McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
Jim A. McClurg Intimé
répertorié: mcclurg c. canada
No du greffe: 20751
1989: 29 novembre; 1990: 20 décembre.
Présents: Le juge en chef Dickson* et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.
en appel de la cour d'appel fédérale
Impôt sur le revenu ‑‑ Dividendes ‑‑ Attribution ‑‑ Dividendes déclarés et répartis entre les actionnaires d'une catégorie d'actions en vertu du pouvoir discrétionnaire des administrateurs ‑‑ Les autres catégories d'actions ne participaient pas au dividende ‑‑ Une partie du dividende pouvait‑elle légitimement être attribuée aux autres catégories d'actions? ‑‑ Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63, art. 56(2).
Droit des sociétés ‑‑ Dividendes ‑‑ Dividende discrétionnaire déclaré et réparti à la discrétion des administrateurs ‑‑ Y a‑t‑il dérogation à la common law en ce qui concerne la nature des actions ou les obligations des administrateurs? ‑‑ Cela était‑il autorisé par la Business Corporations Act de la Saskatchewan? ‑‑ Business Corporations Act, R.S.S. 1978, ch. B‑10, art. 24(4), 40, 97, 234.
L'intimé et son associé étaient les seuls administrateurs d'une société fermée constituée en vertu de la Business Corporations Act de la Saskatchewan. L'acte constitutif prévoyait trois catégories d'actions: la catégorie A composée d'actions ordinaires avec droit de vote et participantes; la catégorie B composée d'actions ordinaires sans droit de vote, mais participantes avec l'autorisation des administrateurs et la catégorie C composée d'actions privilégiées sans droit de vote. Les trois catégories d'actions comportaient "le droit distinctif de recevoir des dividendes à l'exclusion des autres catégories d'actions de ladite société". Les deux administrateurs n'ont touché aucun dividende pour leurs actions de catégorie A ou C au cours des années 1978, 1979 et 1980 mais ils ont reçu des salaires, des primes ou des droits à des primes. Des dividendes ont été déclarés et distribués à leurs épouses, qui détenaient des actions de catégorie B, chacune d'elles ayant touché des dividendes au montant de 10 000 $ pour chacune de ces trois années. Mme McClurg avait participé activement aux opérations de la société et avait touché un modeste salaire.
Le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation relativement au revenu de l'intimé pour les années 1978, 1979 et 1980 en tenant compte du fait que des 10 000 $ attribués à Mme McClurg à titre de dividendes provenant de ses actions de catégorie B, 8 000 $ auraient plutôt dû être attribués à l'intimé conformément au par. 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le ministre était d'avis que les dividendes déclarés pour chacune des années en question devraient être répartis également entre les actions ordinaires, quelque soit leur catégorie et malgré la condition expresse rattachée aux actions de catégorie B, qui prévoit qu'elles comportent le droit distinctif de recevoir des dividendes à l'exclusion des autres catégories d'actions de ladite société. La redistribution a été effectuée en fonction du nombre d'actions de catégorie A appartenant à l'intimé par rapport au nombre d'actions de catégorie B détenues par Mme McClurg. L'appel interjeté par l'intimé devant la Cour canadienne de l'impôt a été rejeté. Il a ensuite interjeté appel de cette décision d'un juge de la Cour de l'impôt en intentant une action devant la Cour fédérale du Canada, Section de première instance. L'appel a été accueilli. L'appel formé par le ministre devant la Cour d'appel fédérale a été rejeté.
Le litige en l'espèce était de savoir si les dividendes reçus par Mme McClurg relativement à ses actions ordinaires de catégorie B devraient être attribués en partie à l'intimé. On a soulevé une question préliminaire qui était de savoir si la clause discrétionnaire constituait une dérogation valide à la règle de common law prévoyant la distribution égale des dividendes ou si cette clause était autorisée par la Business Corporations Act de la Saskatchewan.
Arrêt (les juges Wilson, La Forest et L'Heureux‑Dubé sont dissidents): le pourvoi est rejeté.
Le juge en chef Dickson et les juges Sopinka, Gonthier et Cory: Les clauses de dividende discrétionnaire peuvent être validement utilisées parce qu'elles ne sont pas expressément prohibées par la Loi et ne sont pas contraires aux principes de la common law ou du droit des sociétés.
Le pouvoir de verser des dividendes fait partie intégrante du pouvoir général de gestion conféré aux administrateurs par la Loi, qui impose expressément des restrictions à ce pouvoir, un peu comme c'était le cas en common law. Ce pouvoir est en outre limité par le fait que le pouvoir général de gestion conféré aux administrateurs d'une société est de nature fiduciaire et qu'il doit être exercé de bonne foi et au mieux des intérêts de la société.
Les actions ont un droit égal de recevoir un dividende à moins que l'acte constitutif ne prévoie le contraire. Le partage des actions en catégories constitue une condition nécessaire pour pouvoir déroger à la présomption d'égalité, à la fois en ce qui concerne le droit aux dividendes et les autres droits des actionnaires. L'alinéa 24(4)a) a pour objet d'assurer que les actionnaires connaissent pleinement leurs droits et privilèges de manière à rendre inapplicable la présomption d'égalité. La conclusion quant à la question de savoir si la catégorie d'actions réfute cette présomption résulte d'un simple examen des faits. L'acte constitutif a réfuté la présomption d'égalité en l'espèce.
C'est le droit d'être pris en compte pour le partage d'un dividende qu'il convient davantage de qualifier de "droit". Un dividende n'en est pas moins un "droit" parce qu'il dépend de l'exercice par les administrateurs de leur pouvoir discrétionnaire de répartir le dividende déclaré entre les catégories d'actions. Les administrateurs sont tenus, en vertu de leur obligation fiduciaire, d'agir de bonne foi, au mieux des intérêts de la société en question, lorsqu'ils déclarent et répartissent un dividende. Une clause de dividende discrétionnaire ne fait nullement disparaître cette obligation. Nombre de droits des actionnaires peuvent être restreints ou conditionnels et ces droits n'en constituent pas moins des droits des actionnaires même s'ils font l'objet de restrictions.
Une clause de dividende discrétionnaire n'entraîne pas en soi un conflit entre l'obligation des administrateurs et leur intérêt personnel. La répartition de leurs dividendes en vertu d'une telle clause peut se faire au mieux des intérêts de la société. La possibilité que les administrateurs tiennent compte de l'identité des actionnaires n'a pas nécessairement pour effet d'invalider la déclaration en raison d'un conflit entre leur obligation et leur intérêt personnel. La clause de partage des dividendes ne fait que diviser, sur le plan conceptuel, en deux éléments ‑‑ déclaration et répartition ‑‑ ce qui, traditionnellement, constituait une seule décision. Le pouvoir discrétionnaire des administrateurs a toujours comporté ces deux éléments, sous réserve des dispositions de l'acte constitutif.
L'alinéa 24(4)b) de la Loi reconnaît que lorsqu'un dividende est déclaré par une société, il doit exister des actions ayant droit à ce dividende. La présence de la clause de dividende discrétionnaire ne fait pas échec à cette règle parce que l'identité de la catégorie d'actions admissible à un dividende demeure tout simplement inconnue jusqu'au moment de la répartition. Cette division conceptuelle en déclaration et répartition n'est pas fondamentalement différente d'une dérogation à la présomption d'égalité dans le versement de dividendes.
Notre Cour ne serait pas justifiée de se prononcer sur la validité de l'utilisation d'une clause de dividende discrétionnaire dans le cadre d'un pourvoi en matière d'impôt sur le revenu. La Loi a pour objet de faciliter les choses et de permettre aux parties, sous certaines réserves explicites, de structurer les sociétés comme elles le désirent. Elle fournit également à la partie lésée ‑‑ peu importe qu'il s'agisse d'un détenteur de valeurs mobilières, d'un créancier, d'un administrateur ou d'un dirigeant ‑‑ le moyen de demander réparation grâce au recours prévu à l'art. 234. Aucune des parties intéressées n'a déposé une telle plainte en l'espèce, probablement parce que toutes les personnes en cause étaient satisfaites de la manière dont les administrateurs la gérait. De plus, il est bien établi en common law que lorsque les actionnaires s'entendent unanimement sur une opération, celle‑ci ne constitue pas un excès de pouvoir de la part de la société parce qu'il y a eu inégalité de traitement.
La conclusion que l'opération s'était produite dans le cadre des rapports existant entre les administrateurs et les actionnaires tranche la question. Bien qu'il soit toujours loisible aux tribunaux de "percer le voile corporatif" afin d'empêcher les parties de profiter de techniques d'évitement fiscal de plus en plus complexes, le versement d'un dividende n'est pas visé par le par. 56(2). Ce dernier a pour objet d'assurer que les paiements qui auraient autrement été reçus par le contribuable ne soient pas détournés au profit d'un tiers comme technique d'évitement fiscal. Cet objet n'est pas contrecarré parce que, dans le contexte du droit des sociétés, les profits appartiennent à la société en sa qualité de personne juridique tant qu'un dividende n'est pas déclaré. Si aucun dividende n'avait été déclaré ni versé à un tiers, il n'aurait pas non plus été touché par le contribuable. Ce montant aurait plutôt simplement fait partie des bénéfices non distribués de la société. Par conséquent, en règle générale, le versement d'un dividende ne peut raisonnablement être considéré comme un avantage détourné par un contribuable en faveur d'un tiers au sens du par. 56(2).
Une répartition effectuée conformément à une clause de dividende discrétionnaire ne se distingue pas du versement d'un dividende en général. Dans les deux cas, le dividende continuerait à faire partie des bénéfices non distribués de la société, si ce n'était de la déclaration du dividende (et de sa répartition), et, par conséquent, il n'est pas visé par les paramètres fixés légitimement par le législateur au par. 56(2).
Les versements effectués à Mme McClurg représentaient une contrepartie légitime et non simplement une tentative d'éviter le paiement de l'impôt. Les efforts qu'elle a déployés dans l'exploitation de la société, même s'ils ne sont pas décisifs quant à la question soulevée dans le présent pourvoi, constituent néanmoins une preuve supplémentaire que le versement de dividendes était le résultat d'une relation d'affaires normale. Si une distinction s'impose aux fins de l'application du par. 56(2) entre les opérations effectuées avec ou sans lien de dépendance, il faut la faire entre l'exercice du pouvoir discrétionnaire de répartir des dividendes lorsque l'actionnaire ayant un lien de dépendance n'a fourni aucun apport à la société (auquel cas le par. 56(1) peut s'appliquer) et les cas où un apport légitime a été fourni.
Les juges Wilson, La Forest et L'Heureux‑Dubé (dissidents): la séparation de la propriété et du contrôle des actions sous‑tend plusieurs principes fondamentaux du droit des sociétés. Le principe selon lequel les administrateurs et les dirigeants d'une société ont une obligation de fiduciaire envers celle‑ci et le principe de l'égalité des actions en sont des exemples. Étant plus qu'un simple droit contractuel, le principe de l'égalité des actions constitue une mesure de protection pour l'actionnaire. Ainsi, les administrateurs ne sont pas libres de distinguer arbitrairement entre les catégories au moment d'accorder un dividende, même lorsqu'il y a plus d'une catégorie d'actions.
Les droits d'un actionnaire comprennent le droit de recevoir un dividende, le droit de voter et le droit de participer au partage des actifs au moment de la dissolution de la société. Ces droits doivent se rattacher aux actions de la société et les actionnaires ne peuvent s'entendre pour faire échec à ce principe.
Une clause de dividende discrétionnaire qui permet aux administrateurs d'une société de choisir la catégorie qui a le droit de toucher des dividendes à l'exclusion des autres catégories est nulle sous le régime de la common law. Elle va à l'encontre du principe selon lequel les administrateurs ne peuvent favoriser une catégorie au détriment des autres. Elle est également contraire au principe voulant que les dividendes se rattachent aux actions et non aux actionnaires car les administrateurs feraient une répartition discrétionnaire en se fondant essentiellement sur l'identité des actionnaires. Permettre la discrimination en se fondant sur l'identité de l'actionnaire, c'est ne pas tenir compte de la séparation qui est censée exister entre la société et ses actionnaires.
Une clause de dividende discrétionnaire, lorsqu'elle est valide, engendrerait un certain nombre de problèmes. L'actionnaire dépendrait entièrement du bon vouloir des administrateurs et l'actionnaire minoritaire serait placé dans une situation presque impossible si ce bon vouloir devait jouer contre lui. Elle place également l'administrateur dans une situation où il ne peut remplir ses obligations de fiduciaire envers la société dans son ensemble et elle doit donc être nulle en common law. Le conflit d'intérêts est encore plus évident lorsqu'un l'administrateur est lui‑même un actionnaire faisant partie d'une catégorie à laquelle des dividendes sont accordés ou d'où il tire un avantage personnel; cette situation peut se comparer à l'usurpation d'un privilège de la société qui appartient à cette dernière.
Exiger que le mode de distribution soit expressément énoncé dans l'acte constitutif, lequel ne peut être modifié qu'avec l'approbation des actionnaires, est conforme à l'obligation de fiduciaire. Si les administrateurs détiennent des actions privilégiées, les actionnaires ordinaires se seront entendus pour subordonner leur droit aux dividendes à la catégorie d'actions privilégiées moyennant "divulgation intégrale" du montant maximum jusqu'à concurrence duquel ces actions privilégiées auront priorité. Lorsqu'il y a une clause de dividende discrétionnaire, cette divulgation n'existe pas puisque le montant et la priorité en question seront déterminés subséquemment, à l'entière discrétion des administrateurs.
Si les employés méritent une récompense additionnelle, la bonne façon de procéder est de leur accorder une forme de rémunération autre qu'un dividende. Celui‑ci est le rapport d'un investissement. Si les administrateurs devaient prendre en considération l'identité des actionnaires lorsqu'ils déclarent un dividende, cela constituerait un exercice abusif du pouvoir d'accorder un dividende discrétionnaire.
Même si la clause de dividende discrétionnaire était valide sous le régime de la common law, elle ne suffirait pas à réfuter la présomption d'égalité de la common law. Les trois catégories d'actions sont définies essentiellement de la même façon en ce qui concerne leur droit aux dividendes. Par conséquent, toute différence qui existe entre les actions concernant leur droit de recevoir des dividendes découlerait clairement non pas d'une différenciation entre les actions mais plutôt des actes des administrateurs de la société. Ainsi donc, un tel droit ne découlerait pas de l'action elle‑même et serait invalide en common law.
L'alinéa 24(4)a) de la Business Corporations Act de la Saskatchewan exige que le mode de distribution des dividendes soit expressément prévu dans l'acte constitutif lui‑même. Cet article doit être interprété conformément aux principes de la common law qui prescrivent notamment que les droits de l'actionnaire doivent être expressément prévus dans les actions elles‑mêmes. Toute dérogation à ce principe doit être prévue expressément. L'alinéa 24(4)a) n'exprime pas clairement l'intention de conférer aux administrateurs d'une société le pouvoir qu'ils n'avaient pas autrement en vertu de la common law. Le recours à la clause de dividende discrétionnaire est également incompatible avec l'exigence de l'al. 24(3)b) selon laquelle au moins une catégorie d'actions doit avoir le droit "de recevoir tout dividende déclaré par la société".
Même lorsque la Loi prévoit expressément qu'on peut conférer aux administrateurs le pouvoir discrétionnaire de déterminer les droits à être assignés à une série, ce pouvoir discrétionnaire n'est pas illimité. Les actionnaires peuvent accorder aux administrateurs le pouvoir d'émettre des séries dans une catégorie donnée et conférer des droits à ces séries mais ils ne peuvent s'entendre pour accorder aux administrateurs le pouvoir discrétionnaire de porter atteinte à leur droit aux dividendes ou à un remboursement de capital en choisissant de donner priorité à une autre série. Les droits conférés aux séries, contrairement aux catégories d'actions, peuvent être changés sans qu'on modifie la constitution d'une société.
La loi prévoit que les actionnaires seront protégés contre les modifications apportées aux droits se rattachant aux différentes catégories d'actions en raison du fait que ces droits ne peuvent être changés que par la modification de la constitution de la société. En principe, un actionnaire peut intenter une poursuite s'il est allégué que les administrateurs exercent leur pouvoir discrétionnaire d'une façon inappropriée. Ce recours entraîne toutefois un fardeau et des frais importants et ne constitue pas un moyen adéquat pour protéger les actionnaires contre les abus auxquels la clause de dividende discrétionnaire peut donner lieu. La nécessité de protéger l'actionnaire contre l'usage abusif de la clause de dividende discrétionnaire devient encore plus évidente lorsqu'on envisage la possibilité d'insérer une telle clause dans l'acte constitutif d'une société dont les actions sont détenues par le public.
La clause de dividende discrétionnaire n'a aucune fin utile sur le plan social. Son seul but apparent est de faciliter l'évitement fiscal grâce au "fractionnement du revenu" et cela ne saurait justifier le besoin de permettre aux sociétés d'être structurées de cette manière.
Il serait inapproprié de retourner à la société l'argent versé sous forme de dividendes parce qu'il faut présumer que les administrateurs ont déclaré des dividendes dans l'intérêt de la société. Ceux‑ci devraient par conséquent être redistribués parmi les différentes catégories d'actions qui doivent, en l'absence d'une différenciation valide entre les actions, participer également aux dividendes.
Le versement d'un dividende n'est pas visé par le par. 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu dans la situation typique où un tel versement relève des pouvoirs de la société et où l'actionnaire a vraiment droit aux dividendes. La contribution d'un actionnaire à l'entreprise n'est cependant pas pertinente, car un dividende est un rapport du capital qui se rattache à une action et ne dépend d'aucune façon de la conduite d'un actionnaire donné.
Les quatre conditions du par. 56(2) sont remplies en l'espèce. Le paiement en question répondait à l'exigence selon laquelle il doit y avoir un paiement ou transfert de biens à une personne autre que le contribuable; le terme "paiement" n'a pas acquis un sens technique dans la Loi de l'impôt sur le revenu et il doit être interprété selon son sens ordinaire. Le paiement a été effectué suivant les instructions ou avec l'accord du contribuable. On peut affirmer qu'un particulier ayant le contrôle d'une société a ordonné un paiement au sens du par. 56(2) lorsqu'il exerce ce contrôle. Le paiement doit être effectué au profit du contribuable ou du bénéficiaire. En l'espèce, le versement à Mme McClurg, qui représentait le droit à un dividende de M. McClurg, équivalait à un avantage conféré à Mme McClurg en vertu du par. 56(2). Enfin, ce montant aurait été inclus dans le revenu de M. McClurg si la répartition avait été faite correctement.
Jurisprudence
Citée par le juge en chef Dickson
Arrêts mentionnés: Burland v. Earle, [1902] A.C. 83; Bowater Canadian Ltd. v. R.L. Crain Inc. (1987), 62 O.R. (2d) 752; De Vall v. Wainwright Gas Co., [1932] 2 D.L.R. 145; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; La Reine c. Golden, [1986] 1 R.C.S. 209; Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32; Miller v. M.N.R., 62 D.T.C. 1139; Perrault c. La Reine, [1979] 1 C.F. 155.
Citée par le juge La Forest (dissident)
Salomon v. Salomon and Co., [1897] A.C. 22; Farrar v. Farrars Limited, (1888), 40 Ch. D. 395; Borland's Trustee v. Steel Brothers & Co., [1901] 1 Ch. 279; Canadian Aero Service Ltd. c. O'Malley, [1974] R.C.S. 592; Henry v. Great Northern Ry. Co. (1857), 1 De G. & J. 606, 44 E.R. 858; Jacobsen v. United Canso Oil & Gas Ltd. (1980), 113 D.L.R. (3d) 427; Bowater Canadian Ltd. v. R. L. Crain Inc. (1987), 62 O.R. (2d) 752; Rondeau c. Poirier, [1980] C.A. 35; Birch v. Cropper, In re Bridgewater Navigation Co. (1889), 14 A.C. 525; Champ v. The Queen, 83 D.T.C. 5029; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; Murphy v. The Queen (1980), 80 D.T.C. 6314; Bronfman, A. v. M.N.R., [1965] C.T.C. 378.
Lois et règlements cités
Business Corporations Act, R.S.S. 1978, ch. B‑10, art. 6(1)c)(i), 24(3)b), (4), 27, 40, 97(1), 170(1)c), 234.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63, art. 56(2), 248(1).
Loi sur les compagnies, S.R.C. 1952, ch. 53.
Loi sur les corporations commerciales canadiennes, S.C. 1974‑75, ch. 33.
Doctrine citée
Boivin, Michelle. "Le droit aux dividendes et le dividende "discrétionnaire"", (1987), 47 R. du B. 73.
Bryden, R. M. "The Law of Dividends", in Jacob S. Ziegel, ed., Studies in Canadian Company Law. Toronto: Butterworths, 1967.
Eisenberg, Melvin A. "The Legal Roles of Shareholders and Management in Modern Corporate Decisionmaking" (1969), 57 Cal. L. Rev. 1.
Fraser, William Kaspar. Company Law of Canada, 5th ed. By J.L. Stewart and M. Laird Palmer. Toronto: Carswells, 1962.
Goodman, S. H. Comment. "The Last Bastion for Income‑Splitting? J.A. McClurg v. The Queen" (1986), 34 Can. Tax J., 404.
Martel, Maurice et Paul Martel. La compagnie au Québec, Les aspects juridiques, vol. I. Montréal: Wilson & Lafleur Ltée, 1987.
Quessy, Pierre. "Les aspects corporatifs et fiscaux des actions à dividende discrétionnaire", [1985] 7 R.P.F.S. 31.
Schmitthoff, Clive M. Palmer's Company Law, 23rd ed., vol. 1. London: Stevens & Sons, 1982.
Wegenast, F. W. The Law of Canadian Companies. Toronto: Carswells, 1979.
Welling, Bruce. Corporate Law in Canada. Toronto: Butterworths, 1984.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1988] 2 C.F. 356, 84 N.R. 214, [1988] 1 C.T.C. 75, 88 D.T.C. 6047, qui a confirmé un jugement de la Cour fédérale, Section de première instance (1986), 2 F.T.R. 1, 86 D.T.C. 6128, qui avait infirmé une décision de la Cour canadienne de l'impôt, [1984] C.T.C. 2469, 84 D.T.C. 1379, qui avait rejeté un appel de l'intimé formé contre un avis de nouvelle cotisation. Pourvoi rejeté. (Les juges Wilson, La Forest et L'Heureux‑Dubé sont dissidents).
Ian S. MacGregor et Brent Paris, pour l'appelante.
Robert W. Thompson et Gordon Balon, pour l'intimé.
Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges Sopinka, Gonthier et Cory rendu par
//Le juge en chef Dickson//
LE JUGE EN CHEF DICKSON ‑‑ Il s'agit en l'espèce d'une affaire d'impôt sur le revenu. Ce pourvoi soulève la question de savoir si certains dividendes reçus par l'épouse de l'intimé, Jim A. McClurg, au cours des années 1978, 1979 et 1980 relativement à des actions ordinaires de catégorie B de Northland Trucks (1978) Ltd. (ci‑après Northland Trucks) devraient être attribués en partie à l'intimé, qui est à la fois dirigeant et administrateur de Northland Trucks, et détenteur des actions ordinaires majoritaires de catégorie A du capital‑actions de cette société.
I. Historique
1. Les textes législatifs applicables
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63:
56. . . .
(2) Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instructions et avec l'accord d'un contribuable, à toute autre personne au profit du contribuable ou à titre d'avantage que le contribuable désirait voir accorder à l'autre personne, doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou ce transfert avait été fait au contribuable.
Business Corporations Act, R.S.S. 1978, ch. B‑10:
[TRADUCTION]
24. . . .
(4) L'acte constitutif peut prévoir plusieurs catégories d'actions, auquel cas:
a)les droits, privilèges, restrictions et conditions qui se rattachent aux actions de chaque catégorie doivent y être énoncés;. . .
b)chacun des droits énoncés au paragraphe (3) doit se rattacher à au moins une catégorie d'actions sans qu'il soit nécessaire qu'une même catégorie jouisse de l'ensemble de ces droits.
40. La société ne peut déclarer ni verser de dividende s'il existe des motifs raisonnables de croire que:
a)ou bien elle ne peut, ou ne pourrait de ce fait, acquitter son passif à échéance;
b) ou bien la valeur de réalisation de son actif serait, de ce fait, inférieure au total de son passif et de son capital déclaré de toute catégorie.
97.--(1) Sous réserve de toute convention unanime des actionnaires, les administrateurs:
a) exercent les pouvoirs de la société, directement ou indirectement, par l'intermédiaire de ses employés et mandataires;
b) gèrent les affaires tant commerciales qu'internes de la société.
234.--(1) Tout plaignant peut demander au tribunal de rendre les ordonnances visées au présent article.
(2) Le tribunal, saisi d'une demande visée au paragraphe (1), peut, par ordonnance, redresser la situation provoquée par la société ou l'une des personnes morales de son groupe qui, à son avis, abuse des droits des détenteurs de valeurs mobilières, créanciers, administrateurs ou dirigeants, ou porte atteinte à leurs intérêts ou n'en tient pas compte:
a)soit en raison de son comportement;
b) soit par la façon dont elle conduit ses affaires tant commerciales qu'internes ou celles de tout membre de son groupe;
c) soit par la façon dont ses administrateurs ou ceux de son groupe exercent ou ont exercé leurs pouvoirs.
2. Les faits
L'intimé est président de Northland Trucks, une société constituée sous le régime de la Business Corporations Act de la Saskatchewan. La société a été créée en 1978 par suite de l'achat d'une concession de camions International Harvester. L'intimé et son associé, Veryle Ellis, sont les seuls administrateurs de la société. L'acte constitutif de la société prévoit trois catégories d'actions: la catégorie A, composée d'actions ordinaires avec droit de vote et participantes, la catégorie B, composée d'actions ordinaires sans droit de vote, mais participantes avec l'autorisation des administrateurs, et enfin, la catégorie C, composée d'actions privilégiées sans droit de vote. L'acte constitutif renferme les dispositions suivantes en ce qui concerne le droit aux dividendes:
[TRADUCTION] Actions ordinaires de catégorie A:
Actions ordinaires avec droit de vote et participantes, comportant le droit distinctif de recevoir des dividendes à l'exclusion des autres catégories d'actions de ladite société.
Actions ordinaires de catégorie B:
Actions ordinaires sans droit de vote, mais participantes avec l'autorisation unanime des administrateurs, comportant le droit distinctif de recevoir des dividendes à l'exclusion des autres catégories d'actions de ladite société.
Actions privilégiées de catégorie C:
Actions privilégiées sans droit de vote, comportant le droit distinctif de recevoir des dividendes à l'exclusion des autres catégories d'actions, pourvu que ces dividendes soient autorisés par résolution unanime des administrateurs.
Des dividendes peuvent être versés pour chaque catégorie d'actions à l'exclusion des autres catégories d'actions de la société, et la société est autorisée à émettre autant d'actions de chaque catégorie qu'elle le désire.
Dans la définition des catégories d'actions, la clause concernant [TRADUCTION] "le droit distinctif de recevoir des dividendes à l'exclusion des autres catégories d'actions" est cruciale pour analyser l'espèce; il faut tout d'abord déterminer si cette clause, qui confère aux administrateurs un pouvoir discrétionnaire illimité en ce qui concerne la répartition des dividendes entre les diverses catégories d'actions, constitue une dérogation valide à la règle de common law ayant trait à l'égalité de la répartition des dividendes. Pour simplifier les choses, j'utiliserai l'expression "clause de dividende discrétionnaire" pour désigner cette clause dans les présents motifs.
Les actions de la société ont été émises au prix de 1 $ l'unité, et leur répartition indique qu'il s'agit d'une société fermée:
ACTIONS ORDI‑ ACTIONS ORDI‑ ACTIONS PRIVI‑
NAIRES DE NAIRES DE LÉGIÉES DE
NOM CATÉGORIE A CATÉGORIE B CATÉGORIE C
Jim McClurg 400 ‑ 37 500
Veryle Ellis 400 ‑ 37 500
Wilma McClurg ‑ 100 ‑
(épouse de Jim McClurg)
Suzanne Ellis ‑ 100 ‑
(épouse de Veryle Ellis)
Au cours des années 1978, 1979 et 1980, les administrateurs McClurg et Ellis ont déclaré des dividendes, répartis de la manière suivante:
NOM 1978 1979 1980
Jim McClurg ‑ ‑ ‑
Veryle Ellis ‑ ‑ ‑
Wilma McClurg 10 000 $ 10 000 $ 10 000 $
Suzanne Ellis 10 000 $ 10 000 $ 10 000 $
La résolution déclarant les dividendes était libellée comme suit:
[TRADUCTION] Les administrateurs ont à l'unanimité convenu que les actionnaires de la catégorie "B" recevront des dividendes de 100 $ l'action pour chaque action dont ils sont détenteurs.
IL EST RÉSOLU
que le versement des dividendes aux actionnaires de la catégorie "B" sera effectué de la manière suivante:
ACTIONNAIRE DE NOMBRE D'ACTIONS DIVIDENDE
LA CATÉGORIE B ÉMISES PAR ACTION TOTAL VERSÉ
Wilma McClurg 100 100 $ 10 000 $
Suzanne Ellis 100 100 $ 10 000 $
Bien que les deux administrateurs n'aient touché aucun dividende pour leurs actions de catégorie A ou C au cours de ces trois années, ils n'en ont pas moins reçu des sommes d'argent. En effet, ils ont touché des sommes sous forme de salaires, de primes ou de droits à des primes totalisant pour l'intimé, suivant le juge de première instance, 33 968 $ en 1978, 65 292 $ en 1979 et 57 900 $ en 1980. En outre, les bénéfices non distribués de la société étaient de 312 611 $ au 31 octobre 1980, et de 421 481 $ au 31 octobre 1981. À titre de propriétaires des actions de catégorie A (les seules actions participantes de plein droit), seuls les administrateurs de la société participaient de plein droit aux bénéfices accumulés de la société.
Une analyse de l'avoir propre des deux catégories d'actions figure ci‑après:
Actions de Actions de
catégorie A catégorie B
Actions émises 800 200
Montant versé 800 200
Dividendes reçus NÉANT 60 000
Croissance des actions pour
chaque dollar investi
au 31 oct. 1980 312 611 NÉANT
Les prétentions jointes à l'avis d'opposition présenté par M. McClurg pour les années d'imposition 1978, 1979 et 1980, indiquent qu'à la fin de l'année d'imposition 1981, l'avoir propre (croissance) des actions ordinaires de catégorie A était de 527 $ l'action (ce montant représentant 1,75 fois celui des actions de catégorie B) alors que la croissance totale (avoir propre) des actions ordinaires de catégorie B était encore de 300 $ l'action.
Valeur
Remboursement Avoir propre totale en $
total au non distribué pour chaque
31 oct. 1981 le 31 oct. 1981 Total action détenue %
Jim McClurg 224 700 210 741 435 441 1 088,62 45
Veryle Ellis 224 700 210 741 435 441 1 088,62 45
Wilma McClurg 48 125 NÉANT 48 125 481,25 5
Suzanne Ellis 48 125 NÉANT 48 125 481,25 5
545 650 421 482 967 132 100
Il faut également examiner le financement de l'établissement de la société. La somme de 37 500 $ ayant servi à l'achat de 37 500 actions privilégiées a été empruntée par l'intimé à la Banque Toronto‑Dominion, moyennant un billet contresigné par son épouse et son beau‑père. Ce dernier a fourni une autre sûreté sous la forme d'un certificat de dépôt à terme de 40 000 $. L'achat de l'entreprise a été financé en partie au moyen d'un prêt consenti par le vendeur, dont caution en partie par l'intimé et son épouse par voie d'une seconde hypothèque s'élevant à 25 000 $ sur la maison dont ils étaient copropriétaires. En outre, Wilma McClurg a également été cosignataire avec l'intimé d'une garantie personnelle en faveur d'International Harvester Company, le fournisseur de la société, relativement à une débenture de 500 000 $ concernant les affaires de Northland Trucks. Enfin, la société a obtenu de la Banque Toronto‑Dominion une marge de crédit fixée tout d'abord à 50 000 $ puis, plus tard, à 200 000 $ et qui était garantie par tous les actionnaires. Il convient de souligner que le juge de première instance a conclu que la valeur de l'actif personnel de Wilma McClurg était à l'époque de 15 000 $ à 20 000 $, ce qui indique que la garantie personnelle qu'elle avait donnée n'était pas sans importance.
Il convient également d'examiner le rôle joué par Wilma McClurg dans l'entreprise au cours de cette même période. La preuve indique qu'elle occupait le poste d'adjointe administrative et, qu'en cette qualité, elle participait à l'exploitation de l'entreprise en exécutant diverses tâches, suivant les besoins ‑‑ notamment elle faisait fonction de sténographe, s'occupait de la tenue de livres et de l'inventaire des marchandises, et elle conduisait un camion. Pour ses efforts, elle a touché un salaire de 625 $ en 1978, de 5 000 $ en 1979 et de 5 000 $ en 1980. Des 30 000 $ qu'elle a reçus sous forme de dividendes au cours de cette période, Wilma McClurg a réinvesti 20 000 $ dans M.E. Investments Corporation, une compagnie dont la structure était analogue à celle de Northland Trucks et qui comptait les mêmes actionnaires et administrateurs. M.E. Investments Corporation a été constituée dans le but d'acquérir un terrain où se trouvait l'entreprise de Northland Trucks. Ce terrain a été acquis grâce à une première hypothèque que Wilma McClurg a garantie personnellement.
Le 14 janvier 1982, le ministre du Revenu national a délivré des avis de nouvelle cotisation relativement aux revenus du demandeur pour les années 1978, 1979 et 1980. Il y soutenait que, pour chacune de ces années, des 10 000 $ attribués à Wilma McClurg à titre de dividendes provenant de ses actions de catégorie B, 8 000 $ auraient plutôt dû être attribués à l'intimé conformément au par. 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le Ministre a effectué cette nouvelle ventilation en fonction du nombre d'actions de catégorie A que détenait l'intimé, par rapport au nombre d'actions de catégorie B que détenait Wilma McClurg. Le Ministre prétend que les dividendes déclarés au cours de chacune de ces années devraient être répartis également entre les actions ordinaires, quelle que soit leur catégorie et malgré la condition expresse rattachée aux actions de catégorie B, qui prévoit qu'elles comportent le droit distinctif de recevoir des dividendes à l'exclusion des autres catégories d'actions de ladite société. L'appel interjeté par l'intimé à la Cour canadienne de l'impôt a été rejeté. L'intimé a ensuite interjeté appel de la décision du juge de la Cour de l'impôt devant la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada. Cet appel a été accueilli. L'appel interjeté par le Ministre devant la Cour d'appel fédérale a été rejeté. Finalement, la demande d'autorisation de pourvoi devant notre Cour a été accueillie.
3. Les jugements des tribunaux d'instance inférieure
Cour canadienne de l'impôt, 84 D.T.C. 1379
Le juge Goetz a conclu qu'aucun élément de preuve n'indiquait que le placement fait par Wilma McClurg dans la société revêtait une quelconque importance. Il a déduit que l'intimé et son associé avaient le contrôle complet de la société, et il a conclu, à la p. 1381, que la structure du capital‑actions constituait simplement un moyen de partager les revenus:
À mon sens, la structure du capital‑actions et l'établissement des actions de catégorie "B" étaient un moyen pour Northland de verser des profits à la femme de l'appelant, ce qui constituait un avantage fiscal pour l'appelant et est interdit par le paragraphe 56(2).
Le juge Goetz a conclu, à la p. 1381, que les dividendes constituaient un [TRADUCTION] "effort manifeste" de conférer un avantage aux épouses des administrateurs, et il a en outre fait remarquer, à la p. 1382, que "la femme de l'appelant et celle d'Ellis étaient des jouets entre leurs mains et elles faisaient ce que ceux‑ci leur disaient de faire". Il a finalement statué que les efforts déployés par Wilma McClurg et les risques qu'elle avait pris en vertu des garanties n'avaient rien à voir avec le versement de dividendes. Il a rejeté l'appel interjeté contre la nouvelle cotisation.
Cour fédérale du Canada ‑ Section de première instance (1986), 2 F.T.R. 1
Le juge Strayer a tout d'abord examiné comment il faut interpréter le par. 56(2), et il a conclu, à la p. 4, qu'au sens littéral il pourrait exiger que "chaque dividende versé à un actionnaire de la société soit attribué au revenu des administrateurs qui ont pris part à la décision de verser le dividende". Il a ajouté:
En effet, le dividende deviendrait un "paiement [. . .] fait [. . .] à toute autre personne", "avec l'accord" d'un administrateur. Il pourrait également être considéré comme un "avantage" que l'administrateur "désirait voir accorder" à l'actionnaire, compte tenu du fait qu'il est certainement souhaitable, du point de vue des administrateurs, qu'un dividende soit déclaré lorsque cela est possible, afin d'augmenter le sentiment de satisfaction qu'éprouvent les actionnaires à l'égard de la société.
Le juge Strayer a toutefois conclu que le législateur ne pouvait avoir eu l'intention de donner un sens aussi large à cette disposition; il a également conclu que le par. 56(2) devait faire l'objet de réserves en ce que pour y contrevenir, le contribuable doit chercher à éviter de toucher des sommes qui lui seraient autrement payables, et qu'il faut établir une distinction entre le concept de versement d'un "avantage" et le paiement fait moyennant contrepartie.
De l'avis du juge Strayer, il était impossible d'affirmer que les sommes payables à l'intimé ont été détournées en faveur de son épouse, de manière à déclencher l'application du par. 56(2). Il n'était pas convaincu que l'acte constitutif de la société doit être considéré comme nul dans la mesure où il permet des disparités dans le versement des dividendes aux diverses catégories d'actionnaires. Il ne voyait non plus aucun obstacle légal à ce qu'un contrat conclu entre l'actionnaire et la société permette aux administrateurs de fixer le montant de dividendes payable au cours d'une année particulière à une certaine catégorie d'actionnaires. Comme aucun dividende n'était payable de plein droit aux détenteurs des actions de catégorie A, comme l'intimé, sans une résolution des administrateurs en ce sens, on ne pouvait pas dire que des sommes payables à l'intimé ont été détournées en faveur de son épouse, de manière à déclencher l'application du par. 56(2).
Le juge Strayer était également convaincu que les dividendes versés à Wilma McClurg n'étaient pas un "avantage" au sens du par. 56(2). Ces dividendes ont été versés dans le contexte de rapports juridiques entre l'actionnaire et la société, en vertu desquels l'actionnaire avait le droit de recevoir les dividendes déclarés à l'occasion par les administrateurs. Les circonstances de l'espèce ont porté le juge à croire, à la p. 5, "qu'il s'agissait d'une relation d'affaires légitime appuyée par tous les documents légaux nécessaires, et qui ne devrait pas être considérée comme du trompe‑l'{oe}il". Wilma McClurg a fourni un apport très réel à la mise sur pied de l'entreprise, au moyen de la garantie personnelle qu'elle a donnée et de la part de l'hypothèque qu'elle a assumée sur la maison qu'elle possédait conjointement avec l'intimé. En outre, elle a joué un rôle actif dans l'exploitation de l'entreprise, en échange duquel elle n'a touché qu'un maigre salaire. L'appel a été accueilli.
Cour d'appel fédérale, [1988] 2 C.F. 356
L'arrêt majoritaire de la Cour d'appel fédérale, auquel a souscrit le juge Heald, a été rendu par le juge Urie. Celui‑ci a tout d'abord indiqué qu'il avait peine à concevoir comment le par. 56(2) pouvait s'appliquer à une société. La société verse sous forme de dividendes à ses actionnaires la part de ses bénéfices que ses administrateurs estiment indiquée. Ces administrateurs agissent alors en leur qualité d'administrateurs et non à titre personnel, peu importe que les actions puissent être détenues par un grand ou un petit nombre d'actionnaires. Le juge Urie pouvait en outre difficilement comprendre comment on peut affirmer qu'"un contribuable", lorsqu'il agit en qualité d'administrateur, peut remplir l'une ou l'autre des conditions essentielles à l'application du par. 56(2). Il a tenu le raisonnement suivant, à la p. 363:
Seuls les termes les plus explicites, que l'on ne retrouve pas au paragraphe 56(2), justifieraient la notion qu'un administrateur qui agirait en cette qualité pourrait être considéré comme ordonnant à la société de détourner un paiement ou un transfert de biens à son profit ou au profit d'une autre personne, en l'absence de mauvaise foi, d'un abus de confiance ou d'un excès des pouvoirs conférés par l'organisation du capital social de la société, et rien de cela n'a été allégué en l'espèce.
De plus, le juge Urie a estimé que l'application du par. 56(2) à une société ne ferait aucune distinction entre des transferts effectués avec ou sans lien de dépendance et ainsi, tous les administrateurs de société, qui pourraient compter des parents parmi les actionnaires, risqueraient de se voir attribuer à des fins d'impôt sur le revenu les dividendes qu'ils auraient déclarés et versés auxdits actionnaires. Il a conclu que le paragraphe en cause n'avait pas été conçu pour s'appliquer aux administrateurs ayant contribué à déclarer les dividendes de sociétés. Il a rejeté l'appel.
Le juge Desjardins de la Cour d'appel était dissidente. Elle a d'abord fait remarquer que, sous réserve de mention contraire dans l'acte constitutif de la société ou dans la loi, les droits aux dividendes de toutes les catégories d'actionnaires doivent s'apprécier à égalité. Elle n'était pas d'accord avec la conclusion du juge Strayer (à la p. 368), selon laquelle les mentions relatives aux dividendes dans l'acte constitutif représentaient une "dérogation au principe de l'égalité entre les actionnaires, reconnu en common law" affirmant, à la p. 369:
Ce qui se passe en l'espèce, c'est que les actionnaires de chaque catégorie ont "le droit distinctif de recevoir des dividendes à l'exclusion des autres catégories d'actions". Selon cette perspective, ils sont tous égaux. De plus, aucune formule mathématique n'est prévue pour un éventuel partage. . . . Les administrateurs ont pleins pouvoirs sur la répartition des dividendes qu'ils déclarent, le cas échéant . . .
Je doute qu'un tel pouvoir discrétionnaire qui s'exerce par le biais d'une résolution des administrateurs puisse être assimilé à une dérogation suffisamment précise et importante pour écarter la règle de common law ayant trait à l'égalité de la répartition des dividendes puisqu'aucune règle ne régit l'exercice du pouvoir discrétionnaire des administrateurs.
À son avis, les sommes versées en l'espèce auraient dû être réparties également entre tous les actionnaires, et une partie des dividendes versés à l'épouse de l'intimé aurait dû être incluse dans le revenu de l'intimé.
Rejetant la conclusion du juge de première instance suivant laquelle il existait entre l'épouse de l'intimé et la société une relation d'affaires légitime, le juge Desjardins a fait remarquer qu'il n'existe aucun rapport entre les services rendus par un actionnaire pour la société et son droit à un dividende. Les dividendes représentent le rendement d'un placement, et ils se rattachent à l'action et non à l'actionnaire.
Le juge Desjardins n'était pas convaincue que le par. 56(2), s'il devait être interprété de façon large, s'appliquerait à toutes les déclarations de dividendes. Une fois le dividende déclaré, le montant attribué à chaque action est régi par une formule mathématique que l'administrateur doit appliquer conformément au contrat conclu entre les actionnaires et la société.
II. Analyse
Ce pourvoi soulève des questions concernant à la fois le droit des sociétés et le droit fiscal. À mon avis, il convient d'examiner tout d'abord les premières, leur analyse étant utile pour déterminer s'il y a lieu d'appliquer le par. 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
1. Les questions relatives au droit des sociétés
Commençons cette analyse par un simple truisme. La décision de déclarer un dividende est laissée à la discrétion des administrateurs d'une société, sous réserve des restrictions prévues par l'acte constitutif de la société. Ce principe est depuis longtemps accepté en common law et son existence a été expressément reconnue par lord Davey qui a exprimé l'opinion du Comité judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Burland v. Earle, [1902] A.C. 83, à la p. 95; ce principe y est décrit en fonction de la "gestion interne" de la société:
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries ne connaissent aucun principe qui oblige une société par actions prospère à diviser l'ensemble de ses profits entre ses actionnaires. La décision de partager la totalité ou une partie des profits, ou la détermination des profits qui devraient être partagés et de ceux qui ne devraient pas être distribués sont des questions de pure gestion interne que doivent trancher les actionnaires; la Cour n'a pas compétence pour contrôler ou réviser leur décision ni pour déterminer quelle somme "juste" ou "raisonnable" ne devrait pas être partagée, ou quel montant peut "à juste titre" être requis comme fonds de réserve.
Avec l'avènement de la réglementation législative des sociétés, le pouvoir de verser des dividendes qui, suivant la common law, relève de la gestion interne de la société a été légalement reconnu. En l'espèce, la loi applicable est la Business Corporations Act de la Saskatchewan [ci‑après la S.B.C.A.]. Il est incontestable, à mon avis, que le pouvoir de verser des dividendes fait partie intégrante du pouvoir général de gestion conféré aux administrateurs par le par. 97(1) de la Loi, cité plus haut. Je présume, en me fondant à la fois sur un examen du fonctionnement des sociétés et sur d'autres dispositions de la Loi, que cette disposition englobe le pouvoir reconnu aux administrateurs par la common law. La Loi impose expressément des restrictions au pouvoir de déclarer des dividendes, un peu comme c'était le cas en common law. Par exemple, l'art. 40 de la S.B.C.A., également cité plus haut, interdit de déclarer un dividende s'il existe des motifs raisonnables de croire que, si elle le faisait, la société serait incapable d'acquitter son passif (al. 40a)), ou que si, par suite du versement d'un dividende, la valeur de réalisation de l'actif de la société serait inférieure au total de son passif et de son capital déclaré (al. 40b)). Bien que les déclarations de dividendes dont il est question en l'espèce n'entraînent pas l'application de ces restrictions, la présence de ces dernières dans la Loi semble indiquer que le pouvoir de déclarer des dividendes ne peut être légalement limité que par des restrictions expresses.
Évidemment, le pouvoir de déclarer des dividendes est davantage en outre limité par le fait que la loi reconnaît depuis de nombreuses années que le pouvoir général de gestion conféré aux administrateurs d'une société est de nature fiduciaire. La déclaration de dividendes, qu'englobe ce pouvoir, est par conséquent légalement limitée du fait qu'elle ne peut être effectuée que de bonne foi et au mieux des intérêts de la société. Comme l'a reconnu le professeur Welling dans son traité intitulé Corporate Law in Canada (1984), à la p. 614, cette limite s'applique chaque fois que les administrateurs d'une société effectuent une sortie de fonds:
[TRADUCTION] Le pouvoir général de gestion des administrateurs est un pouvoir fiduciaire qu'ils possèdent en raison de l'existence de la société. Les administrateurs doivent l'exercer de la manière qui, selon eux, permet le mieux de servir les intérêts de la société. Tout au long du présent ouvrage, nous avons insisté sur le fait que "la société", dans ce contexte, désigne l'entité juridique et économique et non quelque assemblage imprécis des aspirations des actionnaires. Cela signifie qu'il faut considérer les dividendes pour ce qu'ils semblent être d'un point de vue étroit et légaliste: des dons de la société. [. . .] étant donné que cela n'est permis que dans la mesure où les administrateurs estiment que cela servira au mieux les intérêts de la société, tels qu'ils les perçoivent alors; dans les autres cas, la déclaration d'un dividende, comme tout autre don non autorisé d'un bien de la société, constitue une violation de l'obligation des administrateurs.
À mon avis, ce passage énonce clairement le fondement juridique de la déclaration d'un dividende dans le contexte des sociétés modernes.
Après avoir examiné les principes juridiques sur lesquels repose le versement d'un dividende par une société, il est possible de rappeler un autre principe fondamental du droit des sociétés. L'appelante soutient, ce qu'admet l'intimé, que les droits que comportent toutes les actions de recevoir un dividende déclaré par une société sont égaux à moins que l'acte constitutif ne prévoie le contraire. Ce principe, tout comme le pouvoir des administrateurs de déclarer des dividendes, est bien reconnu en common law. Le principe, ou plus précisément, la présomption d'égalité entre les actions ainsi que les conditions préalables nécessaires pour réfuter cette présomption sont décrits dans Schmitthoff, Palmer's Company Law, 23e éd., vol. 1, à la p. 387, par. 33‑06:
[TRADUCTION] À première vue, les droits que comportent les actions sont de même rang, c.‑à‑d. que les actionnaires participent également aux bénéfices découlant de leur appartenance à la société. Ce n'est que lorsque la compagnie divise son capital‑actions en différentes catégories assorties de droits différents qu'il peut y avoir déplacement de la présomption prima facie d'égalité des actions.
À mon avis, la division des actions en différentes "catégories" constitue une condition nécessaire pour pouvoir déroger à la présomption d'égalité, à la fois en ce qui concerne le droit aux dividendes et les autres droits des actionnaires. Cette règle trouve sa raison d'être dans le principe voulant que les droits des actionnaires se rattachent aux actions elles‑mêmes et non aux actionnaires. Ainsi, la division des actions en différentes catégories permet d'établir une distinction entre les actions (par opposition aux actionnaires) et ensuite, de déroger à la présomption d'égalité: Bowater Canadian Ltd. v. R.L. Crain Inc. (1987), 62 O.R. (2d) 752 (C.A.), à la p. 754 (le juge Houlden).
Le concept des "catégories" d'actions n'a pas un caractère formaliste; il s'agit plutôt simplement du moyen accepté par lequel on reconnaît dans l'acte constitutif d'une société des disparités dans le traitement des actions. Comme l'explique brièvement le professeur Welling, précité, à la p. 583, [TRADUCTION] "une catégorie est tout simplement un sous‑groupe d'actions comportant des conditions et des droits communs qui les distinguent des autres actions". En fait, la S.B.C.A. reconnaît que l'utilisation de catégories d'actions constitue le moyen de déroger au principe de l'égalité. Ainsi, elle exige expressément que [TRADUCTION] "les droits, privilèges, restrictions et conditions qui se rattachent aux actions de chaque catégorie" soient énoncés expressément dans l'acte constitutif: al. 24(4)a).
Après avoir exposé les principes sous‑jacents du droit des sociétés pertinents aux questions soulevées dans le présent pourvoi, on peut maintenant tenter d'appliquer ces principes aux faits. L'appelant, le ministre du Revenu national, soutient que la clause de dividende discrétionnaire figurant dans l'acte constitutif de Northland Trucks ne crée pas de catégories d'actions distinctes, assorties de droits différents quant aux dividendes. Le Ministre allègue en outre que cette clause ne crée aucun droit aux dividendes et que, par conséquent, elle ne satisfait pas à l'exigence de l'al. 24(4)a). En conséquence, il ne faut pas tenir compte de la répartition de dividendes faite conformément à la clause de dividende discrétionnaire parce qu'elle ne respecte pas la S.B.C.A. ni les principes du droit des sociétés et de la common law. La présomption d'égalité n'ayant pas été réfutée, il doit y avoir répartition égale entre les catégories d'actions. Comme je l'ai déjà souligné, le juge Desjardins de la Cour d'appel a accepté cet argument dans ses motifs de dissidence et elle a statué que la clause permet aux administrateurs de créer des distinctions "selon leur fantaisie" en ce qui concerne la répartition des dividendes. Elle a ensuite affirmé, à la p. 369, qu'elle doutait:
. . . qu'un tel pouvoir discrétionnaire qui s'exerce par le biais d'une résolution des administrateurs puisse être assimilé à une dérogation suffisamment précise et importante pour écarter la règle de common law ayant trait à l'égalité de la répartition des dividendes puisqu'aucune règle ne régit l'exercice du pouvoir discrétionnaire des administrateurs.
L'intimé prétend pour sa part que la clause de dividende discrétionnaire constitue un exercice valide des droits contractuels liant la société et ses actionnaires, conformément à la common law et à la Loi. En outre, le droit de recevoir des dividendes d'un montant possiblement unique confère des droits différents à chaque catégorie d'actions. Il allègue qu'il s'agit d'une distinction importante, suffisante pour créer des catégories distinctes d'actions assorties de droits différents aux dividendes, ce qui constitue une dérogation valide au principe de l'égalité.
Je souscris aux arguments soulevés par l'intimé à cet égard. À mon avis, la clause de dividende discrétionnaire constitue à la fois un moyen légitime de répartir les dividendes déclarés et suffit à réfuter la présomption d'égalité des actions. J'estime que cette conclusion relative à la présomption d'égalité résulte d'un simple examen des faits. À mon avis, la seule interprétation possible de la présence d'une clause de dividende discrétionnaire est qu'elle crée des distinctions entre les catégories d'actions, puisqu'il s'agit de la raison même de son existence. Pour ce qui est des exigences prévues dans la Loi, l'al. 24(4)a) a pour objet d'assurer que les actionnaires connaissent pleinement leurs droits et privilèges de manière à rendre inapplicable la présomption d'égalité. Selon moi, cet objectif est atteint puisque les droits aux dividendes sont clairement énoncés dans la description des catégories d'actions. À cet égard, j'estime convaincants les propos de Quessy dans son article intitulé "Les aspects corporatifs et fiscaux des actions à dividende discrétionnaire", [1985] 7 R.P.F.S. 31, à la p. 45:
. . . l'inclusion dans les statuts d'une clause de dividende discrétionnaire établit expressément que la corporation entend déroger au principe de l'égalité entre actionnaires. La disposition incluse aux statuts modifie le partage des profits qui devrait, en l'absence d'une telle disposition, être effectué selon le principe de l'égalité entre actionnaires.
Je suis entièrement d'accord avec le juge Strayer (à la p. 5) lorsqu'il déclare, en ce qui concerne la présomption d'égalité, que "les statuts de constitution prévoient exactement le contraire". À mon avis, il est donc évident que la présomption d'égalité a été repoussée.
J'estime que les arguments de l'appelant ayant trait à la validité d'une clause de dividende discrétionnaire au regard du droit général des sociétés et des exigences de la S.B.C.A. ne sont guère plus convaincants. L'avocat de l'appelant a beaucoup insisté, dans sa plaidoirie, sur la nature du "droit" d'un actionnaire, soutenant qu'aux fins de la Loi et de la common law le droit à un dividende comporte le droit à une fraction du dividende total déclaré, calculée conformément aux conditions énoncées dans la description des actions lorsque les administrateurs décident de répartir les profits de la société. L'appelant soutient que l'insertion d'une clause de dividende discrétionnaire dans l'acte constitutif ne suffit pas à conférer un "droit" étant donné qu'aucune "obligation" correspondante n'est imposée à la société de verser des dividendes pour cette catégorie une fois qu'un dividende a été déclaré. Le juge Desjardins a implicitement souscrit à cet argument lorsqu'elle a fait référence à la capacité des administrateurs de répartir les dividendes "selon leur fantaisie". L'appelant prétend que ce pouvoir discrétionnaire illimité ne saurait être considéré comme un "droit" conféré par les actions.
Je ne suis pas d'accord avec cette analyse. À mon avis, ce n'est pas parce que les droits aux dividendes dépendent de l'exercice par les administrateurs de leur pouvoir discrétionnaire de répartir le dividende déclaré entre les catégories d'actions qu'il ne s'agit pas d'un "droit". C'est plutôt le droit d'être pris en compte pour le partage d'un dividende qu'il convient davantage de qualifier ainsi. Je suis d'accord avec l'intimé pour dire que le droit des actionnaires ordinaires de la catégorie B de la société de recevoir un dividende si les administrateurs de la société en déclarent un est comparable à celui du détenteur d'un dividende fixe. En outre, je suis d'avis que l'argument de l'appelant suivant lequel les administrateurs n'ont aucune "obligation" correspondante par rapport au "droit" des actionnaires est spécieux. Les administrateurs sont tenus, en vertu de leur obligation fiduciaire, d'agir de bonne foi, au mieux des intérêts de la société en question, lorsqu'ils déclarent et répartissent un dividende. La présence d'une clause de dividende discrétionnaire ne fait nullement disparaître cette obligation. Enfin, je pense qu'il ne faut pas oublier que nombre de droits des actionnaires peuvent être restreints ou conditionnels (le droit de vote, le droit de céder des actions, les droits privilégiés aux dividendes, les droits de participation); néanmoins, ces droits n'en constituent pas moins des droits des actionnaires même s'ils font l'objet de restrictions.
Dans le même ordre d'idées, je ne saurais convenir que l'absence dans l'acte constitutif de la société d'une formule mathématique régissant le partage des dividendes déclarés tranche la question de la validité de la clause de dividende discrétionnaire. La décision de déclarer un dividende et la détermination des sommes disponibles à cette fin relevant déjà du pouvoir discrétionnaire des administrateurs, il me semble qu'une clause de dividende discrétionnaire ne constitue pas une dérogation importante à ce pouvoir ni une extension de sa portée: De Vall v. Wainwright Gas Co., [1932] 2 D.L.R. 145 (C.A. Alb.). Lorsque les actions sont divisées en catégories distinctes, dont l'une comporte un droit privilégié aux dividendes déclarés par la société, les administrateurs possèdent réellement le pouvoir discrétionnaire de répartir les dividendes parmi les actionnaires de cette catégorie privilégiée seulement. Par conséquent, l'intimé aurait pu obtenir exactement la même répartition des dividendes en structurant la société de manière à ce que Wilma McClurg et Suzanne Ellis constituent une catégorie privilégiée d'actionnaires ayant un droit prioritaire aux dividendes. Une telle structure serait inattaquable suivant les principes du droit des sociétés.
De plus, on ne peut raisonnablement soutenir que la présence d'une clause de dividende discrétionnaire entraîne en soi un conflit entre l'obligation des administrateurs et leur intérêt personnel, pas plus d'ailleurs que ne le fait le pouvoir discrétionnaire de déclarer un dividende dans toute société. Par conséquent, je ne puis partager l'opinion des auteurs qui estiment que la répartition de dividendes par les administrateurs, conformément à une clause de dividende discrétionnaire, ne peut fondamentalement être effectuée au mieux des intérêts de la société: voir Martel et Martel, La compagnie au Québec, Les aspects juridiques, vol. I, aux pp. 18‑10 à 18‑14C; Boivin, "Le droit aux dividendes et le dividende "discrétionnaire"" 47 R. du B. 73. Je conviens avec l'intimé qu'il est irréaliste de croire que les administrateurs ne tiennent pas compte de l'identité des actionnaires ni de leur apport à la société lorsque vient le temps de décider si un dividende de quelque sorte que ce soit devrait être déclaré. La possibilité que les administrateurs tiennent compte de l'identité des actionnaires n'a pas nécessairement pour effet d'invalider la déclaration en raison d'un conflit entre leur obligation et leur intérêt personnel. Par exemple, ils pourraient exercer leur pouvoir discrétionnaire afin de récompenser un groupe d'employés englobant une catégorie privilégiée d'actionnaires et qui ont été encouragés à investir dans une société. La décision de déclarer un dividende ne deviendrait certainement pas nulle du fait qu'on a tenu compte de l'identité des détenteurs de cette catégorie d'actions pour prendre cette décision et pour déterminer le montant du dividende à verser. Je le répète, la limite à laquelle est assujettie cette décision est d'ordre purement fiduciaire et le droit d'un actionnaire est [TRADUCTION] "de recevoir sa part des profits de la société lorsqu'ils sont déclarés sous forme de dividendes relativement aux actions de la catégorie dont son action fait partie" [je souligne]: Bryden, "The Law of Dividends", dans Jacob S. Ziegel, éd., Studies in Canadian Company Law, à la p. 270. Ce droit n'est nullement amoindri par la présence d'une clause de dividende discrétionnaire.
En d'autres termes, la clause ne fait que diviser, sur le plan conceptuel, en deux éléments ‑‑ déclaration et répartition ‑‑ ce qui, traditionnellement, constituait une seule décision. Au fond, pourtant, le pouvoir discrétionnaire des administrateurs a toujours comporté ces deux éléments, sous réserve des dispositions de l'acte constitutif de la société. À cet égard, la seule autre limite imposée aux administrateurs dont je sois au courant est que [TRADUCTION] "lorsqu'un dividende est déclaré par une société . . . il doit exister des actions donnant droit à ce dividende": Welling, précité, aux pp. 588 et 589. Ce principe a été reconnu à l'al. 24(4)b) de la S.B.C.A. À mon avis, la présence de la clause de dividende discrétionnaire ne fait pas échec à cette règle parce que l'identité de la catégorie d'actions admissible à un dividende demeure tout simplement inconnue jusqu'au moment de la répartition. Cette division conceptuelle en déclaration et répartition n'est pas fondamentalement différente d'une dérogation à la présomption d'égalité dans le versement des dividendes. Par conséquent, si notre Cour devait conclure, compte tenu de ces faits, que l'utilisation d'une clause de dividende discrétionnaire constituait un exercice invalide du pouvoir discrétionnaire des administrateurs, ce serait faire échec pour des raisons de pure forme à ce qu'on a réussi à faire.
Enfin, je doute qu'il serait justifié pour notre Cour de statuer que l'utilisation d'une clause de dividende discrétionnaire est invalide dans le cadre d'un pourvoi en matière d'impôt sur le revenu. La loi applicable, la S.B.C.A., a pour objet de faciliter les choses, c'est‑à‑dire qu'elle permet aux parties, sous certaines réserves explicites, de structurer les sociétés comme elles le désirent. De même, la Loi fournit à la partie lésée ‑‑ peu importe qu'il s'agisse d'un détenteur de valeurs mobilières, d'un créancier, d'un administrateur ou d'un dirigeant ‑‑ dont les intérêts n'ont pas été considérés d'une manière équitable par la société le moyen de demander réparation grâce au recours prévu à l'art. 234 de la Loi pour les cas d'abus. Aucune des parties intéressées n'a déposé une telle plainte en l'espèce, probablement parce que toutes les personnes en cause dans cette société sont satisfaites de la manière dont les administrateurs la gèrent. De plus, il est bien établi en common law que lorsque les actionnaires s'entendent unanimement sur une opération, celle‑ci ne constitue pas un excès de pouvoir de la part de la société parce qu'il y a eu inégalité de traitement: Wegenast, The Law of Canadian Companies, aux pp. 321 et 322. Ayant conclu que l'utilisation d'une clause de dividende discrétionnaire n'est pas interdite expressément par la Loi, ni contraire à la common law ou aux principes du droit des sociétés, j'estime que l'esprit permissif de la Loi exige de conclure que l'utilisation de cette clause est valide. Comme l'a expliqué Quessy, précité, à la p. 48, l'utilisation de cette clause représente un exercice légitime des droits contractuels liant les actionnaires et une société:
. . . la déclaration et le versement d'un dividende par les administrateurs sur les actions à dividende discrétionnaire constituent un acte légal en regard des lois corporatives lorsque les statuts renferment une disposition qui leur confère une discrétion accrue. En effet, nous avons alors des actions du capital‑actions qui donnent le droit de recevoir tout dividende déclaré. De plus, les statuts renferment une disposition expresse qui démontre que les parties entendent déroger au principe de l'égalité entre actionnaires. Ainsi, comme les parties au contrat ne vont pas à l'encontre de l'ordre public et ne dérogent pas à la loi, nous croyons qu'il faut respecter les conditions de l'accord qu'ils ont conclu.
Je partage cette conclusion. Il y a plus de vingt ans déjà, le professeur Eisenberg dans son ouvrage portant sur le droit des sociétés moderne, intitulé "The Legal Roles of Shareholders and Management in Modern Corporate Decisionmaking" (1969), 57 Cal. L. Rev. 1, à la p. 180, a tenu le raisonnement suivant: [TRADUCTION] "dans le cas d'une société fermée, les règles juridiques régissant la prise de décisions internes ne devraient être que de nature supplétive et fondées sur les attentes probables des actionnaires". Étant donné que le législateur n'a pas choisi d'interdire la clause de dividende discrétionnaire, et qu'aucun actionnaire n'a exercé de recours contre son utilisation (probablement parce que celle‑ci a permis de satisfaire aux attentes des actionnaires), notre Cour ferait montre d'un paternalisme excessif si elle décidait d'annuler la clause à la demande du ministre du Revenu national appelant. Si le législateur détermine que l'utilisation de la clause de dividende discrétionnaire mine les attentes raisonnables des actionnaires ou est injuste de quelque manière que ce soit envers une partie intéressée, il lui incombe de restreindre l'utilisation de ce moyen de structurer les activités des sociétés.
Je conclus donc qu'il n'y a rien de répréhensible à utiliser une clause de dividende discrétionnaire pour répartir les dividendes d'une société. D'ailleurs, rien dans la S.B.C.A. ou la common law n'interdit l'usage de cette méthode de répartition des dividendes.
2. Les incidences fiscales
Ayant traité les questions que soulève, en matière de droit des sociétés, l'utilisation d'une clause de dividende discrétionnaire, j'examine maintenant le principal point soulevé dans le présent pourvoi, soit les incidences fiscales d'une répartition des dividendes effectuée conformément à cette clause. Une telle analyse nécessite un examen du par. 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu et de son application aux faits de l'espèce. Avant d'effectuer cette analyse, j'aimerais cependant revoir brièvement la manière dont il faut interpréter ce paragraphe.
L'interprétation des lois fiscales
Au cours des dernières années, notre Cour a jugé bon, dans un pourvoi en matière d'impôt sur le revenu, de se lancer explicitement dans la conception d'une méthode d'interprétation de la Loi de l'impôt sur le revenu, méthode qui n'est liée ni à une règle d'"interprétation stricte" ni à un critère global de "l'objet commercial indépendant". Cette tendance a commencé dans les motifs majoritaires du juge Estey dans l'affaire Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, où il a procédé à un examen approfondi des techniques d'interprétation et tiré une conclusion quant à la méthode que devraient préférer les tribunaux (à la p. 576):
Il paraît plus approprié d'avoir recours à un critère d'interprétation qui permettrait d'appliquer la Loi de manière à viser seulement la conduite du contribuable qui a comme effet intentionnel de contourner la volonté expresse du législateur. En bref, cette technique d'interprétation fait porter la législation fiscale sur la conduite du contribuable qui relève manifestement de l'objet et de l'esprit des dispositions fiscales.
Le juge Estey s'est étendu sur ce critère de "l'objet et de l'esprit" dans l'opinion majoritaire qu'il a rédigée dans l'affaire La Reine c. Golden, [1986] 1 R.C.S. 209, aux pp. 214 et 215:
. . . la règle applicable ne se limite pas à une interprétation de la loi littérale et presque dépourvue de sens lorsque, selon une interprétation plus large, les mots permettent d'arriver à une conclusion réalisable et compatible avec les objectifs évidents de la loi en cause. L'interprétation stricte, au sens historique du terme, n'a plus sa place dans les règles d'interprétation applicables aux lois fiscales à une époque comme la nôtre . . . .
Plus récemment, dans l'arrêt Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32, j'ai décrit cette méthode en fonction de la nécessité de déterminer la véritable nature commerciale de l'opération du contribuable, aux pp. 52 et 53:
Je reconnais toutefois que, tout comme il y a eu tendance dernièrement à s'éloigner d'une interprétation stricte des lois fiscales . . ., de même la jurisprudence récente en matière fiscale a tendance à essayer de déterminer la véritable nature commerciale et pratique des opérations du contribuable. En effet, au Canada et ailleurs, les critères fondés sur la forme des opérations sont laissés de côté en faveur de critères fondés sur . . . une [TRADUCTION] "appréciation saine de toutes les caractéristiques directrices" des événements en question . . .
Il s'agit là, je crois, d'une tendance louable, pourvu qu'elle soit compatible avec le texte et l'objet de la loi fiscale. Si, en appréciant les opérations des contribuables, on a présent à l'esprit les réalités commerciales et économiques plutôt que quelque critère juridique formel, cela aidera peut‑être à éviter que l'assujettissement à l'impôt dépende, ce qui serait injuste, de l'habileté avec laquelle le contribuable peut se servir d'une série d'événements pour créer une illusion de conformité avec les conditions apparentes d'admissibilité à une déduction d'impôt.
Il est donc nécessaire, pour analyser les incidences fiscales de l'application d'une clause de dividende discrétionnaire, de déterminer à la fois l'objet de la disposition législative et les réalités commerciales et économiques des opérations du contribuable. En l'espèce, j'ai déjà répondu dans une certaine mesure à cette dernière question en statuant que l'utilisation d'une clause de dividende discrétionnaire constitue une méthode légitime à laquelle les administrateurs peuvent recourir pour répartir les dividendes d'une société. Une réponse partielle découle également du fait que l'appelant n'a pas allégué que le versement de dividendes à Wilma McClurg était feint. Par conséquent, pour reprendre les termes du juge Estey dans l'affaire Stubart Investments, précitée, à la p. 572, on ne peut affirmer que l'opération a été "réalisée . . . de manière à créer une fausse impression pour les tiers, notamment les autorités fiscales" (p. 572). Ces questions préliminaires étant tranchées, il est maintenant possible d'examiner l'objet du par. 56(2).
Le paragraphe 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu
Il est utile, pour tenter de découvrir l'objet du par. 56(2), de se reporter à la jurisprudence traitant de ce paragraphe. Une décision ancienne concernant la disposition qui a précédé le par. 56(2), l'arrêt Miller c. M.N.R., 62 D.T.C. 1139 (C. de l'É.) constitue un excellent point de départ. Dans cette affaire, le juge Thurlow, alors juge puîné, a fait lors de son examen du par. 16(1) de la Loi quelques observations générales, à la p. 1147, encore pertinentes aujourd'hui, sur l'objet de cette disposition, c.‑à‑d. empêcher l'évitement fiscal:
[TRADUCTION] À mon avis, l'art. 16(1) vise les cas où un contribuable cherche à éviter de recevoir ce qui, entre ses mains, serait un revenu lorsqu'il fait en sorte que le montant soit reçu par une autre personne dont il souhaite qu'elle tire un avantage ou par une autre personne pour son propre avantage. La portée de ce paragraphe n'est pas équivoque, car on ne peut prétendre qu'un contribuable qui conclut un contrat commercial à titre onéreux avec une autre personne lui accorde un avantage au sens du paragraphe.
Le juge Strayer fait observer, à la p. 4, relativement à l'affaire Miller:
Deux réserves importantes sont mises en évidence ici. En premier lieu, le contribuable doit avoir cherché "à éviter de recevoir" un revenu qui lui aurait censément été payé. En second lieu, la distinction est faite entre le concept de versement d'un "avantage" et le paiement fait pour une contrepartie suffisante.
À mon avis, les points de vue des juges Thurlow et Strayer constituent un bon point de départ pour l'interprétation du par. 56(2). Ce paragraphe vise manifestement à empêcher le contribuable d'éviter le paiement de l'impôt en versant à un tiers les recettes qu'il aurait autrement touchées. Je suis d'accord avec la qualification de l'objet de cette disposition faite par les juges Thurlow et Strayer et, plus particulièrement, je conviens avec eux qu'on ne peut raisonnablement croire que le législateur a voulu que cette disposition s'applique aux avantages conférés moyennant une contrepartie suffisante dans le cadre d'une relation d'affaires légitime.
Application aux faits
L'objet de l'article et la méthode appropriée pour l'interpréter ayant été établis, l'étape suivante de l'analyse consiste manifestement à déterminer la véritable nature commerciale et pratique des opérations de l'intimé qui ont fait l'objet d'une nouvelle cotisation établie par le ministère du Revenu national. Le juge Urie de la Cour d'appel a conclu que la décision de considérer que l'opération s'était produite dans le cadre des rapports existant entre les administrateurs et les actionnaires tranchait la question. Je suis d'accord avec cette conclusion ainsi qu'avec le scepticisme exprimé par le juge Le Dain dans l'arrêt Perrault c. La Reine, [1979] 1 C.F. 155 (C.A.), à la p. 166, où il a fait valoir qu'il doutait que "le législateur ait entendu appliquer" les termes du par. 56(2) "au paiement d'un dividende". Bien qu'il soit toujours loisible aux tribunaux de "percer le voile corporatif" afin d'empêcher les parties de profiter de techniques d'évitement fiscal de plus en plus complexes, je suis d'avis que le versement d'un dividende n'est pas visé par le par. 56(2). Ce dernier a pour objet d'assurer que les paiements qui auraient autrement été reçus par le contribuable ne soient pas détournés au profit d'un tiers comme technique d'évitement fiscal. Cet objet n'est pas contrecarré parce que, dans le contexte du droit des sociétés, les profits appartiennent à la société en sa qualité de personne juridique tant qu'un dividende n'est pas déclaré: Welling, précité, aux pp. 609 et 610. Si aucun dividende n'avait été déclaré ni versé à un tiers, il n'aurait pas non plus été touché par le contribuable. Ce montant aurait plutôt simplement fait partie des bénéfices non distribués de la société. Par conséquent, en règle générale, le versement d'un dividende ne peut raisonnablement être considéré comme un avantage détourné par un contribuable en faveur d'un tiers au sens du par. 56(2).
L'appelant fait valoir, ce qu'accepte dans sa dissidence le juge Desjardins de la Cour d'appel, que le par. 56(2) peut être invoqué lorsqu'il y a répartition d'un dividende déclaré par les administrateurs conformément à la clause de dividende discrétionnaire. Il soutient qu'étant donné qu'une fois qu'il a été déclaré, le dividende doit être réparti dans une catégorie d'actions conformément à l'al. 24(4)b) de la S.B.C.A., l'intimé aurait touché une fraction du dividende en sa qualité d'actionnaire si, en tant qu'administrateur, il n'avait pas fait effectuer les paiements à Wilma McClurg. Toutefois, lors de mon analyse de l'utilisation de la clause de dividende discrétionnaire, j'ai déjà conclu que la validité de cette clause découle en partie du fait qu'il n'y a pas de différence fondamentale entre les répartitions effectuées conformément à celle‑ci et les répartitions effectuées conformément à une formule mathématique prévue dans l'acte constitutif d'une société. Compte tenu de cette décision, ce serait faire preuve d'un formalisme excessif que de conclure que, sans le versement effectué à un tiers actionnaire, un administrateur actionnaire toucherait une fraction du versement. J'estime plutôt qu'une répartition effectuée conformément à une clause de dividende discrétionnaire ne se distingue pas du versement d'un dividende en général. Dans les deux cas, le dividende continuerait à faire partie des bénéfices non distribués de la société, si ce n'était de la déclaration du dividende (et de sa répartition). On ne peut légitimement considérer que telle était l'intention du législateur au par. 56(2). Si notre Cour devait conclure le contraire, les administrateurs des sociétés pourraient vraisemblablement être tenus responsables des incidences fiscales de toute déclaration de dividendes faite à un tiers. À l'instar des juges Urie et Strayer des tribunaux d'instance inférieure, je conviens qu'il s'agirait alors d'une interprétation irréaliste ne respectant ni l'objet, ni l'esprit de ce paragraphe. Cela violerait les principes fondamentaux du droit des sociétés ainsi que les réalités des pratiques commerciales, et cela irait au‑delà de l'intention du législateur.
Même si j'ai conclu que le par. 56(2) ne s'applique pas à la déclaration des dividendes en général, son application serait également contraire à la véritable nature commerciale de cette opération particulière. Le juge Strayer a examiné la preuve et a conclu qu'on pouvait considérer que les circonstances de l'opération constituaient une "relation d'affaires légitime" (p. 5), et il a ajouté:
. . . la femme du demandeur avait fourni un apport très réel à la mise sur pied de la société et de l'entreprise, au moyen de la garantie personnelle qu'elle a donnée et de sa part de l'hypothèque qu'elle a assumée sur la maison qu'elle possédait conjointement avec le demandeur. En outre, la preuve soumise m'a convaincu qu'elle avait joué un rôle actif dans l'exploitation de l'entreprise, dans la mesure de ses capacités et des besoins de la situation.
J'estime que cette conclusion est entièrement justifiée par la preuve. Wilma McClurg a joué un rôle capital dans le financement et la constitution de la société. Bien que je convienne avec le juge Desjardins, à la p. 370, que les "dividendes représentent le rapport d'un investissement" d'un actionnaire, il ne fait aucun doute, à mon avis, que les versements effectués à Wilma McClurg représentaient une contrepartie légitime et non simplement une tentative d'éviter le paiement de l'impôt. À mon avis, le juge Goetz a eu tort de conclure que les dividendes avaient constitué un effort manifeste d'éviter le paiement de l'impôt. En fait, en décidant que l'apport de Wilma McClurg à la société n'avait aucune pertinence et en décrivant cette dernière et Suzanne Ellis comme des "jouets", il n'a pas tenu compte des apports très réels de Wilma McClurg quant au financement et à l'exploitation de l'entreprise. De plus, les efforts déployés par Wilma McClurg dans l'exploitation de Northland Trucks, même s'ils ne sont pas décisifs quant à la question soulevée dans le présent pourvoi, constituent néanmoins une preuve supplémentaire que le versement de dividendes était le résultat d'une relation d'affaires normale.
À mon avis, si une distinction s'impose dans l'application du par. 56(2) entre les opérations effectuées avec ou sans lien de dépendance, il faut la faire entre l'exercice du pouvoir discrétionnaire de répartir des dividendes lorsque l'actionnaire ayant un lien de dépendance n'a fourni aucun apport à la société (auquel cas le par. 56(2) peut s'appliquer) et les cas où un apport légitime a été fourni. Dans ce dernier cas, dont le présent pourvoi constitue un exemple, je ne crois pas que l'on puisse affirmer que le partage des dividendes ne visait pas un objectif légitime.
III. Dispositif
Je conclus donc: (i) que la clause de dividende discrétionnaire est valide au regard des principes du droit des sociétés et des dispositions de la Business Corporations Act de la Saskatchewan, (ii) que la déclaration d'un dividende n'est normalement pas visée par le par. 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, et (iii) que les faits de l'espèce ne fournissent aucun élément de preuve que l'entente commerciale constituait une tentative d'éviter le paiement de l'impôt, mais qu'il s'agissait plutôt du résultat d'un contrat d'affaires conclu moyennant une contrepartie suffisante. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi. Conformément à l'ordonnance de notre Cour autorisant le présent pourvoi, les dépens devront être payés par l'appelante comme entre procureur et client.
Version française des motifs des juges Wilson, La Forest et L'Heureux‑Dubé rendus par
//Le juge La Forest//
LE JUGE LA FOREST (dissident) ‑‑ Le présent pourvoi vise à déterminer si l'argent reçu par Wilma McClurg, l'épouse de l'intimé Jim A. McClurg, en vertu d'une clause de "dividende discrétionnaire" peut à bon droit être attribué à l'intimé en vertu du par. 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63. Les faits et les décisions des tribunaux d'instance inférieure ont été exposés en détail dans les motifs du juge en chef Dickson et je n'entends pas les répéter. Je vais plutôt procéder directement à une analyse juridique. Suivant le cadre dans lequel le Juge en chef a prononcé ses motifs, cette analyse porte à la fois sur des questions relatives au droit des sociétés et au droit fiscal.
Questions relatives au droit des sociétés
En bref, la question relative au droit des sociétés soulevée en l'espèce est de savoir si la clause des statuts constitutifs de Northland Trucks (1978) Ltd. qui vise à donner à chacune des catégories d'actions le "droit distinctif de recevoir des dividendes à l'exclusion des autres catégories d'actions dans ladite société" confère un pouvoir légitime aux administrateurs de la société en vertu de la Business Corporations Act de la Saskatchewan, R.S.S. 1978, ch. B‑10. Cette clause est appelée clause de "dividende discrétionnaire" parce que le mode de distribution des dividendes n'est pas déterminé par les statuts constitutifs eux‑mêmes et qu'il est laissé à la "discrétion" des administrateurs de la compagnie.
Dans un certain sens, le terme "dividende discrétionnaire" est mal choisi, puisque c'est un principe reconnu en common law que les administrateurs d'une société ont le pouvoir discrétionnaire de déterminer si et quand un dividende doit être déclaré et pour quel montant. Ce pouvoir discrétionnaire est bien sûr assujetti à certaines limites raisonnables. Par exemple, l'al. 40a) de la Business Corporations Act de la Saskatchewan prévoit qu'un dividende ne peut être déclaré s'il y a des motifs raisonnables de croire que cela empêcherait la société de rembourser ses dettes. De même, il existe un principe dominant selon lequel le pouvoir discrétionnaire doit toujours être exercé dans l'intérêt de la société; voir l'article de Welling intitulé Corporate Law in Canada (1984), à la p. 614.
Même si le terme "dividende discrétionnaire" peut dans une certaine mesure être trompeur, il est néanmoins facile de comprendre comment l'étiquette elle‑même a d'abord été choisie. Les clauses comme celles qui figurent dans les statuts constitutifs de Northland Trucks confèrent aux administrateurs un pouvoir discrétionnaire qu'ils n'ont jamais eu auparavant: le pouvoir d'effectuer une disparité de traitement entre différentes catégories d'actions lorsqu'ils déterminent comment un dividende devrait être distribué. Cette attribution de pouvoir aux administrateurs est‑elle valide en vertu de la Business Corporations Act de la Saskatchewan? Pour répondre à cette question, il faut examiner tant les principes de la common law que la loi elle‑même.
La common law
Le fameux arrêt de la Chambre des lords dans Salomon v. Salomon and Co., [1897] A.C. 22 a reconnu le principe de droit selon lequel une société constitue une entité juridique distincte de celle de ses actionnaires. Même avant cet arrêt, il a été établi que ce principe constituait le fondement du droit des sociétés: Farrar v. Farrars Limited. (1888), 40 Ch. D. 395, aux pp. 409 et 410.
L'entité juridique distincte de la société signifie que même si l'actionnaire demeure propriétaire de ladite société en proportion des actions qu'il détient, les actifs de cette dernière ne lui appartiennent pas. Ces actifs appartiennent à la société elle‑même à titre d'entité légale distincte; Schmitthoff, Palmer's Company Law (23e éd. 1982), vol. 1, à la p. 384, par. 33‑01. La gestion de la société est confiée à ses cadres et administrateurs tandis que les intérêts de l'actionnaire sont protégés par son droit de vote. Ainsi, l'entité constituée qu'est la société unique dans la mesure où elle permet à l'actionnaire d'aliéner la propriété des biens d'une façon telle que la propriété en question est distincte du contrôle effectif exercé sur ces biens: voir Welling, précité, à la p. 81. Le seul lien qui existe entre l'actionnaire et la compagnie est l'action, qui mesure à la fois l'intérêt de l'actionnaire dans la compagnie et l'étendue de la responsabilité de l'actionnaire à l'égard des actes de cette compagnie: voir Borland's Trustee v. Steel Brothers & Co., [1901] 1 Ch. 279 à la p. 288.
Cette séparation de la propriété et du contrôle sert de base à plusieurs des principes fondamentaux du droit des sociétés. Mentionnons à titre d'exemple le principe selon lequel les administrateurs et les cadres d'une société ont une obligation de fiduciaire envers celle‑ci: voir l'arrêt Canadian Aero Service Ltd. c. O'Malley, [1974] R.C.S. 592. En reconnaissant pour la première fois que l'obligation de fiduciaire des administrateurs envers la société devrait s'étendre à ses cadres supérieurs, notre Cour a mis l'accent sur le degré de contrôle que les cadres étaient en mesure d'exercer dans cette affaire. Voici ce qu'a affirmé le juge Laskin (plus tard Juge en chef), au nom de la Cour, à la p. 610:
En appliquant strictement ce principe aux administrateurs et aux fonctionnaires supérieurs, on ne fait que reconnaître le degré d'autorité que leur confère leur poste sur les activités de la compagnie, autorité qui transcende l'obligation courante de rendre compte aux propriétaires actionnaires et qui n'est contrôlée de quelque façon qu'aux assemblées annuelles générales ou aux assemblées spéciales. Il constitue un complément nécessaire, dans l'intérêt public, des réglementation et obligation de rendre compte légales qui elles‑mêmes sont à la fois une reconnaissance de l'importance de la compagnie au sein de la collectivité et du besoin de l'assujettir, ainsi que ses promoteurs, administrateurs et directeurs, aux normes régissant le comportement exemplaire.
Un autre principe qui, selon moi, découle aussi logiquement de la séparation de la propriété et du contrôle inhérente à la société est celui de l'égalité des actions. Puisque les actionnaires ne sont propriétaires de la compagnie qu'en proportion des actions qu'ils détiennent, si l'on veut que leur intérêt soit protégé adéquatement et équitablement, ceux qui sont en position de contrôle doivent traiter tous les actionnaires, ou plus précisément toutes les actions, sur un pied d'égalité. Voir à ce sujet Schmitthoff, précité, à la p. 387, par. 33‑06:
[TRADUCTION] À première vue, les droits que comportent les actions sont de même rang, c.‑à‑d. que les actionnaires participent également aux bénéfices découlant dans leur appartenance à la compagnie. Ce n'est que lorsque la compagnie divise son capital‑actions en différentes catégories assorties de droits différents qu'il peut y avoir déplacement de la présomption prima facie d'égalité des actions.
À mon avis, le principe de l'égalité des actions, comme celui de l'obligation fiduciaire, constitue plus qu'un simple droit contractuel ‑‑ il représente pour l'actionnaire une mesure de protection qui est une conséquence pratique de la nature unique de la structure elle‑même de la société. Il en est ainsi même si les parties peuvent s'y soustraire dans la mesure où l'on peut créer des actions ne comportant pas des droits égaux. Dans une telle situation, l'actionnaire est quand même protégé en raison de la règle de common law selon laquelle les droits de l'actionnaire doivent se rattacher à l'action elle‑même et non à l'individu. Ainsi, bien que les actions aient des droits différents selon la catégorie particulière à laquelle elles appartiennent, l'actionnaire lui‑même ne peut faire l'objet de discrimination. Par exemple, même lorsque différentes catégories d'actions sont créées, les actions faisant partie des diverses catégories elles‑mêmes doivent quand même être traitées sur un pied d'égalité. Voici ce que dit à ce sujet Wegenast, dans son ouvrage intitulé The Law of Canadian Companies (1979), aux pp. 320 et 321:
[TRADUCTION] Outre les dispositions, dûment adoptées, prévoyant un ordre préférentiel entre les différentes catégories d'actions et lorsqu'il existe un tel ordre préférentiel parmi les membres de chaque catégorie respective, les actionnaires ont droit d'être traités également. Les actionnaires peuvent avoir des opinions différentes quant à l'opportunité d'une certaine ligne de conduite, mais lorsqu'elle est adoptée, elle doit être appliquée sans distinction entre les actionnaires ou, comme on l'a dit dans certains cas, "à l'avantage de l'ensemble de la société." [Je souligne.]
Qui plus est, les administrateurs ne sont pas libres de distinguer arbitrairement entre les catégories au moment d'accorder un dividende, même lorsqu'il y a plus d'une catégorie d'actions. Comme le dit Fraser dans Company Law of Canada (5e éd. 1962), à la p. 532, citant lord Cranworth dans l'arrêt Henry v. Great Northern Ry. Co. (1857), 1 De G. & J. 606, à la p. 638, 44 E.R. 858, à la p. 871:
[TRADUCTION] [Lorsqu'il existe plus d'une catégorie d'actionnaires], il incombera [...] aux administrateurs de fixer le montant des fonds retenus en tenant compte de l'intérêt général de toutes les catégories d'actionnaires, et de ne pas favoriser l'une ou l'autre catégorie au détriment des autres.
Les quelques arrêts canadiens qui semblent avoir examiné la question ont tous décidé que, même lorsque les actionnaires y consentent, une compagnie ne peut être validement structurée de façon à déroger au principe de la common law selon lequel les droits de l'actionnaire doivent s'attacher aux actions elles‑mêmes. Lorsque je parle des droits de l'actionnaire, il s'agit tout au moins de ces trois catégories de droits que je considère fondamentales: le droit de recevoir un dividende, le droit de voter et le droit de participer au partage des actifs au moment de la dissolution de la société.
Dans l'affaire Jacobsen v. United Canso Oil & Gas Ltd. (1980), 113 D.L.R. (3d) 427 (B.R. Alb.), la compagnie défenderesse avait adopté un règlement portant que toute personne était limitée, en exerçant son droit de vote, à 1 000 actions, quel que soit le nombre d'actions détenues par cette personne. La compagnie avait initialement été constituée en vertu de la Loi sur les compagnies, S.R.C. 1952, ch. 53. La cour a jugé le règlement invalide puisque la Loi sur les compagnies reconnaissait la présomption d'égalité prévue par la common law selon laquelle [TRADUCTION] "toutes les actions confèrent des droits égaux et imposent les mêmes obligations, et s'il doit y avoir différents droits de vote, il faut créer des catégories distinctes d'actions de façon que les nombres différents de votes puissent se rattacher aux actions elles‑mêmes et non à leur détenteur" (p. 433) (je souligne). La cour a également statué que le règlement était invalide en vertu de la Loi sur les corporations commerciales canadiennes, maintenant S.C. 1974‑75, ch. 33, qui a remplacé la Loi sur les compagnies, loi sur laquelle est fondée la Business Corporations Act de la Saskatchewan.
Dans l'arrêt Bowater Canadian Ltd. v. R.L. Crain Inc. (1987), 62 O.R. (2d) 752, la Cour d'appel de l'Ontario a jugé invalide une disposition "réduisant le nombre de votes" qui figurait dans les statuts constitutifs de l'intimée R.L. Crain Inc. La disposition prévoyait une catégorie spéciale d'actions ordinaires attribuant dix votes par action à l'actionnaire original mais seulement un vote par action à tout détenteur subséquent. La Cour d'appel a suivi le raisonnement du juge McRae du tribunal de première instance qui a déclaré à la p. 754:
[TRADUCTION] . . . bien qu'il n'y ait pas de disposition expresse dans la LCCC interdisant une clause réduisant le nombre de votes, le par. 24(4) de la Loi devrait être interprété conformément aux principes généraux du droit des sociétés de sorte que les droits qui sont rattachés à une catégorie d'actions doivent être accordés également à toutes les actions de cette catégorie, cette interprétation étant fondée sur le principe que les droits, y compris les votes, se rattachent à l'action et non à l'actionnaire. [Je souligne.]
Les deux arrêts Jacobsen et Bowater reconnaissent que le principe selon lequel les droits de l'actionnaire doivent se rattacher aux actions de la société est plus qu'un simple droit contractuel: les actionnaires eux‑mêmes ne peuvent s'entendre pour y faire échec.
L'arrêt Rondeau c. Poirier, [1980] C.A. 35 a également statué, dans un contexte différent, que les droits se rattachent à l'action plutôt qu'à l'actionnaire. Dans cette affaire, l'intimé a prétendu qu'il avait le droit de recevoir une partie des dividendes cumulatifs versés sur les actions qu'il avait données à son ex‑épouse dans le cadre de leur règlement de divorce. Il a fait valoir qu'il avait droit aux dividendes versés rétroactivement pour les années au cours desquelles il détenait les actions. Cet argument a été rejeté par la Cour d'appel qui a statué que le droit de toucher les dividendes est un droit éventuel qui ne peut être exercé que lorsque la société a déclaré les dividendes. Bien que l'intimé ait été l'actionnaire pendant les années où la grande partie de ces dividendes ont été accumulés, le droit à ces dividendes s'appliquait aux actions lorsque celles‑ci ont été transférées (p. 39).
Au nom de la majorité de la Cour d'appel dans l'arrêt Rondeau, le juge Lamer (aujourd'hui Juge en chef) a fait remarquer, à la p. 37, que le droit de l'actionnaire à un dividende comprend le droit à un mode particulier de distribution une fois le dividende déclaré:
[L'actionnaire] a le droit non pas aux profits, puisque les administrateurs ne sont pas obligés de les distribuer, mais à une quotité et à certaines modalités de distribution des profits si et lorsque les administrateurs décident d'une distribution, c'est‑à‑dire déclarent un dividende. [Je souligne.]
À mon avis, une clause de dividende discrétionnaire comme celle qui existe en l'espèce, qui permet aux administrateurs d'une société de choisir la catégorie qui a le droit de toucher des dividendes à l'exclusion des autres catégories, serait nulle sous le régime de la common law. Elle va à l'encontre du principe selon lequel les administrateurs ne peuvent favoriser une catégorie au détriment des autres: voir Fraser et Stewart, précité, à la p. 532. En outre, et l'intimé ne conteste pas ce point, si les dividendes sont distribués aux différentes catégories sur une base discrétionnaire, les administrateurs feront alors cette distribution en se fondant essentiellement sur l'identité des actionnaires dans les différentes catégories. L'intimé soutient qu'il ne s'agit pas là d'une dérogation importante au droit actuel, mais je ne suis pas d'accord, car cela signifie en fait que le droit aux dividendes se rattache non pas aux actions mais à l'actionnaire: voir Boivin, "Le droit aux dividendes et le dividende "discrétionnaire"" (1987), 47 R. du B. 73, à la p. 92.
Je répète que la règle selon laquelle les droits de l'actionnaire doivent s'attacher aux actions elles‑mêmes est un principe qui prend racine dans la nature même de la structure de la société. Lorsque les statuts constitutifs créent des catégories d'actions qui comportent des droits différents, cela n'oblige normalement pas les administrateurs à établir une distinction entre les actionnaires ‑‑ le mode de distribution est prévu dans les actions elles‑mêmes. Permettre une distinction fondée sur l'identité des personnes qui possèdent les actions, c'est ne pas tenir compte de la séparation qui est censée exister entre la société et ses actionnaires: voir l'ouvrage de Martel et Martel, La compagnie au Québec, Les aspects juridiques (1987), vol. I, à la p. 18‑14B.
L'intimé prétend cependant que même en l'absence de toute clause de dividende discrétionnaire, les administrateurs d'une société qui comporte au moins une catégorie d'actions privilégiées, ont effectivement le pouvoir de déterminer quelles catégories recevront des dividendes. Ils peuvent le faire en déclarant des dividendes dont le montant est suffisamment petit pour que seules les actions privilégiées y aient droit. C'est là, toutefois, un pouvoir discrétionnaire qui est expressément limité par les dispositions des statuts constitutifs. Le besoin de protection n'est pas aussi grand, car l'actionnaire ordinaire n'est pas placé dans une position où un administrateur peut accorder quelques dividendes que ce soit à une catégorie autre que la sienne. Cet actionnaire sait que si les dividendes déclarés excèdent un montant spécifique, sa catégorie d'actions participera alors au partage desdits dividendes. Si les dividendes déclarés ne dépassent jamais ce montant, la société retient alors tout au moins l'argent. Mais lorsqu'il y a une clause de dividende discrétionnaire, l'actionnaire dépend entièrement du bon vouloir des administrateurs. L'actionnaire minotaire est placé dans une situation presque impossible si ce bon vouloir joue contre lui; voir Martel et Martel, précité, à la p. 18‑14A. Il est intéressant de souligner qu'au moins un commentateur favorable à la clause de dividende discrétionnaire laisse entendre qu'il faudrait obtenir à l'avance le consentement "éclairé" par écrit de chaque actionnaire à cette sorte d'arrangement, vraisemblablement par précaution contre une telle éventualité: voir l'ouvrage de Quessy, "Les aspects corporatifs et fiscaux des actions à dividende discrétionnaire", [1985] 7 R.P.F.S. 31, aux pp. 42 et 43.
À mon avis, une deuxième raison pour laquelle la clause de dividende discrétionnaire est invalide en common law est qu'elle place l'administrateur dans une position où il ne peut remplir ses obligations de fiduciaire envers la société dans son ensemble. Les intérêts des différentes catégories d'actionnaires, lorsqu'il y a une déclaration de dividendes discrétionnaire, sont nécessairement divergents, puisqu'un dividende sera déclaré au bénéfice d'une catégorie d'actionnaires et aux dépens des autres. Comme il est dit dans Martel et Martel, précité, aux pp. 18‑14 et 18‑14A:
Il lui serait impossible de justifier cette préférence, car elle n'est sûrement pas faite de bonne foi dans l'intérêt de la compagnie. En utilisant la discrétion qui leur est conférée pour avantager certains actionnaires, les administrateurs sont en conflit d'intérêts manifeste, particulièrement s'ils sont eux‑mêmes ces actionnaires ou liés à eux [. . .] La situation créée par les clauses de dividende discrétionnaire est sans précédent, et place les administrateurs dans une position impossible: s'ils avantagent certains actionnaires en dérogeant à la règle de l'égalité, ils contreviennent à leurs obligations de mandataires ou quasi‑fiduciaires de la compagnie, et agissent en réalité comme mandataires des actionnaires qu'ils favorisent, ou du moins de ceux qui contrôlent la compagnie.
Le conflit d'intérêts est encore plus évident lorsqu'un administrateur est lui‑même un actionnaire. Lorsqu'il y a recours à la clause du dividende discrétionnaire pour allouer des dividendes à une catégorie dans laquelle un administrateur détient des actions, ou d'où il tire un avantage personnel, la situation peut se comparer à l'usurpation d'un privilège de la société qui appartient régulièrement à cette dernière. Comme l'a fait remarquer le juge Laskin dans l'arrêt Canadian Aero Service Ltd. c. O'Malley, précité, aux pp. 606 et 607, l'obligation de fiduciaire empêche pour le moins un administrateur
. . . [de] s'approprier, en secret ou sans l'approbation de la compagnie (approbation qui doit être régulièrement accordée à la lumière de tous les faits) un bien ou avantage commercial qui appartient à celle‑ci ou qu'elle a négocié; surtout si l'administrateur ou le fonctionnaire participe aux négociations au nom de la compagnie.
Une clause de dividende discrétionnaire permet à l'administrateur d'obtenir, grâce à sa position, un avantage personnel au détriment de la société et de ses actionnaires sans avoir à demander l'approbation de ces derniers. Par contraste, exiger que le mode de distribution soit expressément énoncé dans les statuts constitutifs, lesquels ne peuvent être modifiés qu'avec l'approbation des actionnaires, est conforme à l'obligation de fiduciaire décrite dans l'arrêt Canadian Aero. Je souligne que si les administrateurs eux‑mêmes détiennent des actions privilégiées, cela ne pose pas habituellement de problème, car les actionnaires ordinaires se seront entendus pour subordonner leur droit aux dividendes à la catégorie d'actions privilégiées en se fondant sur la "divulgation intégrale" du montant maximum jusqu'à concurrence duquel ces actions privilégiées auront priorité. Lorsqu'il y a une clause de dividende discrétionnaire, cette divulgation n'existe pas puisque le montant et la priorité en question seront déterminés subséquemment, à l'entière discrétion des administrateurs.
Le Juge en chef affirme que le fait que les administrateurs prennent en considération l'identité des actionnaires lorsqu'ils déclarent un dividende ne crée pas nécessairement un conflit d'intérêts. À titre d'exemple, il laisse entendre que des administrateurs pourraient validement exercer leur pouvoir discrétionnaire d'accorder des dividendes en vue de récompenser un groupe d'employés qui comprend une catégorie d'actionnaires privilégiés. Sauf le respect que je lui dois, il me semble que même cela constituerait un exercice abusif du pouvoir d'accorder un dividende discrétionnaire. Si les employés méritent vraiment une récompense additionnelle, la bonne façon de procéder serait de leur accorder une autre forme de compensation comme, par exemple, une prime. Un dividende est censé représenter le rapport d'un investissement. Sur ce point, je souscris aux propos du juge Desjardins de la Cour d'appel fédérale ([1988] 2 C.F. 356), à la p. 370:
Mais assurément, il n'existe aucun rapport, en droit des compagnies, entre le travail et les services effectués par un actionnaire pour la société et son droit à un dividende, s'il est déclaré. Les dividendes représentent le rapport d'un investissement et non la contrepartie du travail ou des services qu'un actionnaire peut fournir à la société. Les dividendes se rattachent à l'action et non à l'actionnaire.
Quoi qu'il en soit, même si je n'arrivais pas à la conclusion que la clause de dividende discrétionnaire est en soi invalide sous le régime de la common law, je statuerais que cette clause, telle qu'elle est libellée en l'espèce, ne suffit pas à réfuter la présomption d'égalité de la common law. Comme je l'ai déjà fait remarquer, il est reconnu qu'en l'absence d'une quelconque différenciation entre les actions, celles‑ci doivent toutes être traitées également: voir Birch v. Cropper, In re Bridgewater Navigation Co. (1889), 14 A.C. 525 (H.L.). L'intimé soutient que le fait que les catégories d'actions ont la possibilité de recevoir des dividendes dont les montants peuvent différer suffit à les différencier. Le fait demeure toutefois que les trois catégories d'actions de Northland Trucks sont définies essentiellement de la même façon en ce qui concerne leur droit aux dividendes. Chaque catégorie accorde "le droit distinctif de recevoir des dividendes à l'exclusion des autres catégories d'actions dans ladite société". Comme le professeur Boivin, précité, le fait remarquer à la p. 94:
. . . si toutes les actions sont assorties d'une clause de dividende discrétionnaire, elles sont toutes sur un pied d'égalité en matière de dividendes, même si certaines particularités existent quant à d'autres droits ou privilèges. Loin de rompre le principe d'égalité, la clause ainsi employée le confirme.
Toute différence qui existe entre les actions à l'égard de leur droit de recevoir des dividendes découle clairement non pas d'une différenciation entre les actions mais plutôt des actes des administrateurs de la société. Il s'agirait toutefois d'un droit qui ne découle pas de l'action elle‑même et comme tel, il serait invalide en common law.
Après avoir conclu que la clause de dividende discrétionnaire contenue dans les statuts constitutifs de Northland Trucks était une attribution de pouvoir nulle en common law, il me reste à examiner la Business Corporations Act de la Saskatchewan pour voir si elle modifie cette situation.
La Business Corporations Act de la Saskatchewan
L'alinéa 24(4)a) de la Business Corporations Act de la Saskatchewan prévoit qu'une société peut déroger à la règle de l'égalité en common law en créant plus d'une catégorie d'actions:
[TRADUCTION] 24. . . .
(4) L'acte constitutif peut prévoir plusieurs catégories d'actions, auquel cas:
a)les droits, privilèges, restrictions et conditions qui se rattachent aux actions de chaque catégorie doivent y être énoncés; . . .
Voir également le sous‑al. 6(1)c)(i).
La question est maintenant de savoir si le pouvoir attribué aux administrateurs d'une société de déterminer le droit de chaque catégorie d'actions à un dividende, une fois celui‑ci déclaré, est conforme à l'al. 24(4)a) qui prescrit que ces droits doivent être "énoncés" dans les statuts constitutifs. Il y a deux interprétations possibles. Selon la première, il suffit que les statuts "énoncent" que les différentes catégories d'actions ont le "droit" de recevoir un dividende qui a été déclaré, à l'entière discrétion des administrateurs. Selon la seconde interprétation, l'obligation d'"énoncer" les droits en cause exige que le mode de distribution des dividendes soit expressément prévu dans les statuts eux‑mêmes.
Je pars de la prémisse selon laquelle l'al. 24(4)a) doit bien sûr être interprété conformément aux principes de la common law: voir Bowater, précité, à la p. 754. À mon avis, il devrait ressortir de l'analyse précédente que cela nous amènerait inévitablement à la seconde interprétation puisque, en common law, les droits de l'actionnaire doivent être expressément prévus dans les actions elles‑mêmes. Si la législature de la Saskatchewan entendait déroger à ce principe, elle aurait pu le dire explicitement. À mon avis, l'al. 24(4)a) est très loin d'exprimer clairement l'intention de conférer aux administrateurs d'une société un pouvoir qu'ils n'avaient pas par ailleurs en vertu de la common law.
Je note que cette interprétation de l'al. 24(4)a) semble également être la plus conforme aux autres dispositions de la Loi. Par exemple, l'art. 27 prévoit la possibilité de créer différentes "séries" à l'intérieur d'une catégorie d'actions, qui peuvent elles‑mêmes être structurées de façon à posséder différents droits. Contrairement à la façon dont elle traite les catégories d'actions, la Loi prévoit expressément qu'on peut accorder aux administrateurs d'une société le pouvoir discrétionnaire de déterminer les droits se rattachant à ces séries. Le paragraphe 27(1) dispose:
[TRADUCTION] 27. (1) Les statuts peuvent autoriser l'émission de toute catégorie d'actions dans une ou plusieurs séries et permettre aux administrateurs de fixer le nombre d'actions dans chacune d'elles, et de déterminer la désignation, les droits, les privilèges, les restrictions et les conditions se rattachant aux actions de chaque série, sous réserve des limites énoncées dans les statuts.
Il est important de remarquer que, même lorsque la Loi prévoit expressément qu'on peut conférer aux administrateurs le pouvoir discrétionnaire de déterminer les droits à être assignés à une série, ce pouvoir discrétionnaire n'est pas illimité: voir les par. 27(2) à (4). En particulier, les administrateurs ne peuvent privilégier une série à l'égard des dividendes ou du remboursement de capital au détriment de toute autre série de la même catégorie qui est encore en circulation (par. 27(3)). Ainsi, même si en vertu de la Loi, les actionnaires peuvent accorder aux administrateurs le pouvoir d'émettre des séries dans une catégorie donnée et conférer des droits à ces séries, ils ne peuvent s'entendre pour accorder aux administrateurs le pouvoir discrétionnaire de porter atteinte à leur droit aux dividendes ou à un remboursement de capital en choisissant de donner priorité à une autre série. Pourquoi la législature jugerait‑elle nécessaire de protéger les actionnaires en restreignant le pouvoir discrétionnaire des administrateurs de cette façon? Je répondrai que les droits conférés aux séries, contrairement aux catégories d'actions, peuvent être changés sans qu'on modifie la constitution de la société. Comme le fait remarquer le professeur Welling, précité, à la p. 584, cette distinction peut entraîner un abus de pouvoir de la part des administrateurs:
[TRADUCTION] Le résultat est clair même si, du point de vue de la protection de l'actionnaire, il est à première vue surprenant. La loi exige que toute distinction faite entre les différentes catégories soit strictement réglementée par la constitution de la société, sous réserve des recours protégeant l'observation de cette constitution, et que cette distinction ne puisse être modifiée qu'avec l'approbation habituelle des actionnaires. Curieusement, il suffit que la distinction au sein d'une catégorie particulière soit prévue dans les statuts: les détails peuvent être fournis à l'occasion par les résolutions ordinaires des administrateurs, sans participation aucune des actionnaires. [Souligné dans le texte original.]
Parce que l'art. 27 permet aux actionnaires d'accorder aux administrateurs le pouvoir d'établir une distinction entre les séries d'actions, tout en autorisant les administrateurs à "fournir eux‑mêmes les détails" de cette distinction à une date ultérieure, la législature a apparemment jugé nécessaire de limiter ce pouvoir, en empêchant les administrateurs d'établir une distinction dans certains domaines, particulièrement en ce qui concerne la priorité sur les dividendes. Cette tentative de protection serait futile s'il était loisible aux actionnaires d'accorder aux administrateurs le même pouvoir d'établir une distinction à l'égard de la priorité sur les dividendes en ce qui concerne les catégories d'actionnaires, en ayant recours à une clause de dividende discrétionnaire.
Selon une interprétation plus raisonnable de la loi, celle‑ci prévoit que les actionnaires seront protégés contre les modifications apportées aux droits se rattachant aux différentes catégories d'actions étant donné que ces droits ne peuvent être changés que par la modification de la constitution de la société. L'alinéa 170(1)c) de la Business Corporations Act de la Saskatchewan dispose:
[TRADUCTION] 170 (1) . . . les détenteurs d'actions d'une catégorie ou . . . d'une série sont autorisés à voter séparément à ce titre concernant un projet de modification des statuts en vue:
. . .
c)d'ajouter, de modifier ou de supprimer les droits, privilèges, restrictions ou conditions se rattachant aux actions de cette catégorie . . .
La protection assurée par l'art. 170 quant aux droits à un dividende ne peut avoir un sens que si le mode de distribution doit lui‑même être énoncé dans les statuts constitutifs. Sinon, on peut efficacement contourner cet article car les administrateurs pourront à volonté changer la distribution des dividendes de chaque catégorie, sans devoir obtenir le vote des actionnaires. L'importance du par. 170(1) comme moyen de protéger les intérêts de l'actionnaire est démontrée par le fait que chaque catégorie d'actions bénéficie du droit de vote, peu importe que les actions confèrent normalement ou non ce droit (par. 170(3)).
Je conclus également que le recours à la clause de dividende discrétionnaire en l'espèce est incompatible avec l'exigence de la Loi selon laquelle au moins une catégorie d'actions doit avoir le droit [TRADUCTION] "de recevoir tout dividende déclaré par la société" (al. 24(3)b)). Sur ce point, je souscris aux remarques suivantes du professeur Boivin, à la p. 93:
Dans l'hypothèse où le capital comporte une seule catégorie d'actions et que ces actions sont assorties d'un dividende discrétionnaire, elles ne confèrent, à notre avis, aucun droit à un dividende quelconque, ce qui n'a rien d'étonnant puisque c'est précisément là l'objectif visé. Même en supposant que l'action confère un droit à un dividende, ce droit ne peut s'interpréter comme celui de recevoir "tout dividende déclaré".
Au fond, l'argument de l'intimé se résume à un seul point: la Business Corporations Act de la Saskatchewan ne semble pas interdire expressément l'utilisation d'une clause de dividende discrétionnaire et en l'absence d'une telle interdiction expresse, il doit être loisible aux parties de contracter selon leur bon vouloir. Il faudrait logiquement conclure de cet argument que rien n'empêcherait les actionnaires d'adopter une clause "de vote discrétionnaire" qui accorderait aux administrateurs le pouvoir d'exercer tous leurs votes comme bon leur semble. En fait, l'avocat de l'intimé a semblé laisser entendre durant sa plaidoirie que cela aussi constituerait une attribution de pouvoir permise. Je conclus qu'un tel arrangement qui laisserait aux administrateurs le contrôle absolu de la société et leur permettrait de prolonger leur mandat indéfiniment, est tout à fait inacceptable dans la mesure où il supprimerait virtuellement toute la protection accordée aux actionnaires par la Loi.
Il est vrai bien sûr que les administrateurs seront toujours assujettis à l'obligation d'agir à titre de fiduciaire de la société. Ainsi, en théorie, il est toujours loisible à un actionnaire d'intenter une poursuite s'il estime que les administrateurs exercent leur pouvoir discrétionnaire d'une façon inappropriée. En réalité, cependant, on ne saurait ne pas tenir compte du fardeau et des frais importants que ce recours entraîne. À mon avis, imposer aux actionnaires le fardeau d'intenter une poursuite pour faire valoir leurs droits n'est pas un moyen adéquat pour les protéger contre les abus auxquels la clause de dividende discrétionnaire peut donner lieu.
Si ce point de vue protectionniste semble quelque peu condescendant, je ferai remarquer que d'autres dispositions de la Business Corporations Act de la Saskatchewan protègent, de la même façon, les actionnaires contre des arrangements auxquels ils pourraient autrement consentir. Un exemple déjà mentionné est l'art. 27, qui restreint le pouvoir qui peut être validement conféré aux administrateurs de déterminer les droits et privilèges des futures séries d'actions. Je souligne également que la protection de l'actionnaire en tant que particulier a été l'une des forces dominantes qui a inspiré la réforme législative en profondeur du droit des sociétés au Canada au cours des années 70; voir Welling, précité, à la p. 502. La Business Corporations Act de la Saskatchewan est un résultat de cette réforme, tout comme la Loi sur les corporations commerciales canadiennes sur laquelle elle est modelée. Le droit des sociétés n'en est pas encore rendu au point où la liberté de contracter à tout prix a préséance sur toutes autres considérations.
La nécessité de protéger l'actionnaire contre l'usage abusif de la clause de dividende discrétionnaire devient encore plus manifeste lorsqu'on envisage la possibilité d'insérer une telle clause dans les statuts constitutifs d'une société dont les actions sont détenues par le public. Je reconnais qu'en l'espèce, il s'agit d'une société fermée, et qu'il n'a pas été allégué que les administrateurs avaient manqué à leur obligation de fiduciaire, mais la Business Corporations Act de la Saskatchewan s'applique aussi bien aux grandes qu'aux petites sociétés. Il doit y avoir une seule règle de droit pour les deux. Je m'empresse d'ajouter qu'à mon avis, la raison principale pour laquelle la clause de dividende discrétionnaire est nulle est qu'elle va à l'encontre du principe selon lequel la société constitue une entité juridique distincte de celle de l'actionnaire. Puisque les actionnaires des sociétés fermées jouissent d'un traitement privilégié, tel que la responsabilité limitée, compte tenu de cette séparation entre la société et l'actionnaire, il est normal que l'État les oblige à respecter la séparation en cause en structurant leur société en conséquence.
Pour faire contrepoids à ces arguments, je ne perçois aucune raison utile, sur le plan social ‑ et l'avocat de l'intimé n'a su en mentionner aucune ‑ qui justifierait l'utilisation d'une clause de dividende discrétionnaire. Le seul but apparent d'une telle clause est de faciliter l'évitement fiscal grâce au "fractionnement du revenu", ce qui ne saurait me convaincre de la nécessité de permettre aux sociétés d'être structurées de cette manière: voir Boivin, précité, à la p. 106; voir également les commentaires sur l'arrêt "The Last Bastion for Income‑Splitting? J. A. McClurg v. The Queen" (1986), 34 Can. Tax J., à la p. 404.
Après avoir conclu que la clause de dividende discrétionnaire utilisée dans les statuts constitutifs de Northland Trucks était invalide, il reste à déterminer comment l'argent distribué en vertu de cette clause devrait être alloué. Puisqu'il faut présumer que les administrateurs de Northland Trucks ont décidé que la déclaration du montant des dividendes distribués était dans l'intérêt de la société, il serait maintenant inapproprié de retourner cet argent à la société. Il conviendrait à mon avis de redistribuer les dividendes parmi les différentes catégories d'actions. Comme je l'ai déjà dit, en l'absence d'une différenciation valide entre les actions à l'effet contraire, toutes les catégories se partageront les dividendes également. En l'espèce, cela signifie que l'argent sera distribué également aux actions des catégories A, B et C.
Je vais maintenant examiner les conséquences d'ordre fiscal des versements de dividende.
Conséquences d'ordre fiscal
Généralités
Je suis d'accord avec le Juge en chef quant à la bonne façon d'interpréter la Loi de l'impôt sur le revenu en général, et le par. 56(2) en particulier, ainsi que sur la nécessité de déterminer la nature véritable de l'opération en question. Sauf le respect que je lui dois, je ne saurais toutefois être d'accord avec lui quant à l'application du par. 56(2) dans le présent pourvoi. Nos divergences portent sur l'interdépendance du droit des sociétés et des questions d'impôt sur le revenu en l'espèce, et sur ma conclusion selon laquelle la clause de dividende discrétionnaire est nulle.
Toute technique de planification fiscale peut être contestée pour le motif que le concept juridique qu'elle applique est nul. Cela découle du principe fondamental de droit fiscal selon lequel c'est le résultat juridique même d'une opération plutôt que sa forme qui est pertinent en matière d'assujettissement à l'impôt. Dans l'affaire Champ v. The Queen, 83 D.T.C. 5029, par exemple, un versement de dividende a été jugé illégal et on n'a pas tenu compte de la forme du versement pour les fins de l'impôt. Dans cette affaire, le contribuable et son épouse détenaient respectivement deux tiers et un tiers des actions de la société. Même si les statuts constitutifs de la compagnie précisaient que "des dividendes peuvent être déclarés et payés . . . selon le nombre d'actions détenues", les dividendes n'ont été versés qu'à une catégorie d'actions, qui était détenue exclusivement par l'épouse. La cour a conclu que le contribuable avait détourné sa part des dividendes, et inclus ce paiement indirect dans son revenu en vertu du par. 56(2). Cette approche adoptée par la Cour fédérale dans l'affaire Champ est conforme au critère de "l'opération sans effet" lorsqu'il s'agit de refuser à un contribuable le bénéfice d'une opération donnée, critère qui a été élaboré par notre Cour dans l'arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536.
En l'espèce, Mme McClurg a reçu un dividende de 10 000 $ en vertu de la clause de dividende discrétionnaire qui a été jugée invalide. Par conséquent, la caractérisation par le contribuable de la nature véritable du paiement ne saurait valoir. Il faut plutôt poursuivre l'analyse en tenant compte du fait que le dividende déclaré pour chacune des trois années en question aurait dû être attribué également aux actions des catégories A et B. Eu égard au dividende de 10 000 $ déclaré, la somme de 8 000 $ était alors payable à M. McClurg et seulement 2 000 $ étaient payables à Mme McClurg.
Avant d'examiner en détail l'application du par. 56(2) aux faits de l'espèce, il me faut commenter deux points soulevés par le Juge en chef. Il affirme tout d'abord que le versement d'un dividende n'est pas visé par le par. 56(2). Je souscris à ce point de vue dans la mesure où il s'agit de la situation typique où un tel versement relève des pouvoirs de la société et où l'actionnaire a vraiment droit aux dividendes. Il faut cependant souligner relativement au dividende versé à Mme McClurg, que la somme de 8 000 $ n'était pas un véritable paiement de dividende mais plutôt le versement d'un revenu de dividende payable par ailleurs à son époux. Comme ce fut le cas dans l'affaire Champ v. The Queen, précité, un paiement qui n'est pas légalement un versement de dividende ne saurait empêcher l'application du par. 56(2).
En second lieu, je me dois de commenter la pertinence de la contribution de Mme McClurg à l'entreprise. Au procès, il a été établi que Wilma McClurg a contribué à l'établissement et à l'exploitation de l'entreprise. Le Juge en chef considère que ce fait est pertinent pour les fins du règlement du litige devant notre Cour, parce qu'il indique que le versement de dividende ne résultait pas d'une tentative flagrante d'évitement fiscal mais qu'il constituait plutôt un avantage trouvant sa contrepartie suffisante dans le cadre d'une relation d'affaire légitime. En d'autres termes, ledit versement peut être justifié en raison des efforts que Mme McClurg a déployés pour le compte de la compagnie.
En toute déférence, ce fait n'est pas pertinent pour les fins du litige dont nous sommes saisis. C'est mal interpréter la nature d'un dividende que de lier le versement d'un dividende à la somme des efforts déployés par le bénéficiaire pour le compte de la société payante. Comme nous l'avons dit auparavant, le versement d'un dividende résulte de la propriété du capital‑actions d'une société. Selon un principe fondamental du droit des sociétés, un dividende est le rapport du capital qui se rattache à une action et ne dépend d'aucune façon de la conduite d'un actionnaire donné.
Dans le présent pourvoi, un dividende de 10 000 $ a été déclaré par les administrateurs de Northland Trucks et alloué intégralement à Mme McClurg, manifestement en contrepartie du travail et des services fournis à la compagnie. Quelles que soient les raisons pour lesquelles les administrateurs ont versé les dividendes à Mme McClurg, si elle avait vraiment droit aux dividendes, il s'agirait d'un droit fondé uniquement sur la propriété des actions de la société, et le par. 56(2) ne s'appliquerait pas. En d'autres termes, le par. 56(2) ne s'applique manifestement pas à une opération grâce à laquelle un actionnaire touche un dividende qui est alloué à bon droit à ses actions.
Application du par. 56(2)
En ce qui concerne l'application du par. 56(2) en l'espèce, il est utile, à mon avis, de commencer par séparer les différentes parties de cette disposition. Le juge Cattanach a adopté une telle analyse dans l'affaire Murphy v. The Queen, 80 D.T.C. 6314, où il a déclaré aux pp. 6317 et 6318:
Pour que le paragraphe 56(2) s'applique, toutes les conditions d'assujettissement prévues doivent être réunies.
Voici ces quatre conditions:
(1)il doit y avoir un paiement ou transfert de biens à une personne autre que le contribuable;
(2)ce paiement ou transfert doit être effectué suivant les instructions ou avec l'accord du contribuable;
(3)ce paiement ou transfert doit être effectué au profit du contribuable ou de toute autre personne que le contribuable désire avantager;
(4)ce paiement ou transfert aurait été inclus dans le calcul du revenu du contribuable si ce dernier, au lieu de l'autre personne, l'avait reçu.
Il faut maintenant déterminer si ces quatre éléments ou conditions préalables à l'application du par. 56(2) sont présents dans l'opération en l'espèce.
En ce qui a trait au premier élément, le terme "paiement" n'a pas acquis un sens technique dans la Loi de l'impôt sur le revenu et il doit être interprété selon son sens ordinaire: voir Murphy, précité, à la p. 6320. En outre, le mot "biens" est défini d'une façon très large au par. 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et inclut expressément l'argent. Il convient également de souligner que le par. 16(1), le prédécesseur du par. 56(2), faisait mention à l'origine d'un transport "d'argent, de droits ou de choses". Il semble par conséquent que le paiement en question satisfasse à la première condition requise pour l'application du par. 56(2). Cela est confirmé par l'arrêt Champ v. The Queen, précité, dans lequel il a été décidé que le contribuable avait effectué un "transfert de biens" en ordonnant le versement de dividendes.
Le second élément prévoit que le paiement ou le transfert doit être effectué suivant les instructions ou avec l'accord du contribuable. L'intimé a soutenu que le paiement avait été effectué par la compagnie, une entité juridique distincte du contribuable, et que dans la mesure où le versement du dividende a été effectué suivant les instructions ou avec l'accord du contribuable, celui‑ci avait agi en qualité d'administrateur de la société et non à titre personnel.
Sous le régime du par. 56(2), il suffit toutefois qu'un tel paiement soit fait avec l'accord du contribuable. Les faits indiquent que l'intimé, en sa qualité d'actionnaire, ne s'est pas opposé à la distribution des dividendes. L'appelante a prétendu que l'omission de M. McClurg de s'opposer au paiement fait à Mme McClurg constituait un accord implicite. En d'autres termes, puisque M. McClurg n'a pas réclamé sa part des dividendes, il a implicitement accepté que la compagnie verse la somme de 8 000 $ à son épouse. À cette fin, l'appelante s'est fondée sur l'arrêt Bronfman, A. v. M.N.R., [1965] C.T.C. 378 (C. de l'É.), à la p. 385, dans laquelle le juge Dumoulin a statué que "l'abstention ou l'indifférence" des actionnaires qui avaient le pouvoir de s'opposer aux actes des administrateurs [TRADUCTION] "équivalait à une approbation" et permettait d'invoquer le par. 16(1), le prédécesseur du par. 56(2).
À mon avis, on peut affirmer qu'un particulier ayant le contrôle d'une société a ordonné un paiement ou un transfert de biens au sens du par. 56(2) en exerçant ce contrôle. Qui plus est, même si on accepte le point de vue contraire selon lequel le contribuable n'a pas ordonné un tel paiement, celui‑ci a néanmoins été effectué avec l'accord de M. McClurg en sa qualité personnelle à titre d'actionnaire de la compagnie. La deuxième condition préalable relative à l'application du par. 56(2) est donc remplie.
La troisième condition préalable exige que le paiement soit fait au profit du contribuable ou du bénéficiaire. Puisque Mme McClurg n'avait droit qu'à un dividende de 2 000 $, le versement des autres 8 000 $ représentant le dividende auquel avait droit M. McClurg équivaut à un avantage conféré à l'épouse de ce dernier en vertu du par. 56(2). En outre, M. McClurg lui‑même a tiré un avantage de l'opération par la réduction de son impôt sur le revenu. Comme l'a expliqué le juge Cattanach dans l'affaire Murphy v. The Queen, précitée, à la p. 6318, ce type d'avantage est directement visé par le par. 56(2):
Le paragraphe 56(2) a pour but d'imputer au contribuable un revenu qui a été, sur ses instructions, attribué à quelqu'un d'autre. Il vise les cas où le contribuable cherche à éviter de recevoir ce qui serait, entre ses mains, un revenu en s'arrangeant pour transférer ce montant au profit de quelqu'un d'autre ou à son propre profit. À part procurer une satisfaction morale, l'opération permet au contribuable de réduire son impôt sur le revenu.
Enfin, il est évident que le dividende de 8 000 $ aurait été inclus dans le revenu de M. McClurg si l'attribution avait été faite correctement.
Par conséquent, les quatre conditions préalables de l'application du par. 56(2) ont été remplies. Puisque des 10 000 $ attribués à Wilma McClurg à titre de dividendes provenant de ses actions de la catégorie B, 8 000 $ étaient attribuables à M. McClurg, cette somme devrait être incluse dans le calcul de son revenu.
Dispositif
En conclusion, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de maintenir la nouvelle cotisation du ministre.
Pourvoi rejeté avec dépens, les juges WILSON, LA FOREST et L'HEUREUX‑DUBÉ sont dissidents.
Procureur de l'appelante: John C. Tait, Ottawa.
Procureurs de l'intimé: Bennett Jones, Calgary.