] (aux pp. 294 et 295):
Il me semble qu’il faut donner à ces mots un sens plus réaliste; à mon avis, ils indiquent très clairement que l’art. 2 veut dire, et signifie effectivement que, si une loi du Canada ne peut être «raisonnablement interprétée et appliquée» sans supprimer, restreindre ou enfreindre un des droits ou libertés reconnus et proclamés dans la Déclaration, une telle loi est inopérante «à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits».
Je crois qu’il y a une distinction à faire entre une déclaration des tribunaux à l’effet qu’un article ou une partie d’un article d’une loi est inopérant et l’abrogation d’un tel article et qu’il faut restreindre la déclaration aux circonstances de l’affaire où elle est faite. La situation me paraît analogue à celle d’une loi provinciale valide dans un champ autrement inoccupé qui devient inopérante par suite d’une loi fédérale en conflit.
Puis, il a examiné la question de savoir si, dans l’affaire qui lui était soumise, il y avait eu suppression ou restriction du «droit de l’individu à l’égalité devant la loi et à la protection de la loi», il a énoncé sa position et celle de cette Cour en ces termes: (p. 297)
Je pense que le mot «loi» dans l’art. 1b) de la Déclaration des droits doit s’interpréter comme signifiant une
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«loi du Canada» au sens de la définition à l’art. 5(2) (c’est-à-dire, une loi du Parlement du Canada, ou une ordonnance, une règle ou un règlement établis sous son régime). Sans rechercher une définition complète de l’expression «égalité devant la loi», je pense que l’art. 1b) signifie au moins qu’un individu ou un groupe d’individus ne doit pas être traité plus durement qu’un autre en vertu de la loi. J’en conclus donc qu’une personne est privée de l’égalité devant la loi, si pour elle, à cause de sa race, un acte qui, pour ses concitoyens canadiens, n’est pas une infraction et n’appelle aucune sanction devient une infraction punissable en justice.
Pour décider la présente affaire, il me suffit de dire qu’à mon avis l’art. 94b) de la Loi sur les Indiens, qui est une loi du Canada, crée une telle infraction et qu’en l’interprétant on ne peut que conclure que son application supprime, restreint ou enfreint l’un des droits déclarés et reconnus dans la Déclaration des droits. Pour les motifs que je viens d’indiquer, je suis donc d’avis que l’art. 94b) est inopérant.
Et il a ajouté ce qui suit, à titre complémentaire après s’être reporté aux motifs de dissidence du juge en chef Cartwright et du juge Pigeon à la p. 298:
Il est bien possible que l’application judiciaire de la Déclaration canadienne des droits donne lieu à de grandes difficultés mais, à mon avis, il faut donner leur plein effet aux dispositions de l’art. 2.
L’affaire présentement devant nous démontre qu’il existe des lois du Canada qui suppriment, restreignent et enfreignent le droit d’un Indien à l’égalité devant la loi et, à mon avis, afin d’appliquer ces lois en se conformant aux termes explicites employés par le Parlement à l’art. 2 de la Déclaration des droits il faut déclarer que l’art. 94b) de la Loi sur les Indiens est inopérant.
Dans l’arrêt Curr c. La Reine, précité, cette Cour a notamment examiné le lien qui existe entre les art. 1 et 2 de la Déclaration canadienne des droits, une question dont le juge Ritchie a aussi traité dans l’arrêt Drybones. Dans l’arrêt Curr, comme dans l’arrêt Drybones, la Cour a décidé que l’art. 2 donne effet aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales énoncés à l’art. 1 de même qu’aux protections additionnelles énumérées à l’art 2. Ces deux articles se lisent comme suit:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l’homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout
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individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe;
a) le droit de l’individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu’à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi;
b) le droit de l’individu à l’égalité devant la loi et à la protection de la loi;
c) la liberté de religion;
d) la liberté de parole;
e) la liberté de réunion et d’association, et
f) la liberté de la presse.
2. Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme [Suivent les al. a) à g). J’ai déjà cité l’al. f) qui est pertinent au premier moyen invoqué dans ce pourvoi.]
Le jugement majoritaire dans l’arrêt Curr contient le passage suivant (aux pp. 896 et 897):
En ce qui concerne la portée des alinéas a) et b) de l’art. 1 et, en fait, celle de l’art. 1 au complet, je signale, d’abord, que cet article exerce une influence sur la législation fédérale du fait qu’il est mentionné indirectement à l’art. 2; deuxièmement, je n’interprète pas cet article comme s’appliquant uniquement lorsque existe l’une ou l’autre forme de discrimination interdite. La discrimination interdite est plutôt une norme supplémentaire que la législation fédérale doit respecter. En d’autres termes, une loi fédérale qui ne viole pas l’article 1 en ce qui concerne l’un ou l’autre des genres interdits de discrimination, peut néanmoins le violer si elle porte atteinte à l’un des droits garantis par les alinéas a) à f) de l’art. 1. Elle constitue a fortiori une violation s’il y a discrimination en raison de la race d’une personne, de façon à priver celle-ci du droit à l’égalité devant la loi. C’est ce qu’a décidé cette Cour dans l’arrêt Regina c. Drybones; je n’ai rien d’autre à ajouter sur ce point.
Par conséquent, on ne saurait répondre à l’argument de l’appelant, fondé sur les alinéas a) et b) de l’art. 1 de la Déclaration canadienne des droits, en disant que l’article 223 ne fait aucune distinction entre les particuliers en raison de leur race, de leur origine nationale, de leur couleur, de leur religion ou de leur sexe. En l’absence de pareille discrimination, il reste encore à déter-
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miner si l’art. 223 peut s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre les droits mentionnés aux alinéas a) et b) de l’art. 1. L’appelant a signalé que l’alinéa a) de l’art. 1, garantit «l’application régulière de la loi» et qu’aux termes de l’alinéa b) de l’art. 1, l’art. 223 le privait de «la protection de la loi». Je vais examiner ces deux prétentions séparément.
Dans l’arrêt Lavell, le juge Ritchie, qui a exprimé l’opinion de la majorité, a fait références en ces termes au passage précité tiré de l’arrêt Curr (aux pp. 1363 et 1364):
Mon interprétation de ce passage est que l’art. 1 de la Déclaration des droits a pour effet de garantir à tous les Canadiens les droits spécifiés aux alinéas a) et f) de cet article, quels que soient leur race, leur origine nationale, leur couleur, leur religion ou leur sexe. Cette interprétation me paraît étayée par la version française.
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l’homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:…
On a souligné au nom des intimées que les dispositions de l’art. 12, par. (1), al. b) de la Loi sur les Indiens constituent une «discrimination en raison du sexe» et que l’article pourrait être déclaré inopérant pour ce seul motif, même si semblable discrimination n’avait pas pour effet d’enfreindre un des droits et libertés spécifiquement garantis par l’art. 1 de la Déclaration.
Je ne trouve aucun fondement à cette prétention dans l’arrêt Curr dans lequel, en tout état de cause, aucune question de discrimination de quelque nature que ce soit ne s’est posée directement ou indirectement. Ma propre interprétation du passage de cet arrêt-là que j’ai cité était qu’il reconnaissait que la préoccupation première qui ressort des deux premiers articles de la Déclaration des droits est de garantir que les droits et les libertés qui y sont reconnus et déclarés continueront à exister pour tous les Canadiens, et il s’ensuit, selon moi, que ces articles ne peuvent pas être invoqués sauf si l’un des droits et libertés énumérés a été refusé à un Canadien en particulier ou à un groupe de Canadiens. L’article 2 de la Déclaration des droits prévoit la manière dont les droits et libertés qui sont reconnus et déclarés par l’art. 1 doivent être appliqués, et l’effet de cet article est que toute loi du Canada «doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes …» (c.-à-d., par l’art. 1). Nulle
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part dans la Déclaration des droits trouvons-nous des termes prévoyant que les lois du Canada doivent s’interpréter sans discrimination à moins que cette discrimination ne comporte un déni de l’un des droits et libertés garantis, mais lorsque, comme dans l’affaire La Reine c. Drybones, le déni de l’un des droits énumérés se produit en raison d’une discrimination, alors, comme l’a dit M. le Juge Laskin, la discrimination fournit une «norme supplémentaire que la législation fédérale doit respecter».
Compte tenu des remarques précitées de cette Cour dans les arrêts Curr et Lavell quant à leur rapport avec l’arrêt Drybones, il me semble clair qu’à moins de juger le contraire de l’arrêt Drybones, il faut donner effet en l’espèce au principe qu’il énonce. En conséquence, l’art. 120 de la Loi sur la Défense nationale doit être déclaré inopérant dans la mesure où, pour une violation de la loi ordinaire, il impose aux membres des forces armées une responsabilité différente et, d’ailleurs, plus lourde que celle qui incombe aux autres personnes au Canada à qui cette loi-là s’applique aussi.
Rien dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, Prata c. Le ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration[6], ni dans l’arrêt de cette Cour, La Reine c. Burnshine[7], ne modifie ma conclusion. L’arrêt Prata porte simplement sur l’application de dispositions de la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration, S.R.C. 1970, chap. I-3, qui limite la discrétion et le pouvoir de la Commission de surseoir à une ordonnance d’expulsion sur dépôt d’un certificat par le ministre et le solliciteur général déclarant qu’à cause de rapports de sécurité ou de police, il serait contraire à l’intérêt national de surseoir à l’expulsion. Le juge en chef Jackett n’a pas vu de suppression ou de restriction de «l’égalité devant la loi» au sens de l’al. 1b) de la Déclaration canadienne des droits dans la disposition relative au certificat des deux ministres. Il ne s’agissait pas d’une affaire de discrimination non pertinente ou de classification déraisonnable mais plutôt d’une situation concernant la bonne administration de la politique d’immigration. Le juge Thurlow (maintenant juge en chef) était dissident
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sur ce point, mais je trouve l’opinion du juge en chef Jackett plus convaincante.
L’arrêt Praia a été soumis à cette Cour après qu’elle eut rendu son arrêt dans La Reine c. Burnshine: voir [1976] 1 R.C.S. 376. Cette Cour a confirmé l’arrêt Praia sur le point relatif à la Déclaration canadienne des droits pour les motifs du juge en chef Jackett. Elle a aussi fait référence à ce qu’a dit la majorité dans l’arrêt Burnshine, soit qu’«une loi qui vise une catégorie particulière de personnes est valide si elle est adoptée en cherchant l’accomplissement d’un objectif fédéral régulier» (à la p. 382 de [1976] 1 R.C.S.). Je présume que le terme «valide» au début de cette phrase renvoie à l’effet de la loi puisqu’il n’y avait aucune violation de la Déclaration canadienne des droits et ni de problème constitutionnel en cause, comme pourrait le laisser entendre l’expression «objectif fédéral régulier». La question en litige dans l’affaire Burnshine est très différente de celle en litige dans le présent pourvoi. Il s’agissait alors de savoir si une disposition de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, S.R.C. 1970, chap. P-21, qui prescrivait des peines différentes pour les jeunes délinquants dans un groupe d’âge donné et dans une région donnée (Colombie-Britannique) de celles prescrites pour les jeunes délinquants dans un autre groupe d’âge ou dans une autre région du Canada, constituait un déni du droit à «l’égalité devant la Loi». La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que l’arrêt Drybones s’appliquait, mais la majorité de cette Cour a rejeté cette application. Quoique la validité de la disposition ait été confirmée au motif qu’un objectif fédéral régulier était en cause, soit la réhabilitation plutôt qu’un traitement plus dur (comme c’était le cas dans l’arrêt Drybones et, selon moi, comme c’est le cas en l’espèce), j’interprète cela non pas comme voulant dire que la constitutionnalité de la disposition en question était en litige, mais bien qu’il s’agissait d’une façon raisonnable de classifier les jeunes délinquants. L’arrêt Burnshine porte sur une loi que l’on a considérée avoir une intégrité interne, n’exigeant pas le genre de segmentation qui se manifestait dans les faits de l’affaire Drybones et que l’on trouve à l’art. 120 de la Loi sur la défense nationale en l’espèce.
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L’appelant doit donc réussir dans ce pourvoi sur les deux moyens que j’ai examinés, bien qu’une réussite sur l’un ou l’autre suffise à accueillir le pourvoi. En conséquence, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer les décisions du Tribunal d’appel des cours martiales et de la Cour martiale permanente et d’annuler les déclarations de culpabilité.
Version française du jugement des juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz et Chouinard rendu par
LE JUGE RITCHIE—Ce pourvoi interjeté avec l’autorisation de cette Cour attaque un arrêt du juge Pennell du Tribunal d’appel des cours martiales du Canada, qui a rejeté l’appel interjeté par l’appelant des déclarations de culpabilité dont il a fait l’objet sur cinq des six infractions dont l’avait trouvé coupable une cour martiale permanente à Esquimalt (C-.B.).
Quatre des infractions en cause concernent le trafic de stupéfiants contrairement au par. 4(1) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, alors que la cinquième concerne la possession d’un stupéfiant contrairement à l’art. 3 de la même loi. L’appelant est membre de la force régulière des Forces canadiennes et toutes les infractions reprochées sauf une ont été commises sur une base des Forces canadiennes. Les accusations ont été portées en vertu de l’art. 120 de la Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, chap. N-4, qui dispose en partie:
120. (1) Une action ou omission
a) qui se produit au Canada et est punissable selon la Partie XII de la présente loi, le Code criminel ou toute autre loi du Parlement du Canada; ou
b) qui se produit en dehors du Canada et qui, si elle était faite au Canada, serait punissable suivant la Partie XII de la présente loi, le Code criminel ou toute autre loi du Parlement du Canada;
est une infraction tombant sous le coup de la présente Partie, et toute personne qui en est déclarée coupable encourt la peine prévue au paragraphe (2).
(2) Sous réserve du paragraphe (3), un tribunal militaire déclarant une personne coupable aux termes du paragraphe (1) doit,
a) si la déclaration de culpabilité est relative à une infraction
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(i) commise au Canada, sous le régime de la Partie XII de la présente loi, du Code criminel ou de toute autre loi du Parlement du Canada, et pour laquelle une peine minimum est prescrite, ou
(ii) commise hors du Canada sous le régime de l’article 218 du Code criminel,
infliger une peine en conformité de la disposition législative qui prescrit la peine minimum pour l’infraction; ou.
b) dans tout autre cas,
(i) infliger la peine prévue pour l’infraction par la Partie XII de la présente loi, le Code criminel ou l’autre loi pertinente, ou
(ii) infliger la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ou une moindre peine.
J’ai eu l’occasion de lire les motifs du Juge en chef dans lesquels il résume les faits à l’origine de ce pourvoi, et je note l’importance qui doit être accordée aux «questions constitutionnelles» qu’il a énoncées et fait signifier conformément à la règle 17 des Règles de cette Cour. Ces questions sont les suivantes:
1. Les dispositions de la Loi sur la défense nationale, qui autorisent le procès du personnel militaire accusé d’infractions criminelles commises au Canada en violation de la Loi sur les stupéfiants ou du Code criminel devant des tribunaux militaires, sont-elles inopérantes en raison des alinéas 1a), 1b), 2e) et 2f) de la Déclaration canadienne des droits?
2. Est-ce que la Loi sur la défense nationale est ultra vires du Parlement du Canada dans la mesure où elle permet au procureur à charge militaire et non au procureur général d’une province ou au procureur général du Canada d’instituer et de mener des poursuites criminelles devant des tribunaux militaires pour des infractions commises au Canada en violation de la Loi sur les stupéfiants ou du Code criminel?
Les dispositions pertinentes de la Déclaration canadienne des droits (ci-après appelée la «Déclaration des droits»), se lisent comme suit:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l’homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:
a) le droit de l’individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu’à la jouissance de ses
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biens, et le droit de ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi;
b) le droit de l’individu à l’égalité devant la loi et à la protection de la loi;
2. Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, retreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme …
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;
f) privant une personne accusée d’un acte criminel du droit à la présomption d’innocence jusqu’à ce que la preuve de sa culpabilité ait été établie en conformité de la loi, après une audition impartiale et publique de sa cause par un tribunal indépendant et non préjugé, ou la privant sans juste cause du droit à un cautionnement raisonnable; ou …
Le principal argument de l’appelant pour invoquer l’al. 1b) est, si j’ai bien compris, que les dispositions de la Loi sur la défense nationale le privent de son droit à l’égalité devant la loi que garantit cet alinéa parce qu’il peut être jugé par un tribunal (c.-à-d. une cour martiale) différent de celui qui peut juger les autres citoyens. Dans l’examen de ce point et des autres prétentions de l’appelant, il faut d’abord faire remarquer que la Loi sur la défense nationale, en vertu de laquelle les accusations ont été portées en l’espèce, est une loi édictée en application de l’obligation de légiférer assignée au Parlement par le par. 91(7) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique qui dispose:
… l’autorité législative exclusive du Parlement du Canada s’étend à …
7. La milice, le service militaire et le service naval, et la défense du pays.
Ce pouvoir doit, à mon avis, comporter celui d’édicter des lois pour réglementer et régir la conduite et la discipline des membres des forces armées, ce qui implique en conséquence l’adoption de dispositions établissant des tribunaux chargés de leur application.
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Il s’agit là de toute évidence d’une loi adoptée en cherchant l’accomplissement d’un objectif fédéral régulier, qui vise une catégorie particulière d’individus, savoir les membres des forces armées.
C’est à mon avis un cas où les propos tenus par le juge Martland, au nom de la Cour, dans l’arrêt Prata c. Le ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration[8], à la p. 382 sont directement applicables:
Cette Cour a décidé que l’al. b) du par. (1) de la Déclaration canadienne des droits n’exige pas que toutes les lois fédérales doivent s’appliquer de la même manière à tous les individus. Une loi qui vise une catégorie particulière de personnes est valide si elle est adoptée en cherchant l’accomplissement d’un objectif fédéral régulier.
Avec égards pour les tenants d’un point de vue différent, j’estime que l’arrêt Prata, interprété en corrélation avec l’arrêt La Reine c. Burnshine[9], va directement à l’encontre de la prétention que l’appelant fonde sur l’al. 1b) de la Déclaration des droits en l’espèce.
On allègue cependant au nom de l’appelant que la possibilité de porter des accusations contre un militaire devant une cour martiale ou devant un tribunal civil, l’expose à une dualité de poursuites criminelles caractéristique de l’inégalité devant la loi. Il faut cependant garder à l’esprit, en examinant tous les arguments soumis au nom de l’appelant que, dans l’application du Code de discipline militaire en vertu de la Loi sur la défense nationale (y compris l’art. 120), la compétence des tribunaux civils n’est jamais exclue et que l’art. 61 de cette loi dispose:
61. (1) Rien dans le Code de discipline militaire n’atteint la compétence d’un tribunal civil pour juger une personne sur une infraction jugeable par ce tribunal.
La Loi consacre simplement ainsi le principe reconnu depuis longtemps et que Dicey a décrit comme [TRADUCTION] «la doctrine bien établie en droit anglais, savoir qu’un soldat, quoique faisant partie d’une armée régulière, est, en Angleterre, assujetti à tous les devoirs et obligations d’un citoyen ordinaire». Dans un jugement bien motivé
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rendu sur une enquête en prohibition soumise au tout début de la présente affaire, le juge Cattanach a situé les deux systèmes de droit en ces termes:
Le droit militaire, qui côtoie de près le droit commun général, en fait lui-même partie, quoiqu’il soit restreint dans son application aux membres des Forces armées et à d’autres personnes assujetties également audit droit militaire.
L’article 129 de la Loi sur la défense nationale illustre jusqu’à quel point le Parlement a prévu l’intégration des deux systèmes de droit:
129. Les règles et principes suivis à l’occasion devant les tribunaux civils dans les procédures prévues par le Code criminel, qui feraient d’une circonstance quelconque une justification ou une excuse d’un acte ou d’une omission, ou un moyen de défense contre une accusation, s’appliquent à toute défense contre une accusation visée par le Code de discipline militaire, sauf dans la mesure où ces règles et principes sont modifiés par la présente loi ou incompatibles avec elle.
L’effet de l’art. 120 de la Loi sur la défense nationale est de rendre applicables les dispositions de cette loi sur le procès, la peine et la discipline lorsqu’une cour martiale est saisie d’infractions au Code criminel. L’application de cette loi entraîne nécessairement des différences entre la façon dont sont traités les membres des forces armées et les civils en ce qui concerne la procédure, les règles de preuve et d’autres questions, mais il faut l’interpréter à la lumière de ce que cette Cour a dit dans les arrêts Curr c. la Reine[10], Bliss c. Le procureur général du Canada[11], La Reine c. Burnshine[12], et Prata c. Le ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration (précité).
Dans Bliss c. Le procureur général du Canada (précité), un arrêt unanime de la Cour, on fait référence à la p. 193 à l’arrêt Curr en ces termes:
A ce propos, l’extrait suivant des motifs de jugement du Juge en chef actuel, dans l’arrêt Curr c. La Reine (précité), qui traite de l’effet de la disposition relative à «l’application régulière de la loi» à l’al. 1a) de la Déclaration des droits, s’applique tout aussi bien à la question
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de savoir si l’al. 1b) rend inopérant l’article contesté. Il dit à la p. 899:
… il faudrait avancer des raisons convaincantes pour que la Cour soit fondée à exercer en l’espèce une compétence conférée par la loi (par opposition à une compétence conférée par la constitution) pour enlever tout effet à une disposition de fond dûment adoptée par un Parlement compétent à cet égard en vertu de la constitution et exerçant ses pouvoirs conformément au principe du gouvernement responsable, lequel constitue le fondement de l’exercice du pouvoir législatif en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.
Il ne fait aucun doute que la Loi sur la défense nationale a été édictée par un Parlement «compétent à cet égard en vertu de la constitution et exerçant ses pouvoirs conformément au principe du gouvernement responsable».
Dans l’arrêt Burnshine, à la p. 701, le juge Martland, qui exprimait l’opinion de la majorité de cette Cour, a cité et approuvé ce qu’avait dit le juge en chef Jackett de la Cour fédérale dans l’arrêt Prata[13], à la p. 473:
Il ne m’est jamais venu à l’esprit que le principe de l’égalité devant la loi interdise au Parlement d’adopter, pour des raisons dictées par une saine politique législative, des lois qui s’appliquent à une catégorie de personnes à l’exclusion d’une autre. Il me semble qu’il est de la nature même de la fonction législative de viser à créer des dispositions applicables à des catégories de personnes et dans des circonstances définies de façon à favoriser la réalisation des objectifs nationaux, d’ordre économique, social ou autre, fixés par le Parlement.
L’affaire Burnshine portait sur la validité d’un texte législatif prescrivant l’imposition de certaines peines à des contrevenants d’un groupe d’âge particulier et d’une région particulière. Dans la même affaire, le juge Martland, à propos de la disposition attaquée, a dit:
A mon avis, pour qu’il ait gain de cause en la présente affaire, il serait nécessaire, au moins, que l’intimé établisse à la satisfaction de la Cour qu’en adoptant l’art. 150 le Parlement ne cherchait pas l’accomplissement d’un objectif fédéral régulier. Cela n’a pas été établi et on n’a pas tenté de le faire.
Il est également vrai dans le présent pourvoi que l’on n’a aucunement tenté de prouver que le Parle-
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ment ne cherchait pas l’accomplissement d’un objectif fédéral régulier; on n’aurait d’ailleurs pas pu le faire.
En l’espèce, agissant sous l’autorité du ministre de la Défense nationale, le chef du commandement de la force mobile dont l’appelant faisait partie, a décidé de le faire juger par une cour martiale sur les infractions reprochées. L’arrêt Smythe c. La Reine[14], règle à mon sens la prétention que cette procédure prive l’appelant de son droit à l’égalité devant la loi et à la protection de la loi garantis par la Déclaration des droits. Le Juge en chef de cette Cour y a adopté l’énoncé suivant formulé par le juge Montgomery dans l’arrêt Ex parte Lafleur[15], à la p. 248, où il a notamment dit:
[TRADUCTION] Je ne puis concevoir de système d’application de la loi où aucune personne ayant autorité ne serait appelée à décider si une personne doit être poursuivie ou non pour une infraction alléguée. Il se présentera inévitablement des cas où une personne sera poursuivie tandis qu’une autre, peut-être également coupable, ne le sera pas. Un acte unique, ou une série d’actes, peuvent exposer une personne à des poursuites sur plus d’une accusation, et quelqu’un doit décider quelles accusations seront portées. Si une personne ayant autorité, telle que le Procureur général, peut avoir le droit de décider si une personne sera poursuivie ou non, elle peut à coup sûr, si la loi l’y autorise, avoir le droit de déterminer la forme que prendra la poursuite.
A mon avis, dans ce contexte, le ministre de la Défense nationale joue le rôle du procureur général, et, si j’applique le principe établi par l’arrêt Smythe, je ne puis conclure que la manière dont l’appelant a été inculpé et son procès intenté a violé ses droits fondamentaux.
On a, cependant, sérieusement soutenu que la Loi sur la défense nationale était inopérante parce qu’elle contrevenait aux dispositions de l’al. 2f) de la Déclaration des droits en ce que cet alinéa établit qu’aucune loi du Canada ne doit s’interpréter de façon à priver une personne accusée d’un acte criminel du droit à une «audition impartiale et publique de sa cause par un tribunal indépendant et non préjugé».
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L’appelant allègue à cet égard qu’il a été privé d’une audition par un tribunal indépendant et non préjugé parce que le président de la cour martiale permanente était inapte à remplir cette tâche en tant que membre des forces armées, bien qu’il fût rattaché au bureau du juge-avocat général.
Il faut, selon moi, faire remarquer que le tribunal qui a jugé l’appelant a été créé par le gouverneur en conseil (par. 154(1)) et que le président, qui a été nommé par le ministre de la Défense nationale, était un officier dont le rang indique qu’il avait nombre d’années de service et dont le poste au bureau du juge-avocat général témoigne de sa connaissance du droit militaire. Un officier comme celui-là, dont les fonctions sont reliées d’aussi près à l’application du droit issu de la Loi sur la défense nationale et que sa carrière dans l’armée a dû rendre familier avec les exigences de la vie militaire, me paraît, avec égards pour les tenants d’un point de vue différent, être un candidat plus apte à la présidence d’une cour martiale qu’un avocat ou un juge qui a fait carrière dans le droit non militaire. Absolument rien au dossier du procès ne laisse entendre que le président ait agi autrement que d’une façon indépendante et non préjugée ou qu’il ait par ailleurs été inapte à s’acquitter de la tâche qu’on lui avait confiée.
L’officier qui a assuré la défense, un avocat civil, a mené une défense vigoureuse devant quatre tribunaux et il est intéressant de souligner ce qu’il a dit au début des procédures:
[TRADUCTION] Premièrement, j’aimerais souligner, M. le Président, que ni l’accusé ni moi-même n’avons d’objection personnelle à votre égard à cause de votre formation, de votre compétence ou de votre jugement.
Je ne trouve rien dans la preuve qui fonde la prétention que la nomination du président de la cour pour le procès a eu pour résultat de priver l’appelant d’un procès devant un tribunal indépendant et non préjugé ou qu’elle visait ce résultat.
Il ressort de ce qui précède que je suis d’avis de donner une réponse négative à la première question formulée par le Juge en chef.
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La seconde question qu’a formulée le Juge en chef est celle de savoir si les poursuites en l’espèce peuvent être menées par un procureur à charge militaire plutôt que par le procureur général d’une province ou le procureur général du Canada. La formulation de la question met en jeu la compétence constitutionnelle du Parlement de désigner un officier militaire comme procureur à charge dans les cas d’infractions au Code de discipline militaire établi par la Loi sur la défense nationale, même si ce sont des infractions qui, commises par un civil, ressortiraient au Code criminel ou à la Loi sur les stupéfiants. Cette Cour a récemment été saisie d’une question analogue dans l’affaire La Reine c. Hauser[16]. Il s’agissait de savoir si le Parlement avait compétence pour autoriser un fonctionnaire fédéral à mener des poursuites pour la violation d’une loi du Parlement autre que le Code criminel, et en particulier de la Loi sur les stupéfiants, à l’exclusion du procureur général de la province. Cette Cour a décidé que le Parlement avait compétence pour ce faire, et le juge Pigeon dit à la p. 992:
Selon ce principe, je me propose d’opiner sur la question constitutionnelle sans m’aventurer plus loin que nécessaire. Telle que libellée, elle ne met pas en jeu ce que l’avocat de l’appelante a appelé sa «thèse globale», savoir, l’affirmation d’un pouvoir législatif fédéral complet sur la direction de toutes procédures criminelles et non pas seulement les procédures criminelles relatives à une infraction ou à un complot d’infraction à une loi fédérale autre que le Code criminel. Du point de vue constitutionnel, la distinction à faire est entre les lois fondées sur le pouvoir législatif en matière de droit criminel et toutes les autres lois fédérales; c’est ce que disent les trois provinces qui reconnaissent que, lorsqu’il légifère dans ses autres domaines de compétence, le Parlement fédéral peut confier la direction des poursuites aux fonctionnaires fédéraux, mais ces provinces contestent cette compétence à l’égard des poursuites en droit criminel proprement dit. (Les italiques sont de moi.)
Ces remarques tranchent la question en litige ici. Les dispositions de la Loi sur la défense nationale ne pourraient être ultra vires du Parlement sur cette question que si le pouvoir venait en conflit avec le pouvoir de la province de légiférer dans les domaines visés par le par. 92(14) de l’A.A.N.B. Comme l’a fait remarquer le juge Pigeon dans
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l’arrêt Hauser, le pouvoir provincial relatif à l’administration de la justice en matière criminelle ne s’applique que lorsque la matière en cause relève directement du pouvoir relatif au droit criminel lui-même. Comme je l’ai souligné plus tôt dans les présents motifs, le pouvoir exercé conformément à la Loi sur la défense nationale de créer des infractions militaires, des tribunaux militaires et des procureurs à charge militaires pour ce qui est des membres des forces armées tire son existence du pouvoir relatif à la défense conféré par le par. 91(7). Sur ce point, je suis entièrement d’accord avec les remarques qu’a faites le juge Cattanach en statuant sur l’une des requêtes présentées en instance inférieure en l’espèce, [1978] 1 C.F. 233, à la p. 244:
Il ne fait aucun doute d’autre part que le Parlement, en adoptant la Loi sur la défense nationale et en instituant un code de discipline applicable seulement aux membres des Forces armées ainsi qu’une juridiction pour l’appliquer, adoptait une loi relevant de la compétence législative attribuée au Parlement par l’article 91(7) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, dans les domaines suivants: «la milice, le service militaire et le service naval, et la défense du pays». Comme je l’ai fait remarquer plus haut, pour une défense nationale efficace, il doit y avoir, cela va de soi, de la discipline au sein de l’armée et celle-ci doit être en mesure de la faire respecter. L’objet de la Loi est parfaitement clair.
Le pouvoir de permettre aux autorités militaires d’intenter des poursuites est un aspect nécessaire de la répression des infractions militaires que l’on a toujours considérées comme faisant partie du droit militaire. La loi en cause tire sa force du par. 91(7) et il n’y a donc pas d’application possible des pouvoirs provinciaux en vertu du par. 91(24). La Loi ressortit donc exclusivement au Parlement, même dans les domaines qui relèvent normalement du Code criminel ou de la Loi sur les stupéfiants mais qui, à cause de la Loi et de l’application du droit militaire, sont à bon droit inclus dans la catégorie des infractions militaires.
Même s’il ne s’agissait pas d’infractions militaires, le pouvoir en l’espèce de nommer un fonctionnaire fédéral pour mener la poursuite relative à l’infraction relève à bon droit de la compétence fédérale. Les infractions en cause en l’espèce con-
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cernent des stupéfiants et, dans l’arrêt Hauser, précité, cette Cour a décidé que le fédéral est compétent pour autoriser un fonctionnaire fédéral à poursuivre à cet égard.
On reconnaît depuis toujours la nécessité d’appliquer un code distinct au sein des forces armées comme un ingrédient essentiel de la vie militaire et, à mon avis, l’application de la Loi sur la défense nationale doit être étudiée à la lumière de l’histoire et de l’évolution de ce code. On peut se faire une idée de l’ancienneté de l’usage voulant que les membres des forces armées soient traités séparément par des cours martiales en lisant le passage suivant de Holdsworth’s, A History of English Law, vol. X, aux pp. 709 et 710, où l’auteur traite de la confusion qui a existé à un moment donné entre les termes «loi martiale» et «droit militaire»:
[TRADUCTION] La turbulente histoire du droit régissant la discipline militaire explique suffisamment pourquoi le terme «loi martiale» est vague et l’effet juridique d’une proclamation de la loi martiale, incertain. La cour du Connétable et du Maréchal, qui appliquait le droit militaire au Moyen-Âge, était depuis longtemps tombée en désuétude au 18e siècle, et ce sont des cours martiales composées d’officiers militaires, agissant conformément au pouvoir conféré par la Mutiny Act annuelle, qui avaient compétence sur les militaires. Les lois qu’appliquaient ces cours martiales étaient alors appelées lois martiales—le terme moderne, droit militaire, n’avait pas encore été inventé. La loi martiale, dans ce sens-là, constituait un droit tout aussi précis qu’aujourd’hui, et sa portée l’était tout autant. Elle ne s’appliquait qu’aux soldats de l’armée permanente et aux autres personnes désignées par la Mutiny Act. Les cours martiales, qui appliquaient ce droit, et ce droit lui-même étaient respectivement très différents de la cour du Connétable et du Maréchal et du droit qu’elle appliquait.
En Angleterre, le Code de discipline militaire a été intégré à l’Army Act, à laquelle la première Loi de milice du Canada—l’Acte concernant la milice et la défense du Dominion du Canada, 1868 (Can.), chap. 40, a donné force de loi; elle a été spécifiquement rendue applicable à la milice canadienne par la Loi de milice, S.R.C. 1927 chap. 132; les membres des Forces armées canadiennes ont globalement été régis par l’Army Act du Royaume-Uni et les règlements royaux adoptés en
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vertu de celle-ci jusqu’après la Seconde Guerre mondiale lorsque la Loi sur la défense nationale, 1950 (Can.), chap. 43 a été édictée. Le Parlement avait, cependant, déjà adopté la Loi sur le service naval, en 1944, qui contenait un code distinct pour la marine et, pendant les années de guerre, des modifications ont été apportées à l’application des lois du Royaume‑Uni à l’Aviation royale du Canada.
C’est en tenant compte de ce passé que les autorités ont dû rédiger une loi canadienne autonome applicable à tous les corps d’armée, et la Loi sur la défense nationale de 1950, qui en a résulté, est le fruit d’une mure réflexion fondée sur une longue expérience en temps de paix comme en temps de guerre.
Dans les motifs de jugement du juge Cattanach que j’ai déjà mentionnés, celui-ci dit notamment, à la p. 235 du recueil:
Le droit militaire, administré au sein des Forces armées, existe depuis des temps immémoriaux; au Canada, il remonte à l’époque où a été créée la première force armée canadienne, un an après la Confédération. Toutefois, il existe un principe constitutionnel fondamental voulant qu’un soldat n’échappe pas, du fait de son enrôlement dans l’armée et du statut militaire qui en conséquence devient le sien, aux juridictions de droit commun de notre pays. Il s’ensuit que le droit commun applicable à tous les citoyens s’applique aussi aux membres des Forces armées, mais ceux-ci souscrivent du fait de leur enrôlement des obligations juridiques additionnelles, acquièrent ou perdent certains droits, c’est-à-dire qu’ils sont alors régis par le droit militaire canadien.
Sans code de discipline militaire, les Forces armées ne pourraient accomplir la fonction pour laquelle elles ont été créées.
Le même juge fait la remarque suivante plus loin:
Plusieurs infractions de droit commun sont considérées comme beaucoup plus graves lorsqu’elles deviennent des infractions militaires, ce qui autorise l’imposition de sanctions plus sévères. Les exemples en ce domaine sont légion, ainsi le vol au détriment d’un camarade. Dans l’armée la chose est plus répréhensible puisqu’elle porte atteinte à cet «esprit de corps» si essentiel, au respect mutuel et à la confiance que doivent avoir entre eux des camarades, ainsi qu’au moral de la vie de caserne. Pour
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un citoyen, en frapper un autre, c’est se livrer à des voies de faits punissables en tant que telles, mais pour un soldat, frapper un officier supérieur, c’est beaucoup plus grave; c’est porter atteinte à la discipline et, en certains cas, cela peut équivaloir à une mutinerie. A l’inverse, l’officier qui frappe un soldat commet aussi une infraction militaire sérieuse. Dans la vie civile, un citoyen peut à bon droit refuser de travailler, mais le soldat qui agit ainsi commet une mutinerie, ce qui est une infraction des plus graves, passible de mort en certains cas. De même, un citoyen peut quitter son emploi en tout temps, sa conduite ne sera entachée que d’inexécution d’obligations contractuelles mais, pour un soldat, agir ainsi constitue une infraction sérieuse, qualifiée d’absence sans permission et, s’il n’a pas l’intention de revenir, de désertion.
On peut également penser que l’infraction de trafic de stupéfiants revêt un caractère spécial lorsqu’elle est commise, comme c’est le cas en l’espèce, sur une base des forces armées où les militaires sont armés.
Si l’on considère la Loi sur la défense nationale dans son ensemble, il est évident qu’elle établit les règles de discipline nécessaires au maintien du moral et de l’efficacité des troupes en entraînement et, en même temps, énonce les circonstances dans lesquelles des infractions militaires peuvent être commises hors du Canada par des militaires postés à l’étranger. La Loi comporte également des règles régissant les militaires dans l’accomplissement de tâches qui leur sont assignées lorsqu’ils viennent prêter main-forte aux pouvoirs civils (art. 232 à 242) s’ils sont requis d’agir d’urgence pour maîtriser des émeutes à la demande du procureur général d’une province. A mon avis, ce sont là quelques-uns des éléments qui démontrent qu’un code de discipline distinct appliqué au sein des forces armées est un ingrédient essentiel de la vie militaire.
On voit donc, comme je l’ai dit, que la Loi sur la défense nationale vise une catégorie particulière d’individus et, comme elle est adoptée en cherchant l’accomplissement d’un objectif fédéral régulier, les dispositions de l’al. 1b) de la Déclaration des droits ne requièrent pas qu’elle se conforme aux mêmes exigences que les autres lois fédérales. (Voir Prata c. Le ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, précité).
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La prétention de l’appelant que la Loi sur la défense nationale prive les membres des forces armées d’un procès équitable par un tribunal non préjugé est manifestement difficile à soutenir, vu les dispositions dont j’ai parlé qui permettent l’examen des supposées violations des droits d’un militaire par une cour d’appel composée de juges nommés par le fédéral, qui ne sont pas membres des forces armées et dont les décisions peuvent faire l’objet d’un pourvoi à cette Cour.
Pour tous ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et d’ordonner que la question soit réglée de la façon proposée par le Tribunal d’appel des cours martiales du Canada.
Version française des motifs des juges Dickson et Mclntyre rendus par
LE JUGE MCINTYRE—J’ai lu les motifs de jugement rédigés par le Juge en chef et par le juge Ritchie. Avec les plus grands égards pour mes collègues, bien que je souscrive à la conclusion du juge Ritchie, j’arrive à cette conclusion pour d’autres raisons et je crois devoir exposer l’opinion distincte que j’ai sur les questions que soulève ce pourvoi. Le Juge en chef a exposé les faits suffisamment en détail pour mes fins et il fait ample référence aux textes législatifs en cause. Je ne renverrai en l’espèce à la Loi sur la défense nationale que dans la mesure où cela sera nécessaire pour illustrer certains points.
Le pourvoi, tel qu’il a d’abord été soumis à cette Cour dans le factum de l’appelant, soulève deux questions principales. Elles ont été formulées en ces termes:
1. Les dispositions de la Loi sur la défense nationale, qui autorisent le procès du personnel militaire accusé d’infractions criminelles commises au Canada en violation de Loi sur les stupéfiants ou du Code criminel devant des tribunaux militaires, sont-elles inopérantes en raison de la Déclaration canadienne des droits?
2. Est-ce que la Loi sur la défense nationale est ultra vires du Parlement du Canada dans la mesure où elle permet au procureur à charge militaire et non au procureur général d’une province ou au procureur général du Canada d’instituer et de mener des poursuites criminel-
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les devant des tribunaux militaires pour des infractions commises au Canada en violation de la Loi sur les stupéfiants ou du Code criminel?
Les avocats de l’appelant n’ont pas soulevé la deuxième question dans leur plaidoirie parce que, si je comprends bien, ils ont considéré que l’arrêt de cette Cour, La Reine c. Hauser[17], en disposait à l’encontre de leur client. La plaidoirie s’est donc limitée à la première question et a été présentée en deux parties. Ils ont soutenu que les dispositions de la Loi sur la défense nationale qui prévoient le mode de procès de l’appelant pour des infractions à la Loi sur les stupéfiants contreviennent à la Déclaration canadienne des droits parce qu’elles le privent du droit d’être jugé par un tribunal indépendant et non préjugé (al. 2f)) et de l’égalité devant la loi (al. 1b)).
Depuis très longtemps, on reconnaît en Angleterre et dans les pays d’Europe occidentale, qui ont transmis leurs traditions et principes juridiques à l’Amérique du Nord, que la situation particulière que crée la présence dans la société d’une force militaire armée, jointe aux impératifs d’efficacité et de discipline de cette force, a exigé l’élaboration d’un droit distinct que l’on a appelé droit militaire. A des degrés divers parfois, mais toujours clairement, ce droit distinct a reconnu un rôle judiciaire aux officiers de la force militaire en cause. Il était inévitable que la question de la relation entre le droit militaire et le droit commun ordinaire vînt à se poser. Il était également inévitable que la question de la relation entre le droit commun et les personnes également assujetties au droit militaire dût être envisagée. Holdsworth, dans son History of English Law, 7th rev. ed., 1966, vol. 10, à la p. 382, dit que Blackstone n’a pas traité de ces questions mais [TRADUCTION] «qu’elles commençaient à se poser à l’époque où il a écrit ou peu après». Ces questions ont été en bonne partie résolues. Règle générale, en Angleterre et au Canada, un militaire devient, lorsqu’il s’enrôle, assujetti au droit militaire tout en restant assujetti au droit commun ordinaire. Son entrée dans les forces armées lui impose l’obligation supplémentaire de respecter le droit militaire tout en maintenant son
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assujettissement au droit commun. Il n’est pas nécessaire de faire d’autres remarques de nature historique ici. Le Juge en chef a décrit l’économie de la loi dans la mesure nécessaire pour brosser un tableau de la portée actuelle des dispositions pénales existantes et de l’organisation des tribunaux chargés de l’application du droit militaire.
Comme l’a fait remarquer le Juge en chef, on n’a pas déclaré que la Loi sur la défense nationale devait s’appliquer nonobstant les dispositions de la Déclaration canadienne des droits et il n’est évidemment pas contesté que c’est une loi du Canada au sens du par. 5(2). Il faut donc garder à l’esprit les dispositions de la Déclaration canadienne des droits quand on interprète la Loi sur la défense nationale, notamment lorsque, comme en l’espèce, on allègue qu’elle viole un droit garanti par la Déclaration.
Je passe au premier point soulevé par les avocats de l’appelant, savoir, que les dispositions de la Loi sur la défense nationale suivant lesquelles une cour martiale peut juger les membres des forces armées pour une infraction à la Loi sur les stupéfiants, contreviennent à la Déclaration canadienne des droits parce qu’elles privent le militaire de son droit à une audition impartiale par un tribunal indépendant et non préjugé, comme le prévoit l’al. 2f). Avec égards pour les tenants de l’opinion contraire, je ne peux conclure qu’un procès en cour martiale conformément à la Loi sur la défense nationale, pour des infractions criminelles qui constituent également des infractions de droit commun, prive l’accusé d’une audition équitable par un tribunal indépendant. Depuis toujours, les officiers des forces armées ont rempli cette fonction judiciaire au Canada, et, selon moi, dans tous les pays civilisés. Il s’agissait d’une exigence d’ordre pratique et, à mon avis, il en est toujours de même. On dit qu’à cause de la nature de ses liens étroits avec la communauté militaire et de son identification avec elle, l’officier est inapte à remplir cette fonction judiciaire. On ne peut nier qu’un officier est jusqu’à un certain point le représentant de la classe militaire dont il est issu; il ne serait pas humain si ce n’était le cas. Mais le même argument, en toute justice, vaut tout autant à l’égard des personnes nommées à des fonctions judiciaires
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dans la société civile. Nous sommes tous les produits de nos milieux respectifs et nous devons tous, dans l’exercice de la fonction judiciaire, veiller à ce que cette réalité n’entraîne aucune injustice. Je ne puis dire que les officiers, formés aux méthodes de la vie militaire et soucieux de préserver les normes requises d’efficacité et de discipline—ce qui inclut le bien-être de leurs hommes—sont moins aptes que d’autres à adapter leurs attitudes de façon à remplir l’obligation d’impartialité qui leur incombe dans cette tâche.
De plus, il se peut bien qu’à l’occasion, les problèmes et besoins des forces armées, qui sont à plusieurs égards particuliers aux militaires, requièrent les connaissances spéciales d’officiers d’expérience qui, à cet égard, peuvent être plus aptes à remplir un rôle judiciaire dans des tribunaux militaires que leurs collègues civils. Il est admis que, dans les associations professionnelles, on peut accorder sans danger de larges pouvoirs disciplinaires aux membres chevronnés. Les organes de surveillance de la plupart des professions, notamment le droit, la médecine, la comptabilité, le génie civil, sont investis de ce pouvoir. Je ne peux pas dire que l’on ait déjà considéré que les liens étroits de ces organes disciplinaires avec la profession en cause et l’expérience dont jouissent leurs membres au sein de la profession, constituent un facteur d’exclusion pour cause de partialité ou autres causes. Il semble plutôt que l’on ait considéré que le besoin de connaissances spéciales et d’expérience des questions professionnelles justifiait la création de tribunaux disciplinaires au sein de chaque profession. Il faut aussi se rappeler que, même si ce pourvoi ne concerne que les forces armées en poste au Canada, la situation de nos forces à l’étranger n’étant pas en cause, on doit reconnaître que dans ce dernier cas les officiers doivent assurer un rôle judiciaire vu l’absence de mécanismes juridiques de droit commun. Le fait que l’officier est en poste à l’étranger ne modifiera sûrement pas sa réputation d’indépendance et d’impartialité. Les nécessités pratiques de la vie militaire exigent que ce rôle soit rempli par des officiers des forces armées et je n’y vois aucune violation de la Déclaration canadienne des droits. J’ajouterai qu’il existe maintenant un Tribunal d’appel des cours martiales, une cour d’appel professionnelle ayant une compétence
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générale d’appel sur les cours martiales. C’est là, à mon avis, une garantie importante, et sa création est un pas réaliste et pratique vers l’assurance de la protection requise dans les circonstances. Il me faut conclure que le premier moyen doit être rejeté.
Le deuxième moyen de l’appelant soulève la question de savoir si le fait que les militaires sont jugés par une cour martiale conformément au droit militaire pour une infraction au droit criminel canadien ou, comme en l’espèce, à la Loi sur les stupéfiants, les prive de l’égalité devant la loi en violation de l’al. 1b) et de l’art. 2 de la Déclaration canadienne des droits.
Dans l’arrêt La Reine c. Drybones[18], cette Cour a décidé que la Déclaration canadienne des droits rendait inopérante une loi fédérale validement adoptée lorsque celle-ci violait le droit d’un citoyen à l’égalité devant la loi. L’interprétation prétorienne de l’expression «égalité devant la loi» que l’on trouve dans des arrêts comme La Reine c. Burnshine[19]; Prata c. Le ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration[20]; et Bliss c. Le Procureur général du Canada[21] a avancé la proposition qu’une loi adoptée par le Parlement ne contrevient pas au principe de l’égalité devant la loi si elle est adoptée en cherchant l’accomplissement d’un «objectif fédéral régulier». Il faut examiner le sens de cette expression.
Avant l’adoption de la Déclaration canadienne des droits, le Parlement aurait pu, dans l’exercice du pouvoir que lui confère le par. 91(7) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, adopter sans restriction toute loi relative à l’administration et à la réglementation des forces armées. Cependant, la Déclaration canadienne des droits a introduit une autre dimension et il faut maintenant interpréter les lois fédérales conformément à ses préceptes. La création et le maintien des forces armées du pays constituent sans aucun doute un objectif fédéral régulier relevant de la compétence du Parlement fédéral. Un objectif fédéral régulier doit cependant signifier plus qu’un objectif qui relève simplement
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de la compétence législative fédérale en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Même en l’absence de la Déclaration canadienne des droits, une loi fédérale serait inconstitutionnelle si elle ne visait pas pareil objectif. Le terme «régulier» dans ce contexte doit introduire un concept de validité non seulement dans le champ de compétence législative constitutionnelle mais aussi de validité dans le sens de respect de la Déclaration canadienne des droits. Notre tâche consiste donc à déterminer si, dans la poursuite d’un objectif fédéral dont on ne conteste pas la constitutionnalité, le Parlement a, contrairement aux dispositions de la Déclaration canadienne des droits, créé pour les personnes assujetties au droit militaire une situation d’inégalité devant la loi.
Il me paraît incontestable que le Parlement a le pouvoir de légiférer de façon à viser un groupe ou une catégorie de la société plutôt qu’un autre sans nécessairement enfreindre pour autant la Déclaration canadienne des droits. Le problème se soulève cependant lorsque l’on tente d’établir un fondement acceptable à la définition de ces catégories distinctes, et la nature de la loi particulière en cause. Dans ce contexte, égalité ne doit pas être synonyme de simple application universelle. Bien des circonstances et conditions différentes touchent des groupes différents ce qui dicte des traitements différents. La question à résoudre dans chaque cas est celle de savoir si l’inégalité qui peut être créée par la loi vis-à-vis d’une catégorie particulière—ici les militaires—est arbitraire, fantaisiste ou superflue, ou si elle a un fondement rationnel et acceptable en tant que dérogation nécessaire au principe général de l’application universelle de la loi pour faire face à des conditions particulières et atteindre un objectif social nécessaire et souhaitable.
Le droit reconnaît de nombreuses distinctions acceptables de cette sorte. Pour la sécurité sur les routes, il faut interdire aux aveugles ou aux personnes dont la vue est insuffisante de conduire. Pour protéger les adolescents et les enfants et favoriser leur bien-être, il est depuis longtemps reconnu qu’il faut adopter à leur égard des dispositions législatives particulières qui imposent à leur liberté des restrictions et des limites plus sévères que celles imposées aux adultes. En criminologie,
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on a décidé que des distinctions considérées comme favorables au bien-être de la société et des jeunes délinquants sont jugées admissibles (voir La Reine c. Burnshine, précité). Les cas sont légions où les besoins de la société et le bien-être de ses membres exigent une inégalité pour l’accomplissement d’objectifs socialement souhaitables. Il serait difficile, sinon impossible, d’énoncer un critère exhaustif qui déterminerait quelles dérogations au principe général de l’application égale de la loi seraient acceptables pour satisfaire un objectif social souhaitable sans contrevenir à la Déclaration canadienne des droits. Je suis d’avis, cependant, qu’au minimum, il faudrait se demander si l’on a créé l’inégalité en cherchant l’accomplissement d’un ojectif fédéral constitutionnel et régulier, si elle a été créée rationnellement en ce sens qu’elle n’est ni arbitraire ni fantaisiste et ne tire son origine d’aucun motif inavoué ou contraire aux dispositions de la Déclaration canadienne des droits, et s’il s’agit d’une dérogation nécessaire au principe général de l’application universelle de la loi dans la recherche d’un objectif social nécessaire et souhaitable. Il se peut bien que les inégalités créées à ces fins soient acceptables aux termes de la Déclaration canadienne des droits.
Si l’on applique ce critère, il me semble que la création d’un droit militaire et des tribunaux que requiert son application, ce qui implique nécessairement que, dans certains cas, le traitement juridique des militaires sera différent de celui des civils, ne constitue pas en soi un déni d’égalité devant la loi contraire aux dispositions de la Déclaration canadienne des droits. Il est clair que la création d’un droit militaire et de tribunaux s’est faite dans le cadre de l’accomplissement d’un objectif fédéral constitutionnel. A mon avis, cela s’est fait rationnellement, sans arbitraire ni caprice, et l’on n’a établi aucun motif inavoué pouvant s’interpréter comme une atteinte à un droit ou à une liberté protégés par la Déclaration canadienne des droits. Il me paraît très clair que l’apparition du droit et des tribunaux militaires est la suite logique des problèmes particuliers que rencontrent les militaires dans l’accomplissement de leurs diverses tâches. Il est socialement souhaitable de reconnaître que les militaires forment une catégorie au sein de la société à l’égard de laquelle existent des lois
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particulières relatives aux droits et recours, y compris des tribunaux et des procédures particuliers, ce qui, à mon avis, ne contrevient pas à la Déclaration canadienne des droits.
Il ne faut cependant pas oublier que, puisqu’on doit respecter le principe de l’égalité devant la loi, on ne peut y déroger que lorsque cela est nécessaire pour accomplir des objectifs socialement souhaitables et, dans ce cas, seulement dans la mesure nécessaire pour y parvenir dans les circonstances. Il faut répondre aux besoins des forces armées, mais l’on ne doit pas déroger au principe de l’égalité devant la loi plus que cela n’est nécessaire. Le principe à respecter est celui de l’intervention la plus minime possible dans les droits d’un soldat en vertu du droit commun compte tenu des exigences de la discipline militaire et de l’efficacité des forces armées. Avec ce concept à l’esprit, je passe maintenant à la situation présente.
L’article 2 de la Loi sur la défense nationale définit une infraction militaire comme «une infraction visée par la présente loi, par le Code criminel ou par toute autre loi du Parlement du Canada, et commise par une personne pendant son assujettissement au Code de discipline militaire». La Loi porte également que ces infractions pourront faire l’objet de poursuites et de sanctions conformément au droit militaire. Si nous appliquons littéralement la définition d’infraction militaire, toutes poursuites contre des militaires pour toute infraction à toute loi pénale canadienne pourraient être menées devant des tribunaux militaires. Dans un pays doté d’un système judiciaire bien établi desservant toutes les régions du pays et où la poursuite des infractions criminelles et la constitution des tribunaux de juridiction criminelle incombent aux gouvernements provinciaux, il m’est impossible d’accepter la thèse que les besoins légitimes des forces armées aillent aussi loin. Pour atteindre un objectif socialement souhaitable relié à la vie militaire, il n’est pas nécessaire d’étendre autant la compétence des tribunaux militaires. On peut bien dire qu’en pratique, les tribunaux militaires de chercheront pas à étendu leur compétence au champ entier du droit pénal applicable aux membres des forces armées. C’est peut-être bien le cas, mais nous
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n’avons pas à examiner la conduite des tribunaux militaires dans les faits. Notre problème consiste à définir les limites de leur compétence et, à mon avis, ce serait contrevenir au principe de l’égalité devant la loi que d’interpréter les dispositions de la Loi sur la défense nationale de façon à donner ce sens littéral à la définition d’infraction militaire. La portée exhaustive des dispositions en cause de la Loi sur la défense nationale dépasse toute limite raisonnable ou nécessaire. Le soldat inculpé d’une infraction criminelle est privé du bénéfice d’une enquête préliminaire ou du droit à un procès devant jury. Il est soumis à un code militaire qui diffère à certains égards du droit commun, à des règles de preuve différentes et à une procédure d’appel différente et plus restreinte. Son droit d’invoquer les plaidoyers spéciaux d’«autrefois convict» ou d’«autrefois acquit» est modifié car, s’il est déclaré coupable d’une infraction par un tribunal civil, il ne peut être jugé de nouveau pour la même infraction par un tribunal militaire, mais sa déclaration de culpabilité par un tribunal militaire n’empêche pas une deuxième poursuite devant un tribunal civil. Son droit à un cautionnement est à toutes fins pratiques éliminé. Bien que ces différences puissent être acceptables, compte tenu des besoins militaires, dans certains cas, on ne peut leur donner d’effet universel dans l’application du droit pénal canadien aux membres des forces armées en poste au Canada.
Certes, il est évident qu’il y a plusieurs questions particulières aux forces armées qui exigent un code particulier et des tribunaux particuliers. Je pense aux infractions que je qualifierais de proprement militaires, comme l’absence sans permission, la désertion, l’insubordination, le non-respect des règlements militaires relatifs au soin et à la manutention du matériel et de l’équipement militaires, le défaut d’obéir aux ordres licites des officiers et de nombreuses autres questions visées par la Loi sur la défense nationale, qui sont reliées aux problèmes et préoccupations des forces armées et qui exigent des règles et des procédures militaires particulières. Il s’agit là de questions qui relèvent à bon droit de la compétence du droit militaire et des tribunaux militaires. Il y a en outre des infractions qui, bien qu’elles constituent des infractions de droit commun, doivent également relever des tri-
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bunaux militaires lorsqu’elles sont commises par des soldats dans le cadre de leur activité militaire. Le vol est une infraction criminelle punissable par les tribunaux civils, mais, à mon avis, il est impossible de dire que lorsqu’un soldat en vole un autre dans une caserne, on ne peut pas également qualifier cette infraction d’infraction militaire relevant du droit militaire. On peut dire la même chose du trafic ou de la possession de stupéfiants prohibés dans une caserne et de nombreuses autres questions; les tribunaux militaires doivent avoir le pouvoir de les juger en plus des infractions que l’on pourrait qualifier d’infractions militaires pures et simples.
La question se pose donc ainsi: comment tracer la ligne de démarcation entre les infractions militaires ou reliées aux forces armées et celles qui n’y sont pas nécessairement reliées. A mon avis, une infraction qui constitue une infraction de droit commun, si elle est commise par un civil, est également une infraction relevant de la compétence des cours martiales et du droit militaire si elle est commise par un soldat, lorsque cette infraction est, par sa nature et par les circonstances de sa perpétration, à ce point reliée à la vie militaire qu’elle serait susceptible d’influer sur le niveau général de discipline et d’efficacité des forces armées. Je ne crois pas qu’il soit sage, ni possible, d’énumérer les infractions qui entrent dans cette catégorie ou d’essayer de les décrire en détail. Il faut décider dans chaque cas s’il y a compétence sur ces infractions. Un soldat inculpé devant un tribunal militaire et qui désire en contester la compétence pour ce motif pourra le faire par une requête préliminaire. A titre d’exemple, si par la mise en service d’un véhicule militaire, un soldat dans l’exercice de ses fonctions tue quelqu’un, ce cas de négligence criminelle relèvera de la compétence de la cour martiale, alors que si le même accident se produit quand le soldat conduit son propre véhicule pendant une permission et hors de sa base militaire ou de toute autre installation militaire, il en sera clairement exclu. On peut faire remarquer que, bien que sur un fondement constitutionnel différent, les tribunaux américains ont adopté cette façon de voir dans le cas de conflit de juridiction possible entre les tribunaux militaires et les tribunaux civils.
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Je suis donc d’avis que lorsque les dispositions de la Loi sur la défense nationale confèrent aux cours martiales compétence pour juger des soldats au Canada pour des infractions qui constituent des infractions aux lois pénales canadiennes pour lesquelles des civils pourraient également être poursuivis, et lorsque ni la perpétration ni la nature de ces infractions ne sont nécessairement reliées aux forces armées, en ce sens qu’elles ne tendent pas à influer sur les niveaux d’efficacité et de discipline des forces armées, elles sont inopérantes parce que contraires à la Déclaration canadienne des droits, puisqu’elles créent pour le militaire en cause une inégalité devant la loi.
En l’espèce, je n’ai aucune difficulté à conclure que les infractions en cause sont suffisamment reliées à la vie militaire pour relever de la compétence des tribunaux militaires. Le trafic et la possession de stupéfiants, sur une base militaire, ne peuvent avoir d’autre effet que de porter atteinte aux niveaux de discipline et d’efficacité des forces armées et doivent de toute évidence relever de la compétence des tribunaux militaires et, par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
J’ajouterai que je restreins toutes mes remarques et limite la portée du présent jugement à l’application du droit militaire aux militaires en poste au Canada, et à la compétence des tribunaux militaires à leur égard. Je ne me prononce en aucune façon sur toute question afférente aux forces militaires canadiennes en poste à l’étranger.
Pouvoi rejeté, le juge en chef LASKIN et le juge ESTEY étant dissidents.
Procureurs de l’appelant: Wilson, Marshall & Crawford, Victoria.
Procureur de l’intimée: Roger Tassé, Ottawa.
[1] [1978] 1 R.C.S. 369.
[2] [1970] R.C.S. 282.
[3] [1972] R.C.S. 889.
[4] [1974] R.C.S. 1349.
[5] (1962), 37 W.W.R. 257.
[6] [1972] C.F. 1405.
[7] [1975] 1 R.C.S. 693.
[8] [1976] 1 R.C.S. 376.
[9] [1975] 1 R.C.S. 693.
[10] [1972] R.C.S. 889.
[11] [1979] 1 R.C.S. 183.
[12] [1975] 1 R.C.S. 693.
[13] (1972), 31 D.L.R. (3d) 465.
[14] [1971] R.C.S. 680.
[15] [1967] 3 C.C.C. 244.
[16] [1979] 1 R.C.S. 984.
[17] [1979] 1 R.C.S. 984.
[18] [1970] R.C.S. 282.
[19] [1975] 1 R.C.S. 693.
[20] [1976] 1 R.S.C. 376.
[21] [1979] 1 R.C.S. 183.