Cour suprême du Canada
Covert et autres c. Ministre des Finances de la Nouvelle-Écosse, [1980] 2 R.C.S. 774
Date: 1980-07-18
Frank M. Covert, c.r., John S. Jodrey et The Canada Permanent Trust Company, exécuteurs testamentaires de feu Roy A. Jodrey (Demandeurs) Appelants;
et
Le ministre des Finances de la province de la Nouvelle-Écosse (Défendeur) Intimé;
et
Le procureur général de la Colombie-Britannique et le procureur général du Québec Intervenants.
1979: 22 novembre; 1980: 18 juillet.
Présents: Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, McIntyre et Chouinard.
EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE
Droit fiscal—Droit constitutionnel—Droits successoraux—Compagnie non résidante—«Droit à titre bénéficiaire»—Les actionnaires résidants d’une compagnie mère non résidante sont-ils imposables sur la succession qui revient à une filiale non résidante?—Impôt personnel sur l’héritier résidant—Loi intra vires de la législature provinciale—An Act Respecting Succession Duties, 1972 (N.S.), chap. 17, art. 1(ae), 2(5), 8, 9.
Feu Roy A. Jodrey habitait et était domicilié en Nouvelle-Écosse au moment de sa mort. Il avait douze petits-enfants qui avaient tous leur résidence en Nouvelle-Écosse. Etant donné An Act Respecting Succession Duties, 1972 (N.S.), chap. 17, qui impose des droits successoraux sur tous les biens d’un défunt situés dans la province au moment de son décès, de même que sur les biens situés hors de la province, transmis à des «héritiers» y résidant, il devint évident que, si rien n’était fait, les petits-enfants de M. Jodrey, héritiers de sa succession en vertu de son testament, seraient assujettis à des droits successoraux. Par conséquent, un plan relativement complexe fut imaginé dans l’espoir de soustraire la succession, évaluée alors à quelque $3,500,000 aux droits successoraux de la Nouvelle‑Écosse.
Ce plan comprenait trois étapes principales: (1) La constitution des trois compagnies en Alberta: (i) J.B.H. Investments Ltd., la compagnie mère, qui a émis à chacun des petits‑enfants 100 actions ordinaires au prix de $1 l’action, acquitté par eux; (ii) J.G.C. Investments Ltd., la compagnie filiale qui a émis 100 actions ordinaires, toutes détenues par la compagnie mère en tant que
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propriétaire bénéficiaire; (iii) White Rock Investments Ltd., qui a émis deux actions ordinaires, toutes deux détenues par M. Jodrey en tant que propriétaire bénéficiaire.
(2) Une opération par laquelle M. Jodrey a convenu de vendre à White Rock 4,600 actions de R.A. Jodrey Investments Ltd., une compagnie néo-écossaise, propriété de M. Jodrey et contrôlée par lui, pour une contrepartie de $3,735,200 payable par un billet à demande de ce montant, sans intérêts au siège de White Rock à Edmonton.
(3) Par un codicille à son testament M. Jodrey a révoqué le legs à ses petits-enfants et y a substitué un legs à la filiale y compris le billet à White Rock.
Le résultat net de la création de ces compagnies et de ces opérations est qu’à la mort de M. Jodrey, les 4,600 actions de R.A. Jodrey Investments Ltd., antérieurement propriété du défunt, appartenaient à White Rock, dont le défunt détenait toutes les actions en tant que propriétaire bénéficiaire; celles-ci faisaient donc partie de sa succession. Le billet souscrit par White Rock lors de l’acquisition des titres a été légué à la filiale, de même que tout le résidu de la succession. Les douze petits-enfants de M. Jodrey étaient propriétaires bénéficiaires de toutes les actions de la compagnie mère.
Quand M. Jodrey est mort, les petits-enfants ont été assujettis aux droits à titre d’héritiers du résidu de la succession du défunt en vertu de l’al. 2(5)b) de la loi de la Nouvelle‑Écosse. Les exécuteurs ont déposé un avis de contestation de la cotisation. L’intimé a confirmé la cotisation. Sa décision a été confirmée par la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse et l’appel interjeté de cette décision a été rejeté par un arrêt unanime de la Cour d’appel.
Arrêt (les juges Ritchie, Dickson et McIntyre sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.
Les juges Martland, Pigeon, Beetz et Chouinard: Il y a deux questions à trancher dans ce pourvoi: (1) Résulte-t-il de l’application du par. 2(5)[1] de la Loi que les petits-enfants du défunt sont réputés héritiers du résidu de sa succession? (2) La législature de la Nouvelle‑Écosse a-t-elle excédé sa compétence en promulguant le par. 2(5)?
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(1) L’issue de l’affaire dépend du sens de l’expression «droit à titre bénéficiaire» au par. 2(5). On a rejeté la prétention des appelants qu’il faut donner à ces mots le sens que lui ont donné les cours d’equity, savoir, que le terme «droit» exige qu’il existe un droit qui puisse être sanctionné par un tribunal de common law, ou d’equity, et que l’expression «titre bénéficiaire» est employée pour distinguer un droit ou un intérêt en equity d’un droit ou un intérêt en common law. Cette Cour ne doit pas se considérer comme strictement liée, dans l’interprétation de l’expression «droit à titre bénéficiaire», par les règles d’equity qu’ont élaborées les cours de chancery en matière de fiducie. Dans les circonstances présentes, la compagnie mère a droit à titre bénéficiaire au résidu de la succession au sens du par. 2(5). Le fait qu’elle n’était pas désigné comme bénéficiaire dans le testament n’empêche pas de venir à cette conclusion vu qu’elle avait le contrôle total et absolu de la bénéficiaire désignée, la filiale, et qu’elle pouvait juridiquement la forcer à lui remettre la partie de la succession qui lui avait été léguée. Cette conclusion est renforcée par le fait que le plan adopté par le testateur a pour but évident que la filiale remettre à la compagnie mère le résidu de la succession et qu’à son tour, celle-ci le répartisse entre ses actionnaires, c.-à-d., les petits‑enfants du défunt.
Il s’agit là d’un cas typique où la Cour doit examiner la véritable situation et conclure que la filiale était à la merci de la compagnie mère et devait lui obéir au doigt et à l’œil. La filiale n’était qu’une courroie de transmission entre la compagnie mère et la succession.
(2) Le paragraphe 2(5) est intra vires de la législature de la Nouvelle-Écosse. Le paragraphe 2(5), joint au par. 8(2), ne fait qu’imposer aux héritiers actionnaires qui résident dans la province la même obligation qu’impose le par. 8(2) aux héritiers qui y résident. Ils n’héritent pas des biens du défunt directement, mais les biens leur sont dévolus en dernier ressort à cause du décès parce qu’ils détiennent des actions d’une compagnie qui n’a pas son siège social dans la province et qui acquiert un droit à titre bénéficiaire sur les biens du défunt.
L’impôt auquel sont assujettis les petits-enfants du défunt par l’effet combiné des par. 8(2) et 2(5) est un impôt qui frappe les personnes qui résident en Nouvelle-
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Écosse et qui héritent d’une personne résidant en Nouvelle-Écosse dont le testament a été fait et homologué en Nouvel le-Écosse. Il s’agit d’un impôt qui frappe les personnes qui résident dans la province et constitue par conséquent une taxe imposée dans les limites de la province. L’impôt ne frappe pas des biens situés hors de la province. C’est un impôt qui frappe des personnes se trouvant dans les limites de la province, calculé en fonction des avantages qu’elles retirent d’un legs fait à une compagnie qui n’y a pas son siège social et dont elles sont actionnaires. Il frappe de toute évidence les personnes qui doivent l’acquitter et on ne peut donc le considérer comme un impôt indirect qui excéderait les pouvoirs conférés au par. 92(2) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.
Les juges Ritchie, Dickson et McIntyre, dissidents: Afin de pouvoir fonder la cotisation, il a fallu que l’intimé établisse que la compagnie mère a acquis un «droit à titre bénéficiaire» sur les biens du défunt. La définition de ces mots est presque toujours tirée d’affaires portant sur l’interprétation de testaments ou de lois imposant des droits successoraux et que l’on trouve dans la jurisprudence élaborée par les cours de chancery. Le nœud du problème en l’espèce est que le rédacteur de la Loi a utilisé une expression bien connue des tribunaux. En l’absence de précédents et dans un autre contexte que celui des successions et des droits successoraux, un tribunal pourrait interpréter l’expression «droit à titre bénéficiaire» selon ce qu’on pourrait considérer être son sens courant. Mais ce n’est pas le cas dans cette affaire, et à la lumière du sens donné à ces mots par les cours de chancery et d‘equity, on ne peut dire que la compagnie mère a des «droits à titre bénéficiaire» parce qu’elle n’a pas l’intérêt ou la capacité pour «poursuivre en justice le recouvrement» des biens de la succession. Elle a peut-être le pouvoir, par le biais de son contrôle sur les actions, de forcer la filiale à prendre des mesures contre les fiduciaires, mais elle n’a pas de droit indépendant et ne peut faire valoir de droit à titre bénéficiaire. Rien dans cette loi ou dans quelque règle d’interprétation des lois n’autorise à remonter la chaîne des compagnies par l’application répétée du par. 2(5). C’est là la faille même de la Loi que le testateur a exploitée.
La Cour peut à bon droit tenir compte non seulement des principes du droit des fiducies, mais également de ceux du droit des compagnies pour déterminer si l’on peut dire que la compagnie mère, en tant que propriétaire de toutes les actions émises de la filiale, a un «droit à titre bénéficiaire» sur les biens de la filiale. Le principe général est qu’une compagnie n’est pas propriétaire bénéficiaire de l’actif de sa propre filiale et qu’un actionnaire n’a pas de droit de propriété sur les biens d’une
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compagnie dont il détient des actions, sauf en cas de liquidation. En l’absence de fraude ou de conduite malhonnête, les tribunaux ne peuvent écarter l’existence juridique distincte d’une compagnie. On ne peut établir de distinctions de principe entre la propriété de 100 actions d’une compagnie importante et la propriété de toutes les actions émises d’une petite compagnie. Dans un cas comme dans l’autre, l’actionnaire n’est propriétaire d’aucun autre bien que des actions.
Enfin la loi en cause ne contient aucune disposition qui y introduit la notion de simulation, de fraude, d’évasion fiscale illégale ou d’opérations illégales et il est clair également que l’organisation des appelants ne cadre pas avec le critère traditionnel d’une opération «simulée» aux fins de créer des droits et des obligations qui ne correspondent pas aux liens juridiques qui caractérisent en fait l’organisation.
[Jurisprudence: distinction faite avec Re Chodikoff, [1971] 1 O.R. 321; arrêts examinés: In re Millers Agreement; Uniacke v. Attorney-General, [1947] Ch. 615; Montreal Trust Co. c. Le ministre du Revenu national, [1958] R.C.S. 146; Rodwell Securities Ltd. v. Inland Revenue Commissioners, [1968] 1 All E.R. 257; arrêts suivis: Littlewoods Mail Order Stores, Ltd. v. McGregor, [1969] 3 All E.R. 855; D.H.N. Food Distributors Ltd. v. Tower Hamlets London Borough Council, [1976] 1 W.L.R. 852; Ministre du Revenu de l’Ontario c. McCreath, [1977] 1 R.C.S. 2; arrêts mentionnés: MacKeen Estate v. Minister of Finance of Nova Scotia (1977), 36 A.P.R. 572; Macaura v. Northern Assurance Co., [1925] A.C. 619; Procureur général (C.-B.) c. Canada Trust Co. and Ellett, [1980] 2 R.C.S. 466.]
POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse[2], qui a rejeté un appel interjeté du jugement du juge Hart. Pourvoi rejeté, les juges Ritchie, Dickson et McIntyre sont dissidents.
J.T. MacQuarrie, c.r., R.N. Pugsley, c.r., et R. Jones, pour les demandeurs, appelants.
T.B. Smith, c.r., J.W. Kavanagh, c.r., et A.S. Butler, pour le défendeur, intimé.
H.L. Henderson et M.C. Nash, pour l’intervenant, le procureur général de la Colombie‑Britannique.
Henri Brun et Jean François Jobin, pour l’intervenant, le procureur général du Québec.
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Version française du jugement des juges Martland, Pigeon, Beetz et Chouinard rendu par
LE JUGE MARTLAND—Le litige dans ce pourvoi porte sur la validité d’un avis de cotisation en date du 8 août 1975, adressé par l’intimé aux appelants à titre d’exécuteurs testamentaires de feu Roy A. Jodrey; la cotisation augmentait la valeur totale de la succession de $3,784,273 et imposait des droits de succession aux douze petits-enfants du défunt.
Les parties à l’instance ont convenu d’un exposé conjoint des faits. Voici ceux qui sont pertinents aux questions en litige dans ce pourvoi.
Roy A. Jodrey, décédé le 12 août 1973, a vécu à Hantsport (Nouvelle-Écosse) pendant environ trente ans. Au moment de sa mort, il habitait et était domicilié à Hantsport. Il avait douze petits-enfants qui avaient tous leur résidence en Nouvelle-Écosse.
Il a fait un testament le 13 août 1963. Le testament disposait que les exécuteurs devaient payer, à même le capital de la succession, toutes les dettes prouvées, les frais funéraires et testamentaires et tous les impôts et droits successoraux, frais, taxes d’héritage et de mutation sur les biens légués par le testament, afin que tous les legs soient nets de tous droits et taxes.
Le testament léguait tous les biens du défunt aux exécuteurs en fiducie pour qu’ils paient les legs particuliers et détiennent le résidu de la succession en fiducie, en premier lieu, pour verser à la veuve $500 par mois sa vie durant, à moins qu’elle ne renonce à ce revenu en totalité ou en partie, et, en second lieu, pour qu’ils répartissent à la mort de celle-ci, le résidu de la succession entre les petits-enfants du défunt.
Le 1er janvier 1972, le gouvernement fédéral s’est retiré du champ de l’impôt fédéral sur les successions. La province de la Nouvelle-Écosse, tout comme cinq autres provinces, a édicté des lois imposant des droits successoraux. Ces provinces étaient parties à des accords de réciprocité et ont conclu des ententes avec le gouvernement fédéral pour que celui-ci administre les lois et perçoive les droits successoraux. L’Alberta n’a pas édicté de loi imposant des droits successoraux.
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La loi de la Nouvelle-Écosse en litige ici, s’intitule An Act Respecting Succession Duties, 1972 (N.S.), chap. 17, édictée le 15 mai 1972, ci-après appelée «la Loi». Son entrée en vigueur était rétroactive au 1er janvier 1972. Les dispositions de cette loi, pertinentes à ce pourvoi, se lisent comme suit:
[TRADUCTION] 1. ae) «héritier» à l’égard d’un bien du défunt comprend toute personne qui, à toute époque avant ou après la mort du défunt, a acquis ou acquiert un droit à titre bénéficiaire sur un bien du défunt
(i) à l’occasion du décès du défunt, ou conditionnellement à celui-ci,
…
2. (5) Lorsqu’une compagnie qui n’a pas son siège social dans la province, sauf une compagnie sans capital-actions, acquiert un bien par testament ou un droit à titre bénéficiaire sur un bien au décès du défunt,
a) la compagnie n’est pas réputée héritière du bien sauf dans la mesure où la valeur des actions détenues par les actionnaires de la compagnie n’augmente pas du fait que la compagnie acquiert le bien ou le droit à titre bénéficiaire; et
b) chaque actionnaire de la compagnie est réputé héritier du bien du défunt en proportion de l’augmentation de la valeur des actions de la compagnie qu’il détient, du fait de l’acquisition par cette dernière du bien ou du droit à titre bénéficiaire.
…
8. (1) Sous réserve de ce qui suit, des droits successoraux doivent être payés sur les biens d’un défunt situés dans la province à son décès.
(2) Sous réserve de ce qui suit, lorsque les biens d’un défunt sont situés à l’extérieur de la province au moment de son décès et que l’héritier de l’un de ces biens réside dans la province à ce moment, ce dernier doit acquitter les droits successoraux en vertu de la présente loi sur les biens dont il hérite.
9. L’héritier d’un bien sur lequel il doit acquitter des droits successoraux en vertu du paragraphe (1) de l’article 8 et celui qui est assujetti à des droits en vertu du paragraphe (2) de l’article 8, doit les payer au ministre à titre de revenu prélevé pour des objets provinciaux.
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Après l’adoption de cette loi, voici ce qui s’est produit:
1. Des avocats ont constitué trois compagnies en Alberta pour le compte de M. Jodrey:
a) Le 13 septembre 1972, J.B.H. Investments Limited (ci-après appelée «la compagnie mère») a été constituée avec un capital-actions de 20,000 actions, sans valeur nominale ni valeur au pair. Les deux personnes qui l’ont constituée étaient un avocat et un stagiaire d’un bureau d’avocats d’Edmonton. Ils en sont devenus les administrateurs. Chaque petit-enfant de M. Jodrey a reçu 100 actions du capital-actions de cette compagnie.
b) Le 13 septembre 1972, J.G.C. Investments Limited (ci-après appelée «la compagnie filiale») a été constituée avec un capital-actions de 20,000 actions, sans valeur nominale ni valeur au pair. Les personnes qui ont constitué cette compagnie étaient les mêmes que pour la compagnie mère. Chacune détenait une action du capital-actions de la compagnie et elles en sont devenues les administrateurs. Le même jour, 98 actions du capital-actions de la compagnie ont été attribuées à la compagnie mère. Subséquemment, les deux personnes ayant constitué la compagnie ont fait des déclarations de fiducie en faveur de la compagnie mère pour les deux actions qu’elles détenaient.
c) White Rock Investments Limited («White Rock») a été constituée le 13 septembre 1972 avec un capital-actions de 20,000 actions, sans valeur nominale ni valeur au pair, par les deux mêmes personnes. Ces personnes en sont devenues les administrateurs. Chacune détenait une action du capital-actions de la compagnie. Une de ces actions a été immédiatement transférée au défunt, Roy A. Jodrey. L’autre action a fait l’objet d’une déclaration de fiducie en faveur du défunt.
Le 22 septembre 1972, un accord a été conclu entre Roy A. Jodrey et White Rock, par lequel celui-ci a vendu à White Rock 4,600 actions du capital-actions de R.A. Jodrey Investments Limited pour une somme de $3,735,200 payable par un billet à demande de ce montant, sans intérêts, au
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siège de la compagnie à Edmonton. R.A. Jodrey Investments Limited est une compagnie de la Nouvelle-Écosse, dont le siège social se trouve à Hantsport (Nouvelle-Écosse). Son capital autorisé est de $50,000 divisé en 5,000 actions d’une valeur au pair de $10 chacune. Cinq mille actions avaient été émises, dont 4,600 appartenaient à Roy A. Jodrey et étaient enregistrées à son nom, avant la conclusion de l’entente du 22 septembre 1972.
2. Le 5 octobre 1972, par un codicille, M. Jodrey a révoqué les dispositions de son testament concernant la répartition du résidu de la succession entre ses petits-enfants; il a ordonné que le résidu soit transmis et légué à la filiale.
Mme Jodrey lui a survécu et le 18 septembre 1973 a avisé par écrit les exécuteurs de la succession qu’elle renonçait au revenu qui lui était réservé par le testament.
Le résultat net de la création de ces compagnies et de ces opérations est qu’à la mort de M. Jodrey, les 4,600 actions de R.A. Jodrey Investments Limited, antérieurement propriété du défunt, appartenaient à White Rock, dont le défunt détenait toutes les actions en tant que propriétaire bénéficiaire; celles-ci faisaient donc partie de sa succession. Le billet souscrit par White Rock lors de l’acquisition des titres a été légué à la filiale, de même que tout le résidu de la succession. La compagnie mère était propriétaire bénéficiaire de toutes les actions de la filiale. Les douze petits-enfants de M. Jodrey étaient propriétaires bénéficiaires de toutes les actions de la compagnie mère.
Les exécuteurs ont dûment fait homologuer et enregistrer le testament et le codicille de M. Jodrey en Nouvelle-Écosse et la Probate Court de Windsor (Nouvelle-Écosse) a délivré le certificat d’enregistrement le 28 septembre 1973. Les exécuteurs ont produit une déclaration d’impôt successoral établissant la valeur totale de la succession au sens de la Loi à $162,009.50. Par un avis de cotisation en date du 8 août 1975, la valeur totale de la succession a été augmentée de $3,784,273. L’avis assujettissait les douze petits-enfants à l’im-
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pôt à titre d’héritiers du résidu de la succession du défunt en vertu de l’al. 2(5)b) de la Loi. Les exécuteurs ont produit un avis de contestation de la cotisation, fondé sur deux moyens, énoncés comme suit:
[TRADUCTION] 1. Les douze petits-enfants du défunt visés par l’avis de cotisation ne sont pas héritiers au sens de la Succession Duty Act et par conséquent ne sont assujettis à aucun droit.
2. Le paragraphe 2(5) de la Succession Duty Act excède la compétence de la législature de la Nouvelle-Écosse.
Le ministre des Finances de la Nouvelle-Écosse a confirmé la cotisation. Les appelants ont interjeté appel de sa décision à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse. L’appel se fondait sur les deux moyens soulevés dans l’avis de contestation. La Cour a tranché les deux questions en faveur de l’intimé. L’appel interjeté de cette décision par les appelants a été rejeté par un arrêt unanime de la Cour d’appel.
Avec autorisation, ce pourvoi a été interjeté.
Il y a deux questions à trancher dans ce pourvoi:
1. Résulte-t-il de l’application du par. 2(5) de la Loi que les petits-enfants du défunt sont réputés héritiers du résidu de sa succession?
2. La législature de la province de la Nouvelle-Écosse a-t-elle excédé sa compétence en promulguant le par. 2(5)?
La première question
Les cours d’instance inférieure ont déclaré qu’en vertu du par. 2(5) de la Loi, les petits‑enfants du défunt sont réputés héritiers du résidu de la succession.
Les appelants soutiennent que le par. 2(5) n’a pas cet effet parce que la compagnie, qui n’a pas son siège social dans la province au sens de la disposition, est la filiale à laquelle le défunt a légué le résidu de sa succession. Les petits-enfants du defunt n’en sont pas actionnaires et l’al. b) du paragraphe n’a pas pour effet de les réputer héri-
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tiers du résidu de la succession.
Selon les cours d’instance inférieure, la compagnie mère, qui détient 98 des 100 actions émises de la filiale et est propriétaire bénéficiaire des deux actions restantes, est une compagnie qui n’a pas son siège social dans la province et qui a acquis un droit à titre bénéficiaire sur le résidu de la succession du défunt au sens des termes introductifs du paragraphe; en conséquence l’al. b) a pour effet de réputer les actionnaires de la compagnie mère (c.-à-d., les douze petits-enfants) héritiers du résidu de la succession.
Les cours d’instance inférieure ont étudié le sens de l’expression «droit à titre bénéficiaire» employée au par. 2(5). En première instance, le juge Hart a repris les motifs qu’il avait rendus dans une affaire entendue immédiatement avant celle-ci (l’affaire MacKeen[3]), dans laquelle les mêmes questions se posaient. Voici ce qu’il y a dit:
[TRADUCTION] Il me semble que le sens courant de l’expression «propriétaire bénéficiaire» est celui de véritable propriétaire ou propriétaire réel du bien. Le bien peut être enregistré à un autre nom ou détenu en fiducie pour le véritable propriétaire, mais le «propriétaire bénéficiaire» est celui qui, en dernier ressort, exerce les droits de propriété sur le bien.
Je crois que l’autre expression «droit à titre bénéficiaire» a une signification légèrement différente de celle de «propriétaire bénéficiaire». La personne qui a un droit à titre bénéficiaire sur un bien peut être plus loin de l’exercice du droit de propriété en dernier ressort que le «propriétaire bénéficiaire», mais tant que cette personne a le droit de faire valoir légalement les droits de propriété sur le bien, on peut dire qu’elle a un droit à titre bénéficiaire sur celui-ci. Cette distinction entre les deux expressions ressort à mon avis clairement des opinions exprimées dans les arrêts Rodwell Securities ([1968] 1 All E.R. 257) et Montreal Trust [la succession Torrance] ([1958] R.C.S. 146). Dans Rodwell Securities, la Cour se penchait sur un cas où l’appelant devait établir qui était propriétaire bénéficiaire des actions détenues par deux compagnies distinctes dans une troisième. On a décidé que c’était la compagnie filiale plutôt que la compagnie mère, qui était la véritable propriétaire des actions. Dans l’autre arrêt, la Cour suprême du Canada a étudié le sens de l’expression «droit à titre bénéficiaire» et a décidé qu’il suffisait que le bien en question puisse
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être utilisé au profit d’une personne par le recours à un moyen efficace de paiement.
A mon avis, quand la législature de la Nouvelle-Écosse emploie l’expression «Lorsqu’une compagnie … acquiert un droit à titre bénéficiaire sur un bien», elle l’emploie dans son sens large afin de viser le cas où la compagnie se trouve dans une position qui lui permet d’exercer en dernier ressort les droits de propriété sur un bien du défunt. Il serait superflu d’employer à cette fin des termes additionnels comme «directement ou indirectement» ou «est contrôlé par». L’expression «acquiert un droit à titre bénéficiaire» est suffisamment large pour viser les situations où le bien est enregistré à un autre nom ou est détenu en fiducie ou placé de façon à ce que la compagnie puisse légalement recouvrer le bien à son profit.
Le jugement du juge Hart a été confirmé en appel. Le juge en chef MacKeagan, qui a rendu l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire MacKeen (précitée) et en l’espèce, a dit dans ses motifs dans ce premier arrêt:
[TRADUCTION] Je conviens que «avoir droit» à un bien signifie être en mesure de le «recouvrer légalement» c’est-à-dire, dans le contexte, d’avoir le droit et le pouvoir, par des moyens légaux, de jouir pleinement du bien. Le terme «bénéficiaire» indique que la personne ayant droit à la jouissance du bien peut ne pas y avoir droit en pleine propriété.
Au sens moderne de l’expression, une personne a «droit à titre bénéficiaire» à un bien si elle en est le propriétaire réel ou bénéficiaire, même si une autre personne en est le propriétaire nominal. Le propriétaire nominal du bien, qu’il s’agisse de biens immeubles, de droits incorporels ou d’autres biens meubles, en détient le titre légal. Le propriétaire réel, la personne ayant un «droit à titre bénéficiaire», peut exiger du propriétaire nominal qu’il le laisse utiliser le bien, lui en remette la possession ou le revenu, ou le laisse en profiter et en jouir de quelque autre façon. II peut habituellement exiger du propriétaire nominal qu’il convertisse le bien en un autre ou en transfère le titre à un autre propriétaire nominal. Il peut surtout, à moins que les termes d’une fiducie particulière ne l’en empêchent, demander au propriétaire nominal de lui transférer le bien et son titre juridique, en tant que propriétaire réel. S’il le fait, il acquiert le bien en pleine propriété et cesse de n’avoir seulement qu’un droit à titre bénéficiaire.
Les appelants prétendent qu’il faut donner à l’expression «droit à titre bénéficiaire» le sens que lui ont donné les cours d’equity, savoir, que le
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terme «droit» exige qu’il existe un droit qui puisse être sanctionné par un tribunal de common law ou d’equity, et que l’expression «titre bénéficiaire» est employée pour distinguer un droit ou un intérêt en equity d’un droit ou un intérêt en droit. La compagnie mère, dit-on, n’avait aucun droit au résidu de la succession, en equity ou en droit, qu’elle pourrait faire sanctionner contre les exécuteurs de la succession et la Cour n’a pas le droit de méconnaître le fait que la filiale constitue une compagnie distincte.
Les appelants se fondent sur l’opinion du juge Wynn-Parry dans In re Miller’s Agreement; Uniacke v. Attorney-General[4]. Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si les trois filles du défunt, Thomas William Noad, étaient assujetties au paiement de droits successoraux. Le défunt avait deux associés. Lorsqu’il s’est retiré de la société et que celle-ci a été dissoute, il a été convenu que les deux autres associés, après le décès de Noad, verseraient à ses trois filles des rentes viagères. On n’a pas établi de fiducie au profit des filles.
On a décidé que les filles n’étaient pas assujetties au paiement de droits successoraux. Elles n’étaient pas parties à l’entente conclue entre Noad et ses associés et celle-ci ne leur conférait aucun droit exécutoire en common law ou en equity. L’entente ne leur donnait aucun droit «à titre bénéficiaire» au sens de l’art. 2 de la Succession Duty Act, 1853.
Voici ce que dit le juge Wynn-Parry aux pp. 624 et 625:
[TRADUCTION] Il est clair que les rentes sont des biens au sens de l’art. 2, vu qu’elles constituent de l’argent payable aux termes de l’entente, savoir, le contrat. La question pertinente, à mon sens, est celle de savoir si les demanderesses ont acquis un «droit à titre bénéficiaire» sur ces biens au décès de M. Noad. Le terme «bénéficiaire» n’a pas, selon moi, d’incidence. Si elles ont acquis un «droit» aux rentes, elles ont acquis le droit à titre bénéficiaire. La question cruciale, par conséquent, est celle de savoir si elles ont acquis un «droit» aux rentes au décès de M. Noad. A mon avis, l’emploi du terme «droit» dans cet article emporte nécessairement que, pour qu’une personne ait droit à un bien en vertu de
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cet article, il faut qu’elle ait le droit de poursuivre en justice le recouvrement de ce bien.
Dans l’affaire Montreal Trust Company et autres c. Le ministre du Revenu national[5], les contribuables devant cette Cour se sont fondés sur cet énoncé. Des droits successoraux étaient réclamés dans les circonstances suivantes. Un testateur a établi, à même le résidu de sa succession, un «Fonds de charité» à partager également entre deux institutions de charité. Ce legs était exempt de droits successoraux. Il y avait des legs imposables à d’autres bénéficiaires. Les legs aux deux institutions étaient «absolument conditionnels» au paiement, par celles-ci, en parts égales, de tous les droits payables sur la succession. A défaut de ce faire, les legs qui leur étaient faits étaient révoqués et les exécuteurs devaient utiliser le Fonds de chanté pour acquitter les droits.
La question en litige était celle de savoir si les bénéficiaires au profit desquels les deux institutions charitables devaient acquitter les droits successoraux étaient assujettis au paiement de droits sur le montant des droits acquittés à leur profit, c’est-à-dire, si l’exemption de droits profitant aux légataires constituait elle-même une succession.
L’alinéa 2m) de la Loi fédérale sur les droits successoraux définissait «succession» en ces termes:
2m) … toute disposition de biens passée ou future, en raison de laquelle une personne a ou aura droit à la jouissance bénéficiaire de quelques biens … à l’occasion du décès d’un de cujus … d’une manière certaine ou éventuelle,…
A propos de l’énoncé du juge Wynn-Parry, le juge Rand a dit à la p. 149:
[TRADUCTION] Au nom des appelants, Me Marier a soutenu que le critère devant déterminer si un héritier a acquis le «droit à titre bénéficiaire d’un bien» est celui formulé par le juge Wynn-Parry dans In Re Miller’s Agreement; Uniacke v. Attorney-General. Le critère était le suivant: on devait «établir qu’il [l’héritier] a le droit de poursuivre en justice le recouvrement de ce bien». Si le terme «recouvrement» s’étend à l’utilisation d’argent au profit de quelqu’un, et «poursuivre en justice» à un recours subsidiaire en dernier ressort comme moyen efficace de paiement, je suis disposé à accepter ce critère.
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Le juge Locke a dit, à la p. 147:
[TRADUCTION] A mon avis, les legs en cause incluaient chacun les montants spécifiés et, de plus, le droit d’obtenir que les droits soient acquittés à même le capital du Fonds de charité ou les sommes versées aux institutions de charité au titre de leurs ententes respectives, si elles décidaient d’accepter les legs qui leur étaient faits aux conditions du testament. Dans les faits, les fiduciaires peuvent obtenir l’exécution des engagements des institutions de charité d’acquitter les droits. Il est exact que les légataires n’ont pas de recours direct contre les institutions de charité, mais chacun d’eux peut exiger des fiduciaires désignés par le testament qu’ils obtiennent l’exécution de ces engagements, et à défaut, qu’ils acquittent les droits successoraux et autres à même le capital du Fonds de charité conformément au testament.
On a conclu que les droits devaient être acquittés. L’élément de cette affaire pertinent à ce pourvoi est que sans avoir de droits dont ils pouvaient obtenir la sanction contre les institutions de charité, les bénéficiaires avaient un moyen efficace d’exiger le paiement en réclamant l’intervention des fiduciaires en leur nom.
Les appelants ont également cité l’arrêt Re Chodikoff[6] à l’appui de leur position. Cette affaire porte sur l’application de la Succession Duty Act de l’Ontario, R.S.O. 1960, chap. 386. La question en litige était celle de savoir quel était le taux d’imposition applicable à l’égard des dispositions faites par le défunt de son vivant. Le Ministre prétendait que les dispositions avaient été faites à un «étranger». Les exécuteurs de la succession prétendaient que les dispositions avaient été faites au profit de l’épouse et des enfants du défunt et, par conséquent, étaient imposables à un taux moins élevé.
Le défunt contrôlait deux compagnies, l’une une société immobilière, l’autre, Bemar Investments Limited, qui n’avaient jamais fait affaire activement. Bemar avait deux catégories d’actions, celles de catégorie A détenues en fiducie au profit de l’épouse et des enfants du défunt, et celles de catégorie B propriété du défunt. Le défunt a transféré à Bemar les actions dont il était propriétaire dans la société immobilière. Il a également fait
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souscrire à Bemar des actions de la société immobilière qui les a émises à Bemar. Dans chaque cas, le prix était inférieur à la valeur véritable. On a reconnu que les deux opérations constituaient des «dispositions» au sens de la Loi.
Le juge Arnup, qui a rendu l’arrêt de la Cour d’appel, a disposé de la prétention des exécuteurs en ces termes, aux pp. 329 et 330:
[TRADUCTION] L’avocat de l’intimé, d’autre part, se fonde de nouveau sur la définition que l’on trouve à l’al. 1f)(ii):
(ii) toutes les façons dont une personne tire un avantage, directement ou indirectement, d’un acte du défunt…
Il dit que les seules personnes qui ont tiré un avantage de cette opération étaient l’épouse et les enfants du défunt, à titre de bénéficiaires de la Fiducie Marvin Chodikoff Numéro Un, que la Cour devrait écarter ou soulever le «voile de la compagnie» et qu’il faut considérer l’opération au fond et dans les faits comme une opération par laquelle le défunt a avantagé son épouse et ses enfants. Cette prétention rend nécessaire l’examen de la situation juridique précise de ces «bénéficiaires» à l’époque de l’opération. A ce moment, les fiduciaires détenaient toutes les actions émises de catégorie A de Bemar; comme on l’a déjà souligné, les actionnaires de catégorie A avaient un droit proportionnel aux biens de Bemar à sa liquidation, sous réserve du paiement en priorité du capital et des intérêts dus aux actionnaires de catégorie B. Il ne fait aucun doute que l’opération a eu pour effet d’augmenter l’actif de Bemar mais, à mon avis, la disposition en soi n’a pas conféré un «avantage» aux bénéficiaires de la fiducie. La question de savoir si, à long terme, ils tireront un avantage de cette disposition dépend de plusieurs facteurs pouvant survenir dans le futur, y compris la liquidation de Bemar et la possession par Bemar à ce moment-là d’un actif suffisant pour régler les créances des actionnaires de catégorie B et avoir un surplus à distribuer aux actionnaires de catégorie A.
En d’autres termes, à la date de la disposition, l’épouse et les enfants du défunt étaient les cestuis que trustent d’une fiducie qui détenait des actions de Bemar. La fiducie n’a acquis aucun droit de propriété, ni en droit ni en equity, du fait de la disposition. Ceci a eu pour seul effet que, dans des circonstances données, la valeur d’un bien qu’elle détenait déjà pouvait augmenter.
Il n’est pas nécessaire d’examiner le bien-fondé de cette décision. Les faits de ce pourvoi sont
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considérablement différents de ceux qui existaient dans l’affaire Chodikoff. La compagnie à laquelle le résidu de la succession est légué, est la filiale à part entière de la compagnie mère qui la contrôle totalement. Il n’y avait pas d’autres actionnaires. Les dispositions de la Loi à l’étude dans Chodikoff étaient nettement différentes de celles à l’étude en l’espèce.
Les appellants se fondent également sur l’arrêt Rodwell Securities Ltd. v. Inland Revenue Commissioners[7]. Cette affaire concerne une demande d’exemption du paiement d’un droit de timbre à l’égard du transfert d’un bien-fonds. La filiale à part entière d’une compagnie mère avait transféré un bien-fonds à une compagnie qui était la filiale à part entière d’une autre filiale à part entière de la compagnie mère. On a autorisé une exemption du paiement du droit de timbre en vertu du par. 42(2) de la Finance Act, 1930, qui disposait:
[TRADUCTION] 42(2) Le présent paragraphe s’applique à toute opération à l’égard de laquelle il est établi à la satisfaction du ministre du Revenu a) qu’elle a pour effet de transférer un intérêt à titre bénéficiaire dans un bien d’une compagnie à responsabilité limitée à une autre compagnie de même nature; et b) que soit—(i) l’une des compagnies est propriétaire bénéficiaire d’au moins quatre-vingt-dix pour cent des actions du capital‑actions émis de l’autre compagnie; ou (ii) qu’une troisième compagnie à responsabilité limitée est propriétaire bénéficiaire d’au moins quatre-vingt-dix pour cent des actions du capital-actions émis de chacune des compagnies.
Ni la compagnie cédante ni la compagnie cessionnaire n’était propriétaire bénéficiaire des actions de l’autre compagnie. La compagnie mère détenait la propriété à part entière de la compagnie cédante, mais pas celle de la compagnie cessionnaire qui appartenait à une filiale de la compagnie mère.
Le juge Pennycuick a décidé que l’exemption ne s’appliquait pas. Il a dit à la p. 259:
[TRADUCTION] Pour sortir de cette situation, l’avocat de Securities doit aller au-delà de la structure de la compagnie et établir que la disposition d’exemption vise le cas où une compagnie détient l’entier contrôle, pour utiliser un terme neutre, d’une autre compagnie, par le
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biais d’une filiale de la première compagnie dont la seconde compagnie est elle-même une filiale. C’est là un cas qu’à mon avis, les termes de l’art. 42 ne visent pas.
A la p. 260, il a dit:
[TRADUCTION] … Selon le sens juridique des mots, une compagnie n’est pas propriétaire bénéficiaire de l’actif de sa propre filiale. Le sens juridique des mots tient compte de la structure de la compagnie et du fait que chaque compagnie est une personne distincte en droit.
Il faut noter que cette affaire concernait le sens de l’expression «propriétaire bénéficiaire» et non de l’expression «droit à titre bénéficiaire» et, comme le juge Hart, j’estime qu’il y a une distinction. De plus, le juge Pennycuick a pris soin de distinguer la propriété des actions d’un droit de contrôle de la compagnie.
L’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Littlewoods Mail Order Stores, Ltd. v. McGregor[8] est, à mon avis, beaucoup plus pertinent aux circonstances de ce pourvoi. Il porte sur une déduction réclamée dans le calcul du revenu aux fins de l’impôt sur le revenu. Le contribuable, qui faisait affaire à Londres, était locataire de ses locaux en vertu d’un bail de 99 ans, dont 88 étaient écoulés. Le loyer annuel était de £23,444. Par entente avec le propriétaire, le titre de propriété du terrain a été acquis par une filiale à part entière du contribuable, Fork Manufacturing Co., Ltd. Fork a loué les locaux à l’ancien propriétaire pour 22 ans et 10 jours à un loyer de £6 par année. L’ancien propriétaire a alors sous-loué les lieux au contribuable pour 22 ans à un loyer annuel de £42,450. Le contribuable réclame ce montant à titre de déduction aux fins de l’impôt sur le revenu. Le ministre du Revenu n’a pas autorisé la déduction de la différence entre les £42,450 et le loyer de £23,444 versé auparavant.
Le contribuable prétend que Fork constituait une entité distincte et indépendante qui devait être traitée de la même façon que si quelqu’un d’autre que le contribuable avait détenu ses actions. Fork aurait acquis la propriété et le contribuable, à la suite de l’opération, n’aurait acquis aucun bien en immobilisation.
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Le maître des rôles, lord Denning, a disposé de cet argument en ces termes, à la p. 860:
[TRADUCTION] Je ne peux accepter cet argument. Je refuse de considérer la compagnie Fork comme une entité distincte et indépendante. Il faut prendre garde au principe formulé dans l’arrêt Salomon v. Salomon & Co., Ltd. ([1897] A.C. 22; [1895-99] All E.R. Rep. 33). On a souvent cru qu’il avait pour effet d’entourer une compagnie à responsabilité limitée d’un voile impénétrable par les tribunaux. Ce n’est pas le cas. Les tribunaux peuvent soulever le voile et le font souvent. Ils peuvent retirer le masque et le font souvent. Ils cherchent ce qui se trouve en réalité dessous. Le législateur a donné l’exemple avec la comptabilité de groupe et le reste. Les tribunaux devraient faire de même. Je suis d’avis que nous devons regarder la compagnie Fork et voir ce qu’elle est en réalité—la filiale à part entière du contribuable. Elle est la création, la marionnette, du contribuable dans les faits et devrait être considérée comme telle en droit. Fondamentalement, le contribuable, par l’intermédiaire de sa filiale à part entière, a acquis un bien en immobilisation—la propriété de Jubilee House; et il l’a acquise en payant £19,006 de plus par année. Vu sous cet angle, on ne peut établir de distinction entre cette affaire et l’arrêt Land Securities ([1969] 2 All E.R. 430, [1969] 1 W.L.R. 604). Les contribuables n’ont pas le droit de déduire ces £19,006 additionnelles dans le calcul de leurs profits.
Après s’être reporté à l’argument de l’avocat du contribuable voulant que celui-ci et Fork constituent deux entités distinctes en droit, le lord juge Karminski a poursuivi en ces termes à la p. 862:
[TRADUCTION] … L’exactitude de cette prétention est indubitable compte tenu de la règle formulée il y a longtemps dans l’arrêt Salomon v. Salomon & Co., Ltd. ([1897] A.C. 22; [1895-99] All E.R. Rep. 33). Mais il faut examiner en l’espèce ce que je crois être la véritable situation. Le contribuable est, nous a-t-on dit, une importante compagnie commerciale. La compagnie Fork, comme l’indique le bilan qu’on nous a soumis, est non seulement une entité distincte, mais aussi la création du contribuable ou du moins dépend complètement de celui-ci. Voici à mon avis pourquoi: on nous a soumis les bilans de plusieurs années, à partir de l’année se terminant en décembre 1959 jusqu’à celle se terminant en décembre 1962. Le capital autorisé de la compagnie Fork était de 20,000 actions de £1 chacune. Le capital émis était plus modeste, savoir, deux actions entièrement acquittées de £1 chacune. Les seuls autres biens, à part de ce modeste capital acquitté, était un terrain et des bâtiments évalués par les administrateurs à £20,000 en
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1959. Dans le bilan de 1962, leur évaluation était passée, sans aucun doute à bon droit, à £86,202; mais le reste du bilan n’a aucunement changé. Il est vrai que l’argent en caisse en 1958 était de £2; mais c’était également le cas en 1962. Entre temps, l’argent en banque était passé de rien à £13 7s. Ces chiffres, en soi peu révélateurs, m’ont en tout cas persuadé que le seul objet de la compagnie Fork en 1958 était de détenir au nom du contribuable ce précieux terrain, que le maître des rôles, lord Denning, a décrit en détail. Je suis d’avis qu’il me faut me demander, après avoir examiné les détails, qui a en réalité profité de l’acquisition du terrain. A cette question, à mon avis, il ne peut y avoir qu’une seule réponse, savoir, le contribuable, et non la compagnie Fork.
Un autre exemple d’un cas où l’on a soulevé le voile de la compagnie est l’arrêt de la Cour d’appel dans D.H.N. Food Distributors Ltd. v. Tower Hamlets London Borough Council[9], où, à propos des filiales à part entière et de leur compagnie mère en cause dans cette affaire, lord Denning a dit à la p. 860: [TRADUCTION] «Ces filiales sont à la merci de la compagnie mère et doivent lui obéir au doigt et à l’œil». Le lord juge Goff, à la p. 861, a fait mention du fait que, dans cette affaire, [TRADUCTION] «les filiales étaient toutes les deux propriété à part entière, et de plus n’avaient aucune opération commerciale distincte de quelque nature que ce soit».
Je ne crois pas qu’il soit vraiment nécessaire de «lever le voile de la compagnie» pour appuyer les décisions d’instance inférieure. Le paragraphe 2(5) entre en jeu non seulement lorsqu’une compagnie «acquiert» un bien du défunt, mais aussi lorsqu’elle acquiert un «droit à titre bénéficiaire». Cette expression, qui suit le terme «acquiert», implique clairement que le bien a été transmis à une autre personne au profit de la compagnie. Elle engloberait sans aucun doute le cas où un bien est légué à un fiduciaire au profit de la compagnie. On ne peut nier que dans ce cas la compagnie acquerrait un «droit à titre bénéficiaire». La Loi ne restreint cependant pas le champ d’application de cette disposition à ce seul cas. A mon avis, la compagnie a tout autant un «droit à titre bénéficiaire» lorsque le bien est détenu par sa filiale à
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part entière que lorsqu’il est détenu en fiducie pour elle. Son droit est d’ailleurs plus direct en ce sens qu’elle n’a pas à demander à un tiers de remplir son devoir de fiduciaire. Elle n’a qu’à exercer ses droits à titre de seul actionnaire de sa filiale. Rien dans le contexte du par. 2(5) ne justifie que l’on donne un sens restreint à l’expression «droit à titre bénéficiaire» qu’il faut interpréter selon la langue courante. Je ne peux conclure qu’elle a acquis un sens technique auquel il faudrait la restreindre dans cette loi.
A mon avis, dans l’examen de l’application du par. 2(5) aux faits inhabituels de ce pourvoi, cette Cour ne doit pas se considérer comme strictement liée, dans l’interprétation de l’expression «droit à titre bénéficiaire», par les règles d’equity qu’ont élaborées les cours de chancery en matière de fiducie. C’est l’attitude qu’a adoptée cette Cour dans l’arrêt Ministre du Revenu de la Province de l’Ontario c. McCreath et autres.[10]
De son vivant, Mme McCreath avait constitué une fiducie pour certains biens. Les termes de la fiducie prévoyaient que, de son vivant, la fiduciaire devait verser les revenus nets du fonds de fiducie à Mme McCreath et à ses enfants, ou à leur profit, ou, à la discrétion de ladite fiduciaire, à l’un ou plusieurs d’entre eux. A la mort de Mme McCreath, la fiduciaire devait disposer du fonds en faveur des enfants de Mme McCreath ou de ceux d’entre eux qu’elle aurait désignés par testament. En l’absence de dernières volontés, il devait y avoir distribution en parts égales.
La loi fiscale en cause était rédigée de manière à viser toutes les opérations ayant pour résultat de transmettre un bien au décès. Par conséquent, l’expression «biens transmis au décès d’un défunt» à été définie d’une manière large et était réputée comprendre, selon l’al. 1p)(viii):
[TRADUCTION] les biens transmis en vertu d’une constitution passée ou future, y compris une fiducie, exprimée par écrit ou autrement, et, si elle est contenue dans un acte ou autre instrument effectuant la constitution, que cet acte ou autre instrument constate un contrat à titre onéreux ou à titre gratuit entre le constituant et toute autre personne, faite par acte ou autre instrument ne
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pouvant pas valoir comme testament, par lequel le constituant retient, expressément ou implicitement, de son vivant, ou pour une autre période calculable par rapport à la date de son décès, un droit sur ces biens ou le produit de leur vente, ou par lequel le constituant peut s’être réservé le droit de retour de ces biens, d’en reprendre la propriété ou le produit de leur vente ou d’en disposer autrement, en tout ou en partie,…
Il s’agissait de savoir si, en vertu de la fiducie, Mme McCreath s’était réservée un «droit» sur les biens, soit expressément soit implicitement. Les intimés ont soutenu qu’elle ne s’était réservée aucun droit. La répartition du revenu annuel entre Mme McCreath et ses enfants se faisait à l’entière discrétion du fiduciaire entre l’un ou plusieurs d’entre eux. Mme McCreath n’avait aucun droit exécutoire pour obtenir une partie de ce revenu.
La Cour à la majorité a rejeté cet argument (l’autre membre de la Cour est venu à la même conclusion pour d’autres motifs). Les motifs du rejet sont énoncés à la p. 15 comme suit:
Je conclus que Mme McCreath a conservé aux fins de l’al. p)(viii) de l’art. 1, un droit sur les biens dont elle a disposé en se désignant elle-même comme un des bénéficiaires éventuels de la fiducie discrétionnaire. Les premiers bénéficiaires de la libéralité de la donatrice sont [TRADUCTION] «la Constituante … les descendants qu’elle pourra avoir». De fait, la constituante a perçu des revenus en vertu de l’al. a) du par. 1. Mme McCreath pouvait demander au tribunal d’ordonner à la fiduciaire de respecter les conditions de la fiducie si celle-ci refusait d’exercer son pouvoir discrétionnaire. Que le bénéficiaire éventuel n’ait aucun droit aux termes du droit des biens parce qu’il n’a pas «droit» à un montant déterminablé de revenus n’est pas pertinent. Je ne pense pas qu’il faille s’en tenir rigoureusement aux subtilités et aux arcanes de l’ancien droit des biens pour déterminer l’effet d’une loi fiscale moderne dont le but est évident.
A mon avis, dans les circonstances présentes, la compagnie mère a droit à titre bénéficiaire au résidu de la succession au sens du par. 2(5). Le fait qu’elle n’était pas désignée comme bénéficiaire dans le testament n’empêche pas de venir à cette conclusion vu qu’elle avait le contrôle total et absolu de la bénéficiaire désignée, la filiale, et qu’elle pouvait juridiquement la forcer à lui remettre la partie de la succession qui lui avait été
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léguée. Cette conclusion est renforcée par le fait que le plan adopté par le testateur a pour but évident que la filiale remette à la compagnie mère le résidu de la succession et qu’à son tour, celle-ci le répartisse entre ses actionnaires, c.-à-d., les douze petits-enfants du défunt. Son intention ressort de son premier testament. L’intention du testateur était de toute évidence de diviser le résidu de sa succession entre ses petits-enfants. Le codicille et la structure des compagnies par laquelle la compagnie mère détient toutes les actions de la filiale, ont eu le même résultat, mais en faisant passer le résidu entre les mains de deux compagnies avant qu’il n’atteigne les bénéficiaires voulus.
Les deux compagnies ont été constituées le même jour dans le même bureau par les mêmes avocats. Ni la compagnie mère ni la filiale n’ont fait affaire entre la date à laquelle elles ont été constituées et celle du décès de M. Jodrey. Ni l’une ni l’autre n’avaient de créanciers. Elles avaient toutes deux les mêmes dirigeants. Elles avaient les mêmes administrateurs.
Il s’agit là d’un cas typique où la Cour doit examiner la véritable situation et conclure que la filiale était à la merci de la compagnie mère et devait lui obéir au doigt et à l’œil. La filiale n’était qu’une courroie de transmission entre la compagnie mère et la succession.
Dans les circonstances, je suis d’avis que la compagnie mère avait droit à titre bénéficiaire au résidu de la succession au sens du par. 2(5). Bien qu’elle ne soit pas désignée comme bénéficiaire par le testament, la structure mise en place par le défunt lui a conféré le contrôle total de la bénéficiaire désignée, la filiale, et lui a permis de la forcer en droit à lui remettre le résidu de la succession. La véritable situation est que la compagnie mère est propriétaire bénéficiaire du résidu de la succession et que, non seulement le défunt le savait lorsqu’il a fait le codicille à son testament, mais c’est ce qu’il voulait. Il savait que, par le codicille, il léguait le résidu de sa succession à une compagnie qui, en vertu du plan qu’il avait mis au point, était détenue à part entière par la compagnie mère dont les actionnaires (ses petits-enfants)
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devaient recevoir sa fortune. Pour employer les termes du juge Rand dans l’arrêt Montreal Trust Company (précité), la compagnie mère, quoique n’ayant aucun droit comme bénéficiaire en vertu du testament de poursuivre directement les exécuteurs, avait [TRADUCTION] «un recours subsidiaire en dernier ressort comme moyen efficace de paiement».
Cette conclusion ne vient pas en conflit avec le principe énoncé dans des arrêts comme Macaura v. Northern Assurance Company, Limited and others[11], selon lequel l’actionnaire d’une compagnie n’a aucun droit aux biens de celle-ci. La question en litige dans ce pourvoi est celle de savoir si par son contrôle total de la filiale, la compagnie mère est à même de la forcer juridiquement à disposer de ses biens comme elle le lui dicte.
A mon avis, le pourvoi doit échouer sur la première question.
La deuxième question
Les appelants soutiennent que le par. 2(5) de la Loi excède la compétence de la législature de la Nouvelle-Écosse. Ils disent que le par. 2(5) de la Loi exige que soient appliquées les dispositions d’assujettissement du par. 8(2) de la Loi, créant un impôt qui n’est pas «dans les limites de la province» et qui est indirect, et partant qui ne relève pas du par. 92(2) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.
Pour plus de commodité, voici de nouveau l’art. 8 de la Loi:
8(1) Sous réserve de ce qui suit, des droits successoraux doivent être payés sur tous les biens d’un défunt situés dans la province à son décès.
(2) Sous réserve de ce qui suit, lorsque les biens d’un défunt sont situés à l’extérieur de la province au moment de son décès et que l’héritier de l’un de ces biens réside dans la province à ce moment, ce dernier doit acquitter les droits successoraux en vertu de la présente loi sur les biens dont il hérite.
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Les appelants font valoir que la taxe imposée par le par. 8(2) de la Loi est en réalité un droit successoral et qu’elle vise la transmission de biens.
Les appelants se fondent sur l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britanniqe dans l’affaire Procureur général de la Colombie-Britannique c. Compagnie Trust Canada et Ellett[12], qui a décidé que l’art. 6A de la Succession Duty Act, R.S.B.C. 1960, chap. 372, modifié par 1972 (B.C.), chap. 59, art. 14, était invalide.
Le paragraphe 6A(1) est en substance identique au par. 8(2) de la Loi de la Nouvelle-Écosse. L’article 6A dispose:
[TRADUCTION] 6A. (1) Lorsque les biens d’un défunt sont situés à l’extérieur de la province au moment de son décès et que le bénéficiaire d’une partie quelconque des biens réside dans la province au moment du décès, ce dernier doit acquitter les droits successoraux en vertu de la présente loi relativement aux biens dont il est bénéficiaire.
(2) Le bénéficiaire des biens du défunt mentionnés au paragraphe (1) doit, sous réserve des dispositions de l’article 5, payer les droits successoraux relativement à ces biens, calculés sur la valeur imposable desdits biens au taux prescrit dans la Table des taux à l’Annexe C, selon la méthode suivante:
Dans un arrêt de cette Cour, rendu récemment, le pourvoi interjeté contre l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a été accueilli et la Cour a décidé que l’art. 6A relève de la compétence de la législature de la Colombie-Britannique. Elle a décidé que l’art. 6A «prélève un impôt personnel sur un bénéficiaire qui réside dans la province».
On doit donc considérer comme établi en droit que le par. 8(2) de la Loi est valide et que l’impôt qu’il a créé est un impôt personnel sur un héritier qui réside dans la province.
Le paragraphe 2(5), joint au par. 8(2), ne fait qu’imposer aux héritiers actionnaires qui résident dans la province la même obligation qu’impose le par. 8(2) aux héritiers qui y résident. Ils n’héritent pas des biens du défunt directement, mais les biens
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leur sont dévolus en dernier ressort à cause du décès parce qu’ils détiennent des actions d’une compagnie qui n’a pas son siège social dans la province et qui acquiert un droit à titre bénéficiaire sur les biens du défunt.
L’impôt auquel sont assujettis les petits-enfants du défunt par l’effet combiné des par. 8(2) et 2(5) est un impôt qui frappe les personnes qui résident en Nouvelle-Écosse et qui héritent d’une personne résidant en Nouvelle-Écosse dont le testament a été fait et homologué en Nouvelle-Écosse. Il s’agit d’un impôt qui frappe les personnes qui résident dans la province et constitue par conséquent une taxe imposée dans les limites de la province. L’impôt ne frappe pas des biens situés hors de la province. C’est un impôt qui frappe des personnes se trouvant dans les limites de la province, calculé en fonction des avantages qu’elles retirent d’un legs fait à une compagnie qui n’a pas son siège social dans la province et dont elles sont actionnaires. Il frappe de toute évidence les personnes qui doivent l’acquitter et on ne peut donc le considérer comme un impôt indirect.
A mon avis, le par. 2(5) relève de la compétence de la législature de la Nouvelle-Écosse.
Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Version française des motifs des juges Ritchie, Dickson et McIntyre rendus par
LE JUGE DICKSON (dissident)—Dans ce pourvoi, la Cour doit délimiter la frontière entre la planification successorale acceptable et l’évasion fiscale inacceptable. En termes généraux, la question peut être formulée ainsi: un tribunal annulera-t-il les actions d’un testateur ou d’un contribuable qui a étudié les lois pertinentes et organisé ses affaires de façon à se soustraire à leur portée apparente lorsque la Loi ne définit pas l’évitement fiscal illégal? Il faut, à mon avis, distinguer le cas où a) la Loi délimite clairement les conséquences fiscales et, se sachant pertinemment visé, le contribuable tente de déguiser ou de modifier la nature de son revenu, du cas où b) un contribuable découvre une lacune dans la Loi ou une façon dont il peut validement soustraire tout son revenu à ses termes exprès. Le contribuable ne présente pas faussement sa situation aux autorités fiscales; il ne
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fait que réorganiser ses affaires légalement de façon à minimiser son assujettissement à l’impôt.
Pour décider si ses actes constituent a) de l’évasion fiscale répréhensible ou b) de la planification fiscale légitime, il faut appliquer aux faits de chaque cas particulier les principes formulés par la jurisprudence.
Je me propose d’étudier cette question dans l’ordre suivant:
I Les faits
II L’interprétation des lois fiscales
III Le «droit à titre bénéficiaire»
IV Soulever le voile de la compagnie V La simulation
VI La conclusion
I
LES FAITS
Roy A. Jodrey a résidé pendant trente ans à Hantsport (Nouvelle-Écosse) et y est décédé le 12 août 1973. Dans son testament, fait le 13 août 1963, il a donné aux exécuteurs, les appelants en l’espèce, les directives habituelles concernant le paiement des dettes, des frais funéraires et testamentaires et des droits et impôts successoraux. Puis, après avoir fait des legs particuliers et des dons de charité, il a exprimé la volonté qu’au décès de son épouse, le résidu de la succession soit réparti en parts égales entre ses petits-enfants.
Après confection du testament et du vivant de M. Jodrey, le gouvernement fédéral s’est retiré du champ de l’impôt sur les successions le 1er janvier 1972. La province de la Nouvelle‑Écosse, comme plusieurs autres, s’est empressée de prendre sa place, et a adopté An Act Respecting Succession Duties, (N.S.), 1972 chap. 17, réputée entrée en vigueur le 1er janvier 1972. La Loi impose des droits successoraux sur tous les biens d’un défunt situés dans la province au moment de son décès, de même que sur les biens situés hors de la province, transmis à des «héritiers» y résidant.
Il devint évident que, si rien n’était fait, les douze petits-enfants de M. Jodrey, qui résidaient
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tous en Nouvelle-Écosse, seraient assujettis, à titre d’«héritiers», à des droits successoraux. Par conséquent, un plan relativement complexe fut imaginé et mis en æuvre, dans l’espoir de soustraire la succession, évaluée alors à quelque $3,500,000 aux droits successoraux de la Nouvelle-Écosse.
Ce plan comprenait trois étapes principales:
1. La constitution de compagnies—Le 13 septembre 1972, M. Jodrey a fait constituer trois compagnies en Alberta, alors la seule province qui n’imposait pas de droits successoraux:
a) J.B.H. Investments Ltd.—la compagnie mère, qui a émis à chacun des douze petits‑enfants de M. Jodrey 100 actions ordinaires au prix de $1 l’action, acquitté par les petits-enfants.
b) J.G.C. Investments Ltd.—la compagnie filiale qui a émis 100 actions ordinaires, toutes détenues par la compagnie mère en tant que propriétaire bénéficiaire.
c) White Rock Investments Ltd.—qui a émis deux actions ordinaires, toutes deux détenues par M. Jodrey en tant que propriétaire bénéficiaire.
Toutes les compagnies ont été enregistrées en Alberta. Aucune ne faisait affaire en Nouvelle‑Écosse. Le siège social, le registre des actionnaires et les certificats d’actions émises de chaque compagnie se trouvaient en Alberta. Les administrateurs et dirigeants de chaque compagnie y résidaient également.
2. L’opération White Rock
Le 22 septembre 1972, M. Jodrey a conclu une entente par laquelle il a convenu de vendre, et White Rock Investments d’acheter, 4,600 actions de R.A. Jodrey Investments Limited, une compagnie néo-écossaise, propriété de M. Jodrey et contrôlée par lui, pour une contrepartie de $3,735,200. White Rock a remis à M. Jodrey un billet à ordre de ce montant, payable sans intérêts sur présentation au siège social de White Rock en Alberta. Le 3 juillet 1973, White Rock a versé $105,800 en acompte sur le billet, ce qui laissait un solde de $3,629,400 à la date du décès de M. Jodrey. Le billet à ordre se trouvait en Alberta à cette date.
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3. Le codicille
Par un codicille à son testament, en date du 5 octobre 1972, M. Jodrey a révoqué le legs du résidu de sa succession à ses petits-enfants, et y a substitué ce qui suit:
[TRADUCTION] le résidu de ma succession, je lègue à JGC Investments Limited, une compagnie de l’Alberta, y compris, sans réserves, un billet souscrit par White Rock Investments Limited.
On a procédé d’une façon assez semblable à celle que l’auteur d’un exposé présenté au trente-troisième symposium fiscal de 1971 de L’Association Canadienne d’Etude Fiscales (Report of Proceedings, à la p. 36) suggérait à un père désireux d’éviter légalement les droits successoraux. Voici ce que l’auteur, sous le titre «transmissions», a dit:
[TRADUCTION] Il se peut qu’en vertu du droit actuel, un père puisse légalement éviter les droits successoraux, même si ses enfants ont leur domicile ou leur résidence dans la province où le père est domicilié. Si, par exemple, un père domicilié en Ontario transfère tous ses biens, y compris ceux situés en Ontario, à une compagnie de portefeuille de l’Alberta, contre des actions de celle-ci, et si ses enfants constituent une seconde compagnie de portefeuille en Alberta et que le père par testament lègue ses actions de la première compagnie à la seconde, il semble que l’Ontario ne pourrait prélever aucuns droits. Dans l’arrêt Re Chodikoff Estate, [1971] 1 O.R. 321, la Cour d’appel de l’Ontario a décidé qu’un père, qui dispose de ses biens en les vendant sous leur valeur à la compagnie de portefeuille de ses enfants, avantage la compagnie de portefeuille et non les enfants; cette disposition est par conséquent assujettie aux taux d’imposition applicables aux étrangers plutôt qu’à ceux applicables aux bénéficiaires privilégiés. Si l’on applique ce raisonnement à notre cas hypothétique, il semble que l’on ne pourrait considérer un legs des actions de la première compagnie albertaine à la seconde comme une transmission aux enfants du testateur qui résident en Ontario simplement parce qu’ils sont actionnaires de la deuxième compagnie albertaine.
En l’expèce, le but de cet arrangement à deux paliers, compagnie mère et filiale, était de soustraire le résidu de la succession aux dispositions fiscales de la nouvelle loi de la Nouvelle-Écosse dont le par. lae) dispose:
[TRADUCTION] 1. ae) «héritier» à l’égard d’un bien du défunt comprend toute personne qui, à toute époque avant ou après la mort du défunt, a acquis ou acquiert un droit à titre bénéficiaire sur un bien du défunt
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(i) à l’occasion du décès du défunt ou conditionnellement à celui-ci, ou …
Le ministre des Finances a fondé sur l’al. 2(5)b) l’assujettissement des petits-enfants aux droits successoraux:
[TRADUCTION] 2. (5) Lorsqu’une compagnie qui n’a pas son siège social dans la province, sauf une compagnie sans capital-actions, acquiert un bien par testament ou un droit à titre bénéficiaire sur un bien au décès du défunt,
a) la compagnie n’est pas réputée héritière du bien sauf dans la mesure où la valeur des actions détenues par les actionnaires de la compagnie n’augmente pas du fait que la compagnie acquiert le bien ou le droit à titre bénéficiaire; et
b) chaque actionnaire de la compagnie est réputé héritier du bien du défunt en proportion de l’augmentation de la valeur des actions de la compagnie qu’il détient du fait de l’acquisition par cette dernière du bien ou du droit à titre bénéficiaire.
Les dispositions d’assujettissement sont les suivantes:
8. (1) Sous réserve de ce qui suit, des droits successoraux doivent être payés sur les biens d’un défunt situés dans la province à son décès.
(2) Sous réserve de ce qui suit, lorsque les biens d’un défunt sont situés à l’extérieur de la province au moment de son décès et que l’héritier de l’un de ces biens réside dans la province à ce moment, ce dernier doit acquitter les droits successoraux en vertu de la présente loi sur les biens dont il hérite.
9. L’héritier d’un bien sur lequel il doit acquitter des droits successoraux en vertu du paragraphe (1) de l’article 8 et celui qui est assujetti à des droits en vertu du paragraphe (2) de l’article 8, doit les payer au ministre à titre de revenu prélevé pour des objets provinciaux.
Le paragraphe 8(2) vise les biens situés hors de la province et les héritiers qui y résident. La légataire, une compagnie de l’Alberta, n’a pas son siège social dans la province de la Nouvelle-Écosse et par conséquent le legs ne relève pas du par. 8(2), sauf si l’on peut invoquer l’al. 2(5)b) de la Loi. Cette disposition vise le cas d’une compagnie, comme J.G.C. Investments Ltd., qui n’a pas son
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siège social en Nouvel le-Écosse et qui acquiert un droit à titre bénéficiaire sur des biens suite au décès du défunt.
L’alinéa 2(5)b) vise de toute évidence les actionnaires, qui résident dans la province, d’une compagnie légataire qui n’y a pas son siège social. Si M. Jodrey avait légué le résidu de sa succession à une compagnie de l’Alberta dont ses petits-enfants sont actionnaires, je crois qu’il n’aurait pas été douteux (sous réserve de la validité constitutionnelle) que les petits‑enfants étaient assujettis aux droits successoraux. Toutefois, le plan que j’ai décrit a introduit une deuxième compagnie. Le seul actionnaire de la compagnie légataire, J.G.C. Investments Ltd., est la compagnie mère, J.B.H. Investments Ltd. Cette compagnie n’a pas son siège social en Nouvelle-Écosse. Par conséquent, on fait valoir que la compagnie et ses actionnaires, les petits-enfants, ne sont pas visés par la Loi.
Le rédacteur de la Loi a envisagé le cas d’une compagnie légataire qui n’a pas son siège social dans la province, mais dont les actionnaires y résident, et il a edicté un article à cet effet. Il a négligé le cas d’une compagnie filiale légataire dont la compagnie mère n’a pas son siège social dans la province et qui est contrôlée par des actionnaires qui y résident. Cet oubli, dit-on, a pour effet de dégager les petits-enfants de l’obligation de payer des droits sur le résidu reçu par la filiale de la compagnie mère dont ils sont les seuls actionnaires. Tout cela constitue-t-il une planification légitime des affaires du contribuable qui s’exclut ainsi des dispositions de la loi fiscale ou est-ce de l’évasion fiscale illégale? Dans ce dernier cas, quel est le fondement juridique de l’illégalité? L’opinion d’un juge sur la rectitude de la conduite du testateur et la désirabilité du résultat visé par celui-ci ne constitue pas un critère pour en juger.
Par un avis de cotisation en date du 8 août 1975 adressé aux exécuteurs de la succession, la valeur totale de la succession a été augmentée de $3,784,273, dont $2,999,000 attribuables à «un billet à ordre situé en Alberta»; le taux d’imposition applicable était fixé à 48.5 pour cent; le montant des droits était établi à $1,534,421.96 avec intérêts sur cette somme au taux annuel de 8 pour cent. On reconnaît que, par l’avis de cotisation, les douze
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petits-enfants ont été assujettis aux droits à titre d’héritiers du résidu de la succession. Les exécuteurs ont déposé un avis de contestation. Le ministre des Finances a confirmé la cotisation [TRADUCTION] «comme ayant été établie conformément aux dispositions de la Loi et en particulier au motif que les douze petits-enfants du défunt, qui résidaient tous en Nouvelle-Écosse au moment du décès, sont les véritables héritiers en droit du résidu de la succession aux termes de l’al. 2(5)b) de la Loi».
Le Ministre a toujours reconnu que les petits-enfants n’étaient pas «héritiers» en vertu de par. lae) de la Loi, mais «réputés» héritiers en vertu de l’al. 2(5)b), en tant qu’actionnaires d’une compagnie ayant un droit à titre bénéficiaire. Le juge Hart en première instance l’a noté dans son opinion dans l’affaire MacKeen. Des appels ont été interjetés à la Division de première instance puis à la Division d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse à l’égard des deux successions. Dans les deux cas, on a procédé sur la base d’un exposé conjoint des faits et d’un recueil de pièces conjoint. L’exposé conjoint des faits énonce les deux questions soumises en première instance et maintenant à cette Cour:
[TRADUCTION] a) les douze petits-enfants du défunt sont-ils héritiers du résidu de sa succession au sens du par. 2(5) de la Loi? et
b) si l’on conclut que les douze petits-enfants du défunt sont héritiers du résidu de sa succession au sens du par. 2(5) de la Loi, le par. 2(5) excède-t-il la compétence de la législature de la Nouvelle-Écosse?
Des questions identiques ont été soumises aux tribunaux de la Nouvelle-Écosse dans les appels concernant la succession de John Crerar MacKeen et la Cour d’appel a adopté en l’espèce les motifs de jugement qu’elle a exposés dans l’affaire MacKeen. Devant cette Cour, le Québec et la Colombie-Britannique sont intervenus pour appuyer une réponse affirmative à la question constitutionnelle suivante:
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La législature de la Nouvelle-Écosse a-t-elle compétence pour promulguer les par. 8(2) et 2(5) de la Succession Duty Act, S.N.S. 1972, chap. 17?
II
L’INTERPRÉTATION DES LOIS FISCALES
Dans toutes les cours, les appelants ont fait valoir plusieurs arguments concernant les principes d’interprétation des lois fiscales, qu’il me faut commenter. Les lois fiscales, allègue‑t-on, doivent être interprétées strictement. Selon les appelants, le tribunal ne peut tenir compte que des termes exprès de la Loi et ne peut rechercher l’intention du législateur ou le but visé par la Loi, ou leur donner effet. Ils renvoient à un passage de l’opinion de lord Halsbury dans l’arrêt Tennant v. Smith[13], à la p. 154. Ils affirment ensuite que les principes d’équité ne jouent pas en faveur du gouvernement dans une loi fiscale. Ils s’appuient sur un passage de l’arrêt Attorney-General v. The Earl of Selborne[14], où le maître des rôles Collins a adopté ce principe, à la p. 396:
[TRADUCTION] Si la personne que Ton cherche à assujettir à l’impôt est visée par la lettre de la loi, elle doit l’être, quelque onéreux que le fardeau puisse sembler à l’esprit judiciaire. D’un autre côté, si le gouvernement qui cherche à prélever l’impôt, ne peut établir que le contribuable est visé par la lettre de la loi, celui-ci en est exempt, quoique apparemment, selon l’esprit de la loi, il puisse sembler en être autrement.
Les appelants renvoient à la controverse entre «la forme et le fond». Le tribunal, dit-on, doit considérer l’«effet juridique» de l’opération et négliger, ou du moins accorder une importance bien moindre, au véritable fondement de la question. Les appelants considèrent des passages fort connus tirés de l’arrêt Commissioners of Inland Revenue v. The Duke of Westminster[15], aux pp. 20, 25 et 31.
Enfin, les appelants disent, ce qui ne fait aucun doute, qu’un contribuable peut arranger ses affaires de façon à minimiser son assujettissement à l’impôt, même si les autorités fiscales «n’apprécient
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pas» son «ingéniosité», Duke of Westminster, précité, à la p. 19.
Si les prétentions des appelants sur les principes applicables à l’interprétation des lois fiscales signifient simplement qu’il n’est pas permis de favoriser le gouvernement dans l’interprétation d’une loi fiscale, je suis entièrement d’accord avec eux. Une cour de justice doit agir comme arbitre neutre, avec impartialité et objectivité, entre le contribuable et les autorités fiscales. Aucun des deux n’occupe une position privilégiée.
Si, d’un autre côté, les appelants veulent dire que l’interprétation des lois fiscales fait appel à des principes d’interprétation particuliers, ou qu’un tribunal doit accepter sans sens critique et passivement la forme de l’opération, se fermant les yeux devant la réalité, alors, avec égards, je ne partage pas leur opinion.
Les lois fiscales ne constituent pas une catégorie à part. Une personne dont la conduite est réglementée par une loi devrait savoir à l’avance ce que la Loi prescrit. Un tribunal doit se demander quel sens les personnes régies par la Loi peuvent-elles raisonnablement lui donner? Il faut éviter les interprétations forcées ou artificielles.
La bonne méthode, applicable à l’interprétation des lois en général, est d’interpréter la loi en tenant compte de son objet et de son but et de lui donner l’interprétation qui permettra au mieux de les atteindre. L’objet premier d’une loi sur les droits successoraux comme celle en cause en l’espèce, est de capturer au profit de l’Etat toutes les sommes prises dans les rets de la Loi. On ne peut présumer d’autre intention de la part du législateur que celle de prélever les droits imposés par la Loi ni plus ni moins.
Bien qu’un tribunal ait le droit, dans le cas d’une loi fiscale comme de toute autre loi, de tenir compte du but de la loi dans son ensemble, de même que du but visé par une disposition donnée, il doit néanmoins respecter le texte qui exprime l’intention du législateur. Dans l’arrêt Corporation
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of the City of Toronto v. Russell[16], lord Atkinson, qui a rendu la décision du Conseil privé, a dit à la p. 501:
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries sont de plus d’avis que, puisque l’objet et le but principal que visait de toute évidence la Législature quand elle a adopté l’Act 3 Edw. 7, chap. 86, était de valider les ventes tenues pour arrérages de taxes … on doit interpréter la Loi, lorsque ses termes le permettent, de façon à donner effet à ce but et à atteindre cet objectif. (Les italiques sont de moi.)
Le passage suivant est tiré de l’opinion du juge Brightman de la Chancery Division dans Sansom et al. v. Peay[17], à la p. 379, à propos du par. 29(9) de la Finance Act:
[TRADUCTION] A mon avis, le par. 29(9) peut être interprété soit dans le sens strict qu’a défendu le substitut du procureur général, soit dans le sens plus large mis de l’avant par l’avocat des fiduciaires. Le paragraphe (9) est une disposition exonératrice et il ne m’appartient évidemment pas, même dans le cas d’une loi fiscale, d’essayer d’assurer que l’exemption s’applique. Je suis cependant d’avis qu’il m’est permis de tenir compte d’un facteur que le législateur devait avoir à l’esprit lorsqu’il a promulgué l’art. 29. L’économie de l’art. 29 est d’exempter de l’impôt sur les gains en capital le produit de la vente de la maison d’un particulier. C’était là l’intention générale. … Il ne serait donc pas surprenant que le législateur soit venu à la conclusion que, dans les circonstances, le profit réalisé sur la vente de la première maison doive, à bon droit, être exempt de l’impôt sur les gains en capital afin qu’il reste assez d’argent pour acheter une nouvelle maison. Néanmoins, il ne me serait pas permis d’interpréter le par. (9) d’une façon que je crois juste et raisonnable si le texte ne permettait pas cette interprétation. Je n’ai pas non plus l’intention de déborder du cadre du cas particulier qui m’est soumis. (Les italiques sont de moi.)
III
LE DROIT A TITRE BENEFICIAIRE
Je passe maintenant à la question de savoir si l’opération en l’espèce est visée par les termes du par. 2(5) de façon que les douze petits-enfants soient réputés «héritiers». Voici de nouveau l’al. 2(5)b):
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[TRADUCTION] Lorsqu’une compagnie qui n’a pas son siège social dans la province, sauf une compagnie sans capital-actions, acquiert un bien par testament ou un droit à titre bénéficiaire sur un bien au décès du défunt,
a)…
b) chaque actionnaire de la compagnie est réputé héritier du bien du défunt en proportion de l’augmentation de la valeur des actions de la compagnie qu’il détient, du fait de l’acquisition par cette dernière du bien ou du droit à titre bénéficiaire.
Si l’on détermine que la «compagnie qui n’a pas son siège social dans la province» et qui «acquiert un bien par testament ou un droit à titre bénéficiaire sur un bien», est la compagnie filiale, la légataire directe, il ressort clairement du texte même que l’article ne vise pas les petits-enfants qui ne sont pas actionnaires de la compagnie légataire. Pour que le Ministre puisse fonder la cotisation sur l’al. 2(5)b), il lui faut établir que la compagnie mère a acquis un «droit à titre bénéficiaire» sur les biens du défunt.
Si l’on cherche dans les dictionnaires juridiques la définition de mots et d’expressions comme «droit», «bénéficiaire», «droit à titre bénéficiaire», «droit bénéficiaire», etc., il ressort rapidement qu’elles sont toujours tirées d’affaires portant sur l’interprétation de testaments ou de lois imposant des droits successoraux. Ces expressions tirent naturellement leur sens du terme «bénéficiaire», celui qu’après tout, l’impôt vise. Que cela nous plaise ou non, cela nous oblige à tenir compte de l’énorme jurisprudence élaborée par les cours de chancery. La Loi de la Nouvelle-Écosse porte sur un domaine dont l’application relevait jadis des cours d’equity et emploie des expressions bien connues de celles-ci. Dans les cas clairs de testament ou de fiducie du moins, l’expression «droit à titre bénéficiaire» désigne un droit que l’on pouvait faire valoir devant une cour d‘equity et que celle-ci sanctionnait. Voir Waters, Law of Trusts in Canada (1974), aux pp. 833 à 835.
L’arrêt clé en droit moderne britannique est Uniacke v. Attorney-General (In re Miller’s Agreement)[18], où le juge Wynn-Parry devait déci-
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der si les demandeurs avaient un «droit à titre bénéficiaire» sur des rentes que les associés de l’associé retraité (et décédé depuis) avaient convenu de verser aux demanderesses, c’est‑à-dire à la famille de l’ancien associé.
Dans l’énoncé le plus clair du droit sur ce point, le savant juge de première instance a dit, à la p. 625:
[TRADUCTION] A mon avis, l’emploi du terme «droit» dans cet article emporte nécessairement que, pour qu’une personne ait droit à un bien en vertu de cet article, il faut qu’elle ait le droit de poursuivre en justice le recouvrement de ce bien.
Cette règle de «poursuivre en justice le recouvrement» a été suivie dans l’arrêt Re J. Bibby & Sons, Ltd. Pensions Trust Deed, Davies v. Inland Revenue Commissioners[19]. Dans cet arrêt, à la p. 487, le juge Harman a décidé qu’une veuve n’avait pas de «droit à titre bénéficiaire» sur le revenu d’une pension parce qu’elle n’avait pas [TRADUCTION] «un droit au bien que protégerait une cour de common law ou d’equity».
Il existe des décisions canadiennes sur ce sujet. L’arrêt In Re Steed and Raeburn Estates; Minister of National Revenue v. Fitzgerald et al.[20], porte sur la question de savoir si le bien en cause est ou non situé au Canada. Le juge Rand a examiné la nature du droit d’un bénéficiaire:
[TRADUCTION] Mais en plus de son pouvoir de représenter le défunt, l’exécuteur, en equity, est considéré comme un quasi-fiduciaire pour les bénéficiaires; et le bénéficiaire peut avoir recours à cette cour pour obliger l’exécuteur à s’acquitter de ses obligations. Le «droit» au bien transmis découle de ce droit et devient, par conséquent, un droit en equity, soumis aux règles sous-jacentes à l’administration en equity, (à la p. 461)
Le juge Locke, dissident, a laissé entendre que lui aussi définirait le bénéficiaire comme celui qui peut obliger les fiduciaires à bien administrer la succession.
L’arrêt Cossit v. M.N.R.[21] portait, en partie, sur l’al. 2m) de la Loi sur les droits de succession
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du Dominion, 1940-41 (Can.), chap. 14, modifié par 1942-43, chap. 25. Le juge O’Connor devait répondre à la question de savoir si le pouvoir général donné au bénéficiaire d’utiliser le capital en totalité ou en partie était un «bien» sur lequel le bénéficiaire avait un «droit à titre bénéficiaire». Le juge O’Connor a décidé à la p. 708:
[TRADUCTION] A mon avis, le terme «droit» à l’al. 2m) doit être interprété dans le sens énoncé par le juge Wynn-Parry dans In re Miller’s Agreement, Uniacke v. Attorney‑General, [1947] 2 All E.R. 78, où, après avoir traité du terme «droit» à l’art. 2 de la Succession Duty Act, 1853 (Imp.), chap. 51, il a dit à la p. 83: «A mon avis, l’emploi du terme «droit» dans cet article emporte nécessairement que, pour qu’une personne ait droit à un bien en vertu de cet article, il faut qu’elle ait le droit de poursuivre en justice le recouvrement de ce bien.»
L’appelant n’a aucun droit de poursuivre en justice le recouvrement du capital avant d’avoir exercé ce pouvoir pour lui-même.
L’arrêt Wanklyn et autres c. M.R.N.[22], est une affaire très semblable. En plus d’un droit afférent au revenu tiré d’un montant de capital, le bénéficiaire dans cette affaire était investi d’un pouvoir général de nomination. S’il exerçait ce pouvoir pleinement, il devenait propriétaire absolu du capital. Le Ministre a cherché à prélever le même impôt que si le bien avait été légué en propriété absolue. Le juge Cartwright, qui a rendu jugement en son nom et au nom du juge Fauteux, a décidé à la p. 75:
[TRADUCTION] L’argument de l’intimé se fonde sur la proposition qu’une personne à qui est conféré un droit sur un bien acquiert par là le droit à titre bénéficiaire de ce bien, mais, à mon avis, ce n’est pas justifié en droit et rien dans la Loi ne dit cela. Comme le souligne Hals-bury, 2e édition, vol. 25, page 515:
La constitution d’un droit sur un bien ne rend pas le donataire propriétaire, quoique l’exercice de ce droit puisse avoir ce résultat; et il est souvent difficile de dire si l’intention était de donner la propriété du bien ou simplement un droit sur celui-ci.
Ces deux affaires sont semblables à la présente. La compagnie mère en l’espèce est en position en tout temps de liquider sa filiale à part entière et d’obtenir le legs qui a été fait à celle-ci. Le Minis-
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tre soutient que ce pouvoir donne à la compagnie mère un «droit à titre bénéficiaire» sur le résidu de la succession de M. Jodrey. Il est exact que le terme «pouvoir» est un terme technique qui a été utilisé dans ce sens dans les deux affaires que j’ai mentionnées. Par contre ces arrêts sont utiles puisqu’ils définissent un droit bénéficiaire comme un droit reconnu par les cours d’equity. Le fait qu’il n’y a pas d’obstacle juridique à l’acquisition par quelqu’un d’un bien ne suffit pas. Il n’y a de droit à titre bénéficiaire que lorsque l’equity reconnaît ce droit.
L’arrêt Re Chodikoff[23] est l’affaire dont les faits sont les plus proches de la présente. Le défunt avait fait deux «dispositions» d’actions dans une compagnie privée qu’il contrôlait. Dans l’une, il a fait transféré à une autre compagnie privée, dont les actions ordinaires étaient détenues en fiducie pour sa femme et ses enfants, 500 actions de trésorerie pour un prix moindre que leur valeur. Dans l’autre, il a simplement transféré un certain nombre d’actions ordinaires d’une compagnie privée à une autre. Le Ministre a cherché à appliquer le taux d’imposition auquel étaient assujettis les «étrangers» au motif que les compagnies étaient des «étrangères». Le contribuable a répliqué que seuls sa femme et ses enfants tireraient un avantage en dernier ressort des dispositions. Par conséquent, le taux d’imposition moindre devait s’appliquer. En première instance, le juge Fraser lui a donné raison. En appel, l’avocat de l’intimé a soutenu qu’il fallait soulever le «voile de la compagnie» et considérer l’opération en substance comme une opération par laquelle le défunt avait conféré un avantage à sa femme et à ses enfants. C’est là l’essentiel de l’argument que l’on fait valoir en l’espèce. Le passage suivant de l’opinion du juge Arnup en Cour d’appel est pertinent:
[TRADUCTION] … Il ne fait aucun doute que l’opération a eu pour effet d’augmenter l’actif de Bemar mais, à mon avis, la disposition en soi n’a pas conféré un «avantage» aux bénéficiaires de la fiducie. La question de savoir si, à long terme, ils tireront un avantage de cette disposition dépend de plusieurs facteurs pouvant survenir dans le futur, y compris la liquidation de Bemar,…
…
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La fiducie n’a acquis aucun droit de propriété, ni en droit ni en equity, du fait de la disposition. Ceci a eu pour seul effet que, dans des circonstances données, la valeur d’un bien qu’elle détenait déjà pouvait augmenter.
Si les cestuis que trustent n’ont pas tiré d’«avantage» de la disposition, qui en a profité? La seule réponse est qu’il s’agit de Bemar, c.-à-d. que cette compagnie a acquis un bien. Ce bien n’a pas été acquis par ses actionnaires ou par une catégorie d’entre eux, pas plus qu’un droit au bien n’a été acquis par un créancier de la compagnie, s’il y en avait.
A mon avis, le lien qui existe entre la disposition d’une part et les personnes dont on a dit qu’elles en ont tiré un avantage de l’autre est beaucoup trop ténu et, d’ailleurs, inexistant en droit. Une personne ne devient pas imposable en vertu de la Succession Duty Act, à cause d’une disposition, simplement parce qu’il s’avère plus tard qu’à la suite de toute une série d’événements, y compris la disposition, elle se trouve dans une meilleure situation que s’il n’y avait pas eu de disposition. Seules les personnes qui tirent un avantage de la disposition elle-même sont visées par les termes de la Loi. (aux pp. 330 et 331)
L’importance de l’arrêt Chodikoff vient de ce que la Cour d’appel de l’Ontario a refusé d’accueillir l’argument même que l’on fait valoir en l’espèce. Selon toute probabilité, l’épouse et les enfants auraient tiré un avantage en dernier ressort des opérations; en droit, les compagnies, et non la famille, étaient les bénéficiaires; la Cour a refusé de soulever le «voile de la compagnie».
Je renvoie brièvement à la jurisprudence américaine pour souligner l’uniformité de la définition juridique de l’expression «droit à titre bénéficiaire». Une affaire souvent citée est People v. McCormick[24]. Il en ressort clairement que l’expression résume en termes succincts les différents droits reconnus par les tribunaux d’equity. Dans l’arrêt Montana Catholic Missions v. Missoula County[25], la Cour suprême des États-Unis a inclus expressément dans sa définition la possibilité de poursuivre en justice la sanction des droits.
[TRADUCTION] Les expressions, usufruit, propriété bénéficiaire ou droit bénéficiaire en matière de biens se retrouvent fréquemment en droit, et, dans ce contexte, elles ont le sens du droit à la jouissance de ce bien qui
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existe lorsque le titre juridique appartient à une personne et le droit d’usufruit à une autre; lorsque ce droit est juridiquement reconnu, il peut être sanctionné par les tribunaux, à la demande de ce propriétaire ou de quelqu’un en son nom. (aux pp. 127 et 128)
Les Lois concernant les fiducies de huit provinces utilisent l’expression «droit à titre bénéficiaire» au sens d’un bénéficiaire ou héritier dont le droit serait reconnu et sanctionné par les tribunaux, quelqu’un qui, par définition, a un recours si, par exemple, les exécuteurs et fiduciaires de la succession ne s’acquittent pas de leurs obligations. Voir la Trustee Act, R.S.N.S. 1967, chap. 317, art. 40.
Le sens de l’expression «droit à titre bénéficiaire» est intimement lié au sens du terme «bénéficiaire»—du moins dans les affaires concernant les droits successoraux. Selon la jurisprudence, l’expression exige que celui qui a un «droit à titre bénéficiaire» puisse avoir recours aux tribunaux pour faire protéger son droit sur le bien.
Le nœud du problème dans ce pourvoi est que le rédacteur de la Loi a utilisé une expression bien connue des tribunaux, à vrai dire un terme technique. Il se rendait compte des complications pouvant survenir si une compagnie qui n’a pas son siège social dans la province était interposée entre le fiduciaire et le bénéficiaire y résidant. D’où le par. 2(5). Le rédacteur a prévu que les tribunaux ne pourraient peut-être pas conclure qu’un actionnaire de la compagnie légataire a un «droit à titre bénéficiaire». Le rédacteur, cependant, a omis de prévoir l’interposition d’un deuxième actionnaire ne résidant pas dans la province.
L’avocat du ministre des Finances fait valoir que [TRADUCTION] «l’expression «droit à titre bénéficiaire» a une large connotation, dont le sens habituel ou ordinaire comprend l’opération en cause». En l’absence de précédents et dans un autre contexte que celui des successions et des droits successoraux, un tribunal pourrait tendre à accueillir cet argument et interpréter l’expression «droit à titre bénéficiaire» selon ce qu’on pourrait considérer être son sens courant. A la lumière de la jurisprudence uniforme au contraire, il m’est impossible d’accueillir cet argument.
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En l’espèce, J.B.H. Investments Ltd., la compagnie mère, n’a pas l’intérêt ou la capacité pour «poursuivre en justice le recouvrement» des biens de la succession. J.G.C. Investments Ltd., la filiale, est propriétaire bénéficiaire du résidu et elle seule peut poursuivre les fiduciaires de la succession pour obtenir le titre juridique des biens formant le résidu. J.B.H. Investments Ltd. a peut-être le pouvoir, par le biais de son contrôle sur les actions, de forcer J.G.C. Investments Ltd. à prendre des mesures contre les fiduciaires, mais elle n’a pas de droit indépendant et ne peut faire valoir de droit à titre bénéficiaire. Elle n’a pas le droit d’exiger soit des exécuteurs soit de la filiale qu’on lui remette le legs ou qu’on l’utilise à son profit.
En première instance, le juge Hart, dans les motifs de jugement de l’affaire MacKeen adoptés en l’espèce, a exprimé l’opinion suivante:
[TRADUCTION] A mon avis, quand la législature de la Nouvelle-Écosse emploie l’expression «Lorsqu’une compagnie … acquiert un droit à titre bénéficiaire sur un bien», elle l’emploie dans son sens large afin de viser le cas où la compagnie se trouve dans une position qui lui permet d’exercer en dernier ressort les droits de propriété sur un bien du défunt. Il serait superflu d’employer à cette fin des termes additionnels comme «directement ou indirectement» ou «est contrôlé par». L’expression «acquiert un droit à titre bénéficiaire» est suffisamment large pour viser les situations où le bien est enregistré à un autre nom ou est détenu en fiducie ou placé de façon à ce que la compagnie puisse légalement recouvrer le bien à son profit.
Le juge Hart a renvoyé à l’arrêt Montreal Trust Company c. Le ministre du Revenu national (la succession Torrance)[26], où le juge Rand, en obiter, a commenté l’arrêt Miller’s Agreement, précité, à la p. 149:
[TRADUCTION] Le critère était le suivant: on devait «établir qu’il [l’héritier] a le droit de poursuivre en justice le recouvrement de ce bien». Si le terme «recouvrement» s’étend à l’utilisation d’argent au profit de quelqu’un, et «poursuivre en justice» à un recours subsidiaire en dernier ressort comme moyen efficace de paiement, je suis disposé à accepter ce critère.
Les remarques du juge Rand ont été faites dans le contexte des faits particuliers de l’affaire de la
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succession Torrance et, à mon avis, ne facilitent pas la compréhension de l’expression «droit à titre bénéficiaire».
Le juge Hart a cité de larges extraits de l’arrêt Rodwell Securities Ltd. v. Inland Revenue Commissioners[27], qui, selon moi, a rejeté sans réserve l’argument voulant que l’expression «propriété bénéficiaire» n’est pas un terme technique; on doit l’interpréter libéralement de façon à comprendre toute personne qui a un contrôle complet sur l’usage du bien. Dans Rodwell, le juge Pennycuick a noté à bon droit que l’article à l’étude ne contenait pas les termes «directement ou indirectement». A cet égard, on peut faire un parallèle avec ce pourvoi. Le juge Pennycuick, dans un passage pertinent au présent examen, a dit:
[TRADUCTION] Les autres arguments de l’avocat, d’une façon ou d’une autre, reviennent à dire que l’expression «propriétaire bénéficiaire» exige une interprétation large et libérale et qu’on doit lui donner cette interprétation. Tout ce que je peux répondre, c’est qu’à mon avis, cette expression doit être interprétée conformément à son sens juridique. Je ne pense pas que quelque chose dans le contexte de cet article exige une interprétation différente. (à la p. 261)
Le juge Hart a interprété l’expression «propriétaire bénéficiaire» dans le sens de [TRADUCTION] «propriétaire véritable ou réel du bien … celui qui peut en dernier ressort exercer les droits de propriété sur le bien». Il ne cite aucune jurisprudence à l’appui de cette interprétation et son fondement juridique n’est pas clair.
Le juge en chef MacKeigan s’est dit d’accord avec le juge Hart et a insisté sur sa conclusion que la compagnie mère a un droit à titre bénéficiaire sur la succession acquise par sa filiale, par l’effet combiné de l’al. lae) et du par. 2(5). Il a dit:
[TRADUCTION] Je m’explique. En vertu du par. 2(5), chaque compagnie mère de MacKeen est, à titre de seule actionnaire bénéficiaire de sa filiale, sans aucun doute réputée héritière des biens légués à cette filiale. Un «héritier» est défini à l’al. lae) comme une personne qui «acquiert un droit à titre bénéficiaire» sur un bien du défunt à son décès. La compagnie mère, étant réputée héritière de par le par. 2(5), doit donc être réputée avoir
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un droit à titre bénéficiaire sur le bien en cause en vertu de l’al. lae).
Si Ton revient au par. 2(5) et si on l’applique de nouveau, la compagnie mère est une compagnie qui n’a pas son siège social dans la province. Elle est «héritière» par l’intermédiaire de sa filiale. Vu l’effet combiné du par. 2(5) et de l’al. lae, comme je l’ai déjà expliqué, elle doit être réputée propriétaire bénéficiaire du bien. Par conséquent, son actionnaire «est réputé héritier» du bien.
Avec égards, rien dans cette loi ou dans quelque règle d’interprétation des lois que je connaisse n’autorise à remonter la chaîne des compagnies par l’application répétée du par. 2(5). C’est là la faille même de la Loi que le testateur a exploitée.
Si les cours d’instance inférieure ont raison et que l’expression «droit à titre bénéficiaire» se rattache à la personne qui a le droit d’utiliser et de jouir en dernier ressort du bien, il nous faut conclure, selon ce raisonnement, que les petits-enfants ont au départ un «droit à titre bénéficiaire» en vertu de l’al. lae). Ce n’est pas ce qu’a soutenu le Ministre. Il s’est fondé sur le par. 2(5) pour assujettir les petits-enfants. Les petits-enfants, et non la compagnie mère J.B.H. Investments, ont le droit et le pouvoir en dernier ressort d’obtenir légalement la pleine jouissance du bien. Il en résulte un dilemme difficile à résoudre. Le problème que pose le raisonnement adopté par les cours d’instance inférieure est que pareille interprétation de l’expression «droit à titre bénéficiaire» mène inévitablement à la conclusion que le par. 2(5) est superflu et n’ajoute rien à l’al. lae).
En somme, le sens juridique de l’expression «droit à titre bénéficiaire» est fermement appuyé par la jurisprudence existante. Quelque négative que soit l’opinion que l’on puisse avoir de la conduite du testateur en l’espèce, je ne pense pas qu’il soit loisible à la Cour de rejeter le droit des fiducies et de donner à l’expression «droit à titre bénéficiaire» un sens large et non technique fondé sur (i) l’intention présumée du législateur de viser les opérations de cette nature ou (ii) l’argument voulant qu’une personne ait un droit à titre bénéficiaire sur un bien si, à un moment donné dans le futur, elle peut exercer des pouvoirs (ne découlant pas du testament) lui permettant d’acquérir en
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définitive un droit au bien. En l’espèce, on ne demande pas à la Cour d’introduire dans la Loi des mots propres à dissiper une ambiguïté, mais bien d’introduire un nouvel article pour régler une situation qu’elle n’a pas visée. Y accéder reviendrait à changer les règles une fois la partie terminée.
IV
SOULEVER LE VOILE DE LA COMPAGNIE
Je crois, cependant, que la Cour peut à bon droit tenir compte non seulement des principes du droit des fiducies, mais également de ceux du droit des compagnies. Les principes du droit des compagnies sont utiles pour déterminer si l’on peut dire que J.B.H. Investments Ltd., en tant que propriétaire de toutes les actions émises de J.G.C. Investments Ltd., a un «droit à titre bénéficiaire» sur les biens de J.G.C. Investments Ltd.
Le juge Hart a décidé que l’expression «droit à titre bénéficiaire» était utilisée dans son sens le plus large, c’est-à-dire, celui de faire valoir en dernier ressort les droits de propriété. En Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, le juge en chef MacKeigan a examiné le jugement du juge Pennycuick dans Rodwell Securities Ltd. v. Inland Revenue Commissioners, précité. La question à trancher était celle de savoir si la filiale à part entière (Securities) d’une filiale à part entière (Group) d’une compagnie mère (London) était la propriété bénéficiaire de la compagnie mère London.
Le juge Pennycuick a dit:
[TRADUCTION] Selon le sens juridique des mots, une compagnie n’est pas propriétaire bénéficiaire de l’actif de sa propre filiale. (à la p. 260)
Le juge en chef MacKeigan a considéré cet énoncé comme a) inapplicable et b) pas tout à fait exact. Un contexte législatif et une organisation des compagnies complètement différents étaient en cause dans cette affaire. Il a dit:
[TRADUCTION] Il me paraît évident qu’une compagnie peut, selon sa structure et son statut, devenir propriétaire bénéficiaire de l’actif de sa filiale, et par conséquent avoir un droit à titre bénéficiaire sur ceux-ci au sens où cette expression est employée dans la Succession Duty Act.
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Avec égards, le juge Pennycuick n’a pas simplement décidé que London n’était pas propriétaire bénéficiaire de Securities. Il n’a pas non plus simplement décidé qu’elle n’était pas propriétaire bénéficiaire de la compagnie Group. Sa conclusion n’est pas liée à l’interprétation d’une définition législative de l’expression «propriétaire bénéficiaire». Il a plutôt fondé sa décision sur le principe général qu’une compagnie n’est pas propriétaire bénéficiaire de l’actif de sa propre filiale:
[TRADUCTION] … la compagnie mère peut fort bien avoir un contrôle total de ses filiales, mais elle n’est aucunement propriétaire de leur actif. Par conséquent, en l’espèce, bien qu’il soit évident que la compagnie London contrôle la compagnie Securities, elle n’est aucunement propriétaire bénéficiaire de l’actif de la compagnie Group, y compris des actions de la compagnie Securities. (à la p. 260)
A son avis, le texte de loi ne contenait aucune directive voulant que l’on donne à l’expression «propriétaire bénéficiaire» une interprétation différente de son sens juridique.
L’autre arrêt auquel se sont reportées les cours d’instance inférieure est Littlewoods Mail Order Stores, Ltd. v. McGregor[28]. Il illustre une approche différente. Dans cette affaire, une compagnie mère, Littlewoods, et sa filiale, Fork, ont mis au point un plan complexe en vertu duquel Fork a acquis un terrain que Littlewoods payait sous forme de loyer. Le maître des rôles lord Denning a refusé de considérer le loyer versé comme une dépense d’exploitation de Littlewoods. Il a décidé à la p. 860:
[TRADUCTION] Je suis d’avis que nous devons regarder la compagnie Fork et voir ce qu’elle est en réalité—la filiale à part entière du contribuable. Elle est la création, la marionnette du contribuable dans les faits et devrait être considérée comme telle en droit. Fondamentalement, le contribuable, par l’intermédiaire de sa filiale à part entière, a acquis un bien en immobilisation.
Dans l’affaire Littlewoods, le problème soumis à la Cour portait sur la nature du paiement, plutôt que sur les droits de propriété d’une compagnie mère sur les biens d’une filiale. Le maître des rôles Denning a soulevé le voile de la compagnie afin de déterminer la nature des paiements de loyer effec-
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tués par la compagnie mère. Il est clair, cependant, que puisque la cour a considéré qu’une partie des loyers avait été payée pour acquérir un bien en immobilisation, il faut en déduire aussi que la compagnie mère deviendrait propriétaire du terrain de la filiale à l’expiration du bail.
Malgré cette opinion du maître des rôles lord Denning, le principe de droit général et incontestable est qu’un actionnaire n’a pas de droit de propriété sur les biens d’une compagnie dont il détient des actions, sauf en cas de liquidation.
L’arrêt Bank voor Handel en Scheepvaart v. Slatford and another[29] contient une étude utile de cette question. Renvoyant à l’arrêt Salomon v. Salomon[30], et à d’autres décisions, le juge Devlin a confirmé le principe voulant que les biens d’une compagnie ne sont pas les biens de ses actionnaires. Voici les décisions sur lesquelles il s’est fondé: Macaura v. Northern Assurance Co.[31]; E.B.M. Co. Ltd. v. Dominion Bank[32]; Daimler Co. Ltd. v. Continental Tyre and Rubber Co. (Great Britain) Ltd.[33] Il a ensuite reconnu comme exact un énoncé de la Cour permanente de justice internationale dans l’arrêt Standard Oil Co.’s Claim[34], à la p. 162:
[TRADUCTION] … les arrêts de principe des plus hauts tribunaux de la plupart des pays statuent toujours que ni les actionnaires ni les créanciers n’ont de droit sur les biens de la compagnie si ce n’est celui de recevoir, pendant son existence, une part des profits, dont la distribution a été décidée par une majorité des actionnaires, et, lors de la liquidation, une part proportionnelle des biens.
Le juge Devlin n’avait aucun doute que les tribunaux peuvent déroger aux principes du droit des compagnies lorsqu’ils examinent les liens existant entre des compagnies. Il faudrait cependant, selon lui, qu’un texte législatif autorise un tribunal à agir ainsi:
[TRADUCTION] Il ne fait aucun doute que le législateur peut créer un outil capable de percer la coquille de la
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compagnie, et peut, à son gré, exiger que les tribunaux ne tiennent pas compte de tous les concepts et principes qui sont à base du droit des compagnies, mais l’expression «appartenant à ou détenu ou géré au nom de» est une arme insuffisante pour atteindre cet objectif. (à la p. 799)
Les appelants renvoient à l’arrêt Macaura, précité. L’appelant était propriétaire d’un vaste terrain sur lequel il détenait cinq polices d’assurance contre l’incendie du bois d’œuvre et produits du bois. Il a nommé comme bénéficiaire une compagnie dont il détenait virtuellement toutes les actions. Il était actionnaire et créancier de la compagnie lorsqu’il y eut un incendie. La Chambre des lords a décidé qu’il n’avait pas d’intérêt assurable, à titre d’actionnaire, sur les biens de la compagnie. Lord Buckmaster a dit:
[TRADUCTION] Nul actionnaire n’a de droit sur un bien appartenant à la compagnie, car il n’a aucun droit à titre de propriétaire ou de bénéficiaire à cet égard. II a droit à une part des profits tant que la compagnie fait affaire et à une part lors de la répartition du solde des biens lorsque la compagnie est liquidée. (à la p. 626)
Lord Sumner a dit, tout aussi clairement:
[TRADUCTION] Il n’avait aucun «lien à titre de propriétaire ou de bénéficiaire avec» le bois d’œvre. Il n’avait pas «d’intérêt dans» l’objet assuré. Il avait un lien avec la compagnie, non avec les biens de celle-ci … (à la p. 630)
Lord Wrenbury s’est dit d’accord:
[TRADUCTION] … l’actionnaire, même s’il détient toutes les actions, n’est pas la compagnie; ni lui ni aucun créancier de la compagnie n’a de droit à titre de propriétaire ou de bénéficiaire sur les biens de la compagnie. (à la p. 633)
Dans l’arrêt de cette Cour Army and Navy Department Store Ltd. c. M.R.N.[35], le juge Cartwright a dit, dans des motifs concordants, que [TRADUCTION] «avec égards pour ceux qui sont d’avis contraire, je ne crois pas que les actionnaires, seuls ou collectivement, aient de droit de propriété, direct ou indirect, sur les biens de la compagnie dont ils détiennent des actions.» (à la p. 511)
[Page 822]
Fraser et Stewart, dans leur ouvrage Company Law of Canada (5e éd.) (1962) soulignent (à la p. 20) que la distinction établie entre une compagnie et ses actionnaires s’applique également entre une compagnie mère et sa filiale et qu’une compagnie et sa filiale à part entière sont des entités juridiques distinctes. Ils renvoient à ce sujet à l’arrêt Ebbw Vale Urban District Council v. South Wales Traffic Area Licensing Authority[36], à la p. 370 où le lord juge Cohen a dit:
[TRADUCTION] Selon les principes juridiques ordinaires, une compagnie mère et sa filiale, même une filiale à cent pour cent, constituent des entités juridiques distinctes et, en l’absence d’un contrat de mandat entre elles, on ne peut dire de l’une qu’elle est mandataire de l’autre.
Le professeur Gower dans son ouvrage Modern Company Law (4e éd.) aux pages 123 et suiv. fait mention de cas exceptionnels où les tribunaux se sont sentis autorisés à écarter la personnalité juridique de la compagnie et à considérer que les actionnaires individuels avaient droit aux biens de celle-ci. Ces cas sont groupés sous des rubriques tels le mandat, la fiducie (mais non dans le sens où une compagnie détient ses biens en fiducie pour ses membres à ce titre), la fraude ou la conduite malhonnête, l’intérêt public, les affaires quasi‑criminelles et les entreprises groupées. On n’a pas apporté de preuves d’un mandat ni fait valoir devant cette Cour l’existence d’un mandat. L’opération en cause ne peut facilement être classée dans l’une des autres catégories mentionnées. Voir aussi Palmer’s Company Law (22e éd.) vol. 1, par. 18-22 et 18-23.
Règle générale, en l’absence de fraude ou de conduite malhonnête, les tribunaux ne peuvent écarter l’existence juridique distincte d’une compagnie: voir Pioneer Laundry and Dry Cleaners Ltd. v. Minister of National Revenue[37]. Il existe plusieurs articles utiles sur la possibilité de soulever le voile de la compagnie en droit fiscal canadien: “Lifting the Corporate Veil in Canadian Income Tax Law” par Tamaki (1961-62) 8 McGill L.J. 159; “Taxation and the Corporate Veil” par Mit-
[Page 823]
chell (1966) 14 Can. Tax J. 534; “Lifting the Corporate Veil: Legislative and Judicial Incursions for Income Tax Purposes” par Drache (1977) 29 Tax Conference Report 673; “The Corporate Veil in Tax Law” par Durnford (1979) 27 Can. Tax J. 282.
Le Ministre a insisté sur le lieu qui est avantagé et qui contrôle en dernier ressort plutôt que sur le lieu de réception initiale ou intermédiaire. On demande à la Cour d’écarter l’organisation des compagnies, sans spécifier sur quel pouvoir elle peut s’appuyer pour le faire. L’essence de l’argument et de l’arrêt de la Division d’appel est qu’un actionnaire peut être propriétaire bénéficiaire de l’actif de la compagnie dans laquelle il détient des actions (ou du droit de l’acquérir), et donc d’y avoir un droit à titre bénéficiaire. Avec égards, le contrôle exercé par un actionnaire n’emporte pas la propriété bénéficiaire de l’actif de la compagnie ni de droit à titre bénéficiaire sur celui-ci.
On tend généralement à croire qu’une compagnie mère est propriétaire de l’actif de sa filiale à part entière, mais ce n’est pas vrai en droit. Personne ne prétendrait que quelqu’un qui est propriétaire de 100 actions du Canadien Pacifique est propriétaire de son actif ou a un droit à titre bénéficiaire sur celui-ci. On ne peut établir de distinctions de principe entre la propriété de 100 actions d’une compagnie importante et la propriété de toutes les actions émises d’une petite compagnie. Dans un cas comme dans l’autre, l’actionnaire n’est propriétaire d’aucun autre bien que des actions. Il importe peu qu’un ou plusieurs actionnaires aient un contrôle majoritaire leur permettant d’acquérir l’actif ou une partie de celui-ci à la liquidation ou à l’occasion d’une répartition des biens autre qu’une liquidation. Si les actionnaires avaient un droit à titre bénéficiaire sur les biens d’une compagnie dont ils détiennent des actions, le par. 2(5) n’aurait pas été nécessaire.
Il est fondamental qu’une compagnie en tant que corps constitué soit du point de vue juridique une entité distincte des actionnaires qui la compose. Le principe énoncé dans l’arrêt Salomon v. Salomon & Co. Ltd., précité, fait toujours partie intégrante de notre droit et les tribunaux l’ont en général appliqué strictement.
[Page 824]
Même en vertu des principes du droit des compagnies, il appert qu’on ne peut donc pas considérer J.B.H. Investments Ltd. comme propriétaire bénéficiaire de l’actif de J.G.C. Investments Ltd. Avec égards, je suis d’avis que les cours d’instance inférieure ont manifestement commis une erreur de droit en interprétant mal le sens de droit à titre bénéficiaire et en confondant les concepts de contrôle et de propriété. Ainsi, la Cour d’appel a pu dire qu’un contrôle suffisant pour permettre à J.G.H. Investments Ltd. d’exiger le transfert des biens de la succession, satisfaisait au critère du droit à titre bénéficiaire énoncé au par. 2(5).
V
LA SIMULATION
Je me penche enfin sur la question de la «simulation». Quoique le Ministre n’ait pas prétendu qu’il y ait eu simulation, cette question doit tout de même être examinée. Je crois qu’il ne faut surtout pas oublier que la loi en cause en l’espèce ne contient aucune disposition qui y introduit la notion de simulation, de fraude, d’évasion fiscale illégale ou d’opération illégale en ce qui concerne les droits successoraux. Voir par opposition la Partie XVI de la Loi de l’impôt sur le revenu, 1970-71-72 (Can.), chap. 63, qui porte le titre d’«Évasion fiscale».
Il est clair également que l’organisation des appelants ne cadre pas avec le critère traditionnel d’une opération «simulée» aux fins de créer des droits et des obligations apparents qui ne correspondent pas aux liens juridiques qui caractérisent en fait l’organisation. Il n’y a pas de subterfuge en l’espèce. On avait l’intention de donner suite aux documents. Ils n’ont pas été utilisés pour dissimuler une opération différente. Ils n’ont pas créé entre les parties de droits et d’obligations différents de ceux que les parties avaient l’intention de créer. On n’a pas cherché à camoufler les droits ou obligations de J.B.H. Investments Ltd. ni de J.G.C. Investments Ltd.
En Nouvelle-Écosse, le juge Hart, dans ses motifs de jugement, a dit:
[TRADUCTION] Je ne crois pas que la Cour ait le droit d’écarter des opérations faites de bonne foi qui visent
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manifestement à éviter le paiement de l’impôt au motif qu’elles sont artificielles et qu’elles cherchent à minimiser ou éviter le paiement de l’impôt. La jurisprudence qui porte sur les dispositions de la Partie 16 … ne s’applique pas ici puisque ces dispositions ne se retrouvent pas dans la Succession Duty Act de la Nouvelle-Écosse. Il faut rejeter l’argument de Sa Majesté que, comme le plan de répartition adopté par le colonel MacKeen a manifestement pour but d’éviter l’application de la Loi, la Cour devrait interpréter la Loi de façon à assujettir le contribuable à l’impôt.
Je ne trouve, dans le dossier, aucune indication que l’on ait interjeté appel de la conclusion du juge Hart sur cette question.
On a cité l’affaire McCreath (Ministre du Revenu de l’Ontario c. McCreath[38]) en plaidoirie et devant les tribunaux d’instance inférieure. La question qui s’y posait était celle de savoir si la constituante s’était réservée un droit sur les biens faisant l’objet de la donation de façon à les exclure d’une exemption prévue à The Succession Duty Act de l’Ontario. C’était là une affaire différente. La donatrice avait cherché à donner l’impression par les termes de la donation qu’elle avait disposé totalement et irrévocablement des biens faisant l’objet de la donation. La Cour a décidé qu’elle s’était réservée un contrôle suffisant pour empêcher de considérer l’opération comme une donation.
LA CONCLUSION
Si j’applique le texte de loi aux faits, je ne peux que conclure que l’opération en l’espèce n’est pas visée par les termes du par. 2(5) de façon à ce que les douze petits-enfants soient réputés héritiers des biens du défunt. Selon le sens qu’ont les termes du par. 2(5) en droit, J.B.H. Investments Ltd. est réputée héritière et n’est pas assujettie à l’impôt prélevé par le par. 8(2) parce qu’elle n’a pas son siège social en Nouvelle-Écosse. Les petits-enfants ne sont pas héritiers et, par conséquent, ne sont pas assujettis au par. 8(2) de la Loi. Il faudrait s’aventurer au-delà des termes de la Loi pour conclure différemment.
[Page 826]
Cette conclusion est d’ailleurs conforme à la façon d’aborder la question adoptée par lord Simon of Glaisdale dans l’arrêt Ramson v. Higgs[39], à la p. 94:
[TRADUCTION] Mais pour les tribunaux, chercher à étendre la loi pour faire face à ces cas difficiles … non seulement, c’est faire du mauvais droit mais c’est aussi courir le risque de miner la règle de droit elle-même. Quelque déplaisant qu’il puisse paraître que certains contribuables échappent à ce qui semblerait être leur part du fardeau … il serait beaucoup plus désagréable de substituer la règle de l’arbitraire à la règle de droit.
La conclusion à laquelle je suis arrivé quant à la première question rend superflu d’étudier la seconde, savoir, si le par. 2(5) excède la compétence de la législature de la Nouvelle-Écosse.
Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse et la cotisation des douze petits-enfants de feu Roy A. Jodrey en vertu de l’Act Respecting Succession Duties de la Nouvelle-Écosse. Les appelants ont droit aux dépens dans toutes les cours.
Pourvoi rejeté avec dépens, les juges RITCHIE, DICKSON et MCINTYRE étant dissidents.
Procureurs des demandeurs, appelants: R.N. Pugsley et J.T. MacQuarrie, Halifax.
Procureurs du défendeur, intimé: T.B. Smith, Ottawa.
[1] 2. (5) Lorsqu’une compagnie qui n’a pas son siège social dans la province, sauf une compagnie sans capital-actions, acquiert un bien par testament ou un droit à titre bénéficiaire sur un bien au décès du défunt,
a) la compagnie n’est pas réputée héritière du bien sauf dans la mesure où la valeur des actions détenues par les actionnaires de la compagnie n’augmente pas du fait que la compagnie acquiert le bien ou le droit à titre bénéficiaire; et
b) chaque actionnaire de la compagnie est réputé héritier du bien du défunt en proportion de l’augmentation de la valeur des actions de la compagnie qu’il détient, du fait de l’acquisition par cette dernière du bien ou du droit à titre bénéficiaire.
…
[2] [1978] C.T.C. 554.
[3] (1977), 36 A.P.R. 572.
[4] [1947] 1 Ch. 615.
[5] [1958] R.C.S. 146.
[6] [1971] 1 O.R. 321.
[7] [1968] 1 All E.R. 257.
[8] [1969] 3 All E.R. 855.
[9] [1976] 1 W.L.R. 852.
[10] [1977] 1 R.C.S. 2.
[11] [1925] A.C. 619.
[12] [1979] 2 W.W.R. 683, [1980] 2 R.C.S. 466.
[13] [1892] A.C. 150.
[14] [1902] 1 K.B. 388.
[15] [1936] A.C. 1.
[16] [1908] A.C. 493.
[17] [1976] 3 All E.R. 375.
[18] [1947] Ch. D. 615.
[19] [1952] 2 All E.R. 483.
[20] [1949] R.C.S. 453.
[21] [1949] 4 D.L.R. 705.
[22] [1953] 2 R.C.S. 58.
[23] [1971] 1 O.R. 321.
[24] (1904), 208 111. R. 437.
[25] (1905), 200 U.S. 118.
[26] [1958] R.C.S. 146.
[27] [1968] 1 All E.R. 257.
[28] [1969] 3 All E.R. 855.
[29] [1951] 2 All E.R. 779.
[30] [1897] A.C. 22.
[31] [1925] A.C. 619.
[32] [1937] 3 All E.R. 555.
[33] [1916] 2 A.C. 307.
[34] [1927] B.Y. Int’l L. 156.
[35] [1953] 2 R.C.S. 496.
[36] [1951] 2 K.B. 366 (C.A.).
[37] [1938-39] C.T.C. 411 (P.C.).
[38] [1977] 1 R.C.S. 2.
[39] (1974), 50 T.C. 1.