Stoffman c. Vancouver General Hospital, [1990] 3 R.C.S. 483
Le Vancouver General Hospital et
Le Conseil d'administration du
Vancouver General Hospital Appelants
c.
Isaac Wilfred Stoffman, William Philip Goldman,
Victor Hertzman, Leslie George Cohen,
Charles Sutherland Rennie, Clayton Robinson,
Thomas William Acheson, Sidney Evans,
Jermaine Vincent White, Murray Edgar,
Jocoba Van Norden, Charles Schom,
Elmer Jones et John Jacob Zack Intimés
‑ et ‑
Le procureur général du Canada,
le procureur général de l'Ontario et
le procureur général de la Colombie‑Britannique Intervenants
répertorié: stoffman c. vancouver general hospital
No du greffe: 20795.
1989: 19 mai; 1990: 6 décembre.
Présents: Le juge en chef Dickson* et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.
en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique
Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Applicabilité de la Charte ‑‑ Gouvernement ‑‑ Un hôpital fait‑il partie du gouvernement avec la conséquence que ses politiques sont sujettes à révision en vertu de la Charte? ‑‑ Dans l'affirmative, la politique de retraite obligatoire est‑elle une "loi"? ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 15, 32.
Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Droits à l'égalité ‑‑ Égalité devant la loi ‑‑ Discrimination fondée sur l'âge ‑‑ Perte automatique à 65 ans des privilèges accordés par un hôpital à moins de preuve de compétence ‑‑ La politique de retraite obligatoire est‑elle une "loi"? ‑‑ Dans l'affirmative, enfreint‑elle le par. 15(1) de la Charte? ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 15, 32.
Les intimés avaient des privilèges d'admission au Vancouver General Hospital. Le règlement 5.04 des Medical Staff Regulations de l'hôpital exige que tous les médecins prennent leur retraite à l'âge de 65 ans sauf s'ils peuvent démontrer qu'ils ont quelque chose d'unique à offrir à l'hôpital. Le conseil d'administration de l'hôpital a approuvé ce règlement en mai 1984 et le ministre de la Santé l'a approuvé plus tard conformément à la loi. Le conseil a décidé de ne pas renouveler les privilèges d'admission de la plupart des intimés en mai 1985.
Les intimés ne sont pas des employés du Vancouver General, mais ils sont retenus par leurs patients et sont payés par le régime d'assurance- maladie de la province. Ils ne jouissent donc pas de la protection contre la discrimination fondée sur l'âge conférée par la Human Rights Act puisque cette protection se limite aux situations liées à l'emploi. À Vancouver, les médecins ont des privilèges à un seul hôpital.
Un conseil d'administration dirige l'hôpital. Le gouvernement a le pouvoir de nommer 14 des 16 membres du conseil d'administration. Au‑delà du pouvoir négatif de veto établi dans la Vancouver General Hospital Act, les pouvoirs du ministre relativement aux règlements du Vancouver General Hospital s'étendent au pouvoir réel en vertu de la Hospital Act d'exiger du conseil d'administration qu'il adopte de nouveaux règlements ou modifie les règlements existants.
Les intimés ont intenté cette action en vue d'annuler la décision du conseil d'administration et d'obtenir un jugement déclaratoire portant que le règlement 5.04, soit par sa formulation, soit dans son application, viole les art. 7 et 15 de la Charte et la Human Rights Act. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a décerné une injonction provisoire pour empêcher le conseil de restreindre ou de supprimer les privilèges d'admission des intimés jusqu'à l'issue de la requête des intimés fondée sur la Charte et la Human Rights Act. La Cour d'appel a confirmé l'octroi de l'injonction intérimaire. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rendu jugement en faveur des intimés sur leur requête et la Cour d'appel a confirmé cette décision.
Les questions constitutionnelles soulevées devant notre Cour sont les suivantes: (1) la Charte s'applique‑t‑elle à l'adoption et à la mise en {oe}uvre du règlement 5.04 par le Vancouver General? Dans l'affirmative (2) le règlement ou (3) son application enfreignent-ils le par. 15(1) de la Charte? (4) si la réponse aux questions 2 ou 3 est affirmative, le règlement et la façon dont il a été appliqué sont‑ils néanmoins justifiés en vertu de l'article premier de la Charte?
Les procureurs généraux du Canada, de l'Ontario et de la Colombie‑Britannique sont intervenus.
Arrêt (Les juges Wilson, L'Heureux‑Dubé et Cory sont dissidents): Le pourvoi est accueilli et l'action des demandeurs est rejetée.
Le juge en chef Dickson et les juges La Forest et Gonthier: Le texte de l'art. 32 de la Charte indique fortement que seul le gouvernement est lié par la Charte. Le Vancouver General ne fait pas partie du gouvernement au sens de cet article et, en conséquence, l'adoption et l'application du règlement 5.04 ne relèvent pas de la portée de la Charte. C'est un organisme autonome. La prestation d'un service public, même s'il s'agit d'un service aussi important que les soins de santé, ne permet pas de la qualifier de fonction gouvernementale en vertu de l'art. 32.
Le règlement 5.04 ne découle pas d'une action du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif et en conséquence ne donne pas lieu à l'examen fondé sur la Charte. L'obligation d'obtenir l'approbation du ministre n'est qu'un simple pouvoir de contrôle pour veiller à ce que les actions de l'hôpital ne soient pas contraires aux pouvoirs conférés au gouvernement de prévoir des normes en matière d'administration hospitalière. Le règlement est l'{oe}uvre du conseil d'administration et ne constitue nullement une politique ministérielle concernant le renouvellement des privilèges d'admission. Les lois qui régissent l'exploitation du Vancouver General ne l'obligeaient pas à adopter une politique particulière concernant le renouvellement des privilèges des médecins qui ont atteint l'âge de 65 ans.
Le Vancouver General ne fait pas partie de la "branche administrative" du gouvernement parce qu'il a été constitué en personne morale pour dispenser des services qui relèvent de la responsabilité de la province en matière de soins de santé. Il faut établir une différence entre le contrôle absolu ou extraordinaire et le contrôle routinier ou régulier. L'existence de l'hôpital relève en dernier ressort du gouvernement provincial, mais les aspects quotidiens du fonctionnement de l'hôpital, comme l'adoption d'une politique en matière de renouvellement des privilèges d'admission, relèvent du conseil d'administration et, sous réserve d'une situation extraordinaire, ne sont pas assujettis au contrôle du gouvernement. Le pouvoir que possède le ministre d'exiger l'adoption ou la révision par l'hôpital de règlements ne modifie pas la responsabilité de l'hôpital à l'égard des règlements qu'il adopte de sa propre initiative. Le pouvoir de nomination du lieutenant‑gouverneur est simplement un mécanisme visant à assurer une représentation équilibrée de certains groupes et organismes au sein du principal organe décisionnel de l'hôpital. Il ne s'agit pas d'un moyen permettant au gouvernement de contrôler régulièrement les activités quotidiennes de l'hôpital.
Si la Charte s'appliquait, le règlement 5.04 serait considéré comme une "loi" et l'inégalité reprochée découlerait d'une "loi". Les privations qui découlent de la politique du conseil d'administration dépendent de caractéristiques personnelles attribuées aux personnes de 65 ans et plus et sont, en conséquence, discriminatoires au sens du par. 15(1) de la Charte.
Il fallait donc examiner si le règlement et la pratique qui y est associée constituent une limite raisonnable, en vertu de l'article premier de la Charte. L'appréciation judiciaire de cette question différera selon que l'État est "l'adversaire singulier" de la personne dont les droits ont été violés (comme dans le contexte du droit criminel) ou qu'il cherche plutôt à concilier des revendications contraires de groupes ou d'individus ou à répartir des ressources gouvernementales limitées. Dans le premier cas, les tribunaux pourront déterminer avec un certain degré de certitude si la loi contestée ou toute autre conduite gouvernementale fait appel aux moyens les "moins radicaux" pour atteindre l'objectif de l'État. Il ne sera peut‑être pas possible d'atteindre le même degré de certitude dans le second cas.
L'objectif fondamental du règlement 5.04 est suffisamment important pour justifier la suppression d'une garantie constitutionnelle: la recherche de l'excellence par le Vancouver General à titre de centre de recherche médicale et d'enseignement de la médecine et à titre de principal hôpital de soins de courte durée en Colombie‑Britannique.
Le règlement 5.04 a un lien rationnel avec l'objectif de l'hôpital. Les postes dans un hôpital sont une ressource limitée qui ne peut augmenter proportionnellement à l'accroissement du personnel médical. Le règlement 5.04 fait en sorte qu'il sera possible d'offrir ces postes aux jeunes médecins récemment formés aux techniques médicales les plus récentes et que ce renouvellement se produira avant le déclin des capacités qui va ordinairement de pair avec l'avance en âge.
Des considérations particulières s'appliquent aux mesures qui portent directement sur la répartition des ressources ou qui tentent d'établir l'équilibre entre des groupes sociaux concurrents. Dans de tels cas, ni l'expérience judiciaire, ni les restrictions institutionnelles du processus décisionnel judiciaire ne préparent un tribunal à déterminer précisément le point d'équilibre entre l'objectif du législateur et la protection des droits et libertés d'un individu ou d'un groupe.
Le conseil était "raisonnablement fondé" à conclure que le règlement 5.04 et la politique en vertu de laquelle il est appliqué portaient le "moins possible" atteinte aux droits à l'égalité des intimés vu son objectif urgent et réel. Le règlement 5.04 tente d'établir un équilibre entre les jeunes médecins qui veulent commencer à pratiquer et les médecins qui pratiquent depuis déjà un certain temps pour ce qui est de leurs demandes et de leurs privilèges respectifs. Le conseil était amplement justifié, compte tenu du climat actuel de restrictions budgétaires, de conclure que sa capacité d'attirer de nouveaux médecins dépendait de la retraite au moment opportun de certains médecins qui s'y trouvaient déjà. En outre, le conseil a agi de façon raisonnable en concluant qu'une politique de mise à la retraite garantirait le départ de ceux qui seraient en général moins capables de contribuer à la pratique spécialisée de l'hôpital. Le conseil a reconnu cependant que le principe de la détérioration des capacités en fonction de l'âge n'est pas toujours exact et il a établi une exception pour les médecins qui avaient quelque chose d'unique à offrir à l'hôpital. Cette exception a forcément été appliquée en fonction des exigences de l'hôpital plutôt qu'en fonction de la santé et des capacités de chaque médecin individuellement en raison de l'objectif prédominant d'offrir des postes aux médecins récemment formés aux théories et aux méthodes les plus nouvelles.
La seule solution de rechange au règlement 5.04 était un programme d'évaluation des aptitudes et du rendement. Un tel programme serait coûteux à instaurer et à appliquer et, ce qui est plus important, il aurait un effet néfaste et créerait un sentiment d'injustice dans le milieu de travail du personnel médical.
Le juge Sopinka: Le juge Sopinka souscrit aux motifs du juge La Forest, sauf quant à savoir si le règlement 5.04 est une loi au sens du par. 15(1) de la Charte. Cette question ne devrait pas être tranchée sur le fondement de l'hypothèse que l'hôpital fait partie du gouvernement.
Le juge Wilson (dissidente): L'article 32 de la Charte étend l'application de la Charte à toutes les entités et activités qu'on peut considérer comme "gouvernementales". Les critères qui servent à déterminer si une entité est assujettie à la Charte sont les suivants: (1) La branche législative, exécutive ou administrative du gouvernement exerce‑t‑elle un contrôle général sur l'entité en question? (2) L'entité exerce‑t‑elle une fonction gouvernementale traditionnelle ou une fonction qui, de nos jours, est considérée comme une responsabilité de l'État? (3) L'entité agit‑elle conformément au pouvoir que la loi lui a expressément conféré en vue d'atteindre un objectif que le gouvernement vise à promouvoir dans le plus grand intérêt public?
Comme l'hôpital existe et fonctionne en vertu des lois, comme il est strictement réglementé par le gouvernement et remplit une fonction traditionnellement propre au gouvernement dans l'intérêt public, il s'inscrit dans la notion de "gouvernement" pour les fins de l'art. 32. La capacité de mettre à la retraite découle de la Vancouver General Hospital Act et du règlement 5.04 adopté en vertu de cette dernière loi. Le règlement est donc susceptible de révision en vertu de l'art. 15 de la Charte. Il n'est pas nécessaire de décider si le par. 15(1) s'appliquerait en l'absence d'une disposition législative qui ordonne l'acte discriminatoire.
Pour déterminer si une disposition enfreint le par. 15(1), la Cour doit se garder de sous‑estimer l'effet discriminatoire d'une mesure donnée. En l'espèce, le règlement prévoit des exceptions non discriminatoires par son texte même, mais la prémisse sous‑entendue demeure viciée du point de vue constitutionnel. Selon son libellé, le règlement 5.04 dit que les médecins sont censés prendre leur retraite à 65 ans. De cette façon, la prémisse sous‑entendue reste que le vieillissement entraîne peu à peu l'incompétence et la diminution des capacités. Il est manifestement discriminatoire d'imposer à ceux qui sont victimes d'un préjugé l'obligation de prouver que ce préjugé ne s'applique pas à eux. Même si le règlement prévoit des exceptions, il n'en reste pas moins que la notion principale sous‑jacente à la disposition enfreint le par. 15(1). Les régimes d'exception relèvent à juste titre de l'examen fondé sur l'article premier de la Charte.
L'objectif de conserver au Vancouver General son statut d'hôpital qui dispense des soins de courte durée et de l'enseignement conformes aux normes contemporaines les plus strictes de soins, d'enseignement et de recherche en médecine est suffisamment important pour l'emporter sur un droit garanti par la Charte et satisfaire au premier volet du critère de l'arrêt Oakes. Par contre, l'objectif d'offrir à d'autres médecins (plus jeunes) la possibilité d'exercer leur profession ne satisfait pas à ce premier volet du critère. La prétention de l'hôpital qu'il s'agit d'un système "fermé" n'a pas été prouvée: les droits constitutionnels ne peuvent être limités qu'en raison de problèmes réels, et non de problèmes illusoires.
Il faut agir avec beaucoup de prudence quand il s'agit de savoir si le fondement d'une idée préconçue s'appuie sur des faits observables et exacts. Il est généralement reconnu que le vieillissement amène un certain changement des capacités, quoique la nature et l'étendue de ces changements varient d'une personne à l'autre. Il existe un lien rationnel entre l'intention de fournir des soins médicaux de haute qualité et la décision de faire prodiguer ces soins en grande partie par des médecins plus jeunes.
Il n'y a pas lieu en l'espèce d'assouplir le critère de l'atteinte minimale énoncé dans l'arrêt Oakes pour les motifs exprimés dans l'arrêt McKinney. L'hôpital n'est pas un système fermé et permettre aux médecins intimés de garder leur privilège n'aurait aucun effet sur les possibilités d'exercice de la médecine qui s'offrent aux médecins qui commencent leur carrière. Il n'y a pas de motif de droit ou de fait d'appliquer un critère d'examen fondé sur la retenue.
Il existe d'autres moyens d'atteindre l'objectif visé de fournir des soins médicaux de haute qualité qui permettraient de reconnaître les capacités des médecins âgé de 65 ans et plus. On n'a pas démontré que l'examen annuel du rendement n'ait pas donné satisfaction lorsqu'il s'agissait d'éliminer les médecins incompétents. La raison principale du changement de méthode tient à la commodité administrative qu'il y a à écarter les médecins incompétents par le mécanisme de la retraite obligatoire. La commodité administrative n'est pas un motif valable de supprimer des droits garantis par la Charte.
Dans les affaires de discrimination du genre de celle de l'espèce, la garantie d'égalité en vertu du par. 15(1) doit au moins signifier que, chaque fois que cela est possible, on essaye de renoncer aux idées préconçues trop faciles et qu'un effort sincère sera fait pour traiter tous les individus, quels que soient leur couleur, leur race, leur sexe ou leur âge, comme des individus qui méritent d'être jugés selon leurs talents et leurs capacités propres. Le respect de la dignité de chaque personne dans la société n'en exige pas moins. Le paragraphe 15(1) ne garantit pas le droit de travailler, mais celui de travailler sans faire l'objet de discrimination. En conséquence, le règlement 5.04 aurait pu être raisonnable et susceptible de justification s'il avait comporté dans son texte et dans son application un véritable régime d'exception qui aurait permis à ceux qui étaient capables et désireux de travailler de continuer à travailler.
Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente): En vertu du test large formulé par le juge Wilson dans l'arrêt McKinney c. University of Guelph, le Vancouver General Hospital agit comme un "gouvernement" au sens de l'art. 32 de la Charte. Tant sur le plan historique que (encore plus aujourd'hui) sur le plan fonctionnel, les hôpitaux au Canada sont une "branche du gouvernement" et exercent une fonction gouvernementale. Le conseil d'administration d'un hôpital peut bénéficier d'une certaine indépendance dans la formulation de ses politiques, comme dans le cas du règlement 5.04, mais il n'y a pas de différence entre cette situation et celle des ministères du gouvernement qui établissent leur propre programme et formulent leurs politiques, sous réserve des seules directives générales établies par le législateur. Cette situation est tout à fait différente de celle des universités où la participation du gouvernement est essentielle au financement. Il peut y avoir des circonstances où un hôpital ne serait pas considéré comme un "gouvernement" et qui ne donneraient ainsi pas lieu à une révision fondée sur la Charte.
Pour les motifs énoncés par le juge La Forest, le règlement 5.04 est une "loi" aux fins de l'art. 15 de la Charte qui viole manifestement le par. 15(1) parce qu'il établit une discrimination fondée sur l'âge. Le règlement 5.04 n'est pas sauvegardé en vertu de l'article premier.
Le règlement 5.04 n'a pas de lien rationnel avec ses objectifs. Forcer une personne à mettre fin à sa carrière simplement en raison de son âge ne saurait résister à un examen fondé sur la Charte puisque l'âge ne détermine pas les capacités ou la compétence. L'apport de "nouveaux membres" n'est pas indispensable à l'hôpital pour qu'il demeure à jour. La compétence est menacée par plusieurs facteurs, mais l'âge n'en fait pas nécessairement partie.
Des considérations particulières peuvent s'appliquer dans l'examen du critère de "l'atteinte minimale" selon l'arrêt Oakes quand les tribunaux sont tenus de faire un choix entre les revendications de deux groupes concurrents. Le choix s'effectue entre des médecins compétents, qui se trouvent à avoir plus de 65 ans, et des médecins compétents de moins de 65 ans, qui débutent habituellement leur pratique médicale. Ces circonstances ne justifient pas l'application de considérations particulières. Les mêmes normes devraient être appliquées à tous les médecins dans l'évaluation de leur rendement. L'application de normes différentes et plus rigides dans l'examen de la compétence des médecins de plus de 65 ans porte gravement atteinte au droit à un traitement égal. De plus, le conseil n'a pas toutes les caractéristiques requises d'un organisme législatif, qui doit tenir compte de la répartition des ressources pour justifier l'application de ces considérations particulières.
La santé du médecin peut être un facteur à considérer dans l'examen de ses aptitudes. La détérioration physique ne commence pas nécessairement à 65 ans et elle n'a pas nécessairement de répercussions sur la compétence du médecin. Les problèmes de santé permanents seraient un facteur pertinent à tout examen de rendement de tout individu. L'obligation, pour les médecins âgée de plus de 65 ans, d'établir qu'ils peuvent faire une contribution "unique" à l'hôpital est trop exigeante et existe seulement parce que l'individu a atteint 65 ans. Cette façon de porter atteinte aux droits est trop drastique. La commodité de certaines procédures administratives ne peut servir de justification possible de la violation des droits. On peut favoriser la retraite, tout en protégeant la dignité de la personne, par des mesures plus adaptées pour porter le moins possible atteinte aux droits.
Le juge Cory (dissident): Le juge Cory souscrit aux motifs du juge Wilson et avec la façon dont elle statuerait en l'espèce. Pour les motifs exposés par le juge La Forest, la juste appréciation à laquelle doit se livrer la Cour dans l'examen de l'application de l'article premier doit être adaptée aux circonstances et non mécanique.
Il existe des différences importantes entre les universités et les hôpitaux. Les facteurs qui s'appliquent aux universités n'ont pas la même importance dans le cas des hôpitaux. Il n'y a pas de contrat d'emploi entre les médecins et l'hôpital et l'association des médecins n'est pas en faveur de la retraite obligatoire.
Le règlement 5.04 ne peut satisfaire au critère de l'arrêt Oakes. Le système d'évaluation en vertu duquel la compétence des médecins est appréciée une fois par année est en soi suffisant pour démontrer que les exigences de l'article premier ne peuvent être satisfaites. Un examen permanent des compétences des médecins qui a lieu sans égard à l'âge au cours des années où ils sont associés à un hôpital est essentiel pour le fonctionnement efficace de celui‑ci. Dans le milieu hospitalier, la nécessité de cette évaluation n'a pas d'effet préjudiciable sur la collégialité qui peut exister.
Jurisprudence
Citée par le juge La Forest
Arrêts appliqués: McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229; SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573; arrêt examiné: Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; distinction d'avec les arrêts: Procureur général du Québec c. Blaikie, [1981] 1 R.C.S. 312; Re McCutcheon and City of Toronto (1983), 147 D.L.R. (3d) 193; Re Klein and Law Society of Upper Canada (1985), 16 D.L.R. (4th) 489; arrêts mentionnés: R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; Regents of the University of California v. Bakke, 438 U.S. 265 (1978); Roth v. United States, 354 U.S. 476 (1957); Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; États‑Unis d'Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713.
Citée par le juge Sopinka
Arrêt appliqué: McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229.
Citée par le juge Wilson (dissidente)
McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229; Procureur général du Québec c. Blaikie, [1981] 1 R.C.S. 312; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente)
McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177.
Lois et règlements cités
Act to establish a Board of Health in the City and County of Saint John S.N.-B. 1855, ch. 40, s. 11.
Act to grant a sum of Money to his Majesty in aid of the York Hospital, S.U.C. 1830, ch. 31.
Acte pour affecter certaines sommes d'argent pour le soutien de l'Hôpital des Émigrés à Québec, et de l'Hôpital pour les cas de Fièvres à la Pointe Lévi, et pour d'autres fins y mentionnées, S.B.-C. 1832, ch. 15.
Charity Aid Act, R.S.O. 1877, ch. 223.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 15(1), 32(1)a), b).
General Hospital Act, C.S.M. 1880, ch. 26.
Health Act, R.S.B.C. 1897, ch. 91.
Hospital Act, R.S.B.C. 1979, ch. 176, art. 1, 2(1)a), c), d), (3), 4, 18, 30, 32, 36(1), (2), (3), (4), 37, 40, 41, 41(1), 44, 45.
Hospital Act Regulations, B.C. Reg. 289/73, art. 2, 3, 4, 5, 6, 8.
Hospital Standards Act, R.S.S. 1978, ch. H‑10.
Hospitals Act, R.S.A. 1980, ch. H-11.
Human Rights Act, S.B.C. 1984, ch. 22, art. 15.
Insane Asylums Act, C.S.B.C. 1888, ch. 61
Loi constitutionnelle de 1867, art. 92(7), 133.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52.
Loi sur le ministère de la santé et des services sociaux, L.R.Q., ch. M‑19.2.
Loi sur les hôpitaux publics, L.R.O. 1980, ch. 410.
Of Local Hospitals, R.S.N.S. 1900, Title VI, ch. 47.
Ordinance for Promoting the Public Health in the Colony of British Columbia, C.S.B.C. 1877, ch. 83.
Prison and Asylum Inspection Act, R.S.O. 1877, ch. 224, art. 14.
Regulations governing the Medical and Allied Professional Staff and Practice Within the Hospital, Medical Staff Regulation 5.04.
Vancouver General Hospital Act, S.B.C. 1970, ch. 55, art. 2, 2(1)a), b), c), d), 5, 6, 6b), 11, 32.
Vancouver General Hospital By‑laws, art. 2, par. 1, art. 4, par. 2, art. 6.
Doctrine citée
McDougal, Myres S., Harold D. Lasswell and Lung-chu Chen. Human Rights and World Public Order. New Haven: Yale University Press, 1980.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1988), 21 B.C.L.R. (2d) 165, 49 D.L.R. (4th) 727, [1988] 2 W.W.R. 708, 40 C.R.R. 236, qui a rejeté l'appel de la décision du juge Taylor (1986), 30 D.L.R. (4th) 700, [1986] 6 W.W.R. 23, 25 C.R.R. 16. Pourvoi accueilli et action des demandeurs rejetée, les juges Wilson, L'Heureux‑Dubé et Cory sont dissidents.
Brian A. Crane, c.r., et Adam Whitcombe, pour les appelants.
Peter A. Gall, Donald J. Jordan, c.r., Robin Elliot et Susan P. Arnold, pour les intimés.
Duff Friesen, c.r., et Virginia McRae Lajeunesse, pour l'intervenant le procureur général du Canada.
Janet E. Minor et Robert E. Charney, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.
E. R. A. Edwards, c.r., et George H. Copley, pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.
//Le juge La Forest//
Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges La Forest et Gonthier rendu par
LE JUGE LA FOREST ‑‑ Ce pourvoi soulève plusieurs des mêmes questions examinées dans l'arrêt McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, rendu en même temps que celui‑ci. Il est encore question de l'application du par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés à la retraite obligatoire, bien que ce pourvoi porte sur une décision du Vancouver General Hospital de ne pas renouveler les privilèges d'admission des médecins qui ont atteint 65 ans. Comme dans l'arrêt McKinney, ce pourvoi soulève les questions générales suivantes:
a)l'art. 15 de la Charte s'applique‑t‑il au Vancouver General?
b)en supposant qu'il s'y applique, la politique de l'hôpital de ne pas renouveler les privilèges d'admission des médecins qui ont atteint 65 ans viole‑t‑elle le par. 15(1) de la Charte?
c)dans l'affirmative, la limite est‑elle justifiable en vertu de l'article premier de la Charte?
Il convient de souligner que contrairement à l'arrêt McKinney aucune mention n'est faite de l'application de l'art. 15 de la Human Rights Act, S.B.C. 1984, ch. 22, de la Colombie‑Britannique. Il en est ainsi parce que les intimés ne sont pas des employés du Vancouver General au sens où les appelants, dans l'arrêt McKinney, étaient des employés des universités intimées. Ce fait a été admis devant nous au cours des plaidoiries. Indépendamment de cette reconnaissance, il est clair que les intimés n'exécutaient pas un travail sous la direction de l'hôpital; ils n'étaient pas rémunérés par celui‑ci non plus. Leurs relations avec l'hôpital se limitaient à leurs seuls privilèges d'admission. Évidemment, ces privilèges leur permettaient d'avoir accès aux installations de l'hôpital, lesquelles à leur tour facilitaient la tâche des intimés dans le traitement de leurs patients, mais cela n'en faisait pas des employés de l'hôpital. Il s'ensuit qu'ils ne sont pas visés par la protection contre toute discrimination fondée sur l'âge établie dans la Loi puisque cette protection se restreint aux victimes d'une discrimination fondée sur l'âge en matière d'emploi. Il n'est donc pas question de déterminer si la limitation, dans la Loi, de l'interdiction de la discrimination fondée sur l'âge en matière d'emploi aux personnes âgées de 40 à 65 ans viole le par. 15(1) de la Charte.
Je dois également ajouter que l'on s'est d'abord appuyé sur l'art. 7 de la Charte mais, au cours des plaidoiries, l'avocat des intimés a reconnu qu'il n'était pas nécessaire d'invoquer cette disposition et qu'elle n'était pas en cause en l'espèce.
Les faits
L'appelant est le principal centre hospitalier de soins de courte durée de la Colombie‑Britannique et traite quelque 18 000 patients à risque élevé par année. C'est également l'un des principaux hôpitaux d'enseignement dans la province. En 1985‑1986, son budget de fonctionnement était de 175 millions de dollars et quelque 6 000 personnes étaient à son service. Près de 1 000 médecins pratiquent à l'hôpital et les trois quarts environ sont des spécialistes. À l'exception des généralistes, tous les médecins qui pratiquent dans cet hôpital doivent avoir une charge d'enseignement à l'Université de la Colombie‑Britannique.
Comme je l'ai déjà souligné, il serait faux de dire que le Vancouver General emploie des médecins. Les médecins sont retenus par leurs patients et sont payés par le régime d'assurance-maladie de la province. Ceux qui pratiquent au Vancouver General le font en vertu de privilèges d'admission qui leur sont accordés sur une base annuelle. Ces privilèges leur permettent de faire admettre des patients à l'hôpital, d'être les premiers responsables du traitement de ceux‑ci et, dans le cas des chirurgiens, de réserver des salles d'opération. Ces privilèges permettent également aux médecins d'avoir voix au chapitre des affaires de l'hôpital. Bien qu'à une certaine époque il était habituel que les médecins aient des privilèges d'admission dans plus d'un hôpital, ce n'est plus le cas maintenant, à tout le moins à Vancouver.
C'est le conseil d'administration de l'hôpital qui décide d'accorder et de renouveler les privilèges d'admission et les art. 5 et 6 de la Vancouver General Hospital Act, S.B.C., 1970, ch. 55, lui permettent de gérer les biens et les affaires de l'hôpital et d'adopter des règlements à cette fin. En vertu de cette loi, le Vancouver General, d'abord constitué en personne morale en 1902, existe toujours comme société ayant le pouvoir d'exploiter un hôpital, d'acquérir et d'aliéner des biens meubles et immeubles et, sous réserve de l'approbation du ministre de la Santé, d'exercer des fonctions d'enseignement.
La composition du Conseil d'administration est établie par règlement de l'hôpital. Par l'effet combiné des par. 2(1) et 4(2), le conseil d'administration est composé des membres suivants:
[TRADUCTION]
a)Quatorze personnes nommées pour un mandat de trois ans par le lieutenant‑gouverneur en conseil de la façon suivante:
(i)Deux personnes nommées parmi les candidats présentés par le président de l'Université de la Colombie‑Britannique;
(ii)Deux personnes nommées parmi les candidats présentés par la British Columbia Health Association;
(iii)Deux personnes nommées parmi les candidats présentés par le Board of Vancouver General Hospital;
(iv)Une personne nommée parmi les candidats présentés par le British Columbia Institute of Technology;
(v)Sept personnes nommées parmi la collectivité en général;
b)Le président du Medical Advisory Board (le "Conseil consultatif médical");
c)Le président (du conseil d'administration) nommé en vertu de ce règlement.
Comme on peut le constater, le gouvernement a le pouvoir de nommer 14 des 16 membres du conseil. Il convient cependant de souligner que la moitié de ces nominations provient en réalité de groupes spécifiques, y compris l'hôpital, et que l'autre moitié est censée représenter "la collectivité en général". Les membres nommés par le gouvernement exercent, par rotation, des mandats de trois ans qui sont renouvelables; voir le par. 4(2) de la Loi. Les deux autres membres, le président du conseil d'administration de l'hôpital et le président du "conseil consultatif médical", ne sont pas nommés par le gouvernement mais sont choisis par l'hôpital.
En exigeant que les règlements soient approuvés par le ministre de la Santé avant d'entrer en vigueur, la loi prévoit un mécanisme de contrôle gouvernemental (al. 6b)). Ce mécanisme se trouve renforcé par les dispositions de la loi générale régissant les hôpitaux dans la province, la Hospital Act, R.S.B.C., 1979, ch. 176, à laquelle le Vancouver General est également assujetti. Aux fins du présent pourvoi, les art. 2 et 32 sont les dispositions pertinentes de cette Loi. L'article 2 prévoit en partie ce qui suit:
[TRADUCTION] 2. (1) Tous les hôpitaux visés à l'article premier, sauf les hôpitaux appartenant à la province ou au Canada, doivent
a)prévoir, de la manière prescrite, la représentation du gouvernement provincial et du conseil du district hospitalier régional au conseil d'administration de l'hôpital;
. . .
c)avoir un conseil d'administration dûment constitué et des règlements ou des règles que le ministre estime nécessaires à l'administration et à la gestion des affaires de l'hôpital, ainsi qu'à la prestation de soins et de traitements de première qualité; l'acte constitutif et les règlements ou règles d'un hôpital n'entrent en vigueur qu'après approbation du ministre;
d)se conformer aux autres conditions prescrites par le lieutenant‑gouverneur en conseil.
. . .
(3) Nonobstant toute autre loi, l'acte constitutif, les règlements ou règles d'un hôpital, le lieutenant‑gouverneur en conseil peut, aux fins du présent article, nommer une ou plusieurs personnes pour représenter le gouvernement provincial au conseil d'administration d'un hôpital pour un mandat n'excédant pas deux ans ou jusqu'à la nomination de leur successeur.
L'article 32 prévoit:
[TRADUCTION] 32. Le ministre peut exiger que les règlements ou règles d'un hôpital, d'une société ou d'une compagnie dont l'un des objets est de fournir des services hospitaliers ou d'exploiter un hôpital soient examinés d'une manière qu'il estime satisfaisante en vue de répondre à des conditions et des politiques en évolution et d'apporter plus d'uniformité et d'efficacité dans les domaines relevant de l'administration et de l'exploitation des hôpitaux.
L'effet de ces dispositions peut être résumé ainsi. L'alinéa 2(1)c) et l'art. 32 étendent la portée des pouvoirs du ministre relativement aux règlements du Vancouver General au‑delà du pouvoir négatif de veto établi à l'art. 6 de la Vancouver General Hospital Act. Ensemble, ils confèrent au ministre le pouvoir réel d'imposer au conseil d'administration l'adoption de nouveaux règlements ou la modification des règlements existants. L'alinéa 2(1)a) et le par. (3) prévoient que le gouvernement provincial est directement représenté au conseil d'administration puisque la première disposition oblige l'hôpital à prévoir cette représentation et la deuxième confère un pouvoir de nomination au lieutenant‑gouverneur en conseil.
Dans ce contexte législatif, le conseil d'administration a approuvé le règlement 5.04 des Medical Staff Regulations en mai 1984, lequel a ensuite été approuvé par le ministre de la Santé. Le règlement 5.04 prévoit ce qui suit:
[TRADUCTION] 5.04 La retraite: Les membres du personnel sont censés prendre leur retraite à la fin de l'année d'exercice au cours de laquelle ils atteignent 65 ans. Les membres du personnel qui veulent reporter leur mise à la retraite peuvent présenter une demande spéciale au conseil d'administration, qui demande la recommandation du "conseil consultatif médical" dans chaque cas. Avant de faire sa recommandation, le conseil consultatif médical tient compte du rapport d'une entrevue personnelle entre le requérant et le chef de département concerné, y compris le rapport de l'état de santé et du rendement continu du requérant.
Dans la mise en {oe}uvre de ce règlement, le conseil d'administration semble avoir tenu pour acquis que tous les médecins étaient censés prendre leur retraite à leur 65e anniversaire de naissance, sauf s'ils pouvaient démontrer qu'ils [TRADUCTION] "avaient quelque chose d'unique à offrir à l'hôpital". C'est en fonction de ce critère que, le 31 mai 1985, le conseil d'administration a décidé de ne pas renouveler les privilèges d'admission de la plupart des intimés en l'espèce, lesquels avaient tous atteint 65 ans et étaient pour la plupart des généralistes.
Les intimés ont intenté cette action en vue d'annuler la décision du conseil d'administration et d'obtenir un jugement déclaratoire portant que le règlement 5.04, soit par sa formulation, soit dans son application, violait les art. 7 et 15 de la Charte. Les intimés ont également soutenu que le règlement ou son application étaient contraires à la Human Rights Act. Le 27 juin 1985, le juge McKenzie de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a décerné une injonction provisoire pour empêcher le conseil de restreindre ou de supprimer les privilèges d'admission des intimés jusqu'à l'issue de la requête des intimés fondée sur la Charte et la Human Rights Act. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a confirmé cette décision. Le 23 juillet 1986, le juge Taylor de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rendu jugement en faveur des intimés et la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a rejeté l'appel des appelants dans une décision rendue le 6 janvier 1988. Ce faisant, elle a jugé inutile de tirer une conclusion sur l'effet ou l'application de la Human Rights Act. Le 21 avril 1988, notre Cour accordait l'autorisation de pourvoi.
L'historique judiciaire
La Cour suprême de la Colombie‑Britannique (1986), 30 D.L.R. (4e) 700
Nous avons vu que le juge Taylor a statué en faveur des intimés. Il a conclu que la Charte s'appliquait tant à l'adoption du règlement 5.04 qu'à la manière dont le conseil l'avait appliqué. Quant à la première conclusion, il a souligné que 14 des 16 membres du conseil d'administration qui avaient adopté le règlement avaient été nommés directement par le lieutenant‑gouverneur en conseil et qu'en vertu de la Vancouver General Hospital Act les règlements internes du conseil d'administration n'entraient en vigueur que sur approbation du ministre de la Santé. Il a donc conclu, à la p. 704, que [TRADUCTION] "le gouvernement provincial contrôle effectivement les affaires de l'hôpital". À la page 704, le juge Taylor a réaffirmé cette conclusion en mentionnant le [TRADUCTION] "contrôle ministériel étendu" dont faisait l'objet le Vancouver General en raison des termes de la Hospital Act. Après avoir souligné que l'al. 2(1)c) de cette loi exigeait du conseil d'administration d'avoir [TRADUCTION] "les règlements ou les règles que le ministre estime nécessaires", il a conclu, aux pp. 704 et 705, que l'expression "gouvernement de chaque province" à l'al. 32(1)b) de la Charte
[TRADUCTION] . . . s'étend non seulement aux ministères provinciaux existants et aux entités créées par un gouvernement provincial qui exercent un pouvoir gouvernemental, mais également aux organismes mis sur pied par un gouvernement provincial exerçant des fonctions gouvernementales sous le contrôle du gouvernement sans exercer de pouvoirs gouvernementaux, c'est‑à‑dire ceux qui n'ont que des pouvoirs organisationnels en vue d'offrir au public des services gouvernementaux, pourvu à tout le moins que leurs fonctions en question se rapportent à la prestation de services gouvernementaux.
Appliquant cette conclusion en l'espèce, le juge Taylor a conclu que [TRADUCTION] "la gestion du Vancouver General Hospital relève à toutes fins pratiques autant du contrôle du gouvernement provincial que si son exploitation relevait d'un ministère" (p. 705).
Quant à la question de savoir si la Charte s'appliquait à la façon dont le conseil d'administration a mis en {oe}uvre le règlement 5.04, le juge Taylor était d'avis que [TRADUCTION] "puisque le règlement pris par les membres du conseil d'administration est, comme je l'ai conclu, de nature gouvernementale, et donc assujetti à la Charte, il s'ensuit qu'il en est de même pour la façon dont ce règlement est appliqué" (p. 705). Il a ajouté que [TRADUCTION] "l'adoption, l'approbation et l'application du règlement impliquaient la création et l'application d'une `loi' au sens du par. 15(1)" de la Charte.
Examinant le par. 15(1) et l'argument des intimés qu'ils ont été victimes de discrimination fondée sur l'âge, le juge Taylor a conclu que le règlement 5.04 ne contrevenait pas en soi au par. 15(1). Après avoir décidé que les distinctions fondées sur l'âge sont discriminatoires si on établit que [TRADUCTION] "l'âge n'est absolument pas pertinent dans le contexte" ou que les conséquences pour les personnes visées par les distinctions [TRADUCTION] "vont clairement au‑delà de tout ce qui peut raisonnablement et équitablement être justifié dans la poursuite d'un objectif légitime" (p. 708), le juge Taylor a conclu que le recours par le Vancouver General à la notion d'un [TRADUCTION] "âge prévu pour la retraite" pour décider du renouvellement des privilèges d'admission n'avait rien de discriminatoire. Et ce, parce qu'il était évident que l'âge avait un rapport avec les capacités d'une personne de pratiquer la médecine. En outre, le fardeau imposé aux médecins plus âgés était conforme à leur devoir, comme professionnels, de veiller à ce que les autres reçoivent la formation nécessaire à leur profession et de transmettre leur propre expertise alors qu'ils étaient eux‑mêmes encore capables de pratiquer efficacement. Quant à la question de savoir s'il était approprié de fixer à 65 ans [TRADUCTION] "l'âge prévu pour la retraite", le juge Taylor a conclu, à la p. 708, que celui‑ci se trouvait dans [TRADUCTION] "une catégorie que les gens raisonnables et impartiaux accepteraient". Par conséquent, il était d'avis qu'il ne serait pas approprié que le tribunal substitue son opinion à celle du conseil d'administration de l'hôpital quant au caractère approprié de [TRADUCTION] "l'âge prévu pour la retraite".
Le juge Taylor est parvenu à une conclusion différente quant à l'argument des intimés que le conseil d'administration avait contrevenu au par. 15(1) dans l'application du règlement 5.04. En ce qui concerne la politique du conseil de ne pas renouveler les privilèges d'admission des médecins visés par le règlement à moins qu'ils n'établissent qu'ils "avaient quelque chose d'unique à offrir à l'hôpital", il a affirmé, aux pp. 716 et 717:
[TRADUCTION] En décidant de rejeter les demandes de tous les médecins de plus de 65 ans qui ne possèdent pas de compétences uniques, les membres du conseil d'administration ont ajouté une condition qui privait dans les faits les personnes de plus de 65 ans du droit d'être jugé en fonction de "[leur] état de santé et [de leur] rendement continu", le critère qui devait être applicable selon le règlement au renouvellement de leurs privilèges. Les intimés ont été clairement privés du bénéfice du règlement 5.04, et du même bénéfice des règlements de l'hôpital en général pour la seule raison de l'âge et sans bénéfice concomitant aux autres. C'est essentiellement pour des raisons administratives que la politique a été adoptée. Je trouve que cela n'est ni raisonnable ni, au sens propre, "équitable".
Pour ces motifs, le juge Taylor a conclu que l'application du règlement 5.04 constituait une discrimination fondée sur l'âge au sens du par. 15(1) de la Charte. Il a également conclu que l'application du règlement privait les intimés du droit à la liberté au sens de l'art. 7 de la Charte d'une façon non conforme aux "principes de justice fondamentale".
Quant à l'article premier de la Charte, le juge Taylor a conclu, à la p. 718, que la restriction apportée au règlement 5.04 par le conseil d'administration ne constituait pas une "limite prescrite par une règle de droit", comme l'exige l'article premier, mais plutôt [TRADUCTION] "une limite apportée à la règle de droit". Il a ajouté que même s'il avait conclu que la politique du conseil était une "limite prescrite par une règle de droit", on n'avait pas démontré qu'elle satisfaisait aux exigences de l'article premier comme une "limite raisonnable" aux droits des intimés reconnus par les art. 15 et 7.
La Cour d'appel (1988), 21 B.C.L.R. (2d) 165
En appel, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a conclu que la Charte s'appliquait à l'hôpital tant à l'égard de l'adoption du règlement 5.04 que de son application. Elle était d'avis que [TRADUCTION] "le contrôle exercé par le gouvernement sur l'exploitation de l'hôpital en général et la formulation de sa politique de retraite en particulier ne soulevaient aucun doute" (p. 168). Citant l'arrêt SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, de notre Cour, la Cour d'appel a affirmé que la question était de savoir si la violation alléguée était un acte du pouvoir législatif, exécutif ou administratif du gouvernement ou s'il se rattachait à un acte de l'une de ces branches du gouvernement d'une manière directe et définie précisément. Elle a répondu par l'affirmative, à la p. 169:
[TRADUCTION] Le règlement contesté en l'espèce, le règlement 5.04, a été approuvé par le ministre en octobre 1984. À notre avis, cette approbation suffit pour établir le lien direct et précisément défini avec le gouvernement dont il était question dans l'arrêt Dolphin Delivery, et qui assujettit à la Charte l'action d'un organisme non gouvernemental. Le règlement contesté découle d'une action de l'hôpital, mais il n'est entré en vigueur qu'à la suite de l'approbation du pouvoir exécutif du gouvernement provincial.
La cour a conclu son examen de la question de l'application de la Charte en affirmant, à la p. 169, que [TRADUCTION] "[s]i le règlement 5.04 est visé par la Charte, il en est de même des actes des organismes responsables de son application". À son avis, cela signifiait que la Charte s'appliquait à la politique du conseil de ne renouveler les privilèges d'admission des médecins de plus de 65 ans que s'ils avaient [TRADUCTION] "quelque chose d'unique à offrir à l'hôpital".
Examinant le par. 15(1) de la Charte, la Cour d'appel a conclu que le règlement 5.04 relevait du droit à l'égalité [TRADUCTION] "devant la loi" devant la loi garanti par cet article. Il en était ainsi parce que le règlement 5.04 constituait [TRADUCTION] "une règle ou un système de règles formulé par le gouvernement et imposé à tout ou partie de la société" (p. 169), ce qui en faisait une loi aux fins de l'art. 15. Quant à savoir si la violation du par. 15(1) avait été démontrée, la Cour d'appel a affirmé, à la p. 170, que la question [TRADUCTION] "est de savoir si le règlement 5.04 établit une distinction préjudiciable aux appelants que l'on peut qualifier d'abusive ou d'injuste compte tenu de leurs intérêts et des intérêts des autres personnes visées par les règlements". Produisant des éléments de preuve démontrant que le refus de l'hôpital de renouveler les privilèges d'admission des intimés revenait à restreindre leur pratique professionnelle, ou à y mettre fin, la cour a conclu que le règlement 5.04 établissait clairement une distinction fondée sur l'âge qui était préjudiciable à ceux qu'il visait. Elle a ensuite conclu que cette distinction ne pouvait être qualifiée de raisonnable et d'équitable. Après avoir souligné qu'il n'y avait aucune preuve que les intimés étaient incompétents ou avaient empêché d'autres médecins d'obtenir des privilèges d'admission ou que les médecins de plus de 65 ans étaient, de façon générale, incapables de respecter les normes élevées de l'hôpital, la cour a conclu ce qui suit, aux pp. 171 et 172:
[TRADUCTION] En toute logique, on ne peut justifier un règlement mettant fin aux privilèges d'admission à partir de 65 ans simplement parce que cela écartera la possibilité qu'un médecin incompétent soit rattaché à l'hôpital par la suite. Pour justifier une telle disposition, un rapport doit être établi entre l'âge de 65 ans et l'incompétence des médecins ou un autre préjudice portant atteinte à l'exploitation de l'hôpital. En l'absence d'un tel rapport, nous ne pouvons affirmer que la distinction établie par la mise à la retraite obligatoire à 65 ans est raisonnable et équitable.
La cour a ensuite examiné et rejeté l'argument que le règlement 5.04 n'établissait pas une politique de retraite obligatoire, mais constituait simplement une façon de déterminer ceux qui demeuraient habiles à pratiquer après 65 ans. À cet égard, la cour a souligné que bien que le règlement 5.04 précise que [TRADUCTION] "l'état de santé et le rendement continu" devaient être examinés pour décider de permettre à un médecin de reporter la date de sa retraite, le règlement ne restreignait pas l'examen à ces facteurs. Elle a également souligné que le conseil d'administration interprétait et appliquait le règlement 5.04 comme une disposition de mise à la retraite obligatoire puisque seuls les médecins aux [TRADUCTION] "compétences particulières" avaient en réalité la permission de reporter leur retraite.
Examinant l'article premier de la Charte, la cour a conclu que l'objectif du règlement 5.04 ‑‑ la prestation de soins médicaux et d'une formation médicale de première qualité ‑‑ était suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit protégé par la Constitution. Mais elle a décidé qu'on n'avait pas établi que les mesures choisies pour parvenir à cet objectif étaient de celles dont la justification peut se démontrer, compte tenu des directives formulées par notre Cour dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Et ce, parce que le règlement 5.04 [TRADUCTION] "doit être considéré comme injuste et arbitraire en l'absence d'une preuve ou d'une autre indication claire qu'il y a un rapport entre l'âge de 65 ans et l'incapacité à pratiquer correctement la médecine ou un autre préjudice portant atteinte au fonctionnement de l'hôpital" (p. 173). Autre motif de la cour, le défaut d'établir le rapport en question signifiait qu'on [TRADUCTION] "ne pouvait pas affirmer que le retrait des privilèges d'admission aux médecins qui atteignent cet âge porte le moins possible atteinte à leurs droits compte tenu de l'objectif poursuivi, le maintien des normes médicales de première qualité à l'hôpital" (p. 173). Enfin, il y avait une absence de proportionnalité générale entre l'objectif que visait à atteindre le règlement 5.04 et les mesures employées, ce qui a amené la cour à réaffirmer [TRADUCTION] "l'absence d'un lien convaincant entre l'âge de 65 ans et la capacité de l'hôpital de respecter les normes de première qualité auxquelles il aspire en matière de soins, d'enseignement et de recherche" (p. 174).
Ayant statué en faveur des intimés à l'égard de l'argument fondé sur l'art. 15, la Cour d'appel a conclu qu'il n'était pas nécessaire d'examiner s'il y avait violation de l'art. 7 de la Charte.
Notre Cour a accordé l'autorisation de pourvoi et le juge en chef Dickson a formulé les questions constitutionnelles suivantes le 30 août 1988:
1.Les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés s'appliquent‑elles aux actions du Vancouver General Hospital relativement à la rédaction et à la mise en {oe}uvre du règlement 5.04 des Medical Staff Regulations?
2.Si la réponse à la question 1 est affirmative, le règlement 5.04 des Medical Staff Regulations est‑il contraire au par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés?
3.Si la réponse à la question 1 est affirmative, l'application du règlement 5.04 des Medical Staff Regulations par le Vancouver General Hospital est‑elle contraire au par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés?
4.Si la réponse aux questions 2 ou 3 est affirmative, le règlement 5.04 des Medical Staff Regulations ou la façon dont il est appliqué par le Vancouver General Hospital sont‑ils néanmoins justifiés en vertu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
Les procureurs généraux du Canada, de l'Ontario et de la Colombie‑Britannique sont intervenus.
L'application de la Charte
Pour décider de l'application de la Charte dans un cas particulier, il faut tenir compte du par. 32(1) qui se lit ainsi:
32. (1) La présente charte s'applique:
a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord‑Ouest;
b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.
Comme je l'ai dit dans l'arrêt McKinney, ces mots indiquent fortement que seul le gouvernement est lié par la Charte. Diverses explications peuvent être apportées pour justifier la décision de restreindre ainsi la Charte, et j'en ai mentionné quelques‑unes dans l'arrêt McKinney. Parmi celles‑ci, on note les liens historiques entre les déclarations des droits et les luttes pour restreindre le pouvoir exceptionnel du gouvernement d'imposer sa volonté aux individus ou groupes minoritaires; la croyance que les valeurs qu'une déclaration des droits vise à promouvoir et à protéger peut se réaliser mieux et de manière plus souple dans le domaine privé, si on s'en remet aux divers organismes administratifs ou quasi judiciaires spécialisés qui sont tenus et capables de traiter de la discrimination dans des contextes sociaux et économiques particuliers; la crainte concomitante qu'une déclaration des droits d'application générale aurait un effet trop paralysant sur la confiance qui est essentielle au véritable exercice de la liberté individuelle qu'une charte des droits vise à protéger; et le lourd sinon impossible fardeau que l'application de la Charte aux actions de nature privée imposerait aux tribunaux.
D'autres considérations de ce genre pourraient être apportées et l'ont été. Le défi des tribunaux est de trouver un principe sur lequel fonder la décision délibérée de n'appliquer une charte des droits et libertés qu'au gouvernement et à ses émanations. L'arrêt de principe à cet égard est évidemment l'arrêt SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., précité, de notre Cour. Dans cet arrêt, le juge McIntyre, au nom de la Cour, a souligné, à la p. 598, que le par. 32(1) considère le Parlement et les législatures "comme des branches de gouvernement séparées ou spécifiques, distinctes de l'exécutif" et que, par conséquent, le terme "gouvernement" utilisé à l'art. 32 désigne non pas le gouvernement au sens général ‑‑ c'est‑à‑dire au sens de l'ensemble de l'appareil gouvernemental de l'État ‑‑ mais plutôt une branche de gouvernement". D'où sa conclusion que "[l]e terme `gouvernement', qui suit les termes `Parlement' et `législature', doit alors . . . désigner la branche exécutive ou administrative du gouvernement", une conclusion qu'il étaye en mentionnant la manière dont le terme "gouvernement" a été utilisé dans la Loi constitutionnelle de 1867.
En résumé, le juge McIntyre était d'avis que les mentions au par. 32(1) du "gouvernement du Canada" et du "gouvernement de chaque province" ne pouvaient être interprétées de manière à faire relever de la Charte l'ensemble de cette entité vague que l'on désigne parfois de nos jours en science politique comme [TRADUCTION] "l'État". Ces mentions devaient plutôt être interprétées comme désignant ce que l'on a traditionnellement considéré être les institutions du gouvernement ‑‑ ces organismes auxquels la Constitution confère le pouvoir d'adopter et d'appliquer des lois d'application générale aux entités politiques. Ce qui ne veut pas dire que la Charte devait seulement s'appliquer au Parlement, aux législatures et aux ministres de la Couronne. Car bien que la Cour n'ait pas été appelée dans l'arrêt Dolphin Delivery à déterminer les circonstances dans lesquelles la Charte s'applique aux actions des organismes subordonnés créés, financés ou contrôlés par le gouvernement, le juge McIntyre s'est clairement prononcé en faveur de l'application de la Charte à ces organismes en incluant la "branche administrative" dans sa définition du terme "gouvernement". Plus précisément, il a dit, à la p. 602:
Il semblerait aussi que la Charte s'appliquerait à plusieurs formes de législation déléguée, de réglementation, de décrets, peut‑être de règlements municipaux et de règlements administratifs et généraux d'autres organes créés par le Parlement et les législatures.
La Cour, dans l'arrêt Dolphin Delivery, n'a pas non plus écarté la possibilité qu'une partie à un litige privé puisse avoir gain de cause en invoquant la Charte, pourvu qu'elle puisse démontrer que la partie contre qui la Charte a été invoquée devait recourir à une certaine forme d'action gouvernementale. Quant à savoir ce qui constituerait une intervention gouvernementale suffisante, le juge McIntyre n'avait pas à donner de réponse définitive. Cependant, alors qu'il examinait les circonstances dans lesquelles la Charte s'appliquerait aux ordonnances judiciaires dans un litige entre particuliers, il a souligné, à la p. 601, qu'un "lien plus direct et mieux défini entre l'élément d'action gouvernementale et la revendication qui est faite" était nécessaire, ce qui n'avait pas été établi par l'appelant dans l'arrêt Dolphin Delivery.
En l'espèce, les intimés ont soutenu qu'il n'était pas nécessaire d'examiner si le Vancouver General constitue l'un de ces organismes subordonnés auxquels la Charte s'applique. Ils soutiennent que parce que le règlement 5.04 ne pouvait entrer en vigueur que sur approbation du ministre de la Santé, son adoption et son application ultérieure doivent être qualifiées comme des actions du pouvoir exécutif du gouvernement auquel la Charte s'applique évidemment. À l'appui de cet argument, ils citent l'arrêt Procureur général du Québec c. Blaikie, [1981] 1 R.C.S. 312 (l'affaire Blaikie no. 2), de notre Cour.
Je ne crois pas que l'on puisse décider aussi facilement la question de l'applicabilité de la Charte aux faits de l'espèce. À mon avis, le fait que le règlement 5.04 ne soit entré en vigueur que lorsqu'il a été approuvé par le ministre de la Santé ne modifie pas sa nature de règlement de gestion interne de l'hôpital et de son personnel, qui a été conçu, rédigé et adopté par les autorités responsables de la gestion quotidienne des affaires internes de l'hôpital selon la Vancouver General Hospital Act. La preuve n'indique pas que le règlement 5.04 a été adopté à la demande du ministre de la Santé ni qu'il constitue d'une façon quelconque une politique ministérielle concernant le renouvellement des privilèges d'admission. La preuve indique plutôt que le règlement 5.04 est le produit d'un examen interne entrepris par l'hôpital à la demande de son conseil d'administration en 1979 concernant la retraite du personnel médical. Sans traiter pour l'instant de la question de savoir si le conseil d'administration devrait lui‑même être considéré comme un élément du gouvernement parce que la vaste majorité de ses membres sont nommés par le lieutenant‑gouverneur en conseil, on peut dire, dans ces circonstances, que le règlement 5.04 témoigne que l'hôpital jouit d'une large marge d'autonomie dans sa gestion interne. En d'autres termes, il n'y a aucune raison d'accorder une importance plus considérable au fait que le règlement 5.04 est entré en vigueur après approbation du ministre de la Santé qu'au fait qu'il résulte d'un examen des politiques internes de l'hôpital entrepris indépendamment du ministère ou de l'ensemble de la politique gouvernementale. Je suis d'accord avec les appelants que cette opinion est étayée par la preuve que les règlements portant sur la retraite qui ont reçu l'approbation ministérielle en Colombie‑Britannique varient considérablement d'un hôpital à l'autre. Ce qui laisse entendre que la politique de la retraite est laissée à l'appréciation des responsables de la gestion de chaque hôpital.
Il est particulièrement difficile de voir comment la nécessité de l'approbation ministérielle peut entraîner la conclusion qu'il faille considérer l'application du règlement 5.04 comme une action du pouvoir exécutif du gouvernement. Il n'y a absolument aucune preuve que la politique du conseil d'administration de ne renouveler les privilèges d'admission des médecins visés par le règlement 5.04 que s'ils [TRADUCTION] "avaient quelque chose d'unique à offrir à l'hôpital" a même été portée à l'attention du ministre ou de son personnel. La seule façon de dire que l'adoption et l'application de cette politique résultent de l'action du ministre est qu'elles n'étaient pas interdites par le texte du règlement approuvé par le ministre, en supposant pour l'instant que cette approbation pouvait en soi avoir fait du règlement 5.04 une action gouvernementale. Cependant, d'après ce raisonnement, les organes du gouvernement seraient responsables de toutes les actions qui porteraient d'une façon quelconque sur l'interprétation du règlement et la Charte s'appliquerait à toutes ces actions.
Je ne crois pas que l'arrêt Blaikie no. 2, précité, puisse être d'aucun secours à la position des intimés à cet égard. La question dans cet arrêt concernait la portée de l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. Notre Cour a conclu que l'art. 133 s'appliquait non seulement aux lois adoptées par la législature de la province de Québec, mais également aux règlements et aux ordonnances des organismes statutaires, pourvu qu'il y ait un certain lien entre d'une part, ces règlements ou ordonnances, mis à part le pouvoir délégué de les adopter, et d'autre part, la législature du Québec à laquelle l'art. 133 est restreint selon ses termes. Citant le principe que "dans notre régime constitutionnel, les mesures édictées par le gouvernement doivent être assimilées aux mesures adoptées par la Législature", la Cour a conclu, à la p. 329, que les règlements et ordonnances subsidiaires relevaient de l'art. 133 chaque fois que "ces autres règlements sont soumis à l'approbation du gouvernement". Elle a affirmé, à la p. 329:
Le texte particulier des différentes lois importe peu à cet égard. Que la loi dispose que certains règlements "n'entreront en vigueur que lorsqu'ils auront été approuvés et sanctionnés par le lieutenant‑gouverneur en conseil" ou "ne seront pas mis à exécution avant d'avoir été approuvés par le lieutenant‑gouverneur en conseil" ou "n'auront aucun effet avant d'avoir été confirmés par le lieutenant‑gouverneur en conseil", ils peuvent être assimilés à des mesures du gouvernement et, par conséquent, de la Législature tant qu'une action positive du gouvernement est nécessaire pour leur insuffler la vie. Sans cette approbation ou confirmation, ils sont nuls . . . ou à tout le moins inopérants.
S'appuyant sur cette affirmation, les intimés soutiennent que le fait que les règlements du Vancouver General n'entrent en vigueur qu'après avoir reçu l'approbation du ministre de la Santé devrait les faire relever du par. 32(1) de la Charte de la même façon que la nécessité de l'approbation du pouvoir exécutif fait relever de l'art. 133 les règlements et ordonnances des organismes subsidiaires du gouvernement du Québec. Il convient cependant de rappeler que, alors que l'art. 133 concerne la portée d'un intérêt ou d'un droit précis, bien qu'important, le par. 32(1) concerne la portée d'une déclaration des droits générale englobant plusieurs types de droits et de libertés différents et donc plusieurs aspects de l'activité du gouvernement. Je ne crois pas que ce que la Cour a affirmé en ce qui concerne la portée de l'art. 133 se transpose facilement pour délimiter la portée du par. 32(1). Il convient également de souligner que l'affirmation suivante se retrouve dans l'introduction des motifs de notre Cour dans l'arrêt Blaikie no. 2, à la p. 319:
Il importe de souligner qu'il s'agit dans la présente affaire de règlements qui constituent de la législation déléguée proprement dite et non pas des règles ou directives de régie interne.
Conformément à ce que j'ai déjà dit, je pense qu'il est clair que le règlement 5.04, traitant comme il le fait de la retraite du personnel médical, n'est pas une disposition législative déléguée, mais fait partie essentiellement des "règles ou directives de régie interne". Il s'ensuit qu'il ne s'agit pas du type de règlements dont se préoccupait la Cour lorsqu'elle établissait les paramètres de l'art. 133. L'obligation d'obtenir l'approbation du gouvernement n'est rien de plus qu'un mécanisme pour veiller à ce que les actions de l'hôpital ne soient pas contraires aux pouvoirs conférés au gouvernement par la législature de prévoir des normes en matière d'administration hospitalière. Il ne s'agit que d'un simple pouvoir de contrôle destiné à cette fin. Il ne modifie pas la responsabilité permanente du conseil d'administration de gérer les affaires de l'hôpital à l'avantage de la collectivité.
Compte tenu de ce qui précède, je suis d'avis de conclure que ni le règlement 5.04 ni son application ne peuvent être véritablement considérés comme des actes du pouvoir exécutif du gouvernement. J'estime qu'il est évident qu'ils ne peuvent être considérés comme des actes du pouvoir législatif du gouvernement puisqu'il ne semble pas y avoir de disposition dans l'une ou l'autre des lois régissant l'exploitation du Vancouver General qui l'oblige à adopter une politique particulière concernant le renouvellement des privilèges d'admission des médecins qui ont atteint 65 ans. Il n'y a certainement rien dans la législation applicable qui exige l'adoption de la politique particulière que l'hôpital a de fait adoptée. La question est donc de savoir si le Vancouver General fait partie de ce que le juge McIntyre a appelé la "branche administrative" du gouvernement.
On ne peut simplement y répondre en soulignant que la prestation des soins de santé et des services hospitaliers constitue une partie importante du mandat législatif des gouvernements provinciaux, et que le Vancouver General a été constitué en personne morale dans le but précis de fournir ces soins et ces services. Si cela suffisait en soi pour rendre la Charte applicable à l'hôpital et aux autres organismes et individus visés par les soins de santé ou les services hospitaliers, un vaste éventail d'institutions et d'organismes considérés habituellement comme faisant partie du secteur privé, allant des compagnies aériennes, des chemins de fer et des banques aux syndicats, aux orchestres et aux autres organismes culturels, relèverait également de la Charte. En effet, chacune de ces entités, ainsi que plusieurs autres, ont pour but de fournir un service qui constitue un élément important du mandat législatif de l'un ou l'autre palier de gouvernement.
En résumé, comme dans l'arrêt McKinney, nous ne devons pas nous arrêter uniquement au fait que le Vancouver General est un organisme constitué en personne morale qui offre un important service public. À cet égard, les intimés adoptent les conclusions de la Cour d'appel quant à la mesure et l'importance de la participation du gouvernement dans l'exploitation du Vancouver General. En concluant que l'hôpital était contrôlé par le gouvernement de la Colombie‑Britannique et donc assujetti à la Charte, la Cour d'appel a résumé comme suit, aux pp. 168 et 169, ce qu'elle estimait être les dispositions pertinentes de la Hospital Act:
[TRADUCTION] Le paragraphe 2(1) oblige l'hôpital à prévoir la représentation du gouvernement au conseil de gestion, de la manière que le gouvernement estime nécessaire; à avoir un conseil et des règlements que le ministre juge nécessaires, tout acte constitutif, règlement ou règle étant inopérants sans l'approbation du ministre; et à se conformer aux conditions établies par le lieutenant‑gouverneur en conseil ‑‑ une disposition qui permet au lieutenant‑gouverneur d'imposer pratiquement toute exigence qu'il estime appropriée.
Le paragraphe 2(3) accorde au gouvernement un droit absolu de nommer les personnes au conseil de gestion de l'hôpital. L'article 32 prévoit que le ministre peut exiger que les règlements soient examinés d'une manière qu'il estime satisfaisante et le par. 36(1) permet au lieutenant‑gouverneur d'adopter tout autre règlement qu'il estime nécessaire ‑‑ des règlements qui peuvent viser pratiquement tous les aspects de l'exploitation d'un hôpital en vertu du par. 36(3). Le paragraphe 41(1) prévoit un contrôle ministériel supplémentaire lorsque les hôpitaux reçoivent des subsides à des fins de construction et les par. 44(4) et (6) permettent au gouvernement de nommer un administrateur public pour gérer l'hôpital et remplacer le conseil. Cet administrateur peut se voir accorder le contrôle entier de l'hôpital (par. 44(5)), sous réserve des conditions établies par le lieutenant‑gouverneur en conseil.
Le contrôle réel de l'hôpital par le gouvernement est confirmé par l'art. 6 du Vancouver General Hospital Act qui prévoit que les règlements adoptés par le conseil de l'hôpital n'entrent en vigueur que sur approbation du ministre.
Bien que ce résumé m'apparaisse essentiellement exact, avec égards, je ne puis partager l'opinion de la Cour d'appel qu'il implique l'existence d'un contrôle gouvernemental d'une nature et d'une qualité qui justifieraient l'application de la Charte. J'ai déjà exprimé mon opinion quant à l'importance relative de la nécessité de l'approbation du règlement de l'hôpital par le ministre de la Santé. J'estime également peu important que la Hospital Act prévoie un contrôle ministériel quant à l'emploi par l'hôpital des subventions reçues de la province et affectées, selon les termes du par. 41(1), [TRADUCTION] "à la planification, la construction, la reconstruction, l'achat et l'équipement d'un hôpital . . . ou à l'acquisition de bien‑fonds ou d'édifices pour les hôpitaux". Le fait que le Vancouver General ne soit pas autonome lorsqu'il est question de l'utilisation des sommes qui lui sont remises par le gouvernement à des fins d'investissements en capital déterminés ne révèle rien du degré d'autonomie dont l'hôpital bénéficie dans l'ensemble. Cela indique plutôt que la participation directe du gouvernement dans le processus décisionnel de l'hôpital est l'exception plutôt que la règle.
Cet argument peut même s'appliquer plus vigoureusement en ce qui concerne le par. 36(1), qui permet au lieutenant‑gouverneur en conseil d'adopter les autres règlements qu'il estime nécessaires, et l'art. 4, qui prévoit la nomination d'un administrateur public et le remplacement du conseil d'administration. Lorsque l'on comprend que le pouvoir du ministre en vertu du par. 36(1) est d'adopter [TRADUCTION] "tout autre règlement qu'il estime nécessaire aux fins de l'application des dispositions de cette Loi pour répondre aux situations d'urgence que celle‑ci ne prévoit pas expressément" (je souligne), il devient clair que les deux dispositions n'ont rien à voir avec l'exploitation quotidienne des hôpitaux auxquels elles s'appliquent. Elles prévoient plutôt les circonstances exceptionnelles où l'on estime nécessaire la participation directe et importante du gouvernement dans la gestion d'un hôpital. Encore une fois, le fait que la loi prévoie spécialement l'intervention du ministre dans ces situations indique qu'elle suppose que la gestion d'un hôpital est une question qui relève habituellement du jugement de son conseil d'administration.
En résumé, il est capital dans l'évaluation du cadre législatif résumé par la Cour d'appel d'avoir présent à l'esprit la différence entre le contrôle absolu ou extraordinaire et le contrôle routinier ou régulier. Bien qu'on ne puisse contester que l'existence du Vancouver General relève en dernier ressort du gouvernement de la Colombie‑Britannique, je ne crois pas que l'on puisse affirmer que la Hospital Act assujettit les aspects quotidiens ou routiniers du fonctionnement de l'hôpital, comme l'adoption d'une politique en matière de renouvellement des privilèges d'admission accordés au personnel médical, au contrôle du gouvernement. Au contraire, cela signifie que la responsabilité en ces matières, sous réserve d'une situation extraordinaire, relève du conseil d'administration du Vancouver General. On pourrait d'ailleurs affirmer qu'elle le reconnaît expressément, en ce qu'elle définit le terme [TRADUCTION] "conseil d'administration" comme [TRADUCTION] "les directeurs, gestionnaires, fiduciaires ou autre groupe de personnes ayant le contrôle et la gestion d'un hôpital" (art. 1). L'article 5 de la Vancouver General Hospital Act va dans le même sens puisqu'il prévoit que [TRADUCTION] "les biens et les affaires de la société sont gérés par un conseil d'administration". Ces deux dispositions seraient inutiles à moins que la Hospital Act ne soit interprétée conformément à la distinction entre les contrôles ultimes ou extraordinaires et les contrôles routiniers ou réguliers que j'ai déjà décrits.
À cet argument, on peut opposer que le conseil d'administration est en soi une extension du ministre de la Santé et un instrument de la politique du gouvernement. Cette objection pourrait s'appuyer sur le par. 2(1) de la Hospital Act, qui impose à tous les hôpitaux l'obligation d'avoir [TRADUCTION] "des règlements ou des règles que le ministre estime nécessaires à l'administration et à la gestion des affaires de l'hôpital ainsi qu'à la prestation de soins et de traitements de première qualité". Elle pourrait également s'appuyer sur l'art. 32 qui confère au ministre le pouvoir [TRADUCTION] "[d']exiger que les règlements ou règles d'un hôpital, . . . soient examinés d'une manière qu'il estime satisfaisante en vue de répondre à des conditions et des politiques en évolution et d'apporter plus d'uniformité et d'efficacité dans les domaines relevant de l'administration et de l'exploitation des hôpitaux". Enfin, on pourrait dire que le rôle subordonné du conseil d'administration ressort clairement du par. 2(3), lequel accorde au gouvernement ce que la Cour d'appel qualifie de "droit absolu de nommer les personnes au conseil de gestion de l'hôpital". Comme les intimés le soulignent, le gouvernement nomme 14 des 16 membres du conseil d'administration du Vancouver General.
Je statuerais sur cet argument de la façon suivante. Premièrement, je ne crois pas qu'obliger le conseil d'administration à adopter des règlements que le ministre de la Santé estime nécessaires modifie sa responsabilité à l'égard des règlements ou des règles, comme le règlement 5.04, qu'il adopte de sa propre initiative et conformément à ce qu'il estime être les meilleurs intérêts du Vancouver General. On peut dire la même chose du pouvoir du ministre d'ordonner l'examen des règlements de l'hôpital, à tout le moins jusqu'à ce que cet examen soit effectivement ordonné.
Quant au pouvoir du lieutenant‑gouverneur de nommer les membres du conseil d'administration, bien qu'il soit vrai, comme je l'ai déjà noté, que le règlement de l'hôpital prévoit la nomination de 14 membres du conseil d'administration par le lieutenant‑gouverneur en conseil, il précise ensuite que deux membres doivent être nommés à partir de chacune des listes de candidats présentées respectivement par le président de l'Université de la Colombie‑Britannique, la British Columbia Health Association et le conseil d'administration du Vancouver General lui-même. L'un des membres doit être nommé à partir des candidats présentés par le British Columbia Institute of Technology, alors que sept membres doivent provenir "de la collectivité en général". Je pense que cela signifie que le pouvoir de nomination du lieutenant‑gouverneur est bien loin d'être aussi discrétionnaire que les intimés le prétendent. Cela indique également, surtout lorsqu'on se rappelle que les deux autres membres du conseil d'administration sont le président de l'hôpital et le président du conseil consultatif médical de l'hôpital, qu'aucun membre du conseil d'administration ne représente le ministre de la Santé ou le gouvernement en général. Chacun représente plutôt l'un des groupes ou des organismes qui ont un intérêt direct dans le Vancouver General et les services qu'il offre. Il n'est pas exagéré de dire que le pouvoir de nomination du lieutenant‑gouverneur est simplement, compte tenu de l'art. 2, un mécanisme visant à assurer une représentation équilibrée de ces groupes et organismes au sein du principal organisme décisionnel de l'hôpital. Il ne s'agit pas d'un moyen permettant au gouvernement de contrôler régulièrement les activités quotidiennes de l'hôpital. Cette conclusion s'appuie sur le fait qu'en vertu de l'al. 2 de l'art. 2, les nominations au conseil d'administration sont pour des mandats déterminés.
Compte tenu de ce qui précède, je suis d'avis que l'hôpital appelant ne fait pas partie du gouvernement au sens de l'art. 32 de la Charte. Il s'ensuit que son adoption et son application du règlement 5.04 ne relèvent pas de la portée de la Charte. J'ajouterais qu'il ne peut être question que le Vancouver General soit assujetti à la Charte parce qu'il exerce une fonction gouvernementale, car il découle de ce que j'ai déjà dit que la prestation d'un service public, même s'il s'agit d'un service aussi important que les soins de santé, ne relève pas du genre de fonction que l'on peut qualifier de fonction gouvernementale en vertu de l'art. 32. À cet égard, cette affaire diffère des situations visées dans les décisions Re McCutcheon and City of Toronto (1983), 147 D.L.R. (3d) 193 (H.C. Ont.), et Re Klein and Law Society of Upper Canada (1985), 16 D.L.R. (4th) 489 (C. Div. Ont.), à supposer qu'elles soient bien fondées. J'ajouterais également qu'il ne s'agit pas d'une affaire où la Charte s'applique à une action précise d'un organisme qui n'est pas généralement lié par la Charte. Le seul lien précis entre les actions du Vancouver General relativement à l'adoption et à l'application du règlement 5.04 et les actions du gouvernement de la Colombie‑Britannique était l'exigence selon laquelle le règlement 5.04 devait recevoir l'approbation du ministre. Compte tenu de ce que j'ai déjà dit au sujet de cette obligation, "un lien plus direct et mieux défini", pour reprendre les propos du juge McIntyre dans l'arrêt Dolphin Delivery, devrait être démontré pour m'inciter à conclure que la Charte s'applique à cet égard.
Ces conclusions suffisent pour disposer du pourvoi en faveur de l'hôpital appelant. Cependant, comme dans l'arrêt McKinney, je vais également examiner l'affaire en supposant que le Vancouver General fait partie du gouvernement et analyser la question de savoir si le règlement 5.04 et les mesures prises pour l'appliquer violent l'art. 15 de la Charte.
L'article 15 de la Charte
En supposant que le Vancouver General fait partie du gouvernement au sens de l'art. 32, je vais maintenant examiner la question de savoir si sa politique de ne pas renouveler les privilèges d'admission des médecins qui ont atteint 65 ans à moins qu'ils n'aient "quelque chose d'unique à offrir à l'hôpital" viole l'art. 15 de la Charte.
Tout d'abord, pour répondre à cette question, il faut déterminer si l'inégalité reprochée découle d'une "loi". Je pense qu'il est évident que si le règlement 5.04 avait été adopté par le gouvernement, il serait considéré comme une loi, et il n'est pas nécessaire d'expliquer cette qualification en détail. À cet égard, il s'agit d'une affaire beaucoup plus claire que l'affaire McKinney, car en l'espèce la conduite contestée n'est pas le résultat de négociations avec les représentants de ceux qui prétendent que les droits que leur reconnaît l'art. 15 sont violés. Il est aussi clair que la "loi" en question ne comprend pas seulement le règlement 5.04 mais aussi la politique suivie en l'appliquant à ceux qui y sont assujettis. Il serait absurde que notre droit à l'égalité "devant la loi" et à "la même protection et au même bénéfice de la loi" ne comprenne pas la manière dont une loi est interprétée et appliquée par les responsables de son application. C'est souvent ce processus d'interprétation et d'application qui détermine les répercussions d'une loi sur la vie de ceux qu'elle vise. Ces opinions sont conformes à la décision de notre Cour dans l'arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, ainsi qu'aux remarques du juge Linden dans la décision Re McCutcheon and City of Toronto, précité, à la p. 202. Elles sont également conformes à la jurisprudence de la Cour suprême des États‑Unis, qui reconnaît clairement que la protection constitutionnelle contre l'action discriminatoire de l'État ne se restreint pas au contexte législatif; voir les arrêts Regents of the University of California v. Bakke, 438 U.S. 265 (1978); Roth v. United States, 354 U.S. 476 (1957).
Ayant conclu que le règlement 5.04 et la politique adoptée par le conseil d'administration comme guide pour son application relèvent de la protection constitutionnelle conférée par l'art. 15, la question est de savoir s'ils sont discriminatoires compte tenu de la décision de notre Cour dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143. Comme c'est le cas pour les politiques de retraite obligatoire des universités qui ont été examinées dans l'arrêt McKinney, je pense qu'il serait très difficile de prétendre qu'ils ne le sont pas. Ils établissent une distinction fondée sur l'âge, l'une des caractéristiques personnelles énumérées au par. 15(1). Il s'agit d'une distinction clairement discriminatoire au sens du critère formulé par notre Cour dans l'arrêt Andrews. À cet égard, l'affirmation suivante, tirée des motifs du juge McIntyre, aux pp. 174 et 175, illustre le raisonnement de la Cour:
J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont rarement.
Il n'y a pas de doute que le règlement 5.04 et la politique du conseil d'administration du Vancouver General qui en découle imposent aux médecins qui pratiquent à l'hôpital et qui ont atteint 65 ans un fardeau qui n'est pas imposé à leurs collègues plus jeunes. La preuve indique que, pour la plupart des intimés, le refus de l'hôpital de renouveler leurs privilèges d'admission signifie qu'ils devront restreindre de manière draconienne l'exercice de leur profession. Pour certains, cela signifie la fin de leur pratique médicale. En résumé, le règlement 5.04, tel qu'il est appliqué par le conseil d'administration, impose aux intimés une retraite partielle ou complète. Les répercussions qu'entraîne cette politique sur le bien‑être physique et psychologique d'un individu sont graves. Dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, on a décrit le travail de la façon suivante, à la p. 368:
Le travail est l'un des aspects les plus fondamentaux de la vie d'une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société. L'emploi est une composante essentielle du sens de l'identité d'une personne, de sa valorisation et de son bien‑être sur le plan émotionnel.
McDougall, Lasswell et Chen dans leur ouvrage, Human Rights and World Public Order (1980), ont décrit les [TRADUCTION] "répercussions traumatisantes de la perte subite des rôles habituels, précipitées par une retraite forcée" (p. 781). L'effet du règlement 5.04 et de la politique du conseil d'administration qui en découle est d'imposer ces privations en fonction d'une caractéristique personnelle attribuée aux individus en raison seulement de leur appartenance à un groupe, c'est‑à‑dire, à celui des gens âgés de plus de 65 ans. Ils sont pour cette raison discriminatoires au sens du par. 15(1) de la Charte.
L'argument des appelants concernant cet aspect de l'affaire est essentiellement qu'il n'y a pas discrimination parce que le règlement 5.04 et la décision de politique en vertu de laquelle il a été appliqué sont raisonnables compte tenu des fins qu'ils visent. À cet égard, l'avocat des appelants a attiré notre attention sur le témoignage de divers témoins experts qui ont comparu à l'audience concernant l'effet de l'âge sur les aptitudes d'un médecin. Il a également attiré notre attention sur ce qu'il a décrit comme les [TRADUCTION] "préoccupations institutionnelles" du Vancouver General qu'il prétendait être visées par le règlement 5.04. Ces préoccupations sont: la nécessité de contrôler la taille du personnel médical pour favoriser sa cohésion, qui est essentielle à la pratique de l'hôpital de s'adresser à des équipes dans la prestation des traitements médicaux, le rôle qu'un changement régulier de personnel joue pour permettre à l'hôpital d'être à la fine pointe de la recherche et des techniques de soins de courte durée, et la nécessité de voir à ce que les ressources limitées de l'hôpital soient mises à la disposition de ceux qui peuvent en faire l'usage le plus efficace et le plus productif. Selon lui, ces diverses préoccupations sont particulièrement importantes dans le cas du Vancouver General compte tenu de son rôle et de ses responsabilités comme institution de recherche, de formation et de soins de courte durée. Il a ajouté que ces préoccupations, jointes à la preuve sur les effets du vieillissement, indiquent que les actions de l'hôpital dans l'adoption et l'application du règlement 5.04 sont tout à fait raisonnables. Il s'ensuit donc que les intimés n'ont pas été victimes de discrimination.
Le problème que soulève cet argument peut être rapidement formulé; il confond la question de savoir s'il y a eu discrimination avec celle de savoir si la discrimination peut se justifier "dans une société libre et démocratique". La preuve et les [TRADUCTION] "préoccupations institutionnelles" mentionnées portent sur cette dernière question et, comme telles, doivent être considérées en vertu de l'article premier de la Charte. Elles ne répondent pas à la question de savoir s'il y a eu violation du par. 15(1). Par conséquent, j'examine maintenant l'article premier.
L'article premier de la Charte
Généralités
Comme je l'ai souligné dans l'arrêt McKinney, c'est dans l'arrêt R. c. Oakes, précité, que notre Cour a présenté pour la première fois un mode détaillé d'application de l'article premier. L'obligation de justifier la limite apportée à un droit reconnu par la Charte incombe aux parties qui veulent la maintenir. Le point de départ de l'analyse consiste à évaluer les objectifs de la loi pour déterminer s'ils sont suffisamment importants pour justifier la limitation du droit garanti par la Constitution. La loi contestée est ensuite assujettie à un critère de proportionnalité où l'objectif de cette loi est soupesé en fonction de la nature du droit, de l'étendue de sa violation et de la mesure dans laquelle la limite apportée favorise d'autres droits ou politiques importants dans une société libre et démocratique.
Comme notre Cour l'a récemment affirmé dans l'arrêt États‑Unis d'Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469, et comme je l'ai répété dans l'arrêt McKinney, cette tâche ne devrait pas être envisagée d'une manière mécaniste. Aux pages 1489 et 1490 de l'arrêt Cotroni, on a dit que "[b]ien qu'il faille accorder priorité dans l'équation aux droits garantis par la Charte, les valeurs sous‑jacentes doivent être, dans un contexte particulier, évaluées délicatement en fonction d'autres valeurs propres à une société libre et démocratique que le législateur cherche à promouvoir". Au début de la formulation de ce critère d'évaluation, le juge en chef Dickson a souligné que "[t]ant dans son élaboration de la norme de preuve que dans sa description des critères qui comprennent l'exigence de proportionnalité, la Cour a pris soin d'éviter de fixer des normes strictes et rigides. Voir l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, aux pp. 768 et 769. Dans le contexte particulier du par. 15(1), j'ai précisé ce point dans l'extrait suivant de l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, précité, à la p. 198:
Il n'est pas facile de vérifier jusqu'à quel point une société libre et démocratique comme le Canada devrait tolérer la différenciation fondée sur des caractéristiques personnelles. Il y aura rarement, si jamais il peut y en avoir, de correspondance parfaite entre les moyens et les fins sauf si la loi a des objectifs discriminatoires. Comme il ressort de décisions antérieures, un critère de proportionnalité doit jouer. Dans des cas comme celui‑ci, le critère doit être abordé d'une manière souple. L'analyse devrait être pratique et porter sur la nature de la classification en question, l'importance des intérêts lésés sur les plans de la Constitution et de la société, l'importance relative que revêt pour les individus touchés l'avantage dont ils sont privés et l'importance de l'intérêt de l'État.
Comme je l'ai souligné dans l'arrêt McKinney, il est important dans l'examen des questions soulevées par une affaire comme celle‑ci de souligner que l'appréciation judiciaire de l'intérêt de l'État différera selon que l'État est "l'adversaire singulier" de la personne dont les droits ont été violés, comme ce sera habituellement le cas lorsque la violation se produit dans le contexte du droit criminel, ou selon qu'il cherche plutôt à défendre une loi ou une autre conduite portant sur "la conciliation de revendications contraires de groupes ou d'individus ou la répartition de ressources gouvernementales limitées": voir l'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, à la p. 994. Dans le premier cas, les tribunaux pourront déterminer avec un certain degré de certitude si la loi contestée ou toute autre conduite gouvernementale fait appel aux "moyens les moins radicaux" pour atteindre l'objectif de l'État, compte tenu de leur connaissance des valeurs et du fonctionnement du système de justice criminelle et du système judiciaire en général. Cependant, comme notre Cour l'a souligné dans l'arrêt Irwin Toy, il ne sera peut‑être pas possible d'atteindre le même degré de certitude dans le second cas.
J'examine maintenant les objectifs de la "loi" en question.
Les objectifs
Puisque les arguments de l'avocat des appelants quant au caractère raisonnable du règlement 5.04 et de la politique en vertu de laquelle ce dernier a été appliqué ont porté sur la question de savoir s'il y avait discrimination au sens de l'art. 15 de la Charte, il n'a pas défini précisément leurs objectifs sous‑jacents aux fins d'un examen fondé sur l'article premier. Il a cependant énuméré les [TRADUCTION] "préoccupations institutionnelles" que, selon lui, le conseil d'administration avait à l'esprit en adoptant le règlement 5.04. Font partie de ces préoccupations la nécessité de restreindre l'accroissement du personnel de l'hôpital pour tenir compte des restrictions en matière de budget et de ressources en vertu desquelles le Vancouver General doit fonctionner, la volonté de restreindre la taille du personnel pour encourager et maintenir la cohésion d'un personnel capable de pratiquer la médecine dans un esprit d'équipe, et la nécessité d'offrir aux jeunes médecins récemment formés selon les dernières techniques médicales certains des postes et des ressources de l'hôpital.
C'est cette dernière "préoccupation institutionnelle" qui porte sur ce que j'estime être l'objectif fondamental du règlement 5.04 et de sa politique d'application. À cet égard, le règlement 5.04 est semblable aux politiques de retraite obligatoire examinées dans l'arrêt McKinney. Tout comme ces politiques faisaient partie de la recherche de l'excellence dans les universités en matière de haut savoir, le règlement 5.04 et la politique qui s'y rattache visaient à maintenir et à promouvoir la qualité des soins médicaux que pouvait offrir le Vancouver General. Bref, ils faisaient partie de la recherche de l'excellence par l'hôpital dans le cadre de son mandat comme centre de recherche et de formation médicales et comme principal hôpital de soins de courte durée dans la province de la Colombie‑Britannique.
Je ne doute pas que cet objectif réponde au [TRADUCTION] "critère des objectifs" tel qu'il a été formulé dans la jurisprudence; il s'agit d'un objectif qui justifie la suppression de garanties constitutionnelles, pourvu qu'il satisfasse aux autres exigences du critère de l'article premier. L'excellence dans la pratique de la médecine et dans la prestation des services médicaux constitue certainement un objectif très important qui apporte évidemment des avantages à la société. Il est capital à cet égard de souligner les responsabilités particulières qui incombent au Vancouver General en raison de son mandat comme principal hôpital de soins de courte durée dans la province et de sa participation importante en matière de formation et de recherche. Il est donc juste de présumer que les soins spécialisés qu'il offre dépassent les possibilités de la plupart des autres hôpitaux de la province, sinon de tous. Par conséquent, on peut dire que la possibilité pour les gens de toutes les régions de la province d'obtenir des soins médicaux de grande qualité lorsqu'ils en ont le plus besoin dépend de la qualité des traitements qu'offre le Vancouver General. Et de façon toute aussi importante, la formation et la recherche assurées par l'hôpital sont essentielles pour que chaque région de la province ait à l'avenir des médecins compétents et bien formés.
Par conséquent, ayant déterminé que le règlement 5.04 et la politique qui s'y rattache constituent un objectif gouvernemental urgent et important, je vais maintenant déterminer si le règlement et sa politique sont appropriés ou proportionnels à l'objectif qu'ils visent à promouvoir.
La proportionnalité
Comme le juge en chef Dickson l'a formulé dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., précité, il faut habituellement suivre une démarche en trois étapes pour déterminer si les mesures appliquées sont proportionnelles aux objectifs fixés. Il a établi cette démarche dans ses motifs, à la p. 768, lorsqu'il a affirmé:
En second lieu, les moyens choisis pour atteindre ces objectifs doivent être proportionnels ou appropriés à ces fins. La proportionnalité requise, à son tour, comporte normalement trois aspects: les mesures restrictives doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question, ou avoir un lien rationnel avec cet objectif; elles doivent être de nature à porter le moins possible atteinte au droit en question et leurs effets ne doivent pas empiéter sur les droits individuels ou collectifs au point que l'objectif législatif, si important soit‑il, soit néanmoins supplanté par l'atteinte aux droits.
Je vais maintenant examiner l'espèce en fonction de chacun de ces "aspects" du critère de proportionnalité: le lien rationnel, l'atteinte minimale et les effets préjudiciables ou, comme on l'indique parfois, la proportionnalité générale.
La rationalité
Le règlement 5.04 et sa politique d'application ont sensiblement le même lien avec la recherche de l'excellence par le Vancouver General en matière de traitements médicaux, de recherche et de formation en matière médicale que celui qui existe dans l'arrêt McKinney, précité, entre une politique de retraite obligatoire et la recherche de l'excellence en matière d'enseignement dans les universités. Ce rapport permet le renouvellement régulier du personnel et l'apport intellectuel qui en découle. Ce que j'ai dit dans l'arrêt McKinney, à la p. 284, dans le cas des universités semble s'appliquer en l'espèce avec de légères modifications:
La retraite obligatoire ne justifie pas seulement le système de la permanence qui détermine l'ambiance particulière et essentielle de la vie universitaire. Elle assure le renouvellement continu des membres du corps professoral, un processus nécessaire pour permettre aux universités d'être des centres d'excellence. Les universités doivent être à la fine pointe des découvertes et des nouvelles idées, et cela exige l'injection permanente de nouvelles ressources humaines. Dans un système fermé ayant des ressources limitées, on ne peut y parvenir qu'avec le départ d'autres personnes. La retraite obligatoire réalise cela d'une façon méthodique qui permet une planification à long terme tant par les universités que par l'individu. [Souligné dans l'original.]
Mettant de côté pour l'instant la question du système de la permanence, je pense qu'on peut faire un examen semblable du règlement 5.04 et de la politique d'application qui s'y rattache. Pour des raisons évidentes, les hôpitaux, tout comme les universités, "doivent être à la fine pointe des découvertes et des nouvelles idées". Il serait même plus important que les hôpitaux soient toujours au courant des progrès les plus récents, puisque la vie et la santé humaines peuvent en dépendre et que les découvertes en matière de savoir médical et de techniques médicales progressent à un rythme si rapide. Ces remarques plutôt évidentes, qui s'appliquent aux hôpitaux en général, sont particulièrement pertinentes dans le cas d'un hôpital qui offre le genre de soins délicats et spécialisés dont est responsable le Vancouver General. Elles s'appliquent également avec une rigueur particulière à un hôpital comme le Vancouver General qui exerce des fonctions de recherche et de formation importantes.
Il est de même évident que les hôpitaux sont comme les universités en ce que leur capacité de se maintenir à la fine pointe des découvertes et des nouvelles idées "exige le concours permanent de nouveaux membres". Elle dépend plus particulièrement, comme l'ont reconnu les tribunaux d'instance inférieure, de leur capacité d'accueillir régulièrement au sein de leur personnel des jeunes médecins qui, en raison de leur formation récente, sont pleinement au courant des dernières théories, découvertes et techniques. Et comme les hôpitaux sont tout autant que les universités un "système fermé ayant des ressources limitées", cet apport régulier que fournissent les jeunes avec leur vitalité et leurs idées ne peut être réalisé que par le départ concomitant de certains des membres qui font déjà partie du personnel. Je souligne à cet égard la prétention de l'avocat des appelants que les ressources limitées en vertu desquelles le Vancouver General doit fonctionner faisaient partie des "préoccupations institutionnelles" à l'origine de l'adoption du règlement 5.04 et des mesures prises pour son application.
Vu sous cet angle, je pense qu'il est clair que le règlement 5.04 et sa politique d'application ont "un lien rationnel" avec l'objectif qui les sous‑tend. Ensemble, ils permettent aux jeunes médecins d'occuper des postes de façon régulière au fur et à mesure que les membres du personnel actuel atteindront 65 ans. Il est utile à cet égard d'envisager un poste au Vancouver General ou à tout autre hôpital comme une ressource offerte à la suite de la décision d'accorder ou de renouveler ou non des privilèges d'admission. La ressource est "limitée" en ce qu'elle ne peut augmenter de manière proportionnelle à l'accroissement du personnel médical. Il s'ensuit qu'elle ne sera pas offerte aux jeunes médecins dont un hôpital a besoin pour demeurer "à la fine pointe des découvertes et des nouvelles idées", à moins que certains de ceux qui en jouissent déjà n'y renoncent régulièrement et de manière prévisible. Le règlement 5.04 fait en sorte qu'il en sera ainsi.
À ce qui précède, j'ajouterais que le règlement 5.04 et la politique qui s'y rattache ont un "lien rationnel" avec leur objectif sous‑jacent d'une manière encore plus directe. En effet, grâce à eux non seulement des places seront‑elles accordées aux jeunes médecins récemment formés, mais encore elles s'offriront à la suite du départ de membres du personnel qui, en raison de leur âge, seront de moins en moins capables de faire preuve de la haute compétence que le Vancouver General attend de ses médecins. L'expérience de tous les jours montre que le rythme de détérioration des compétences et des aptitudes essentielles à la pratique de la médecine varie considérablement d'un individu à l'autre. Mais elle enseigne également, et la preuve le confirme généralement, qu'en règle générale cette détérioration s'accentuera lorsqu'une personne atteindra les dernières étapes de sa vie. Il s'ensuit qu'une règle qui prévoit la retraite des médecins avant que cette détérioration porte normalement atteinte à leur capacité de fonctionner pleinement et de manière compétente comme membres du personnel médical, a "un lien rationnel" avec la volonté du Vancouver General d'offrir des soins de santé et une formation médicale conformes aux normes les plus élevées de la compétence et de l'expertise professionnelles.
L'atteinte minimale
Pour aborder la question de savoir si le règlement 5.04 et sa politique d'application violent "le moins possible" les droits que reconnaît l'art. 15 aux intimés, je répéterais ce que j'ai déjà dit au sujet des considérations particulières applicables aux mesures qui portent directement sur la répartition des ressources ou qui tentent d'établir un équilibre entre les revendications contraires de groupes concurrents. Dans ces cas, ni l'expérience des juges ni les restrictions institutionnelles du processus décisionnel judiciaire ne préparent un tribunal à déterminer précisément le point d'équilibre entre l'objectif du législateur et la protection des droits et libertés d'un individu ou d'un groupe. Comme les juges de notre Cour, à la majorité, l'ont souligné dans l'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), précité, à la p. 993:
. . . en faisant correspondre les moyens et les fins, et en se demandant s'il a été porté le moins possible atteinte aux droits ou aux libertés, le législateur en arbitrant entre les revendications de groupes concurrents, sera encore obligé de trouver le point d'équilibre sans pouvoir être absolument certain d'où il se trouve.
Par conséquent, il sied donc que les tribunaux aient fait preuve d'une très grande souplesse dans l'examen d'une loi de ce genre en fonction de l'article premier de la Charte. Il en est ainsi non seulement parce que les tribunaux reconnaissent qu'il est difficile de faire un choix, mais également parce que cette loi a des répercussions sur des aspects très différents et reliés de la société et de la politique du gouvernement. Il en est également ainsi parce que dans une société démocratique il y a des avantages inhérents à laisser aux institutions représentatives le soin de traiter de questions comme le partage de ressources sociales limitées entre des groupes concurrents. On l'a reconnu expressément dans l'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), précité. Voici comment les juges de la majorité se sont exprimés, aux pp. 993 et 994:
Pour trouver le point d'équilibre entre des groupes concurrents, le choix des moyens, comme celui des fins, exige souvent l'évaluation de preuves scientifiques contradictoires et de demandes légitimes mais contraires quant à la répartition de ressources limitées. Les institutions démocratiques visent à ce que nous partagions tous la responsabilité de ces choix difficiles. Ainsi, lorsque les tribunaux sont appelés à contrôler les résultats des délibérations du législateur, surtout en matière de protection de groupes vulnérables, ils doivent garder à l'esprit la fonction représentative du pouvoir législatif. Par exemple "en réglementant une industrie ou un commerce, il est loisible au législateur de limiter sa réforme législative à des secteurs où il semble y avoir des préoccupations particulièrement urgentes ou à des catégories où cela semble particulièrement nécessaire" (Edwards Books and Art Ltd., précité, à la p. 772).
En résumé, comme la Cour l'a affirmé par la suite, la question est de savoir si les responsables de l'hôpital étaient raisonnablement fondés à conclure qu'ils portaient le moins possible atteinte au droit visé dans la poursuite de leurs objectifs urgents et réels. L'extrait suivant de l'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), précité, à la p. 994, concernant la restriction de la liberté d'expression dont il était question dans cet arrêt est d'application générale:
En l'espèce, la Cour est appelée à évaluer des preuves contradictoires, qui relèvent des sciences humaines, quant aux moyens appropriés de faire face au problème de la publicité destinée aux enfants. La question est de savoir si le gouvernement était raisonnablement fondé, compte tenu de la preuve offerte, à conclure qu'interdire toute publicité destinée aux enfants portait le moins possible atteinte à la liberté d'expression étant donné l'objectif urgent et réel que visait le gouvernement. [Je souligne.]
Pour en revenir aux faits de l'espèce, il découle de ce que j'ai dit que le règlement 5.04 et sa politique d'application tentent d'établir un équilibre entre les jeunes médecins qui veulent commencer à pratiquer et les médecins qui pratiquent depuis déjà un certain temps. Le règlement tente d'établir un équilibre entre leur demande mutuelle d'accès à une ressource essentielle à une pleine pratique médicale, soit un poste au sein du personnel médical de l'hôpital. Me rappelant que les tribunaux ne doivent pas tenter d'atteindre une précision artificielle pour déterminer si "l'équilibre approprié" a été établi, je suis toutefois d'avis que le conseil d'administration du Vancouver General était "raisonnablement fondé" à conclure que le règlement 5.04 et sa politique d'application portaient "le moins possible atteinte" aux droits à l'égalité des intimés compte tenu de son objectif urgent et réel.
À mon avis, le conseil était amplement justifié, compte tenu du climat actuel de restrictions budgétaires dans le secteur public, de conclure que sa capacité d'attirer de nouveaux médecins dépendait de la retraite au moment opportun de certains des médecins qui s'y trouvaient déjà. En outre, on ne peut dire que le conseil a agi de façon déraisonnable en concluant que la mise à la retraite réglementaire de ceux qui ont atteint 65 ans garantirait le départ de ceux qui seraient en général moins capables de contribuer à la pratique spécialisée de l'hôpital. Il convient de souligner qu'en appliquant sans exception le règlement 5.04, sauf dans les "cas particuliers où un médecin a quelque chose d'unique à offrir à l'hôpital", le conseil tentait de reconnaître que le principe de la détérioration des capacités de ceux qui ont 65 ans et plus n'était pas toujours exact. Bien que le règlement ait été appliqué en fonction des exigences de l'hôpital plutôt que de la santé et des capacités de chaque médecin individuellement, cela était probablement nécessaire compte tenu de l'objectif prédominant d'offrir des postes aux médecins récemment formés aux théories et aux méthodes les plus récentes.
On ne peut nier que le règlement 5.04 et sa politique d'application imposent une lourde perte à ceux qui ont 65 ans et souhaitent continuer à pratiquer. La preuve démontre clairement que ceux qui sont privés du renouvellement de leurs privilèges d'admission par suite de l'application du règlement 5.04 seront incapables de continuer à pratiquer la médecine de la manière et dans la mesure où ils l'avaient fait jusqu'à maintenant. Dans certains cas, le non‑renouvellement signifie la cessation complète de pratiques établies depuis longtemps et la fin de carrières professionnelles. Mais l'angoisse et le sentiment de perte que cela comporte ne peuvent être considérés indépendamment de la frustration et de la colère que les jeunes médecins connaîtraient s'ils étaient empêchés de pratiquer pleinement après de longues années de préparation et d'études sérieuses.
Les éléments de l'équation ne sont pas véritablement modifiés si, comme le fait l'avocat des intimés, on tient compte du sort des patients de ceux qui sont obligés de prendre leur retraite. Compte tenu de la détérioration qui est une caractéristique incontestable du vieillissement, on peut dire que le seul préjudice que le règlement 5.04 impose à ces patients, c'est de les obliger à changer de médecin plus tôt qu'ils ne l'auraient fait autrement. Plus important encore, tout préjudice ainsi subi est certainement plus que compensé par les avantages que ces patients et tous les autres bénéficiaires du système de santé de la Colombie‑Britannique tirent de l'apport régulier de nouveaux talents et de nouvelles idées au sein du principal hôpital de la province spécialisé en soins de courte durée et en recherche.
Cette façon de considérer le règlement 5.04 et la politique qui s'y rattache est confirmée lorsque la question de savoir s'ils établissent un équilibre raisonnable entre les usagers concurrents des ressources en cause est abordée dans l'optique des autres mesures possibles. La seule autre mesure qui semble avoir été envisagée était l'idée que le Vancouver General ait pu mettre sur pied un programme d'évaluation des aptitudes et du rendement. La preuve indique qu'un tel programme serait coûteux tant en ce qui concerne sa mise en {oe}uvre que son fonctionnement, un facteur qui n'est pas négligeable compte tenu de la situation financière difficile dans laquelle la plupart des hôpitaux et les services de soins de santé doivent maintenant fonctionner en général. Mais ce qui est plus important, c'est le sentiment d'injustice et l'effet néfaste qu'un tel programme provoquerait dans le milieu de travail de tous les membres du personnel médical de l'hôpital. Comme je l'ai expliqué dans l'arrêt McKinney, les évaluations d'aptitudes et de rendement peuvent être humiliantes, surtout lorsqu'elles sont appliquées à des professionnels chevronnés et expérimentés. Comme facteur d'application d'une règle de retraite obligatoire, elles iraient tout à fait à l'encontre de la dignité du départ qui devrait couronner une carrière professionnelle. La tension qu'ajouterait un système de retraite fondé sur le rendement dans un milieu de travail qui comporte déjà énormément de pression serait tout aussi préjudiciable. Il n'est pas difficile non plus d'imaginer comment un tel système susciterait la méfiance et la dissension au sein du personnel de l'hôpital.
À cet égard, il est important de souligner que la cohésion d'un personnel hospitalier dont les membres se plaisent à travailler au sein d'une équipe était l'une des "préoccupations institutionnelles" à l'origine de l'adoption du règlement 5.04 par le Vancouver General. Bien que l'avocat des appelants semble relier cette préoccupation au seul désir de limiter le nombre de médecins, je pense qu'elle est également tout à fait pertinente à la volonté d'éviter les effets perturbateurs d'une mise à la retraite fondée sur l'évaluation du rendement. Ce que j'ai dit dans l'arrêt McKinney sur le rôle que la retraite obligatoire joue dans le maintien de "l'ambiance . . . essentielle de la vie universitaire" s'applique également en l'espèce, peu importe que le système de la permanence, et l'animosité à l'égard des évaluations régulières de rendement qu'elle engendre, ne fasse pas partie en soi du milieu hospitalier.
À titre de dernière remarque sur cet aspect du pourvoi, j'ajouterais simplement qu'il n'est pas approprié que notre Cour [TRADUCTION] "se prononce après coup" sur la conclusion du gouvernement que 65 ans est l'âge approprié pour mettre en {oe}uvre sa politique de retraite obligatoire dans les faits. Sur cette question, je mentionne les remarques faites dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., précité, aux pp. 781 et 782, 800 et 801, selon lesquelles la tâche d'établir une "ligne de démarcation" devrait généralement être laissée au législateur.
Les effets préjudiciables
Il découle clairement de ce que j'ai dit de "l'atteinte minimale" que les effets du règlement 5.04 et de la politique qui s'y rattache ne sont pas sévères au point de l'emporter sur les objectifs urgents et réels du gouvernement. Dans ces circonstances, et parce qu'une explication complète reprendrait ce qui a déjà été dit dans la section précédente, je conclus qu'il n'est pas nécessaire d'ajouter quoi que ce soit concernant les effets préjudiciables du règlement contesté et de sa politique d'application.
Conclusion et dispositif
Je suis d'avis de disposer de ce pourvoi en affirmant que l'hôpital appelant ne fait pas partie du gouvernement au sens de l'art. 32 de la Charte. Il n'est donc pas lié par la Charte. Même si l'hôpital faisait partie du gouvernement, je suis d'avis de conclure que, bien que le règlement 5.04 et sa politique d'application suivie par le conseil d'administration du Vancouver General soient discriminatoires en vertu de l'art. 15 de la Charte, ils sont justifiés en vertu de l'article premier parce qu'il s'agit d'une "règle de droit" qui est restreinte "dans des limites . . . raisonnables" et dont "la justification [peut] se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique".
Je suis donc d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer les décisions du juge de première instance et de la Cour d'appel et de rejeter l'action des intimés. Je suis d'avis de répondre aux questions constitutionnelles de la façon suivante:
1.Les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés s'appliquent‑elles aux actions du Vancouver General Hospital relativement à la rédaction et à la mise en {oe}uvre du règlement 5.04 des Medical Staff Regulations?
Non.
2.Si la réponse à la question 1 est affirmative, le règlement 5.04 des Medical Staff Regulations est‑il contraire au par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés?
Si le règlement avait été adopté par le gouvernement, il serait contraire au par. 15(1) de la Charte.
3.Si la réponse à la question 1 est affirmative, l'application du règlement 5.04 des Medical Staff Regulations par le Vancouver General Hospital est‑elle contraire au par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés?
Si la politique avait été adoptée par le gouvernement, elle serait contraire au par. 15(1).
4.Si la réponse aux questions 2 ou 3 est affirmative, le règlement 5.04 des Medical Staff Regulations ou la façon dont il est appliqué par le Vancouver General Hospital sont‑ils néanmoins justifiés en vertu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
Si la réponse aux questions 2 ou 3 avait été affirmative, le règlement et la politique seraient néanmoins justifiés en vertu de l'article premier de la Charte.
//Le juge Wilson//
Version française des motifs rendus par
LE JUGE WILSON (dissidente) ‑‑ J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement de mon collègue le juge La Forest et, pour les motifs que j'ai exprimés dans l'arrêt McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229 rendus en même temps que les présents pourvois, je ne saurais, avec égards, être de son avis que la Charte canadienne des droits et libertés ne s'applique pas au Vancouver General Hospital. À mon avis, la Charte s'applique et, en conséquence, la politique de retraite obligatoire instaurée par l'hôpital appelant est inconstitutionnelle. Bien que les questions soulevées par les présents pourvois soient, dans l'ensemble, semblables à celles que notre Cour a examinées dans l'arrêt McKinney, il y a d'importantes différences que je veux analyser.
I. L'application de la Charte au Vancouver General Hospital
Le paragraphe 32(1) définit la portée d'application de la Charte.
32. (1) La présente charte s'applique:
a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord‑Ouest;
b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.
Dans l'arrêt McKinney, j'ai assez longuement analysé le par. 32(1). J'ai conclu que ce paragraphe avait pour objet d'étendre l'application de la Charte à toutes les entités et activités qu'on peut considérer comme "gouvernementales". J'ai défini les critères qui, selon moi, servaient à déterminer si une entité est assujettie à la Charte en vertu de l'art. 32. J'y ai dit à la p. 370 que:
. . . je favoriserais une méthode qui soulève les questions suivantes quant aux entités dont il n'est pas évident en soi qu'elles font partie des branches législative, exécutive ou administrative du gouvernement:
1. La branche législative, exécutive ou administrative du gouvernement exerce‑t‑elle un contrôle général sur l'entité en question?
2. L'entité exerce‑t‑elle une fonction gouvernementale traditionnelle ou une fonction qui, de nos jours, est reconnue comme une responsabilité de l'État?
3. L'entité agit‑elle conformément au pouvoir que la loi lui a expressément conféré en vue d'atteindre un objectif que le gouvernement cherche à promouvoir dans le plus grand intérêt public?
Avec égards, j'estime que l'application de ces trois critères nous amène forcément à conclure que la Charte s'applique au Vancouver General Hospital.
1. Application de ces critères au Vancouver General Hospital
a) Le critère du "contrôle"
L'examen des différents liens qui existent entre la province et l'hôpital appelant m'amène à conclure que le gouvernement provincial exerce un contrôle important sur celui‑ci. Plus précisément, le gouvernement exerce un contrôle sur le Vancouver General Hospital dans trois domaines: (1) l'administration interne, (2) les politiques et (3) le financement.
Commençons par le contrôle sur l'administration interne de l'hôpital; la Hospital Act, R.S.B.C. 1979, ch. 176, établit le rôle et les pouvoirs de l'hôpital appelant et de ses éléments constituants. L'article 30 prescrit que le lieutenant‑gouverneur en conseil peut nommer des inspecteurs dont le rôle consiste à examiner les comptes, les registres et le matériel et toute autre chose ayant trait à l'hôpital. L'article 37 édicte que le lieutenant‑gouverneur en conseil peut, par règlement, établir un ou plusieurs comités médicaux d'appel. Ces comités ont la compétence d'exercer un contrôle sur toutes les décisions de l'administration au sujet des questions relatives à l'exercice de la médecine ou de l'art dentaire à l'hôpital appelant. En vertu de l'al. 2(1)c) de la Loi, tout hôpital est tenu d'avoir un conseil d'administration régulièrement constitué. Ce conseil voit dans une grande mesure à l'administration générale de l'hôpital.
La Hospital Act et la Vancouver General Hospital Act, S.B.C., 1970, ch. 55 déterminent la composition du conseil d'administration. En vertu de l'al. 2(1)a) de la première Loi, l'hôpital appelant est tenu de prévoir, notamment, la représentation du gouvernement provincial au conseil d'administration. Cette disposition est mise en {oe}uvre en vertu de l'art. 5 de la Vancouver General Hospital Act qui dispose que le conseil d'administration est composé de personnes nommées en vertu de la Hospital Act. La composition même du conseil est régie par le par. 4(2) du règlement du Vancouver General Hospital. L'article 2 (et le par. 2(1)) édicte que le lieutenant‑gouverneur en conseil nomme 14 des 16 membres du conseil d'administration, les personnes ainsi nommées devant être choisies dans différents groupes déterminés. Si, cependant, un groupe déterminé ne propose pas de candidat, le lieutenant‑gouverneur en conseil peut nommer qui il veut (art. 3).
La compétence du conseil d'administration est générale et diversifiée. L'alinéa 2(1)b) prescrit que le conseil a plein contrôle sur les recettes et les dépenses de l'hôpital appelant. Celui‑ci doit aussi avoir le règlement que le ministre estime nécessaire à l'administration de l'hôpital et à la prestation de soins de haute qualité (al. 2(1)c)). En vertu de l'art. 6 de la Vancouver General Hospital Act, la compétence d'adopter ce règlement est attribuée au conseil d'administration. L'hôpital appelant dispose de pouvoirs spéciaux apparentés à ceux d'un gouvernement à bon nombre d'égards et l'exercice de ces pouvoirs relève présumément du conseil d'administration. Par exemple, les biens‑fonds de l'hôpital appelant ne sont pas sujets à l'expropriation en vertu de l'art. 45 de la Hospital Act et de l'art. 11 de la Vancouver General Hospital Act.
Les pouvoirs du conseil d'administration sont subordonnés à l'autorité du lieutenant‑gouverneur en conseil et du ministre de la Santé. Le lieutenant‑gouverneur en conseil et le ministre ont le pouvoir d'intervenir de façon importante dans l'administration du conseil. Le lieutenant‑gouverneur en conseil peut enjoindre à l'hôpital appelant de respecter toute obligation qui s'ajoute à celles que la Hospital Act impose (al. 2(1)d)). Il peut aussi édicter tout règlement supplémentaire qu'il estime nécessaire (par. 36(1)). De plus, en vertu de l'al. 2(1)c) de la Loi, les dispositions réglementaires adoptées par les conseils d'administration des hôpitaux sont inopérantes jusqu'à ce qu'elles aient été approuvées par le ministre; cette exigence est aussi reprise par l'art. 6 de la Vancouver General Hospital Act. Le ministre peut exiger que tout règlement soit modifié dans le sens qu'il souhaite (art. 32). Le ministre et le lieutenant‑gouverneur en conseil peuvent aussi modifier radicalement la composition des corps dirigeants de l'hôpital appelant. Le paragraphe 2(3) de la Hospital Act édicte que le lieutenant‑gouverneur en conseil peut nommer au conseil un nombre quelconque de personnes pour représenter le gouvernement de la province en dépit de toute autre loi, ou de l'acte constitutif et du règlement de tout hôpital. Enfin, ce qui est peut‑être le plus significatif, la province peut tout simplement prendre en charge le fonctionnement de l'hôpital appelant. En vertu du par. 44(1), le ministre peut nommer un comité d'enquête pour examiner tout aspect quelconque du fonctionnement de l'hôpital appelant. Sur réception du rapport du comité d'enquête, le ministre peut faire des recommandations au lieutenant‑gouverneur en conseil qui, à son tour, peut, en vertu de l'art. 44, nommer un administrateur public et évincer complètement le conseil d'administration.
À l'égard des politiques de l'hôpital appelant, je crois que la province exerce là aussi une mesure importante de contrôle. Par exemple, en vertu de la Hospital Act, l'hôpital appelant ne peut refuser d'admettre une personne parce qu'elle n'a pas de ressources financières (art. 4). Les hôpitaux ne sont pas autorisés à admettre une personne atteinte d'une maladie contagieuse à moins que le ministre ne soit convaincu que l'hôpital dispose des installations nécessaires pour soigner cette personne (art. 3). Toutes les personnes traitées à l'hôpital pour la tuberculose des voies respiratoires sont soumises à une surveillance de la part d'un agent de santé désigné par le lieutenant‑gouverneur en conseil. Tout hôpital a l'obligation légale de tenir un dossier médical détaillé des patients (art. 18). De plus, certains hôpitaux, dont l'hôpital appelant, ont l'obligation de fournir des installations suffisantes pour donner une formation clinique à des étudiants en médecine. Si l'hôpital et l'université ne peuvent se mettre d'accord sur la nature et l'étendue des installations à affecter à cette fin, le lieutenant‑gouverneur en conseil tranche la question. En vertu des règlements adoptés sous l'empire de la Hospital Act, (Hospital Act Regulations, B.C. Reg. 289/73 et modifications), le lieutenant‑gouverneur en conseil a édicté un certain nombre de dispositions relatives aux procédures d'admission et de congé des patients (art. 2 et 3) et aux conditions de fond qui doivent être respectées avant que les hôpitaux puissent traiter des patients (art. 4). De plus, les règlements régissent l'organisation du corps médical et définissent les fonctions que ces organismes médicaux doivent remplir (art. 5).
Comme je l'ai déjà indiqué, bien que le conseil d'administration soit doté de pouvoirs étendus à l'égard du fonctionnement de l'hôpital, le ministre et le lieutenant‑gouverneur en conseil disposent de pouvoirs généraux d'imposer leur volonté au conseil d'administration et d'appliquer de la sorte les politiques du gouvernement. Les dispositions suivantes montrent l'ampleur de ces pouvoirs. L'article 32 est ainsi conçu:
[TRADUCTION] 32. Le ministre peut exiger que les règlements ou règles d'un hôpital, d'une société ou d'une compagnie dont l'un des objets est de fournir des services hospitaliers ou d'exploiter un hôpital soient examinés d'une manière qu'il estime satisfaisante en vue de répondre à l'évolution des conditions et des politiques et d'apporter plus d'uniformité et d'efficacité dans les domaines relevant de l'administration et de l'exploitation des hôpitaux.
L'article 36 fait état de l'étendue du pouvoir de réglementation du lieutenant‑gouverneur en conseil:
[TRADUCTION] 36. (1) Le lieutenant‑gouverneur en conseil peut prendre tout règlement qu'il juge nécessaire à l'application des dispositions de la présente loi afin de faire face à toute situation d'urgence non expressément prévue à la présente loi et pour déterminer les rapports que le secrétaire ou tout autre administrateur d'un hôpital doit faire.
(2)Tous les règlements pris en vertu du présent article seront déposés auprès de l'Assemblée législative.
(3)Le pouvoir de prendre des règlements conféré en vertu du présent article s'étend à celui de prescrire, à l'égard de tout hôpital, tel que défini en vertu d'une disposition de la présente loi,
a)la proportion des lits dudit hôpital qui devra servir aux salles d'hôpital publiques ‑‑ ou conventionnelles;
b)le nombre ou la proportion de personnes qui, étant des personnes recevant l'assistance sociale suivant la définition donnée dans la Guaranteed Available Income for Need Act, doivent y recevoir les soins nécessaires et le logement aux taux payables en vertu de cette loi;
c)les règles ou les normes relatives à la propriété, à la dette d'établissement, à l'entretien, à l'exploitation et à la gestion des hôpitaux ou des hôpitaux licenciés;
d)la délivrance, par le conseil de gestion, des permis autorisant le traitement des patients par les médecins, les dentistes et le personnel paramédical;
e)la constitution de conseils de professionnels de la santé et d'autres organismes formés de personnes à qui des permis sont délivrés en vertu de l'alinéa d), et la promulgation par un conseil de gestion des règles ou règlements régissant ces organismes ou d'autres organismes;
f)les conditions d'admission et de congé des patients;
g)les règles ou normes applicables aux soins et aux traitements prodigués aux patients;
h)les dossiers ou pièces établis et conservés à l'égard des patients par l'hôpital ou ceux fournis à l'hôpital par un médecin ou un dentiste et la durée minimale de conservation par l'hôpital des dossiers et archives;
i)les pouvoirs, les devoirs et les responsabilités de l'administrateur public nommé en application de l'article 44 et tout autre sujet relatif à une institution hospitalière à l'égard de laquelle la nomination est faite;
j)les conditions de planification et d'exploitation d'un hôpital après la nomination d'un administrateur en vertu de l'article 44.
(4) Dès la promulgation des règlements,
a)tout hôpital auquel les règlements s'appliquent est tenu de les observer et
b)les personnes responsables de l'admission des patients à un hôpital auquel s'appliquent les règlements pris en vertu de l'alinéa 3b), doivent, si le nombre ou la proportion des personnes mentionnées à cet alinéa et admises à cet hôpital est moindre que le nombre ou la proportion prescrite, accorder la préférence d'admission à ces personnes.
Outre les pouvoirs extraordinaires dont dispose le lieutenant‑gouverneur en conseil, l'exercice quotidien des fonctions du conseil d'administration comporte la formulation et la mise en {oe}uvre des politiques de l'hôpital par un organisme dominé par les représentants du gouvernement. En vertu de ses responsabilités de gestion, le conseil d'administration est tenu, en vertu de l'art. 8 du B.C. Reg. 289/73 de nommer un administrateur qui représente le conseil et applique toutes ses directives afférentes à l'administration de l'hôpital appelant. Pour ce qui a trait aux politiques de prestation des soins de santé, le conseil d'administration est tenu, en vertu de l'art. 6 du règlement, d'établir, par règlement, les règles que le personnel médical doit observer. En vertu de l'art. 6 du règlement du Vancouver General Hospital, le conseil d'administration a délégué cette tâche à plusieurs comités spécialisés qui font rapport au conseil.
Quant à la question du financement, la preuve révèle que la province défraie presque entièrement les coûts d'exploitation de l'hôpital appelant. La fourniture de ces fonds va de pair avec la réglementation. En effet, la Hospital Act prévoit la surveillance des dépenses des hôpitaux. L'article 40 dispose que le lieutenant‑gouverneur en conseil peut retenir les sommes affectées à l'hôpital si le conseil de gestion refuse ou néglige de se conformer à une disposition de la Loi ou du règlement ou n'administre pas l'hôpital à la satisfaction du ministre. L'article 41 détermine les conditions en vertu desquelles l'hôpital peut recevoir des subventions de planification, de construction, de reconstruction, d'achat de fournitures et d'équipement.
Enfin, la province défraie aussi les dépenses des clients de l'hôpital, c'est‑à‑dire les patients. Comme mon collègue le juge La Forest l'a mentionné, les médecins qui ont intenté la présente action ne sont pas, au sens strict, des employés de l'hôpital appelant. Ils sont plutôt rémunérés par la province selon un système d'honoraires. En effet, ils sont payés par le gouvernement en fonction des traitements qu'ils administrent à leurs patients. Ainsi, la province finance directement la prestation des soins médicaux au Vancouver General Hospital.
À mon avis, l'étendue des pouvoirs de surveillance que la province exerce sur l'hôpital étaye la conclusion que l'hôpital appelant est une entité gouvernementale pour les fins du par. 32(1) de la Charte. Avant de laisser cet aspect de l'examen fondé sur le par. 32(1), cependant, j'aborderai la question de savoir si, indépendamment du statut d'entité gouvernementale de l'hôpital, l'action contestée en l'espèce constitue ou non un acte du gouvernement.
Les intimés soutiennent que, puisque le règlement 5.04 ne devenait applicable qu'après son approbation par le Ministre, son adoption et son application subséquente doivent être qualifiées d'action du gouvernement. Ils invoquent l'arrêt de notre Cour Procureur général du Québec c. Blaikie, [1981] 1 R.C.S. 312 (Blaikie no 2), à l'appui de cette prétention.
Dans Blaikie no 2, notre Cour devait déterminer si les règlements et les décrets pris par les organismes constitués en vertu des lois sont des lois de la législature au sens de l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, ainsi conçu:
133. Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais, dans la rédaction des archives, procès‑verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l'usage de ces deux langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l'autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l'une ou de l'autre de ces langues.
Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.
Notre Cour a conclu que la législation par délégation tombe sous le coup de l'art. 133. Elle dit, à la p. 329:
Le texte particulier des différentes lois importe peu à cet égard. Que la loi dispose que certains règlements "n'entreront en vigueur que lorsqu'ils auront été approuvés et sanctionnés par le lieutenant‑gouverneur en conseil" ou "ne seront pas mis à exécution avant d'avoir été approuvés par le lieutenant‑gouverneur en conseil" ou "n'auront aucun effet avant d'avoir été confirmés par le lieutenant‑gouverneur en conseil", ils peuvent être assimilés à des mesures du gouvernement et, par conséquent, de la Législature tant qu'une action positive du gouvernement est nécessaire pour leur insuffler la vie. Sans cette approbation ou confirmation ils sont nuls [. . .] ou à tout le moins inopérants.
Mon collègue le juge La Forest établit une distinction entre l'arrêt Blaikie no 2 et l'espèce parce que celui-ci porte sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle qui protège certains droits définis et restreints (c'est‑à‑dire le droit de se servir du français ou de l'anglais dans certaines circonstances déterminées) alors que les présents pourvois dépendent de l'interprétation du par. 32(1), lequel détermine la portée de tous les droits garantis par la Charte. Je suis d'accord avec le juge La Forest pour dire que, parce que l'arrêt Blaikie no 2 a été décidé dans un contexte constitutionnel différent et en fonction d'une garantie constitutionnelle différente, son utilité pour l'interprétation du par. 32(1) est limitée.
Dans l'arrêt McKinney, j'ai souligné qu'il n'était pas nécessaire qu'il y ait un lien apparent entre le gouvernement et l'activité précise mise en cause pour satisfaire au critère du contrôle. D'autre part, j'ai fait remarquer ceci à la p. 363:
La preuve qu'il s'agit d'une action gouvernementale sera évidemment plus solide si l'on peut déceler un lien direct entre le gouvernement et l'activité en question. Mais je ne crois pas que les questions précises que soulève le critère du contrôle quant à l'existence d'un tel lien soient de toute façon des conditions nécessaires pour conclure à l'existence d'une action gouvernementale. Je suis tout à fait disposée à reconnaître que, même en l'absence d'un tel lien, le gouvernement peut exercer suffisamment de contrôle pour conclure qu'il s'agit d'une action gouvernementale.
À mon avis, la conclusion à laquelle j'en suis venue au sujet du contrôle que la province exerce sur l'hôpital appelant est étayée lorsque l'on reconnaît que le gouvernement a aussi un contrôle exprès sur l'action particulière contestée dans les présents pourvois. Le règlement 5.04 serait totalement sans effet sans l'approbation préalable donnée par écrit par le ministre. De plus, si le ministre n'avait pas voulu approuver le règlement, il avait le pouvoir d'empêcher son adoption et de forcer le conseil d'administration à en adopter un autre qui lui aurait plu davantage. Dans ces circonstances, je ne vois pas comment on peut dire que le règlement échappe au contrôle du gouvernement ou qu'il reflète autre chose que la politique du gouvernement. Selon moi, la façon dont la province pouvait, par l'entremise du ministre, traiter le règlement donne une indication très forte que ce qui est contesté en l'espèce est une action du gouvernement. En l'espèce, je pourrais être prête à conclure que les conditions exigées en vertu du par. 32(1) sont remplies en raison du seul critère du contrôle. Il n'est cependant pas nécessaire que je le fasse puisque, selon moi, les critères de la fonction gouvernementale et de l'organisme gouvernemental renforcent encore la conclusion à laquelle j'arrive que la Charte s'applique au Vancouver General Hospital.
b) Le critère de la "fonction gouvernementale"
Comme je l'ai indiqué dans l'arrêt McKinney, le principe général régissant l'application du critère de la "fonction gouvernementale" veut qu'une fonction devienne gouvernementale parce que le gouvernement a décidé de la remplir, non parce que la fonction est gouvernementale de par sa nature même.
Au Canada, les gouvernements locaux et provinciaux ont pris en charge la santé publique en général et les hôpitaux en particulier depuis une époque antérieure à la Confédération. En 1830, par exemple, la législature du Haut‑Canada affectait des fonds à l'hôpital de York fondé par le lieutenant‑gouverneur sir John Colborne: voir An Act to grant a sum of Money to His Majesty in aid of the York Hospital, S.U.C. 1830, ch. 31. En Colombie‑Britannique, l'assemblée législative a adopté en 1869 une loi qui accordait au lieutenant‑gouverneur en conseil le pouvoir de créer des commissions locales d'hygiène et de réglementer les conditions d'hygiène et autres conditions dans les hôpitaux: voir An Ordinance for promoting the Public Health in the Colony of British Columbia, C.S.B.C. 1877, ch. 83. L'assemblée législative de la Colombie‑Britannique a aussi adopté la Insane Asylums Act, C.S.B.C. 1888, ch. 61, pour pourvoir à l'établissement d'hôpitaux psychiatriques dans la province. Enfin, en 1888, elle a établi un régime complet de santé publique en vertu de la Health Act, R.S.B.C. 1897, ch. 91. En 1832, l'assemblée législative du Bas‑Canada a adopté une loi pour pourvoir au fonctionnement de certains hôpitaux: voir Acte pour affecter certaine sommes d'argent pour le soutien de l'hôpital des Émigrés à Québec, et de l'Hôpital pour les cas de Fièvres à la Pointe Lévi et pour d'autres fins y mentionnées, S.B.C. 1832, ch. 15. Au Nouveau‑Brunswick, l'assemblée législative a créé une Commission d'hygiène dans la ville et le comté de St. John et lui a octroyé le pouvoir d'[TRADUCTION] "acquérir, construire ou louer" des hôpitaux et celui de les réglementer: voir An Act to establish a Board of Health in the City and County of Saint John, S.N.-B. 1855, ch. 40, art. 11.
Le paragraphe 92(7) de la Loi constitutionnelle de 1867 accorde aux provinces la compétence exclusive sur
92. . . .
7. L'établissement, l'entretien et l'administration des hôpitaux, asiles, institutions et hospices de charité dans la province, autres que les hôpitaux de marine;
En raison de cette attribution de compétence, les autorités provinciales se sont occupées de plus en plus au fil des ans de la santé publique et des hôpitaux. Par exemple, au Manitoba, l'assemblée législative a adopté The General Hospital Act, C.S.M. 1880, ch. 26 qui établit l'Hôpital général de Winnipeg. L'assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse a établi, en vertu du Titre VI des R.S.N.S. 1900, une réglementation des hôpitaux et de la santé publique. Le chapitre 47 [Of Local Hospitals] du Titre VI édicte que les conseils municipaux des villes et villages auront l'autorité d'établir des hôpitaux publics locaux et de pourvoir à leur fonctionnement. En Ontario, l'assemblée législative a accordé une aide financière à plusieurs hôpitaux en vertu de The Charity Aid Act, R.S.O. 1877, ch. 223. L'Assemblée a aussi accordé au gouvernement le droit d'inspecter ces installations en vertu de The Prison and Asylum Inspection Act, R.S.O. 1877, ch. 224, art. 14.
Enfin, l'administration des hôpitaux dans les provinces relève de la compétence générale des ministres de la santé provinciaux: voir Loi sur les hôpitaux publics, L.R.O. 1980, ch. 410; la Hospitals Act, R.S.A. 1980, ch. H‑11; The Hospital Standards Act, R.S.S. 1978, ch. H‑10; et la Loi sur le ministère de la santé et des services sociaux, L.R.Q., ch. M‑19.2.
Ce bref survol des lois adoptées avant et après la Confédération m'amène à conclure que la création et l'entretien des hôpitaux est une fonction traditionnelle de gouvernement.
c) Le critère de la "compétence législative et de l'intérêt public"
Il a déjà été mentionné que l'hôpital appelant possède des pouvoirs généraux relativement à son exploitation en vertu de ses lois "habilitantes". Il a aussi été établi que le gouvernement a, par tradition, joué un rôle dans la prestation des soins médicaux essentiels à ses citoyens. La justification de l'intervention de l'État dans le domaine de la santé publique n'est pas difficile à établir. En bref, le gouvernement a reconnu depuis un certain nombre d'années que l'accès aux soins de santé essentiels est un service dont aucune société évoluée ne peut légitimement priver ses citoyens. D'une façon plus pratique, le gouvernement reconnaît aussi que l'avancement et la protection de la santé favorisent le maintien d'une société productive et saine.
À mon sens, comme l'hôpital appelant existe et fonctionne en vertu de lois, comme il est strictement réglementé par le gouvernement et remplit une fonction traditionnellement propre au gouvernement dans l'intérêt public, il s'inscrit dans la notion de "gouvernement" pour les fins de l'art. 32. Le règlement 5.04 est donc susceptible de révision en vertu de l'art. 15 de la Charte.
II.La politique de retraite obligatoire de l'hôpital appelant enfreint‑elle l'art. 15 de la Charte?
La capacité qu'a l'hôpital appelant de mettre à la retraite les médecins qui y exercent découle des art. 5 et 6 de la Vancouver General Hospital Act qui accorde au conseil d'administration le droit d'adopter des règlements relatifs à la gestion des biens et des affaires de l'hôpital. Le conseil a approuvé le règlement 5.04 des Medical Staff Regulations, qui a aussi été approuvé par le ministre. Le règlement 5.04 est ainsi conçu:
[TRADUCTION] 5.04 La retraite: Les membres du personnel sont censés prendre leur retraite à la fin de l'année d'exercice au cours de laquelle ils atteignent 65 ans. Les membres du personnel qui veulent reporter leur mise à la retraite peuvent présenter une demande spéciale au conseil d'administration, qui demande la recommandation du "conseil consultatif médical" dans chaque cas. Avant de faire sa recommandation, le conseil consultatif médical tient compte du rapport d'une entrevue personnelle entre le requérant et le chef de département concerné, y compris un rapport de l'état de santé et du rendement continu du requérant.
Comme dans l'arrêt McKinney, il n'est pas nécessaire que je décide si le par. 15(1) s'appliquerait en l'absence d'une disposition législative qui permet ou ordonne l'acte discriminatoire contesté. Dans le contexte des présents pourvois, il est évident que le pouvoir qu'a l'hôpital appelant de mettre à la retraite découle de la Vancouver Hospital Act et de son règlement d'application.
Quant à ce qui est de savoir si le règlement 5.04 enfreint le par. 15(1), il faut remarquer que les questions constitutionnelles établies par le juge en chef Dickson au sujet de l'application du par. 15(1) de la Charte envisagent deux possibilités: que le règlement 5.04 soit contraire au par. 15(1) de la Charte par sa rédaction même et que la façon d'appliquer le règlement viole la garantie d'égalité. Les questions constitutionnelles sont ainsi formulées vu la conception particulière du règlement. Celui‑ci se distingue des dispositions contestées dans l'arrêt McKinney en ce que le règlement lui‑même prévoit une exception à la règle générale qui oblige le personnel médical à prendre sa retraite à l'âge de 65 ans. Le règlement dit précisément que les médecins qui veulent conserver leurs privilèges d'admission peuvent présenter une demande spéciale au conseil consultatif médical afin d'être autorisés à continuer d'exercer leur profession à l'hôpital appelant. Le règlement précise que le conseil doit faire subir une entrevue personnelle qui comporte un examen de la santé et du rendement du demandeur. En fonction des résultats de l'entrevue, le conseil consultatif soumet une recommandation au conseil d'administration.
Le règlement est‑il contraire au par. 15(1) indépendamment de la manière dont il est appliqué? Dans l'arrêt McKinney, les dispositions contestées ont été jugées contraires au par. 15(1) parce qu'elles renforcent le préjugé que les travailleurs âgés sont incompétents et, par conséquent, ont été jugées discriminatoires au sens du par. 15(1): voir Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143 et R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296. Les professeurs d'université âgés étaient tenus de prendre leur retraite quelles que soient leurs capacités personnelles uniquement parce qu'ils avaient atteint un âge déterminé. Les intérêts que le droit à l'égalité consacré par l'art. 15 vise à protéger, c'est‑à‑dire la dignité et le sens de l'estime de soi et de sa propre valeur, se trouvaient violés. En l'espèce, d'autre part, le règlement donne aux médecins âgés la possibilité de conserver leurs privilèges auprès de l'hôpital et ainsi de continuer à exercer leur profession pourvu que leur rendement soit satisfaisant. La question est donc de savoir si le règlement 5.04 est discriminatoire même s'il permet une exception en faveur de ceux qui se montrent capables d'exercer leur profession. Autrement dit, peut‑on dire que le règlement est discriminatoire même s'il fait appel aux notions de mérite individuel et de compétence plutôt qu'au stéréotype du médecin âgé, donc incompétent? À mon avis, la réponse à cette question est "oui".
Il me semble que pour déterminer si une disposition enfreint le par. 15(1) la Cour doit se garder de sous‑estimer l'effet discriminatoire d'une mesure donnée. En l'espèce, par exemple, même si le règlement prévoit des exceptions non discriminatoires, le principe de la mesure contestée demeure vicié du point de vue constitutionnel. Par sa rédaction même, le règlement 5.04 affirme que les médecins sont censés prendre leur retraite à 65 ans. De cette façon, la prémisse sous‑entendue reste que le vieillissement entraîne peu à peu l'incompétence et la diminution des capacités. Bien que le règlement prévoie des exceptions, il n'en reste pas moins, selon moi, que la notion principale sous‑jacente à la disposition enfreint le par. 15(1).
Ce problème que le règlement pose est amplifié du fait qu'il exige en plus de ceux qui veulent continuer d'exercer leur profession qu'ils démontrent que le préjugé en cause ne s'applique pas à eux. Il me semble manifestement discriminatoire d'imposer ce fardeau à ceux qui sont déjà victimes d'un préjugé (et qui, en conséquence, sont déjà atteints dans l'estime qu'ils se portent et dans la perception de leur valeur propre en tant que citoyens utiles et productifs).
La Cour d'appel a aussi conclu, quoique pour des motifs différents, que le règlement 5.04 enfreint le par. 15(1) par sa rédaction même. Elle a signalé que l'application de l'exception portée au règlement ne se limitait pas exclusivement à des questions de compétence, mais qu'elle permettait au conseil de prendre en compte des facteurs non pertinents. En d'autres termes, la santé et le rendement constant d'une personne en particulier comptaient au nombre des facteurs servant à déterminer si elle pouvait être autorisée à conserver ses privilèges d'admission, mais ils ne constituaient pas les seuls sujets de l'examen. Je souscris à cette analyse et je trouve qu'elle étaye la conclusion à laquelle j'arrive que le règlement 5.04 est discriminatoire par sa rédaction même.
Je dois ajouter cependant que je ne considère pas que les régimes semblables à celui que ce règlement contient sont sur le même pied que les "règles générales" contestées dans l'arrêt McKinney. À mon avis, tout mécanisme qui cherche à tenir compte des différences particulières est préférable à celui qui écarte carrément toute possibilité en vertu de notions d'habileté fondées sur des idées préconçues et des préjugés. Il faut cependant souligner que le bien‑fondé des régimes d'exception n'est pas pertinent à la question de savoir s'il y a ou non violation du par. 15(1). Les régimes d'exception comme celui que prévoit le règlement 5.04 doivent régulièrement être examinés à la lumière de l'article premier de la Charte.
Quant à savoir si le règlement 5.04 a été appliqué d'une manière contraire à la Charte, je crois qu'il faut aussi répondre "oui". La preuve indique manifestement que le conseil d'administration a appliqué le règlement de manière discriminatoire. La Cour d'appel a conclu que le conseil a vu dans ces dispositions une politique de retraite obligatoire. Il avait l'habitude de mettre fin aux privilèges d'admission des médecins ayant atteint 65 ans sauf si, en plus d'être en bonne santé et de bien remplir leurs fonctions, ils possédaient une compétence "particulière". Manifestement, la façon dont le conseil appliquait le règlement était discriminatoire parce qu'elle perpétuait et renforçait le stéréotype déjà mentionné voulant que les travailleurs âgés soient incompétents.
Je conclus que le règlement 5.04 enfreint le par. 15(1) tant par son libellé que par la façon dont il a été interprété et appliqué.
III.La politique de retraite obligatoire appliquée par l'hôpital appelant est‑elle raisonnable et justifiable en vertu de l'article premier de la Charte?
L'article premier de la Charte est ainsi conçu:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Les facteurs dont la Cour doit tenir compte dans l'application de l'article premier sont énoncés dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Le juge en chef Dickson a bien résumé le critère de l'arrêt Oakes dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986], 2 R.C.S. 713, à la p. 768:
Pour établir qu'une restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, il faut satisfaire à deux exigences. En premier lieu, l'objectif législatif que la restriction vise à promouvoir doit être suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit garanti par la Constitution. Il doit se rapporter à des "préoccupations urgentes et réelles". En second lieu, les moyens choisis pour atteindre ces objectifs doivent être proportionnels ou appropriés à ces fins. La proportionnalité requise, à son tour, comporte normalement trois aspects: les mesures restrictives doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question, ou avoir un lien rationnel avec cet objectif; elles doivent être de nature à porter le moins possible atteinte au droit en question et leurs effets ne doivent pas empiéter sur les droits individuels ou collectifs au point que l'objectif législatif, si important soit‑il, soit néanmoins supplanté par l'atteinte aux droits.
C'est ce critère qu'il faut appliquer pour déterminer si la politique de retraite obligatoire de l'hôpital appelant satisfait aux exigences de l'article premier de la Charte.
1. Les objectifs
L'hôpital appelant mentionne deux objectifs que sa politique de retraite obligatoire des médecins à 65 ans vise à atteindre. D'abord, l'hôpital soutient qu'il est essentiel qu'à titre d'hôpital d'enseignement et de soins de courte durée, les soins médicaux, la formation et la recherche qu'il dispense répondent aux normes contemporaines les plus élevées. La preuve démontre que le Vancouver General Hospital est devenu un établissement hautement spécialisé qui dispense des traitements uniques que les autres hôpitaux de la province ne peuvent offrir. C'est un hôpital de dernier recours, dans un certain sens, pour les patients ayant des problèmes médicaux particuliers. Je ne crois pas qu'on puisse sérieusement contester que cet objectif a suffisamment d'importance pour l'emporter sur les droits et libertés garantis par la Charte. C'est donc un objectif assez "urgent et réel" pour satisfaire à la première partie du critère de l'arrêt Oakes.
L'hôpital appelant mentionne aussi que le règlement 5.04 vise à offrir à d'autres médecins (plus jeunes) la possibilité d'exercer leur profession. En effet, l'hôpital appelant soutient qu'il ne peut recevoir qu'un nombre limité de médecins. Conséquemment, s'il permet aux médecins plus âgés de garder leurs privilèges d'admission, les médecins plus jeunes auront forcément moins de possibilités. Dans l'arrêt McKinney, on a invoqué un argument semblable au sujet de la diminution des possibilités d'emploi pour les professeurs plus jeunes. Comme dans cette affaire‑là, mon collègue le juge La Forest a accepté l'argument que l'hôpital appelant constitue un "système fermé" et que s'il est permis aux médecins plus âgés de continuer à y exercer, il en résultera forcément moins de chances d'avancement pour les médecins plus jeunes. La preuve en l'espèce n'étaye toutefois pas cet argument. Le juge de première instance et la Cour d'appel ont conclu l'un et l'autre que permettre aux intimés de garder les privilèges que l'hôpital leur accorde n'empêcherait pas d'autres médecins d'avoir le privilège de faire admettre des patients.
Notre Cour a déjà reconnu que, dans certaines situations, il n'est pas nécessaire de présenter des éléments de preuve au soutien de l'affirmation du gouvernement qu'il existe une préoccupation "urgente et réelle". En effet, la gravité d'un problème peut être évidente et la Cour peut simplement en prendre connaissance d'office. Cependant, lorsque l'existence de la préoccupation urgente invoquée suscite un doute sérieux, il incombe à la partie chargée du fardeau de la preuve en vertu de l'article premier d'établir qu'il existe bien une préoccupation urgente et réelle. À mon avis, quand il n'y a pas de preuve pour étayer l'allégation qu'il existe un problème important, le premier volet du critère de l'arrêt Oakes n'est pas respecté. L'objet de ce premier volet est d'assurer que les droits et libertés garantis par la Constitution ne seront sacrifiés que s'il est raisonnable et justifiable de le faire. La notion de la consécration des droits et libertés par la constitution exige que ceux‑ci ne soient limités qu'en raison de problèmes réels et non illusoires. J'estime donc que notre Cour ne peut, sans aucune sorte de preuve, admettre la prétention de l'hôpital appelant qu'il constitue un système "fermé". En conséquence, il reste à déterminer s'il existe un lien de proportionnalité entre la violation des droits à l'égalité des médecins intimés et le but visé par l'hôpital de fournir des soins de haute qualité.
2. Les moyens
a) Le lien rationnel
Existe‑t‑il un lien rationnel entre l'imposition de la retraite obligatoire et la recherche de l'excellence en matière de formation, de recherche et de soins médicaux? L'hôpital appelant soutient que la présence de jeunes médecins implique l'apport de nouvelles découvertes et de nouvelles idées. Il soutient que la mise à la retraite des médecins âgés et la venue de jeunes médecins à l'hôpital aura pour effet d'améliorer la qualité des soins médicaux. Je reconnais qu'il y a un lien rationnel en l'espèce entre l'objectif poursuivi et les moyens adoptés pour le réaliser. Cependant, je veux expliquer brièvement les conséquences de cette conclusion.
D'abord, il faut souligner que la question de savoir s'il existe un motif de traiter des groupes de façon discriminatoire ne relève pas de l'art. 15, mais de l'article premier. L'article 15 porte sur les préjugés, les désavantages et les stéréotypes quelle que soit leur origine et l'article premier porte sur leur justification.
Je crois aussi que notre Cour doit agir avec beaucoup de prudence quand il s'agit de savoir si le fondement d'une idée préconçue s'appuie sur des faits observables et exacts. Tout au long de ces pourvois, les parties se sont interrogées sur la mesure dans laquelle l'âge et l'habileté sont liés. Il est, d'après moi, généralement reconnu que le vieillissement amène un certain changement des capacités même si, il va de soi, la nature et l'étendue du changement varient d'une personne à l'autre. Même si je suis prête à reconnaître que l'exigence du critère de l'arrêt Oakes relative au lien rationnel est respectée en l'espèce, je ne veux pas que l'on comprenne que toutes les atteintes à l'égalité ont quelque fondement dans des faits et qu'un lien rationnel entre divers objectifs et idées préconçues sera prouvé dans tous les cas. Certes, notre Cour sera sans doute appelée plus tard à juger si d'autres formes de discrimination appuyées sur d'autres motifs ont un fondement biologique ou si elles sont plutôt fondées sur de fausses notions sur la nature et l'habilité de différents groupes. C'est une des questions les plus délicates à déterminer. L'histoire nous enseigne à quel point ces fausses idées peuvent être dommageables. On ne saurait trop souligner, selon moi, que ces sujets sont difficiles et qu'il faut les aborder avec une extrême prudence.
Ainsi, un examen minutieux du lien rationnel proposé peut se faire d'au moins deux façons. Il faut être prudent au moment d'examiner le lien proposé. Il me semble qu'en l'espèce on a dépeint à trop grands traits les effets néfastes du vieillissement. L'hôpital appelant soutient que le vieillissement emporte une diminution de toutes les capacités liées à l'exercice de la médecine. Ce ne peut pas être le cas. Par exemple, l'habilité d'établir un diagnostic peut de fait augmenter avec l'expérience. De même, la Cour doit‑elle examiner de façon critique les prétentions au sujet de la solidité du lien entre les motifs de l'atteinte aux libertés et sa justification. En l'espèce, par exemple, l'hôpital appelant a établi une limite fixe à l'âge de 65 ans. Il me semble qu'il aurait fallu tenir compte d'autres facteurs si on avait fixé l'âge de la retraite à 80 ans.
Tout ceci vise seulement à rappeler qu'il ne faut pas perdre de vue le rôle que doit jouer le volet du lien rationnel que comprend le critère de la proportionnalité. Son rôle consiste à inviter la Cour à déterminer si le gouvernement procède de façon logique dans la poursuite du but qu'il vise. Techniquement, tout ce qu'exige la partie de l'article premier quant au lien rationnel, c'est la démonstration d'un lien logique quelconque, si petit soit‑il, entre l'objectif poursuivi et les moyens employés pour le réaliser. Cependant, au moment d'examiner les autres éléments du critère de l'arrêt Oakes, la vigueur et l'étendue du lien deviennent déterminants.
En l'espèce, comme je l'ai déjà mentionné, je suis prête à conclure qu'il existe un lien rationnel entre l'intention de fournir des soins médicaux de haute qualité et la décision de faire prodiguer ces soins en grande partie par des médecins plus jeunes. La vrai question en litige est, selon moi, de savoir si le recours à ces notions générales relatives aux capacités est fondé. Je me demanderai donc si le moyen choisi par l'hôpital appelant porte atteinte le moins possible aux droits des médecins intimés.
b) L'atteinte minimale
Dans les arrêts Edwards Books and Art Ltd., précité, et Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, notre Cour a reconnu qu'il ne convient pas toujours d'appliquer strictement la partie du critère de l'arrêt Oakes qui porte sur l'atteinte minimale. Mon collègue, le juge La Forest, a estimé que la question en litige dans les présents pourvois appartient à la catégorie des cas d'exception dont parlent les arrêts Edwards Books and Art Ltd. et Irwin Toy, et il a donc conclu qu'il faut appliquer la norme d'examen plus généreuse énoncée dans ces arrêts. En somme, il considère que la question que notre Cour doit résoudre est celle qui porte sur l'efficacité d'une politique de retraite obligatoire dans un système fermé disposant de ressources limitées. Pour les motifs que j'ai exposés dans l'arrêt McKinney, je ne saurais partager son avis qu'il y a lieu, en l'espèce, d'assouplir le critère de l'atteinte minimale.
Comme je l'ai déjà fait remarquer, on n'a pas fait la preuve que l'hôpital appelant constitue en réalité un "système fermé". Au contraire, la preuve indique que permettre aux médecins intimés de garder leur privilège d'admission n'aurait aucun effet sur les possibilités d'exercice de la médecine qui s'offrent aux médecins qui commencent leur carrière. Puisqu'il en est ainsi, je ne vois pas de motif de fait ou de droit d'appliquer un critère d'examen déférentiel. Pour les mêmes motifs que j'ai exprimés dans l'arrêt McKinney, je me hâte d'ajouter que, même si l'on acceptait le principe que le critère de l'arrêt Irwin Toy devrait s'appliquer, le dossier ne comporte aucun élément de preuve qui permettrait de s'écarter du critère de l'arrêt Oakes. On n'a pas soutenu que les postes libérés par les mises à la retraite ont été occupés par des médecins plus jeunes qui autrement n'auraient pas eu les mêmes chances d'exercer leur profession, étant donné que des médecins plus âgés étaient autorisés à exercer leur profession au‑delà de l'âge de 65 ans. Donc, à mon avis, le critère de l'atteinte minimale énoncé dans l'arrêt Oakes doit s'appliquer.
La question en litige se ramène donc à ceci: même si l'on reconnaît qu'il existe un certain lien entre l'âge et les capacités (un lien sur lequel l'hôpital appelant a, selon moi, trop insisté), n'y a‑t‑il pas quelque autre moyen de fournir, tel que souhaité, des soins médicaux de haute qualité qui permettrait de reconnaître et de prendre en considération les capacités des médecins âgés de 65 ans et plus? Je crois que la réponse à cette question est manifestement "oui".
Dans l'arrêt McKinney, les professeurs appelants ont proposé des moyens subsidiaires d'arriver au renouvellement du corps enseignant. La situation dans les présents pourvois est un peu différente parce que les médecins n'ont pas proposé que l'hôpital appelant ait recours à un nouveau mécanisme non éprouvé pour fournir comme il le souhaite des soins médicaux de haute qualité. Il ont plutôt demandé que l'hôpital appelant revienne à son ancienne méthode de réaliser son objectif. Avant l'adoption du règlement 5.04, l'hôpital appelant réglait ainsi la question relative aux capacités des médecins. Les privilèges d'admission des patients, une fois accordés, étaient renouvelables chaque année. Le renouvellement avait lieu à la condition que le conseil soit convaincu que l'intéressé était en bon état de santé et qu'il avait la capacité de continuer de remplir ses fonctions avec prudence et compétence. De plus, il existait des procédures de vérification interne qui rendaient les chefs des départements responsables du contrôle de la compétence du personnel. Cette méthode, qui s'appliquait aux médecins de tous âges a été modifiée en 1984 par l'approbation du règlement 5.04 par le ministre.
Pourquoi l'hôpital appelant a‑t‑il modifié sa méthode de traiter les capacités de tous les médecins de la même façon? Il semblerait que la raison principale du changement tient à la commodité administrative qu'il y à écarter les médecins incompétents par le mécanisme de la retraite obligatoire plutôt qu'en organisant des examens annuels du rendement comme on le faisait auparavant. Il n'y a pas d'élément de preuve indiquant que la pratique antérieure n'ait pas donné satisfaction lorsqu'il s'agissait d'éliminer les médecins incompétents.
Notre Cour a statué que la commodité administrative n'est pas un motif valable de supprimer des droits et libertés garantis par la Charte. Dans l'affaire Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, le gouvernement fédéral avait suivi une procédure applicable aux demandes d'immigration qui violait l'art. 7 de la Charte et il a invoqué la commodité administrative comme justification. J'ai dit, aux pp. 218 et 219 de mes motifs:
Les garanties de la Charte seraient certainement illusoires s'il était possible de les ignorer pour des motifs de commodité administrative. Il est sans doute possible d'épargner beaucoup de temps et d'argent en adoptant une procédure administrative qui ne tient pas compte des principes de justice fondamentale, mais un tel argument, à mon avis, passe à côté de l'objet de l'art. 1. Les principes de justice naturelle et d'équité en matière de procédure que nos tribunaux ont adoptés depuis longtemps et l'enchâssement constitutionnel des principes de justice fondamentale à l'art. 7 comportent la reconnaissance implicite que la prépondérance des motifs de commodité administrative ne l'emporte pas sur la nécessité d'adhérer à ces principes.
À mon avis, ces commentaires s'appliquent avec autant de vigueur aux libertés garanties en vertu du par. 15(1). Il me semble qu'il sera toujours plus commode du point de vue administratif de traiter les groupes défavorisés de la société de façon impersonnelle plutôt que de se fonder sur le mérite individuel. Le paragraphe 15(1) exige toutefois que l'on procède autrement. Dans les affaires de discrimination du genre de celles de l'espèce, si la garantie d'égalité doit avoir un sens, il faut au moins qu'elle signifie ceci: que chaque fois que cela est possible, on doit essayer de renoncer aux idées préconçues trop faciles et faire l'effort sincère de traiter les particuliers, quels que soient leur couleur, leur race, leur sexe ou leur âge, comme des individus qui méritent d'être jugés selon leurs talents et leurs capacités propres. Le respect de la dignité de chaque personne dans la société n'en exige pas moins.
Les commentaires de l'arrêt Singh ont aussi une grande portée sur le sujet de l'atteinte minimale. En vertu de cette partie du critère de l'arrêt Oakes, il faut se demander s'il est possible de réaliser le même objectif par des moyens moins contraires à la Charte. En l'espèce, l'ancienne pratique suivie par l'hôpital appelant remplissait cette condition et respectait la constitution. En assujettissant tous les médecins à un examen périodique de leur rendement, on s'assurait de leur haute compétence et on respectait leurs droits à l'égalité en ne les soumettant pas aux forces arbitraires des préjugés. Il me semble incontestable que lorsque le seul motif pour substituer une méthode inconstitutionnelle à une méthode constitutionnelle est la commodité administrative, il ne saurait y avoir respect de la condition d'atteinte minimale des droits visés exposée au critère de la proportionnalité.
Je veux ajouter que ces commentaires ne signifient nullement que la seule méthode constitutionnelle de régler la question de l'incompétence réside dans l'examen annuel du rendement. Il faut souligner que si le règlement 5.04 avait été rédigé et interprété de façon à faire de l'âge de 65 ans l'âge ordinaire de la retraite, mais à laisser à ceux qui avaient atteint cet âge le privilège de faire admettre des patients aussi longtemps qu'ils conservaient leur santé et leurs capacités, je crois qu'on aurait pu soutenir que la condition relative à l'atteinte minimale des droits exposée au critère susmentionné était respectée. Le paragraphe 15(1) ne garantit pas notre droit de continuer de travailler à un âge avancé sans égard à notre aptitude à le faire. Ce que le par. 15(1) garantit, c'est notre droit de ne pas être privés de notre travail en vertu de présomptions fondées sur des préjugés relatifs à notre capacité de donner un bon rendement. En d'autres termes, dans un contexte semblable à celui de l'espèce, le par. 15(1) ne garantit pas le droit de travailler, mais celui de travailler sans faire l'objet de discrimination. En conséquence, si le règlement 5.04 avait comporté dans son texte et son application un régime valable d'exception qui aurait permis à ceux qui étaient encore capables de travailler, de continuer à le faire s'ils le souhaitaient, il aurait été difficile d'affirmer que la disposition n'était pas raisonnable et susceptible de justification.
En conséquence, je conclus que le règlement, comme il est rédigé, ne satisfait pas à la condition selon laquelle il doit être porté atteinte le moins possible aux droits de ceux qui en subissent les effets. Je conclus aussi que le règlement a été appliqué d'une façon qui viole le par. 15(1) de la Charte. Il n'est pas justifié en vertu de l'article premier.
IV. Dispositif
Je suis d'avis de rejeter le pourvoi de l'hôpital appelant avec dépens.
Quant au redressement recherché par les intimés dans leur déclaration, je suis d'avis de rendre un jugement déclarant que le règlement 5.04 est contraire au par. 15(1) de la Charte dans ses dispositions et son application et qu'il est par conséquent inopérant. Je suis également d'avis de rendre jugement déclarant que les décisions des appelants, prises en vertu du règlement, de mettre fin aux privilèges accordés aux intimés d'admettre des patients sont nulles. Je suis d'avis d'enjoindre au Vancouver General Hospital de rétablir les privilèges hospitaliers des intimés d'admettre des patients.
Je suis d'avis de répondre comme suit aux questions constitutionnelles formulées par le juge en chef Dickson:
1.Les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés s'appliquent‑elles aux actions du Vancouver General Hospital relativement à la rédaction et à la mise en {oe}uvre du règlement 5.04 des Medical Staff Regulations?
Oui.
2.Si la réponse à la question 1 est affirmative, le règlement 5.04 des Medical Staff Regulations est‑il contraire au par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés?
Oui.
3.Si la réponse à la question 1 est affirmative, l'application du règlement 5.04 des Medical Staff Regulations par le Vancouver General Hospital est‑elle contraire au par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés?
Oui.
4.Si la réponse aux questions 2 ou 3 est affirmative, le règlement 5.04 des Medical Staff Regulations ou la façon dont il est appliqué par le Vancouver General Hospital sont‑ils néanmoins justifiés en vertu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
Non.
//Le juge L'Heureux-Dubé//
Les motifs suivants ont été rendus par
LE JUGE L'HEUREUX‑DUBÉ (dissidente) ‑‑ Ce pourvoi soulève la principale question de déterminer si le règlement 5.04, adopté par les administrateurs de l'hôpital et approuvé par le ministre de la Santé conformément à la Vancouver General Hospital Act, S.B.C. 1970, ch. 55, art. 6, est constitutionnel. Le règlement se lit ainsi:
[TRADUCTION] 5.04 La retraite: Les membres du personnel sont censés prendre leur retraite à la fin de l'année d'exercice au cours de laquelle ils atteignent 65 ans. Les membres du personnel qui veulent reporter leur mise à la retraite peuvent présenter une demande spéciale au conseil d'administration, qui demande la recommandation du "conseil consultatif médical" dans chaque cas. Avant de faire sa recommandation, le conseil consultatif médical tient compte du rapport d'une entrevue personnelle entre le requérant et le chef de département concerné, y compris le rapport de l'état de santé et du rendement continu du requérant.
Trois questions se posent ici. Premièrement, le Vancouver General Hospital fait‑il partie du "gouvernement" aux fins de l'art. 32 de la Charte canadienne des droits et libertés et le règlement 5.04 constitue‑t‑il une "règle de droit" au sens de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982? Deuxièmement, dans l'affirmative, le règlement 5.04 viole‑t‑il le par. 15(1) de la Charte? Troisièmement, dans l'affirmative, le règlement peut‑il se justifier en vertu de l'article premier de la Charte?
Je partage l'opinion de ma collègue le juge Wilson qu'en raison du test large qu'elle a formulé dans l'arrêt McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, le Vancouver General Hospital agit, dans la présente instance, en tant que "gouvernement" au sens de l'art. 32 de la Charte. Tant sur le plan historique que (encore plus aujourd'hui) sur le plan fonctionnel, les hôpitaux au Canada sont une "branche du gouvernement" et exercent une fonction gouvernementale. Ma seule hésitation découle peut‑être du fait que le conseil d'administration de l'hôpital bénéficie d'une certaine indépendance dans la formulation de ses politiques, y compris celle à l'origine du règlement 5.04. Cependant, même si les membres du conseil d'administration sont nommés par le gouvernement, je ne vois aucune différence entre cette situation et celle des ministères du gouvernement qui établissent leur propre programme et formulent leurs politiques, sous réserve des seules directives générales établies par le législateur. J'estime que cette situation est à tout à fait différente de celle des universités. Dans le cas des universités, comme il ressort de l'arrêt McKinney, précité, la participation du gouvernement est essentiellement restreinte au financement. Je ne voudrais cependant pas laisser entendre que toutes les actions de tous les hôpitaux puissent être susceptibles d'examen en vertu de l'art. 32 de la Charte. Il peut y avoir des circonstances où un hôpital ne serait pas considéré comme "gouvernement". Quoi qu'il en soit, en l'espèce, l'hôpital fait partie du "gouvernement" aux fins de l'art. 32.
Malgré sa conclusion que les appelants ne font pas partie du "gouvernement" aux fins de l'art. 32 de la Charte, mon collègue le juge La Forest n'en examine pas moins la constitutionnalité du règlement 5.04 au regard du par. 15(1) de la Charte. Pour les fins de mon analyse de ces questions, je partage son avis, pour les motifs qu'il donne, que le règlement 5.04 est une "loi" aux fins de l'art. 15 de la Charte. Je partage également son avis que le règlement 5.04 contrevient clairement au par. 15(1) de la Charte parce qu'il établit une discrimination fondée sur l'âge, un motif prohibé de discrimination énuméré au par. 15(1).
Là où je suis en désaccord avec mon collègue le juge La Forest et où je souscris à la conclusion de ma collègue le juge Wilson, c'est sur la question de savoir si ce règlement constitue une limite raisonnable dans une société libre et démocratique en vertu de l'article premier de la Charte et en vertu du test formulé dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. À mon avis, (et je ne partage pas ici entièrement le raisonnement du juge Wilson) le règlement 5.04 ne satisfait pas aux exigences de l'arrêt Oakes, et ce, principalement parce que les objectifs visés par le règlement n'ont pas de lien rationnel avec les mesures choisies pour y parvenir et, en outre, parce que le critère de l'atteinte minimale n'a pas été respecté.
L'article premier de la Charte
La méthode retenue par notre Cour en vertu de l'article premier est bien connue et il n'est pas nécessaire d'y référer ici en détail. Il devrait être clair que l'exercice qui doit être entrepris en vertu de cette disposition de la Charte vise à soupeser la loi particulière en jeu au regard de la gravité de la violation du droit ou de la liberté résultant de l'application de cette loi particulière. Nous devons déterminer si l'objectif de la loi est suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit protégé et si les moyens utilisés à cette fin sont appropriés compte tenu du droit qui est violé.
Mon collègue le juge La Forest entreprend une analyse comparable à celle de l'arrêt McKinney pour déterminer si le règlement et la politique de l'hôpital constituent des limites raisonnables aux fins de l'article premier. L'un des objectifs que visent le règlement 5.04 et la politique qui le sous‑tend est la compétence. Le juge La Forest affirme, à la p. 000:
Tout comme ces politiques [dans l'arrêt McKinney] faisaient partie de la recherche de l'excellence dans les universités en matière de haut savoir, le règlement 5.04 et la politique qui s'y rattache visaient à maintenir et à promouvoir la qualité des soins médicaux que pouvait offrir le Vancouver General.
En plus de cette préoccupation concernant la "qualité", on mentionne également la formation et la recherche qui sont effectuées à l'hôpital. Ma collègue le juge Wilson voit un autre objectif possible, celui de favoriser les chances d'emploi des jeunes médecins qui veulent pratiquer la médecine. Je partage son avis que rien dans la preuve n'indique que l'hôpital est un "système fermé"; cet objectif n'est donc pas suffisamment pressant pour justifier la suppression d'un droit protégé par la Constitution. Cependant, contrairement au juge Wilson, je mets également en doute la tentative de justifier la violation des droits des intimés en invoquant l'objectif principal de la compétence.
On ne saurait s'opposer aux efforts d'un hôpital en vue de maintenir un haut niveau de compétence au sein de son personnel, et il est peu de domaines où cet objectif doit être considéré comme aussi important. Lorsque la connaissance et la compétence sont aussi essentielles, dans certains cas à la survie d'un patient, il y a lieu de se féliciter des hauts standards de compétence de nos hôpitaux. La question est toutefois de savoir si c'est là ce que vise le règlement 5.04.
Dans l'arrêt McKinney, j'ai estimé que forcer une personne à mettre fin à sa carrière simplement en raison de son âge ne saurait résister à un examen fondé sur la Charte puisque l'âge ne détermine certainement pas les capacités ou la compétence d'une personne. On ne devient pas moins compétent le lendemain de son 65e anniversaire que la veille de celui‑ci. Fondamentalement, il s'agit d'une question de dignité personnelle et de justice. J'en suis également venue à la conclusion que les conséquences possiblement défavorables de la suppression de la retraite obligatoire devaient céder le pas devant les aspects clairement positifs qu'il y a à permettre à des personnes parfaitement compétentes âgées de plus de 65 ans de continuer à exercer leurs fonctions. Les mêmes préoccupations se soulèvent en l'espèce. Les médecins ne deviennent pas incompétents à un âge donné. S'ils le deviennent, cela tient surtout au fait qu'ils ne se tiennent plus au courant des avances de la science médicale et, entre autres, que leur résistance physique et leur santé diminuent. Mais une politique de mise à la retraite obligatoire est arbitraire et ne fait qu'établir la date à laquelle cela est présumé se produire. C'est défier toute logique d'affirmer que dans tous les cas cet état de choses ne se produit que lors de l'avènement d'un jour précis.
Dans notre cas, nous faisons face à un règlement et une politique qui prévoient notamment l'évaluation permanente de l'efficacité et de la compétence. La santé du médecin est évaluée, et une entrevue personnelle est tenue. À première vue, cela semble être une façon plus humaine et plutôt efficace de procéder à la mise à la retraite des employés médicaux plus âgés. Mais si l'on pousse l'examen et la réflexion, on se rend compte que le traitement demeure injuste et ne peut justifier les violations des droits à l'égalité en question.
Le règlement et la politique qui s'y rattache visent à mettre en {oe}uvre la politique de mise à la retraite du conseil d'administration sur le plan administratif. Personne ne peut douter des efforts du conseil afin de préserver l'efficacité de l'hôpital. Mais le règlement et sa politique d'application doivent avoir un lien rationnel avec les objectifs qu'ils visent à atteindre; j'estime que ce n'est pas le cas en l'espèce. Dans son analyse, mon collègue le juge La Forest applique à cet égard le raisonnement qu'il a tenu dans l'arrêt McKinney (à la p. 000), selon lequel les politiques permettent "le renouvellement régulier du personnel et l'apport intellectuel qui en découle". La retraite obligatoire des travailleurs plus âgés vise à faire profiter les hôpitaux de l'apport de nouveaux membres et, partant, à leur permettre de demeurer à "la fine pointe" et de maintenir les normes de recherche et de formation fixées. En effet, mon collègue affirme à la p. 000 que la capacité des hôpitaux de rester à la fine pointe
. . . dépend de leur capacité d'accueillir régulièrement au sein de leur personnel des jeunes médecins qui, en raison de leur formation récente, sont pleinement au courant des dernières théories, découvertes et techniques. Et comme les hôpitaux sont tout autant que les universités un "système fermé ayant des ressources limitées", cet apport régulier que fournissent les jeunes avec leur vitalité et leurs idées ne peut être réalisé que par le départ concomitant de certains des membres qui font déjà partie du personnel.
Même en acceptant l'argument du "système fermé", je ne vois pas pourquoi l'hôpital a besoin de l'apport de "nouveaux membres" pour demeurer à jour. Comme plusieurs professionnels, les médecins font face tous les jours à la nécessité d'une formation permanente et doivent continuellement faire des efforts pour se tenir au fait des nouveaux progrès en matière de technologie et de recherche. La formation universitaire ordinaire ne sert que de fondement à une carrière brillante et compétente. Les médecins doivent toujours être conscients des nouvelles théories et découvertes. Le fait qu'un médecin célèbre ses 40, 50 ou 60 ans ne modifie pas plus cet état de choses que l'arrivée de son 65e anniversaire. La compétence est menacée par plusieurs facteurs, mais l'âge n'en fait pas nécessairement partie.
Mon collègue le juge La Forest affirme également que l'hôpital, comme institution, est tenu de faire un choix entre "les revendications de groupes concurrents" et, par conséquent, des considérations particulières s'appliquent dans l'examen du critère de "l'atteinte minimale" selon l'arrêt Oakes. Je reconnais que, dans cette situation, les administrateurs font ce choix entre différents groupes. Cependant, je ne suis pas d'accord qu'en l'espèce la répartition des ressources soit une question fondamentale. Ce n'est pas ce genre de choix qui est fait en application de cette politique. À mon avis, le choix s'effectue entre des médecins compétents qui se trouvent à avoir plus de 65 ans, et des médecins compétents de moins de 65 ans, qui débutent habituellement dans la pratique médicale. Je ne crois pas que ces circonstances justifient l'application de considérations particulières. J'ajouterais que le conseil d'administration, même s'il s'agissait d'un organisme investi du pouvoir de légiférer aux fins de la Charte, ne possède pas toutes les caractéristiques requises d'un organisme législatif qui doit tenir compte de la répartition des ressources pour justifier l'application de ces considérations particulières.
Le règlement, sa politique d'application et la preuve devraient être examinés comme un tout. Le règlement impose la retraite à l'âge de 65 ans. Sa politique d'application impose une obligation supplémentaire aux médecins, celle d'établir qu'ils ont quelque chose d'unique à offrir l'hôpital. Le report de la retraite doit faire l'objet d'une demande spéciale au conseil d'administration. Le conseil consultatif médical examine le rapport du chef de département qui s'est entretenu personnellement avec le médecin en cause et l'évaluation de la santé et du rendement de celui‑ci. Le comité présente ses recommandations au conseil d'administration.
Une partie de l'examen au préalable de M. James B. Fleet a été admise en preuve lors du procès. M. Fleet est président du Vancouver General Hospital. Cette preuve révèle que, même avant l'adoption du Règlement, les chefs des départements cliniques de l'hôpital devaient s'assurer que chaque praticien ayant dépassé "un certain âge" continuait à avoir l'habileté requise pour pratiquer de façon sûre et efficace avant de recommander au conseil consultatif médical que le praticien soit renommé. Le renouvellement des privilèges des médecins se fait annuellement. C'était là l'un des aspects des vérifications internes de compétence de la part de l'hôpital, de même que la santé du médecin qui faisait application. Rien n'indique que les standards étaient inadéquats. De leur côté, les intimés ne contestent pas les normes générales appliquées par l'hôpital, et ils ont reconnu devant notre Cour qu'un examen plus attentif pourrait être nécessaire au cours des dernières années de pratique des médecins. Les intimés soutiennent cependant, et je partage leur avis, que les mêmes normes devraient être appliquées à tous les médecins dans l'évaluation de leur compétence. L'application de normes différentes et plus rigides dans l'examen de la compétence des médecins de plus de 65 ans porte gravement atteinte au droit à un traitement égal.
La santé est un autre facteur considéré dans le processus visé par le règlement 5.04. Mon collègue le juge La Forest laisse entendre que la "détérioration" est une "caractéristique incontestable du vieillissement" (p. 000). Il n'y a aucune preuve à l'effet que 65 ans est l'âge où commence la détérioration physique ni qu'elle a nécessairement des répercussions sur la compétence du médecin. La santé du médecin peut être un facteur à considérer dans l'examen de ses aptitudes. Mais assurément, les problèmes de santé permanents d'un médecin seraient un facteur pertinent à tout examen de rendement de tout individu. L'incapacité d'exécuter ses fonctions pour des raisons de santé n'est pas limitée aux personnes de plus de 65 ans.
Ce qui ressort clairement c'est que le système de la "demande spéciale" n'accorde pas vraiment de marge de man{oe}uvre au médecin sinon celle d'établir qu'il a quelque chose d'"unique" à offrir à l'hôpital. À mon avis, les appelants ne peuvent donc justifier la violation des droits en cause. L'obligation d'établir une compétence supérieure ou d'autres qualités spéciales est trop exigeante. Cette norme supérieure n'est appliquée que parce que l'individu a atteint 65 ans. Notre Cour a déjà condamné l'utilisation de motifs de commodité administrative comme justification possible de la violation des droits: Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, aux pp. 218 et 219 (le juge Wilson). Il semble évident que le règlement et la politique de retraite obligatoire établissent un seuil arbitraire et facile pour mettre fin à la carrière d'une personne ‑‑ son 65e anniversaire de naissance. La combinaison de ces facteurs m'amène à conclure que ce seuil est trop sévère pour les médecins visés: j'estime qu'on n'a pas porté atteinte "le moins possible" à leurs droits.
Il existe d'autres solutions de rechange acceptables aux règles formulées par le conseil d'administration pour favoriser la retraite. On pourrait recommander un âge de retraite et le fixer lorsqu'il devient clair que les problèmes physiques sont prédominants, sous réserve d'exceptions dans les cas appropriés. Par exemple, des examens de rendement pourraient être tenus deux fois par année pour les médecins âgés de plus de 70 ans. Ces mesures parmi d'autres pourraient être mises en {oe}uvre discrètement et d'une façon qui ne porte pas atteinte à la dignité de la personne.
Je tiens seulement à ajouter que le nombre de personnes désirant travailler au‑delà de 70 ou 75 ans ne sera pas considérable. Mais il existe des gens qui peuvent apporter (et qui apportent) une contribution importante bien au‑delà de leur 65e anniversaire de naissance, qu'il s'agisse de diriger un orchestre, d'exploiter une entreprise privée ou de diriger un pays. Ces personnes devraient se voir donner l'opportunité de pouvoir continuer à exercer dans le domaine de leur choix. On ne devrait pas subitement présumer qu'elles ne sont plus en mesure de le faire. Enfin, les personnes qui atteignent cet âge sont habituellement bien conscientes de la diminution de leurs capacités physiques, le cas échéant. Abordée d'une manière responsable et respectueuse, la retraite peut être un processus de transition paisible et digne tant pour l'individu que pour l'institution en question.
Je reconnais les arguments valables des procureurs de l'hôpital et du conseil d'administration, soit qu'il y a un nombre croissant de médecins et que les privilèges d'admission à l'hôpital ne sont pas illimités. L'hôpital doit être efficace et cohérent. Mais je ne peux accepter que cela justifie l'imposition des mesures en question. À la limite, c'est une question de compétence. Je pense que personne ne contesterait que les médecins chevronnés ont une expertise qui ne se trouve pas dans un manuel de médecine. Et tout médecin qui ne s'est pas tenu au courant des récents développements devrait être et sera repéré lors des examens annuels. Les médecins plus jeunes ont une plus grande vigueur physique dans certains cas, mais la santé de tous les médecins est pertinente à leur compétence permanente. Nous nous retrouvons donc avec l'imposition flagrante d'une norme différente et plus sévère pour les personnes de plus de 65 ans. Cette façon de porter atteinte aux droits est trop drastique. En l'espèce, les mesures utilisées auraient dû être adaptées de façon plus circonscrite et d'une manière plus appropriée lorsqu'il s'agit de porter atteinte aux droits d'un individu.
Je conclus donc que le règlement 5.04 et la politique qui s'y rattache ne sauraient être justifiés en vertu de l'article premier de la Charte et sont donc inconstitutionnels. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens et de répondre aux questions constitutionnelles de la façon suivante:
1.Les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés s'appliquent‑elles aux actions du Vancouver General Hospital relativement à la rédaction et à la mise en {oe}uvre du règlement 5.04 des Medical Staff Regulations?
Oui.
2.Si la réponse à la question 1 est affirmative, le règlement 5.04 des Medical Staff Regulations est‑il contraire au par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés?
Oui.
3.Si la réponse à la question 1 est affirmative, l'application du règlement 5.04 des Medical Staff Regulations par le Vancouver General Hospital est‑elle contraire au par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés?
Oui.
4.Si la réponse aux questions 2 ou 3 est affirmative, le règlement 5.04 des Medical Staff Regulations ou la façon dont il est appliqué par le Vancouver General Hospital sont‑ils néanmoins justifiés en vertu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
Non.
//Le juge Sopinka//
Version française des motifs rendus par
LE JUGE SOPINKA ‑‑ Pour les motifs que j'ai exposés dans l'arrêt McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, je partage les conclusions et les motifs du juge La Forest relativement à toutes les questions en litige à l'exception de celle de savoir si le règlement 5.04 est une loi au sens du par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, que je préfère ne pas trancher sur le fondement de l'hypothèse que l'hôpital fait partie du gouvernement.
//Le juge Cory//
Version française des motifs rendus par
LE JUGE CORY (dissident) -- Dans ce pourvoi, je me range aux motifs du juge Wilson et à la façon dont elle statuerait en l'espèce. Cependant, je dois expliquer brièvement le fondement de ma conclusion que l'article premier de la Charte ne peut être invoqué pour justifier les règlements de l'hôpital sur la retraite obligatoire alors qu'il pouvait fort bien l'être pour justifier les règlements des universités sur la retraite obligatoire.
Je suis d'accord avec le juge La Forest, pour les motifs qu'il a exposés, quand il dit que la juste appréciation à laquelle doit se livrer la Cour dans l'examen de l'application de l'article premier aux règlements des universités doit être adaptée aux circonstances et non mécanique.
Il y a évidemment des différences importantes entre les universités et les hôpitaux. Les universités justifient leurs politiques de retraite obligatoire en affirmant qu'elles visent à favoriser leur aptitude à promouvoir l'excellence en faisant preuve de souplesse dans la répartition des ressources et le renouvellement du personnel, et à préserver la liberté académique et la collégialité en restreignant les modes distincts d'évaluation du rendement.
Le juge La Forest a reconnu l'importance de ces objectifs lorsqu'il a affirmé aux pp. 286 et 287 [McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229]:
La liberté académique et l'excellence sont essentielles à la vitalité de notre démocratie. Le renouvellement du corps professoral est nécessaire si les universités veulent rester à la fine pointe de la recherche et du savoir. Loin d'être tout à fait préjudiciable au groupe visé, la retraite obligatoire contribue considérablement à l'enrichissement du milieu de travail des membres du corps professoral. Elle assure aux professeurs une large mesure de liberté académique avec un minimum de surveillance et d'évaluation du rendement pendant toute leur carrière à l'université. Ils n'ont pas à trop se préoccuper d'une [TRADUCTION] "mauvaise année" ou de quelques mauvaises années, ou du fait que leur productivité puisse diminuer avec le passage des années. La sécurité d'emploi est bien protégée pendant un nombre considérable d'années et ils échappent à des critères avilissants qui devraient autrement être appliqués. Cela ne veut pas dire que la retraite obligatoire ne peut être une source d'angoisse considérable pour ceux qui ne veulent pas prendre leur retraite, et il ne fait pas de doute qu'elle l'est d'ailleurs. Mais le [TRADUCTION] "marché" que comporte l'acceptation d'un poste permanent a clairement des aspects compensatoires même pour la personne visée et il convient de souligner que c'est ce marché que recherchent les associations de professeurs et même les syndicats dans plusieurs autres secteurs de notre société.
Au préjudice que subissent les personnes visées, il faut opposer le bénéfice des politiques universitaires que tirent la société en général et les individus qui la composent. Il faut également se rappeler que dans un système fermé ayant des ressources limitées comme les universités, il existe une corrélation significative entre ceux qui prennent leur retraite et ceux qui peuvent être embauchés. Il faut donc notamment priver les jeunes de la chance de contribuer à la société par leur travail dans les universités, pour garder indéfiniment ceux qui s'y trouvent actuellement.
Ces facteurs ont en grande partie servi à déterminer que les règlements des universités sur la retraite obligatoire satisfaisaient aux exigences de l'article premier de la Charte. Ils n'ont pas la même importance dans le cas des hôpitaux. Les médecins qui détiennent des privilèges d'admission ou de chirurgie n'ont aucune sécurité d'emploi. Il s'ensuit qu'on peut difficilement affirmer que la permanence est une partie essentielle ou même une partie du marché conclu entre le médecin et l'hôpital. Il est important de signaler que, dans le milieu universitaire, l'association des professeurs était en faveur de la politique de retraite obligatoire alors que dans le milieu hospitalier, l'association des médecins ne l'était pas.
Dans le milieu hospitalier, le niveau de compétence des médecins est évalué au moins une fois par année. Il y avait un système d'évaluation des médecins avant que la politique de retraite obligatoire entre en vigueur. Il existe toujours une procédure d'évaluation en vertu de laquelle la compétence des médecins est appréciée une fois par année. Ce système d'évaluation est en soi suffisant pour démontrer que les hôpitaux ne peuvent satisfaire aux exigences de l'article premier. Un examen permanent des compétences des médecins au cours des années où ils sont associés à un hôpital est essentiel pour le fonctionnement efficace de celui‑ci. L'appréciation a lieu sans égard à l'âge. Dans le milieu hospitalier, l'appréciation essentielle des compétences des médecins ne peut avoir un effet préjudiciable sur la collégialité qui peut exister. D'ailleurs, la collégialité ne semble pas être un facteur essentiel dans le fonctionnement d'un hôpital comme elle l'est dans une université. On ne peut non plus affirmer que l'appréciation porte atteinte à la sécurité d'emploi à l'hôpital. Il est clair que cette sécurité doit dépendre de la preuve faite par le médecin d'un niveau satisfaisant de compétences.
On peut donc constater que les facteurs qui ont contribué à justifier la politique de retraite dans les universités selon l'article premier de la Charte ne s'appliquent pas aux hôpitaux. Il semble donc n'y avoir aucune raison valable pour que l'évaluation permanente ne puisse servir à établir que les médecins de plus de 65 ans possèdent un niveau de compétence satisfaisant.
Pourvoi accueilli et action des demandeurs rejetée avec dépens, les juges WILSON, L'HEUREUX‑DUBÉ et CORY sont dissidents.
Procureurs des appelants: Davis & Company, Vancouver.
Procureurs des intimés: Jordan & Gall, Vancouver.
Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: Le procureur général du Canada, Ottawa.
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Le procureur général de l'Ontario, Toronto.
Procureur de l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique: Le ministère du procureur général, Victoria.