Jugements de la Cour suprême

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Johns-Manville Canada c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 46

 

Johns‑Manville Canada Inc.     Appelante;

 

et

 

Sa Majesté La Reine     Intimée.

 

No du greffe: 16940.

 

1984: 15, 16 mai; 1985: 31 juillet.

 

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Ritchie*, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Wilson.

 

*Le juge Ritchie n'a pas pris part au jugement.

 

en appel de la cour d'appel fédérale

 

                   Impôt sur le revenu ‑‑ Distinction entre revenu et capital ‑‑ Mine à ciel ouvert ‑‑ Acquisition de biens‑fonds pour maintenir la stabilité de la paroi de la mine ‑‑ Biens‑fonds non situés au‑dessus du gisement de minerai ‑‑ Le coût d’acquisition est‑il une dépense de capital ou est‑il déductible comme dépense d’exploitation? ‑‑ Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, art. 4, 11(1)a), 12(1)a), b) ‑‑ Règlement de l’impôt sur le revenu, art. 1100(1).

 

                   L'appelante a dû acquérir, dans le cours de l'exploitation de sa mine à ciel ouvert, des biens‑fonds situés autour de celle‑ci pour maintenir la pente de la paroi et l'angle de talus du mort‑terrain. Les biens‑fonds ne sont pas situés au‑dessus du gisement de minerai et disparaissent à mesure que la profondeur de la mine augmente et que son entrée en surface s'agrandit. La question en litige est de savoir si l'appelante a le droit de porter le coût d'acquisition de ces biens‑fonds au compte de dépenses d'exploitation plutôt qu'au compte de capital.


 

                   Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

 

                   Ces dépenses doivent être imputées au compte de revenu et non au compte de capital. Le bon sens exigeait que ces dépenses, qui étaient engagées par la contribuable dans l'exploitation régulière de son entreprise, soient faites pour éviter la fermeture de son entreprise. Ces dépenses ne faisaient pas partie d'un projet visant à réunir des biens et n'avaient rien de commun avec une acquisition faite une fois pour toutes. Puisque ces dépenses n'étaient pas liées à l'aménagement d'un gisement minier ou d'un bien minier qui pourrait lui‑même être exploité indépendamment de tout gisement, il n'y a pas de droit à une déduction pour amortissement ou pour épuisement. Toutefois, ces dépenses ne sont pas exclues par l'al. 12(1)a); cette disposition favorise l'inclusion de ces dépenses dans les dépenses permises parce qu'il n'y a dans la Loi aucune autre disposition applicable à celles‑ci qui ont nécessairement été engagées conformément aux pratiques approuvées en matière de commerce et d'ingénierie.

 

Jurisprudence

 

                   Arrêts examinés: Denison Mines Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1976] 1 R.C.S. 245; B.P. Australia Ltd. v. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Australia, [1966] A.C. 224; arrêts mentionnés: Knight v. Calder Grove Estates (1954), 35 T.C. 447; British Salmson Aero Engines, Ltd. v. Commissioner of Inland Revenue (1937), 22 T.C. 29; Minister of National Revenue v. Algoma Central Railway, [1968] R.C.S. 447; Hallstroms Pty. Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation (1946), 72 C.L.R. 634; Sun Newspapers Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation (1938), 61 C.L.R. 337; Commissioner of Taxes v. Nchanga Consolidated Copper Mines Ltd., [1964] A.C. 948; Mitchell v. B.W. Noble, Ltd., [1927] 1 K.B. 719; British Insulated and Helsby Cables, Ltd. v. Atherton, [1926] A.C. 205; Vallambrosa Rubber Co. v. Farmer, [1910] S.C. 519; Ounsworth v. Vickers, Ltd., [1915] 3 K.B. 267; Regent Oil Co. v. Strick, [1966] A.C. 295; Golden Horse Shoe (New), Ltd. v. Thurgood, [1934] 1 K.B. 548; Kennecott Copper Corp. v. United States, 347 F.2d 275 (1965); Welch v. Helvering, 290 U.S. 111 (1933); Commissioner of Internal Revenue v. Lincoln Savings & Loan Assn., 403 U.S. 345 (1971); Tucker v. Granada Motorway Services Ltd., [1979] 2 A11 E.R. 801.

 

Lois et règlements cités

 

Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, art. 4, 11(1)a), 12(1)a), b).

 

Règlement de l’impôt sur le revenu, art. 1100(1).

 

 

Doctrine citée

 

Bittker, Boris I. Federal Taxation of Income, Estates and Gifts, vol. 1, Boston, Warren, Gorham & Lamont, 1981.

 

Mertens Law of Fed Income Tax §25.20 (1979 Rev., vol. 4A), Wilmette, Illinois, Callaghan & Co.

 

Pinson, Barry. Pinson on Revenue Law, 15 ed., London, Sweet & Maxwell, 1982.

 

Tiley, John. Revenue Law, London, Butterworths, 1981.

 

 

                   POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1982] CTC 56, 82 DTC 6054, qui a accueilli l'appel d'une décision du juge Gibson. Pourvoi accueilli.

 

                   Donald G. H. Bowman, c.r., et William I. Innes, pour l'appelante.

 

                   Alban Garon, c.r., et Roger Roy, pour l'intimée.

 

                   Version française du jugement de la Cour rendu par

 

1.                Le Juge Estey‑‑La question soulevée par le présent pourvoi est de savoir si la contribuable appelante a, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu  du Canada , le droit de porter au compte de dépenses plutôt qu'au compte de capital le coût d'acquisition de biens‑fonds autour de la mine à ciel ouvert qu'elle exploite dans le cours de ses opérations minières. Le litige porte sur les années d'imposition qui se sont terminées en 1969 (deux exercices financiers) et 1970. C'est la Loi de   l’impôt sur le revenu  antérieure à 1972 qui s'applique.

 

2.                Il n'y a aucun problème de crédibilité, les faits sont peu nombreux et pour la plupart reconnus par les parties dans leurs actes de procédure. Voici les extraits pertinents non contestés de la déclaration et de la défense.

 

La déclaration

 

                                                                    ...

 

[TRADUCTION]  3. La demanderesse [l'appelante] fait l'extraction et le traitement du minerai d'amiante que renferme une mine à ciel ouvert située dans les limites de la municipalité d'Asbestos au Québec et elle s'occupe de vendre l'amiante ainsi produite. La mine est exploitée depuis 1881.

 

4. Le puits à ciel ouvert d'où est tiré le minerai mesure environ 5 700 pieds dans son axe principal, 3 500 pieds dans son axe secondaire et 950 pieds de profondeur. Le gisement de minerai a une forme cylindrique avec des renflements à l'est et à l'ouest et s'enfonce vers le sud‑ouest, en s'éloignant de la ville, à un angle d'environ 55o. Il mesure approximativement 2 000 pieds de diamètre.

 

5. Pour obtenir une extraction économique et sans danger du minerai, il est nécessaire d'établir, en tout temps et pour chaque segment de la paroi du puits, la pente de la paroi et l'angle de talus du mort‑terrain.

 

                                                                    ...

 

12. Aucune portion du gisement de minerai n'est située sous les biens‑fonds acquis par la demanderesse pendant les années d'imposition 1969 et 1970, de sorte que l'acquisition desdits biens‑fonds n'a pas eu pour effet d'augmenter les réserves disponibles dont la demanderesse dispose pour extraire du minerai.

 

La défense

 

[TRADUCTION]  3. Il [le sous‑procureur général du Canada, pour le compte de Sa Majesté] reconnaît que, dans le cours de l'exploitation minière, le niveau du gisement a baissé et la demanderesse a dû, au fil des années, repousser les parois du puits afin de les maintenir à l'angle voulu et qu'à cette fin, elle a fait l'acquisition de biens‑fonds emportant, conformément à l'article 414 du Code civil, la propriété du dessus et du dessous et, en vertu des droits conférés par l'article 414 du Code civil à la demanderesse à titre de propriétaire des terrains ainsi acquis, elle y a fait des fouilles et en a extrait les matières dont l'extraction était nécessaire à l'exploitation de la mine existante...

 

3.                Le savant juge de première instance a conclu qu'au cours des années en cause, les acquisitions de biens‑fonds se sont élevées à 2 758 670 $, ce chiffre étant un peu plus élevé que le montant mentionné dans la défense, mais l'intimée n'a pas contesté cette conclusion en cette Cour. À cause de la loi de la gravité, le trou creusé dans le sol pour extraire le minerai doit être de forme conique et aller en s'agrandissant vers l'extérieur, mais selon une pente constante à mesure que la profondeur du puits s'accroît par suite de l'extraction du minerai. Donc la nécessité d'agrandir le diamètre du haut du puits de la mine exige l'acquisition de biens‑fonds à la périphérie du puits et l'enlèvement du sol et du roc jusqu'à une grande profondeur. Il ressort de la preuve que, depuis presque quarante ans, les opérations minières ont exigé l'acquisition progressive de biens‑fonds pour maintenir les parois du puits de la mine de forme conique à un angle sûr. À mesure que la profondeur du puits augmente à cause de l'exploitation de la mine, son entrée en surface doit être agrandie pour maintenir un angle sûr. En conséquence, il a fallu régulièrement acquérir des biens‑fonds et enlever les bâtisses qui s'y trouvaient. La terre a été ensuite enlevée de sorte que la paroi du puits a été déplacée vers l'extérieur par rapport à sa situation antérieure. Ce qui reste de la partie de "terrain", au sens ordinaire de ce terme, ainsi acquise, c'est une portion de la paroi en pente, bien plus bas que la surface initiale, entre le haut de la mine et le gisement de minerai découvert dans le fond du puits. À mesure que d'autres biens‑fonds sont acquis, la paroi inclinée est déplacée vers l'extérieur et, en conséquence, le niveau réel de chacun des biens‑fonds acquis s'enfonce avec la paroi, bien que l'angle de pente de sa surface soit assez constant. Tous les chemins situés sur les "gradins" taillés dans la paroi disparaissent eux aussi à chaque agrandissement et sont reconstruits sur la nouvelle paroi inclinée après que la surface des biens‑fonds additionnels a été enlevée. Tous ces changements surviennent au fur et à mesure que l'extraction du minerai se poursuit.

 

4.                Les opérations minières sont de grande envergure. Pendant la période en cause, la production quotidienne atteignait 33 000 tonnes de minerai et 60 000 à 65 000 tonnes de mort‑terrain et de rebuts. Donc environ 100 000 tonnes de matière étaient tirées du fond du puits chaque jour, au cours de ces opérations minières. Dans le but de démontrer les risques que le programme d'acquisition de biens‑fonds visait à prévenir, on a mentionné, dans les actes de procédure et dans la preuve, des événements qui se sont produits pendant les périodes qui ont immédiatement suivi les années d'imposition en cause:

 

La déclaration

 

[TRADUCTION]  9. En janvier 1971, au moment où la demanderesse [l'appelante] cherchait des moyens de prévenir l'effondrement du mur, il s'est produit un glissement de terrain grave causé par une infiltration considérable d'eau sous la pente, survenue lorsque la pression du sol a causé la rupture de conduites d'eau et d'égouts. Le glissement a causé des dommages à sept édifices commerciaux et entraîné l'évacuation et le relogement d'un grand nombre de familles.

 

                                                                    ...

 

13. En 1974, il y avait des signes de plus en plus clairs que le mort‑terrain de la pente recommençait à bouger et après avoir consulté ses conseillers en la matière, la demanderesse a décidé d'établir une zone tampon de 150 pieds comme mesure de précaution. Cette décision a eu pour effet d'accélérer l'acquisition prévue de biens‑fonds et les relocalisations qu'elle entraînait, lesquelles se sont poursuivies jusqu'en 1975. En dépit de ces précautions, il s'est produit en janvier 1975 un glissement de terrain grave du côté est du puits au cours duquel 3 000 000 de tonnes de matière se sont soudainement déplacées entraînant quatre maisons dans le puits, heureusement sans causer de pertes de vie.

 

Le savant juge de première instance dit à propos de ce programme:

 

                   D'après la preuve, c'est la paroi est, adjacente à la ville, qui risque de bouger. C'est dans ce secteur que la Compagnie a acheté un terrain aux fins de veiller à la stabilité des pentes, de manière à être en mesure de continuer d'exploiter la mine.

 

Il a aussi conclu:

 

Aucune partie du gisement n'est sous‑jacente aux biens‑fonds acquis à cette fin au cours des années d'imposition 1969 et 1970. En d'autres termes, alors que ces biens‑fonds n'ont pas accru les réserves de la mine d'où l'on pouvait extraire le minerai, leur acquisition a permis à la Johns‑Manville d'extraire et de vendre celui qui se trouvait déjà dans la mine.

 

5.                Le savant juge de première instance a conclu que ces dépenses d'acquisition de biens‑fonds n'étaient pas des dépenses de capital, mais plutôt des dépenses faites dans le cours des opérations minières et dont il fallait tenir compte dans le calcul du revenu net qui en découlait. Pour arriver à cette conclusion, le juge dit: "La preuve révèle également que l'acquisition de biens‑fonds à la périphérie de son puits de mine a fait constamment partie des opérations minières de la Johns‑Manville et que l'achat des terrains est intervenu chaque année pendant près de quarante ans. Le coût d'acquisition de ces terrains ne représente..." qu'environ 3 pour 100 du coût moyen des ventes de l'appelante au cours de la période de huit ans s'étendant de 1966 à 1973 inclusivement. Il poursuit:

 

Les dépenses relatives aux terrains attenants à la mine n'ont rien ajouté au minerai d'amiante. Elles n'ont pas contribué à sa préservation. Les terrains acquis au moyen de ces dépenses ont plutôt été, pour l'essentiel, employés à tous les usages pratiques dans le cours des opérations minières de la Johns‑Manville et à titre d'élément de ces opérations. Par conséquent, ces dépenses étaient "accessoires à la production et la vente de ce qui était extrait de la mine" (v. Denison Mines Limited c. M.R.N. [[1976] 1 R.C.S. 245]) et faisaient partie du coût dans le calcul des profits.

 

Le juge conclut:

 

                   En conséquence, après avoir examiné l'ensemble des éléments de preuve et, comme je l'ai déjà mentionné, après avoir envisagé la nature des dépenses, en me fondant sur les usages courants en matière commerciale plutôt que sur la nature de l'actif acquis au moyen de ces dépenses, j'en conclus que les dépenses en litige, effectuées au cours des années d'imposition 1969 et 1970, n'étaient pas imputables au compte de capital au sens de l'alinéa 12(1) b) de la Loi de l'impôt sur le revenu .

 

La Cour d'appel, dont le juge Ryan a rédigé l'arrêt, a infirmé la décision de première instance et conclu qu'il s'agissait de dépenses de capital, qui ne pouvaient être imputées comme dépenses dans le calcul des profits tirés des opérations minières de l'appelante. Dans ses motifs de jugement, le juge reconnaît:

 

Il ne fait aucun doute que le mort‑terrain, la terre et le roc enlevés au cours de la fusion des lots de terrain et de la mine ont une valeur commerciale minime ou nulle. Il se peut en outre qu'à la fin de l'extraction du minerai, l'emplacement du dépôt d'amiante et de la mine ne soit plus qu'un terrain sans valeur‑‑c'est bien possible.

 

Plus loin dans l'arrêt, il dit encore: "Il se peut même, ainsi qu'il [le juge de première instance] a conclu, que les lots en question soient d'une certaine façon utilisée". En fait, la Cour d'appel dit: «... je souscris aux principales conclusions de fait du juge de première instance».

 

6.                Toutefois en arrivant à la conclusion qu'il s'agit de dépenses de capital, on affirme:

 

Selon moi, les lots ont été achetés parce qu'ils étaient adjacents à la mine et pouvaient ainsi servir à prolonger sa pente, de telle sorte qu'ils devenaient partie de la mine et servaient de terrain sur lequel une partie des opérations était effectuée; par exemple, les voies (pouvant changer d'endroit lorsque la paroi est prolongée), qui montent en spirale sur les côtés de la mine, servent à transporter le minerai en dehors de celle‑ci.

 

Plus loin, il est dit que les dépenses ont été:

 

... consacrées à l'achat de terrains qui ont été incorporés dans la structure opérationnelle de l'entreprise ...[Cela] prévaut contre l'idée selon laquelle l'intimée achète des lots tous les ans en prévision de la baisse du niveau du gisement du minerai et contre l'idée selon laquelle ces lots ne pourront que faire partie d'un terrain sans valeur lorsqu'elle cessera d'exploiter la mine.

 

7.                Dans son arrêt, la Cour d'appel a fait une distinction avec l'arrêt de cette Cour Denison Mines Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1976] 1 R.C.S. 245. Dans cet arrêt, cette Cour a conclu que l'aménagement de corridors et des voies de roulage dans une mine au cours de l'extraction du minerai engendre non pas des dépenses de capital, mais des dépenses déductibles du prix de vente du minerai extrait. La Cour a conclu que, selon les principes commerciaux courants, le coût de l'extraction du minerai était déductible dans le calcul des profits ou des pertes annuels découlant des opérations minières. L'aménagement de galeries, de voies de roulage et de corridors était vraiment accessoire à l'exploitation de la mine ou en découlait. La Cour d'appel a établi une distinction entre cette affaire et l'espèce parce que, dans cette affaire, la contribuable était tenue de faire ces dépenses qui étaient liées à l'extraction même du minerai.

 

8.                Le fait que les dépenses en l'espèce aient été engagées pour l'acquisition de biens‑fonds constitue probablement une partie importante voire essentielle du raisonnement qui a amené la Cour d'appel à conclure qu'il s'agit de dépenses de capital. En concluant, comme en font foi les citations qui précèdent, que l'élément dominant était le fait que les lots ont été acquis pour être intégrés dans la structure opérationnelle de l'entreprise, la Cour d'appel s'est appuyée sur l'arrêt Knight v. Calder Grove Estates (1954), 35 T.C. 447. Comme dans le présent pourvoi, cette affaire portait sur l'exploitation d'une mine à ciel ouvert et le contribuable, qui était déjà propriétaire des droits miniers, a acquis les droits sur la surface des biens‑fonds situés au‑dessus du gisement minier. Il n'était pas possible d'atteindre les minéraux sans passer par les biens‑fonds acquis et, de toute évidence, s'il n'y avait eu qu'un seul propriétaire de la surface et des minéraux, il n'y aurait eu qu'une seule acquisition. Il n'est donc pas surprenant qu'à la p. 453 lord Upjohn ait conclu, d'après ces faits, que [TRADUCTION]  «[i]l s'agit de l'achat d'un terrain à des fins commerciales ....» L'acquisition de la surface et l'acquisition des minéraux étaient toutes deux essentielles et reconnues comme telles, dès le début de l'entreprise minière, pour ouvrir la mine.

 

9.                Il est intéressant de souligner que l'intimé, le ministre du Revenu national, dans l'arrêt Denison, précité, a adopté un point de vue contraire à celui de Sa Majesté dans le présent pourvoi. Dans l'affaire Denison, le Ministre a affirmé que les dépenses étaient des dépenses courantes et non pas des dépenses de capital, alors qu'ici il soutient que les dépenses d'exploitation de la mine sont des dépenses de capital et non des dépenses engagées pour l'extraction du minerai. Il est probable, bien que la Cour d'appel ne le dise pas expressément, que les dépenses dont il est question en l'espèce ne sont pas des dépenses courantes parce qu'elles sont faites, d'une certaine manière, à titre de mesure préparatoire à l'extraction même du minerai. C'est une distinction qui est peut‑être trop subtile pour ce qui est de déterminer l'assujettissement à l'impôt. Si c'était là un élément déterminant ou un critère, alors, d'après les circonstances de l'arrêt Denison, si le forage traversait momentanément du roc qui ne contient pas de minerai, les dépenses deviendraient des dépenses de capital, mais reprendraient leur nature de dépenses courantes lorsque le perçage de galeries atteindrait de nouveau du roc contenant du minerai. Cette explication de l'arrêt Denison semblerait contredire la déclaration qui est faite plus loin dans l'arrêt de la Cour d'appel:

 

Une fois utilisés, les lots deviennent partie intégrante d'une structure constituée du gisement et de la mine en pente, sans lesquels l'entreprise ne pourrait être exploitée parce qu'il y aurait danger d'éboulement.

 

Dans l'affaire Denison, l'exploitation de la mine ne pouvait se poursuivre sans l'aménagement et le maintien des voies de roulage résultant de l'extraction du roc contenant du minerai. Dans l'affaire Denison et en l'espèce, les dépenses de la contribuable ont amené la création d'installations qui, par la suite, d'après la Cour d'appel, ont été liées d'une certaine façon à l'extraction du minerai. Dans un cas, le Ministre les a caractérisées de dépenses d'exploitation et dans l'autre cas de dépenses de capital. Cette Cour a, dans l'arrêt Denison, conclu que la première caractérisation était la bonne sur le plan juridique, compte tenu des faits. Il s'agit maintenant de décider s'il faut arriver à la même conclusion suivant les faits de la présente espèce.

 

10.              La simple question qui doit être tranchée en l'espèce est donc la suivante: lorsqu'elle acquiert de nouveaux biens‑fonds en surface, dont elle a besoin pour l'agrandissement du cône, la contribuable peut‑elle porter le prix d'acquisition de ces biens‑fonds au compte des dépenses de production ou doit‑elle inscrire le coût de ces biens‑fonds comme une dépense de capital? Les dépenses engagées par la contribuable pour enlever le mort‑terrain de ces biens‑fonds ne sont pas en cause. Il y a lieu de souligner qu'à un moment donné le Ministre a accordé une déduction pour épuisement à l'égard d'une partie des biens‑fonds ainsi acquis. Les deux parties ont reconnu qu'il s'agissait d'une mesure de conciliation plutôt que d'une interprétation fondée sur les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu relatives aux déductions pour épuisement. Ces biens‑fonds ne contenaient pas de minerai et ne faisaient pas partie des terrains situés en surface au‑dessus du gisement de minerai. Il va sans dire que la caractérisation de ces déboursés comme dépenses de capital enlevait à la contribuable toute possibilité de déduction du revenu à leur égard. Ce facteur n'est pas déterminant, mais peut avoir une importance dans l'appréciation de l'interaction entre les dispositions relatives aux "dépenses" et celles relatives au "capital" selon l'économie générale de la loi.

 

11.              L'espèce porte uniquement sur le par. 12(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, qui dispose:

 

                   12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune déduction à l'égard

 

a)                d'une somme déboursée ou dépensée, sauf dans la mesure où elle l'a été par le contribuable en vue de gagner ou de produire un revenu tiré de biens ou d'une entreprise du contribuable,

 

b)                d'une somme déboursée, d'une perte ou d'un remplacement de capital, d'un paiement à compte de capital ou d'une allocation à l'égard de dépréciation, désuétude ou d'épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie,

 

12.              L'article 4 de la Loi peut également être important:

 

                   4. Sous réserve des autres dispositions de la présente Partie, le revenu provenant, pour une année d'imposition, d'une entreprise ou de biens est le bénéfice en découlant pour l'année.

 

13.              Lorsqu'il s'agit d'examiner les principes de droit pertinents applicables à la caractérisation d'une somme déboursée comme dépense d'exploitation ou comme dépense de capital, l'observation formulée par le maître des rôles sir Wilfred Greene dans l'arrêt British Salmson Aero Engines, Ltd. v. Commissioner of Inland Revenue (1937), 22 T.C. 29, à la p. 43 constitue un point de départ déconcertant:

 

[TRADUCTION]  ... il y a eu ... de nombreux cas où cette question de capital ou de revenu a été débattue. Il y a de nombreux cas qui se situent à la limite; en effet, dans de nombreux cas il est presque vrai de dire que tirer à pile ou face permettrait de trancher la question de façon presque aussi satisfaisante qu'essayer de trouver des raisons...

 

Cette Cour a eu à se prononcer au sujet de l'al. 12(1)b) dans l'arrêt Minister of National Revenue v. Algoma Central Railway, [1968] R.C.S. 447. Le juge Fauteux, alors juge puîné, affirme à la p. 449:

 

                   [TRADUCTION]  Le Parlement ne définit pas les expressions "dépense...de capital" ou "dépense à compte de capital". Comme il n'y a pas de critère législatif, appliquer ou non ces expressions à toutes dépenses particulières doit dépendre des circonstances propres à l'affaire. Nous ne pensons pas qu'un critère unique permet d'élaborer cette définition ...

 

À ce propos, la Cour dit qu'elle est d'accord avec l'arrêt du Conseil privé B.P. Australia Ltd. v. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Australia, [1966] A.C. 224. Dans cet arrêt, le Conseil privé a statué qu'un paiement fait par la contribuable à un exploitant de station‑service pour l'inciter à conclure un contrat de représentation exclusive était une dépense d'exploitation et non une dépense de capital. Le contrat était d'une durée de cinq ans et constituait en quelque sorte un actif qui accordait à la contribuable la possibilité de distribuer de l'essence de façon exclusive par l'entremise de l'exploitant de cette station‑service. Lord Pearce a néanmoins conclu, à la p. 260:

 

                   [TRADUCTION]  L'objectif ultime de B.P. était de vendre de l'essence et de maintenir ou d'augmenter son chiffre d'affaires. Il ne peut y avoir de doute que tout paiement d'une somme forfaitaire avait pour objet ultime de maintenir ou d'augmenter la quantité d'essence vendue.

 

En l'espèce, la contribuable a fait une dépense non pas dans le but d'acquérir un bien‑fonds duquel elle pourrait enlever le roc qui ne contient pas de minerai, mais dans le but de tirer un revenu du gisement déjà existant qu'elle possédait et qui n'était pas situé sous le bien‑fonds en cause. Après avoir examiné les différentes façons d'aborder le problème de la classification en droit et en comptabilité de la nature du déboursé, lord Pearce dit, aux pp. 264 et 265:

 

                   [TRADUCTION]  On ne peut pas trouver la solution du problème en appliquant un critère ou une description rigide. Elle doit découler de plusieurs aspects de l'ensemble des circonstances dont certaines peuvent aller dans un sens et d'autres dans un autre. Une considération peut se détacher si nettement qu'elle domine d'autres et de plus vagues indications dans le sens contraire. C'est une appréciation saine de toutes les caractéristiques directrices qui doit apporter la réponse finale. Bien que les catégories de dépenses de capital et de dépenses d'exploitation soient distinctes et facilement reconnaissables dans les cas clairs qui sont loin des cas limites, la distinction est souvent difficile à établir dans les cas limites; les considérations contradictoires peuvent engendrer une situation où la réponse tient à des facteurs de degré et d'insistance. Cette réponse

 

"dépend de l'effet envisagé de la dépense d'un point de vue pratique et commercial plutôt que de la classification juridique des droits, s'il en est, garantis, employés ou épuisés en cours de route":

 

le juge Dixon dans l'arrêt Hallstroms Pty. Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation (1946), 72 C.L.R. 634, 648.

 

(C'est moi qui souligne.)

 

14.              Le Conseil privé a appliqué un autre critère dans la caractérisation des dépenses dans l'arrêt B.P. Australia Ltd., précité, à la p. 271:

 

                   [TRADUCTION]  Enfin, les dépenses ont‑elles été engagées à l'égard de l'entreprise qui devait générer les profits ou faisaient‑elles partie du processus générateur de revenus?

 

Cette question est tout spécialement pertinente vu les circonstances du présent pourvoi. Le Conseil privé a répondu qu'il fallait considérer la dépense non pas comme engagée à l'égard de l'entreprise, mais plutôt comme faisant partie du processus générateur de revenus. À la page 273, lorsqu'il examine la façon dont l'avantage tiré de la dépense devait être utilisé, lord Pearce affirme que cet avantage devait être utilisé [TRADUCTION]  "dans le cadre de l'effort soutenu qui est déployé en vue d'obtenir des commandes et de vendre de l'essence". À mon avis, on en arrive au même résultat dans les circonstances du présent pourvoi. L'extraction du minerai constitue manifestement un effort soutenu qui forme l'occupation principale de la contribuable et la dépense faite en l'espèce, comme en fait foi son caractère répétitif d'année en année et son rôle dans le processus d'extraction du minerai, fait partie des opérations essentielles de la contribuable visant à générer des profits.

 

15.              À la page 647 de l'arrêt Hallstroms [Hallstroms Pty. Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation (1946), 72 C.L.R. 634], le juge Dixon, tel était alors son titre, dit, à propos de la différence entre les dépenses de capital et les dépenses d'exploitation, que la distinction tient à la différence:

 

[TRADUCTION]  entre l'acquisition des moyens de production et leur usage; entre l'établissement ou l'extension de l'entreprise et son exploitation; entre les instruments de travail et l'exécution régulière des travaux ...; entre une entreprise et l'effort soutenu de ceux qui en font partie.

 

16.              D'autres critères ont été adoptés dans d'autres systèmes fiscaux. En Australie également, dans l'arrêt de la Haute Cour Sun Newspapers Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation (1938), 61 C.L.R. 337, le juge Dixon, s'exprimant au nom de la cour, énonce trois principes qui doivent s'appliquer à la caractérisation d'une dépense faite par le contribuable, aux fins de l'application de la loi fiscale. Il dit, à la p. 363:

 

                   [TRADUCTION]  À mon sens, il faut examiner trois aspects: a) la nature de l'avantage recherché (son caractère permanent peut alors entrer en ligne de compte), b) son utilisation, son importance ou la façon d'en jouir (comme pour le critère précédent, la fréquence de l'emploi peut représenter un élément à considérer) et c) les moyens adoptés pour l'obtenir; par exemple, des compensations ou des débours ont‑ils été effectués périodiquement en contrepartie de l'utilisation ou de la jouissance et pour une durée proportionnée au paiement? Ou encore, existe‑t‑il une clause définitive pour en garantir à l'avenir l'utilisation ou la jouissance, ou un paiement final à cet effet?

 

À la page précédente, le juge avait dit pour expliquer un autre aspect du critère:

 

[TRADUCTION]  ... il faut la considérer comme dépense d'exploitation si son objet la range dans la très grande catégorie des choses qui, dans l'ensemble, constituent la demande constante à laquelle il faut répondre à même les revenus d'une activité ou de son capital de roulement, mais il n'est pas nécessaire que la répétition de la chose se produise ou soit probable.

 

Dans cette affaire, la cour devait caractériser un paiement fait par un concurrent à un autre pour s'assurer l'arrêt d'une entreprise nouvelle et menaçante. La cour a conclu qu'il s'agissait d'un paiement de capital qui ne pouvait être imputé au revenu.

 

17.              Il y a presque une infinité de nuances d'expressions qui servent à établir la différence entre des dépenses à porter au compte de revenu et des dépenses de capital. On a dit que la terminologie utilisée tente simplement d'identifier les facteurs particuliers qui peuvent faire pencher la balance dans un sens ou dans l'autre, dans un cas donné. À une époque, on a cru utile d'identifier les fonds dépensés soit comme "capital de roulement", soit comme "capital fixe". Le vocabulaire a changé, mais le problème de classification est demeuré.

 

18.              Un autre exemple de ces critères utiles mais non déterminants et du changement du vocabulaire en droit fiscal se trouve dans l'arrêt du Conseil privé Commissioner of Taxes v. Nchanga Consolidated Copper Mines Ltd., [1964] A.C. 948, où le vicomte Radcliffe dit, à la p. 959:

 

[TRADUCTION]  Il faut cependant se rappeler que toutes les expressions comme, par exemple, "bénéfice durable" ou "structure du capital" sont essentiellement descriptives plutôt que définitoires et que chaque fois qu'on lui soumet un nouveau cas et que l'on tente de raisonner par analogie en rapprochant ses faits avec ceux de décisions antérieures, la cour a d'abord le devoir de se demander jusqu'à quel point une description qui est à la fois pertinente et importante dans un ensemble de circonstances l'est aussi dans celles du cas qui lui est alors soumis.

 

Le comité judiciaire a ajouté à la p. 960 que, dans la définition de ce qu'est une structure de capital établie en vue d'un bénéfice "durable", "durable" ne signifie pas nécessairement permanent ni même perpétuel.

 

19.              Les analogies dans ce domaine sont innombrables. Celle à laquelle on pense d'abord est le paiement d'une somme forfaitaire à un employé pour mettre fin à un contrat d'emploi ou éteindre des droits à l'occasion d'un renvoi. Il a été décidé, il y a de nombreuses années, qu'un tel paiement doit être imputé au compte de revenu plutôt qu'au compte de capital. Dans l'arrêt Mitchell v. B.W. Noble, Ltd., [1927] 1 K.B. 719, le maître des rôles lord Hanworth affirme, à la p. 737, que le paiement a été fait [TRADUCTION]  «en vue non pas de procurer un bien à la compagnie, mais de lui permettre de poursuivre ses activités comme elle l'avait fait dans le passé...» Les cours d'instance inférieure ont conclu toutes les deux, en l'espèce, qu'il n'y a pas eu d'intention d'acquérir un bien durable et qu'aucun bien durable n'a été acquis. La Cour de première instance et la Cour d'appel ont toutes les deux conclu, en des termes légèrement différents, que le bien‑fonds avait été consommé dans le processus d'exploitation minière. Si cette analogie est applicable, la caractérisation en tant que "dépense d'exploitation" est préférable dans les circonstances de l'espèce.

 

20.              À un moment donné, le critère appliqué par les tribunaux pour distinguer entre revenu et capital était le critère dit "une fois pour toutes". Ce critère a été adopté par le vicomte Cave, lord Chancelier, dans l'arrêt British Insulated and Helsby Cables, Ltd. v. Atherton, [1926] A.C. 205, à la p. 213. Le vicomte Cave fait remarquer que la caractérisation comme revenu ou comme capital est une question de fait, mais il s'est intéressé à la réponse à la question à cause d'une conclusion imprécise des cours d'instance inférieure. Le critère qu'il adopte, à la p. 213, consiste à [TRADUCTION]  "affirmer qu'une dépense de capital est une chose qui se produit une fois pour toutes et qu'une dépense d'exploitation est une chose qui se reproduit chaque année", bien qu'il reconnaisse que ce critère n'est pas [TRADUCTION]  "décisif dans tous les cas". Plus loin, aux pp. 213 et 214, le lord Chancelier explicite son idée:

 

[TRADUCTION]  ... lorsqu'une dépense est faite non seulement une fois pour toutes, mais dans le but de créer un bien ou un avantage qui profite à une entreprise de façon durable, je crois que c'est un motif très valable (en l'absence de circonstances spéciales menant à une conclusion dans le sens opposé) pour considérer une telle dépense comme véritablement imputable non pas au revenu, mais au capital.

 

En cela, la Cour s'est fondée sur l'arrêt antérieur Vallambrosa Rubber Co. v. Farmer, [1910] S.C. 519, à la p. 525. Quelques années plus tard, dans l'arrêt Ounsworth v. Vickers, Ltd., [1915] 3 K.B. 267, à la p. 273, le juge Rowlatt a considéré que ce critère exigeait non pas que la dépense soit annuelle pour être déductible du revenu, mais que la dépense soit [TRADUCTION]  "faite en vue de répondre à une demande continue".

 

21.              Cette analyse de la jurisprudence nous ramène à l'idée première exprimée par lord Reid dans l'arrêt Regent Oil Co. v. Strick, [1966] A.C. 295, à la p. 313:

 

[TRADUCTION]  Il n'est donc pas surprenant qu'aucun critère, principe ou règle pratique ne soit déterminant. En définitive, il s'agit d'une question de droit que la cour doit trancher, mais c'est là une question à laquelle il faut répondre en fonction de toutes les circonstances dont il faut raisonnablement tenir compte; le poids qu'il faut accorder aux circonstances particulières d'un cas donné doit dépendre du bon sens plutôt que de l'application stricte d'un principe juridique quelconque.

 

(C'est moi qui souligne.)

 

22.              Avec égards il n'est pas très utile d'essayer de caractériser la dépense en fonction de son objet. Ici il s'agit d'un bien‑fonds et une dépense pour un bien‑fonds peut, selon les principes de comptabilité et les principes de droit, se caractériser comme une dépense de capital ou, dans d'autres circonstances, comme une dépense imputable au revenu dans le calcul du profit. Selon les termes du lord juge Romer:

 

[TRADUCTION]  Cela ne dépend nullement de ce que peut être la nature du bien en fait ou en droit. Un bien‑fonds peut dans certaines circonstances constituer un capital de roulement. Un bien meuble ou un droit peut constituer un capital fixe. Le facteur déterminant doit être la nature de l'entreprise dans laquelle le bien est utilisé.

 

Golden Horse Shoe (New), Ltd. v. Thurgood, [1934] 1 K.B. 548 (C.A.), à la p. 563.

 

Le droit immobilier en cause dans cette affaire consistait en de grands amas de résidus et les tribunaux ont conclu que l'acquisition de ce droit était une dépense d'exploitation et non une dépense de capital.

 

23.              Les auteurs ont fait des efforts inouïs pour tenter de concilier les divers critères et normes que les tribunaux ont appliqués pour trancher cette question. On a affirmé à maintes reprises, sauf dans l'arrêt déjà mentionné British Insulated and Helsby Cables, qu'il s'agit d'une question de droit. Il n'y a pas de doute que c'est vrai pour l'ensemble. Toutefois, les faits sous‑jacents qui servent à trancher la question de droit sont si intimement liés aux principes de droit qu'il est difficile de dire qu'il ne s'agit pas, au moins, d'une question mixte de droit et de fait. Après avoir analysé la jurisprudence relative aux règles dites "une fois pour toutes" et "de bon sens", un auteur a conclu:

 

[TRADUCTION]  Les tribunaux semblent maintenant avoir accepté un "critère des biens identifiables" qui fait de l'acquisition ou de l'enrichissement d'un actif immobilisé l'élément déterminant de la dépense de capital. Le critère est le suivant: Le paiement a‑t‑il un lien avec un actif immobilisé?

 

Pinson on Revenue Law (15th ed. 1982), à la p. 50.

 

D'autres auteurs ont tendance à se tourner vers la jurisprudence plus ancienne où on s'est servi des expressions "capital fixe" d'une part et "capital de roulement" d'autre part, de sorte qu'une dépense faite en vue du premier objet constituait une dépense de capital alors qu'une dépense faite en vue du dernier objet n'en constituait pas une. Les définitions dans ces cas étaient, bien sûr, déterminantes quant au sens du raisonnement de la Cour. Capital fixe voulait dire celui qui prend la forme ou l'aspect d'un bien tangible ou intangible, mais identifiable comme tel et qui produit directement un revenu ou peut servir à gagner ou à produire un revenu, comme par exemple une machine. D'autre part, capital de roulement signifiait la forme ou partie des richesses d'un contribuable qu'il entend utiliser c.‑à‑d. consacrer ou affecter à l'entreprise, l'y dépenser ou mettre en circulation, de façon temporaire et qui revient au bureau principal en rapportant un profit. C'est le cas de l'inventaire dans une entreprise de vente. Le savant auteur de Revenue Law, Butterworths, 1981, John Tiley a refusé, à la p. 226, de reprendre l'ancien vocabulaire de "capital de roulement" et de "capital fixe" comme critère et il a de même refusé de moderniser le critère dit, "une fois pour toutes", précité. Il rejette ce dernier critère parce que toutes les dépenses qui ont "un effet durable" ne sont pas des dépenses de capital, comme on a pu le voir dans l'arrêt sur l'emploi précité. Il critique ensuite le critère du bien, particulièrement lorsque [TRADUCTION]  «le bien n'est pas identifiable comme partie de l'actif de l'entreprise ...» (p. 226) et conclut, à la même page, au sujet de ceux qui s'en tiennent de trop près à l'usage du bien acquis pour déterminer la nature de la dépense, qu'il y a un [TRADUCTION]  "danger que [le critère du bien] soit appliqué, à l'instar des critères qui l'ont précédé, sans tenir compte de la diversité des faits ou, encore une fois comme ceux qui l'ont précédé, sans tenir compte de l'avertissement de ceux qui l'ont formulé, portant que celui‑ci n'est pas universel".

 

24.              La situation fiscale sur la scène fédérale américaine ne nous aide pas beaucoup à résoudre ce problème. La disposition pertinente de l'Internal Revenue Code, savoir §162a), dispose notamment:

 

                   [TRADUCTION]  §162. ...

 

a) ... Il est permis de déduire toutes les dépenses ordinaires et nécessaires faites ou engagées pendant l'année d'imposition dans l'exploitation de tout commerce ou entreprise...

 

(C'est moi qui souligne.)

 

25.              Pour déterminer ce qui est "ordinaire et nécessaire" les tribunaux américains ont adopté un point de vue semblable à la "règle du bon sens" déjà mentionnée. Dans l'arrêt Kennecott Copper Corp. v. United States, 347 F.2d 275 (1965) (Ct. Cls.), la Cour affirme à la p. 304:

 

[TRADUCTION]  ... il ne faut pas donner aux termes "ordinaires et nécessaires" employés dans la Loi le genre de sens étroit et restreint qu'on trouve dans un dictionnaire, mais il faut les appliquer dans chaque cas en fonction de l'entreprise du contribuable et des circonstances qui ont donné lieu à la dépense.

 

(Voir également: Welch v. Helvering, 290 U.S. 111 (1933), le juge Cardozo, aux pp. 113 à 115). On a cependant dit:

 

[TRADUCTION]  Prise comme une interdiction de déduire les dépenses de capital, l'expression "ordinaires et nécessaires" équivaut toutefois à jeter un mouchoir sur ce qui est déjà sous une couverture. Il en est ainsi parce que §263a) de l'IRC, qui interdit la déduction de toute somme payée pour l'acquisition, l'amélioration ou la transformation d'un bien, comporte explicitement "le principe fondamental qu'une dépense de capital n'est pas déductible du revenu courant" et l'emporte sur §162 de l'IRC.

 

Boris I. Bittker. Federal Taxation of Income, Estates and Gifts (Boston 1981), vol. 1, p. 20‑43.

 

Le savant auteur, après avoir traité d'une règle qui semble équivalente à notre règle du bien distinct, précitée, dit à la p. 20‑66:

 

[TRADUCTION]  Il y a cependant beaucoup d'autres situations où le critère ordinaire de la dépense de capital est beaucoup trop général ou trop restreint. Les critères des "biens supplémentaires distincts et séparés" et de "l'utilité au delà de l'année courante" appliqués de façon rigoureuse auraient pour effet de caractériser l'acquisition de nombreux achats de menus articles comme dépenses de capital...

 

L'Internal Revenue Code est bien sûr un ensemble de dispositions articulées de façon beaucoup plus précise que ne le sont les lois fiscales du Royaume‑Uni et du Canada qui comportent moins de dispositions et sont formulées de façon plus générale. Le Congrès a voulu viser expressément certains secteurs du commerce et de l'industrie, et le Code comporte en conséquence environ 2 000 articles, en plus de nombreux règlements. Par conséquent, la doctrine fiscale américaine parle de l'exception à la déductibilité du revenu de certaines dépenses lorsque ces dépenses ont pour résultat l'acquisition de droits de propriété, puisque de telles dépenses peuvent être récupérées grâce à des dispositions légales compliquées en matière de déductions pour épuisement. De plus, une disposition spéciale de l'IRC (§616a)) permet à l'exploitant d'une mine de déduire les dépenses [TRADUCTION]  "qui résultent directement des activités ou des opérations d'exploitation minière comme le creusage de puits, de tunnels, de galeries et des opérations semblables visant à rendre le minerai accessible pour les opérations de production". De plus, l'IRC comporte des dispositions détaillées quant à la déduction des dépenses d'aménagement dans l'exploitation minière de façon générale (ajoutées par les al. 309a) et d) dans la Loi de 1951). Outre les dispositions relatives à l'exploitation minière contenues dans la législation américaine et les règlements d'application de cette législation, le critère généralement employé pour distinguer entre une dépense de capital et une dépense d'exploitation consiste, en vertu de l'arrêt de la Cour suprême des États‑Unis Commissioner of Internal Revenue v. Lincoln Savings & Loan Assn., 403 U.S. 345 (1971), à la p. 354, en un critère général qui est précédé de la remarque portant que [TRADUCTION]  "... l'existence d'un avantage subséquent comportant un certain aspect futur n'est pas déterminante". La Cour affirme ensuite [TRADUCTION]  "Ce qui est important et déterminant ... c'est que ... le paiement serve à créer ou à améliorer,... ce qui est essentiellement un bien supplémentaire séparé et distinct..." Commentant cet arrêt, un savant auteur conclut:

 

[TRADUCTION]  À supposer qu'il s'agit d'une dépense ordinaire et nécessaire engagée dans l'exploitation de l'entreprise du contribuable, la réponse à la question de savoir si elle est déductible comme dépense d'affaires doit être déterminée en fonction de la nature de la dépense elle‑même, qui à son tour dépend de la portée et de la permanence de l'oeuvre accomplie grâce à la dépense. Il s'agit d'une question de fait.

 

Voir Mertens Law of Fed Income Tax §25.20 (1979 Rev., vol. 4A, chap. 25, p. 112).

 

26.              Après cette analyse de la jurisprudence, on peut constater que les principes énoncés par les tribunaux et les explications apportées quant à l'application de ces principes ne sont pas très utiles lorsqu'il est nécessaire, comme en l'espèce, d'appliquer ces principes à un ensemble précis de faits quelque peu inhabituels.

 

27.              Donc, la question à laquelle il faut répondre est celle‑ci: de quelle façon doit‑on appliquer les dispositions pertinentes de la Loi de l’impôt sur le revenu aux faits de l'espèce? L'alinéa 12(1)a) de la Loi, que je cite de nouveau ici pour plus de commodité, dispose:

 

                   12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune déduction à l'égard

 

a) d'une somme déboursée ou dépensée, sauf dans la mesure où elle l'a été par le contribuable en vue de gagner ou de produire un revenu tiré de biens ou d'une entreprise du contribuable,

 

Il est manifeste que la contribuable a fait ces dépenses "en vue de gagner ou de produire un revenu tiré de biens". Toutefois, le revenu ne provenait pas du bien acquis par les dépenses en cause en l'espèce. Le revenu de la contribuable provenait de l'exploitation minière. Pour être mieux en mesure de déterminer si ces dépenses sont déductibles en vertu des dispositions de la Loi, il est nécessaire d'examiner le texte de l'al. 12(1)b), conjointement avec l'al. 12(1)a), que je cite de nouveau ici pour plus de commodité.

 

                   12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune déduction à l'égard

 

                                                                    ...

 

b)                d'une somme déboursée, d'une perte ou d'un remplacement de capital, d'un paiement à compte de capital ou d'une allocation à l'égard de dépréciation, désuétude ou d'épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie,

 

La déduction pour amortissement ou pour épuisement découle de l'al. 11(1)a) de la Loi qui permet la déduction de "la partie de ce que coûtent en capital les biens au contribuable, ou la somme à l'égard de ce que coûtent en capital les biens au contribuable, s'il en est, qui est allouée par règlement". Le paragraphe 1100(1) du Règlement établit une liste de déductions pour amortissement et l'annexe B énonce les catégories de biens auxquelles les taux de déduction peuvent s'appliquer. Le bien en cause en l'espèce n'est pas mentionné à l'annexe B, en conséquence l'art. 11 ne permet aucune déduction pour amortissement du coût en capital de ces achats de biens‑fonds. De plus, sous réserve de toute concession faite par le Ministre, aucune déduction pour épuisement n'est disponible à l'égard de ces biens‑fonds puisqu'ils ne sont pas utilisés à des fins minières. En conséquence, il se peut que la contribuable puisse déduire, en vertu de l'al. 12(1)a), ces dépenses à titre de dépenses faites "en vue de gagner ou de produire un revenu" ou encore qu'elle ne dispose d'aucun allégement fiscal quelconque quant à ces dépenses continues. Il y a lieu de noter que pour autant qu'il n'y avait pas dans la Loi de catégorie applicable à l'amortissement du coût en capital d'un bien du genre de celui dont il est question en l'espèce, il ne peut être question d'une perte définitive à l'égard de ce bien au moment de la dissolution de l'entreprise minière de la contribuable. Si on conclut que la dépense faite pour acquérir ces biens‑fonds est légalement imputable au compte de revenu à titre de dépense déductible, il s'ensuit logiquement que la contribuable devrait, à la fin de l'exploitation, ajouter dans le revenu toute somme qu'elle pourrait avoir tiré de la vente de ces biens‑fonds. D'autre part, si le bien doit être considéré comme un actif immobilisé non amortissable alors, à la liquidation de tous les biens et éléments d'actif de l'appelante, il faudra déterminer si la contribuable a fait un gain ou une perte en capital, compte tenu du coût d'acquisition et du produit de la vente. L'appelante ne pourrait déduire une perte en capital qu'à l'égard de gains en capital réalisés, si la Loi restait comme elle est maintenant. À supposer encore une fois, que la Loi actuelle ne soit pas modifiée, le gain en capital serait imposable à la moitié du taux applicable au produit de la vente si celui‑ci était inclus dans le revenu. Ce raisonnement n'amène certainement pas de conclusion décisive en faveur ou contre l'une ou l'autre des parties. D'autre part, si l'interprétation d'une loi fiscale n'est pas claire et qu'une interprétation raisonnable entraîne une déduction au profit du contribuable alors qu'une autre interprétation laisse le contribuable sans allégement pour les dépenses réelles faites dans le cours de ses opérations commerciales, selon les règles générales d'interprétation des lois fiscales, le tribunal devrait choisir la première interprétation. C'est le cas en l'espèce, selon mon interprétation de ces dispositions législatives. Ces dépenses ont manifestement été faites pour des fins légitimes. Elles ne sont manifestement pas exclues par l'al. 12(1)a), ni par aucune autre disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu relative aux dépenses faites dans l'exploitation d'une entreprise. La seule justification dans la Loi, qui pourrait permettre d'écarter ces dépenses réelles intimement liées à l'exploitation minière de la contribuable est l'interdiction qu'énonce l'al. 12(1)b) relativement aux dépenses de capital. Je reviens donc aux commentaires du vicomte Cave dans l'arrêt B.P. Australia Ltd., précité, à la p. 271, où il dit:

 

[TRADUCTION]  Donc, s'il faut imputer ces paiements soit entièrement au revenu d'une année soit au capital, il semblerait que l'une ou l'autre solution présente des difficultés, mais que l'imputation au revenu est légèrement préférable.

 

28.              Dans la situation présente et dans l'analyse de ces faits, il peut être utile de faire observer ce qui suit:

 

1. Du point de vue pratique et commercial, ces dépenses avaient pour objet d'écarter un obstacle immédiat aux opérations minières de la contribuable et non d'acquérir un actif immobilisé;

 

2. Ces dépenses étaient faites bon an mal an comme partie intégrante des opérations quotidiennes de l'entreprise de la contribuable;

 

3. Ces dépenses constituent un élément facilement discernable, plus ou moins constant, des coûts quotidiens et annuels de production;

 

4. Ces biens‑fonds n'ont pas été acquis pour leur valeur intrinsèque, mais uniquement à cause de leur emplacement et, à la fin de l'exploitation minière de l'année en cause, ils n'avaient acquis aucune valeur intrinsèque et même, selon les constatations des cours d'instance inférieure, avaient été "consommés" dans le processus d'exploitation minière;

 

5. Ces dépenses procuraient un avantage provisoire qui n'avait pas de valeur durable parce qu'il fallait répéter ces dépenses ultérieurement si l'on voulait poursuivre l'exploitation minière;

 

6. Les biens‑fonds acquis au cours d'une année donnée n'ont pas pour effet de créer une paroi ou un périmètre permanent autour de la mine, mais constituent simplement un emplacement temporaire de la paroi de la mine en forme de cône; dans la mesure où la paroi du cône sert au transport du minerai depuis le fond du puits sur des chemins temporaires, il peut y avoir création d'un bien provisoire, mais ce bien disparaît à mesure que la paroi du cône s'éloigne pendant les années d'imposition suivantes;

 

7. La nature de ces dépenses devient claire lorsqu'on constate qu'elles ont été faites chaque année depuis près de quarante ans et qu'il n'y a aucune indication que les opérations minières auraient pu se poursuivre sans cette dépense annuelle;

 

8. La capitalisation de ces dépenses n'engendrera pas pour l'exploitant de la mine un bien pouvant être assujetti à des déductions pour amortissement ou pour épuisement, parce que, dans le premier cas, aucun bien reconnu dans la Loi de l’impôt sur le revenu n'est produit et, dans le second cas, parce que ces biens‑fonds ne contiennent pas de minerai que la contribuable extrait dans le cours de ses opérations minières;

 

9. Ces dépenses n'ont rien ajouté au gisement de minerai ni augmenté la capacité de production de la mine, et elles n'ont aucun rapport avec les biens utilisés pour l'exploitation de la mine, mais sont simplement des dépenses engagées pour l'enlèvement du mort‑terrain qui, s'il n'était pas enlevé, entraînerait l'arrêt des opérations minières;

 

10. Les dépenses sont mineures par rapport au coût d'exploitation de la mine, elles sont directement liées au coût d'exploitation et représentent en moyenne, à long terme, 3 pour 100 l'an.

 

29.              Les circonstances de l'espèce font penser à d'autres situations analogues. Les biens‑fonds, situés en périphérie de l'ouverture du puits de la mine, remplissent une fonction qui n'est pas différente de celle que remplit un catalyseur comme le platine dans le raffinage du pétrole en vue de produire de l'essence. L'acquisition du platine produit certainement, pour le raffineur, un bien précis ayant une valeur. À la fin de l'opération, le bien a soit physiquement disparu soit perdu ses propriétés utiles. Le raffineur ne possède plus le bien initial sous forme de platine, mais il a produit de l'essence pour la vente en l'utilisant dans le raffinage du pétrole. Si ce n'était de l'ajout explicite, en mars 1970, de la catégorie 26 intitulée "Biens qui sont constitués par un catalyseur" à l'annexe B du Règlement de l’impôt sur le revenu, le platine dans cet exemple aurait été déductible comme dépense. Le bien ici en cause n'est cependant pas mentionné dans l'annexe B. Le législateur n'a donc pas empêché qu'il soit traité comme une dépense si cette façon de le considérer est appropriée dans les circonstances. Encore par analogie, un exploitant de mine qui se trouve en présence d'une nappe d'eau située au‑dessus d'un gisement est dans une situation semblable à celle de l'appelante en l'espèce. On pourrait difficilement considérer l'enlèvement de l'eau pour mettre à nu les minéraux situés au fond du lac comme la création d'un bien. Le coût du pompage serait une dépense qui ne créerait pas un bien pour l'exploitant. En fait, à mesure que les opérations minières se poursuivent et que l'eau retourne naturellement au puits situé au fond du lac, cette eau doit être enlevée par des opérations de pompage successives. Le coût de ce pompage serait vraisemblablement, en l'absence d'autres facteurs compliquant les choses, une dépense adéquatement faite par la contribuable pour gagner un revenu et ne pourrait être considéré comme générateur d'un autre bien. En l'espèce, les biens‑fonds ont tout simplement disparu, comme le catalyseur dans l'opération de raffinage et l'eau dans l'opération minière sur le fond du lac. Dans aucune de ces situations, un bien n'est produit ou ne reste à la fin de l'opération. En l'espèce, à la fin des opérations minières, la contribuable sera propriétaire d'un grand trou à la surface de la terre. Les biens‑fonds acquis représentent des portions de la paroi inclinée du trou, les acquisitions plus anciennes étant plus basses que les acquisitions plus récentes. Il n'y a pas de bien au sens d'une superficie susceptible en soi d'être vendue. Une fois le trou rempli, probablement à grands frais, il y aurait une superficie de terrain qui pourrait avoir de la valeur sur le marché. Bien que le trou lui‑même et la portion de la paroi qui nous intéresse en l'espèce puissent peut‑être avoir une valeur quelconque, on peut difficilement les décrire comme un bien qui a une valeur réelle en soi. D'après la preuve soumise, l'exploitation de la mine prendra fin dans les années 1990. Les cours d'instance inférieure ont toutes les deux conclu qu'à ce moment les biens‑fonds auront disparu à toute fin utile.

 

30.              L'application du droit aux observations mentionnées ci‑dessus nous ramène à la déclaration de lord Wilberforce dans l'arrêt Tucker v. Granada Motorway Services Ltd., [1979] 2 All E.R. 801, où il affirme, à la p. 804:

 

                   [TRADUCTION]  Il arrive souvent dans les cas qui soulèvent la question de savoir si un paiement doit être considéré comme une dépense d'exploitation ou comme une dépense de capital que les indices soient contradictoires. En fin de compte, les tribunaux ne peuvent faire beaucoup mieux que de se former une opinion quant au côté où la balance penche. La jurisprudence mentionne un certain nombre de critères utiles à appliquer, mais nous avons été avertis plus d'une fois de ne pas chercher automatiquement à appliquer à un cas des termes ou formules jugés utiles dans un autre ... Cependant la jurisprudence est le meilleur outil que nous ayons, même s'il est parfois rudimentaire.

 

(C'est moi qui souligne.)

 

31.              Il faut aussi se rappeler les paroles déjà citées de lord Pearce dans l'arrêt B.P. Australia Ltd., précité, à la p. 264:

 

[TRADUCTION]  C'est une appréciation saine de toutes les caractéristiques directrices qui doit apporter la réponse finale.

 

32.              Si nous devons appliquer le critère à trois étapes adopté par la cour australienne dans l'arrêt Sun Newspapers Ltd., précité, ces dépenses seraient des dépenses d'exploitation plutôt que des dépenses de capital. La nature du bénéfice recherché s'identifie à celle d'un avantage dans les opérations courantes de la contribuable. L'opération était répétitive et l'objet de la dépense directement incorporé dans les opérations minières de la contribuable. Enfin, la contribuable se procurait cet avantage en déboursant périodiquement des fonds qui auraient été dans le passé caractérisés, selon le vocabulaire de l'époque, comme capital de roulement. Selon l'expression du juge Dixon, tel était alors son titre, dans l'arrêt Sun Newspapers Ltd., précité, à la p. 362, nous sommes en présence d'une dépense d'exploitation parce que:

 

[TRADUCTION]  ... son objet la range dans la très grande catégorie des choses qui, dans l'ensemble, constituent la demande constante à laquelle il faut répondre à même les revenus d'une activité ou de son capital de roulement, mais il n'est pas nécessaire que la répétition de la chose se produise ou soit probable.

 

Le même juge nous rappelle, dans l'arrêt Hallstroms Pty. Ltd., précité, à la p. 648, que la caractérisation de ces dépenses [TRADUCTION]  «... dépend de l'effet envisagé de la dépense d'un point de vue pratique et commercial plutôt que de la classification juridique des droits...» L'ancienne règle dite "une fois pour toutes", de même que le critère du "bon sens" déjà mentionné, nous amènent à conclure d'une manière favorable aux arguments de la contribuable.

 

33.              La caractérisation, en droit fiscal, d'une dépense est, en dernière analyse (à moins que la loi ne soit claire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce), une question de principe. Dans l'industrie minière, lorsque l'entreprise est une mine souterraine, dotée de biens comme des puits verticaux et des systèmes de transport horizontaux qui ne sont pas directement créés par l'extraction du minerai commercial, il y a application du procédé fiscal de la capitalisation. D'autre part, les opérations minières à ciel ouvert qui n'exigent aucune de ces installations fixes amènent l'imputation des dépenses faites à cet égard au compte de revenu. L'exploitation de mines à ciel ouvert avec voie d'accès conique (comme en l'espèce) et les dépenses qui y sont associées se situent à mi‑chemin entre ces deux grandes catégories d'entreprises minières. L'appréciation de la preuve et des conclusions qu'il faut en tirer, l'application du bon sens à l'entreprise de la contribuable en ce qui concerne les dispositions fiscales mènent, à mon humble avis, à la conclusion que les opérations minières en l'espèce se rapprochent davantage de l'exploitation minière ordinaire à ciel ouvert que de l'exploitation souterraine et je conclus, avec égards pour ceux qui ont conclu autrement, que le traitement fiscal approprié consiste à imputer ces dépenses au compte de revenu et non au compte de capital. Une telle décision est de plus conforme à un autre concept fondamental de droit fiscal portant que, si la loi fiscale n'est pas explicite, l'incertitude raisonnable ou l'ambiguïté des faits découlant du manque de clarté de la loi doit jouer en faveur du contribuable. Ce principe résiduel doit d'autant s'appliquer au présent pourvoi qu'autrement une dépense annuelle entièrement liée à l'exploitation quotidienne de l'entreprise de la contribuable ne lui procurerait aucun dégrèvement d'impôt sous forme de déduction pour amortissement ou pour épuisement s'il s'agit d'une dépense de capital, ou de déduction applicable au revenu s'il s'agit d'une dépense d'exploitation.

 

34.              En résumé, on peut donc dire sans crainte de contredire la preuve en l'espèce que la contribuable a réellement engagé ces dépenses dans l'exploitation régulière de son entreprise. Le bon sens exigeait que ces dépenses soient faites, sinon les opérations de la contribuable auraient nécessairement pris fin. Ces dépenses ne faisaient pas partie d'un projet visant à réunir des biens. Elles n'ont rien de commun avec une acquisition faite une fois pour toutes. Ces dépenses ne sont aucunement liées à l'aménagement d'un gisement minier ou d'un bien minier qui pourrait lui‑même être exploité indépendamment de tout gisement, d'où l'impossibilité de trouver un droit à une déduction pour amortissement ou pour épuisement à l'égard de cette dépense en vertu de la Loi. Ces dépenses ne sont pas exclues par l'al. 12(1)a); en fait, cette disposition de la Loi favorise l'inclusion de ces dépenses dans les dépenses permises parce qu'il n'y a dans la Loi aucune autre disposition applicable à celles‑ci qui sont, hors de tout doute, nécessairement engagées par la contribuable dans le cours de ses opérations minières, conformément aux pratiques approuvées en matière de commerce et d'ingénierie.

 

35.              Les avis de nouvelles cotisations que l'on trouve au dossier mentionnent [TRADUCTION]  "la déduction additionnelle pour épuisement" accordée à l'appelante et imputée aux biens‑fonds, dont le coût a été, à l'occasion des nouvelles cotisations, imputé au revenu. Malheureusement, les plaidoiries en cette Cour n'ont pas totalement élucidé la situation nette de la contribuable après ces nouvelles cotisations. Ce serait manifestement mal appliquer la loi fiscale que d'accorder à l'appelante une déduction pour épuisement "fictive" ou réelle à l'égard de ces biens‑fonds et de lui permettre en même temps d'imputer au revenu le coût des mêmes biens‑fonds à titre de dépenses d'exploitation. L'appelante n'a droit qu'au dernier traitement. Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, de renvoyer l'affaire au Ministre pour qu'il établisse une nouvelle cotisation conforme aux présents motifs, le tout avec dépens en faveur de l'appelante en cette Cour et dans les cours d'instance inférieure.

 

                   Pourvoi accueilli avec dépens.

 

                   Procureurs de l’appelante: Stikeman, Elliott, Robarts & Bowman, Toronto.

 

                   Procureur de l’intimée: R. Tassé, Ottawa.

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.