Cour suprême du Canada
R. c. Moreau, [1979] 1 R.C.S. 261
Date: 1978-10-17
Sa Majesté La Reine Appelante;
et
Claude Moreau Intimé.
1978: 15 mars; 1978: 17 octobre.
Présents: le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC
Droit criminel—Alcootest—Instrument approuvé—Marge d’erreur de l’instrument—Preuve contraire—Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 236, 237.
Appel—Infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité—Question de droit—Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 771(1)a)—Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S-19 (modifié par 1974-75-76 (Can.), chap. 18, art. 5), art. 41(3).
L’intimé a été inculpé, sur déclaration sommaire de culpabilité, d’avoir conduit un véhicule à moteur alors qu’il avait consommé une quantité d’alcool dépassant 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang. Le certificat d’un technicien qualifié, établi à l’aide d’un ivressomètre Borkenstein, un instrument approuvé aux termes du par. 237(6) C.cr., démontrait que l’intimé avait un taux d’alcoolémie de 90 milligrammes par 100 millilitres de sang, et ce dernier a été déclaré coupable par un juge municipal. En appel en Cour supérieure, par voie de procès de novo, un expert a témoigné que les ivressomètres Borkenstein étaient sujets à une marge d’erreur de 10 milligrammes, en plus ou en moins, et le juge a considéré que ce témoignage non contredit constituait une «preuve contraire» aux termes de l’al. 237(1)c) C.cr. et suffisait à soulever un doute raisonnable justifiant l’acquittement. La majorité de la Cour d’appel a confirmé le jugement de la Cour supérieure pour le seul motif que l’appel ne comportait aucune question de droit et que, par conséquent, le ministère public n’avait pas de droit d’appel. Cette Cour, ayant autorisé le ministère public aux termes du par. 41(3) de la Loi sur la Cour suprême à se pourvoir contre cet arrêt, doit déterminer si le témoignage de l’expert constitue une preuve contraire au sens du Code et si une question de droit est soulevée.
Arrêt (le juge en chef Laskin et les juges Spence, Dickson et Estey étant dissidents): Le pourvoi doit être accueilli.
Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz et Pratte: Aux termes de l’al. 237(1)c) C.cr., une preuve contraire
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doit être une preuve tendant à démontrer que le taux d’alcoolémie de l’accusé au moment de l’infraction alléguée ne correspond pas au résultat de l’analyse chimique. La preuve apportée par le témoignage de l’expert, en l’espèce, ne vise pas à réfuter la présomption établie par le Code, mais elle veut en nier l’existence même. Une telle preuve, dont le seul effet est de démontrer en termes généraux l’imprécision possible des éléments du système ou la faillibilité inhérente d’instruments approuvés par la loi, n’est pas une preuve contraire. On ne peut, en effet, mettre sur un pied d’égalité les instruments approuvés par la loi et les instruments ordinaires. Il faut considérer que le Parlement, lorsqu’il a prescrit l’analyse par des instruments approuvés, a tenu compte des limites inhérentes à tout instrument et qu’il voulait que Ton applique exactement une interdiction précise.
En second lieu, puisque la question principale dépend de l’interprétation d’une disposition du Code criminel, savoir en quoi consiste une preuve contraire, elle soulève une question de droit.
Le juge en chef Laskin et les juges Spence, Dickson et Estey, dissidents: Les prétentions du ministère public ne font ressortir aucune question de droit, une fois admis que le témoignage de l’expert était recevable et pertinent. La portée d’une preuve et la question de savoir si elle peut soulever des doutes raisonnables sont des exemples courants de points qui ne soulèvent pas de question de droit. Par contre, l’accusé ne doit pas être condamné au vu d’un certificat irréfutable fondé sur l’utilisation d’une machine faillible. On ne peut présumer, en l’absence de toute preuve du ministère public en ce sens, que le technicien a tenu compte de la marge d’erreur possible de l’instrument. Il faudrait des termes beaucoup plus explicites que l’al. 237(1)c) C.cr. pour conclure que l’accusé ne peut contester les résultats de l’analyse chimique en mettant en doute la précision de l’instrument approuvé utilisé.
[Jurisprudence: R. v. Davis (1973), 14 C.C.C. (2d) 513 (arrêt discuté); R. v. Gaetz (1972), 8 C.C.C. (2d) 3; Shafer v. Regina (1971), 5 W.W.R. 692; R. v. Westman (1973), 11 C.C.C. (2d) 355; R. v. Falkenham (1974), 22 C.C.C. (2d) 385.]
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec[1] confirmant un jugement de la Cour supérieure de juridiction criminelle qui avait
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accueilli l’appel d’une déclaration de culpabilité prononcée par un juge municipal. Pourvoi accueilli, le juge en chef Laskin et les juges Spence, Dickson et Estey étant dissidents.
Rémi Bouchard, pour l’appelante.
Gilles Garneau et Wildy Fontain, pour l’intimé.
Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Spence, Dickson et Estey a été rendu par
LE JUGE EN CHEF (dissident)—Le présent pourvoi, interjeté par le ministère public sur autorisation, attaque un arrêt de la Cour d’appel du Québec (le juge en chef Tremblay et le juge Kaufman, le juge Bernier étant dissident) confirmant un jugement du juge Fournier de la Cour supérieure du Québec qui a annulé, à la suite d’un procès de novo, la déclaration de culpabilité de l’intimé, inculpé en vertu du par. 236(1) du Code criminel. Aux termes de cet article, l’intimé est accusé d’avoir eu le contrôle d’un véhicule à moteur alors qu’il avait consommé une quantité d’alcool telle que la proportion d’alcool dans son sang dépassait 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang.
Le ministère public ne pouvait se pourvoir de plein droit en vertu de l’al. 621(1)a) du Code criminel en se fondant sur la dissidence du juge Bernier sur une question de droit, puisque cette disposition s’applique uniquement aux procédures par acte d’accusation et qu’en l’espèce, l’accusé est inculpé d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité. En outre, en vertu de l’al. 621(1)b), le pourvoi du ministère public sur autorisation est limité aux questions de droit et doit également avoir trait à des procédures par acte d’accusation, comme le montre clairement l’ai. 605(1)a). Cette disposition donne au ministère public le droit d’interjeter appel d’un verdict d’acquittement devant une cour d’appel provinciale, sur une question de droit seulement. Le présent pourvoi ne peut donc se fonder que sur le par. 41(3) de la Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S-19, modifié par 1974-75-76 (Can.), chap. 18, art. 5, qui permet l’appel, sur une question de droit, d’un jugement d’une cour d’appel provinciale agissant en vertu de l’al. 771(1)a) du Code criminel.
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L’avocat du ministère public prétend que la décision de la majorité en Cour d’appel contient trois erreurs de droit. Le juge Kaufman, parlant au nom de la majorité, est d’avis qu’il n’y avait pas de question de droit, comme l’exige l’al. 771(1)a), et il aurait rejeté l’appel sur ce seul motif. Toutefois, présumant qu’une question de droit était soulevée, il a examiné l’appel au fond et l’a rejeté.
Les questions soulevées par le ministère public résultent des faits suivants. Le ministère public cherche à faire la preuve de l’accusation portée contre l’accusé en produisant le certificat d’un technicien qualifié qui, utilisant un ivressomètre Borkenstein, désigné par le n° 4799, un «instrument approuvé» aux termes du par. 237(6), a constaté que l’accusé avait un taux d’alcoolémie de 90 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang.
L’alinéa 237(1)c) du Code criminel porte que la preuve du résultat de l’analyse fait preuve, «en l’absence de toute preuve contraire», de la proportion d’alcool dans le sang du prévenu au moment pertinent. On ne conteste pas en l’espèce que le certificat d’analyse était recevable aux termes de l’al. 237(1)f). Au cours de son procès de novo devant le juge Fournier, l’accusé a cité un expert dont la compétence à témoigner au sujet de l’ivres-somètre de type Borkenstein n’a pas été mise en doute. Ce dernier a déposé que le résultat enregistré par l’instrument approuvé en l’espèce pouvait présenter une marge d’erreur de 10 milligrammes, en plus ou en moins. Le juge Fournier, ne partageant pas sur ce point l’opinion du juge du premier procès, a conclu que ce témoignage était recevable, qu’il soulevait un doute raisonnable et qu’il constituait une «preuve contraire» aux termes de l’al. 237(1)c), de sorte que le ministère public n’avait pas apporté la preuve hors de tout doute raisonnable de l’accusation portée contre le prévenu. En résumé, il a jugé que l’accusé n’avait d’autre obligation que de soulever un doute raisonnable en présentant sa preuve.
La recevabilité du témoignage de l’expert sur la marge d’erreur de ce type particulier d’instrument approuvé n’est pas contestée devant la présente Cour, mais le ministère public prétend que la Cour d’appel a erré en droit en décidant (1) que la
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portée donnée à la preuve de la défense par le juge du procès de novo est une question de fait; (2) que la preuve générale sur la précision de l’instrument approuvé constitue une «preuve contraire» au sens de l’al. 237(1)c); et (3) que cette seule preuve permet d’accorder à l’accusé le bénéfice du doute raisonnable. Cette façon directe d’énumérer les prétentions qu’a formulées le ministère public dans son factum et dans sa plaidoirie, ne fait ressortir aucune question de droit une fois qu’il est admis, comme ce fut le cas, que le témoignage de l’expert cité par la défense était recevable et donc pertinent, c’est-à-dire pertinent à la seule question en litige, savoir, s’il a été prouvé hors de tout doute raisonnable que le taux d’alcoolémie dans le sang de l’accusé dépassait la limite permise. Le premier et le troisième moyens du ministère public ne révèlent certainement aucune erreur de droit. La portée d’une preuve et la question de savoir si elle peut soulever un doute raisonnable sont des exemples courants de points qui ne soulèvent pas de question de droit. Voir Sunbeam Corporation (Canada) Ltd. c. La Reine[2].
Le deuxième moyen ne me semble soulever que la question de la pertinence du témoignage de l’expert, et là-dessus je n’ai aucun doute. L’approbation d’un ivressomère, en vertu du par. 237(6), ne s’applique pas à un instrument en particulier mais à un type particulier d’instrument. Aux termes de l’art. 237, le ministère public est autorisé à utiliser un moyen spécial pour établir un fait essentiel à la condamnation de l’accusé, et cette preuve implique l’utilisation d’un ivressomètre d’un type approuvé par le procureur général du Canada. L’accusé peut sûrement présenter une preuve qui, si elle est acceptée, comme en l’espèce, a pour effet de révéler l’existence d’une marge d’erreur assez élevée pour soulever un doute quant au résultat obtenu par le technicien qualifié.
Il s’ensuit que s’il existe dans ce cas une question de droit, elle doit résulter du moyen selon lequel une «preuve contraire» doit désigner une preuve qui n’a pas pour seul effet de faire naître un doute mais qui, selon la prépondérance des probabilités,
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peut l’emporter sur le certificat d’analyse. Cependant, ni l’avocat du ministère public ni le juge dissident n’ont adopté ce point de vue et je crois qu’ils ont eu raison. Il suffit d’opposer les actuelles dispositions de l’al. 237(1)c), qui utilisent l’expression «en l’absence de toute preuve contraire», à l’al. 237(1)a), qui contient une disposition déterminative suivie des mots «à moins qu’il n’établisse», pour démontrer que, dans ce dernier cas, le fardeau de la preuve qui incombe à l’accusé est différent et plus lourd: voir R. c. Appleby[3]. Les propos du juge Ritchie, formulés au nom de cette Cour dans R. c. Noble[4], à la p. 638, relativement au «fardeau» imposé à l’accusé par l’al. 237(1)c), ne doivent pas être interprétés comme obligeant un accusé à plus que soulever un doute raisonnable. Dans ce cas, cette Cour devait décider s’il fallait plus d’un échantillon d’haleine pour habiliter le ministère public à s’appuyer sur le certificat d’un technicien qualifié, et le juge Ritchie a insisté sur la nécessité d’interpréter strictement les dispositions statutaires qui «restreignent le droit normal du prévenu».
Le juge Bernier (ainsi que l’avocat du ministère public en défendant son point de vue) a insisté sur le fait que le témoignage de l’expert cité par l’accusé ne constitue pas une «preuve contraire» pouvant faire naître un doute parce que ce sont les résultats des analyses chimiques qui ont une force probante «en l’absence de toute preuve contraire», et donc que la justesse et la précision des résultats ne peuvent être contestés par le témoignage d’un expert démontrant qu’un type particulier d’instrument approuvé peut présenter une certaine marge d’erreur. En résumé, le juge Bernier considère que le technicien qualifié qui utilise l’instrument approuvé tient compte de cette marge d’erreur en appliquant ses connaissances techniques pour interpréter le résultat. Je ne suis pas prêt à faire de même en l’absence de toute preuve du ministère public établissant qu’on a tenu compte de cette marge d’erreur en déterminant que le taux d’alcoolémie était de 90 milligrammes.
L’accusé ne doit pas être condamné au vu d’un certificat irréfutable fondé sur l’utilisation d’une
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machine faillible. J’ai besoin de termes beaucoup plus explicites que ceux de l’al. 237(1)c) pour accorder un tel poids à une analyse chimique effectuée à l’aide d’un instrument approuvé. D’après mon interprétation de l’al. 237(1)c), l’accusé peut contester les résultats en mettant en doute la précision de l’instrument de mesure utilisé. L’opinion du savant juge dissident repose, en vérité, sur l’absence de rapport entre le témoignage de l’expert cité par la défense et le point soulevé dans la preuve présentée par le ministère public. Selon moi, il faut enterpréter ses motifs comme voulant dire que seule une preuve réfutant la présomption temporelle peut contrecarrer l’avantage accordé au ministère public par le moyen mis à sa disposition en vertu de l’al. 237(1)c). Ce moyen donne au ministère public le droit de s’appuyer sur une analyse postérieure au moment où l’infraction est alléguée avoir été commise pour établir le taux d’alcoolémie au moment de celle-ci. A mon avis, ce point de vue est trop restreint et le juge Kaufman a eu raison de se rallier aux opinions émises à ce sujet par le juge McFarlane dans R. v. Davis[5], une décision de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, et par le juge McDermid dans R. v. Ryckman[6], à la p. 296, une décision de la Division d’appel de l’Alberta.
Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Conformément aux conditions fixées par cette Cour en accordant l’autorisation d’appel, le ministère public devra payer les dépens de l’intimé comme entre avocat et client.
Le jugement des juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz et Pratte a été rendu par
LE JUGE BEETZ—L’intimé est accusé d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité aux termes de l’art. 236 du Code criminel, soit d’avoir conduit un véhicule à moteur alors qu’il avait consommé une quantité d’alcool telle que la proportion d’alcool dans son sang dépassait 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang. Son procès eut lieu devant un juge municipal, le juge Cossette. A l’exception des faits admis
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par la défense quant aux temps et lieu où l’intimé conduisait le véhicule à moteur, la preuve se limite aux certificats d’un analyste et d’un technicien qualifié établis conformément au par. 237(1). Le technicien, qui utilisait un modèle donné d’ivressomètre Borkenstein, un «instrument approuvé» aux termes du par. 237(6), a trouvé que l’intimé avait 90 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang. On n’avait pas exigé la présence de l’analyste ou du technicien pour contre-interrogatoire, aux termes du par. 237(4). La défense n’a présenté aucune preuve. Le juge Cossette a déclaré l’intimé coupable et l’a condamné à une amende de $50 plus les dépens, ou à quinze jours de prison à défaut de paiement.
L’intimé a interjeté appel en Cour supérieure par voie de procès de novo. Le procès fut tenu sur la base de la preuve produite devant le juge Cossette. En outre, cependant, l’accusé a cité un expert que la Cour supérieure a estimé objectif et très qualifié et dont le témoignage non contredit peut être résumé comme suit:
1) les ivressomètres Borkenstein du type ou modèle utilisé dans ce cas (modèle 900 ou 900A) sont sujets à une marge d’erreur de 10 milligrammes, en plus ou en moins;
2) cette possibilité d’erreur est inhérente à tous ces appareils, vu leur conception;
3) cette possibilité d’erreur est notoire, mais on ne recommande pas aux techniciens qualifiés d’en tenir compte; on leur apprend à considérer cet instrument comme exact aux fins de l’art. 237 si, dans l’analyse chimique de contrôle qu’ils doivent faire dans chaque cas avec une quantité connue d’alcool, la marge d’erreur n’excède pas 10 milligrammes en plus ou en moins;
4) l’ivressomètre Borkenstein utilisé dans ce cas et portant le numéro de série 4799 n’a été ni examiné ni vérifié par l’expert qui ne pouvait se souvenir de l’avoir déjà vu.
Il fut admis en outre au cours du procès de novo que le technicien qualifié a cité le chiffre indiqué
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par l’appareil sans tenir compte de la marge d’erreur possible.
Le juge Fournier a décidé que le témoignage de l’expert constituait une «preuve contraire» aux termes de l’al. 237(1)c) et suffisait à soulever un doute raisonnable. Il a donc annulé la déclaration de culpabilité et acquitté l’intimé.
Le ministère public s’est pourvu en Cour d’appel du Québec, avec l’autorisation de cette dernière. Aux termes de l’al. 771(1)a), il ne pouvait le faire que pour un motif comportant une question de droit.
La Cour d’appel (le juge en chef Tremblay et le juge Kaufman, le juge Bernier étant dissident) a confirmé le jugement du juge Fournier. Le juge en chef Tremblay et le juge Kaufman ont conclu que l’appel ne comportait aucune question de droit et l’auraient rejeté sur ce seul motif. Le juge Kaufman aurait en outre rejeté l’appel au fond, à supposer qu’il comportât une question de droit, pour la raison principale qu’un accusé ne doit pas être limité, [TRADUCTION] «dans sa défense, à la preuve tendant à démontrer que ses capacités n’étaient pas affaiblies parce qu’il n’avait pas consommé d’alcool ou n’en avait consommé qu’une faible quantité».
Le ministère public se pourvoit devant cette Cour, sur autorisation, et son pourvoi est limité à une question de droit ou de juridiction: par. 41(3) de la Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S-19, modifié par 1974-75-76 (Can.), chap. 18, art. 5.
A l’époque pertinente, l’art. 237 du Code criminel disposait notamment:
237. (1) Dans toutes procédures en vertu de l’article 234 ou 236,
…
c) lorsqu’un échantillon de l’haleine du prévenu a été prélevé conformément à une sommation faite en vertu du paragraphe 235(1),
(i) (non proclamé)
(ii) si l’échantillon a été prélevé dès qu’il a été matériellement possible de le faire après le moment où l’infraction est alléguée avoir été commise et, de toute façon, pas plus de deux heures après ce moment,
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(iii) si l’échantillon a été reçu de l’accusé directement dans un contenant approuvé ou dans un instrument approuvé manipulé par un technicien qualifié, et
(iv) si une analyse chimique de l’échantillon a été faite à l’aide d’un instrument approuvé, manipulé par un technicien qualifié,
la preuve du résultat de l’analyse chimique ainsi faite fait preuve, en l’absence de toute preuve contraire, de la proportion d’alcool dans le sang du prévenu au moment où l’infraction est alléguée avoir été commise;
…
(6) Au présent article,
«analyste» signifie une personne que le procureur général désigne comme analyste aux fins du présent article;
«contenant approuvé» désigne un contenant d’un genre destiné à recueillir un échantillon de l’haleine d’une personne pour analyse chimique et qui est approuvé comme contenant approprié aux fins du présent article par une ordonnance du procureur général du Canada;
«instrument approuvé» désigne un instrument d’un genre destiné à recueillir un échantillon de l’haleine d’une personne et à en faire l’analyse chimique en vue de mesurer la proportion d’alcool dans le sang de cette personne et qui est approuvé comme instrument approprié aux fins du présent article par ordonnance du procureur général du Canada;
«technicien qualifié» signifie une personne que le procureur général désigne comme étant qualifiée pour manipuler un instrument approuvé.
La question principale est de savoir si le témoignage de l’expert constitue une «preuve contraire» au sens de l’al. 237(1)c). Il faut également déterminer si cette question principale soulève une question de droit. Je commence par la question principale.
Pendant les débats, l’avocat du ministère public a déclaré que le témoignage de l’expert était recevable. Cependant, j’ai cru comprendre qu’il faisait une réserve: selon lui, le témoignage de l’expert était admissible en tant qu’introduction générale à compléter par une preuve concernant spécifiquement les faits de la présente espèce; mais elle n’a pas été complétée de cette manière et est restée purement théorique et générale; le juge Fournier a donc fait une erreur de droit en en tenant compte.
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Divers tribunaux ont déjà eu l’occasion de discuter du sens de l’expression «preuve contraire» dans le contexte de cet article. Je souscris à ce qu’en dit le juge McFarlane, au nom de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dans l’arrêt R. v. Davis[7], à la p. 516:
[TRADUCTION] A mon avis, l’intention du Parlement, bien qu’exprimée peu clairement, devient manifeste si l’on se souvient que le fait à prouver est la proportion d’alcool dans le sang au moment de l’infraction. Le résultat de l’analyse chimique est un des moyens de prouver ce fait et les certificats constituent une preuve, parmi d’autres, de ce résultat. Il s’ensuit donc, à mon avis, que la fin du paragraphe signifie que le résultat de l’analyse chimique fait preuve de la proportion d’alcool dans le sang du prévenu au moment de l’infraction en l’absence de toute preuve que le taux d’alcoolémie à ce moment n’excédait pas 80 pour 100. En conséquence, toute preuve tendant à montrer qu’au moment de l’infraction, le taux d’alcoolémie était dans les limites permises constitue une «preuve contraire» au sens de ce paragraphe. (C’est moi qui souligne)
Aux termes du Code, la «preuve contraire» doit être une preuve tendant à démontrer que le taux d’alcoolémie de l’accusé au moment de l’infraction alléguée ne correspondait pas au résultat de l’analyse chimique. Il n’existe aucune preuve de ce genre en l’espèce. Exception faite des certificats, aucune preuve n’a été présentée pour établir le taux d’alcoolémie de l’accusé au moment de l’infraction alléguée. La seule preuve soumise au nom de l’accusé sur ce point est le témoignage d’un expert sur lequel on se fonde pour demander aux tribunaux de conclure, en contradiction avec les dispositions expresses du Code, que le résultat de l’analyse chimique ne fait pas, ni ne devrait faire, preuve du taux d’alcoolémie de l’accusé au moment de l’infraction alléguée. A mon avis, cette preuve ne vise pas à réfuter la présomption établie par l’article du Code, elle veut en nier l’existence même. La «preuve contraire» ne peut être une preuve dont le seul but est de contourner le système établi par le Parlement aux art. 236 et 237.
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Le système complexe établi par ces dispositions envisage et prévoit des éléments certains, comme l’approbation officielle de certains types d’instruments, la désignation d’analystes et de techniciens qualifiés, un délai maximum pour prélever un échantillon d’haleine après l’infraction alléguée et la mesure, par un technicien qualifié utilisant un instrument approuvé, d’un taux d’alcoolémie excédant un chiffre donné. Le fait de satisfaire aux conditions fixées par ce système fait naître une présomption contre le prévenu, qu’il peut réfuter par une «preuve contraire». Mais, à mon avis, une preuve dont le seul effet est de démontrer en termes généraux l’imprécision possible des éléments du système ou la faillibilité inhérente d’instruments approuvés par la loi, n’est pas une «preuve contraire». Ainsi, la preuve d’expert que, pour des raisons physiologiques générales, le délai maximum de deux heures entre l’infraction et le prélèvement d’un échantillon d’haleine est trop long, ne constituerait pas une «preuve contraire». (Voir aussi R. v. Gaetz[8]).
En l’espèce, l’expert a témoigné que les ivressomètres Borkenstein du type de celui utilisé pour analyser l’échantillon d’haleine de l’intimé, sont tous sujets à une marge d’erreur de 10 milligrammes, en plus ou en moins: on demandait au juge du procès d’en déduire qu’il faut accorder le bénéfice du doute à l’accusé à moins que ce genre d’instrument approuvé n’indique un taux d’alcoolémie supérieur à 90 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang. On pourrait peut-être admettre une telle déduction dans des cas mettant en cause des instruments autres que ceux approuvés et définis par la loi. Par exemple, on pourrait probablement faire témoigner un expert pour démontrer que les radars d’un certain type utilisés par la police pour mesurer la vitesse des véhicules à moteur sont sujets à une marge d’erreur suffisante pour qu’on ne puisse pas se fier à leurs résultats sans en tenir compte. Mais les radars ne sont pas des instruments approuvés par la loi. Admettre en l’espèce le témoignage de l’expert, ce serait recon-
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naître que la preuve fondée sur l’utilisation de certains types d’instruments approuvés doit être traitée de la même manière que celle fondée sur l’utilisation d’instruments ordinaires. Ce serait également le cas, jusqu’à un certain point, pour tous les instruments approuvés puisque les instruments de mesure et d’analyse ont nécessairement des limites inhérentes qui influent sur leur précision. A mon avis, c’est une erreur de droit que de mettre sur un pied d’égalité les instruments approuvés par la loi et les instruments ordinaires. Je pense que, lorsqu’il a prescrit que l’analyse des échantillons d’haleine devrait être faite par des instruments approuvés, le Parlement était conscient des limites inhérentes de tout instrument. Il faut considérer que le Parlement a tenu compte de ces limites dans les dispositions relatives à l’approbation de certains genres d’instruments, comme dans la fixation du taux maximum d’alcoolémie autorisé à 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang.
Si l’on donnait raison à la Cour supérieure et à la Cour d’appel, nul ne pourrait en fait être accusé aux termes de l’art. 236 lorsque le technicien qualifié a utilisé un ivressomètre Borkenstein modèle 900 ou 900A, à moins que le taux d’alcoolémie indiqué ait été supérieur à 90 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang. Les résultats pratiques seraient les mêmes dans le cas des autres ivressomètres, avec des marges d’erreur plus ou moins grandes; mais alors, quel que soit l’instrument approuvé que l’on utilise, l’interdiction prescrite à l’art. 236 ne serait jamais pleinement applicable avec les moyens prévus expressément dans le Code, ni d’ailleurs par aucun autre moyen. Pourtant, une des raisons, pour ne pas dire la seule raison, pour laquelle le Parlement a prescrit l’utilisation d’instruments approuvés devait être la volonté que l’on applique exactement une interdiction précise. Cette intention serait lettre morte si les instruments approuvés étaient traités de la même manière que les instruments ordinaires.
L’approbation des instruments aux termes du par. 237(6) concerne l’approbation de types d’instruments, et non d’instruments particuliers. Il se peut qu’un instrument donné soit sujet à certains défauts autres que les défauts inhérents aux instru-
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ments de ce type. La question de savoir si un tel instrument continue de faire partie d’une catégorie approuvée d’instruments et si la preuve de tels défauts est admissible n’est pas soulevée en l’espèce et n’appelle aucun commentaire.
Je traiterai brièvement de la seconde question, celle de savoir si la question principale soulève une question de droit. Je suis d’avis que oui. Elle dépend de l’interprétation d’une disposition du Code criminel, savoir en quoi consiste une «preuve contraire» au sens de l’al. 237(1)c)? Les cours d’appel de la Nouvelle-Écosse, de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et de la Saskatchewan ont indiqué qu’elles considèrent cette question comme une question de droit: Shafer v. Regina[9]; R. v. Gaetz (précité); R. v. Westman[10]; R. v. Davis (précité); R. v. Falkenham[11]. Je soucris à leur opinion sur le sujet.
Pour ces motifs, je conclus que la preuve présentée au nom de l’intimé ne constitue pas une «preuve contraire» au sens de l’al. 237(1)c) du Code criminel. C’est la seule preuve présentée au nom de l’intimé et le seul fondement possible d’un acquittement: en conséquence, la déclaration de culpabilité doit être rétablie.
Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et le jugement de la Cour supérieure et de rétablir la déclaration de culpabilité prononcée contre l’intimé. Conformément aux conditions fixées par cette Cour pour accorder l’autorisation d’appel, le ministère public paiera les dépens de l’intimé comme entre avocat et client. L’intimé paiera les dépens en Cour municipale et en Cour supérieure. La Cour d’appel n’a pas adjugé les dépens et je ne crois pas qu’il y ait lieu de le faire.
Pourvoi accueilli, le juge en chef LASKIN et les juges SPENCE, DICKSON et ESTEY étant dissidents.
Procureur de l’appelante: Rémi Bouchard, Québec.
Procureur de l’intimé: Gilles Garneau, Québec.
[1] [1977] C.A. 409.
[2] [1969] R.C.S. 221.
[3] [1972] R.C.S. 303.
[4] [1978] 1 R.C.S. 632, (1977), 37 C.C.C. (2d) 193.
[5] (1973), 14 C.C.C. (2d) 513.
[6] (1975), 25 C.C.C. (2d) 294.
[7] (1973), 14 C.C.C. (2d) 513.
[8] (1972), 8 C.C.C. (2d) 3.
[9] [1971] 5 W.W.R. 692.
[10] (1973), 11 C.C.C. (2d) 355.
[11] (1974), 22 C.C.C. (2d) 385.