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R. c. Smith, [1991] 1 R.C.S. 714

 

Norman MacPherson Smith                                                              Appelant

 

c.

 

Sa Majesté la Reine                                                                          Intimée

 

répertorié:  r. c. smith

 

No du greffe :  21769.

 

1991: 25 janvier; 1991: 28 mars.

 

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

 

en appel de la cour suprême de la nouvelle‑écosse, section d'appel

 

                   Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Droit à l'assistance d'un avocat ‑‑ Renonciation ‑‑ Les policiers ont informé l'accusé de son droit à l'assistance d'un avocat lors de son arrestation en rapport avec une fusillade ‑‑ Omission par les policiers de préciser que la victime était décédée ‑‑ Violation du droit de l'accusé d'être informé des motifs de son arrestation ‑‑ L'accusé a‑t‑il été convenablement informé de son droit à l'assistance d'un avocat? ‑‑ L'accusé avait‑il assez de renseignements pour que sa renonciation à l'assistance d'un avocat soit valide? ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 10b) .

 

                   Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Admissibilité de la preuve ‑‑ Déconsidération de l'administration de la justice ‑‑ Accusé arrêté en rapport avec une fusillade ‑‑ Omission par les policiers de préciser que la victime était décédée ‑‑ Violation du droit de l'accusé d'être informé des motifs de son arrestation ‑‑ Déclaration faite par l'accusé -- La déclaration de l'accusé doit‑elle être exclue? ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 10a) , 24(2) .

 

                   Droit criminel ‑‑ Meurtre ‑‑ Exposé au jury ‑‑ La mention par le juge du procès de la négligence criminelle dans ses directives au jury sur la définition du meurtre invalide‑t‑elle l'exposé?

 

                   L'accusé a été inculpé de meurtre au premier degré.  Il ressort de la preuve qu'après plusieurs heures de libations avec deux amis et la victime, à la résidence de celle‑ci, il y a eu une altercation et que l'accusé a été roué de coups.  L'accusé est parti pour revenir quelques minutes plus tard avec un fusil.  La victime s'est moquée de lui.  L'accusé a tiré et a atteint la victime au visage et à la poitrine.  L'accusé est parti immédiatement, est retourné directement chez lui et a remplacé le fusil par une carabine et des munitions.  Il s'est ensuite rendu chez sa soeur.  Le lendemain matin, il a appelé les policiers et s'est rendu.  Dans le véhicule de police, un agent l'a avisé qu'il était en état d'arrestation "en rapport avec une fusillade" survenue à la résidence de la victime, il lui a dit qu'il avait le droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et lui a donné l'avertissement normal de la police.  L'accusé a répondu qu'il comprenait l'étendue de ses droits.  Au poste de police, l'agent a donné à l'accusé une deuxième occasion d'exercer ses droits.  L'accusé a refusé et a fait une déclaration dans laquelle il admettait la fusillade mais cherchait à l'expliquer sur le fondement de l'état d'ébriété et de la provocation.  L'accusé a été informé du décès de la victime de la fusillade environ une heure après sa déclaration.

 

                   Il n'était pas contesté au procès que l'accusé avait tiré le coup qui avait tué la victime.  Les moyens de défense principaux étaient ceux de l'ivresse et de la provocation.  L'avocat de la défense a soutenu que la déclaration de l'accusé ne devait pas être utilisée parce qu'elle violait les al. 10 a )  et 10 b )  de la Charte canadienne des droits et libertés , puisque les policiers n'avaient pas informé l'accusé, lors de son arrestation, du fait que la victime était décédée.  Le juge du procès a conclu que la déclaration était volontaire et ne devait pas être écartée pour cause de non‑respect de la Charte , étant donné que les déclarations des policiers lors de l'arrestation étaient "vraies dans l'ensemble" et qu'il était évident que l'accusé savait qu'"il avait été impliqué dans un crime très grave".  Dans son exposé au jury, le juge du procès a donné des directives sur les éléments des meurtres au premier et au deuxième degré et sur la signification de la préméditation et du propos délibéré.  Avant de définir le meurtre, le juge du procès a également donné des directives au jury sur la question de la négligence criminelle et a dit que pour une personne en état d'ébriété le fait de pointer un fusil chargé en direction d'une autre personne constitue de la négligence criminelle.  Le jury a rendu un verdict de culpabilité de meurtre au deuxième degré et la Cour d'appel à la majorité a maintenu la déclaration de culpabilité de l'accusé.

 

                   Devant notre Cour, comme en Cour d'appel, le ministère public a reconnu qu'il y avait eu violation du droit de l'accusé, en vertu de l'al. 10 a )  de la Charte , d'être informé sans délai des motifs de son arrestation.  Le présent pourvoi a pour but de déterminer (1) si l'accusé possédait suffisamment de renseignements pour évaluer correctement son besoin de recourir à l'assistance d'un avocat et pour prendre une décision valide quant à savoir s'il devait renoncer à ce droit; (2) si la déclaration de l'accusé aurait dû être écartée en vertu du par. 24(2)  de la Charte ; et (3) si l'exposé du juge du procès au jury était erroné parce qu'il donnait l'impression que la négligence criminelle était suffisante pour appuyer l'élément moral requis pour constituer un meurtre.

 

                   Arrêt:  Le pourvoi est rejeté.

 

                   La compréhension par l'accusé de sa situation est pertinente pour déterminer s'il a fait une renonciation valide et éclairée.  Cette position est dictée par l'al. 10 a )  de la Charte  qui accorde au détenu le droit d'être avisé sans délai des motifs de sa détention.  Peu importe si l'accent est mis sur le caractère suffisant de l'avis initial prévu à l'al. 10b) ou sur la renonciation, pour établir que la renonciation à l'assistance d'un avocat est valide, le juge du procès doit être convaincu que dans toutes les circonstances qui découlent de la preuve, l'accusé a compris d'une manière générale le risque qu'il courait et a évalué les conséquences de sa décision de ne pas avoir recours à l'assistance d'un avocat.  Il n'est pas nécessaire que l'accusé soit au courant de l'accusation précise qui est portée contre lui ni qu'il soit mis au courant de tous les détails de l'affaire.  Ce qui est nécessaire c'est qu'il possède suffisamment de renseignements pour lui permettre de prendre une décision éclairée et convenable sur la question de savoir s'il doit communiquer ou non avec un avocat.  L'accent devrait porter sur la réalité de la situation globale et son effet sur la compréhension de l'accusé plutôt que sur le détail technique relatif à ce qu'on peut avoir dit ou non à l'accusé.  En l'espèce, l'accusé connaissait suffisamment l'ampleur du risque qu'il courait pour lui permettre de renoncer validement au droit à l'assistance d'un avocat.  Les éléments de preuve appuient la conclusion du juge du procès que l'accusé savait que sa situation était d'une extrême gravité car il devait savoir, ou du moins soupçonner fortement, qu'il avait tué sa victime.

 

                   La déclaration de l'accusé obtenue par suite de la violation de l'al. 10a) a été admise à bon droit par le juge du procès.  Premièrement, il n'y a pas eu d'effet sur l'équité du procès vu que l'admission de la déclaration n'a pas porté atteinte au droit de l'accusé contre l'auto‑incrimination.  La déclaration n'était ni incriminante ni préjudiciable.  Étant donné la présence de témoins oculaires lors de la fusillade, il n'y avait aucun doute quant à l'identité de l'auteur du crime.  Les seules questions soulevées au procès se rapportaient aux moyens de défense d'ivresse et de provocation et la déclaration appuyait la position de l'accusé à l'égard de ses moyens de défense.  En outre, bien que la déclaration elle‑même n'aurait peut‑être pas été faite n'eût été la violation de la Charte , elle ne présente pas d'éléments de preuve qu'on n'aurait pas pu découvrir par ailleurs, sauf dans la mesure où ils ont aidé l'accusé.  En effet, la déclaration n'était pas essentielle pour justifier l'accusation car il y avait suffisamment d'éléments de preuve indépendants relatifs à la fusillade et aux événements qui l'ont précédés.  Deuxièmement, la violation de la Charte  n'était ni volontaire, ni délibérée, ni flagrante.  L'omission d'informer l'accusé du décès de la victime constituait un oubli qui ne peut raisonnablement être considéré comme ayant eu des conséquences graves pour l'accusé étant donné qu'il est peu vraisemblable qu'il ne savait pas que la victime était probablement décédée.  Troisièmement, la considération dont jouit l'administration de la justice ne serait pas servie par l'exclusion de la déclaration.

 

                   La mention par le juge du procès de la négligence criminelle dans ses directives au jury sur la définition du meurtre ne rend pas l'exposé invalide.  Interprété dans son ensemble, l'exposé donne des directives appropriées et complètes au jury en ce qui a trait aux éléments nécessaires du meurtre.  La mention de l'infraction de négligence criminelle, bien qu'inutile, ne pouvait pas induire le jury en erreur.

 

Jurisprudence

 

                   Arrêt appliqué: R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; distinction d'avec l'arrêt: R. v. Fraser (1984), 16 C.C.C. (3d) 250; arrêts mentionnés: R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138; R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755; Moran v. Burbine, 475 U.S. 412 (1986); Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383; R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980.

 

Lois et règlements cités

 

Charte canadienne des droits et libertés ,  art. 10 a ) , b), 24(2) .

 

Code criminel , L.R.C. (1985), ch. C‑46 , art. 686(1) b)(iii).

 

                   POURVOI contre un arrêt de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, Section d'appel (1990), 53 C.C.C. (3d) 97, 94 N.S.R. (2d) 361, 247 A.P.R. 361, qui a rejeté l'appel de l'accusé contre sa déclaration de culpabilité sur une accusation de meurtre.  Pourvoi rejeté.

 

                   Joel E. Pink, c.r., et Heather McKay, pour l'appelant.

 

                   Kenneth W. F. Fiske, pour l'intimée.

 

//Le juge McLachlin//

 

                   Version française du jugement de la Cour rendu par

 

                   Le juge McLachlin ‑‑ L'espèce porte sur une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré qui découle d'une fusillade survenue en Nouvelle‑Écosse.  Elle soulève un certain nombre de questions, notamment sur le droit d'un détenu d'être informé des motifs de sa détention et de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat.

 

Les faits

 

                   Le 13 juin 1988, Norman Smith, un pêcheur, a tué son ami Larry Goreham avec un fusil.  Smith et Goreham avaient consommé de l'alcool avec deux autres personnes, Earl Hopkins et Ronald Hines, dans la grange de Goreham.  Après plusieurs heures de libations, une dispute a éclaté entre Smith et Hopkins au sujet apparemment de leurs capacités respectives de pêcheurs.  Ils en sont venus aux coups.  Bien que les faits exacts soient contestés, il n'y a aucun doute que Smith a été roué de coups dans l'altercation.  Selon Hines, en quittant la grange il a pointé du doigt les autres hommes et a dit: [traduction] "Je vous aurai tous."  Smith nie avoir dit cela.

 

                   Smith est revenu dix à quinze minutes plus tard avec son fusil de calibre 12, chargé.  Hopkins a entendu le véhicule de Smith, a regardé par la fenêtre et a vu Smith qui tenait le fusil.  Smith a tiré un coup de feu qui a fracassé une fenêtre de la grange.  Hopkins s'est jeté par terre.  Goreham a été moins sage; de l'embrasure des portes supérieures de la grange, il a commencé à se moquer de Smith.  Smith a tiré.  Goreham a été atteint au visage et à la poitrine, il est tombé et il est mort.  Il ressort de l'enquête que le coup a été tiré d'une distance d'environ 96 pieds et que 169 projectiles ont atteint Goreham.

 

                   Smith est monté dans son véhicule et est allé chez lui.  Il a remplacé son fusil par une carabine et des munitions et s'est rendu chez sa soeur où il a passé la nuit.  Tôt le lendemain matin, il a téléphoné aux policiers et à 6 h ils sont venus l'arrêter.  Lorsque Smith est sorti de la maison pour se rendre, il a été entouré par trois policiers qui le tenaient en joue avec des carabines; on lui a ordonné de se mettre à genoux, on l'a menotté et placé à l'arrière d'un véhicule de police.

 

                   Dans le véhicule de police, l'agent Terry Faye a avisé Smith qu'il était en état d'arrestation [traduction] "en rapport avec une fusillade survenue à la résidence de Larry Goreham".  L'agent Faye a ensuite dit à Smith : [traduction] "[vous avez] le droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat".  L'agent a demandé à Smith s'il comprenait ce que cela signifiait et il a répondu:  [traduction] "Cela signifie que je peux avoir un avocat n'est‑ce pas?"  L'agent a répondu:  [traduction] "Oui, c'est cela".  L'agent Faye a ensuite donné à Smith l'avertissement normal de la police et lui a demandé s'il le comprenait.  Smith a répondu:  [traduction] "Je peux vous dire ce qui s'est passé ou je ne suis pas obligé de le faire".  L'agent a ensuite recommandé à Smith de ne rien dire jusqu'à ce qu'ils arrivent au poste de police.

 

                   Smith est arrivé au détachement de la G.R.C. à Barrington, comté de Shelburne, en Nouvelle‑Écosse, à 6 h 25.  Une fois dans une salle d'interrogatoire, l'agent Faye a dit:  [traduction] "Je veux simplement vous rafraîchir la mémoire au sujet de ce que je vous ai dit dans la voiture.  Tout d'abord, je vous ai dit que vous étiez en état d'arrestation et que vous pouviez communiquer avec un avocat.  Enfin, je vous ai lu l'avertissement de la police et vous avez dit que vous l'aviez compris.  Norman, voulez‑vous exercer ces droits au sujet de ce que je vous ai dit jusqu'à maintenant?"  Smith a répondu:  [traduction] "Non".  L'agent a ensuite dit à Smith: [traduction] "O.K. Norman, je voudrais connaître votre version des faits.  Nous avons entendu l'autre version et je crois qu'il est simplement juste que nous entendions votre version."  De 6 h 33 à 7 h 47, les policiers ont alors enregistré une déclaration de Smith dans laquelle il admettait la fusillade mais cherchait à l'expliquer sur le fondement de l'état d'ébriété et de la provocation.

 

                   Pendant que la déclaration était enregistrée, l'agent Faye a été en mesure de déceler une très faible odeur d'alcool dans l'haleine de Smith.  Il a également remarqué que l'oeil gauche de Smith était presque complètement fermé à cause de l'enflure et qu'il avait des marques de coups sur son visage.  Au cours de l'entrevue, l'agent Faye s'est également rendu compte que Smith ne savait pas que M. Goreham était décédé.  Les policiers avaient seulement dit à Smith qu'il était en état d'arrestation en rapport avec "une fusillade".  Bien que les policiers aient su qu'ils enquêtaient au sujet d'un meurtre, à aucun moment au cours de l'interrogatoire ils n'ont informé Smith de ce fait.  Smith n'a été informé du décès de Goreham que quelque temps après 8 h 37, après sa déclaration et après qu'on eut pris ses empreintes digitales et qu'on l'eut  photographié et placé dans une cellule.  À ce moment‑là, l'agent Faye a également dit à Smith qu'il discuterait de la question avec le substitut du procureur général mais que Smith devait [traduction] "envisager le pire".  Smith a été accusé de meurtre au premier degré.

 

                   Au procès, après un voir‑dire pendant lequel l'appelant a témoigné, sa déclaration a été jugée recevable en preuve.  Smith a également témoigné au procès à l'appui des défenses d'ivresse et de provocation.  Dans son exposé au jury, le juge du procès a donné des directives sur les éléments des meurtres au premier et au deuxième degré et sur la signification de la préméditation et du propos délibéré.  Avant de définir le meurtre, le juge du procès a également donné des directives au jury sur la question de la négligence criminelle et a dit que le fait pour une personne en état d'ébriété, de pointer un fusil chargé en direction d'une autre personne, constitue de la négligence criminelle.  Sur la question de la provocation, le juge du procès a dit aux jurés que s'ils concluaient que l'appelant était en mesure de former l'intention requise, ils pouvaient déclarer Smith coupable de meurtre, sous réserve de leur prise en compte de la défense de provocation.  Le jury a rendu un verdict de culpabilité de meurtre au deuxième degré.

 

Les tribunaux d'instance inférieure

 

                   Smith a subi son procès devant le juge MacDonald, siégeant avec un jury.  Il n'était pas contesté que Smith avait tiré le coup qui avait tué Goreham.  Les moyens de défense étaient ceux de l'ivresse et de la provocation.  Les éléments de preuve comprenaient les dépositions de divers témoins et la déclaration de Smith aux policiers, que le juge du procès a jugé recevable après un voir‑dire.  La défense a soutenu que la déclaration ne devrait pas être utilisée parce qu'elle violait les al. 10 a )  et 10 b )  de la Charte canadienne des droits et libertés , puisque les policiers n'avaient pas informé Smith lors de son arrestation du fait que Goreham était décédé, lui ayant dit qu'ils l'arrêtaient en rapport avec une "fusillade".  Le juge du procès a conclu que la déclaration était volontaire et ne devait pas être écartée pour cause de non‑respect de la Charte , étant donné que les déclarations des policiers lors de l'arrestation étaient [traduction] "vraies dans l'ensemble" et qu'il était évident que Smith savait qu'il [traduction] "était impliqué dans un crime très grave."  Il a dit:

 

[traduction] Je ne sais pas comment il aurait pu mieux exprimer sa compréhension par ses réponses.  Il y avait eu un homicide et les agents ont parlé d'une fusillade.  Leur description des événements était loin de correspondre aux faits réels.  Toutefois, elle était vraie dans l'ensemble.  Et ce qui me surprend c'est que M. Smith n'a jamais posé de questions sur la fusillade.

 

                   Le substitut du procureur général dit également que je ne devrais tirer aucune conclusion du fait que M. Smith [. . .] a été entouré par trois agents qui le mettaient en joue avec des carabines lorsqu'il est sorti de la maison de Kathleen Cameron je crois.  Dans ce voir‑dire, je suis le juge des faits et je suis autorisé à tirer des conclusions des éléments de preuve qui sont présentés.  D'après cela et l'ensemble des témoignages que j'ai entendus, je suis convaincu que M. Smith savait très bien qu'il était impliqué dans un crime très grave.

 

                   En appel à la Section d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (1990), 53 C.C.C. (3d) 97, le ministère public a admis que les policiers avaient violé l'al. 10 a )  de la Charte  en ne disant pas immédiatement à l'accusé que Goreham était mort.  La Section d'appel, le juge MacDonald étant dissident, a rejeté l'appel sur les autres questions.  Sur la question de la déclaration, le juge Jones, au nom de la majorité, s'est dit incapable de trouver quoi que ce soit d'inéquitable dans la procédure suivie par les policiers.  Il a poursuivi (à la p. 112):

 

[traduction]  Le fait de l'informer qu'ils l'arrêtaient en rapport avec une fusillade était suffisant pour qu'il comprenne les graves conséquences d'une déclaration.  Suivant les faits de l'espèce, il est très peu vraisemblable que l'appelant ne savait pas que Goreham était mort.  Cela ressort de la déclaration et du fait qu'il avait probablement eu l'intention de se soustraire à l'arrestation.

 

La Cour, à la majorité, a conclu qu'il n'y avait pas eu violation de l'al. 10b) et que, de toute façon, le par. 24(2) justifierait l'utilisation de la déclaration.

 

                   L'autre question importante soulevée en appel portait sur le caractère suffisant de l'exposé au jury et en particulier des directives du juge concernant l'infraction de meurtre.  La Section d'appel, à la majorité, a conclu que l'exposé ne pouvait pas avoir embrouillé le jury sur la question de l'intention nécessaire pour un meurtre au premier et au deuxième degré.  Elle a également rejeté l'argument selon lequel la mention de la négligence criminelle par le juge dans son exposé exigeait la tenue d'un nouveau procès.  Bien que la mention ait été inutile, la majorité était convaincue que, compte tenu de l'ensemble de l'exposé, le jury ne pouvait avoir été embrouillé sur les questions essentielles, la provocation et l'ivresse.  Des objections supplémentaires, y compris celles relatives au traitement par le juge du procès de la provocation et ses directives sur l'évaluation des éléments de preuve et de la crédibilité, ont été jugées sans fondement.  Le juge Jones a conclu (à la p. 113):

 

[traduction]  Aucune de ces objections n'a été soulevée à la conclusion de l'exposé pour une raison valable.  Pris comme un tout, l'exposé était très équitable à l'égard de la défense.  Les questions en l'espèce étaient simples.  Il n'était pas vraiment contesté que l'appelant avait tiré sur Goreham.  La question était de savoir si le crime était un meurtre ou un homicide involontaire coupable en raison de l'ivresse ou de la provocation.  Les objections à l'exposé doivent être examinées sous ce jour.

 

                   Le juge Macdonald était dissident.  Il estimait que la déclaration de l'appelant n'était pas recevable en preuve et a exprimé sa préoccupation à l'égard des directives du juge du procès relativement au meurtre et à la provocation.

 

                   Le juge Macdonald a conclu qu'on n'avait respecté ni l'al. 10a) ni l'al. 10b) parce que, compte tenu de la [traduction] "différence importante" entre une fusillade et un homicide, l'appelant n'était pas au courant du risque qu'il courait lorsqu'il a choisi de ne pas communiquer avec un avocat et de faire une déclaration aux policiers.

 

                   Le juge Macdonald a ensuite conclu que l'utilisation de la preuve ne pouvait être justifiée en vertu du par. 24(2)  de la Charte .  Sur le fondement des arrêts de notre Cour R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, et R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138, il a conclu (à la p. 126):

 

[traduction] . . . que l'utilisation de la déclaration faite par M. Smith serait, dans les circonstances, susceptible de déconsidérer l'administration de la justice et rendrait le procès inéquitable.

 

                   En ce qui a trait aux directives du juge du procès sur le meurtre, le juge Macdonald pensait que l'exposé pouvait avoir laissé au jury l'impression trompeuse que la négligence criminelle appuierait une accusation de meurtre, et qu'il était donc erroné.  En ce qui a trait à la provocation, le juge Macdonald pensait également que le juge du procès avait, à un certain point, donné des directives erronées au jury sur la définition juridique de la provocation.  Toutefois, concluant que l'appelant n'avait subi aucun préjudice par suite de la directive erronée sur la provocation, puisque le juge du procès avait dit au jury que, à son avis, il y avait provocation, le juge Macdonald a appliqué la disposition curative du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel , L.R.C. (1985), ch. C‑46 , relativement à cette erreur.  En ce qui a trait à la première erreur dans l'exposé, le juge Macdonald a dit qu'il n'était pas convaincu que le verdict aurait nécessairement été le même s'il n'y avait pas eu erreur et, par conséquent, il n'a pas invoqué le sous‑al. 686(1)b)(iii) relativement à la mention de la négligence criminelle.

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

Charte canadienne des droits et libertés 

 

10.  Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention:

 

a)  d'être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention;

 

b)  d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit;

 

24.  . . .

 

                   (2)  Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

 

Les questions en litige

 

1.Y a‑t‑il eu violation du droit que garantit l'al. 10 a )  de la Charte  à l'appelant?

 

2.Compte tenu de la violation de l'al. 10a), l'appelant a‑t‑il renoncé adéquatement et sciemment au droit que l'al. 10b) lui garantit?

 

3.Par suite des violations des droits garantis à l'appelant par les al. 10a) et 10b), sa déclaration aurait‑elle dû être exclue de la preuve aux termes du par. 24(2)  de la Charte ?

 

4.L'exposé du juge du procès au jury était‑il erroné parce qu'il donnait l'impression que la négligence criminelle était suffisante pour appuyer l'élément moral requis pour constituer un meurtre?

 

5.La déclaration de culpabilité est‑elle fondée aux termes du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel  nonobstant toute erreur dans la conduite du procès?

 

Analyse

 

1.Y a‑t‑il eu violation du droit que garantit l'al. 10a)  de la Charte  à l'appelant?

 

                   Le ministère public reconnaît qu'il y a eu violation de l'al. 10a) parce que les policiers ont omis de dire à l'accusé lors de son arrestation qu'il était détenu, non seulement en rapport avec une fusillade, mais en rapport avec une fusillade qui avait causé un décès.  Compte tenu de cette admission, il n'est pas nécessaire de répondre à la question de savoir s'il y a eu en fait violation de l'al. 10a).

 

2.Compte tenu de la violation de l'al. 10a), l'appelant a‑t‑il validement renoncé à son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat?

 

                   Le ministère public soutient que, bien qu'il y ait eu une "violation technique" de l'al. 10a) parce que les policiers ont omis de dire à l'accusé, avant qu'il fasse sa déclaration, que la victime de la fusillade était décédée, l'accusé avait été correctement avisé de son droit à l'assistance d'un avocat, en vertu de l'al. 10b), et avait validement renoncé à ce droit.  L'accusé soutient qu'il y a eu violation de son droit à l'assistance d'un avocat parce que:  a) la violation de l'al. 10a) a porté atteinte dès le départ au droit que lui garantit l'al. 10b); et subsidiairement, b) la violation de l'al. 10a) a empêché une renonciation valide.  Les deux arguments de la défense reposent sur l'omission par les policiers d'aviser l'accusé, lors de son arrestation, du fait que sa victime était décédée.

 

                   La première question est de savoir si l'omission par les policiers de dire à l'accusé que sa victime était décédée signifie qu'il n'a jamais été correctement avisé de son droit à l'assistance d'un avocat.  Il n'y a pas de doute qu'on a dit à l'accusé qu'il avait droit à l'assistance d'un avocat.  L'argument consiste à dire que cet avis était vicié et défectueux en raison de l'omission de préciser que la victime était décédée.  Cet argument est fondé sur l'arrêt R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755.  Dans l'affaire Greffe, les policiers avaient dit à l'accusé qu'il était en état d'arrestation relativement à des mandats en vigueur relatifs à des infractions à la circulation alors qu'en fait il était soupçonné d'importation d'héroïne.  Le ministère public a admis qu'il y avait eu violation des al. 10a) et 10b).  Le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a mentionné la conclusion du juge du procès selon laquelle "[u]ne indication inadéquate peut porter atteinte au droit à l'assistance d'un avocat garanti par la charte" (p. 776).  Si l'on accepte pour les fins de la discussion que cela peut être le cas, la question est de savoir si l'absence de renseignements quant aux circonstances de l'infraction, en l'espèce, est telle qu'il a été porté atteinte au droit de l'accusé à l'assistance d'un avocat en vertu de l'al. 10b).

 

                   La réponse à cette question en l'espèce fait intervenir les mêmes considérations que le deuxième argument de la défense, c'est‑à‑dire, que l'omission d'informer l'accusé que sa victime était décédée avait vicié sa renonciation à son droit à l'assistance d'un avocat.  L'argument selon lequel l'accusé n'a jamais en fait été informé de son droit à l'assistance d'un avocat, en raison de son ignorance de l'état de la victime, subsume l'argument que l'absence de renseignements l'a privé du pouvoir d'évaluer son besoin de recourir à l'assistance d'un avocat.  De même, l'argument fondé sur la renonciation repose sur l'allégation subsumée selon laquelle l'absence de renseignements a privé l'accusé du pouvoir d'évaluer son besoin de recourir à l'assistance d'un avocat.  Il se peut que dans certains cas (comme dans l'arrêt Greffe, où la question de la renonciation ne se posait pas parce que seule une preuve matérielle était en jeu) il soit utile d'établir une distinction entre l'effet de l'absence de renseignements sur la question de savoir s'il y a eu un avertissement suffisant et son effet sur la renonciation.  Toutefois, en l'espèce, la question revient à la même chose:  l'accusé possédait‑il suffisamment de renseignements pour évaluer correctement son besoin de recourir à l'assistance d'un avocat et pour prendre une décision valide quant à savoir s'il devait renoncer ou non à l'assistance d'un avocat?

 

                   Aux États‑Unis, l'absence de connaissance des circonstances de l'infraction alléguée n'invalide pas un avertissement de la police et n'empêche pas la renonciation au droit à l'assistance d'un avocat.  Tout ce qui est exigé pour qu'une renonciation soit valide, c'est que l'accusé sache qu'il peut garder le silence et demander l'assistance d'un avocat et qu'il sache que les déclarations peuvent être utilisées contre lui pour appuyer une déclaration de culpabilité.  Le fait qu'il ne possède pas de renseignements suffisants pour juger de la gravité de sa situation n'est pas important.  Comme le juge O'Connor l'a dit dans l'arrêt Moran v. Burbine, 475 U.S. 412 (1986), aux pp. 422 et 423:

 

[traduction] Toutefois nous n'avons jamais dit que la Constitution exige que les policiers donnent à un suspect une foule de renseignements pour l'aider à mesurer son intérêt avant de décider s'il doit parler ou faire valoir ses droits. [. . .]  Lorsqu'il a été déterminé que la décision d'un suspect de ne pas faire valoir ses droits a été prise sans contrainte, qu'il a toujours su qu'il pouvait garder le silence et demander l'assistance d'un avocat et qu'il était au courant de l'intention de l'État d'utiliser ses déclarations pour appuyer une déclaration de culpabilité, l'analyse est complète et la renonciation est juridiquement valide.

 

                   Au Canada, nous avons adopté une position différente.  Nous sommes d'avis que la compréhension par l'accusé de sa situation est pertinente pour déterminer s'il a fait une renonciation valide et éclairée.  Cette position est dictée par l'al. 10 a )  de la Charte , qui accorde au détenu le droit d'être avisé sans délai des motifs de sa détention.  Elle est illustrée par trois concepts connexes:  1) l'invalidité d'un avertissement relatif au droit à l'assistance d'un avocat tenant au manque de renseignements; 2) l'idée qu'une personne a le droit de connaître "l'ampleur du risque qu'elle court"; et 3) le concept de la "connaissance des conséquences" élaboré dans le contexte de la renonciation.

 

                   J'ai déjà fait allusion au concept du vice de l'avertissement, mentionné dans l'arrêt Greffe, précité.  Le droit de connaître l'ampleur du risque couru découle de l'arrêt R. c. Black, précité, dans lequel notre Cour a jugé à l'unanimité que, pour que l'exercice du droit à l'assistance d'un avocat ait un sens, il faut que l'accusé "conna[isse] l'ampleur du risque qu'[il] court".  Il ne s'agit pas tant de la question initiale de savoir si l'avertissement prévu à l'al. 10b) a été donné que de la capacité du détenu de décider d'avoir recours à l'assistance d'un avocat ou non, c'est‑à‑dire d'y renoncer.  Le juge Wilson a dit, aux pp. 152 et 153:

 

                   De plus, il ne faut pas interpréter l'al. 10b) de façon isolée.  Sa portée doit être examinée à la lumière de l'al. 10a).  L'alinéa 10a) oblige les policiers à aviser une personne arrêtée ou détenue des motifs de cette arrestation ou de cette détention.  Les droits que l'al. 10b) confère à une personne découlent du fait que cette personne est arrêtée ou détenue pour un motif particulier.  Une personne ne peut valablement exercer le droit que lui garantit l'al. 10b) que si elle connaît l'ampleur du risque qu'elle court.

 

                   Finalement, la question peut être interprétée selon le concept de la "connaissance des conséquences."  Le renvoi à la "connaissance des conséquences" découle des motifs du juge Wilson dans l'arrêt Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383.  Dans cet arrêt, le juge Wilson dit à la p. 396:  "toute renonciation volontaire doit se fonder sur une appréciation véritable des conséquences de la renonciation à ce droit".  Le juge Wilson a expliqué aux pp. 394 et 395:

 

                   Vu le souci de traiter équitablement une personne accusée, lequel sous‑tend les libertés civiles garanties par la Constitution comme le droit à l'assistance d'un avocat prévu à l'al. 10 b )  de la Charte , il est évident qu'il faut examiner avec soin toute allégation de renonciation à ce droit par un accusé et que la connaissance par l'accusé des conséquences de sa déclaration est déterminante.  En réalité, dans l'arrêt Korponay c. Procureur général du Canada, [1982] 1 R.C.S. 41, à la p. 49, cette Cour a dit, à l'égard de la renonciation à une garantie légale en matière de procédure, que pour qu'une renonciation soit valide, "il faut qu'il soit bien clair que la personne renonce au moyen de procédure conçu pour sa protection et qu'elle le fait en pleine connaissance des droits que cette procédure vise à protéger et de l'effet de la renonciation sur ces droits au cours de la procédure"  (souligné dans l'original).

 

                   Ces arrêts établissent que, peu importe si l'accent est mis sur le caractère suffisant de l'avis initial prévu à l'al. 10b) ou sur la renonciation, ce qui est nécessaire c'est que l'accusé comprenne d'une manière générale le risque qu'il court et évalue les conséquences d'une décision d'avoir recours ou non à l'assistance d'un avocat.  Ils reposent sur l'argument de bon sens selon lequel l'assistance d'un avocat est plus importante à certains moments qu'à d'autres.  Beaucoup de gens choisissent de ne pas avoir recours à l'assistance d'un avocat pour une accusation d'infraction aux règles de la circulation.  Beaucoup moins de gens prendraient la même décision s'il s'agissait d'un meurtre.

 

                   Toutefois, on n'a jamais dit qu'il était nécessaire de donner tous les renseignements pour qu'il y ait une renonciation valide.  En fait, si c'était le cas, les renonciations seraient rarement valides, étant donné qu'habituellement les policiers ne sont pas au courant de tous les faits au moment de l'arrestation de l'accusé.  L'omission par les policiers d'identifier avec précision l'accusation reprochée selon les termes du Code criminel  n'est pas nécessairement fatale.  Au début d'une enquête, il est possible que les policiers eux‑mêmes ne sachent pas quelle infraction précise est reprochée à l'accusé.  Qui plus est, les termes du Code peuvent être moins utiles pour un profane que des termes plus communs pour communiquer l'ampleur du risque.  Finalement, le degré de conscience que l'on peut présumer raisonnablement chez l'accusé dans toutes les circonstances peut jouer un rôle pour déterminer si ce que la police a dit suffisait pour qu'il comprenne l'ampleur du risque et des conséquences du refus de l'assistance d'un avocat.

 

                   La question se résume à ceci:  en l'espèce, l'accusé possédait‑il suffisamment de renseignements pour que sa renonciation à l'assistance d'un avocat soit valide?  À mon avis, pour établir que la renonciation à l'assistance d'un avocat était valide, le juge du procès doit être convaincu que, dans toutes les circonstances qui découlent de la preuve, l'accusé comprenait d'une manière générale le genre de risque couru lorsqu'il a pris la décision de ne pas avoir recours à l'assistance d'un avocat.  Il n'est pas nécessaire que l'accusé sache quelle accusation précise est portée contre lui.  Il n'est pas nécessaire non plus que l'accusé soit mis au courant de tous les détails des faits de l'affaire.  Ce qui est nécessaire c'est qu'il possède suffisamment de renseignements pour être en mesure de prendre une décision éclairée et convenable sur la question de savoir s'il doit communiquer ou non avec un avocat.  L'accent devrait porter sur la réalité de la situation globale et son effet sur la compréhension de l'accusé plutôt que sur le détail technique relatif à ce qu'on peut avoir dit ou non à l'accusé.

 

                   Dans ce contexte, j'examine maintenant les éléments de preuve et les conclusions en l'espèce.  Je commence par les conclusions du juge du procès.  Après avoir examiné la preuve, il a conclu:

 

[traduction] Dans ce voir‑dire, je suis le juge des faits et je suis autorisé à tirer des conclusions des éléments de preuve qui sont présentés.  D'après cela et l'ensemble des témoignages que j'ai entendus, je suis convaincu que M. Smith savait très bien qu'il était impliqué dans un crime très grave.  [Je souligne.]

 

                   À mon avis, compte tenu de toute la preuve, le juge du procès était fondé à conclure que Smith connaissait suffisamment le risque qu'il courait et que sa renonciation au droit à l'assistance d'un avocat ne devrait pas être considérée comme invalide.  Il ressort des témoignages concernant la fusillade que Smith a tiré sur Goreham et que Goreham s'est immédiatement écroulé dans l'embrasure de la porte de la grange.  La preuve a également établi que le coup était une forte décharge provenant d'une arme puissante.  Il était raisonnable de déduire d'après cette preuve que Smith devait savoir, ou du moins soupçonner fortement, qu'il avait tué sa victime.  Comme le juge Jones l'a dit en Cour d'appel:  [traduction] "il est très peu vraisemblable que l'appelant ne savait pas que Goreham était mort" (p. 112).

 

                   La conduite subséquente de Smith est compatible avec cette connaissance.  Il est retourné immédiatement chez lui, où il a remplacé le fusil par une carabine et des munitions.  Il s'est ensuite rendu chez sa soeur où il a passé la nuit.  Tôt le matin, il a appelé les policiers et leur a dit où il se trouvait.

 

                   Tout doute qui aurait pu subsister sur la gravité de la situation de Smith aurait été écarté par la conduite des policiers au moment de l'arrestation.  Quand il est sorti de la maison, il a été entouré par trois policiers qui le tenaient en joue avec leurs carabines.  On l'a ensuite fait agenouiller pendant qu'on lui passait les menottes.

 

                   Ces éléments de preuve, considérés dans leur ensemble, peuvent appuyer la conclusion que Smith savait que sa situation était d'une extrême gravité.  Dans ces circonstances, on ne peut dire que le juge du procès a commis une erreur lorsqu'il a conclu que l'accusé avait une connaissance suffisante de l'ampleur du risque qu'il courait pour lui permettre de renoncer validement au droit à l'assistance d'un avocat.

 

                   Le fait que l'accusé savait qu'il courait un risque en raison d'une infraction très grave permet de faire une distinction entre l'espèce et un  autre cas où la description donnée minimise les conséquences juridiques des actes commis par la personne détenue.  Dans de tels cas, la description faite par la police peut réduire l'inquiétude que la personne détenue pourrait autrement avoir.  Le tribunal aurait tort dans un tel cas de conclure que la personne détenue aurait dû déduire des circonstances l'ampleur du risque couru.

 

3.La déclaration aurait‑elle dû être écartée en vertu du par. 24(2)  de la Charte ?

 

                   Comme le ministère public a admis qu'il y a eu violation de l'al. 10a), je dois examiner si la violation de l'al. 10a) en l'espèce justifie l'exclusion de la déclaration de l'appelant en vertu du par. 24(2).

 

                   Le paragraphe 24(2) prévoit l'exclusion d'éléments de preuve obtenus par suite d'une atteinte à la Charte  lorsque leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

 

                   Trois catégories générales de facteurs à considérer dans une décision fondée sur le par. 24(2) ont été établies dans l'arrêt R. c. Collins, précité:

 

1)l'effet de l'utilisation des éléments de preuve sur l'équité du procès;

 

2)la gravité de la violation de la Charte ;

 

3)l'effet de l'exclusion sur la considération dont jouit l'administration de la justice.

 

                   Je traite tout d'abord de l'équité de l'utilisation des éléments de preuve.  Des déclarations auto‑incriminantes obtenues par suite d'une violation de la Charte  seront habituellement écartées pour le motif que leur utilisation serait susceptible de rendre le procès inéquitable.  Le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a expliqué dans l'arrêt Collins (aux pp. 284 et 285):

 

Il en est toutefois bien autrement des cas où, à la suite d'une violation de la Charte , l'accusé est conscrit contre lui‑même au moyen d'une confession ou d'autres preuves émanant de lui.  Puisque ces éléments de preuve n'existaient pas avant la violation, leur utilisation rendrait le procès inéquitable et constituerait une attaque contre l'un des principes fondamentaux d'un procès équitable, savoir le droit de ne pas avoir à témoigner contre soi‑même.  Ce genre de preuve se trouvera généralement dans le contexte d'une violation du droit à l'assistance d'un avocat. [. . .]  L'utilisation d'une preuve auto‑incriminante obtenue dans le contexte de la négation du droit à l'assistance d'un avocat compromettra généralement le caractère équitable du procès même et elle doit en général être écartée.

 

                   Ce passage indique deux facteurs connexes qui peuvent rendre injuste l'admission de la déclaration:  1) le fait que la déclaration est auto‑incriminante et 2) le fait que l'élément de preuve n'aurait pas été disponible, n'eût été la violation.

 

                   En l'espèce, ces deux facteurs ne sont pas décisifs.  Premièrement, la déclaration de l'accusé n'était ni incriminante ni préjudiciable.  Étant donné la présence de témoins oculaires lors de la fusillade, il n'y avait aucun doute quant à l'identité de l'auteur du crime.  Les seules questions soulevées lors du procès se rapportaient aux moyens de défense d'ivresse et de provocation.  La déclaration appuyait la position de l'accusé à l'égard de ces moyens de défense.  Par conséquent, on ne peut dire qu'elle a porté atteinte à son droit contre l'auto‑incrimination.  Deuxièmement, bien que la déclaration elle‑même n'aurait peut‑être pas été faite n'eût été la violation, elle ne présente pas d'éléments de preuve qu'on n'aurait pas pu découvrir par ailleurs, sauf dans la mesure où ils ont aidé l'accusé.  Pour paraphraser le juge Lamer dans l'arrêt Collins, la déclaration n'était pas "essentielle pour justifier l'accusation" (p. 286).  Il y avait suffisamment d'éléments de preuve indépendants relatifs à la fusillade et aux événements qui l'ont précédée.  Dans ces circonstances, on ne peut dire que l'utilisation de la déclaration, même si elle avait été incriminante, aurait causé un préjudice important à l'accusé.  Cela répond à l'argument selon lequel la déclaration a rendu le procès inéquitable à l'égard de l'accusé.

 

                   Le deuxième ensemble de facteurs pertinents dans une décision fondée sur le par. 24(2) concerne la gravité de la violation.  Encore une fois, ces facteurs ne sont pas décisifs en l'espèce.  Dans l'arrêt R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980, le juge en chef Dickson a identifié les considérations pertinentes pour cet examen (à la p. 1006):

 

L'examen sera axé sur la gravité relative de la violation, sur les questions de savoir si elle a été commise de bonne foi ou s'il s'agissait d'une simple irrégularité, ou encore si elle était volontaire, intentionnelle ou flagrante, si la violation a été motivée par une situation d'urgence ou de nécessité, et si on aurait pu avoir recours à d'autres méthodes d'enquête qui n'auraient pas porté atteinte à la Charte .

 

                   La violation de l'al. 10 a )  de la Charte  par l'omission d'aviser l'accusé lors de son arrestation que la victime était décédée, n'était ni volontaire, ni délibérée, ni flagrante.  Le juge Jones a dit (à la p. 113):

 

[traduction]  Rien n'indique dans la preuve que les policiers agissaient d'une manière incorrecte ou sans tenir compte des droits de l'appelant.  L'omission d'informer l'appelant du décès était un oubli.

 

On ne peut non plus raisonnablement considérer que l'oubli des policiers de mentionner le décès de Goreham a eu des conséquences graves pour l'accusé.  Comme je l'ai dit précédemment, dans ces circonstances, on peut raisonnablement supposer que l'accusé savait que sa victime était probablement décédée.

 

                   La question finale est de savoir si, compte tenu des facteurs que je viens d'analyser, la considération dont jouit l'administration de la justice serait servie par l'exclusion de la déclaration.  À mon avis, elle ne le serait pas.  Vu l'ensemble des circonstances, l'utilisation de la déclaration n'était pas inéquitable ni calculée pour causer un préjudice à l'accusé.  La nature de la violation n'était pas non plus telle qu'il est nécessaire d'écarter la déclaration pour préserver l'intégrité de notre système de justice criminelle.

 

4.L'exposé au jury était‑il erroné?

 

                   L'exposé est‑il invalide en raison de la mention par le juge du procès de la négligence criminelle dans ses directives au jury sur la définition du meurtre et faut‑il donc tenir un nouveau procès?

 

                   Après avoir donné au jury des directives appropriées sur ce qui constituait un acte illégal, le premier élément de l'infraction de meurtre, le juge a ensuite parlé de la négligence criminelle.  Il a dit:

 

                   [traduction] Si vous êtes convaincus par les points que je vous ai exposés, hors de tout doute raisonnable, alors l'acte était illégal.  Je vais vous lire l'article portant sur la négligence criminelle, l'art. 202:

 

"202.           (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque:

 

                   a) soit en faisant quelque chose [. . .]

 

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui."

 

                   Quand une personne en état d'ébriété pointe un fusil chargé dans la direction d'une autre personne, je suis d'avis que vous pouvez arriver à la conclusion qu'elle est criminellement négligente.  C'est illégal.  Il s'agit également de voies de fait.  Si vous concluez qu'il s'agit d'un homicide coupable, vous en viendrez à l'accusation de meurtre.

 

                   Il a ensuite terminé la définition du meurtre selon la loi et a conclu par un résumé des possibilités offertes au jury.  La négligence criminelle n'en faisait pas partie.

 

                   [traduction]  Par conséquent, passons en revue les choix qui vous sont offerts; ce sont les suivants:  coupable de l'accusation formulée ‑‑ c'est‑à‑dire, de meurtre au premier degré ‑‑ l'homicide qui est coupable, volontaire, commis avec préméditation et de propos délibéré.  S'il n'a pas été commis avec préméditation et de propos délibéré, mais si vous concluez à l'existence de l'intention précise qui exige un esprit capable de former l'intention de tuer quelqu'un, comme je vous l'ai décrit, alors il s'agit d'un meurtre au deuxième degré.  S'il n'y a pas une telle intention, mais qu'il y a un acte illégal d'agression avec une arme à feu, alors vous le déclarerez coupable d'homicide involontaire coupable.  Vous tiendrez compte de son état d'ébriété.  Vous tiendrez compte de la provocation si vous concluez qu'il y a eu provocation comme je vous l'ai décrite.  Vous devez tenir compte de tous ces éléments pour parvenir à votre décision.  Vous pouvez également conclure qu'il n'est pas coupable.

 

                   À mon avis, la mention par le juge du procès de la négligence criminelle ne rend pas l'exposé invalide.  Interprété dans son ensemble, l'exposé donne des directives appropriées et complètes au jury en ce qui a trait aux éléments nécessaires du meurtre.  La mention de l'infraction de négligence criminelle, bien qu'inutile, ne pouvait pas induire le jury en erreur.  À cet égard, il convient d'établir une distinction entre cet exposé et celui qui avait été donné dans l'affaire R. v. Fraser (1984), 16 C.C.C. (3d) 250 (C.A.N.‑É.), où le juge du procès avait non seulement mentionné la négligence criminelle mais avait répété à plusieurs reprises que la négligence criminelle, si le jury concluait qu'il s'agissait de cette infraction, pouvait constituer la conduite illégale sous‑jacente nécessaire pour fonder une déclaration de culpabilité d'homicide coupable.  Ces directives étaient erronées et visaient à induire le jury en erreur afin qu'il conclue qu'on avait satisfait à l'élément de l'acte illégal sur le fondement de motifs incorrects.  Ce n'est absolument pas le cas en l'espèce.

 

5.Le sous‑alinéa 686(1)b)(iii)

 

                   Compte tenu de ma conclusion sur le caractère adéquat de l'exposé au jury, il n'est pas nécessaire d'examiner cette question.

 

Conclusion

 

                   Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

 

                   Pourvoi rejeté.

 

                   Procureurs de l'appelant:  Stewart, McKelvey, Stirling, Scales, Halifax.

 

                   Procureur de l'intimée:  Le procureur général de la Nouvelle‑Écosse, Halifax.

 

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