R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114
Le procureur général du Québec Appelant
c.
Linda Lippé, Jean‑Pierre Paradis, Serge Robitaille,
Yvon Deblois, Martin Lapierre, Gérard Gagnon,
Georges Malenfant, André Lessard, Karl Berger,
Antonio Lamonde et Éric Desbiens Intimés
et
Le procureur général de l'Ontario,
la M.R.C. de la Jacques‑Cartier et
la municipalité de Fossambault‑sur‑le‑Lac Intervenants
et
Me Gilles Charest, ès qualités et al.
(Cour municipale de Loretteville),
Me Alain Turgeon, ès qualités et al.
(Cour municipale de Beauport),
Me Jean‑Pierre Gignac, ès qualités et al.
(Cour municipale de Charlesbourg),
Me Pierre Nadeau, ès qualités et al.
(Cour municipale de Vanier),
Me Marc Jessop, ès qualités et al.
(Cour municipale de Ste‑Foy) Mis en cause
Répertorié: R. c. Lippé
No du greffe: 22072.
1990: 5 décembre*.
Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.
en appel de la cour d'appel du québec
Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Tribunal indépendant et impartial -- Cours municipales -- Impartialité institutionnelle -- Portée de l'indépendance judiciaire -- Le système des cours municipales du Québec permet aux juges à temps partiel de continuer à pratiquer le droit -- Le système des cours municipales viole-t-il l'art. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés? -- Critère applicable à l'impartialité institutionnelle -- Loi sur les cités et villes, L.R.Q., ch. C‑19, art. 608, 608.1.
Libertés publiques -- Loi provinciale sur les droits de la personne ‑‑ Tribunal indépendant et sans préjugés -- Cours municipales -- Impartialité institutionnelle -- Portée de l'indépendance judiciaire -- Le système des cours municipales du Québec permet aux juges à temps partiel de continuer à pratiquer le droit -- Le système des cours municipales viole-t‑il l'art. 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12 -- Critère applicable à l'impartialité institutionnelle -- Loi sur les cités et villes, L.R.Q., ch. C‑19, art. 608, 608.1.
Les intimés ont été accusés de diverses infractions aux règlements municipaux et au Code de la sécurité routière. Ils ont présenté des requêtes en évocation et en délivrance de brefs de certiorari et de prohibition devant la Cour supérieure, alléguant que certaines dispositions de la Loi sur les cités et villes et de la Loi sur les cours municipales violaient leur droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial qui leur est conféré par l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, et leur droit à une audition impartiale devant un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé que leur reconnaît l'art. 23 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. La Cour supérieure a conclu que le système des cours municipales ne respectait pas les normes d'indépendance et d'impartialité ou d'absence de préjugés des tribunaux imposées par les deux Chartes et elle a accueilli les requêtes. La Cour d'appel à la majorité a confirmé ce jugement et, à la demande des intimés, a déclaré inopérants les art. 608 et 608.1 de la Loi sur les cités et villes pour le motif qu'ils violaient l'al. 11d) de la Charte canadienne. Les juges formant la majorité ont décidé que ces dispositions, qui permettaient aux juges municipaux à temps partiel de continuer à exercer leur profession d'avocat, pouvaient raisonnablement amener une personne bien informée à craindre que le droit que lui confère l'al. 11d) ne soit pas suffisamment garanti. Les articles 608 et 608.1 ne pouvaient pas être sauvegardés en vertu de l'article premier de la Charte canadienne. La Cour d'appel ne s'est pas penchée sur l'art. 23 de la Charte québécoise. Ce pourvoi vise à déterminer si, en vertu du régime légal en vigueur dans la province de Québec, les juges municipaux (à l'exception de ceux qui siègent à Montréal, Laval et Québec) constituent un "tribunal indépendant et impartial" ou un "tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé". La contestation porte sur la structure des cours municipales qui permet aux juges à temps partiel de continuer à pratiquer le droit.
Arrêt: Le pourvoi est accueilli.
Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin: Le système québécois des juges municipaux à temps partiel autorisés à pratiquer le droit ne porte pas atteinte à la garantie d'impartialité judiciaire prévue à l'al. 11d) de la Charte canadienne et à l'art. 23 de la Charte québécoise. Les aspects relatifs au statut des juges municipaux qui continuent d'exercer leur profession, contestés en l'espèce, peuvent être considérés comme se rapportant à l'impartialité institutionnelle et il est souscrit à l'analyse effectuée à cet égard par le juge en chef Lamer.
Même si la portée précise de l'"indépendance judiciaire" n'est pas en cause dans ce pourvoi, il importe de saisir la portée de ce principe si on veut assurer la pleine protection de l'"impartialité judiciaire". Un tribunal indépendant au sens de l'al. 11d) de la Charte canadienne et de l'art. 23 de la Charte québécoise doit être indépendant aussi bien vis‑à‑vis du gouvernement que vis‑à‑vis des parties au litige.
Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et Cory: La question litigieuse en l'espèce ne porte pas sur l'"indépendance judiciaire". Le contenu du principe de l'indépendance judiciaire doit se déterminer en fonction de notre tradition constitutionnelle et il se limite à l'indépendance vis‑à‑vis du gouvernement. La notion de "gouvernement" désigne non seulement les pouvoirs exécutif et législatif, mais aussi toute personne ou tout organisme capable d'exercer des pressions sur les juges en vertu de pouvoirs émanant de l'État, y compris toute personne et tout organisme au sein de la magistrature investis de certains pouvoirs sur les juges. Puisque la question soumise à notre Cour ne soulève aucune allégation à l'égard des rapports entre l'État (y compris le Barreau du Québec), et les cours municipales, il est présumé qu'il est satisfait aux trois critères applicables à l'indépendance judiciaire que notre Cour a exposés dans l'arrêt Valente.
La question en litige dans ce pourvoi devrait être décrite comme visant l'"impartialité institutionnelle". Tout comme l'exigence d'indépendance judiciaire, l'exigence d'impartialité judiciaire comporte un aspect individuel aussi bien qu'institutionnel et les deux aspects sont englobés par la garantie constitutionnelle d'un "tribunal indépendant et impartial". Par conséquent, qu'un juge particulier ait ou non entretenu des idées préconçues ou des préjugés, si le système est structuré de façon à susciter une crainte raisonnable de partialité sur le plan institutionnel, il n'est pas satisfait à l'exigence d'impartialité. L'apparence d'impartialité est importante pour assurer la confiance du public dans le système.
Le fait que les juges sont juges à temps partiel ne soulève pas en soi une crainte raisonnable de partialité sur le plan institutionnel, mais certaines activités ou professions qu'ils exercent peuvent être incompatibles avec leurs fonctions de juges et soulever pareille crainte de partialité. En l'espèce, le système québécois des cours municipales, qui permet aux juges à temps partiel de continuer à pratiquer le droit, satisfait aux exigences de l'impartialité institutionnelle prévue à l'al. 11d) de la Charte canadienne et à l'art. 23 de la Charte québécoise. Même si la pratique du droit est intrinsèquement incompatible avec les fonctions d'un juge parce qu'elle soulève, dans un grand nombre de cas, une crainte raisonnable de partialité dans l'esprit d'une personne parfaitement informée, une étude attentive des garanties législatives existantes, et en particulier des garanties contre les possibilités de conflits d'intérêts, montre que les risques de partialité ont été réduits au minimum. L'immunité judiciaire, le serment prêté par les juges, le Code de déontologie auquel ils sont assujettis et les restrictions exposées à l'art. 608.1 de la Loi sur les cités et villes se combinent tous pour atténuer la crainte de partialité. Il s'ensuit qu'une personne raisonnablement bien informée, qui connaît parfaitement le système des cours municipales du Québec, y compris toutes les garanties qu'il comporte, ne devrait pas éprouver de crainte de partialité dans un grand nombre de cas. Bien qu'il puisse être vrai qu'un juge ne sera pas toujours conscient de l'existence d'un conflit d'intérêts, cette possibilité peut faire l'objet d'un examen cas par cas.
Jurisprudence
Citée par le juge Gonthier
Arrêts mentionnés: Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673; Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56; Sirros v. Moore, [1975] 1 Q.B. 118; Morier c. Rivard, [1985] 2 R.C.S. 716; Cour Eur. D. H., affaire Ringeisen, arrêt du 16 juillet 1971, série A no 13; Cour Eur. D. H., affaire Le Compte, Van Leuven et De Meyere, arrêt du 23 juin 1981, série A no 43; Cour Eur. D. H., affaire Piersack, arrêt du 1er octobre 1982, série A no 53; Cour Eur. D. H., affaire Campbell et Fell, arrêt du 28 juin 1984, série A no 80.
Citée par le juge en chef Lamer
Arrêts mentionnés: Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673; R. c. Braconnier, [1988] R.J.Q. 981; Tessier c. Paquet, [1988] R.J.Q. 2553; MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856; Sethi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] 2 C.F. 552; Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56; Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369; MacKeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 11d), 32.
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12, art. 23 [mod. 1982, ch. 17, art. 42].
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, partie XXVII.
Code de déontologie des juges municipaux du Québec, R.R.Q. 1981 ‑‑ Supplément, p. 1272.
Code de la sécurité routière, L.R.Q., ch. C‑24.2.
Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, art. 234.
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 213 R.T.N.U. 223, art. 6(1).
Loi sur certains aspects du statut des juges municipaux, L.Q. 1988, ch. 74.
Loi sur les cités et villes, L.R.Q., ch. C‑19, art. 605, 606.1 [aj. 1988, ch. 74, art. 2], 607 [rempl. idem, art. 3], 607.1 [idem], 608 [idem], 608.1 [idem], 609.1 [idem], 615.1 [aj. idem, art. 5].
Loi sur les cours municipales, L.R.Q., ch. C‑72, art. 2 [mod. 1982, ch. 32, art. 78], 7.1 [mod. 1982, ch. 2, art. 40; mod. ch. 32, art. 80], 7.3 [mod. 1982, ch. 2, art. 40].
Loi sur les privilèges des magistrats, L.R.Q., ch. P‑24, art. 1 [mod. 1982, ch. 32, art. 117; mod. 1988, ch. 21, art. 116].
Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.Q., ch. T‑16, art. 261, 262 [mod. 1980, ch. 11, art. 99; mod. 1988, ch. 21, art. 57; mod. ch. 74, art. 8], 263 à 281.
Doctrine citée
Atkinson, William J. "L'indépendance et l'impartialité des tribunaux administratifs sous la Charte des droits et libertés". Dans Tribunaux administratifs à la lumière des Chartes. Formation permanente du Barreau du Québec. Cowansville, Qué.: Éditions Yvon Blais Inc., 1989, 149.
Blache, Pierre. "L'impartialité et l'indépendance selon les articles 7 et 11d de la Charte canadienne". Dans Développements récents en droit administratif, vol. 2. Formation permanente du Barreau du Québec. Cowansville, Qué.: Éditions Yvon Blais Inc., 1989, 55.
Déclaration universelle sur l'Indépendance de la Justice, adoptée à la Première conférence mondiale sur l'Indépendance de la Justice, Montréal, 10 juin 1983, dans Shimon Shetreet et Jules Deschênes, éd., Judicial Independence: The Contemporary Debate, Dordrecht, The Netherlands, Martinus Nijhoff Publishers, 1985.
Garant, Patrice. "La justice municipale au regard des chartes: quelques observations au lendemain de la grande réforme" (1991), 36 R.D. McGill 39.
Greene, Ian. "The Doctrine of Judicial Independence Developed by the Supreme Court of Canada" (1988), 26 Osgoode Hall L.J. 177.
Keable, Jean F. "Les tribunaux administratifs et organismes de régulation et les exigences de la Charte en matière d'indépendance et d'impartialité (art. 23, 56.1 de la Charte québécoise)". Dans Application des Chartes des droits et libertés en matière civile. Formation permanente du Barreau du Québec. Cowansville, Qué.: Éditions Yvon Blais Inc., 1988, 251.
Pépin, Gilles. "L'indépendance des tribunaux administratifs et l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne" (1990), 50 R. du B. 766.
Québec. Ministre de la Justice. Rapport du Groupe de travail sur les Cours municipales. Les cours municipales au Québec: un projet de réforme. Québec, 1988.
Shetreet, Shimon. Judges on Trial: A Study of the Appointment and Accountability of the English Judiciary. Amsterdam, North‑Holland Publishing Co., 1976.
Shetreet, Shimon. "Judicial Independence: New Conceptual Dimensions and Contemporary Challenges". In Shimon Shetreet and Jules Deschênes, eds., Judicial Independence: The Contemporary Debate, Dordrecht, The Netherlands, Martinus Nijhoff Publishers, 1985.
Singhvi, L. M. "Independence of Justice in the World". Allocution prononcée lors de la session inaugurale du Colloque national sur la Justice: Indépendance et Imputabilité. Institut canadien de l'administration de la Justice. Montréal, 15 au 17 octobre 1987.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1990] R.J.Q. 2200, 60 C.C.C. (3d) 34, 80 C.R. (3d) 1, 31 Q.A.C. 161, qui a confirmé un jugement de la Cour supérieure, [1989] R.J.Q. 2372, 48 M.P.L.R. 123. Pourvoi accueilli.
Jean‑Yves Bernard, Claude Bouchard et Marise Visocchi, pour l'appelant.
Paul Larochelle, Pierre Béliveau et Maurice Dussault, pour l'intimée Lippé.
Herman Bédard, pour les autres intimés.
W. J. Blacklock et Rebecca Regenstreif, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.
Claude Jean, pour les intervenantes la M.R.C. de la Jacques‑Cartier et la municipalité de Fossambault‑sur‑le‑Lac.
//Le juge en chef Lamer//
Les motifs du juge en chef Lamer et des juges Sopinka et Cory ont été rendus par
Le juge en chef Lamer ‑‑ Ce pourvoi porte sur le sens qu'il convient de donner au concept d'un "tribunal indépendant et impartial" ou "tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé" que l'on trouve, respectivement, à l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés et à l'art. 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12. Plus particulièrement, on a demandé à notre Cour de décider si, en vertu du régime légal en vigueur dans la province de Québec, les juges municipaux (à l'exception de ceux qui siègent à Montréal, Laval et Québec) constituent un "tribunal indépendant et impartial" ou un "tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé". Nul ne prétend qu'un juge municipal particulier ne possède pas l'impartialité et l'indépendance nécessaires à l'exercice des fonctions judiciaires; la contestation porte plutôt sur la structure des cours municipales qui permet aux juges à temps partiel de continuer à pratiquer le droit.
Ce pourvoi a été entendu le 5 décembre 1990. Étant donné le caractère urgent de la situation, jugement a été rendu à ce moment, les motifs devant suivre plus tard. Cette Cour a accueilli le pourvoi à l'unanimité et a maintenu le système des cours municipales, concluant qu'il ne violait ni l'al. 11d) de la Charte canadienne ni l'art. 23 de la Charte québécoise.
Les faits
Le 20 avril 1989, les intimés ont présenté des requêtes en évocation et en délivrance de brefs de certiorari et de prohibition devant le juge Viens de la Cour supérieure du Québec. Les intimés ont soutenu que certaines dispositions de la Loi sur les cités et villes, L.R.Q., ch. C‑19, et de la Loi sur les cours municipales, L.R.Q., ch. C‑72, violaient leur droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial qui leur est conféré par l'al. 11d) de la Charte canadienne, et leur droit à une audition impartiale devant un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé que leur reconnaît l'art. 23 de la Charte québécoise.
Le juge Viens a décidé de se prononcer expressément sur la requête de Linda Lippé pour ensuite appliquer ses conclusions à cet égard aux autres affaires. Madame Lippé a été accusée d'avoir contrevenu aux règlements municipaux en exécutant des travaux de construction sans permis à Fossambault‑sur‑le‑Lac, une municipalité qui relevait de la compétence de la Cour Municipale de Loretteville. Les autres intimés ont été accusés de diverses infractions aux règlements municipaux et au Code de la sécurité routière, L.R.Q., ch. C‑24.2
Le 29 juin 1989, le juge Viens accueillait les 12 requêtes, déclarant que les juges des cours municipales (de Loretteville, Beauport, Charlesbourg, Vanier et Ste‑Foy) n'avaient pas compétence pour se prononcer sur les infractions. À son avis, le système des cours municipales ne respectait pas les normes d'indépendance et d'impartialité ou d'absence de préjugés des tribunaux imposées à l'al. 11d) de la Charte canadienne et à l'art. 23 de la Charte québécoise: [1989] R.J.Q. 2372. Le procureur général du Québec en a appelé de cette décision.
Le juge Viens n'a pas déclaré inopérantes les dispositions législatives concernant les juges municipaux, les intimés n'ayant pas sollicité cette réparation. La Cour d'appel a permis à ces derniers d'ajouter cette requête avant qu'elle ne se penche sur le fond de l'appel interjeté contre la décision du juge Viens.
Le 13 septembre 1990, la Cour d'appel à la majorité a déclaré inopérants les art. 608 et 608.1 de la Loi sur les cités et villes pour le motif qu'ils violaient l'al. 11d) de la Charte canadienne: [1990] R.J.Q. 2200, 60 C.C.C. (3d) 34, 80 C.R. (3d) 1, 31 Q.A.C. 161 (ci-après cité au R.J.Q.). Les juges formant la majorité ont décidé que ces dispositions, qui permettaient aux juges municipaux à temps partiel de continuer à exercer leur profession d'avocat, pouvaient raisonnablement amener une personne bien informée à craindre que son droit à un procès devant un tribunal indépendant et impartial, prévu à l'al. 11d), ne soit pas suffisamment garanti. Ces dispositions ne pouvaient pas être sauvegardées en vertu de l'article premier. La Cour d'appel ne s'est pas penchée sur l'art. 23 de la Charte québécoise.
Le juge Tourigny, qui était dissidente, s'est dite d'avis que l'indépendance des juges municipaux les ferait paraître impartiaux aux yeux d'une personne raisonnable et bien informée.
Les dispositions législatives en cause
Bien que plusieurs aspects du système des cours municipales aient été contestés devant la Cour supérieure du Québec, un seul de ces aspects est attaqué devant notre Cour. Les dispositions législatives contestées dans ce pourvoi permettent aux juges municipaux à temps partiel de continuer à pratiquer le droit, sous certaines réserves:
Loi sur les cités et villes, L.R.Q., ch. C‑19
608. Malgré toute disposition contraire, l'acceptation de la charge et l'exercice de la fonction ne rendent pas le juge municipal inhabile à exercer sa profession d'avocat devant une cour de justice, mais ils le rendent inhabile à exercer sa profession devant toute cour municipale autre que celles de Laval, de Montréal et de Québec.
608.1. Le juge municipal est tenu, outre les règles de conduite et les devoirs imposés par le code de déontologie adopté en vertu de l'article 261 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (chapitre T‑16), de respecter les règles suivantes:
1o Il ne peut, même indirectement, être partie à un contrat avec une municipalité sur le territoire de laquelle la cour municipale a juridiction, sauf, compte tenu des adaptations nécessaires, les cas prévus à l'article 305 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (chapitre E‑2.2), ni conseiller une personne qui négocie un tel contrat;
2o Il ne peut, même indirectement, accepter de représenter une municipalité, un membre du conseil municipal, un employé qui n'est pas un salarié au sens du Code du travail (chapitre C‑27) ou un policier d'une municipalité sur le territoire de laquelle la Cour municipale a juridiction ou, encore, accepter d'agir contre eux;
3o Il ne peut entendre une cause lorsqu'un avocat avec lequel il exerce sa profession est partie à un contrat prévu au paragraphe 1o ou a accepté soit de représenter une municipalité ou une personne visée au paragraphe 2o, soit d'agir contre eux;
4o Il ne peut entendre une cause portant sur une question pareille à celle dont il s'agit dans une autre cause où il représente l'une des parties;
5o Il doit, quant à toute cause dont il est saisi, déclarer par écrit versé au dossier, non seulement les causes valables de récusation qu'il connaît en sa personne et prévues à l'article 234 du Code de procédure civile (chapitre C‑25), mais également celles qui lui sont indirectes et qui sont liées soit au fait qu'il représente une partie, soit aux activités d'une personne avec laquelle il exerce sa profession.
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12
23. Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien‑fondé de toute accusation portée contre elle.
Charte canadienne des droits et libertés
11. Tout inculpé a le droit:
. . .
d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;
Les jugements des tribunaux d'instance inférieure
La Cour supérieure du Québec
Divers aspects du régime législatif établissant le système des cours municipales ont été contestés devant la Cour supérieure du Québec, qui allaient au‑delà des questions constitutionnelles soulevées dans le présent pourvoi. En ce qui concerne l'ensemble de sa structure, le juge Viens a conclu que le système des cours municipales ne possédait pas les garanties objectives d'indépendance judiciaire exigées par notre Cour dans l'arrêt Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673: l'inamovibilité, la sécurité financière et l'indépendance institutionnelle.
Il a reconnu que des modifications avaient été apportées depuis les décisions R. c. Braconnier, [1988] R.J.Q. 981 (C.S.), et Tessier c. Paquet, [1988] R.J.Q. 2553 (C.S.), dans lesquelles on a statué que les cours municipales ne possédaient pas les garanties d'indépendance judiciaire exigées à l'al. 11d) de la Charte canadienne. Par suite de l'adoption de la Loi sur certains aspects du statut des juges municipaux, L.Q. 1988, ch. 74, l'art. 606.1 de la Loi sur les cités et villes prévoit désormais qu'un "juge municipal est nommé durant bonne conduite" et que "[l]es règles prévues par la Loi sur les tribunaux judiciaires (chapitre T‑16) et relatives à la destitution d'un juge s'appliquent aux juges municipaux".
En raison de ces deux modifications, le juge Viens a concédé que les juges peuvent être considérés comme étant inamovibles et qu'en ce sens, ils remplissent la première condition de l'arrêt Valente, précité. Toutefois, un examen plus approfondi des dispositions législatives pertinentes, comme l'art. 609.1 de la Loi sur les cités et villes (qui permet à une municipalité d'abolir une cour municipale), révèle que les juges municipaux sont loin d'être ". . . à l'abri de toute intervention discrétionnaire ou arbitraire de la part de l'exécutif ou de l'autorité responsable pour ces nominations" (p. 2375).
Bien que l'art. 605 de la Loi sur les cités et villes précise que le conseil municipal ne peut abolir une cour municipale qu'avec l'assentiment du ministre des Affaires municipales et du ministre de la Justice, aucun critère légal ne vient limiter l'exercice de ce pouvoir. La Loi permet donc à l'exécutif d'abolir les cours municipales et, ainsi, de faire obstacle aux juges d'une façon purement discrétionnaire ou arbitraire. Les juges municipaux ne sont pas vraiment "inamovibles". Par conséquent, en dépit des récentes améliorations apportées à la Loi, les cours municipales ne sont toujours pas les "tribunaux indépendants" requis par l'al. 11d) de la Charte canadienne ou par l'art. 23 de la Charte québécoise.
Le juge Viens a ensuite donné d'autres exemples de dispositions législatives qui, en accordant effectivement à l'exécutif le pouvoir discrétionnaire et arbitraire de révoquer les juges, soulèvent aussi des doutes sur l'indépendance des cours municipales: section II de la Loi sur les cours municipales, art. 2, 7.1. et 7.3. Parce qu'une municipalité mécontente des décisions d'une certaine cour municipale pourrait soustraire son territoire à la juridiction de cette cour, les municipalités ont donc le pouvoir d'influer sur le salaire et l'inamovibilité des juges municipaux.
Pour ce qui est de la question particulière soulevée dans le présent pourvoi, le juge Viens s'est montré d'accord avec les intimés pour dire que, puisque les art. 608 et 608.1 de la Loi sur les cités et villes permettaient aux juges municipaux de rester membres du Barreau du Québec et de poursuivre la pratique de leur profession tout en siégeant en qualité de juges, les juges en question n'étaient pas perçus comme impartiaux ou sans préjugés.
Bien que l'on ait amélioré la Loi au moyen de l'art. 608.1 depuis les arrêts Braconnier et Tessier, précités (dans lesquels on a conclu que la nomination des juges à temps partiel ne garantissait pas leur impartialité), le juge Viens a statué qu'une personne raisonnable pourrait tout de même douter de l'impartialité d'un juge qui continuerait de pratiquer le droit tout en étant juge à temps partiel. Quiconque comparaît devant une cour municipale a droit à la même garantie d'impartialité que la personne qui comparaît devant toute autre cour.
Parce que les cours municipales ne respectaient pas les normes d'indépendance et d'impartialité ou d'absence de préjugés imposées à l'al. 11d) de la Charte canadienne et à l'art. 23 de la Charte québécoise, le juge Viens a statué qu'elles n'avaient pas compétence à l'égard des accusations portées contre les intimés et il a accueilli toutes les requêtes en évocation et en délivrance de brefs de certiorari et de prohibition.
La Cour d'appel du Québec
Le juge Proulx
Pour des motifs de procédure, le juge Proulx a rejeté les prétentions des intimés selon lesquelles les art. 605 et 609.1 de la Loi sur les cités et villes (permettant à une municipalité d'abolir une cour municipale) ne respectaient pas l'exigence d'"indépendance" prévue à l'al. 11d). Bien que Mme Lippé et les autres intimés aient été autorisés à modifier leurs actes de procédure, ils n'ont pas demandé que ces dispositions soient déclarées inopérantes. Par conséquent, la question ne pouvait être traitée comme une question constitutionnelle. En raison de ce problème de procédure et de l'absence de preuve que les droits conférés à Mme Lippé et aux autres intimés par l'al. 11d) avaient été violés par l'abolition réelle d'une cour municipale, le juge Proulx a statué que la conclusion du juge de première instance sur ce point ne saurait être justifiée.
Quant à la question des art. 2 à 7.3 de la Loi sur les cours municipales (qui permettent aux municipalités de soustraire leur territoire à la juridiction d'une cour municipale donnée), Mme Lippé et les autres intimés n'ont pas non plus demandé que ces dispositions soient déclarées inopérantes. Ils ont plutôt soutenu que, selon le droit municipal, la municipalité de Jacques‑Cartier n'avait pas l'autorité nécessaire pour soumettre son territoire à la juridiction d'une autre cour municipale. Parce que l'argument d'ordre constitutionnel n'a pas été avancé, le juge Proulx a refusé de le traiter bien qu'il ait dit, en passant, que s'il avait été saisi de la question, il aurait conclu à l'absence de violation de la Constitution. Étant donné sa conclusion à l'égard de la troisième question, il n'a pas jugé nécessaire d'examiner le moyen des intimés fondé sur le droit municipal.
Pour ce qui est de la question du statut à temps partiel des juges municipaux (prévu aux art. 607, 607.1, 608 et 608.1 de la Loi sur les cités et villes), les intimés ont demandé que ces dispositions soient déclarées inopérantes pour le motif qu'elles violaient les garanties d'indépendance et d'impartialité judiciaires contenues dans la Charte canadienne et la Charte québécoise. Le juge Proulx a conclu que la structure des cours municipales qui permet la nomination de juges à temps partiel respectait les trois critères énoncés dans l'arrêt Valente, précité. Il a cependant ajouté que le fait que le système garantit l'indépendance collective ou administrative ne signifie pas qu'il garantit l'"indépendance" individuelle prise au sens de "l'état d'esprit". Il a aussi conclu que, même si personne ne soulevait la question de la partialité individuelle, il pourrait y avoir perception de partialité structurelle. La perception décisive est celle qu'aurait une personne raisonnable et bien informée (à la p. 2218):
La bonne foi se présume et je suis convaincu qu'un juge municipal qui a prêté serment de remplir "impartialement et honnêtement" ses devoirs et qui est soumis à un code de déontologie ne violerait pas ce serment et qu'il se récuserait dans les situations qui lui paraîtraient donner naissance à une appréhension raisonnable de partialité. Mais est‑ce là la norme? Je ne le crois pas. La personne raisonnable ne peut pas être rassurée du seul fait que le juge puisse se récuser quand bon lui semble; de nombreux conflits peuvent échapper au juge qui est de bonne foi tout autant qu'un justiciable non informé.
La présence d'un conflit d'intérêts potentiel est loin de manquer de réalisme ou de sens pratique.
Il y a bien l'article 608.1, qui prévoit des causes spécifiques et générales de récusation. Mais cela peut‑il assurer une personne raisonnable que le juge, avocat hier, avocat demain et juge le surlendemain, peut donner la pleine mesure de justice, bref la même justice qu'un juge qui se consacre exclusivement aux affaires judiciaires?
À son avis, les exigences constitutionnelles ne devraient pas être moins strictes à l'égard des cours municipales simplement parce que leurs décisions sont susceptibles d'appel. Les justiciables ont droit à une décision rendue par un tribunal impartial dès la première instance. Mentionnant la vaste compétence des cours municipales, qui s'étend même aux affaires criminelles, il a pris soin d'établir une distinction entre sa décision dans cette affaire et la situation où les avocats président d'autres organismes qui rendent des décisions judiciaires ou quasi judiciaires. Les normes applicables à l'impartialité peuvent différer selon qu'il s'agit d'un tribunal administratif ou d'une cour de justice.
En statuant que la structure des avocats juges à temps partiel violait l'al. 11d), il a tiré la conclusion suivante (aux pp. 2220 et 2221):
Appliquant également dans ce cas le test de la perception d'une personne raisonnable et bien informée, je suis d'avis que le statut d'avocat‑juge du juge municipal laissera toujours entrevoir la possibilité raisonnable qu'il ne pourra pas toujours agir avec la liberté et le détachement requis.
Comment la personne raisonnable et bien informée percevrait‑elle ces situations plus litigieuses ou difficiles où le juge répond de sa décision devant l'opinion publique parfois insatiable, où l'indépendance judiciaire doit se manifester davantage par le courage de résister à l'opinion publique et d'ainsi veiller à la primauté du droit et aux intérêts des parties en cause?
Dans ces situations, un public bien informé croirait que bien inconsciemment, l'avocat juge s'inquiéterait de sa pratique si sa décision allait dans un sens plutôt que l'autre. [En italique dans l'original.]
Bien que le juge Proulx ait conclu que l'"accès à la justice et une gestion efficace de la justice" constituaient une préoccupation urgente et réelle et que, par conséquent, ils respectaient le premier volet du critère énoncé dans l'arrêt Oakes, il a statué que les mesures législatives en cause ne satisfaisaient pas au critère de la proportionnalité.
Bien qu'il ait douté de l'existence même d'un lien rationnel entre la loi et son objectif, il a décidé la question de la proportionnalité eu égard aux deuxième et troisième volets du critère: l'atteinte minimale et l'appréciation de l'objectif en fonction des moyens choisis pour le réaliser. Étant donné l'importance du droit constitutionnel en jeu, le juge Proulx ne pouvait comprendre comment une société libre et démocratique pourrait accepter qu'un tribunal qui n'est ni indépendant ni impartial constitue une "limite raisonnable". La loi ne saurait respecter le critère de la proportionnalité que si les juges à temps partiel étaient absolument nécessaires. Par conséquent, cet aspect de l'appel a été rejeté et les art. 608 et 608.1 de la Loi sur les cités et villes ont été déclarés inopérants pour le motif qu'ils violaient l'al. 11d) de la Charte canadienne.
Le juge Tourigny (dissidente)
Le juge Tourigny a conclu que les mesures législatives en cause satisfaisaient aux exigences d'"indépendance" et d'"impartialité" et que, par conséquent, il n'y avait aucune violation de l'al. 11d). Tout d'abord, elle s'est dite d'accord avec le juge Proulx pour affirmer que les dispositions remplissaient les trois conditions de l'"indépendance" judiciaire énoncées dans l'arrêt Valente, précité. Elle a toutefois rejeté sa notion d'"indépendance individuelle" qui s'étend au‑delà des critères exposés dans l'arrêt Valente, précité. À son avis, le membre d'un tribunal collectivement ou institutionnellement indépendant est nécessairement individuellement "indépendant" (à la p. 2227):
Je ne peux me convaincre qu'un membre d'un tribunal collectivement indépendant ne soit pas individuellement indépendant.
Elle a préféré examiner, sous l'angle de l'impartialité, la crainte que le juge à temps partiel qui exerce la profession d'avocat puisse être perçu comme n'ayant pas le "détachement requis". Tout en reconnaissant la difficulté de différencier le concept de l'indépendance et de celui de l'impartialité, elle a conclu que l'indépendance judiciaire était l'un des facteurs qui servent à garantir l'impartialité judiciaire (à la p. 2227):
Au fond [. . .] l'on doit garantir aux justiciables que les juges jouissent de tout le détachement de quelque forme d'influence que ce soit qui pourrait, directement ou indirectement, teinter leurs décisions. C'est là l'objectif à atteindre et [. . .] l'indépendance judiciaire, telle que définie dans l'arrêt Valente, est la condition sine qua non à cet objectif, qui est finalement un objectif d'impartialité complète et totale. Vue sous cet angle, l'indépendance judiciaire serait le premier palier de l'impartialité en ce qu'elle assurerait l'impartialité des juges collectivement face aux pouvoirs exécutif et législatif.
Le juge Tourigny a, en ce qui concerne la question de l'impartialité, souligné de nouveau qu'il n'y avait, en l'espèce, aucune allégation de partialité réelle de la part d'un juge. La question était plutôt de savoir si le système lui‑même donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité (aux pp. 2228 et 2229):
Comme je l'ai dit précédemment, il s'agirait ici d'une absence d'impartialité qui résulterait non pas des faits ou des circonstances données, dans une affaire donnée, mais bien de la structure elle‑même.
Si, eu égard à la distinction que semble faire le juge Le Dain et que j'ai déjà citée, la partialité semble être un élément qui ne peut s'évaluer abstraitement, sans tenir compte de personne donnée, de contexte donné, d'affaire donnée, il n'en demeure pas moins cependant que la jurisprudence canadienne a déjà eu l'occasion de se pencher sur l'application possible d'une forme d'appréhension de partialité collective ou institutionnelle.
Après avoir cité, en exemple, les affaires MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856 (C.A.), et Sethi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] 2 C.F. 552 (C.A.), qui sont des arrêts récents dans lesquels (selon l'interprétation du juge Tourigny) il a été statué que des tribunaux ne satisfaisaient pas à l'exigence d'"impartialité" essentiellement par manque d'indépendance, elle a conclu (à la p. 2231):
Avec égards, il me semble clair que, lorsqu'il s'agit d'appréhension de partialité de l'ensemble d'un organisme ou d'un tribunal, ce sont les composantes mêmes de l'indépendance judiciaire qu'il faut examiner. L'indépendance dont il s'agit, à mon avis, est essentiellement celle définie par le juge Le Dain dans l'affaire Valente et qui porte atteinte à l'ensemble des membres d'une cour, parce qu'ils sont membres de cette cour et que la structure même de cette dernière, le mode de nomination de ses membres ou un quelconque défaut dans le processus prévu à la loi qui la constitue sont tels qu'ils génèrent l'appréhension de partialité.
Appliquant à notre affaire les principes que j'ai tenté de dégager des arrêts canadiens en ce domaine, je ne puis me convaincre que le système des juges municipaux québécois souffre d'un tel défaut d'indépendance qu'il entraînerait, chez la personne raisonnablement renseignée, une crainte de partialité.
Elle a aussi fait observer que les juges municipaux ont prêté serment et sont tenus d'observer des règles et des lignes directrices. Pour ces motifs, elle a conclu que le système était suffisant pour inspirer le respect et pour paraître indépendant et impartial.
Le juge Rothman (qui a souscrit aux motifs du juge Proulx)
Le juge Rothman a rejeté l'argument historique voulant que des juges à temps partiel participent depuis des années à l'administration de la justice et que, par conséquent, ce système soit adéquat. Depuis l'avènement de la Charte canadienne, les normes de justice, d'impartialité et d'indépendance ont changé. Il a aussi souligné la vaste compétence des cours municipales, pour conclure (à la p. 2233):
[traduction] Les juges municipaux ont compétence pour instruire de nombreuses affaires pénales et quelques affaires criminelles qui peuvent sérieusement porter atteinte aux droits et même à la liberté de ceux qui doivent comparaître devant eux. La société a le droit de s'attendre à ce qu'ils soient libres de toute apparence de partialité ou de conflit d'intérêts. Dans notre monde contemporain, j'estime que c'est là une norme difficile à respecter pour le juge qui pratique le droit, sert les intérêts de clients, gagne et perd des causes et fait, de jour avec d'autres avocats, les compromis nécessaires pour régler des causes, tout en exerçant des fonctions judiciaires le soir. Et cela est particulièrement difficile, à mon avis, dans de petites collectivités.
Les questions en litige
Le Juge en chef a formulé, le 1er octobre 1990, les questions constitutionnelles suivantes:
1.Les articles 608 et 608.1 de la Loi sur les cités et villes (L.R.Q., ch. C‑19) prévoyant que l'acceptation de la charge et l'exercice de la fonction de juge municipal ne rendent pas un tel juge inhabile à exercer sa profession d'avocat devant une cour de justice sauf devant toute cour municipale autre que celles de Laval, de Montréal et de Québec, et édictant des règles et des devoirs quant à sa conduite, sont‑ils incompatibles avec l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés?
2.Dans l'hypothèse où la Cour répond par l'affirmative à la première question, les art. 608 et 608.1 de la Loi sur les cités et villes peuvent‑ils se justifier dans le cadre de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
Le système des cours municipales
Les cours municipales ont, au Québec, compétence aussi bien en matière civile que pénale. Leur compétence en matière civile vise principalement la perception des taxes municipales et le recouvrement des autres deniers dus à la municipalité. En pratique, leur compétence pénale vise les infractions aux arrêtés municipaux et au Code de la sécurité routière, la plupart des infractions provinciales punissables sur déclaration sommaire de culpabilité (sauf quelques exceptions) et la partie XXVII du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.
Les cours municipales font partie du système judiciaire du Québec depuis le milieu du XIXe siècle. En 1987, le ministre de la Justice a demandé qu'une étude soit faite sur le système des cours municipales au Québec. À la suite du Rapport du Groupe de travail sur les Cours municipales, Les cours municipales au Québec: un projet de réforme, des modifications ont été apportées au système en 1988. Ces modifications comprenaient les garanties législatives ajoutées à l'art. 608.1 de la Loi sur les cités et villes.
Portée du pourvoi
Dans l'arrêt Valente, précité, notre Cour, par l'entremise du juge Le Dain, a énoncé trois "conditions essentielles" à l'indépendance judiciaire: (1) l'inamovibilité, (2) la sécurité financière, et (3) l'indépendance institutionnelle des tribunaux judiciaires relativement aux questions qui ont un effet sur l'exercice de leurs fonctions judiciaires. La Cour d'appel du Québec a considéré plusieurs aspects du système des cours municipales qui allaient au‑delà de la portée de ce pourvoi et elle a conclu, à l'unanimité, que le système des cours municipales du Québec satisfaisait aux conditions susmentionnées. Puisque la question soumise à notre Cour ne soulève aucune allégation à l'égard des rapports entre l'État et les cours municipales, je vais présumer ‑‑ sans exprimer d'opinion sur des aspects du système dont notre Cour n'est pas régulièrement saisie ‑‑ que l'on satisfait aux trois critères de l'arrêt Valente, précité.
L'objet du pourvoi devant notre Cour est beaucoup plus restreint que lorsque l'affaire a été soumise à la Cour supérieure du Québec et à la Cour d'appel du Québec. Limitée par les questions constitutionnelles, la seule question soumise à notre Cour vise la mesure législative qui prévoit que les cours municipales sont présidées par des juges à temps partiel qui peuvent, en même temps, continuer à exercer leur profession d'avocat. Dans leur mémoire, les intimés soutiennent que ces deux occupations sont incompatibles en ce sens que les juges et les avocats sont censés jouer des rôles très différents dans notre système judiciaire:
. . . le juge se doit de développer un état d'esprit empreint de sérénité, de détachement, de pondération et de modération. Il doit, sans se couper de la réalité humaine et de la société, avoir un certain recul à l'égard de la "mêlée".
L'approche de l'avocat doit être fondamentalement différente. Dans la limite de la légalité et de l'éthique, il doit se consacrer et se dévouer sans limite aux intérêts partisans des personnes qui deviennent ses clients. Son rôle en cour en est un de confrontation. Il en résulte donc que son état d'esprit doit être empreint de saine agressivité, d'engagement et de combativité.
Ils soutiennent aussi que la structure du système donne lieu à plusieurs conflits d'intérêts. En effet, diverses parties peuvent exercer des pressions sur les juges municipaux à temps partiel. Des clients pourraient les inciter à rendre des décisions favorables ou défavorables à un particulier ou à un point de vue donné. Il pourrait surgir un conflit d'intérêts si un avocat engagé dans des négociations avec le cabinet juridique d'un juge devait comparaître devant le juge. Finalement, des pressions pourraient être exercées sur le juge par le gouvernement. Si le cabinet juridique du juge cherchait à obtenir un certain contrat du gouvernement, le juge pourrait se sentir poussé à trancher une question constitutionnelle d'une certaine façon. Les intimés soutiennent qu'aucun code de déontologie ne saurait parvenir à écarter ces pressions et ces conflits d'intérêts à moins d'interdire carrément aux juges de pratiquer le droit. La structure à temps partiel des cours municipales rend à peu près impossible à un juge de paraître indépendant et libre de l'influence des autres participants au système judiciaire:
Comment un avocat qui, toute la journée représente de multiples intérêts, soutient diverses positions juridiques, affronte, traite ou négocie avec une foule de participants au système judiciaire tels que juges, officiers de justice, confrères‑avocats, policiers, fonctionnaires et clients, peut‑il projeter le soir cette indépendance face à tous les participants alors que ces intervenants de jour avec qui il a traité se transforment devant lui en avocats, amis ou adversaires, dont il devra approuver ou rejeter les arguments, en des policiers témoins à charge dont il devra évaluer la crédibilité du témoignage dans une plainte où le doute raisonnable sera particulièrement important? Un citoyen raisonnable et bien informé ne peut y voir indépendance judiciaire et encore moins apparence de justice. [En italique dans l'original.]
"Indépendance" ou "impartialité"
Les parties, si elles sont d'accord sur l'aspect du système des cours municipales susceptible de créer des problèmes, ne s'entendent cependant pas sur la qualification de la question litigieuse en l'espèce. L'appelant dit clairement qu'il estime que la question en litige en est une d'"impartialité" et non d'"indépendance". Parce que les conclusions du juge Proulx de la Cour d'appel se fondaient principalement sur le risque de conflits d'intérêts, il soutient qu'il a vraiment fondé sa décision sur une perception d'absence d'impartialité et non de manque d'indépendance. Selon l'appelant, la question de l'"indépendance" ne vise que la question de savoir s'il y a absence d'ingérence de l'État dans les cours de justice. Parce que la Cour d'appel a conclu à l'absence de pareille ingérence et qu'elle a déterminé que le système des cours municipales satisfaisait aux trois critères exposés dans l'arrêt Valente, précité, sa décision se fondait surtout sur l'absence d'"impartialité" et non sur le manque d'"indépendance", et le juge Proulx n'aurait pas dû parler d'"indépendance" en concluant que les cours municipales n'avaient pas le "détachement requis".
En revanche, les intimés font valoir que le manque d'"indépendance" des juges municipaux, aussi bien que leur manque d'"impartialité", sont en cause dans le présent pourvoi. Bien qu'ils soient d'avis que le système des cours municipales ne satisfait pas aux trois critères exposés dans l'arrêt Valente, précité, ils soutiennent que, même s'il y satisfaisait, il ne respecterait pas nécessairement l'exigence d'"indépendance" de l'al. 11d). En plus de ces trois critères, le système doit être à l'abri de toutes sortes d'interventions et non seulement de l'ingérence de l'État.
On a beaucoup débattu le rapport précis entre l'"indépendance" et l'"impartialité" judiciaires. (Voir G. Pépin, "L'indépendance des tribunaux administratifs et l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne" (1990), 50 R. du B. 766; P. Garant, "La justice municipale au regard des chartes: quelques observations au lendemain de la grande réforme" (1991), 36 R.D. McGill 39; I. Greene, "The Doctrine of Judicial Independence Developed by the Supreme Court of Canada" (1988), 26 Osgoode Hall L.J. 177; P. Blache, "L'impartialité et l'indépendance selon les articles 7 et 11d de la Charte canadienne", dans Développements récents en droit administratif (1989), vol. 2, à la p. 55; J. F. Keable, "Les tribunaux administratifs et organismes de régulation et les exigences de la Charte en matière d'indépendance et d'impartialité (art. 23, 56.1 de la Charte québécoise)", dans Application des Chartes des droits et libertés en matière civile (1988), à la p. 251; W. J. Atkinson, "L'indépendance et l'impartialité des tribunaux administratifs sous la Charte des droits et libertés", dans Tribunaux administratifs à la lumière des Chartes (1989), à la p. 149.)
Le problème qui risque de se poser dans ce pourvoi est que, sur le plan institutionnel, les juges municipaux pourraient être perçus comme subissant l'influence abusive de diverses sources. Puisque les intimés n'allèguent pas qu'il y a influence de la part de l'État, la question ne cadre pas bien avec la jurisprudence traditionnelle relative à l'indépendance judiciaire; puisqu'ils n'allèguent pas l'existence de partialité individuelle de la part d'un juge particulier, la question ne saurait pas non plus être traitée, cas par cas, comme un problème de partialité. Comme l'a fait observer le professeur Pépin dans son article récent, cette affaire fait donc ressortir la difficulté qu'il y a à établir une distinction entre l'impartialité et l'indépendance. Bien qu'il se puisse que l'importance d'une telle distinction ne soit pas toujours apparente, celle‑ci revêt une importance particulière dans une affaire comme celle‑ci, qui met en cause des allégations de partialité sur le plan institutionnel:
Le fait que les deux exigences soient imposées par un même article [art. 23 de la Charte québécoise] est évidemment de nature à atténuer l'importance d'établir une distinction très nette entre les deux concepts. Mais, dans certaines circonstances, et l'affaire Lippé en est un exemple, les rigueurs de la précision font surface. Il faudra bien examiner cette notion d'impartialité structurelle qui chevauche les concepts d'impartialité et d'indépendance, afin de s'assurer d'abord de sa pertinence et de vérifier par la suite si elle ne pourrait pas être présentée comme une condition minimale de l'indépendance‑statut.
(Pépin, loc. cit., à la p. 781.)
Comme notre Cour l'a fait remarquer dans l'arrêt Valente, précité, les notions d'"indépendance" et d'"impartialité" sont très étroitement liées et, pourtant, séparées et distinctes (à la p. 685):
Même s'il existe de toute évidence un rapport étroit entre l'indépendance et l'impartialité, ce sont néanmoins des valeurs ou exigences séparées et distinctes. L'impartialité désigne un état d'esprit ou une attitude du tribunal vis‑à‑vis des points en litige et des parties dans une instance donnée. Le terme "impartial" [. . .] connote une absence de préjugé, réel ou apparent. Le terme "indépendant", à l'al. 11d), reflète ou renferme la valeur constitutionnelle traditionnelle qu'est l'indépendance judiciaire. Comme tel, il connote non seulement un état d'esprit ou une attitude dans l'exercice concret des fonctions judiciaires, mais aussi un statut, une relation avec autrui, particulièrement avec l'organe exécutif du gouvernement, qui repose sur des conditions ou garanties objectives.
Dans l'arrêt Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, le juge en chef Dickson a exposé les assises constitutionnelles de l'indépendance judiciaire au Canada et il a dégagé les trois sources principales de ce principe (aux pp. 71 à 73):
Premièrement, le Canada est un État fédéral doté d'un partage constitutionnel des compétences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Comme dans d'autres États fédéraux, il est nécessaire d'avoir un arbitre impartial pour régler les litiges aussi bien entre les deux paliers de gouvernement qu'entre les gouvernements et les citoyens qui invoquent le partage des compétences [. . .] Au Canada, depuis la Confédération, on admet que les tribunaux jouent un rôle constitutionnel important en tant qu'arbitres du système fédéral. . .
Deuxièmement, l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés [. . .] a conféré aux tribunaux un autre rôle vraiment important: la défense des libertés individuelles fondamentales et des droits de la personne contre les ingérences de tout palier et organe de gouvernement. Encore une fois, l'indépendance judiciaire est essentielle pour jouer ce rôle profondément constitutionnel.
Outre ces deux sources fondamentales ou raisons d'être de l'indépendance judiciaire, il y a également une reconnaissance écrite du principe dans la Loi constitutionnelle de 1867. Le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 établit que le Canada doit avoir une constitution "reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume‑Uni". Étant donné que l'indépendance judiciaire est depuis des siècles un principe important de la Constitution du Royaume‑Uni, on peut à juste titre déduire que ce principe a été transféré au Canada par le texte constitutionnel du préambule. En outre, en vertu de l'art. 129 de la Loi constitutionnelle de 1867, les tribunaux qui existaient déjà dans les provinces qui se fédéraient ont continué d'exister dans le nouveau Dominion. Les traditions fondamentales de ces tribunaux, y compris l'indépendance judiciaire, ont également été maintenues. De plus, les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 relatives aux juges, particulièrement les art. 96, 99 et 100, appuient le pouvoir et l'indépendance judiciaire, du moins au niveau des cours supérieures, de district et de comté.
Il est donc clair que le principe de l'indépendance judiciaire a traditionnellement exigé que les tribunaux soient indépendants du gouvernement. Les intimés décrivent le principe de façon plus générale, affirmant qu'il requiert l'indépendance judiciaire vis‑à‑vis de toutes influences, y compris, en l'espèce, celle des parties qui comparaissent devant les juges municipaux. À l'appui de cette thèse, ils invoquent le texte de l'arrêt Beauregard, précité (aux pp. 69 et 73):
Historiquement, ce qui a généralement été accepté comme l'essentiel du principe de l'indépendance judiciaire a été la liberté complète des juges pris individuellement d'instruire et de juger les affaires qui leur sont soumises: personne de l'extérieur ‑‑ que ce soit un gouvernement, un groupe de pression, un particulier ou même un autre juge ‑‑ ne doit intervenir en fait, ou tenter d'intervenir, dans la façon dont un juge mène l'affaire et rend sa décision.
. . .
Le rôle des tribunaux en tant qu'arbitres des litiges, interprètes du droit et défenseurs de la Constitution exige qu'ils soient complètement séparés, sur le plan des pouvoirs et des fonctions, de tous les autres participants au système judiciaire. [Souligné dans l'original.]
Je ne saurais souscrire à ces observations des intimés. Le contenu du principe de l'indépendance judiciaire doit se déterminer en fonction de notre tradition constitutionnelle et il est donc limité à l'indépendance vis‑à‑vis du gouvernement. Bien que le texte de l'arrêt Beauregard, précité, puisse sembler avoir élargi le concept, il faut se rappeler que le raisonnement de l'affaire a fait porter l'exigence au‑delà de l'exécutif jusqu'au pouvoir législatif du gouvernement. Le paragraphe qui suit celui sur lequel s'appuient les intimés souligne d'ailleurs ce point (à la p. 73):
Je mets l'accent sur le mot "tous" dans la phrase précédente parce que, bien que l'indépendance judiciaire soit habituellement étudiée et analysée en fonction du rapport qui existe entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif, dans le présent pourvoi le rapport pertinent est celui qui existe entre le pouvoir judiciaire et le Parlement. Rien ne dépend de cette différence contextuelle.
Je n'entends toutefois pas limiter cette notion de "gouvernement" aux simples pouvoirs exécutif et législatif. Par l'expression "gouvernement", dans ce contexte, je veux dire toute personne ou tout organisme capable d'exercer des pressions sur les juges en vertu de pouvoirs émanant de l'État. Cette large définition englobe, par exemple, le Conseil canadien de la magistrature et tout Barreau. J'inclurais aussi toute personne et tout organisme au sein de la magistrature investis de certains pouvoirs sur les juges; par exemple, les membres de la Cour doivent jouir de l'indépendance judiciaire et être en mesure d'exercer leur jugement sans faire l'objet de pression ou d'influence de la part du Juge en chef. Je souligne qu'en élargissant le sens du mot "gouvernement" pour définir l'expression "indépendance judiciaire", je n'entends nullement donner une définition aux fins de l'art. 32 de la Charte canadienne.
Les faits de l'espèce ne soulèvent aucun problème d'"indépendance" parce que le Barreau du Québec n'exerce aucune autorité sur les juges municipaux en leur qualité de juges. Cependant, si une mesure législative assujettissait les juges municipaux à la discipline du Barreau du Québec, cette disposition soulèverait des problèmes d'indépendance judiciaire.
Le fait de donner à l'"indépendance judiciaire" un sens restreint ne réduit pas pour autant la garantie constitutionnelle. L'alinéa 11d) de la Charte canadienne et l'art. 23 de la Charte québécoise garantissent l'indépendance et l'impartialité. Comme l'a déclaré notre Cour dans l'arrêt MacKeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796, à la p. 826, l'indépendance judiciaire est une condition fondamentale qui contribue à la garantie d'un procès dénué de partialité:
Il faut remarquer que l'indépendance du pouvoir judiciaire ne doit pas être confondue avec l'impartialité du pouvoir judiciaire. Comme le souligne le juge Le Dain dans l'arrêt Valente c. La Reine, l'impartialité a trait à l'état d'esprit d'un juge; l'indépendance judiciaire, par contre, se rapporte à la relation sous‑jacente qu'il y a entre le pouvoir judiciaire et les autres organes du gouvernement, qui assure que la cour fonctionnera de façon impartiale et sera perçue comme tel. Ainsi, la question qui se pose dans une affaire comme la présente n'est pas de savoir si l'acte du gouvernement en question aura en fait des répercussions sur l'impartialité d'un juge, mais plutôt de savoir s'il menace l'indépendance qui est la condition fondamentale de l'impartialité judiciaire dans un cas donné.
La garantie d'indépendance judiciaire vise dans l'ensemble à assurer une perception raisonnable d'impartialité; l'indépendance judiciaire n'est qu'un "moyen" pour atteindre cette "fin". Si les juges pouvaient être perçus comme "impartiaux" sans l'"indépendance" judiciaire, l'exigence d'"indépendance" serait inutile. Cependant, l'indépendance judiciaire est essentielle à la perception d'impartialité qu'a le public. L'indépendance est la pierre angulaire, une condition préalable nécessaire, de l'impartialité judiciaire.
Cependant, les faits de l'espèce montrent clairement que, dans certaines situations, il peut arriver que l'indépendance judiciaire ne soit pas suffisante. L'indépendance judiciaire n'est qu'un élément de l'impartialité judiciaire:
[traduction] [L']absence d'indépendance pourrait être considérée comme un bon indice du manque d'impartialité. Cependant, le manque d'impartialité ne signifie pas nécessairement, à lui seul, qu'il y a absence d'indépendance. En effet, le manque d'impartialité peut être imputable à un certain nombre de facteurs, et l'absence d'indépendance n'est qu'un de ces facteurs.
(Greene, loc. cit., à la p. 194.)
Nonobstant l'indépendance judiciaire, il peut aussi exister une crainte raisonnable de partialité sur le plan institutionnel ou structurel. Bien que le concept de l'impartialité institutionnelle n'ait jamais été reconnu par notre Cour, la garantie constitutionnelle d'un "tribunal indépendant et impartial" doit être suffisamment étendue pour le renfermer. Tout comme l'exigence d'indépendance judiciaire comporte un aspect individuel aussi bien qu'institutionnel (Valente, précité, à la p. 687), il en va de même pour l'exigence d'impartialité judiciaire. Je ne saurais interpréter la Charte canadienne comme garantissant l'une sur le plan institutionnel, et l'autre simplement au cas par cas. Sur ce point je dois, en toute déférence, exprimer mon désaccord avec le juge Tourigny et faire miens les propos du juge Proulx en Cour d'appel (à la p. 2220):
Puisque le problème touche l'impartialité du Tribunal comme garantie constitutionnelle, je crois qu'il serait utile de considérer aussi l'impartialité de façon effective ou objective, comme l'avait fait le juge Le Dain en traitant de la notion d'indépendance judiciaire. Ceci permet d'insister tout autant sur l'impartialité reliée au statut du juge qu'à sa manière d'agir in concreto.
Dans son mémoire, le Procureur général fait valoir que l'impartialité doit s'évaluer en fonction de faits et non d'hypothèses, que l'intimée devait par conséquent faire la preuve d'un conflit d'intérêts précis. Or, de poursuivre l'appelant, conclure à la partialité uniquement en raison d'une disposition législative est du domaine de l'hypothèse.
Cette approche vide la garantie constitutionnelle de tout son sens. Comme je l'ai démontré ci‑haut, la question en est une de perception de l'image de la justice et il est tout aussi important pour maintenir la confiance du public en l'impartialité des tribunaux que le système ou l'encadrement législatif ne prête pas le flanc à la critique et donne ouverture à une appréhension raisonnable de partialité. [Je souligne.]
Le statut objectif du tribunal peut s'appliquer tout autant à l'exigence d'"impartialité" qu'à celle d'"indépendance". Par conséquent, qu'un juge particulier ait ou non entretenu des idées préconçues ou des préjugés, si le système est structuré de façon à susciter une crainte raisonnable de partialité sur le plan institutionnel, on ne satisfait pas à l'exigence d'impartialité. Comme l'a déclaré notre Cour dans l'arrêt Valente, précité, l'apparence d'impartialité est importante pour assurer la confiance du public dans le système (à la p. 689):
Tant l'indépendance que l'impartialité sont fondamentales non seulement pour pouvoir rendre justice dans un cas donné, mais aussi pour assurer la confiance de l'individu comme du public dans l'administration de la justice. Sans cette confiance, le système ne peut commander le respect et l'acceptation qui sont essentiels à son fonctionnement efficace. Il importe donc qu'un tribunal soit perçu comme indépendant autant qu'impartial et que le critère de l'indépendance comporte cette perception qui doit toutefois, comme je l'ai proposé, être celle d'un tribunal jouissant des conditions ou garanties objectives essentielles d'indépendance judiciaire, et non pas une perception de la manière dont il agira en fait, indépendamment de la question de savoir s'il jouit de ces conditions ou garanties.
Le système judiciaire qui perd le respect du public perd son efficacité. Comme l'a exprimé le juge Proulx dans les motifs qu'il a rédigés en Cour d'appel, la confiance du public dans le système de justice est essentielle à son existence et à son fonctionnement efficace (à la p. 2209):
D'autres valeurs contribuent à maintenir la confiance du public, comme l'accès le plus démocratique à la justice, l'égalité de tous devant la loi, l'indépendance et le professionnalisme du Barreau, une audition dans les meilleurs délais, pour ne nommer que celles‑là. Tout au cours du procès et au jour du jugement, les parties au litige savent bien que le Tribunal devra trancher en faveur de l'un et à la désolation de l'autre, mais l'acceptent ultimement parce que celui ou celle qui a la responsabilité de juger n'a rien à gagner en concluant dans un sens plutôt que dans l'autre et aussi parce que sa décision est rendue librement et suivant sa conscience.
Par conséquent, je conclus que la question litigieuse en l'espèce devrait être décrite comme visant l'"impartialité institutionnelle".
Le critère applicable à l'impartialité institutionnelle
En s'efforçant de déterminer la nature précise du problème de la partialité au sein du système des cours municipales, les intimés concentrent leurs arguments sur deux points: le fait que les juges municipaux siègent à temps partiel et le fait qu'ils peuvent continuer à pratiquer le droit. Il ne fait aucun doute que les intimés allèguent que l'impression de partialité tient au fait que les juges sont des avocats qui pratiquent le droit. Cependant, ils ont aussi concédé, tant dans leur mémoire que dans leur plaidoirie, que des conflits d'intérêts pourraient résulter simplement du fait qu'un juge est à temps partiel, quelle que puisse être son autre profession.
J'admets que le système qui permet d'avoir des juges à temps partiel n'est pas le système idéal. Toutefois, la Constitution ne garantit pas toujours la situation "idéale". Le système idéal pourrait peut‑être consister en une formation de trois ou cinq juges qui entendraient chaque affaire; c'est peut‑être** là l'idéal, mais on ne peut certainement pas dire que la Constitution le garantit. Renvoyant à de récents rapports et allocutions sur l'indépendance judiciaire, notre Cour, par l'entremise du juge Le Dain dans l'arrêt Valente, précité, a nettement déclaré que l'al. 11d) ne garantissait pas l'"idéal" en matière d'indépendance judiciaire (à la p. 692):
On peut s'attendre que ces efforts, déployés particulièrement par les milieux juridique et judiciaire en vue d'affermir les conditions de l'indépendance judiciaire au Canada, vont continuer à viser l'idéal. Il ne serait cependant pas possible d'appliquer les conditions les plus rigoureuses et les plus élaborées de l'indépendance judiciaire à l'exigence constitutionnelle d'indépendance qu'énonce l'al. 11d) de la Charte, qui peut devoir s'appliquer à différents tribunaux.
En formulant les trois "conditions essentielles" de l'indépendance judiciaire, le juge Le Dain a aussi fait une distinction entre l'"idéal" et le contenu de la garantie constitutionnelle (aux pp. 698, 706, 711 et 712):
En somme, je suis d'avis que si la disposition concernant l'inamovibilité [. . .] ne fournit une inamovibilité ni idéale ni parfaite, elle fait néanmoins ressortir ce qu'on peut raisonnablement percevoir comme les conditions essentielles de l'inamovibilité pour les fins de l'al. 11d) . . .
. . .
Bien qu'il puisse être théoriquement préférable que les traitements des juges soient fixés par le corps législatif, plutôt que par le pouvoir exécutif, et qu'ils grèvent le Fonds du revenu consolidé, plutôt que d'exiger une affectation de crédit annuelle, je ne pense pas que l'une ou l'autre de ces caractéristiques doive être considérée comme essentielle à la sécurité financière qui peut être raisonnablement perçue comme suffisante pour assurer l'indépendance au sens de l'al. 11d) de la Charte. . .
. . .
Si la plus grande autonomie ou indépendance administrative qu'il est recommandé d'accorder aux tribunaux, ou une partie de celle‑ci, peut se révéler hautement souhaitable, elle ne saurait, à mon avis, être considérée comme essentielle pour les fins de l'al. 11d) de la Charte.
Si la Charte canadienne ne garantit pas l'impartialité institutionnelle "idéale", quel est donc le critère applicable pour déterminer s'il y a violation? Les parties s'entendent pour dire que le critère applicable tant à l'"indépendance" qu'à l'"impartialité" devrait être celui qu'a exposé le juge de Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394, lequel critère a été adopté, dans l'arrêt Valente, précité, comme étant applicable aussi bien à la question de l'indépendance qu'à celle de l'impartialité (à la p. 684, citant le juge de Grandpré, et à la p. 689):
. . . la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander "à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique."
. . .
Il importe donc qu'un tribunal soit perçu comme indépendant autant qu'impartial et que le critère de l'indépendance comporte cette perception qui doit toutefois, comme je l'ai proposé, être celle d'un tribunal jouissant des conditions ou garanties objectives essentielles d'indépendance judiciaire, et non pas une perception de la manière dont il agira en fait, indépendamment de la question de savoir s'il jouit de ces conditions ou garanties.
C'est aussi le critère applicable à l'impartialité institutionnelle.
Le fait qu'un juge est juge à temps partiel ne soulève pas en soi une crainte raisonnable de partialité. Cependant, les activités qu'exerce un juge lorsqu'il ne siège pas peuvent fort bien soulever une telle crainte. Mais il n'y a rien d'intrinsèquement répréhensible à ce qu'un juge soit aussi un avocat. De fait, une formation juridique et un diplôme en droit sont généralement exigés et certainement souhaitables pour que quelqu'un soit nommé juge. Les allégations découlent davantage du fait que les juges à temps partiel pratiquent aussi le droit à temps partiel.
Bien que la Charte canadienne n'interdise pas les juges à temps partiel, elle garantit cependant qu'ils ne se livreront pas à des activités incompatibles avec leurs fonctions de juges. En d'autres mots, il existe quelques professions qui, pratiquées par ces juges à temps partiel, sont susceptibles de soulever une crainte de partialité sur le plan institutionnel.
Le critère applicable pour déterminer quelles occupations soulèveront une crainte raisonnable de partialité sur le plan institutionnel est le suivant:
Première étape: Compte tenu d'un certain nombre de facteurs, y compris mais sans s'y restreindre, la nature de l'occupation en cause et les parties qui comparaissent devant ce genre de juge, une personne parfaitement informée éprouvera‑t‑elle une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas?
Deuxième étape: Si la réponse à cette question est négative, on ne saurait alléguer qu'il y a crainte de partialité sur le plan institutionnel et la question doit se régler au cas par cas.
Si toutefois la réponse à cette question est affirmative, cette occupation est en soi incompatible avec les fonctions de juge. À ce stade de notre analyse, il faut se demander quelles sont les garanties existantes qui réduiront au minimum les effets préjudiciables, et si elles sont suffisantes pour respecter la garantie d'impartialité institutionnelle prévue à l'al. 11d) de la Charte canadienne. Ici encore, le critère consiste à déterminer si le système judiciaire soulèvera, dans un grand nombre de cas, une crainte raisonnable de partialité dans l'esprit d'une personne parfaitement informée. Il est important de se souvenir qu'il faut présumer que la personne parfaitement informée, à ce stade de l'analyse, connaît toutes les garanties existantes. Si ces dernières ont remédié aux problèmes de partialité dans un grand nombre de cas, le tribunal satisfait aux exigences d'impartialité institutionnelle prévues à l'al. 11d) de la Charte canadienne. Après cela, s'il subsiste encore une crainte raisonnable de partialité dans une situation donnée, il faut alors procéder au cas par cas.
Cette position trouve appui dans l'extrait suivant du Rapport du Groupe de travail sur les Cours municipales:
[traduction] La nomination de juges à temps partiel, de juges ad hoc, de juges temporaires non permanents [. . .] de juges de paix et de magistrats non juristes est répandue à travers le monde. De toute évidence, cela ne peut changer du jour au lendemain ni même à long terme. Le système est justifié par sa viabilité pratique et son acceptabilité traditionnelle. Ce qu'il est nécessaire de faire, c'est de fournir des garanties adéquates. [Je souligne.]
(Citant L. M. Singhvi, "Independence of Justice in the World", allocution prononcée lors de la session inaugurale du Colloque national sur la Justice: Indépendance et Imputabilité, Institut canadien de l'administration de la Justice, Montréal, 15 au 17 octobre 1987, aux pp. 41 et 42.)
Application du critère aux faits
Lorsque l'on applique ce critère aux faits de l'espèce, il faut tout d'abord déterminer si le fait qu'un juge à temps partiel est autorisé à continuer de pratiquer le droit soulève, dans un grand nombre de cas, une crainte raisonnable de partialité dans l'esprit d'une personne parfaitement informée. Les intimés ont exposé des motifs convaincants pour lesquels cette situation donnerait lieu à une telle crainte:
On s'attend à ce qu'un juge agisse de manière quelque peu détachée et tranche chaque affaire objectivement selon son bien‑fondé. L'avocat, par ailleurs, joue un rôle plus actif, plus agressif, qui semble incompatible avec l'état d'esprit impartial exigé d'un juge. Pour illustrer cette incompatibilité générale, les intimés donnent un certain nombre d'exemples de conflits d'intérêts susceptibles de se présenter:
a) Les clients des juges à temps partiel qui exercent également leur profession d'avocat pourraient les inciter à rendre une décision particulière à l'égard d'une question donnée.
b) Il pourrait y avoir apparence de conflit d'intérêts si un avocat du cabinet juridique dont fait partie le juge, ou encore un avocat qui participe à la conclusion d'une affaire avec ce cabinet, plaidait devant le juge.
c) Si le cabinet juridique dont fait partie le juge cherchait à obtenir un certain contrat du gouvernement, le juge pourrait se sentir poussé à favoriser la position du gouvernement dans une décision.
d) Les clients du juge pourraient être appelés à témoigner dans une affaire dont il est saisi.
En me fondant sur ces considérations, j'estime que la pratique du droit donne lieu à une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas et que, par conséquent, elle est intrinsèquement incompatible avec les fonctions d'un juge.
Insistant sur l'importance de l'apparence d'impartialité, les intimés ont souligné que des groupes, dont la Commission de services juridiques du Québec, la Corporation des officiers municipaux agréés du Québec, le comité de liaison de la Cour des sessions de la paix du district de Montréal ("ce comité était composé au printemps de 1988 du juge en chef de la Cour des sessions de la paix pour le district de Montréal, du directeur des services aux cours, du procureur‑chef du bureau des substituts du Procureur général du Québec du district de Montréal, du directeur du contentieux du service de police de la C.U.M. et d'autres personnes") perçoivent depuis des années des problèmes de partialité dans le système des cours municipales. Il est fait mention de cette opposition dans le Rapport du Groupe de travail sur les Cours municipales.
Le Barreau du Québec a aussi fait part de son opposition au système des juges à temps partiel en raison de son effet sur l'apparence de justice et sur la confiance du public dans le système.
De fait, en 1975, le procureur général du Québec et le ministre de la Justice ont proposé l'abolition du système parce qu'il ne satisfaisait pas aux mêmes critères que les autres cours du Québec. Ils proposaient le transfert de la compétence des cours municipales à d'autres cours capables d'offrir "de meilleures garanties d'impartialité". Les intimés ont trouvé singulier que le procureur général du Québec soit désormais d'avis que le statut des juges municipaux satisfait maintenant aux exigences constitutionnelles d'impartialité.
Il est nécessaire de souligner que ces objections, soulevées par divers groupes à l'encontre du système des cours municipales, ont précédé un certain nombre de modifications législatives, dont l'adoption de l'art. 608.1 de la Loi sur les cités et villes. Comme j'ai conclu que la pratique du droit est intrinsèquement incompatible avec les fonctions d'un juge, il faut alors étudier les garanties qui peuvent maintenant exister ou toutes autres considérations susceptibles d'atténuer les risques de partialité, dont aurait connaissance une personne parfaitement informée.
Le serment
L'une des plaintes que la Commission des services juridiques du Québec a formulées devant le Groupe de travail sur les Cours municipales, c'est que la loi n'exige pas que les juges municipaux prêtent serment avant d'entrer en fonction. On s'est depuis penché sur cette préoccupation. L'article 5 de la Loi sur certains aspects du statut des juges municipaux, qui est entré en vigueur le 1er janvier 1989, a ajouté à la Loi sur les cités et villes l'art. 615.1 qui prévoit ce qui suit:
615.1 Avant d'entrer en fonction, le juge municipal prête le serment ou fait l'affirmation solennelle qui suit: "Je jure (ou affirme solennellement) de remplir fidèlement, impartialement et honnêtement, au meilleur de ma capacité et de mes connaissances, tous les devoirs de juge d'une cour municipale et d'en exercer de même tous les pouvoirs".
L'immunité judiciaire
L'article 1 de la Loi sur les privilèges des magistrats, L.R.Q., ch. P‑24, accorde à tous les juges municipaux la même immunité dont jouissent les juges de la Cour supérieure. Comme l'a noté le Groupe de travail sur les Cours municipales, cette immunité contribue à l'indépendance et à l'impartialité judiciaires en ce sens que les juges municipaux sont à l'abri des actions consécutives à une décision judiciaire particulière.
Code de déontologie
Les juges municipaux sont tous tenus d'observer le Code de déontologie des juges municipaux du Québec, décret 644‑82, Supplément ‑‑ R.R.Q. 1981, conformément à la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.Q., ch. T‑16, art. 261 et 262:
1. Le rôle du juge est de rendre justice dans le cadre du droit.
2. Le juge doit remplir son rôle avec intégrité, dignité et honneur.
3. Le juge a l'obligation de maintenir sa compétence professionnelle.
4. Le juge doit prévenir tout conflit d'intérêts et éviter de se placer dans une situation telle qu'il ne peut remplir utilement ses fonctions.
5. Le juge doit, de façon manifeste, être impartial et objectif.
6. Le juge doit remplir utilement et avec diligence ses devoirs judiciaires.
7. Le juge doit s'abstenir de toute activité incompatible avec ses fonctions de juge municipal.
8. Dans son comportement public, le juge doit faire preuve de réserve, de courtoisie et de sérénité.
9. Le juge doit préserver l'intégrité et défendre l'indépendance de la magistrature, dans l'intérêt supérieur de la justice et de la société.
Plus particulièrement, les art. 4 et 5 de ce code exigeraient que les juges municipaux évitent plusieurs des possibilités de conflit d'intérêts données en exemple par les intimés. Ainsi, si un avocat du cabinet juridique dont fait partie un juge municipal devait comparaître devant la cour municipale, le juge en cause ne pourrait entendre l'affaire, l'art. 4 du Code de déontologie qui lui est applicable interdisant nettement une telle situation. De la même façon, si le client d'un juge municipal était appelé à témoigner devant lui dans une certaine affaire dont il est saisi, le Code interdirait au juge de siéger dans cette affaire. Si le cabinet juridique dont fait partie le juge soumissionnait en vue d'obtenir un contrat du gouvernement, il semblerait que le Code exige également que le juge s'abstienne d'entendre une action à laquelle le gouvernement serait partie.
Pour appliquer le Code de déontologie, les art. 263 à 281 de la Loi sur les tribunaux judiciaires établissent toute une procédure relative à l'examen des plaintes, qui peut éventuellement mener à la révocation d'un juge:
263. Le conseil reçoit et examine une plainte portée par toute personne contre un juge et lui reprochant un manquement au code de déontologie.
En plus du Code de déontologie, l'art. 608.1 de la Loi sur les cités et villes, entré en vigueur le 1er janvier 1989 (adopté conformément à l'art. 3 de la Loi sur certains aspects du statut des juges municipaux), impose aux juges municipaux d'autres obligations afin d'éviter les conflits d'intérêts:
Le paragraphe 608.1(1) interdit aux juges municipaux d'être parties, même indirectement, à un contrat avec une municipalité relevant de leur juridiction, ou même de conseiller une personne qui négocie un tel contrat.
Le paragraphe 608.1(2) interdit aux juges municipaux de représenter, même indirectement, une municipalité, un membre du conseil municipal, certains employés municipaux et les policiers relevant de leur juridiction, ou encore d'accepter d'agir contre eux.
Le paragraphe 608.1(3) interdit aux juges municipaux d'entendre certaines causes lorsqu'un avocat avec lequel ils exercent leur profession y est mêlé, et notamment lorsque l'avocat en cause représente ou agit contre une municipalité ou une personne visée au par. 608.1(2).
Le paragraphe 608.1(4) interdit aux juges municipaux d'entendre une cause portant sur une question pareille à celle dont il s'agit dans une autre cause où il représente l'une des parties. Cette disposition vise expressément la prétention des intimés voulant que les juges puissent se sentir poussés à décider certaines questions de façon à favoriser la cause d'un client.
Le paragraphe 608.1(5) fait référence aux motifs de récusation exposés à l'art. 234 du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, qui prévoit:
234. Un juge peut être récusé:
1. S'il est parent ou allié de l'une des parties, jusqu'au degré de cousin germain inclusivement;
2. S'il est lui‑même partie à un procès portant sur une question pareille à celle dont il s'agit dans la cause;
3. S'il a déjà donné conseil sur le différend, ou s'il en a précédemment connu comme arbitre, s'il a agi comme avocat pour l'une des parties, ou s'il a exprimé son avis extra‑judiciairement;
4. S'il est directement intéressé dans un litige mû devant un tribunal où l'une des parties sera appelée à siéger comme juge;
5. S'il y a inimitié capitale entre lui et l'une des parties; ou s'il y a eu de sa part des menaces, depuis l'instance ou dans les six mois précédant la récusation proposée;
6. S'il est tuteur, subrogé‑tuteur ou curateur, héritier présomptif ou donataire de l'une des parties;
7. S'il est membre de quelque groupement ou corporation, ou s'il est syndic ou protecteur de quelque ordre ou communauté, partie au litige;
8. S'il a quelque intérêt à favoriser l'une des parties;
9. S'il est parent ou allié de l'avocat ou de l'avocat‑conseil ou de l'associé de l'un ou de l'autre, soit en ligne directe, soit en ligne collatérale jusqu'au deuxième degré.
Le paragraphe 608.1(5) exige qu'à l'égard de toute cause dont il est saisi, le juge municipal déclare, par écrit versé au dossier, les causes de récusation auxquelles il est exposé en vertu de l'art. 234 du Code de procédure civile, et celles "qui lui sont indirectes et qui sont liées soit au fait qu'il représente une partie, soit aux activités d'une personne avec laquelle il exerce sa profession". La combinaison de toutes ces dispositions législatives concernant la récusation exige donc que les juges municipaux s'interrogent sur toute possibilité de conflit d'intérêts et qu'ils en fassent mention au dossier de toute cause dont ils sont saisis. À ce stade, ils doivent se récuser si, en entendant l'affaire, ils violeraient l'obligation de rester impartiaux et d'éviter les conflits d'intérêts que leur imposent leur serment d'office, l'art. 608.1 de la Loi sur les cités et villes et le Code de déontologie. Bien que je sois convaincu que les juges municipaux prêtent leur serment d'office solennellement et avec sérieux, ils peuvent être aussi forcés de respecter cette obligation en raison de la procédure prévue aux art. 263 à 281 de la Loi sur les tribunaux judiciaires.
Les mesures prises par les juges municipaux pour devenir davantage indépendants et impartiaux montrent bien qu'ils prennent leurs obligations au sérieux. Soixante‑cinq pour cent de ces juges habitent une municipalité autre que celle où ils exercent leurs fonctions judiciaires. Soixante‑dix pour cent ont leurs cabinets juridiques dans une autre municipalité que celle où ils siègent. Dix pour cent n'ont même pas un cabinet privé. Quelques‑uns ne pratiquent le droit que dans des domaines spécialisés.
Étant donné toutes les garanties législatives, y compris le serment d'office et les obligations exécutoires imposées aux juges municipaux, je ne saurais, en toute déférence, partager l'avis du juge Proulx selon lequel le système serait susceptible de soulever une crainte raisonnable de partialité dans l'esprit d'une personne raisonnable et bien informée.
Dans son jugement, le juge Proulx a fait droit à l'argument des intimés voulant qu'il puisse y avoir conflit d'intérêts sans même que le juge municipal s'en rende compte. Ainsi, le juge municipal qui pratique le droit dans un grand cabinet juridique ne connaît pas tous les clients de ses collègues ni toutes les causes dont ils sont chargés, etc. Cependant, un observateur raisonnable et bien informé peut fort bien connaître l'existence de tels conflits et craindre que le juge ne soit pas impartial. L'exigence d'"impartialité" [...] va au‑delà des actions délibérées du juge et comprend l'absence de "partialité involontaire ou inconsciente". À son avis, les réformes législatives n'ont pas remédié à tous les problèmes d'impartialité.
Bien qu'il puisse être vrai qu'un juge ne sera pas toujours conscient de l'existence d'un conflit d'intérêts, cette possibilité peut faire l'objet d'un examen cas par cas. Le serment prêté par les juges, le Code de déontologie auquel ils sont assujettis et les restrictions exposées à l'art. 608.1 de la Loi sur les cités et villes se combinent tous pour atténuer la crainte de partialité. Une personne raisonnablement bien informée ‑‑ qui connaît parfaitement le système des cours municipales du Québec, y compris toutes les garanties qu'il comporte ‑‑ ne devrait pas éprouver de crainte de partialité dans un grand nombre de cas. Par conséquent, je conclus que le système des juges municipaux à temps partiel autorisés à pratiquer le droit au Québec ne porte pas atteinte à la garantie d'impartialité judiciaire prévue à l'al. 11d) de la Charte canadienne et à l'art. 23 de la Charte québécoise. Parce que j'ai conclu qu'il n'y avait pas violation de l'al. 11d), il n'est pas nécessaire de procéder à une analyse fondée sur l'article premier.
//Le juge Gonthier//
Le jugement des juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Gonthier, et McLachlin a été rendu par
Le juge Gonthier ‑‑ J'ai eu l'avantage de prendre connaissance des motifs de jugement du Juge en chef. Je partage ses conclusions et je suis essentiellement d'accord avec le raisonnement qui les sous‑tend.
Toutefois, je tiens à indiquer que, même si la portée précise de l'"indépendance judiciaire" n'a pas à être en cause ici, je rejette, en toute déférence, le sens restreint qu'il donne à l'"indépendance judiciaire", qu'il définit comme se rapportant uniquement à l'indépendance vis‑à‑vis du gouvernement. En même temps, je suis d'accord avec le Juge en chef pour dire que "[l]e fait de donner à l'"indépendance judiciaire" un sens restreint ne réduit pas pour autant la garantie constitutionnelle" puisque l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés et l'art. 23 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., ch. C‑12, garantissent à la fois l'indépendance et l'impartialité.
J'estime que la définition plus large de l'"indépendance judiciaire" de l'arrêt Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, à la p. 69, est à la fois appropriée et importante:
Historiquement, ce qui a généralement été accepté comme l'essentiel du principe de l'indépendance judiciaire a été la liberté complète des juges pris individuellement d'instruire et de juger les affaires qui leur sont soumises: personne de l'extérieur ‑‑ que ce soit un gouvernement, un groupe de pression, un particulier ou même un autre juge ‑‑ ne doit intervenir en fait, ou tenter d'intervenir, dans la façon dont un juge mène l'affaire et rend sa décision.
Cela était conforme avec la pensée exprimée antérieurement par le juge Le Dain dans l'arrêt Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, à la p. 685:
Comme tel, il connote non seulement un état d'esprit ou une attitude dans l'exercice concret des fonctions judiciaires, mais aussi un statut, une relation avec autrui, particulièrement avec l'organe exécutif du gouvernement, qui repose sur des conditions ou garanties objectives. [Je souligne.]
On trouve des expressions semblables dans les textes suivants:
Indépendance
2.02Le juge est libre et tenu de régler les affaires dont il est saisi en toute impartialité, selon son interprétation des faits et de la loi, sans être soumis à des restrictions, des influences, des incitations, des pressions, des menaces ou des ingérences, directes ou indirectes, de quelque origine que ce soit.
(Déclaration universelle sur l'Indépendance de la Justice, Première conférence mondiale sur l'Indépendance de la Justice, Montréal, 10 juin 1983, dans S. Shetreet et J. Deschênes, éd., Judicial Independence: The Contemporary Debate (1985), 462, à la p. 465.)
[traduction] L'indépendance du juge pris individuellement comporte deux éléments essentiels: l'indépendance fondamentale et l'indépendance personnelle. L'indépendance fondamentale signifie qu'en rendant des décisions judiciaires et en exerçant d'autres fonctions officielles, chaque juge, pris individuellement, n'est assujetti qu'à l'autorité de la loi.
. . .
L'indépendance du pouvoir judiciaire implique non seulement qu'un juge doit être à l'abri des pressions gouvernementales et politiques et des démêlés politiques, mais qu'il doit aussi être tenu à l'écart des démêlés financiers ou d'affaires susceptibles d'influer, ou plutôt de sembler influer, sur lui dans l'exercice de ses fonctions judiciaires.
(S. Shetreet, "Judicial Independence: New Conceptual Dimensions and Contemporary Challenges", dans Shetreet et Deschênes, op. cit., aux pp. 598 et 599.)
[traduction] Une façon de favoriser l'impartialité consiste à s'efforcer de s'assurer que le juge est à l'abri de toute intervention extérieure des parties ou d'autres personnes intéressées, intervention qui vise à l'influencer. En d'autres termes, l'indépendance judiciaire, qui consiste à être dégagé de toute relation qui pourrait raisonnablement entraîner la partialité, a pour objet de favoriser l'impartialité judiciaire.
(I. Greene, "The Doctrine of Judicial Independance Developed by the Supreme Court of Canada" (1988), 26 Osgoode Hall L.J. 177, aux pp. 191 et 192.)
Comme l'a déjà affirmé notre Cour, quoique l'indépendance vis‑à‑vis du gouvernement soit un aspect très important de l'"indépendance judiciaire" et qu'elle ait fait l'objet, au cours des dernières années, de plusieurs décisions de la Cour et d'un certain nombre d'études de doctrine, elle ne couvre pas tout le domaine de l'"indépendance judiciaire". La même position a été adoptée par la Cour européenne des droits de l'homme qui a, à maintes reprises, décidé qu'un tribunal indépendant au sens du par. 6(1) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 213 R.T.N.U. 223, dont voici le texte:
Article 6
1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien‑fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle...
inclut à la fois l'indépendance vis‑à‑vis du gouvernement et l'indépendance vis‑à‑vis des parties au litige (voir Cour Eur. D. H., affaire Ringeisen, arrêt du 16 juillet 1971, série A no 13; Cour Eur. D. H., affaire Le Compte, Van Leuven et De Meyere, arrêt du 23 juin 1981, série A no 43; Cour Eur. D. H., affaire Piersack, arrêt du 1er octobre 1982, série A no 53; Cour Eur. D. H., affaire Campbell et Fell, arrêt du 28 juin 1984, série A no 80).
Le professeur Shetreet abonde dans le même sens et souligne l'importance de préserver l'indépendance des juges vis‑à‑vis des parties:
[traduction] L'indépendance du pouvoir judiciaire est normalement conçue comme le fait d'être à l'abri de toute intervention du pouvoir exécutif ou du corps législatif dans l'exercice des fonctions judiciaires. C'était là par exemple la conception du Congrès international de juristes qui s'est tenu à New Delhi, en 1959 . . .; elle découle du fait qu'historiquement l'indépendance du pouvoir judiciaire était menacée par les parlements et les monarques. De nos jours, avec la croissance incessante de sociétés géantes, il est de la plus grande importance d'assurer aussi l'indépendance du pouvoir judiciaire vis‑à‑vis des intérêts d'entreprises ou de sociétés. En bref, l'indépendance du pouvoir judiciaire implique non seulement qu'un juge doit être à l'abri des pressions gouvernementales et politiques et des démêlés politiques, mais qu'il doit aussi être tenu à l'écart des démêlés financiers ou d'affaires susceptibles d'influer, ou plutôt de sembler influer, sur lui dans l'exercice de ses fonctions judiciaires. [Je souligne.]
(S. Shetreet, Judges on Trial (1976), aux pp. 17 et 18.)
[traduction] La protection de l'indépendance personnelle ne se limite pas à s'inquiéter des pressions qui peuvent être exercées sur des juges par suite d'un contrôle abusif de la part de l'exécutif. L'indépendance personnelle est aussi protégée contre les pressions qui peuvent être exercées par les parties au litige. C'est là la raison d'être de la théorie de l'immunité judiciaire qui protège le juge contre toute action intentée par suite de propos, d'actes ou d'omissions dans l'exercice de ses fonctions judiciaires.
(Shetreet, "Judicial Independence: New Conceptual Dimensions and Contemporary Challenges", loc. cit., à la p. 623.)
La théorie de l'immunité judiciaire, à titre de protection de l'indépendance des juges vis‑à‑vis des parties, est exposée de façon colorée par le maître des rôles lord Denning dans l'affaire Sirros v. Moore, [1975] 1 Q.B. 118, citée dans l'arrêt Morier c. Rivard, [1985] 2 R.C.S. 716, aux pp. 739 et 740:
[traduction] Si la raison d'être de l'immunité est de garantir qu'ils "soient libres d'esprit et indépendants de pensée" elle s'applique à tous les juges indépendamment de leur rang. Tout juge doit être à l'abri de toute action en responsabilité lorsqu'il agit de façon judiciaire. Tout juge devrait être en mesure de travailler en toute indépendance et à l'abri de toute crainte. Il ne doit pas feuilleter ses recueils en tremblant et en se demandant "Si je prends ce parti, suis‑je exposé à une action en responsabilité?"
Comme l'indépendance judiciaire est une garantie de l'impartialité judiciaire, il importe d'en saisir toute la portée si on veut assurer la pleine protection de l'impartialité judiciaire. Cela est d'autant plus vrai que les manquements à l'indépendance sont généralement plus faciles à identifier dans les faits et, par conséquent, plus faciles à prouver que l'impartialité elle‑même qui est essentiellement un état d'esprit.
Dans le présent pourvoi, les intimés soulèvent un certain nombre d'aspects relatifs au statut des juges municipaux qui continuent d'exercer leur profession d'avocat. Certains de ces aspects peuvent être considérés comme se rapportant à une absence possible d'indépendance vis‑à‑vis des parties tandis que d'autres ont trait directement au processus de réflexion du juge. Tous ces aspects peuvent être considérés comme influant sur l'apparence d'impartialité et comme liés à ce statut mixte d'avocat et de juge à temps partiel. J'accepte qu'ils puissent être perçus comme ayant trait à l'impartialité institutionnelle et je souscris à l'analyse effectuée à cet égard par le Juge en chef et à ses raisons de conclure que le système des juges municipaux à temps partiel autorisés à pratiquer le droit au Québec ne porte pas atteinte à la garantie d'impartialité judiciaire prévue à l'al. 11d) de la Charte canadienne et à l'art. 23 de la Charte québécoise.
Par conséquent, je suis également d'avis d'accueillir le pourvoi et de répondre par la négative à la première question constitutionnelle. Vu la réponse donnée à cette première question, il n'est pas nécessaire de répondre à la deuxième question constitutionnelle.
Pourvoi accueilli.
Procureurs de l'appelant: Marise Visocchi, Jean‑Yves Bernard et Claude Bouchard, Ste‑Foy.
Procureurs de l'intimée Lippé: Brochet, Dussault & Associés, Ste‑Foy; Pierre Béliveau, Montréal.
Procureur des autres intimés: Herman Bédard, Québec.
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Le ministère du Procureur général, Toronto.
Procureurs des intervenantes la M.R.C. de la Jacques‑Cartier et la municipalité de Fossambault‑sur‑le‑Lac: Flynn, Rivard, Québec.