R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075
Ronald Edward Sparrow Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
La Fraternité des Indiens du Canada / Assemblée
des premières nations, la B.C. Wildlife Federation,
la Steelhead Society of British Columbia, la Pacific
Fishermen's Defence Alliance, Northern Trollers'
Association, la Pacific Gillnetters' Association,
la Gulf Trollers' Association, la Pacific Trollers'
Association, la Prince Rupert Fishing Vessel Owners'
Association, la Fishing Vessel Owners' Association
of British Columbia, la Pacific Coast Fishing Vessel
Owners' Guild, la Prince Rupert Fishermen's Cooperative
Association, la Co‑op Fishermen's Guild, Deep
Sea Trawlers' Association of B.C., le Fisheries
Council of British Columbia, le Syndicat
des pêcheurs et travailleurs assimilés,
le procureur général de l'Ontario,
le procureur général du Québec,
le procureur général de la Colombie‑Britannique,
le procureur général de la Saskatchewan,
le procureur général de l'Alberta
et le procureur général de Terre‑Neuve Intervenants
répertorié: r. c. sparrow
No du greffe: 20311.
1988: 3 novembre; 1990: 31 mai.
Présents: Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre*, Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé et Sopinka.
en appel de la cour d'appel de la colombie-britannique
Droit constitutionnel -- Droits ancestraux -- Droits de pêche -- Indien reconnu coupable d'avoir pêché avec un filet plus long que celui autorisé par le permis de la bande -- La restriction quant à la longueur du filet est‑elle incompatible avec l'art. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982? -- Loi constitutionnelle de 1982, art. 35(1), 52(1) -- Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F‑14, art. 34 -- Règlement de pêche général de la Colombie‑Britannique, DORS/84‑248, art. 4, 12, 27(1), (4).
Indiens -- Droits ancestraux -- Droits de pêche -- Interprétation -- Indien reconnu coupable d'avoir pêché avec un filet plus long que celui autorisé par le permis de la bande -- La restriction quant à la longueur du filet est‑elle incompatible avec l'art. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?
En 1984, l'appelant a été accusé, en vertu de la Loi sur les pêcheries, d'avoir pêché avec un filet dérivant plus long que celui autorisé par le permis de pêche de subsistance de la bande indienne à laquelle il appartenait. Il a reconnu les faits à l'origine de l'infraction, mais il a soutenu en défense qu'il exerçait un droit ancestral existant de pêcher et que la restriction imposée dans le permis de la bande quant à la longueur du filet était invalide pour cause d'incompatibilité avec le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
L'appelant a été déclaré coupable. Le juge de première instance a conclu qu'on ne pouvait revendiquer un droit ancestral à moins que celui‑ci ne soit étayé par un traité particulier, et que le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 ne s'appliquait donc pas. Un appel devant la Cour de comté a été rejeté pour des motifs semblables. La Cour d'appel a statué que les conclusions de fait du juge de première instance étaient insuffisantes pour justifier un acquittement. Son arrêt fait l'objet d'un pourvoi et d'un pourvoi incident. La question constitutionnelle soumise à la Cour est de savoir si la restriction imposée dans le permis de pêche de la bande quant à la longueur des filets est incompatible avec le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
Arrêt: Le pourvoi et le pourvoi incident sont rejetés. La question constitutionnelle doit être renvoyée en première instance afin de recevoir une réponse conformément à l'analyse exposée dans les présents motifs.
Le paragraphe 35(1) s'applique aux droits qui existaient au moment de l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982; il ne vient pas rétablir des droits éteints. Un droit ancestral existant ne saurait être interprété de façon à englober la manière précise dont il était réglementé avant 1982. L'expression "droits ancestraux existants" doit recevoir une interprétation souple de manière à permettre à ces droits d'évoluer avec le temps.
Le ministère public ne s'est pas acquitté de son fardeau de prouver l'extinction du droit. Un droit ancestral n'est pas éteint du seul fait que son exercice fasse l'objet d'une réglementation très minutieuse en vertu de la Loi sur les pêcheries. Ni la Loi sur les pêcheries ni ses règlements d'application détaillés ne font état d'une intention claire et expresse de mettre fin au droit ancestral des Indiens de pêcher. Ces permis de pêche constituaient simplement une façon de contrôler les pêcheries et non de définir des droits sous‑jacents. La politique historique de Sa Majesté ne permet pas d'éteindre le droit ancestral existant en l'absence d'intention claire en ce sens ni ne permet en soi de délimiter ce droit. La nature de règlements gouvernementaux ne saurait être déterminante quant au contenu et à la portée d'un droit ancestral existant. La politique gouvernementale peut toutefois réglementer l'exercice de ce droit, mais cette réglementation doit être conforme au par. 35(1).
Le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 procure, tout au moins, un fondement constitutionnel solide à partir duquel des négociations ultérieures peuvent être entreprises et accorde aux autochtones une protection constitutionnelle contre la compétence législative provinciale. Son importance va toutefois au‑delà de ces effets fondamentaux. La méthode à adopter pour l'interpréter est dérivée des principes généraux d'interprétation constitutionnelle, des principes relatifs aux droits ancestraux et des objets sous‑jacents à la disposition constitutionnelle elle‑même.
Il y a lieu d'interpréter le par. 35(1) en fonction de l'objet qu'il vise. Une interprétation généreuse et libérale s'impose étant donné que cette disposition vise à confirmer les droits ancestraux. La disposition n'est pas assujettie à l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés. Cependant, toute loi ou tout règlement portant atteinte aux droits ancestraux des autochtones ne sera pas automatiquement inopérant en vertu de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Un texte législatif qui touche l'exercice de droits ancestraux sera valide s'il satisfait au critère applicable pour justifier une atteinte à un droit reconnu et confirmé au sens du par. 35(1).
Le paragraphe 35(1) n'autorise pas explicitement les tribunaux à apprécier la légitimité d'une mesure législative gouvernementale qui restreint des droits ancestraux. L'expression "reconnaissance et confirmation" comporte cependant la responsabilité qu'a le gouvernement d'agir en qualité de fiduciaire à l'égard des peuples autochtones et implique ainsi une certaine restriction à l'exercice du pouvoir souverain. Les pouvoirs législatifs fédéraux subsistent, y compris le droit de légiférer relativement aux Indiens en vertu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, mais ces pouvoirs doivent être rapprochés du par. 35(1). Le pouvoir fédéral doit être concilié avec l'obligation fédérale et la meilleure façon d'y parvenir est d'exiger la justification de tout règlement gouvernemental qui porte atteinte à des droits ancestraux.
Le critère de la justification exige qu'un objectif législatif soit réalisé d'une manière qui préserve l'honneur de Sa Majesté et qui soit conforme aux rapports contemporains uniques, fondés sur l'histoire et les politiques, qui existent actuellement entre la Couronne et les peuples autochtones du Canada. La mesure dans laquelle une loi ou un règlement a un effet sur un droit ancestral existant doit être examinée soigneusement de manière à assurer la reconnaissance et la confirmation de ce droit. Le paragraphe 35(1) ne constitue pas une promesse d'immunité contre la réglementation gouvernementale dans la société contemporaine, mais il représente un engagement important de la part de la Couronne. En effet, le gouvernement se voit imposer l'obligation de justifier toute mesure législative qui a un effet préjudiciable sur un droit ancestral protégé par le par. 35(1).
La première question à poser est de savoir si la loi en question a pour effet de porter atteinte à un droit ancestral existant. L'analyse commence par un examen des caractéristiques ou des attributs du droit en question. Les droits de pêche ne sont pas des droits de propriété au sens traditionnel. Il s'agit de droits qui appartiennent à un groupe et qui sont en harmonie avec la culture et le mode de vie de ce groupe. Les tribunaux doivent prendre soin d'éviter d'appliquer les concepts traditionnels de propriété propres à la common law en tentant de saisir la nature "sui generis" des droits ancestraux. S'il est impossible de donner une définition simple des droits de pêche, il est crucial de se montrer ouvert au point de vue des autochtones eux‑mêmes quant à la nature des droits en cause.
Pour déterminer si les droits de pêche ont subi une atteinte constituant une violation à première vue du par. 35(1), on doit poser certaines questions. La restriction est‑elle déraisonnable? Le règlement est‑il indûment rigoureux? Le règlement refuse‑t‑il aux titulaires du droit le recours à leur moyen préféré de l'exercer? C'est au particulier ou au groupe qui conteste la mesure législative qu'il incombe de prouver qu'il y a eu violation à première vue.
En l'espèce, le règlement serait jugé constituer une atteinte à première vue si on concluait qu'il impose une restriction néfaste à l'exercice par les autochtones de leur droit de pêcher à des fins de subsistance. La question en litige n'exige pas simplement qu'on examine si la prise autorisée de poissons a été réduite au‑dessous de ce qui est requis pour subvenir aux besoins alimentaires et rituels raisonnables. Le critère nécessite plutôt qu'on se demande si, de par son objet ou son effet, la restriction imposée quant à la longueur des filets porte atteinte inutilement aux intérêts protégés par le droit de pêche.
Si on conclut à l'existence d'une atteinte à première vue, l'analyse porte ensuite sur la question de la justification. Ce critère comporte deux étapes. En premier lieu, il faut se demander s'il existe un objectif législatif régulier. À ce stade, la cour se demanderait si l'objectif visé par le Parlement en autorisant le ministère à adopter des règlements en matière de pêche est régulier. Serait également examiné l'objectif poursuivi par le ministère en adoptant le règlement en cause. La justification fondée sur "l'intérêt public" est si vague qu'elle ne fournit aucune ligne directrice utile et si large qu'elle est inutilisable comme critère applicable pour déterminer si une restriction imposée à des droits constitutionnels est justifiée. La justification de la conservation et de la gestion des ressources ne soulève cependant aucune controverse.
Si on conclut à l'existence d'un objectif législatif régulier, on passe au second volet de la question de la justification: l'honneur de Sa Majesté lorsqu'Elle transige avec les peuples autochtones. Les rapports spéciaux de fiduciaire et la responsabilité du gouvernement envers les autochtones doivent être le premier facteur à examiner en déterminant si la mesure législative ou l'action en cause est justifiable. Il doit y avoir un lien entre la question de la justification et l'établissement de priorités dans le domaine de la pêche. La reconnaissance et la confirmation des droits ancestraux, prévues dans la Constitution, peuvent donner lieu à des conflits avec les intérêts d'autrui étant donné la nature limitée de la ressource.
On a besoin de lignes directrices qui permettront de résoudre les problèmes de répartition de ressources qui surgissent dans le domaine des pêcheries. Dans l'établissement des priorités suite à la mise en {oe}uvre de mesures de conservation valides, il faut accorder la priorité absolue à la pêche par les Indiens à des fins de subsistance.
La norme de justification à respecter est susceptible d'imposer un lourd fardeau à Sa Majesté. Toutefois, la politique gouvernementale relativement à la pêche en Colombie‑Britannique commande déjà, et ce, indépendamment du par. 35(1), que, dans l'attribution du droit de prendre du poisson, le droit des Indiens de pêcher à des fins d'alimentation ait la priorité sur les intérêts d'autres groupes d'usagers. Le paragraphe 35(1) exige que Sa Majesté assure que Ses règlements respectent cette attribution de priorité et garantit que les plans de conservation et de gestion réservent aux peuples autochtones un traitement qui assure que leurs droits sont pris au sérieux.
Il y a, dans l'analyse de la justification, d'autres questions à aborder selon les circonstances de l'enquête. Il s'agit notamment des questions de savoir si, en tentant d'obtenir le résultat souhaité, on a porté le moins possible atteinte à des droits, si une juste indemnisation est prévue en cas d'expropriation et si le groupe d'autochtones en question a été consulté au sujet des mesures de conservation mises en {oe}uvre. Cette énumération n'est pas exhaustive.
Jurisprudence
Arrêts appliqués: Jack c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 294; Attorney‑General for Canada v. Attorney‑General for Ontario, [1898] A.C. 700; Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335; R. v. Taylor and Williams (1981), 34 O.R. (2d) 360; arrêts examinés: R. v. Denny (1990), 9 W.C.B. (2d) 438, appel de la Nouvelle‑Écosse, 5 mars 1990, inédit; R. v. Hare and Debassige (1985), 20 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.); R. v. Eninew, R. v. Bear (1984), 12 C.C.C. (3d) 365 (C.A. Sask.), conf. (1983), 7 C.C.C. (3d) 443 (B.R. Sask.); distinction d'avec l'arrêt: R. v. Derriksan (1976), 71 D.L.R. (3d) 159 (C.S.C.); arrêts mentionnés: Calder v. Attorney-General of British Columbia (1970), 74 W.W.R. 481 (C.A.C.-B.), conf. [1973] R.C.S. 313; Attorney‑General for Ontario v. Bear Island Foundation (1984), 49 O.R. (2d) 353 (H.C.); Re Steinhauer and The Queen (1985), 15 C.R.R. 175 (B.R. Alb.); Martin v. The Queen (1985), 17 C.R.R. 375 (B.R.N.-B.); R. v. Agawa (1988), 28 O.A.C. 201; St. Catherine's Milling and Lumber Co. v. The Queen (1888), 14 App. Cas. 46 (C.P.); Baker Lake (Hamlet) c. Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, [1980] 1 C.F. 518 (D.P.I.); R. v. Wesley, [1932] 2 W.W.R. 337; Prince and Myron v. The Queen, [1964] R.C.S. 81; R. c. Sutherland, [1980] 2 R.C.S. 451; Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387; Johnson v. M'Intosh (1823), 8 Wheaton 543 (S.C.É.‑U.); Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654; Pasco v. Canadian National Railway Co., [1986] 1 C.N.L.R. 35 (C.S.C.‑B.); Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; Kruger c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 104.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 33.
Conditions de l'adhésion de la Colombie‑Britannique, L.R.C. (1985), app. II, no 10, art. 13.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(12), (24), 109.
Loi constitutionnelle de 1930.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 35(1), 52(1).
Loi de l'extension des frontières de Québec, 1912, S.C. 1912, ch. 45.
Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F-14, art. 34, 61(1).
Proclamation royale de 1763, L.R.C. (1985), app. II, no 1.
Règlement de pêche général de la Colombie‑Britannique, DORS/84‑248, art. 4, 12(1), (2), 27(1), (4).
Wildlife Act, S.B.C. 1966, ch. 55.
Doctrine citée
Canada. Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. En toute justice: Une politique des revendications des autochtones: revendications globales. Ottawa: 1981.
Canada. Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. La politique indienne du gouvernement du Canada. Ottawa: 1969.
Clement, W. H. P. The Law of the Canadian Constitution, 3rd ed. Toronto: Carswells, 1916.
Little Bear, Leroy. "A Concept of Native Title," [1982] 5 Can. Legal Aid Bul. 99.
Lyon, Noel. "An Essay on Constitutional Interpretation" (1988), 26 Osgoode Hall L.J. 95.
McNeil, Kent. "The Constitutional Rights of the Aboriginal People of Canada" (1982), 4 Supreme Court L.R. 218.
Pentney, William. "The Rights of the Aboriginal Peoples of Canada in the Constitution Act, 1982, Part II, Section 35: The Substantive Guarantee" (1988), 22 U.B.C. L. Rev. 207.
Sanders, Douglas. "Pre-existing Rights: The Aboriginal Peoples of Canada", in Gérald A. Beaudoin and Ed Ratushny, eds., The Canadian Charter of Rights and Freedoms, 2nd ed. Toronto: Carswells, 1989.
Schwartz, Bryan. First Principles, Second Thoughts: Aboriginal People, Constitutional Reform and Canadian Statecraft. Montréal: Institut de recherches politiques, 1986.
Slattery, Brian. "The Hidden Constitution: Aboriginal Rights in Canada" (1984), 32 Am. J. of Comp. Law 361.
Slattery, Brian. "Understanding Aboriginal Rights" (1987), 66 R. du B. can. 727.
POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1986), 9 B.C.L.R. (2d) 300, 36 D.L.R. (4th) 246, [1987] 2 W.W.R. 577, qui a accueilli l'appel interjeté contre un jugement du juge Lamperson de la Cour de comté, [1986] B.C.W.L.D. 599, qui avait rejeté l'appel d'une déclaration de culpabilité prononcée par le juge Goulet de la Cour provinciale. Pourvoi et pourvoi incident rejetés. La question constitutionnelle doit être renvoyée en première instance afin de recevoir une réponse conformément à l'analyse exposée dans les présents motifs.
Marvin R. V. Storrow, c.r., Lewis F. Harvey et Joanne Lysyk, pour l'appelant.
Thomas R. Braidwood, c.r., et James E. Dorsey, pour l'intimée.
Harry A. Slade, Arthur Pape et Louise Mandell, pour l'intervenante la Fraternité des Indiens du Canada / Assemblée des premières nations.
Christopher Harvey, pour les intervenants la B.C. Wildlife Federation, la Steelhead Society of British Columbia, la Pacific Fishermen's Defence Alliance, Northern Trollers' Association, la Pacific Gillnetters' Association, la Gulf Trollers' Association, la Prince Rupert Fishing Vessel Owners' Association, la Fishing Vessel Owners' Association of British Columbia, la Pacific Coast Fishing Vessel Owners' Guild, la Prince Rupert Fishermen's Cooperative Association, la Co-op Fishermen's Guild et la Deep Sea Trawlers' Association of B.C.
J. Keith Lowes, pour l'intervenant le Fisheries Council of British Columbia.
Ian Donald, c.r., pour l'intervenant le Syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés.
J. T. S. McCabe, c.r., et Michel Hélie, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.
René Morin et Robert Décary, c.r., pour l'intervenant le procureur général du Québec.
E. Robert A. Edwards, c.r., et Howard R. Eddy, pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.
Kenneth J. Tyler et Robert G. Richards, pour l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan.
Robert J. Normey, pour l'intervenant le procureur général de l'Alberta.
S. Ronald Stevenson, pour l'intervenant le procureur général de Terre-Neuve.
//Le Juge en chef et le juge La Forest//
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le Juge en chef et le juge La Forest -- Le présent pourvoi nous oblige à examiner pour la première fois la portée du par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et à indiquer la force qu'il peut avoir en tant que promesse faite aux peuples autochtones du Canada. Le paragraphe 35(1), qui se trouve à la partie II de cette loi sous la rubrique "Droits des peuples autochtones du Canada", porte:
35. (1) Les droits existants ‑- ancestraux ou issus de traités ‑- des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.
Le contexte de ce pourvoi est une allégation de violation des conditions du permis de pêche de subsistance des Musqueams, lesquelles conditions sont fixées par la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F-14, et par ses règlements d'application. La question est de savoir si le pouvoir du Parlement de réglementer la pêche est maintenant restreint par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et, plus précisément, de savoir si la restriction imposée dans le permis quant à la longueur du filet est incompatible avec cette disposition.
Les faits
L'appelant, un membre de la bande indienne des Musqueams, a été accusé en vertu du par. 61(1) de la Loi sur les pêcheries d'avoir pêché avec un filet dérivant plus long que celui autorisé par le permis de pêche de subsistance de la bande indienne. L'infraction remonte au 25 mai 1984 alors que l'appelant pêchait dans le passage Canoe qui fait partie de la zone visée par le permis de la bande. Le permis, délivré pour une période d'un an à compter du 31 mars 1984, établissait un certain nombre de restrictions dont celle qui prévoyait que les filets dérivants ne devaient pas avoir plus de 25 brasses de longueur. L'appelant a été trouvé en possession d'un filet qui avait 45 brasses de longueur. Il a toujours reconnu les faits à l'origine de l'infraction, mais il a soutenu en défense qu'il exerçait un droit ancestral existant de pêcher et que la restriction imposée dans le permis de la bande quant à la longueur du filet était incompatible avec le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et, par conséquent, invalide.
Les décisions des tribunaux d'instance inférieure
Le juge Goulet qui a entendu l'affaire en Cour provinciale a d'abord mentionné une affaire très semblable survenue avant l'adoption de la Charte, savoir l'arrêt R. v. Derriksan (1976), 71 D.L.R. (3d) 159 (C.S.C.), où notre Cour a conclu que le droit ancestral de pêcher était régi par la Loi sur les pêcheries et ses règlements d'application. Il a ensuite exprimé l'avis qu'il était lié par l'arrêt Calder v. Attorney General of British Columbia (1970), 74 W.W.R. 481 (C.A.C.‑B.), dans lequel on avait conclu qu'une personne ne peut revendiquer un droit ancestral à moins que celui‑ci ne soit étayé par un traité, une proclamation, un contrat ou un autre document particulier, une position qui n'a pas été contredite en raison des opinions partagées des membres de notre Cour qui ont confirmé l'arrêt ([1973] R.C.S. 313). Le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 ne s'appliquait donc pas. Le droit invoqué en l'espèce n'était pas fondé sur un traité ou un autre document, mais on a affirmé qu'il était exercé par les Musqueams depuis des temps immémoriaux, bien avant la venue des colons européens sur le continent. Le juge a donc déclaré l'appelant coupable et jugé qu'il n'était pas nécessaire d'examiner la preuve à l'appui de l'existence d'un droit ancestral.
Le juge Lamperson de la Cour de comté de Vancouver, [1986] B.C.W.L..D. 599, a rejeté l'appel pour des motifs semblables.
La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1986), 9 B.C.L.R. (2d) 300, a conclu que les tribunaux d'instance inférieure avaient commis une erreur en décidant qu'ils étaient liés par l'arrêt Calder, précité, de la Cour d'appel et que l'appelant ne pouvait invoquer un droit de pêche ancestral. Depuis le jugement de la Cour suprême du Canada, l'arrêt de la Cour d'appel ne lie plus personne. La cour a également distingué les faits de l'affaire Calder de ceux du présent pourvoi.
La cour a ensuite examiné les autres questions soulevées par les parties. Se fondant sur la conclusion du juge de première instance que M. Sparrow pêchait dans un territoire ancien de la tribu où ses ancêtres avaient pêché "depuis des temps immémoriaux", la cour a affirmé que, compte tenu des autres circonstances, cet élément aurait dû conduire à la conclusion que M. Sparrow exerçait un droit ancestral existant. Elle a rejeté la prétention de Sa Majesté que le droit n'existait plus en raison de son [TRADUCTION] "extinction par règlement". Un droit ancestral peut toujours exister même s'il est réglementé. La cour a également rejeté des arguments textuels selon lesquels l'art. 35 tenait simplement d'un préambule et elle a conclu que le droit de pêche invoqué par l'appelant pouvait bénéficier d'une protection constitutionnelle.
Il fallait donc alors déterminer si cette protection allait jusqu'à interdire la réglementation (par opposition à l'extinction qui n'a pas été soulevée en l'espèce) de l'exercice de ce droit. De l'avis de la cour, le pouvoir général de réglementer les périodes, les lieux et les méthodes de pêche, y compris la pêche en vertu d'un droit ancestral, existait toujours. Le Parlement a conservé le pouvoir de réglementer les pêcheries et de contrôler les terres réservées aux Indiens en vertu des par. 91(12) et (24) respectivement de la Loi constitutionnelle de 1867. Une réglementation raisonnable était nécessaire pour assurer la gestion et la conservation judicieuses des ressources et les règlements pris en application de la Loi sur les pêcheries restreignent le droit de tous, y compris les Indiens. La cour fait remarquer, à la p. 330:
[TRADUCTION] Le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 n'a pas pour but de révoquer le pouvoir que possède le Parlement en vertu des par. 12 ou 24. Le pouvoir de réglementer les pêcheries, y compris l'accès des Indiens aux pêcheries, existe toujours, sous réserve seulement de la nouvelle garantie constitutionnelle que les droits ancestraux existants le 17 avril 1982 ne peuvent être supprimés.
La cour a rejeté les arguments selon lesquels la réglementation de la pêche constituait un aspect inhérent du droit de pêche ancestral et que cette réglementation devait être restreinte aux mesures de conservation nécessaires. Ce droit avait toujours été réglementé et continuait de l'être. Voici comment la cour s'exprime, à la p. 331:
[TRADUCTION] Le droit ancestral des Musqueams était, sous réserve de mesures de conservation, de prendre du poisson à des fins d'alimentation et aux fins rituelles de la bande. À l'origine, le droit était réglementé, bien que autoréglementé. Il a continué d'être réglementé et, le 17 avril 1982, c'était un droit réglementé. Ce droit n'a jamais été figé et sa forme a toujours été fonction des circonstances de son existence. S'il faut protéger les intérêts des Indiens et des autres Canadiens en matière de pêcheries, une réglementation raisonnable s'impose toujours pour assurer la gestion et la conservation judicieuses des ressources.
La cour a poursuivi en précisant ce droit encore davantage. C'était un droit lié à un objet et non à une méthode particulière. Essentiellement, il s'agissait d'un droit de pêche lié à la subsistance et aux activités connexes traditionnelles de la bande:
[TRADUCTION] Le droit ancestral n'est pas de prendre du poisson d'une manière particulière ou au moyen d'un filet d'une longueur particulière. C'est le droit de prendre du poisson à des fins d'alimentation. L'étendue de ce droit devrait être interprétée libéralement en faveur des Indiens. Ainsi, l'expression "à des fins de subsistance" ne devrait pas être restreinte à la survie. Il en est ainsi plus particulièrement parce que, selon la tradition et la culture des Musqueams, on consomme du saumon à l'occasion de cérémonies rituelles et le poisson ne sert pas seulement à la consommation familiale quotidienne.
La cour a ajouté que la nature de ce droit n'avait pas changé depuis l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982. Ce qui a changé, c'est que le droit de pêche des Indiens à des fins d'alimentation peut maintenant bénéficier d'une priorité sur les intérêts d'autres groupes qui font usage du poisson et que ce droit, en raison du par. 35(1), ne peut être éteint.
Selon la Cour d'appel, les conclusions de fait du juge de première instance étaient insuffisantes pour justifier un acquittement. Soulignant que la déclaration de culpabilité était fondée sur une conception erronée du droit applicable et ne pouvait être maintenue, la cour a fait d'autres remarques sur l'existence de contradictions non résolues dans la preuve, y compris sur la question de savoir si les conditions de pêche devaient être modifiées pour réduire les prises à un niveau suffisant pour répondre aux demandes raisonnables de nourriture ainsi qu'à des fins de conservation.
Le pourvoi
L'autorisation de pourvoi devant cette Cour a ensuite été demandée et accordée. Le 24 novembre 1987, on a formulé la question constitutionnelle suivante:
La limite de la longueur des filets contenue dans le permis de pêche de subsistance des Indiens de la bande des Musqueams, délivré le 30 mars 1984 conformément au Règlement de pêche général de la Colombie‑Britannique et à la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F‑14, est‑elle incompatible avec le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?
L'appelant se pourvoit devant nous pour le motif que, selon lui, la Cour d'appel a commis une erreur (1) en décidant que le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 ne protège les droits ancestraux que lorsque ceux‑ci sont exercés à des fins d'alimentation et permet une réglementation restrictive de ces droits lorsque [TRADUCTION] "cela est raisonnablement justifié comme nécessaire pour la gestion et la conservation judicieuses des ressources ou dans l'intérêt public", et (2) en refusant de conclure que la limite de la longueur des filets imposée dans le permis de pêche de subsistance de la bande était incompatible avec le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
Sa Majesté intimée a formé un pourvoi incident pour le motif que la Cour d'appel aurait commis une erreur en décidant que le droit ancestral n'avait pas été éteint avant le 17 avril 1982, date d'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982, et, en particulier, en décidant, en fait et en droit, que l'appelant détenait le droit ancestral de pêcher à des fins de subsistance. Subsidiairement, l'intimée a allégué que la Cour d'appel a commis une erreur dans ses conclusions concernant la portée du droit ancestral de pêcher à des fins de subsistance et la mesure dans laquelle ce droit peut être réglementé, plus particulièrement, en décidant que le droit ancestral comprenait le droit de pêcher à des fins rituelles et sociales de la bande et que la bande bénéficiait d'une priorité, garantie par la Constitution, sur les droits d'autres gens qui s'adonnent à la pêche. Selon l'intimée, le par. 35(1) n'invalidait pas les mesures législatives adoptées à des fins de conservation et de gestion des ressources, de santé et de sécurité publiques et d'autres intérêts publics primordiaux comme les besoins raisonnables des autres groupes qui font usage du poisson. Enfin, elle a soutenu qu'on n'aurait pas dû annuler la déclaration de culpabilité ni ordonner la tenue d'un nouveau procès parce que l'appelant n'a pas prouvé, de façon suffisante à première vue, que la réduction de la longueur des filets avait porté atteinte de façon déraisonnable à son droit en l'empêchant de répondre à ses besoins en matière de pêche pour fins d'alimentation. Selon l'intimée, la Cour d'appel a commis une erreur en déplaçant le fardeau de la preuve de manière à l'imposer à Sa Majesté avant que l'appelant n'ait présenté une preuve suffisante à première vue.
La Fraternité des Indiens du Canada / Assemblée des premières nations est intervenue à l'appui de l'appelant. Les procureurs généraux de la Colombie‑Britannique, de l'Ontario, du Québec, de la Saskatchewan, de l'Alberta et de Terre‑Neuve ont appuyé l'intimée tout comme l'ont fait la B. C. Wildlife Federation et autres, le Fisheries Council of British Columbia et le Syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés.
Le système de réglementation
L'article 34 de la Loi sur les pêcheries confère au gouverneur en conseil de larges pouvoirs de réglementation en matière de pêcheries, dont les plus pertinents en l'espèce sont ceux reproduits aux alinéas suivants de cet article:
34. . . .
a) concernant la gestion et la surveillance judicieuses des pêches côtières et des pêches de l'intérieur;
b) concernant la conservation et la protection du poisson;
c) concernant la prise, le chargement, le débarquement, la manutention, le transport, la possession et l'écoulement du poisson;
. . .
e) concernant l'utilisation des appareils et accessoires de pêche;
f) concernant la délivrance, la suspension et l'annulation des permis et baux;
g) concernant les modalités et conditions auxquelles un permis ou un bail doit être délivré;
Le fait de contrevenir à la Loi et à ses règlements d'application constitue une infraction aux termes du par. 61(1) et c'est en vertu de ce paragraphe que l'appelant a été accusé.
Dans l'exercice de son pouvoir de réglementation, le gouverneur en conseil a adopté le Règlement de pêche général de la Colombie‑Britannique, DORS/84-248. En vertu de ce règlement (art. 4), il est notamment interdit de pêcher sans permis, et encore, seulement dans les secteurs, aux heures et de la façon prévus par la Loi ou ses règlements d'application. Cette disposition interdit également d'acheter, de vendre et d'échanger du poisson autre que celui pris légalement en vertu d'un permis de pêche commerciale. L'article 4 prévoit:
4. (1) Sauf disposition contraire de la Loi, de ses règlements d'application concernant les pêches visées par le présent règlement, ou de la loi dite Wildlife Act de la Colombie‑Britannique, il est interdit à quiconque de pêcher sans détenir un permis, délivré en vertu de l'un des règlements ou lois précités.
(2) Il est interdit, dans les eaux de la province ou les eaux des pêcheries canadiennes de l'océan Pacifique, de pêcher une espèce de poisson en dehors des heures et des secteurs autorisés par la Loi ou ses règlements d'application concernant les pêches visées par le présent règlement.
(3) Il est interdit au propriétaire d'un bateau d'exploiter ou de permettre à quiconque d'exploiter le bateau en contravention du présent règlement.
(4) Il est interdit à quiconque d'avoir en sa possession, sans excuse légitime, du poisson qui a été pris ou obtenu d'une manière non conforme à la Loi ou à ses règlements d'application concernant les pêches visées par le présent règlement.
(5) Il est interdit à quiconque d'acheter, de vendre, d'échanger ou de tenter d'acheter, de vendre ou d'échanger du poisson ou des parties de poisson, autre que du poisson pris légalement aux termes d'un permis de pêche commerciale délivré par le Ministre ou le Minister of Environment de la Colombie‑Britannique.
Le Règlement prévoit que des permis peuvent être délivrés à un Indien ou à une bande "aux seules fins de l'alimentation de l'Indien ou de sa famille ou de celle de la bande", et que seul un Indien peut avoir en sa possession du poisson pris en vertu d'un tel permis. Les paragraphes 27(1) et (4) du Règlement prévoient:
27. (1) Aux fins du présent article, "permis de pêche de subsistance des Indiens" désigne un permis délivré par le Ministre à un Indien ou à une bande aux seules fins de l'alimentation de l'Indien ou de sa famille ou de celle de la bande.
. . .
(4) Il est interdit à quiconque sauf un Indien d'avoir en sa possession du poisson pris en vertu d'un permis de pêche de subsistance des Indiens.
Comme dans le cas des autres permis délivrés en vertu de la Loi, l'art. 12 du Règlement prévoit que ces permis peuvent faire l'objet de restrictions concernant les espèces et les quantités de poisson qui peuvent être prises, les lieux où le poisson peut être pris et les périodes pendant lesquelles il peut l'être, la façon dont le poisson doit être marqué et, qui plus est en l'espèce, le type d'engins et d'équipement qui peuvent être utilisés. L'article 12 se lit ainsi:
12. (1) Sous réserve du présent règlement et des autres règlements établis en vertu de la Loi relativement aux pêches visées par le présent règlement, un permis délivré en vertu du présent règlement peut indiquer, aux fins de la gestion et de la surveillance judicieuses de ces pêches,
a) quelles espèces et quelles quantités de poisson peuvent être prises;
b) dans quelles eaux et pendant quelle période la pêche peut être pratiquée;
c) quel type et quelle quantité d'engins et d'équipement de pêche peuvent être utilisés et de quelle façon ils doivent l'être;
d) de quelle façon le poisson pris et gardé à des fins éducatives ou scientifiques doit être gardé en captivité ou exposé;
e) de quelle façon le poisson pris et gardé doit être marqué et transporté; et
f) de quelle façon les données à caractère scientifique ou concernant les prises doivent être soumises.
(2) Il est interdit à quiconque pêche en vertu d'un permis visé au paragraphe (1) de déroger aux conditions de ce permis.
Conformément à ces pouvoirs, le 31 mars 1984, on a délivré à la bande indienne des Musqueams un permis de pêche de subsistance comme on le faisait depuis 1978 [TRADUCTION] "pour pêcher le saumon aux fins de leur alimentation et de celle de leurs familles" dans des secteurs dont celui où l'infraction reprochée a été commise, les eaux de Ladner Reach et du passage Canoe décrites dans le permis. Le permis comportait des restrictions quant à la période de pêche et quant au type d'engins à utiliser, notamment [TRADUCTION] "Un filet dérivant de vingt‑cinq (25) brasses de longueur".
L'appelant a été surpris en train de pêcher dans les eaux décrites précédemment au moyen d'un filet dérivant de plus de 25 brasses. Il ne conteste pas ce fait, mais soutient plutôt qu'il n'a commis aucune infraction parce qu'il exerçait alors un droit ancestral existant qui a été reconnu et confirmé par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
Analyse
Nous aborderons en premier lieu le sens de l'expression droits ancestraux "existants" ainsi que le contenu et la portée du droit de pêche des Musqueams. Nous examinerons ensuite le sens des mots "reconnus et confirmés" et l'effet du par. 35(1) sur le pouvoir réglementaire du Parlement.
"Existants"
Il ressort clairement du mot "existants" que les droits auxquels s'applique le par. 35(1) sont ceux qui existaient au moment de l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982. D'où il s'ensuit que cette loi ne vient pas rétablir des droits éteints. Un certain nombre de tribunaux ont adopté le point de vue que le terme "existants" signifie "qui étaient exercés en 1982": R. v. Eninew (1983), 7 C.C.C. (3d) 443 (B.R. Sask.), à la p. 446, conf. (1984), 12 C.C.C. (3d) 365 (C.A. Sask.) Voir également les arrêts Attorney-General for Ontario v. Bear Island Foundation (1984), 49 O.R. (2d) 353 (H.C.); R. v. Hare and Debassige (1985), 20 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.); Re Steinhauer and The Queen (1985), 15 C.R.R. 175 (B.R. Alb.); Martin v. The Queen (1985), 17 C.R.R. 375 (B.R.N.‑B.); R. v. Agawa (1988), 28 O.A.C. 201.
De plus, un droit ancestral existant ne saurait être interprété de façon à englober la manière précise dont il était réglementé avant 1982. L'idée que le droit a été figé de cette façon aurait pour effet d'introduire dans la Constitution un ensemble de règlements disparates. Voici ce que le juge Blair de la Cour d'appel affirme à ce sujet dans l'arrêt Agawa, précité, à la p. 214:
[TRADUCTION] Certains auteurs ont soulevé un autre problème qui ne peut être ignoré. Le Règlement de pêche de l'Ontario comporte des règles détaillées qui varient d'une région à l'autre dans la province. Le règlement précise notamment les saisons et les méthodes de pêche, les espèces de poisson qui peuvent être prises et le nombre de prises. Des dispositions détaillées du même genre s'appliquent en vertu de règlements de pêche comparables en vigueur dans d'autres provinces. Ces dispositions détaillées pourraient être constitutionnalisées si l'on décidait que les droits existants issus de traités et mentionnés au par. 35(1) étaient ceux qui subsistaient après avoir été réglementés à l'époque de l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982.
Comme le souligne le juge Blair, la doctrine tend à étayer la conclusion que le mot "existants" signifie "non éteints" plutôt que "pouvant être exercés à une certaine époque passée". Le professeur Slattery, dans son article intitulé "Understanding Aboriginal Rights" (1987), 66 R. du B. can. 727, aux pp. 781 et 782, fait observer ceci au sujet de l'utilisation de textes réglementaires pour déterminer le sens des droits:
[TRADUCTION] Cette interprétation introduit dans la Constitution une foule de règlements qui portent atteinte à l'exercice des droits des autochtones et qui diffèrent considérablement d'un endroit à l'autre au pays. Elle ne permet aucune distinction entre les règlements applicables à long terme et ceux qui sont adoptés pour faire face à des conditions temporaires, ou entre des restrictions raisonnables et déraisonnables. En outre, elle pourrait exiger l'adoption d'une modification constitutionnelle pour mettre en {oe}uvre des règlements plus sévères que ceux qui existaient le 17 avril 1982. Cette solution ne semble pas satisfaisante.
Voir également l'article du professeur McNeil, intitulé "The Constitutional Rights of the Aboriginal Peoples of Canada" (1982), 4 Supreme Court L.R. 255, à la p. 258 (q.v.); Pentney, "The Rights of the Aboriginal Peoples of Canada in the Constitution Act, 1982, Part II, Section 35: The Substantive Guarantee" (1988), 22 U.B.C. L. Rev. 207.
On perçoit le caractère arbitraire d'une telle interprétation lorsque l'on examine l'histoire récente de la réglementation fédérale dans le contexte de la présente affaire et de l'industrie de la pêche. Si la Loi constitutionnelle de 1982 avait été adoptée quelques années plus tôt, tout droit détenu par la bande des Musqueams aurait, selon cette interprétation, été soumis constitutionnellement au régime sévère des permis personnels qui existait depuis 1917. Sous ce régime, en 1969, les prises des Musqueams étaient devenues négligeables ou non existantes. En 1978, un système mis sur pied sur une base expérimentale et selon lequel un permis était délivré à la bande permettait aux Musqueams de pêcher au moyen d'un filet de 75 brasses pendant une période plus longue que celle applicable aux autres personnes. Sous ce régime, de 1977 à 1984, le nombre de membres de la bande qui ont pêché à des fins de subsistance est passé de 19 personnes utilisant 15 bateaux à 64 personnes utilisant 38 bateaux alors que 10 autres membres de la bande pêchaient en vertu de permis de pêche commerciale. Avant ce régime, c'était essentiellement les membres de la bande qui détenaient un permis de pêche commerciale qui approvisionnaient celle‑ci en poisson à des fins de subsistance. Puisque le régime mis en place en 1978 était en vigueur en 1982, alors, en vertu de cette interprétation, la portée et le contenu d'un droit ancestral de pêcher seraient déterminés par les modalités du permis de 1978 de la bande.
Il est également possible de percevoir le caractère inadéquat de cette interprétation sous un autre angle. Quatre‑vingt‑onze autres tribus d'Indiens comprenant plus de 20 000 personnes (par opposition aux 540 Musqueams qui habitent la réserve et aux 100 autres à l'extérieur de la réserve) s'approvisionnent en poisson pour des fins d'alimentation dans le fleuve Fraser. Peut‑être que certaines ou même que toutes ces bandes ont un droit ancestral de pêcher à cet endroit. Un méli-mélo constitutionnel résulterait si le droit constitutionnel de ces bandes devait être établi en fonction du régime spécifique applicable à chacune d'elles en 1982.
Loin d'être définie selon le régime de réglementation en vigueur en 1982, l'expression "droits ancestraux existants" doit recevoir une interprétation souple de manière à permettre à ces droits d'évoluer avec le temps. Pour reprendre l'expression du professeur Slattery, dans "Understanding Aboriginal Rights," précité, à la p. 782, le mot "existants" laisse supposer que ces droits sont [TRADUCTION] "confirmés dans leur état actuel plutôt que dans leurs simplicité et vigueur primitives". Il est alors évident qu'il faut rejeter une interprétation de la garantie constitutionnelle énoncée au par. 35(1) qui engloberait des "droits figés".
Le droit ancestral
Nous passons maintenant au droit ancestral présentement en cause. La réserve indienne des Musqueams est située sur la rive nord du fleuve Fraser, près de son embouchure et dans les limites de la ville de Vancouver. Un village de Musqueams y est établi depuis des centaines d'années. Le présent pourvoi ne concerne pas directement la réserve ou les eaux adjacentes, mais découle du droit de la bande de pêcher dans un autre secteur de l'estuaire du fleuve Fraser, appelé passage Canoe, situé dans le bras sud du fleuve, à quelque 16 kilomètres (environs 10 milles) de la réserve. L'aéroport international de Vancouver et la municipalité de Richmond séparent la réserve de ces eaux.
La preuve révèle que les Musqueams vivaient dans la région comme société organisée bien avant la venue des colons européens et que la prise du saumon faisait partie intégrante de leur vie et le demeure encore aujourd'hui. La preuve de l'existence d'un droit de pêche ancestral provient en grande partie de M. Suttles, un anthropologue, dont le témoignage est confirmé par celui de M. Grant, l'administrateur de la bande. Voici comment la Cour d'appel résume le témoignage de M. Suttles, aux pp. 307 et 308:
[TRADUCTION] Monsieur Suttles est reconnu comme ayant des compétences particulières en ce qui concerne l'ethnographie du peuple indien Salish de la côte, composé de plusieurs tribus dont celles des Musqueams. Selon lui, les Musqueams vivent dans leur territoire ancestral, qui comprend l'estuaire du fleuve Fraser, depuis au moins 1 500 ans. Ce territoire ancestral s'étendait de la rive nord du passage Burrard à la rive sud du bras principal du fleuve Fraser et comprenait les eaux des trois bras par lesquels ce fleuve se jette dans l'océan. Parce que les Musqueams faisaient partie du peuple Salish, ils faisaient partie d'un réseau social régional qui s'étendait sur une bien plus grande région mais, comme tribu, ils formaient eux‑mêmes un groupe social organisé ayant un nom, un territoire et des ressources en propre. Entre les tribus, il y avait circulation de personnes, de biens et de nourriture. Aucune tribu n'était tout à fait autosuffisante ni n'occupait son territoire à l'exclusion totale des autres.
Monsieur Suttles a décrit la place privilégiée de la pêche au saumon dans cette société. Le saumon était non seulement une source d'alimentation importante, mais encore il jouait un rôle important dans les croyances du peuple Salish et leurs cérémonies. On considérait le saumon comme une espèce vivante qui, à une "époque mythique", avait établi des liens avec l'espèce humaine; le saumon devait donc venir chaque année et offrir sa chair aux hommes qui, à leur tour, le traitaient avec respect dans l'accomplissement du rite approprié. À l'égard du saumon, comme à l'égard d'autres créatures, il y avait une attitude de prudence et de respect qui a permis de conserver efficacement les diverses espèces.
Bien que le procès concernant la violation d'une interdiction pénale ne constitue pas le cadre idéal pour déterminer l'existence d'un droit ancestral et bien que la preuve ne soit pas considérable, l'exactitude de la conclusion de fait du juge de première instance portant [TRADUCTION] "que M. Sparrow pêchait dans un territoire ancien de la tribu où ses ancêtres avaient pêché depuis des temps immémoriaux dans cette partie de l'embouchure du fleuve Fraser" est confirmée par la preuve et n'est pas contestée. Selon la Cour d'appel, l'existence de ce droit [TRADUCTION] "n'a pas vraiment été contestée". Il n'est donc pas surprenant que, compte tenu d'autres circonstances, la cour ait conclu, à la p. 320, que [TRADUCTION] "la décision qui fait l'objet de l'appel était erronée parce qu'on [. . .] n'a pas conclu que Sparrow exerçait à l'époque en question un droit ancestral existant".
Devant cette Cour cependant, l'intimée a contesté la conclusion de la Cour d'appel, prétendant que la preuve était insuffisante pour libérer l'appelant de son fardeau de preuve en la matière. Il est vrai qu'en ce qui concerne la période de 1867 à 1961 la preuve est sommaire. Mais la preuve n'a pas été contestée ni contredite devant les tribunaux d'instance inférieure et il y a preuve d'un exercice ininterrompu suffisant du droit pour justifier la conclusion de la Cour d'appel et nous n'y toucherons pas.
Ce sur quoi Sa Majesté a vraiment insisté, devant notre Cour et les tribunaux d'instance inférieure, c'est que le droit de pêche ancestral des Musqueams a été éteint par les règlements pris en vertu de la Loi sur les pêcheries.
L'historique de la réglementation des pêcheries en Colombie‑Britannique est établi dans l'arrêt Jack c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 294, particulièrement aux pp. 308 et suiv., et il nous suffit de le résumer en l'espèce. Avant l'entrée de la province dans la Confédération en 1871, il n'existait aucune réglementation appréciable de la pêche pour les Indiens ou pour les autres personnes. Les Indiens étaient non seulement autorisés, mais encouragés à pêcher pour se nourrir. La pêche commerciale et la pêche sportive n'avaient pas encore acquis une grande importance. Ce n'est qu'en 1876 que la loi fédérale, la Loi sur les pêcheries, est entrée en vigueur en Colombie‑Britannique, et le premier règlement dit Salmon Fishery Regulations for British Columbia a été adopté en 1878 et sa portée était très limitée.
C'est en 1878 que les Indiens ont été mentionnés pour la première fois dans le Règlement. Celui‑ci prévoyait simplement que les Indiens avaient en tout temps le droit de pêcher pour leur alimentation, mais non pour fins de vente, de troc ou de trafic, par tout moyen sauf le filet dérivant ou le harpon. Le droit ou la liberté des Indiens de pêcher était donc restreint, et des restrictions plus sévères ont été apportées au fil des ans. Tel que souligné dans l'arrêt Jack c. La Reine, précité, à la p. 310:
Face à la popularité de la pêche commerciale puis de la pêche sportive, la réglementation fédérale est, avec le temps, devenue de plus en plus sévère à l'égard des Indiens. On a assisté à l'assujettissement croissant de la pêche par les Indiens au contrôle réglementaire. Cela a commencé par la réglementation de l'usage de filets dérivants qui a été suivie d'une restriction du droit de pêche à des fins d'alimentation, puis de l'obligation d'obtenir un permis de l'inspecteur et enfin, en 1917, du pouvoir de réglementer même la pêche à des fins d'alimentation au moyen de conditions spécifiées dans le permis.
Le règlement de 1917 avait pour but de rendre encore plus sévères les dispositions interdisant la pêche commerciale dans l'exercice du droit des Indiens de pêcher à des fins alimentaires; voir C.P. 2539 du 11 septembre 1917. Les dispositions relatives à la pêche de subsistance des Indiens sont demeurées essentiellement les mêmes de 1917 à 1977. Le règlement de 1977 reprenait les principes généraux des soixante dernières années. Un Indien pouvait pêcher à des fins alimentaires en vertu d'un "permis spécial" précisant la méthode, le lieu et les périodes de pêche. À la suite d'un programme expérimental dont il sera question plus loin, le règlement de 1981 portait sur une notion tout à fait nouvelle d'un permis de pêche à des fins de subsistance d'une bande tout en conservant le régime complet des conditions pour l'exercice du permis.
Selon l'avocat de l'intimée, ce sont ces restrictions progressives et la réglementation détaillée du droit de pêche qui ont eu pour effet d'éteindre tout droit de pêche ancestral. Selon lui, il n'est pas nécessaire que l'extinction soit formulée expressément, elle peut avoir lieu lorsque l'autorité souveraine est exercée d'une manière [TRADUCTION] "nécessairement incompatible" avec la jouissance continue de droits ancestraux. À l'appui de cette affirmation, il a surtout invoqué les arrêts St. Catherine's Milling and Lumber Co. v. The Queen (1888), 14 App. Cas. 46 (C.P.), Calder c. Procureur général de la Colombie‑Britannique, [1973] R.C.S. 313, Baker Lake (Hamlet) c. Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, [1980] 1 C.F. 518 (D.P.I.), et Attorney-General for Ontario v. Bear Island Foundation, précité. Avant l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, le consentement à l'extinction n'était pas requis; le souverain pouvait réaliser son intention non seulement par une loi mais aussi par un règlement valide. De l'avis de l'avocat, en l'espèce, le règlement avait totalement supplanté tout droit ancestral. Il affirme qu'il existe une incompatibilité fondamentale entre le droit collectif de pêche enchâssé dans le droit ancestral, et le droit de pêche en vertu d'un permis spécial ou d'un permis délivré à des Indiens pris individuellement (comme c'était le cas jusqu'en 1977) par le Ministre dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire et sous réserve de conditions qui, si elles étaient violées, pouvaient entraîner l'annulation du permis. Il a poursuivi en affirmant que la Loi sur les pêcheries et ses règlements d'application avaient pour but d'établir un code complet incompatible avec l'existence ininterrompue d'un droit ancestral.
En réalité, l'intimé confond dans son argumentation la réglementation et l'extinction. Que l'exercice du droit fasse l'objet d'une réglementation très minutieuse, cela ne signifie pas que ce droit est par le fait même éteint. La distinction à faire a été expliquée soigneusement, dans le contexte du fédéralisme, dans le premier arrêt portant sur les pêcheries, Attorney General for Canada v. Attorney General for Ontario, [1898] A.C. 700. Dans cet arrêt, le Conseil privé devait se pencher sur la corrélation entre, d'une part, les biens situés dans la province, qui, en raison de l'art. 109 de la Loi constitutionnelle de 1867, appartiennent aux provinces (et qui, à ce titre, sont réglementés exclusivement par la province) et, d'autre part, le pouvoir fédéral de légiférer en matière de pêcheries en vertu du par. 91(12) de cette loi. Le Conseil privé affirme ceci au sujet de la réglementation fédérale, aux pp. 712 et 713:
[TRADUCTION] . . . le pouvoir de légiférer en matière de pêcheries permet en toute logique au législateur titulaire d'un tel pouvoir de toucher dans une certaine mesure aux droits de propriété. Par exemple, une disposition qui fixe la saison où il est permis de pêcher ou le genre d'attirail que l'on peut employer pour pêcher (disposition que, de l'aveu de tous, le Parlement du Dominion a le pouvoir d'adopter) pourrait très sérieusement toucher à l'exercice des droits de propriété et l'étendue, la force et la portée d'une telle loi ressortissent entièrement au Parlement du Dominion. L'idée qu'on puisse abuser du pouvoir de sorte qu'en pratique le droit de propriété soit confisqué ne justifie pas les tribunaux d'imposer des restrictions au pouvoir absolu conféré dans la loi. Il est toujours possible d'abuser du pouvoir suprême de légiférer dans un domaine donné, mais il ne faut pas présumer qu'il sera exercé de façon inadmissible; le cas échéant, le seul recours consiste à s'adresser à l'électorat.
Dans le contexte des droits ancestraux, on pourrait faire valoir qu'avant 1982 un droit ancestral était automatiquement éteint dans la mesure où il était incompatible avec une loi. Comme le juge Mahoney l'a affirmé dans l'arrêt Baker Lake, précité, aux pp. 568 et 569:
Une fois qu'une loi a été régulièrement adoptée, il faut lui donner effet; s'il est nécessaire pour lui donner effet d'altérer voire d'abroger entièrement un droit de common law alors c'est l'effet que les tribunaux doivent lui donner. Cela est tout aussi vrai d'un titre aborigène que de tout autre droit de common law.
Voir également l'arrêt Attorney-General for Ontario v. Bear Island Foundation, précité, aux pp. 439 et 440. De l'avis du juge Judson, c'est ce qui s'était produit dans l'affaire Calder, précitée, où, selon lui, une série de lois avait mis fin à la volonté d'exercer une souveraineté incompatible avec tout intérêt contradictoire, y compris un titre aborigène. Mais le juge Hall a affirmé dans cet arrêt (à la p. 404) "qu'il incombe à l'intimé d'établir que le Souverain voulait éteindre le titre indien, et que cette intention doit être "claire et expresse"". (Nous soulignons.) Le critère de l'extinction qui doit être adopté, à notre avis, est que l'intention du Souverain d'éteindre un droit ancestral doit être claire et expresse.
La Loi sur les pêcheries ou ses règlements d'application détaillés ne font état d'aucune intention claire et expresse de mettre fin au droit ancestral des Indiens de pêcher. Le fait qu'une disposition autorisant explicitement les Indiens à pêcher à des fins de subsistance ait pu s'appliquer à tous les Indiens et que la délivrance des permis ait pendant longtemps été discrétionnaire et effectuée sur une base individuelle plutôt que collective n'indique aucunement une intention claire d'éteindre le droit. Ces permis constituaient simplement une façon de contrôler les pêcheries et non de définir des droits sous‑jacents.
Nous sommes donc d'avis que le ministère public ne s'est pas acquitté de son fardeau de prouver l'extinction du droit. Nous estimons que la Cour d'appel n'a commis aucune erreur en décidant que les Indiens ont un droit de pêche ancestral existant dans le secteur où M. Sparrow pêchait au moment de l'infraction. Ce point de vue est compatible avec le principe voulant qu'un droit ancestral ne doive pas être défini en fonction des façons dont il a été réglementé dans le passé.
Il nous faut maintenant préciser la portée du droit de pêche existant des Musqueams. D'après la preuve anthropologique produite pour établir l'existence de ce droit, la pêche au saumon a toujours fait partie intégrante de la culture distinctive des Musqueams. Le rôle important qu'elle joue ne se résume pas à la consommation à des fins de subsistance, mais il comprend également la consommation de saumon dans le cadre d'activités rituelles et sociales. Les Musqueams ont toujours pêché pour des raisons liées à leur survie culturelle et matérielle. Comme nous l'avons déjà affirmé, le droit d'agir ainsi peut s'exercer de manière contemporaine.
La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a décidé en l'espèce que le droit ancestral en cause est celui de pêcher à des fins d'alimentation, mais que ces fins ne doivent pas être restreintes à la simple survie. On a conclu, au contraire, que ce droit s'étend au poisson consommé dans le cadre d'activités sociales et rituelles. La Cour d'appel a ainsi défini le droit comme protégeant le même intérêt que celui que traduit la politique du gouvernement en matière de pêche à des fins de subsistance. En limitant à des fins de subsistance l'exercice de ce droit, la Cour d'appel s'est fondée sur un courant de jurisprudence portant sur l'interprétation des conventions sur les ressources naturelles et sur la restriction relative à la subsistance apportée par la Loi constitutionnelle de 1930 à la protection des droits de pêche et de chasse (voir R. v. Wesley, [1932] 2 W.W.R. 337, Prince and Myron v. The Queen, [1964] R.C.S. 81, R. c. Sutherland, [1980] 2 R.C.S. 451).
Les deux parties ont contesté la position de la Cour d'appel. D'une part, l'intimée a soutenu que si le droit ancestral de pêcher existe, ce droit ne comprend pas celui de prendre du poisson pour des cérémonies ou des activités sociales de la bande. D'autre part, l'appelant a contesté la restriction apportée par la Cour d'appel au droit de pêcher à des fins de subsistance. Il a soutenu que le principe suivant lequel les titulaires de droits ancestraux peuvent exercer ces droits comme bon leur semble a reçu l'aval de notre Cour dans le contexte de la protection de droits de chasse issus d'un traité (Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387), et qu'il devrait être appliqué dans la présente instance de manière à ce que le droit en question soit défini comme un droit de pêcher à quelque fin que ce soit, au moyen de toute méthode non dangereuse.
En ce qui concerne cet argument, on a soutenu devant notre Cour que le droit ancestral englobe la pêche commerciale. Bien qu'il n'y ait pas eu de pêche commerciale avant l'arrivée des colons européens, on prétend que le troc pratiqué jadis par les Musqueams peut être rétabli sous la forme d'un droit moderne de pêcher à des fins commerciales. La présence de nombreux intervenants représentant les intérêts des pêcheurs commerciaux et l'idée, se dégageant des faits, que la restriction quant à la longueur des filets est liée, du moins en partie, à l'usage commercial qui est probablement fait du poisson pris en vertu du permis de pêche de subsistance des Musqueams indiquent une possibilité de conflit entre la pêche par des autochtones et la pêche commerciale concurrentielle relativement à un poisson d'une grande valeur économique comme le saumon. Nous reconnaissons l'existence de ce conflit ainsi que la probabilité qu'il s'aggrave à mesure que les quantités de poisson diminuent, que la demande augmente et que les tensions montent.
Depuis plus de cent ans, les règlements gouvernementaux régissant l'exercice du droit des Musqueams de pêcher décrit plus haut ne reconnaissent que le droit de pêcher à des fins de subsistance. Cela peut expliquer la position actuelle. Cependant, non seulement la politique historique de Sa Majesté ne permet pas d'éteindre le droit ancestral existant en l'absence d'intention claire en ce sens, mais elle ne permet pas non plus en soi de délimiter ce droit. La nature de règlements gouvernementaux ne saurait être déterminante quant au contenu et à la portée d'un droit ancestral existant. La politique gouvernementale peut toutefois réglementer l'exercice de ce droit, mais cette réglementation doit être conforme au par. 35(1).
Devant les tribunaux d'instance inférieure, la présente affaire n'a pas été débattue en fonction de l'existence d'un droit ancestral de pêcher à des fins commerciales ou de subsistance. Les débats ont plutôt porté, et portent encore, sur la validité d'une restriction quant à la longueur des filets qui touche le permis de pêche de subsistance de l'appelant. Nous adoptons donc, pour les fins du présent pourvoi, la caractérisation de ce droit donnée par la Cour d'appel et limitons nos motifs au sens de la reconnaissance et de la confirmation constitutionnelles du droit ancestral existant de pêcher à des fins de subsistance et à des fins sociales et rituelles.
"Reconnus et confirmés"
Nous passons maintenant à l'effet du par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 sur le pouvoir réglementaire du Parlement et, en particulier, sur l'issue du présent pourvoi.
L'avocat de l'appelant soutient que l'effet du par. 35(1) est de nier le pouvoir du Parlement de réglementer restrictivement les droits de pêche des autochtones en vertu du par. 91(24) ("les Indiens et les terres réservées aux Indiens") et du par. 91(12) ("les pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur"). L'essence de cet argument, appuyé par l'intervenante, la Fraternité des Indiens du Canada/Assemblée des premières nations, est que le droit de réglementer fait partie du droit de la bande d'utiliser la ressource comme bon lui semble. Le paragraphe 35(1) n'est pas assujetti à l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, ni à la dérogation législative prévue à l'art. 33. L'appelant fait valoir que si le pouvoir de réglementation continue de s'appliquer, les limites de son étendue sont établies par le terme "incompatibles" contenu au par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et les fins protectrices et réparatrices du par. 35(1). Cela signifie qu'un titre aborigène comporte le droit de pêcher au moyen de toute méthode non dangereuse choisie par les pêcheurs autochtones. Tout pouvoir de réglementation que le gouvernement continuerait à exercer devrait être exceptionnel et strictement limité à une réglementation nettement compatible avec les fins protectrices et réparatrices du par. 35(1). L'avocat de l'appelant a donc supposé que [TRADUCTION] "dans certains cas, des mesures de conservation nécessaires et raisonnables pourraient être adoptées" (nous soulignons) si, par exemple, de telles mesures étaient nécessaires pour éviter qu'on porte sérieusement atteinte aux droits ancestraux des générations actuelles et futures, si les objectifs de conservation ne pouvaient être atteints que par une restriction de ce droit et non de la pêche pratiquée par d'autres pêcheurs, et si le groupe autochtone visé refusait de mettre en {oe}uvre les mesures de conservation nécessaires. Par analogie avec l'article premier de la Charte, il incomberait au gouvernement de justifier l'adoption de règlements restrictifs.
Afin de répondre à ces arguments et de trouver le cadre d'interprétation approprié pour le par. 35(1), nous commençons par examiner l'historique de ce paragraphe.
Il convient de rappeler que bien que la politique britannique envers la population autochtone fût fondée sur le respect de leur droit d'occuper leurs terres ancestrales, comme en faisait foi la Proclamation royale de 1763, dès le départ, on n'a jamais douté que la souveraineté et la compétence législative, et même le titre sous‑jacent, à l'égard de ces terres revenaient à Sa Majesté; voir l'arrêt Johnson v. M'Intosh (1823), 8 Wheaton 543 (C.S.É.-U.); voir également la Proclamation royale elle‑même (L.R.C. (1985), app. II, no 1, pp. 4 à 6); Calder, précité, le juge Judson à la p. 328, le juge Hall aux pp. 383 et 402. Et il n'y a pas de doute qu'au fil des ans les droits des Indiens ont souvent été reconnus par suite d'une violation (voir, par exemple l'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654). Comme le juge MacDonald l'a affirmé dans la décision Pasco v. Canadian National Railway Co., [1986] 1 C.N.L.R. 35 (C.S.C.‑B.), à la p. 37: [TRADUCTION] "Ce n'est pas avec beaucoup de fierté que nous pouvons rappeler le traitement réservé aux autochtones de notre pays".
Pendant plusieurs années les droits des Indiens à leurs terres ancestrales ‑‑ certainement à titre de droits reconnus en common law ‑‑ ont été à toutes fins pratiques ignorés. Les arrêts de principe qui ont défini les droits des Indiens au début du siècle portaient sur des revendications étayées par la Proclamation royale ou d'autres documents juridiques et, même dans ces cas, les tribunaux étaient essentiellement intéressés à établir la compétence législative ou les droits des entreprises commerciales. Au cours des cinquante années qui ont suivi la publication de l'ouvrage de Clement, The Law of the Canadian Constitution (3e éd. 1916), on constate une absence quasi totale d'analyse des droits territoriaux des Indiens, et ce, même dans les ouvrages de doctrine. À la fin des années soixante, le gouvernement fédéral n'accordait même pas de valeur juridique aux revendications des autochtones. Ainsi, même si elle procédait d'une intention louable, La politique indienne du gouvernement du Canada (1969), contenait (à la p. 12) l'affirmation que "les droits aborigènes [. . .] sont tellement généraux qu'il n'est pas réaliste de les considérer comme des droits précis, susceptibles d'être réglés excepté par un ensemble de politiques et de mesures qui mettront fin aux injustices dont les Indiens ont souffert comme membres de la société canadienne". Au cours de la même période générale, Hydro Québec a entrepris le développement de la Baie James sans d'abord tenir compte des droits des Indiens qui y vivaient, et ce, même si ces droits bénéficiaient d'une protection constitutionnelle expresse; voir la Loi de l'extension des frontières de Québec, 1912, S.C. 1912, ch. 45. Il aura fallu un bon nombre de décisions judiciaires et notamment l'arrêt Calder de notre Cour (1973) pour que le gouvernement reconsidère sa position.
Compte tenu de sa nouvelle évaluation des revendications des Indiens à la suite de l'arrêt Calder, le gouvernement fédéral publie, le 8 août 1973, "une déclaration de principe" concernant les terres indiennes. Par cette déclaration, le gouvernement veut montrer qu'il "reconnaît et accepte sa responsabilité permanente, aux termes de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, en ce qui a trait aux Indiens et aux territoires réservés à leur intention", qu'il considère "comme le résultat d'une évolution historique remontant à la Proclamation royale de 1763, laquelle demeure comme une déclaration fondamentale des intérêts fonciers des Indiens du pays, quelles que soient les différences intervenues quant à son interprétation légale". (Nous soulignons.) Voir la Déclaration par l'honorable Jean Chrétien, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, au sujet des revendications des Indiens et Inuit, en date du 8 août 1973. Les remarques au sujet de ces terres se voulaient "une attestation de [. . .] responsabilité." Mais, pour la première fois, le gouvernement y exprime sa volonté de négocier concernant les revendications d'un titre aborigène de propriété, particulièrement en Colombie‑Britannique, dans le Nouveau‑Québec et les Territoires, et ce, indépendamment de tout document officiel. "Le gouvernement", dit‑on, "est maintenant prêt à négocier avec les représentants mandatés par ces groupes, en partant du principe que, dans les cas où leurs droits traditionnels aux terres revendiquées peuvent être établis, les autochtones recevront, en retour de ces intérêts, une indemnité ou un avantage convenus."
Il ressort clairement du texte que l'attitude adoptée à l'égard des revendications des autochtones dans la déclaration de 1973 exprimait une politique plutôt qu'une prise de position sur le plan juridique; voir également En toute justice: Une politique des revendications des autochtones: revendications globales (1981), pp. 11 et 12; Slattery, "Understanding Aboriginal Rights", op. cit., à la p. 730. Aussi récemment que dans l'affaire Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, le gouvernement fédéral a soutenu devant notre Cour que toute obligation fédérale était de nature politique.
Il est donc clair que le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 représente l'aboutissement d'une bataille longue et difficile à la fois dans l'arène politique et devant les tribunaux pour la reconnaissance de droits ancestraux. La forte représentation des associations autochtones et d'autres groupes soucieux du bien-être des peuples autochtones du Canada a rendu possible l'adoption du par. 35(1) et il est important de souligner que cette disposition s'applique aux Indiens, aux Inuit et aux Métis. Le paragraphe 35(1) procure, tout au moins, un fondement constitutionnel solide à partir duquel des négociations ultérieures peuvent être entreprises. Il accorde également aux autochtones une protection constitutionnelle contre la compétence législative provinciale. Nous sommes évidemment conscients que cela découlerait de toute façon de l'arrêt Guerin, précité, mais pour bien comprendre la situation, il est essentiel de se rappeler que l'arrêt Guerin a été rendu après l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982. En outre, en plus de son effet sur les droits ancestraux, le par. 35(1) a clarifié d'autres points concernant l'application des droits issus de traités (voir Sanders, "Pre‑existing Rights: The Aboriginal Peoples of Canada," dans Beaudoin et Ratushny (éd.), The Canadian Charter of Rights and Freedoms, 2e éd., particulièrement à la p. 730).
À notre avis, l'importance du par. 35(1) va au-delà de ces effets fondamentaux. Dans "An Essay on Constitutional Interpretation" (1988), 26 Osgoode Hall L.J. 95, à la p. 100, le professeur Lyon dit ceci au sujet du par. 35(1):
[TRADUCTION] . . . le contexte de l'année 1982 nous fournit assurément une indication suffisante qu'il ne s'agit pas d'une simple codification de la jurisprudence portant sur les droits ancestraux qui existait en 1982. L'article 35 exige un règlement équitable en faveur des peuples autochtones. Il écarte les anciennes règles du jeu en vertu desquelles Sa Majesté établissait des cours de justice auxquelles elle refusait le pouvoir de mettre en doute Ses revendications souveraines.
La méthode qu'il convient d'adopter pour interpréter le par. 35(1) est dérivée des principes généraux d'interprétation constitutionnelle, des principes relatifs aux droits ancestraux et des objets sous‑jacents à la disposition constitutionnelle elle‑même. Nous allons ici ébaucher le cadre d'une interprétation de l'expression "reconnus et confirmés" qui, selon nous, accorde au caractère constitutionnel de ces mots l'importance qui lui revient.
Dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, notre Cour affirme ceci au sujet de l'optique dans laquelle il faut aborder l'interprétation d'une constitution, à la p. 745:
La Constitution d'un pays est l'expression de la volonté du peuple d'être gouverné conformément à certains principes considérés comme fondamentaux et à certaines prescriptions qui restreignent les pouvoirs du corps législatif et du gouvernement. Elle est, comme le déclare l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, la "loi suprême" de notre pays, qui ne peut être modifiée par le processus législatif normal et qui ne tolère aucune loi incompatible avec elle. Il appartient au pouvoir judiciaire d'interpréter et d'appliquer les lois du Canada et de chacune des provinces et il est donc de notre devoir d'assurer que la loi constitutionnelle a préséance.
La nature même du par. 35(1) laisse supposer qu'il y a lieu de l'interpréter en fonction de l'objet qu'il vise. Si on considère les objectifs de la confirmation des droits ancestraux, il est évident qu'une interprétation généreuse et libérale du texte de cette disposition constitutionnelle s'impose. Devant l'argument voulant que l'art. 35 n'ait aucun effet sur les droits ancestraux ou issus de traités et qu'il ne soit qu'un préambule aux parties de la Loi constitutionnelle de 1982 qui portent sur les droits des autochtones, la Cour d'appel en l'espèce dit ceci, à la p. 322:
[TRADUCTION] Cet argument ne donne aucun sens à l'art. 35. En le retenant, on se trouverait à nier la déclaration non équivoque de cet article que les droits existants sont reconnus et confirmés et à n'en faire qu'une simple promesse de reconnaître et de confirmer ces droits à une époque future [. . .] Une telle interprétation du par. 35(1) ferait abstraction à la fois de ses termes et du principe selon lequel la Constitution doit recevoir une interprétation libérale et réparatrice. Nous ne pouvons accepter que ce principe s'applique avec moins de force aux droits ancestraux qu'à ceux garantis par la Charte, compte tenu particulièrement de l'histoire et de la méthode d'interprétation des traités et des lois concernant les Indiens commandée par des arrêts comme Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29 . . .
Dans l'arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la p. 36, on énonce le principe qui doit régir l'interprétation des traités et des lois concernant les Indiens:
. . . les traités et les lois visant les Indiens doivent recevoir une interprétation libérale et [. . .] toute ambiguïté doit profiter aux Indiens.
Dans l'arrêt R. v. Agawa, précité, le juge Blair affirme que ce principe devrait s'appliquer à l'interprétation du par. 35(1). Aux pages 215 et 216, il ajoute comme tout aussi applicable le principe suivant:
[TRADUCTION] Le second principe a été énoncé par feu le juge en chef adjoint MacKinnon dans l'arrêt R. v. Taylor and Williams (1981), 34 O.R. (2d) 360. Soulignant l'importance de l'histoire et des traditions indiennes ainsi que ce qu'on croyait être l'effet du traité au moment de sa signature, il a en outre fait une mise en garde contre la détermination des droits des Indiens "dans l'abstrait". L'interprétation de traités avec les Indiens met en cause l'honneur de la Couronne et, par conséquent, l'équité envers les Indiens est un facteur dominant. Il dit, à la p. 367:
"Les principes applicables à l'interprétation de traités visant les Indiens ont fait l'objet de nombreuses discussions au fil des ans. Lorsqu'il s'agit d'interpréter les conditions d'un traité, tout à fait indépendamment des autres considérations déjà évoquées, il y va toujours de l'honneur de la Couronne et aucune apparence de "man{oe}uvres malhonnêtes" ne doit être tolérée."
Ce point de vue se reflète dans de récentes décisions judiciaires insistant sur la responsabilité qu'a le gouvernement de protéger les droits des Indiens, laquelle responsabilité résulte des rapports fiduciaires spéciaux créés par l'histoire, par des traités et par des textes législatifs: voir Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335; 55 N.R. 161; 13 D.L.R. (4th) 321.
Dans l'affaire Guerin, précitée, la bande indienne Musqueam avait cédé des terres réservées à Sa Majesté pour que celle-ci les loue à un club de golf. Les conditions du bail consenti par Sa Majesté étaient beaucoup moins favorables que celles approuvées par la bande à l'assemblée de la cession. Notre Cour a statué que Sa Majesté a envers les Indiens une obligation de fiduciaire en ce qui concerne leurs terres. La nature sui generis du titre indien de même que les pouvoirs et la responsabilité historiques de Sa Majesté constituent la source de cette obligation de fiduciaire. À notre avis, l'arrêt Guerin, conjugué avec l'arrêt R. v. Taylor and Williams (1981), 34 O.R. (2d) 360, justifie un principe directeur général d'interprétation du par. 35(1), savoir, le gouvernement a la responsabilité d'agir en qualité de fiduciaire à l'égard des peuples autochtones. Les rapports entre le gouvernement et les autochtones sont de nature fiduciaire plutôt que contradictoire et la reconnaissance et la confirmation contemporaines des droits ancestraux doivent être définies en fonction de ces rapports historiques.
Nous partageons l'avis de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique en l'espèce et de la Cour d'appel de l'Ontario que, dans l'interprétation du par. 35(1), on doit se laisser guider par les principes exposés ci‑dessus qui découlent des arrêts Nowegijick, Taylor and Williams et Guerin. Comme les auteurs l'ont souligné, le par. 35(1) constitue un engagement solennel qui doit avoir un sens utile (Lyon, op. cit.; Pentney, op. cit.; Schwartz, "Unstarted Business: Two Approaches to Defining s. 35 -‑ "What's in the Box?" and "What Kind of Box?"", chapître XXIV, dans First Principles, Second Thoughts: Aboriginal Peoples, Constitutional Reform and Canadian Statecraft; Slattery, op. cit., et Slattery, "The Hidden Constitution: Aboriginal Rights in Canada" (1984), 32 Am. J. of Comp. Law 361).
Pour répondre à l'argument de l'appelant que les droits visés au par. 35(1) bénéficient d'une protection plus sûre que ceux garantis par la Charte, il est vrai que le par. 35(1) n'est pas assujetti à l'article premier de la Charte. Cela ne veut pas dire, selon nous, que toute loi ou tout règlement portant atteinte aux droits ancestraux des autochtones sera automatiquement inopérant en vertu de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Un texte législatif qui touche l'exercice de droits ancestraux sera néanmoins valide s'il satisfait au critère applicable pour justifier une atteinte à un droit reconnu et confirmé au sens du par. 35(1).
Le paragraphe en question ne contient aucune disposition explicite autorisant notre Cour ou n'importe quel autre tribunal à apprécier la légitimité d'une mesure législative gouvernementale qui restreint des droits ancestraux. Nous estimons pourtant que l'expression "reconnaissance et confirmation" comporte les rapports de fiduciaire déjà mentionnés et implique ainsi une certaine restriction à l'exercice du pouvoir souverain. Les droits qui sont reconnus et confirmés ne sont pas absolus. Les pouvoirs législatifs fédéraux subsistent, y compris évidemment le droit de légiférer relativement aux Indiens en vertu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Toutefois, ces pouvoirs doivent maintenant être rapprochés du par. 35(1). En d'autres termes, le pouvoir fédéral doit être concilié avec l'obligation fédérale et la meilleure façon d'y parvenir est d'exiger la justification de tout règlement gouvernemental qui porte atteinte à des droits ancestraux. Une telle vérification est conforme au principe d'interprétation libérale énoncé dans l'arrêt Nowegijick, précité, et avec l'idée que la Couronne doit être tenue au respect d'une norme élevée ‑- celle d'agir honorablement -‑ dans ses rapports avec les peuples autochtones du Canada, comme le laisse entendre l'arrêt Guerin c. La Reine, précité.
Nous nous référons à "Understanding Aboriginal Rights", précité, du professeur Slattery pour ce qui est d'envisager un processus de justification au par. 35(1). Le professeur Slattery souligne, à la p. 782, qu'un processus de justification s'impose à titre de compromis entre une caractérisation "composite" des droits ancestraux qui ferait entrer dans la définition de ceux‑ci les règlements antérieurs et une caractérisation qui garantirait les droits ancestraux sous leur forme initiale sans aucune restriction apportée par des règlements ultérieurs. Nous sommes d'accord avec lui pour dire que ces deux positions extrêmes doivent être rejetées au profit d'un système de justification.
Il semble se dégager du par. 35(1) que, si la réglementation des droits ancestraux n'est pas exclue, une telle réglementation doit être adoptée conformément à un objectif régulier. Notre histoire démontre, trop bien malheureusement, que les peuples autochtones du Canada ont raison de s'inquiéter au sujet d'objectifs gouvernementaux qui, bien que neutres en apparence, menacent en réalité l'existence de certains de leurs droits et intérêts. En accordant aux droits ancestraux le statut et la priorité propres aux droits constitutionnels, le Parlement et les provinces ont sanctionné les contestations d'objectifs de principe socio-économiques énoncés dans des textes législatifs, dans la mesure où ceux‑ci portent atteinte à des droits ancestraux. Ce régime constitutionnel comporte implicitement une obligation de la part du législateur de satisfaire au critère de la justification. La façon de réaliser un objectif législatif doit préserver l'honneur de Sa Majesté et doit être conforme aux rapports contemporains uniques, fondés sur l'histoire et les politiques, qui existent entre la Couronne et les peuples autochtones du Canada. La mesure dans laquelle une loi ou un règlement a un effet sur un droit ancestral existant doit être examinée soigneusement de manière à assurer la reconnaissance et la confirmation de ce droit.
La reconnaissance constitutionnelle exprimée dans la disposition en cause permet donc, dans une certaine mesure, de contrôler la conduite du gouvernement et de limiter fortement le pouvoir du législateur. Bien qu'elle ne constitue pas une promesse d'immunité contre la réglementation gouvernementale dans une société qui, au XXe siècle, devient de plus en plus complexe et interdépendante et où il est nécessaire de protéger et de gérer les ressources épuisables, cette reconnaissance représente un engagement important de la part de la Couronne. Le gouvernement se voit imposer l'obligation de justifier toute mesure législative qui a un effet préjudiciable sur un droit ancestral protégé par le par. 35(1).
Dans les présents motifs, nous entendons exposer l'analyse appropriée aux fins du par. 35(1) dans le contexte d'un règlement pris en vertu de la Loi sur les pêcheries. Nous tenons à souligner relativement au par. 35(1) l'importance du contexte et d'un examen cas par cas. Étant donné la généralité du texte de la disposition constitutionnelle en cause et compte tenu surtout des complexités que présentent l'histoire, la société et les droits des autochtones, les limites d'une norme justificative doivent être fixées dans le contexte factuel particulier de chaque cas.
Le paragraphe 35(1) et la réglementation des pêcheries
Nous servant du cadre que nous venons de décrire, nous nous proposons d'énoncer le critère applicable pour déterminer s'il y a atteinte à première vue à un droit ancestral existant, d'une part, et pour justifier cette atteinte, d'autre part. En ce qui a trait à la question de la réglementation des pêcheries, l'existence du par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 fait en sorte que l'arrêt R. v. Derriksan, précité, ne s'applique pas. Dans cette affaire, le juge en chef Laskin a statué, au nom de notre Cour, que rien n'empêchait la Loi sur les pêcheries et ses règlements d'application d'assujettir aux contrôles y prévus le droit ancestral, qu'on revendiquait, de pêcher dans une zone déterminée. Comme le fait remarquer la Cour d'appel en l'espèce, il ressort du courant de jurisprudence établi par l'arrêt Derriksan qu'avant le 17 avril 1982, le droit de pêche ancestral était soumis à une réglementation par voie législative et était susceptible d'extinction. Or, le nouveau statut constitutionnel de ce droit consacré au par. 35(1) laisse entendre qu'on doit procéder différemment en décidant si la réglementation des pêcheries pourrait être incompatible avec la protection constitutionnelle.
La première question à poser est de savoir si la loi en question a pour effet de porter atteinte à un droit ancestral existant. Dans l'affirmative, elle constitue une violation à première vue du par. 35(1). Le Parlement n'est pas censé agir d'une manière contraire aux droits et aux intérêts des autochtones et, en réalité, il peut être empêché de le faire par la seconde étape de l'analyse fondée sur le par. 35(1) . L'analyse portant sur l'atteinte commence par un examen des caractéristiques ou des attributs du droit en question. Nos observations précédentes concernant la portée du droit de pêche ancestral sont pertinentes à ce propos. Les droits de pêche ne sont pas des droits de propriété au sens traditionnel. Il s'agit de droits qui appartiennent à un groupe et qui sont en harmonie avec la culture et le mode de vie de ce groupe. Les tribunaux doivent donc prendre soin d'éviter d'appliquer les concepts traditionnels de propriété propres à la common law en tentant de saisir ce qu'on appelle, dans les motifs de jugement de l'affaire Guerin, précitée, à la p. 382, la nature "sui generis" des droits ancestraux. (Voir aussi Little Bear, "A Concept of Native Title," [1982] 5 Can. Legal Aid Bul. 99.)
S'il est impossible de donner une définition simple des droits de pêche, il est possible et même crucial de se montrer ouvert au point de vue des autochtones eux‑mêmes quant à la nature des droits en cause. Il serait artificiel, par exemple, de tenter d'établir une distinction nette entre le droit de pêche et la manière précise dont ce droit est exercé.
Pour déterminer si les droits de pêche ont subi une atteinte constituant une violation à première vue du par. 35(1), on doit poser certaines questions. Premièrement, la restriction est‑elle déraisonnable? Deuxièmement, le règlement est‑il indûment rigoureux? Troisièmement, le règlement refuse‑t‑il aux titulaires du droit le recours à leur moyen préféré de l'exercer? C'est au particulier ou au groupe qui conteste la mesure législative qu'il incombe de prouver qu'il y a eu violation à première vue. En ce qui concerne les faits du présent pourvoi, le règlement serait jugé constituer une atteinte à première vue si on concluait qu'il impose une restriction néfaste à l'exercice par les Musqueams de leur droit de pêcher à des fins de subsistance. Nous tenons à souligner ici que la question en litige n'exige pas simplement qu'on examine si la prise autorisée de poissons a été réduite au‑dessous de ce qui est requis pour subvenir aux besoins alimentaires et rituels raisonnables des Musqueams. Le critère nécessite plutôt qu'on se demande si, de par son objet ou son effet, la restriction imposée quant à la longueur des filets porte atteinte inutilement aux intérêts protégés par le droit de pêche. Si, par exemple, les Musqueams se voyaient astreints à des pertes injustifiables de temps et d'argent par poisson pris ou si la restriction quant à la longueur des filets faisait en sorte qu'il serait difficile aux Musqueams de prendre du poisson, cela suffirait pour satisfaire aux exigences du premier volet de l'analyse fondée sur le par. 35(1).
Si on conclut à l'existence d'une atteinte à première vue, l'analyse porte ensuite sur la question de la justification. C'est là le critère qui touche la question de savoir ce qui constitue une réglementation légitime d'un droit ancestral garanti par la Constitution. L'analyse de la justification se déroulerait comme suit. En premier lieu, il faut se demander s'il existe un objectif législatif régulier. À ce stade, la cour se demanderait si l'objectif visé par le Parlement en autorisant le ministère à adopter des règlements en matière de pêche est régulier. Serait également examiné l'objectif poursuivi par le ministère en adoptant le règlement en cause. L'objectif de préserver, par la conservation et la gestion d'une ressource naturelle par exemple, des droits visés au par. 35(1) serait régulier. Seraient également réguliers des objectifs visant apparemment à empêcher l'exercice de droits visés au par. 35(1) lorsque cet exercice nuirait à l'ensemble de la population ou aux peuples autochtones eux‑mêmes, ou d'autres objectifs jugés impérieux et réels.
La Cour d'appel en l'espèce a décidé, à la p. 331, qu'une réglementation pourrait être valide si elle était raisonnablement justifiée comme [TRADUCTION] "nécessaire pour la gestion et la conservation judicieuses des ressources ou dans l'intérêt public". (Nous soulignons.) Nous considérons que la justification fondée sur "l'intérêt public" est si vague qu'elle ne fournit aucune ligne directrice utile et si générale qu'elle est inutilisable comme critère applicable pour déterminer si une restriction imposée à des droits constitutionnels est justifiée.
Par contre, la justification de la conservation et de la gestion des ressources ne constitue sûrement pas un sujet de controverse. Dans l'affaire Kruger c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 104, notre Cour s'est penchée sur la question de l'applicabilité de la Wildlife Act de la Colombie‑Britannique, S.B.C. 1966, ch. 55, aux appelants membres de la bande indienne Penticton. En analysant cette loi, on affirme au sujet de l'objectif de conservation (à la p. 112):
Les lois sur la conservation de la faune ont pour but la protection du gibier. On peut soutenir que sans mesure de protection, l'anéantissement de la faune rendrait théorique la question du droit des Indiens ou d'autres personnes de chasser pour se nourrir. Il faut présumer que le texte législatif en cause est valide. En l'espèce, cela signifie qu'en l'absence d'une preuve à l'effet contraire, il faut aussi présumer que les mesures adoptées par la Législature de la Colombie‑Britannique ont pour but la protection efficace de la faune de la province, pour ses habitants, et ne visent pas à opposer les intérêts des écologistes à ceux des Indiens en favorisant les revendications des premiers.
Bien que la "présomption" de validité soit maintenant désuète étant donné le statut constitutionnel des droits ancestraux en cause, il est évident que l'importance des objectifs de conservation est reconnue depuis longtemps en matière de législation et d'action gouvernementales. De plus, la conservation et la gestion de nos ressources sont compatibles avec les croyances et les pratiques des autochtones et, en fait, avec la mise en valeur des droits de ces derniers.
Si on conclut à l'existence d'un objectif législatif régulier, on passe au second volet de la question de la justification. Ici, nous nous référons au principe directeur d'interprétation qui découle des arrêts Taylor and Williams et Guerin, précités. C'est-à-dire, l'honneur de Sa Majesté est en jeu lorsqu'Elle transige avec les peuples autochtones. Les rapports spéciaux de fiduciaire et la responsabilité du gouvernement envers les autochtones doivent être le premier facteur à examiner en déterminant si la mesure législative ou l'action en cause est justifiable.
Le problème qui se pose en évaluant la mesure législative en fonction de son objectif et de la responsabilité de la Couronne, est que les efforts de conservation dans une industrie de la pêche moderne fortement exploitée se heurtent inévitablement à la répartition et à la gestion efficaces d'une ressource à la fois peu abondante et très prisée. La nature de la protection constitutionnelle qu'offre le par. 35(1) dans ce contexte commande l'existence d'un lien entre la question de la justification et l'établissement de priorités dans le domaine de la pêche. La reconnaissance et la confirmation des droits ancestraux, prévues dans la Constitution, peuvent donner lieu à des conflits avec les intérêts d'autrui étant donné la nature limitée de la ressource. De toute évidence, on a besoin de lignes directrices qui permettront de résoudre les problèmes de répartition des ressources qui surgissent dans le domaine des pêcheries. Pour de telles lignes directrices, nous renvoyons aux motifs du juge Dickson (maintenant Juge en chef) dans l'affaire Jack c. La Reine, précité.
Dans l'affaire Jack, les appelants, accusés d'avoir pêché le saumon pendant une période et en un endroit prohibés, ont invoqué comme moyen de défense la prétendue absence de compétence constitutionnelle du Parlement pour légiférer de manière à priver les Indiens du droit de pêcher pour se nourrir. Ils ont fait valoir que l'art. 13 des Conditions de l'adhésion de la Colombie-Britannique imposait une limite constitutionnelle au pouvoir réglementaire fédéral. Tout en reconnaissant que la conclusion qu'une telle limite avait été imposée n'a pas été adoptée par la majorité dans notre Cour, nous soulignons qu'il s'agit en l'espèce d'une promesse constitutionnelle différente, par suite de laquelle notre Cour est appelée à donner un sens utile aux notions de reconnaissance et de confirmation. C'est là une tâche dont l'accomplissement nécessite des lignes directrices tout aussi utiles qui tiennent compte de la priorité constitutionnelle accordée aux droits ancestraux. En conséquence, nous reprenons le passage suivant de l'arrêt Jack, à la p. 313:
La protection des ressources constitue une considération législative valide. Les appelants l'admettent. Ce qui les préoccupe c'est plutôt la répartition des ressources après la détermination et l'application des mesures de protection raisonnables et nécessaires. Ils ne réclament pas le droit de pêcher jusqu'au dernier saumon. Ils préconisent plutôt, me semble‑t‑il, l'ordre de priorité suivant: (i) la protection de la ressource; (ii) la pêche par les Indiens; (iii) la pêche commerciale par les non‑Indiens; ou (iv) la pêche sportive par les non‑Indiens; les Indiens ne devraient pas subir en premier lieu le fardeau des mesures de protection.
J'accepte cet argument dans ses grandes lignes. [. . .] En ce qui concerne la pêche du saumon, les pêcheurs indiens doivent avoir priorité, sous réserve des difficultés pratiques relatives aux eaux internationales et aux déplacements du poisson. Mais toute restriction à la pêche par les Indiens établie conformément à un objectif valide de protection des ressources l'emporte sur la protection de la pêche par les Indiens prévue à l'art. 13, au même titre que ces mesures de protection l'emportent sur les autres genres de pêche.
La nature constitutionnelle du droit des Musqueams de pêcher à des fins de subsistance fait en sorte que, dans l'établissement des priorités suite à la mise en {oe}uvre de mesures de conservation valides, il faut accorder la priorité absolue à la pêche par les Indiens à des fins de subsistance. Si l'objectif visé se rapportait à la conservation des ressources, le plan de conservation serait examiné en vue de déterminer les priorités. Bien que la répartition détaillée de ressources maritimes soit une tâche devant être confiée aux experts dans le domaine, on doit satisfaire d'abord aux besoins alimentaires des Indiens en procédant à cette répartition. L'importance d'accorder la priorité absolue au droit ancestral de pêcher pour se nourrir peut s'expliquer ainsi. Si, au cours d'une année donnée, il s'avérait nécessaire pour les besoins de la conservation de réduire le nombre de prises de poisson et que ce nombre soit égal à celui requis par les Indiens pour leur alimentation, alors il résulterait de la nature constitutionnelle de leur droit de pêche que c'est aux Indiens que reviendrait la totalité des poissons pouvant être pris suite aux mesures de conservation. Si, d'une manière plus réaliste, il restait encore du poisson après que les besoins alimentaires des Indiens eurent été satisfaits, ce seraient alors les pêcheurs sportifs et les pêcheurs commerciaux qui feraient les frais de ces mesures de conservation.
Dans l'arrêt R. v. Denny (1990), 9 W.C.B. (2d) 438, inédit rendu le 5 mars 1990, la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse se penche sur la constitutionnalité du droit des Indiens Micmacs de Nouvelle‑Écosse de pêcher dans les eaux du ruisseau Indian et de la rivière Afton et elle le fait d'une manière conforme à notre compréhension de la nature constitutionnelle des droits ancestraux et du lien entre la répartition et la justification qui est requis pour que le gouvernement puisse réglementer l'exercice de ces droits. Le juge en chef Clarke a décidé, au nom d'une cour unanime, que les Fishery Regulations de la Nouvelle‑Écosse pris en vertu de la Loi sur les pêcheries fédérale étaient incompatibles en partie avec les droits constitutionnels des Micmacs appelants. Le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 conférait aux appelants le droit d'obtenir la priorité absolue sur tout surplus de poisson pouvant exister après la prise en considération des besoins en matière de conservation. Quant à la question de la priorité du droit des Indiens de pêcher pour se nourrir, le juge en chef Clarke fait remarquer que le gouvernement fédéral reconnaît officiellement cette priorité. Il ajoute, aux pp. 22 et 23:
[TRADUCTION] Je conclus sans hésitation que l'existence du droit des Indiens, sous réserve des exigences de la conservation, de pêcher à des fins de subsistance dans les eaux du ruisseau Indian, adjacentes à la réserve Eskasoni, et dans les eaux de la rivière Afton, doit être reconnue aussi bien dans les faits que sur les plans de la législation et des politiques . . .
Il ne convient simplement pas que le gouvernement fédéral accorde à des groupes d'usagers tels que les pêcheurs sportifs (les pêcheurs à la ligne) une priorité en matière de pêche qui l'emporte sur les besoins alimentaires légitimes des appelants et de leurs familles. Cela est inconciliable avec le fait que les appelants jouissent depuis bien des années d'un droit ancestral de pêcher à des fins de subsistance. Les appelants, pour reprendre la formule de leur avocat, ont "droit à une part de la ressource disponible". Ce droit constitutionnel ne cède le pas qu'aux mesures de conservation pouvant être prévues dans des lois fédérales.
Le juge en chef Clarke a conclu en outre que le par. 35(1) énonçait la reconnaissance constitutionnelle de la priorité des autochtones en matière de pêche et que le règlement, du fait qu'il ne garantissait pas cette priorité, violait cette disposition constitutionnelle. Il dit, à la p. 25:
[TRADUCTION] Quoiqu'il importe au plus haut degré de comprendre que les droits conférés aux appelants par le par. 35(1) ne sont pas absolus, le règlement contesté pèche par l'omission de reconnaître que ce paragraphe accorde aux appelants la priorité dans la répartition de tout surplus de poisson ainsi que l'accès en priorité à ce surplus après qu'ont été pris en considération les besoins en matière de conservation. Appliqué aux présents appels, le paragraphe 35(1) accorde aux appelants le droit de pêcher dans les eaux en cause pour répondre à leurs besoins alimentaires lorsqu'il existe un surplus. Dans la mesure où le règlement ne reconnaît pas cela, il est incompatible avec la Constitution. L'article 52 requiert qu'un tel règlement soit déclaré inopérant.
Compte tenu de ce point de vue, l'argument voulant que les arrêts R. v. Hare and Debassige, précité, et R. v. Eninew, R. v. Bear (1984), 12 C.C.C. (3d) 365 (C.A. Sask.), établissent que le par. 35(1) ne justifie aucunement la restriction du pouvoir réglementaire doit être rejeté, comme l'a fait la Cour d'appel en l'espèce. Dans l'arrêt Hare and Debassige, où l'on aborde la question de savoir si le Règlement de pêche de l'Ontario, C.R.C. 1978, ch. 879, s'applique aux membres d'une bande indienne visée par le traité de l'île Manitoulin, qui est attributif de certains droits relatifs à la prise de poissons, le juge Thorson souligne la nécessité de donner la priorité aux mesures de gestion et de conservation des stocks de poisson en faisant remarquer (à la p. 17):
[TRADUCTION] Depuis 1867 et sous réserve des restrictions imposées par la Constitution qui, bien entendu, comprend maintenant l'art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, le pouvoir et la responsabilité constitutionnels de légiférer en matière de pêcheries reviennent au Parlement. La nécessité d'assurer la saine gestion et conservation de nos stocks de poisson ainsi que la nécessité de veiller à ce qu'ils ne soient réduits et que leur existence ne soit pas compromise par des pratiques ou des méthodes de pêche délétères, ont constitué, et constituent encore, des aspects fondamentaux de la responsabilité du Parlement à cet égard.
Les interdictions énoncées aux art. 12 et 20 du règlement ontarien servent manifestement cette fin. Par conséquent, il est loisible à nos tribunaux de tenir compte du fait que, si ces interdictions imposent des restrictions aux droits de tous, leur raison d'être est de servir l'intérêt plus général qu'a tout le monde à ce qu'il y ait une saine gestion et conservation de ces ressources importantes.
Dans l'arrêt Eninew, le juge Hall de la Cour d'appel conclut, à la p. 368, que [TRADUCTION] "les droits issus de traités peuvent être limités par une réglementation raisonnable". Comme nous l'avons déjà fait remarquer, la gestion et la conservation de ressources constituent vraiment un objectif législatif important et régulier. Pourtant, le fait que cet objectif soit "raisonnable" ne saurait suffire comme reconnaissance et confirmation constitutionnelles de droits ancestraux. Au contraire, les règlements appliqués conformément à un objectif de conservation ou de gestion peuvent être examinés selon la norme de justification énoncée plus haut.
Nous reconnaissons que la norme de justification à respecter est susceptible d'imposer un lourd fardeau à Sa Majesté. Toutefois, la politique gouvernementale relativement à la pêche en Colombie‑Britannique commande déjà, et ce, indépendamment du par. 35(1), que, dans l'attribution du droit de prendre du poisson, le droit des Indiens de pêcher à des fins d'alimentation ait la priorité sur les intérêts d'autres groupes d'usagers. Le droit constitutionnel énoncé au par. 35(1) exige que Sa Majesté assure que Ses règlements respectent cette attribution de priorité. Cette exigence ne vise pas à miner la capacité et la responsabilité du Parlement de créer et d'administrer des plans globaux de conservation et de gestion concernant la pêche au saumon. L'objectif est plutôt de garantir que ces plans réservent aux peuples autochtones un traitement qui assure que leurs droits sont pris au sérieux.
Il y a, dans l'analyse de la justification, d'autres questions à aborder, selon les circonstances de l'enquête. Il s'agit notamment des questions de savoir si, en tentant d'obtenir le résultat souhaité, on a porté le moins possible atteinte à des droits, si une juste indemnisation est prévue en cas d'expropriation et si le groupe d'autochtones en question a été consulté au sujet des mesures de conservation mises en {oe}uvre. On s'attendrait certainement à ce que les peuples autochtones, traditionnellement sensibilisés à la conservation et ayant toujours vécu dans des rapports d'interdépendance avec les ressources naturelles, soient au moins informés relativement à la conception d'un régime approprié de réglementation de la pêche.
Nous ne nous proposons pas de présenter une énumération exhaustive des facteurs à considérer dans l'appréciation de la justification. Qu'il suffise de souligner que la reconnaissance et la confirmation exigent que le gouvernement, les tribunaux et même l'ensemble des Canadiens soient conscients des droits des peuples autochtones et qu'ils les respectent.
Application à la présente affaire -‑ La limitation de la longueur des filets est‑elle valide?
La Cour d'appel a conclu en l'espèce à l'absence d'éléments de preuve suffisants pour permettre de procéder à une analyse du par. 35(1) dans le contexte du droit de pêcher à des fins de subsistance. Après avoir examiné les témoignages contradictoires des experts et reconnaissant que la gestion des stocks de poisson est une science approximative, on a jugé que les questions en litige se prêtaient mal à une décision d'une cour d'appel.
Avant le procès, l'avocat de la défense a prévenu le ministère public de son intention d'invoquer les droits ancestraux comme moyen de défense et lui a fait savoir que la position de la défense serait qu'il incombait au ministère public de prouver que la restriction imposée quant à la longueur des filets était justifiable à titre de mesure de conservation nécessaire et raisonnable. Le juge de première instance a décidé que le par. 35(1) était inapplicable au moyen de défense soulevé par l'appelant, vu sa conclusion qu'on n'avait pas établi l'existence d'un droit ancestral. Il a en conséquence décidé qu'il ne convenait pas de tirer des conclusions de fait relativement à une atteinte possible au droit de pêche ancestral ou à la justification d'une telle atteinte. Il a toutefois estimé que la preuve produite par l'appelant [TRADUCTION] "[l]aisse planer des doutes quant à savoir si la restriction s'imposait à titre de mesure de conservation. Plus particulièrement, elle laisse entendre qu'il existait des mesures plus appropriées qui auraient pu être prises au besoin, des mesures qui seraient moins rigoureuses pour les Indiens qui pêchent à des fins de subsistance. C'est là une preuve qui n'a pas été pleinement réfutée par le ministère public."
D'après la Cour d'appel, les conclusions de fait étaient insuffisantes pour justifier un acquittement. Il n'y avait pas plus d'éléments de preuve devant notre Cour. Nous sommes également d'avis d'ordonner un nouveau procès qui permettrait de tirer des conclusions de fait conformément aux critères énoncés dans les présents motifs.
Il incomberait à l'appelant de démontrer que la restriction imposée quant à la longueur des filets constitue une atteinte à première vue au droit ancestral collectif de pêcher à des fins de subsistance. Si on concluait à l'existence d'une atteinte, le fardeau de la preuve passerait au ministère public qui devrait alors démontrer que le règlement est justifiable. Pour ce faire, il lui faudrait prouver l'absence de tout objectif inconstitutionnel sous‑jacent, comme celui d'attribuer une part plus importante de la ressource en question à un groupe d'usagers qui prend rang après les Musqueams. Il lui faudrait en outre démontrer que le règlement qu'on cherchait à imposer était nécessaire pour réaliser la restriction requise. En tentant d'établir que cette restriction s'imposait dans les circonstances de la pêche sur le fleuve Fraser, le ministère public pourrait se servir de faits relatifs à la pêche par d'autres Indiens du fleuve Fraser.
En conclusion, nous sommes d'avis de rejeter le pourvoi et le pourvoi incident et de confirmer l'annulation de la déclaration de culpabilité, prononcée par la Cour d'appel. En conséquence, nous sommes d'avis de confirmer l'ordonnance de nouveau procès quant à la question de l'atteinte et à celle de savoir si une atteinte est néanmoins compatible avec le par. 35(1), conformément à l'interprétation exposée dans les présents motifs.
Pour les motifs que nous venons d'exposer, la question constitutionnelle doit recevoir la réponse suivante:
QuestionLa limite de la longueur des filets contenue dans le permis de pêche de subsistance des Indiens de la bande des Musqueams, délivré le 30 mars 1984 conformément au Règlement de pêche général de la Colombie-Britannique et à la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F‑14, est‑elle incompatible avec le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?
RéponseCette question devra être renvoyée en première instance afin de recevoir une réponse conformément à l'analyse exposée dans les présents motifs.
Pourvoi et pourvoi incident rejetés. La question constitutionnelle doit être renvoyée en première instance afin de recevoir une réponse conformément à l'analyse exposée dans les présents motifs.
Procureurs de l'appelant: Blake, Cassels & Graydon, Toronto.
Procureurs de l'intimée: Braidwood, MacKenzie, Brewer & Greyell, Vancouver.
Procureurs de l'intervenante la Fraternité des Indiens du Canada / Assemblée des premières nations: Pape & Salter, Vancouver.
Procureurs des intervenants la B. C. Wildlife Federation, la Steelhead Society of British Columbia, la Pacific Fishermen's Defence Alliance, Northern Trollers' Association, la Pacific Gillnetters Association, la Gulf Trollers' Association, la Pacific Trollers' Association, la Prince Rupert Fishing Vessel Owners' Association, la Fishing Vessel Owners' Association of British Columbia, la Pacific Coast Fishing Vessel Owners' Guild, la Prince Rupert Fishermen's Cooperative Association, la Co-op Fishermen's Guild et la Deep Sea Trawlers' Association of B.C.: Russell & DuMoulin, Vancouver.
Procureurs de l'intervenant le Fisheries Council of British Columbia: Mawhinney & Kellough, Vancouver.
Procureurs de l'intervenant le Syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés: Rankin & Company, Vancouver.
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Le sous‑procureur général, Toronto.
Procureur de l'intervenant le procureur général du Québec: Le procureur général du Québec, Ste-Foy.
Procureur de l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique: Le procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.
Procureur de l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan: Brian Barrington-Foote, Regina.
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Alberta: Le ministère du Procureur général de l'Alberta, Edmonton.
Procureur de l'intervenant le procureur général de Terre-Neuve: Le procureur général de Terre‑Neuve, St. John's.