COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Yugraneft Corp. c. Rexx Management Corp., 2010 CSC 19, [2010] 1 R.C.S. 649 |
Date : 20100520 Dossier : 32738 |
Entre :
Yugraneft Corporation
Appelante
et
Rexx Management Corporation
Intimée
‐ et ‐
ADR Chambers Inc., Congrès d’arbitrage canadien,
Institut de médiation et d’arbitrage du Québec et
London Court of International Arbitration
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell
Motifs de jugement : (par. 1 à 65) |
Le juge Rothstein (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Cromwell) |
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Yugraneft Corp. c. Rexx Management Corp., 2010 CSC 19, [2010] 1 R.C.S. 649
Yugraneft Corporation Appelante
c.
Rexx Management Corporation Intimée
et
ADR Chambers Inc.,
Congrès d’arbitrage canadien,
Institut de médiation et d’arbitrage du Québec et
London Court of International Arbitration Intervenants
Répertorié : Yugraneft Corp. c. Rexx Management Corp.
2010 CSC 19
No du greffe : 32738.
2009 : 9 décembre; 2010 : 20 mai.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.
en appel de la cour d’appel de l’alberta
Prescription des actions — Sentence arbitrale étrangère — Reconnaissance et exécution — Délai de prescription applicable à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales étrangères en Alberta — Limitations Act, R.S.A. 2000, ch. L‐12, art. 3, 11.
Arbitrage — Sentence arbitrale étrangère — Reconnaissance et exécution — Le délai de prescription applicable à la demande de reconnaissance et d’exécution est‐il contraire à la Convention pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères? — Les délais de prescription sont‐ils des « règles de procédure » au sens de la Convention? — Convention pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères, R.T. Can. 1986 no 43.
Y Corp., une société russe qui développe et exploite des champs de pétrole en Russie, a acheté de R Corp., une société albertaine, du matériel servant à ses activités d’exploitation. À la suite d’un différend contractuel, Y Corp. a engagé une procédure d’arbitrage devant le tribunal international d’arbitrage commercial de la Chambre de commerce et d’industrie de la Fédération de Russie. Le 6 septembre 2002, le tribunal arbitral a ordonné à R Corp. de payer à Y Corp. 952 614,43 $US à titre de dommages‐intérêts. Le 27 janvier 2006, Y Corp. a présenté une demande de reconnaissance et d’exécution de la sentence à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. La cour a rejeté la demande, statuant qu’elle était prescrite en vertu de l’art. 3 de la Limitations Act qui prévoit un délai de prescription de deux ans. La Cour d’appel a maintenu cette décision.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
L’Alberta est tenue de reconnaître et d’exécuter les sentences arbitrales étrangères recevables. En Alberta, la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères sont régies par l’International Commercial Arbitration Act, laquelle incorpore dans le droit albertain la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères ainsi que la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international. La Convention oblige chaque État contractant, qui ne peut refuser que pour des motifs restreints, à reconnaître et exécuter les sentences arbitrales rendues sur le territoire d’un autre État, qu’il soit ou non partie à la Convention. Cette dernière a été ratifiée par une loi en Alberta et dans chacune des autres provinces. La Loi type, une codification des « pratiques exemplaires » internationales, propose des termes identiques à ceux de la Convention et a également été adoptée, sous réserve de certaines modifications, par toutes les provinces et tous les territoires du Canada, y compris l’Alberta.
La Convention permet aux États contractants d’imposer des délais de prescription pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères s’ils le désirent. Bien que les délais de prescription ne soient pas inclus dans la liste des motifs permettant à un État contractant de refuser de reconnaître et d’exécuter une sentence arbitrale étrangère, la Convention prévoit que la reconnaissance et l’exécution se font « conformément aux règles de procédure suivies dans le territoire où la sentence est invoquée ». Si la législature compétente a eu l’intention d’assujettir la procédure de reconnaissance et d’exécution à un délai de prescription, le délai en question sera interprété comme une « règle de procédure » au sens de la Convention. Il importe peu que le droit interne qualifie les délais de prescription de règles de fond ou de règles de procédure. Dans le cas des États fédératifs, les prescriptions sont régies par la loi du ressort, dans l’État fédératif, où la sentence est exécutée. Dans ces cas, l’entité compétente est le ressort, dans l’État contractant, où la sentence est exécutée, et non l’État contractant dans son ensemble. Pour se conformer à la Convention, l’Alberta doit simplement accorder aux sentences étrangères un traitement aussi généreux que celui qu’elle accorde aux sentences nationales prononcées en Alberta.
La Limitations Act est la seule loi albertaine applicable à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales étrangères. L’Arbitration Act exclut expressément les sentences étrangères, et la Reciprocal Enforcement of Judgments Act s’applique uniquement aux jugements et aux sentences arbitrales prononcés dans les États accordant la réciprocité. La Russie n’offre pas la réciprocité. Par contre, l’économie de la Limitations Act et son historique législatif indiquent que le législateur de l’Alberta voulait créer un régime de prescription complet et exhaustif applicable à toutes les causes d’action, sauf celles qui sont exclues par la Loi elle‐même ou visées par une autre loi. Les sentences arbitrales étrangères ne sont pas exclues et sont donc visées par la Limitations Act. Une demande de reconnaissance et d’exécution d’une sentence arbitrale étrangère est une demande d’« ordonnance de réparation » au sens de la Loi. Toutefois, puisqu’une sentence arbitrale ne constitue pas un jugement ni une ordonnance judiciaire de paiement d’une somme d’argent, le délai de prescription de 10 ans prévu à l’art. 11 de la Loi ne s’y applique pas. La demande est plutôt assujettie au délai de prescription de deux ans applicable à la plupart des causes d’action, lequel est prévu à l’art. 3 de la Loi.
Le délai de prescription de deux ans prévu à l’art. 3 est soumis à la règle de la possibilité de découvrir le dommage. Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le préjudice consiste en « l’inexécution d’une obligation » et que le demandeur cherche à obtenir la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale étrangère, la date de la sentence ne sera pas normalement considérée comme la date de l’inexécution de l’obligation de payer. Le délai de prescription en vertu de l’art. 3 ne commencera pas à courir tant que ne sera pas écartée la possibilité que la sentence soit annulée par les tribunaux du pays où elle a été prononcée. Rien au dossier dont dispose la Cour n’indique que la Russie, où la Loi type est appliquée, a modifié l’art. 34 de la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international qui prévoit un délai d’appel de trois mois pour demander l’annulation d’une sentence, et aucun appel n’a été interjeté dans ce délai. Du fait de l’omission de payer à la date à laquelle la sentence est devenue définitive, les deux premières conditions prévues aux al. 3(1)a)(i) et (ii) quant à la possibilité de découvrir le dommage sont respectées : le demandeur a appris que le préjudice visé par la demande a été subi et qu’il est attribuable à la conduite du défendeur. La troisième condition est également respectée. Aux termes de l’al. 3(1)a)(iii), un tribunal pourrait retarder le début du délai de prescription jusqu’à ce que le demandeur ait appris ou aurait dû apprendre que le préjudice justifie l’introduction d’une instance. En l’espèce toutefois, il n’était pas nécessaire de retarder le début du délai de prescription. Puisque le débiteur est enregistré en Alberta où se trouve son siège social, Y Corp. ne pouvait pas dire — et n’a pas dit — qu’elle ne savait pas ou qu’elle n’aurait pas pu savoir qu’une demande était justifiée en Alberta à l’expiration du délai d’appel de trois mois après avoir reçu communication de la sentence. Même en considérant la règle de la possibilité de découvrir le dommage, la demande de reconnaissance et d’exécution de la sentence arbitrale étrangère présentée par Y Corp. était prescrite en décembre 2004.
Jurisprudence
Distinction d’avec l’arrêt : Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022; arrêts mentionnés : Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077; Beals c. Saldanha, 2003 CSC 72, [2003] 3 R.C.S. 416; Daniels c. Mitchell, 2005 ABCA 271, 51 Alta. L.R. (4th) 212; Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801; Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., 2003 CSC 17, [2003] 1 R.C.S. 178; Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Novak c. Bond, [1999] 1 R.C.S. 808.
Lois et règlements cités
Arbitration Act, R.S.A. 2000, ch. A‐43, art. 2(1), 51.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 2924.
International Commercial Arbitration Act, R.S.A. 2000, ch. I‐5, art. 3.
Limitation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 266, art. 1, 6(4).
Limitation of Actions Act, R.S.A. 1980, ch. L‐15 [abr. 1996, ch. L‐15.1, art. 16].
Limitations Act, R.S.A. 2000, ch. L‐12, art. 1, 2(1), 3, 11, 12.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 92.
Reciprocal Enforcement of Judgments Act, R.S.A. 2000, ch. R‐6, art. 1(1)b), 2(1).
Documents internationaux
Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37, art. 31(1), 31(3).
Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, R.T. Can. 1986 no 43, art. I, III, V, XI.
Nations Unies. Commission des Nations Unies pour le droit commercial international. Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, Doc. N.U. A/40/17, ann. I (1985) [mod. Doc. N.U. A/61/17, ann. I (2006)], art. 5, 34, 35, 36, Deuxième partie (note explicative).
Nations Unies. Commission des Nations Unies pour le droit commercial international. Rapport sur l’enquête relative à l’application dans la législation de la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères (New York, 1958), 41e sess., Doc. N.U. A/CN.9/656/Add.1 (2008).
Doctrine citée
Blackaby, Nigel, and Constantine Partasides. Redfern and Hunter on International Arbitration, 5th ed. Oxford : Oxford University Press, 2009.
Born, Gary B. International Commercial Arbitration, vol. I, 3rd ed. New York : Kluwer Law International, 2009.
Chambre de commerce internationale. « Guide des règles nationales de procédure pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales conformément à la Convention de New York », Bull. CCI — Supp. spéc. 2008, 2009.
Mustill, Michael John. « Arbitration : History and Background » (1989), 6 J. Int’l Arb. 43.
Poudret, Jean‐François, and Sébastien Besson. Comparative Law of International Arbitration, 2nd ed., trans. by Stephen V. Berti and Annette Ponti. London : Sweet & Maxwell, 2007.
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5th ed. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008.
van den Berg, Albert Jan. The New York Arbitration Convention of 1958 : Towards a Uniform Judicial Interpretation. Deventer, The Netherlands : Kluwer Law and Taxation, 1981, reprinted 1994.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Costigan, O’Brien et Rowbotham), 2008 ABCA 274, 93 Alta. L.R. (4th) 281, 297 D.L.R. (4th) 168, 433 A.R. 372, 429 W.A.C. 372, 47 B.L.R. (4th) 205, [2008] 11 W.W.R. 28, 59 C.P.C. (6th) 91, [2008] A.J. No. 843 (QL), 2008 CarswellAlta 1035, qui a confirmé une décision du juge Chrumka, 2007 ABQB 450, 78 Alta. L.R. (4th) 86, 423 A.R. 241, 31 B.L.R. (4th) 168, [2007] 10 W.W.R. 559, [2007] A.J. No. 749 (QL), 2007 CarswellAlta 911, qui a rejeté une demande de reconnaissance et d’exécution d’une sentence arbitrale étrangère. Pourvoi rejeté.
Scott A. Turner et Sam de Groot, pour l’appelante.
David R. Haigh, c.r., Michael J. Donaldson et Sonya A. Morgan, pour l’intimée.
Babak Barin, James E. Redmond, c.r., et Andrew McDougall, pour l’intervenante ADR Chambers Inc.
Ivan G. Whitehall, c.r., et Paul M. Lalonde, pour l’intervenant le Congrès d’arbitrage canadien.
Stefan Martin et Pierre Grenier, pour l’intervenant l’Institut de médiation et d’arbitrage du Québec.
Pierre Bienvenu, Frédéric Bachand et Alison Fitzgerald, pour l’intervenante London Court of International Arbitration.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Rothstein —
I. Introduction
[1] Le présent pourvoi porte sur le délai de prescription applicable à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales étrangères dans la province de l’Alberta. Pour les motifs exposés ci‐après, je suis d’avis qu’un délai de prescription de deux ans s’applique et que, par conséquent, la demande de reconnaissance et d’exécution d’une sentence arbitrale étrangère présentée par Yugraneft Corporation est prescrite. En vertu du droit de l’arbitrage international, la question de la prescription relève du droit procédural du ressort où sont demandées la reconnaissance et l’exécution. En l’espèce, le délai de prescription applicable doit donc être celui prévu par le droit albertain. Comme une sentence arbitrale ne constitue pas un jugement ni une ordonnance judiciaire de paiement d’une somme d’argent, le délai de prescription de 10 ans prévu à l’art. 11 de la Limitations Act, R.S.A. 2000, ch. L‐12, ne s’applique pas aux demandes de reconnaissance et d’exécution de la sentence présentées en Alberta. Ces demandes sont plutôt assujetties au délai de prescription de deux ans applicable à la plupart des causes d’action, lequel est prévu à l’art. 3 de la Limitations Act.
II. Faits
[2] L’appelante, Yugraneft Corporation (« Yugraneft »), est une société russe qui développe et exploite des champs de pétrole en Russie. L’intimée, Rexx Management Corporation (« Rexx »), est une société albertaine qui, à un moment donné, a fourni à Yugraneft du matériel servant à l’exploitation de champs pétrolifères. À la suite d’un différend contractuel, Yugraneft a engagé une procédure d’arbitrage devant le tribunal international d’arbitrage commercial de la Chambre de commerce et d’industrie de la Fédération de Russie (le « TIAC de Russie »). Le 6 septembre 2002, le tribunal arbitral a prononcé sa sentence définitive, ordonnant à Rexx de payer à Yugraneft 952 614,43 $US à titre de dommages‐intérêts.
[3] Le 27 janvier 2006, plus de trois ans plus tard, Yugraneft a présenté une demande de reconnaissance et d’exécution de la sentence à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Rexx s’est opposée à l’exécution pour deux raisons. Premièrement, elle a soutenu que la demande de Yugraneft était prescrite en vertu de la Limitations Act de l’Alberta. Deuxièmement, elle a fait valoir que la procédure d’exécution devait être suspendue en attendant la résolution d’une affaire criminelle aux États‐Unis. Selon elle, cette affaire allait prouver que la sentence avait été obtenue par suite d’une activité frauduleuse.
III. Historique judiciaire
[4] Yugraneft a présenté une demande de reconnaissance et d’exécution de la sentence à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta en vertu de l’International Commercial Arbitration Act, R.S.A. 2000, ch. I‐5 (« ICAA »). Le juge Chrumka a statué que la demande était prescrite en vertu de la Limitations Act : 2007 ABQB 450, 78 Alta. L.R. (4th) 86. Cette Loi prévoit deux délais de prescription, l’un pour les [traduction] « ordonnance[s] de réparation » (art. 3) et l’autre pour l’exécution des [traduction] « jugement[s] ou [d’]une ordonnance prévoyant le paiement d’une somme d’argent » (art. 11). Les demandes présentées en vertu de l’art. 3 sont assujetties à un délai de prescription de deux ans alors que celles présentées en vertu de l’art. 11 sont assujetties à un délai de 10 ans. Yugraneft a fait valoir que les sentences arbitrales étrangères devraient être assimilées à des « jugements » visés à l’art. 11. Le juge Chrumka n’était pas de cet avis. Il a plutôt conclu que le délai de deux ans prévu à l’art. 3 s’appliquait. La demande a donc été rejetée.
[5] La Cour d’appel de l’Alberta a confirmé à l’unanimité la conclusion du juge Chrumka : 2008 ABCA 274, 93 Alta. L.R. (4th) 281. Elle a conclu qu’une sentence arbitrale étrangère ne pouvait pas être considérée comme un « jugement » visé à l’art. 11 parce que ce terme n’englobait que les jugements obtenus au Canada. Par conséquent, elle a décidé que la demande de Yugraneft devait être considérée comme une demande d’ordonnance de réparation en vertu de l’art. 3 de la Loi et qu’elle était donc prescrite. L’appel a été rejeté.
IV. Positions des parties
[6] Yugraneft soutient qu’une sentence arbitrale étrangère devrait être considérée comme un jugement canadien visé à l’art. 11 de la Limitations Act parce que la sentence arbitrale est une décision sur un litige juridique et, à ce titre, elle possède toutes les caractéristiques d’un jugement. À titre subsidiaire, elle prétend que les sentences arbitrales étrangères devraient être considérées à tout le moins comme équivalant à un jugement étranger, et que les jugements étrangers sont des « jugements » au sens de l’art. 11 de la Limitations Act. Elle invoque des arrêts récents de notre Cour indiquant une tendance à délaisser la conception traditionnelle des jugements étrangers, considérés comme de simples dettes contractuelles, et à leur accorder une « reconnaissance totale » (Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, p. 1100‐1101; Beals c. Saldanha, 2003 CSC 72, [2003] 3 R.C.S. 416, par. 164-174). Enfin, Yugraneft plaide que la Limitations Act est ambiguë et que cette ambiguïté devrait être dissipée en sa faveur. Une sentence arbitrale n’a peut‐être pas tous les attributs d’un jugement canadien, mais elle ne cadre pas non plus parfaitement avec le régime de l’art. 3. Comme les dispositions législatives fixant des délais de prescription doivent être interprétées strictement en faveur du demandeur, cette ambiguïté doit être résolue en appliquant le délai de 10 ans prévu à l’art. 11.
[7] Rexx plaide que la prescription de deux ans prévue à l’art. 3 devrait s’appliquer. Elle soutient principalement que la Limitations Act visait à simplifier les règles de droit en matière de prescription en imposant un seul délai de prescription pour la plupart des causes d’action. À moins que l’une des exceptions énoncées dans la Loi s’applique, l’action est assujettie au délai de prescription de deux ans prévu à l’art. 3. Comme l’action de Yugraneft n’est pas exclue du champ d’application de l’art. 3, elle est prescrite.
V. Analyse
A. Dispositions législatives pertinentes
[8] En Alberta, la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères sont régies par l’ICCA, laquelle incorpore dans le droit albertain la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, R.T. Can. 1986 no 43 (« Convention de New York » ou « Convention »), et la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, Doc. N.U. A/40/17, ann. I (1985) (« Loi type »). Les dispositions pertinentes de chaque texte législatif se trouvent dans les annexes jointes aux présents motifs (l’annexe A pour la Loi type et l’annexe B pour la Convention).
[9] La Convention de New York a été adoptée en 1958 par la Conférence des Nations Unies sur l’arbitrage commercial international. La Convention vise à faciliter la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères en établissant un seul ensemble de règles uniformes applicables partout dans le monde. Chaque État contractant est tenu de reconnaître et d’exécuter les sentences arbitrales rendues sur le territoire d’un autre État, et la reconnaissance et l’exécution ne peuvent être refusées que pour les motifs restreints énoncés à l’art. V (voir annexe B). Selon l’article premier, l’obligation de reconnaître les sentences étrangères s’applique non seulement aux sentences rendues dans d’autres États contractants, mais aussi à celles prononcées dans tous les États autres que celui où l’exécution est demandée, qu’ils soient ou non parties à la Convention.
[10] La Convention est actuellement en vigueur, ayant été ratifiée par plus de 140 pays. Elle est considérée comme une grande réussite. Lord Mustill, ancien juge de la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles, membre de la Chambre des lords et ancien vice‐président de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale, a écrit que la Convention de New York
[traduction] est l’instrument international en matière d’arbitrage qui a connu le plus grand succès et dont on pourrait peut‐être affirmer qu’il s’agit de la loi internationale qui s’est avérée la plus efficace de toute l’histoire du droit commercial.
(M. J. Mustill, « Arbitration : History and Background » (1989), 6 J. Int’l Arb. 43, p. 49)
Le Canada a adhéré à la Convention le 12 mai 1986, après que chaque législature provinciale eut adopté la loi habilitante nécessaire.
[11] La Loi type a été élaborée en 1985 par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (« CNUDCI »). Contrairement à la Convention de New York, laquelle est un traité, la Loi type n’est pas une entente internationale qui doit être ratifiée. Il s’agit plutôt d’une codification des « pratiques exemplaires » internationales destinée à servir d’exemple pour les lois internes. Selon la note explicative du secrétariat de la CNUDCI, la Loi type
traduit un consensus mondial sur les principes et les points importants de la pratique de l’arbitrage international. Elle est acceptable pour les États de toutes les régions et pour les différents systèmes juridiques ou économiques du monde entier.
(Loi type, Deuxième partie, par. 2)
La Loi type a été adoptée, sous réserve de certaines modifications, par toutes les provinces et tous les territoires du Canada. Tout comme la Convention, elle restreint la possibilité pour les tribunaux nationaux d’intervenir dans les procédures d’arbitrage international. L’article 36 de la Loi type limite également les motifs justifiant le refus d’exécuter une sentence arbitrale internationale (annexe A). Ces motifs sont essentiellement les mêmes que ceux énoncés à l’art. V de la Convention de New York.
[12] Comme l’Alberta a adopté la Convention et la Loi type en 1986 dans le cadre de l’ICAA, il ne fait aucun doute qu’elle est tenue de reconnaître et d’exécuter les sentences arbitrales étrangères recevables. La question soumise à la Cour est de savoir quel délai de prescription, le cas échéant, s’applique en Alberta à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales étrangères.
[13] Trois lois albertaines peuvent être pertinentes à cet égard : la Limitations Act, l’Arbitration Act, R.S.A. 2000, ch. A‐43, et la Reciprocal Enforcement of Judgments Act, R.S.A. 2000, ch. R‐6 (« REJA »). Les dispositions pertinentes de chacune de ces lois se trouvent aux annexes C, D et E respectivement.
B. La Convention permet‐elle l’application des délais de prescription prévus dans la législation locale?
[14] Comme ni la Convention ni la Loi type n’imposent expressément un délai de prescription pour la reconnaissance et l’exécution, il faut d’abord se demander si un délai de prescription s’applique. L’article V de la Convention et l’art. 36 de la Loi type sont censés établir une liste exhaustive des motifs pour lesquels la reconnaissance et l’exécution d’une sentence peuvent être refusées, mais ils ne mentionnent aucunement les délais de prescription prévus dans la législation locale. Du fait de cette omission, on pourrait conclure qu’un État contractant ne peut refuser de reconnaître et d’exécuter une sentence arbitrale étrangère au motif que la demande a été présentée après l’expiration d’un délai de prescription prévu dans la législation locale.
[15] Toutefois, l’art. III de la Convention prévoit que la reconnaissance et l’exécution se font « conformément aux règles de procédure suivies dans le territoire où la sentence est invoquée ». Ainsi, les « règles de procédure » du ressort où l’exécution est demandée s’appliqueront, dans la mesure où elles ne vont pas à l’encontre des exigences expresses de la Convention. Il s’agit donc de savoir si les délais de prescription sont des « règles de procédure » au sens que la Convention donne à ce terme.
[16] Cette question se pose parce que tous les systèmes juridiques ne considèrent pas les délais de prescription — ou la prescription extinctive, comme on l’appelle dans les systèmes de droit civil — de la même manière. Les systèmes de common law ont eu tendance à considérer la prescription comme une question de procédure, alors que les systèmes de droit civil la considèrent généralement comme une question de fond (Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022, p. 1068-1070). Si les délais de prescription sont considérés, pour l’application de la Convention, comme étant de caractère procédural, on peut alors légalement refuser de reconnaître et d’exécuter une sentence arbitrale étrangère au motif qu’elle est prescrite. Si, au contraire, ils sont considérés comme étant de caractère substantiel, imposer un délai de prescription aux procédures de reconnaissance et d’exécution semblerait contraire à la Convention, laquelle permet seulement l’application des règles de procédure locales, et non des règles de fond locales.
[17] Les deux parties conviennent que, de façon générale, l’art. III permet aux États contractants d’assujettir à un délai de prescription la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères. Toutefois, la question de savoir si l’Alberta se conformait à la Convention n’est pas déterminée par le consentement des parties. La Cour doit vérifier si l’application des lois locales en matière de prescription en vertu de la Convention repose sur un fondement juridique.
[18] À mon avis, l’art. III permet — sans les y obliger — aux États contractants (ou, dans le cas d’un État fédératif, un gouvernement infranational ayant compétence en la matière) d’assujettir à un délai de prescription la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères. Cependant, il ne faut pas considérer que cet article reconnaît et impose automatiquement les règles traditionnelles de common law ou de droit civil en matière de prescription. Il faudrait plutôt interpréter l’expression « conformément aux règles de procédure suivies dans le territoire où la sentence est invoquée » comme indiquant que le droit interne relatif à cette question s’applique. Ainsi, même si l’art. V énonce une liste par ailleurs complète des motifs sur lesquels peut se fonder une opposition à la reconnaissance et à l’exécution, les tribunaux d’un État contractant peuvent rejeter une demande de reconnaissance et d’exécution d’une sentence arbitrale étrangère si cette demande est prescrite. J’arrive à cette conclusion pour trois raisons.
[19] Premièrement, s’agissant d’un traité, la Convention doit être interprétée « de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but » (Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37 (entrée en vigueur le 27 janvier 1980), par. 31(1)). En l’espèce, le contexte et l’objet de la Convention fournissent des indications sur la façon d’en interpréter les termes, et en particulier l’art. III. Le texte de la Convention a été conçu pour être appliqué dans de nombreux États et, par conséquent, dans une multitude de systèmes juridiques (N. Blackaby et C. Partasides, Redfern and Hunter on International Arbitration (5e éd. 2009), p. 70 et 72‐73; J.‐F. Poudret et S. Besson, Comparative Law of International Arbitration (2e éd. 2007), p. 868). Un auteur éminent a décrit la Convention comme un [traduction] « instrument “constitutionnel” » qui [traduction] « fait une place importante au droit national et aux tribunaux nationaux dans le processus arbitral international » (G. B. Born, International Commercial Arbitration, vol. I (3e éd. 2009), p. 101). Le texte de la Convention doit donc être interprété en tenant compte du fait qu’il visait à composer avec une variété de systèmes juridiques.
[20] L’importance de ce contexte et de cet objet se manifeste au moment d’interpréter l’effet de la Convention sur l’applicabilité des délais de prescription nationaux à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales étrangères. Lors de la rédaction de la Convention, ses auteurs savaient fort bien que les différents États considéraient les délais de prescription de différentes façons, et que les États de common law les considéraient généralement comme étant de nature procédurale. Toutes choses étant par ailleurs égales, si la Convention était appliquée dans un État de common law, le terme « règles de procédure » que l’on trouve à l’art. III inclurait à première vue tout délai de prescription applicable, suivant la loi nationale, à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales étrangères. Le fait que les rédacteurs de la Convention n’aient pas restreint la possibilité, pour les États, d’assujettir les demandes de reconnaissance et d’exécution à des délais est donc révélateur. Une telle omission suppose que les rédacteurs voulaient conserver une approche permissive.
[21] La deuxième raison pour laquelle l’art. III devrait être interprété comme permettant l’application des délais prévus dans la législation locale est que cela reflète la pratique des États contractants. Lorsqu’ils interprètent un traité, les tribunaux doivent tenir compte « de toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité » (Convention de Vienne sur le droit des traités, par. 31(3)). Selon une étude récente, au moins 53 États contractants, y compris des États de common law et de droit civil, assujettissent (ou assujettiraient vraisemblablement, si la question devait se poser) la reconnaissance et l’exécution de sentences arbitrales étrangères à un délai de prescription (Chambre de Commerce internationale, « Guide des règles nationales de procédure pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales conformément à la Convention de New York », Bull. CCI — Supp. spéc. 2008 (2009), p. 343‐346; voir aussi CNUDCI, Rapport sur l’enquête relative à l’application dans la législation de la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères (New York, 1958), 41e sess., Doc. N.U. A/CN.9/656/Add.1 (2008), p. 2‐3).
[22] Troisièmement, les auteurs éminents dans le domaine semblent tenir pour acquis que l’art. III permet l’application, aux procédures de reconnaissance et d’exécution, des délais de prescription prévus dans la législation locale (voir par exemple : Blackaby et Partasides, p. 631‐632; A. J. van den Berg, The New York Arbitration Convention of 1958 : Towards a Uniform Judicial Interpretation (1981), p. 240; Poudret et Besson, p. 869). Cela laisse supposer que l’application des délais de prescription prévus dans la législation locale n’est pas controversée.
[23] Ainsi, on peut interpréter le fait que rien ne restreint expressément la possibilité, pour les États contractants, d’imposer un délai de prescription comme signifiant que, pour l’application de la Convention, les délais de prescription applicables, en vertu du droit national, à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales étrangères sont des « règles de procédure » au sens de l’art. III.
[24] Tout en reconnaissant que, de façon générale, la Convention permet aux États contractants d’assujettir les demandes de reconnaissance et d’exécution à des délais de prescription, le Congrès d’arbitrage canadien (« CAC ») et ADR Chambers Inc. soutiennent que, au vu des faits de l’espèce, l’art. III de la Convention empêche notre Cour d’appliquer les règles de prescription albertaines. Toutefois, à l’appui de leur prétention, ils se fondent sur des parties différentes de l’art. III.
[25] Le CAC prétend que les règles de prescription albertaines ne peuvent s’appliquer à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales étrangères parce que, selon la common law canadienne, il s’agit de règles de fond. La Limitations Act ou toute autre loi qui impose un délai de prescription général ne peut pas constituer une « règle de procédure » au sens de l’art. III.
[26] À l’appui de cet argument, le CAC se fonde principalement sur l’arrêt Tolofson, où notre Cour a rejeté la démarche traditionnelle de la common law en matière de délais de prescription (p. 1071‐1072). Selon le CAC, puisque la common law canadienne considère généralement de nos jours que les délais de prescription ont un caractère substantiel, les délais prévus par la loi, comme ceux que prévoit la Limitations Act, sont inapplicables en vertu de l’art. III de la Convention.
[27] Dans Tolofson, les juges majoritaires ont effectivement conclu que, en cas de conflit de lois, les délais de prescription devraient, de façon générale, être considérés comme ayant un caractère substantiel, de sorte qu’une demande sera assujettie au délai de prescription du droit du lieu du délit (ou, en l’instance, le droit du lieu du contrat). Toutefois, la question en l’espèce n’est pas de savoir si le droit canadien considère que les délais de prescription ont un caractère « substantiel » ou « procédural ». Il s’agit plutôt de savoir si les délais prévus dans la législation locale et censés s’appliquer à la reconnaissance et à l’exécution sont des « règles de procédure » au sens que l’art. III de la Convention donne à ce terme.
[28] Une réponse affirmative s’impose. Je le répète, la Convention conserve une approche permissive relativement à l’applicabilité des délais de prescription prévus dans la législation locale. La seule question importante est celle de savoir si la législature compétente avait l’intention d’assujettir la procédure de reconnaissance et d’exécution à un délai de prescription. Si elle en avait l’intention, le délai en question sera interprété comme une « règle de procédure » au sens de la Convention. La façon dont le droit interne caractérise un tel délai de prescription, que ce soit dans un contexte abstrait ou de conflit de lois, importe peu. La question en litige dans Tolofson n’est pas pertinente en l’espèce.
[29] La prétention du CAC est donc sans fondement. Même si notre Cour devait considérer un délai de prescription donné, comme celui prévu à l’art. 3 de la Limitations Act, comme ayant un caractère « substantiel », cela n’empêcherait pas l’application du délai de prescription à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales étrangères. La Cour doit plutôt déterminer si un délai de prescription potentiellement applicable devait s’appliquer à la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères. Si tel était le cas, le délai peut alors être correctement appliqué comme une « règle de procédure » locale au sens de l’art. III.
[30] Tout comme le CAC, l’intervenante ADR Chambers Inc. prétend elle aussi, mais pour d’autres raisons, que l’art. III empêche l’application de la Limitations Act à l’action intentée par Yugraneft. ADR Chambers Inc. admet qu’un délai de prescription prévu dans la législation locale peut s’appliquer en l’espèce, mais soutient que l’art. III de la Convention empêche l’Alberta d’imposer un délai de prescription plus court que le délai le plus long imposé au Canada pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales nationales.
[31] L’article III prévoit qu’« [i]l ne sera pas imposé, pour la reconnaissance ou l’exécution des sentences arbitrales auxquelles s’applique la présente Convention, de conditions sensiblement plus rigoureuses, ni de frais de justice sensiblement plus élevés, que ceux qui sont imposés pour la reconnaissance ou l’exécution des sentences arbitrales nationales. » ADR Chambers Inc. est d’avis qu’une sentence arbitrale « nationale » s’entend de toute sentence rendue dans l’État contractant. Ainsi, aucune province canadienne ne peut imposer un délai de prescription plus rigoureux que le délai le plus généreux prévu au Canada pour les sentences nationales. Actuellement, le Québec et la Colombie‐Britannique prévoient un délai de prescription de 10 ans pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales prononcées dans la province : Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 2924; Limitation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 266. Par conséquent, l’Alberta ne peut, en vertu de la Convention, imposer un délai plus court pour la reconnaissance des sentences arbitrales étrangères.
[32] Cet argument doit aussi être rejeté. L’argument soulevé par ADR Chambers Inc. est fondamentalement incompatible avec la constitution fédérale du Canada, en vertu de laquelle la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales relèvent de la compétence provinciale (par. 92(13) « [l]a propriété et les droits civils » et par. 92(14) « [l]’administration de la justice » de la Loi constitutionnelle de 1867). Permettre à une loi provinciale de dicter la gamme de choix législatifs offerts à une autre province sur les questions qui relèvent de sa compétence exclusive serait contraire à la compétence législative constitutionnelle de chaque province en vertu de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. En outre, la position de ADR Chambers Inc. repose sur une interprétation erronée de la Convention, laquelle se voulait respectueuse de l’ordre constitutionnel interne des États fédératifs comme le Canada. L’article XI reconnaît explicitement que certains États contractants sont fédératifs ou « non unitaires » et que la compétence à l’égard du sujet du traité peut appartenir à une entité infranationale. L’article XI tempère donc en conséquence les obligations internationales des États fédératifs contractants (voir annexe B). Par conséquent, je ne souscris pas à la prétention de ADR Chambers Inc. selon laquelle l’application de l’art. 3 de la Limitations Act aux sentences arbitrales étrangères emporterait manquement du Canada à ses obligations internationales.
[33] De plus, l’art. III, où l’on retrouve le terme « règles de procédure », établit une distinction entre les « États contractants », d’une part, et « le territoire où la sentence est invoquée », d’autre part. L’interprétation de cet article conjointement avec l’art. XI montre que, pour l’application de l’art. III, l’entité compétente est le ressort, dans l’État contractant, où la sentence est exécutée (soit l’Alberta) et non l’État contractant dans son ensemble. Pour se conformer à la Convention, l’Alberta doit simplement accorder aux sentences étrangères un traitement aussi généreux que celui qu’elle accorde aux sentences nationales prononcées en Alberta.
[34] Il faut conclure que la Convention de New York visait à permettre aux États contractants d’imposer des délais de prescription pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères s’ils le désirent. Dans le cas des États fédératifs, les prescriptions sont régies par la loi du ressort, dans l’État fédératif, où la sentence est exécutée.
C. Quel délai de prescription, le cas échéant, s’applique à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales étrangères en vertu des lois de l’Alberta?
[35] J’aborde maintenant la question de savoir si la loi de l’Alberta assujettit la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères à un délai de prescription. À cet égard, les parties et les intervenants ont invoqué trois lois : l’Arbitration Act, la REJA et la Limitations Act. Toutefois, seule la Limitations Act s’applique en l’espèce. L’Arbitration Act prévoit un délai de prescription de deux ans pour l’exécution des sentences arbitrales (par. 51(3)) et par conséquent, elle ne serait d’aucun secours à Yugraneft. Quoi qu’il en soit, les sentences étrangères, comme celle visée en l’espèce, sont expressément exclues du champ d’application de l’Arbitration Act (al. 2(1)b)). La REJA prévoit une prescription de six ans pour les jugements et les sentences arbitrales prononcés dans les États accordant la réciprocité (par. 2(1)), mais la sentence en l’espèce a été rendue en Russie, un État qui n’offre pas la réciprocité. Par conséquent, la REJA ne s’applique pas.
[36] En Alberta, les règles générales en matière de prescription se trouvent dans la Limitations Act. Contrairement à l’Arbitration Act et à la REJA, la Limitations Act n’exclut pas expressément de son champ d’application la sentence de l’appelante. La Loi visait à créer un régime de prescription complet et simplifié pour remplacer l’ancienne Limitation of Actions Act, R.S.A. 1980, ch. L‐15. Comme l’a souligné la Cour d’appel de l’Alberta dans Daniels c. Mitchell, 2005 ABCA 271, 51 Alta. L.R. (4th) 212, au par. 30 :
[traduction] La [Limitations Act] visait principalement à simplifier les règles de prescription, en imposant un délai (deux ans) à la quasi-totalité des causes d’action. [. . .] [D]ans les débats de l’Assemblée législative, il a souvent été souligné que le nouveau texte législatif aurait pour effet de simplifier et de clarifier le système tout en éliminant les incohérences et le traitement particulier réservé à certains défendeurs.
Ainsi, la Loi avait pour objectif de simplifier les règles de prescription en limitant le nombre d’exceptions et en prévoyant un délai de prescription uniforme pour la plupart des actions.
[37] L’intégralité de la Loi est établie sans l’ombre d’un doute au par. 2(1), lequel prévoit que la Loi s’applique dans tous les cas où un demandeur cherche à obtenir une « ordonnance de réparation ». L’ordonnance de réparation s’entend d’un [traduction] « jugement ou [d’]une ordonnance rendu par un tribunal dans une instance civile enjoignant au défendeur de se conformer à une obligation ou de verser des dommages‐intérêts pour la violation d’un droit » (al. 1i)). Cette formulation très générale englobe pratiquement tous les types d’ordonnance qu’un tribunal peut rendre dans une instance civile. Seuls certains types de réparation sont exclus et ils sont énumérés à l’al. 1i) : [traduction] « une déclaration des droits et obligations, des relations juridiques ou du statut personnel », « l’exécution d’une ordonnance de réparation », « [le] contrôle judiciaire » et « [le] bref d’habeas corpus ».
[38] Le caractère exhaustif de la Loi est renforcé par l’art. 12, une disposition qui semble expressément élaborée pour contrer les effets de l’arrêt Tolofson de notre Cour dans une situation de conflit de lois. L’article 12, intitulé [traduction] « Conflit de lois », prévoit que « [l]es règles de prescription de l’Alberta s’appliquent à toute instance introduite, ou que l’on cherche à introduire, en Alberta dans laquelle un demandeur cherche à obtenir une ordonnance de réparation. » On s’assure ainsi que toutes les instances introduites dans la province sont assujetties au délai de prescription que prévoit la loi albertaine, nonobstant tout autre délai de prescription qui peut aussi s’appliquer dans le cadre d’une analyse du conflit de lois comme celle effectuée dans Tolofson.
[39] À mon avis, la portée de la Loi se veut très large. En particulier, l’art. 12 fait en sorte que les règles de prescription de l’Alberta s’appliquent même aux recours assujettis au droit étranger. Cela indique que la Limitations Act devait s’appliquer à toutes les demandes d’ordonnance de réparation qui ne sont pas expressément exclues par la loi. Selon la maxime expressio unius est exclusio alterius, le fait que le législateur ait énuméré certaines exceptions dans la définition d’« ordonnance de réparation » indique que tout ce qui correspond à la description générale et qui n’est pas expressément exclu est, implicitement, réputé correspondre au sens de ce terme (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 243‐245). Ainsi, par déduction nécessaire, la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères sont assujetties à la Limitations Act.
[40] Lors de sa plaidoirie, l’avocat de la London Court of International Arbitration (« LCIA ») n’a présenté aucune observation sur l’interprétation qu’il convient de donner à la loi en cause. Toutefois, dans son mémoire, la LCIA a fait valoir que la Limitations Act ne devrait pas s’appliquer en l’espèce. Selon elle, seule une intention manifeste du législateur peut assujettir la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale étrangère à des exigences procédurales qui ne figurent pas dans la Loi type, et la Limitations Act n’est pas suffisamment explicite à cet égard. Elle affirme que la Loi type visait à dresser une liste complète et exhaustive des circonstances dans lesquelles un tribunal local pouvait intervenir dans la conduite de procédures arbitrales. À cette fin, l’art. 5 de la Loi type prévoit que « les tribunaux ne peuvent intervenir que dans les cas où celle‐ci le prévoit ». La LCIA plaide que, en l’absence d’une dérogation claire à ce principe, les règles procédurales locales qui ne se retrouvent pas dans la loi édictant la Loi type ne devraient pas s’appliquer. Dans son mémoire, elle a décrit ce qu’elle a appelé une dichotomie entre la Loi type, qui ne prévoit aucun délai de prescription, et l’Arbitration Act, qui prévoit un délai de prescription de deux ans pour les arbitrages nationaux (par. 51(3)). Elle a soutenu que cette dichotomie [traduction] « renforce la thèse selon laquelle, si le législateur avait voulu que la reconnaissance et l’exécution des sentences étrangères soient assujetties à un délai de prescription, il l’aurait clairement indiqué » (par. 24).
[41] Je ne puis faire mienne l’idée que la Limitations Act ne précise pas l’intention du législateur. La nouvelle Limitations Act a été adoptée bien après l’ICAA et, à mon avis, l’économie de cette Loi et son historique législatif indiquent que le législateur de l’Alberta voulait créer un régime de prescription complet et exhaustif applicable à toutes les causes d’action. Seules les causes d’action exclues par la Loi elle‐même ou visées par une autre loi, comme l’Arbitration Act, échapperaient à ses exigences. Il n’est pas nécessaire de mentionner expressément les sentences arbitrales étrangères pour les assujettir à une loi exhaustive, comme c’est clairement le cas de la Limitations Act.
[42] À ce stade, il s’agit de savoir comment qualifier une demande de reconnaissance et d’exécution d’une sentence arbitrale étrangère en vertu de la Limitations Act. La Loi crée essentiellement trois catégories, dont chacune est soumise à un délai de prescription différent : 10 ans, deux ans ou aucun délai. Une demande d’« ordonnance de réparation » fondée sur un [traduction] « jugement ou une ordonnance prévoyant le paiement d’une somme d’argent » se prescrit par 10 ans (art. 11). Toutes les autres demandes d’ordonnance de réparation se prescrivent par deux ans, sous réserve de la règle de la possibilité de découvrir le dommage (art. 3). Aucun délai de prescription ne s’applique aux jugements ou ordonnances ne prévoyant pas une réparation visés à l’al. 1i).
[43] Yugraneft reconnaît chercher à obtenir une [traduction] « ordonnance de réparation » aux termes de la Limitations Act. Toutefois, elle soutient qu’une sentence arbitrale s’apparente à un jugement et qu’une demande de reconnaissance et d’exécution de cette sentence est donc une [traduction] « réclamation fondée sur un jugement ou une ordonnance prévoyant le paiement d’une somme d’argent » en vertu de l’art. 11 de la Loi, laquelle se prescrit par 10 ans.
[44] La position de Yugraneft doit être rejetée. Une sentence arbitrale n’est pas un jugement ni une ordonnance judiciaire, et la demande de Yugraneft n’est pas visée par l’art. 11. Dans Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801, la juge Deschamps, au nom de la Cour à la majorité, a fait remarquer qu’« [u]n arbitrage ne fait partie d’aucune structure judiciaire étatique » et « est une créature dont l’existence repose sur la volonté exclusive des parties » (par. 51). Voir également Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., 2003 CSC 17, [2003] 1 R.C.S. 178, où le juge LeBel a écrit ce qui suit au nom de la Cour : « En général, l’arbitrage ne fait pas partie de la structure judiciaire étatique, bien que l’État attribue parfois directement des compétences ou des fonctions aux arbitres » (par. 41).
[45] Contrairement à un jugement local, une sentence arbitrale n’est pas directement exécutoire. En Alberta, elle doit d’abord être reconnue par la Cour du Banc de la Reine (ICAA, art. 3) et le débiteur de la sentence peut s’opposer à cette reconnaissance pour les motifs énoncés à l’art. V de la Convention. De plus, dans les cas où le législateur voulait que le terme « jugement » englobe les décisions des tribunaux et les sentences arbitrales, il l’a fait expressément, comme à l’al. 1(1)b) de la REJA. Une démarche semblable a été suivie en Colombie‐Britannique dans la Limitation Act, laquelle prévoit expressément que le terme [traduction] « jugement local » comprend les sentences arbitrales internationales (art. 1). On conclurait donc à tort que le législateur de l’Alberta voulait que les sentences arbitrales étrangères reçoivent le même traitement que les jugements sans indication expresse en ce sens.
[46] À titre subsidiaire, Yugraneft soutient que le texte de la Limitations Act est ambigu sur la question de savoir si c’est l’art. 3 ou l’art. 11 qui devrait s’appliquer aux sentences arbitrales étrangères. Elle prétend que cette ambiguïté doit être résolue en sa faveur. À son avis, une demande de reconnaissance et d’exécution n’est pas clairement visée par l’art. 3, ni par l’art. 11 de la Loi. Selon elle, même si l’on accepte qu’une sentence arbitrale étrangère n’est pas considérée à juste titre comme un « jugement » au sens de l’art. 11, la situation n’est pas plus favorable aux termes de l’art. 3. L’article 3 est censé s’appliquer aux demandes d’ordonnance de réparation fondées sur un [traduction] « préjudice ». Yugraneft soutient qu’en utilisant le terme « préjudice », le législateur voulait que l’art. 3 ne s’applique qu’aux nouvelles causes d’action. Compte tenu de la fonction juridictionnelle d’un tribunal arbitral et du caractère définitif d’une sentence arbitrale, une demande de reconnaissance et d’exécution ne peut être considérée comme une nouvelle cause d’action ou comme une action fondée sur un « préjudice » et, par conséquent, elle échappe à l’application de l’art. 3. Si la procédure de reconnaissance n’est pas clairement visée ni par l’art. 3 ni par l’art. 11, il faut conclure que la Limitations Act est ambiguë. Comme les dispositions législatives fixant un délai de prescription doivent être interprétées strictement en faveur du demandeur (Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, par. 136), il faut résoudre cette ambiguïté de manière à préserver les droits de Yugraneft.
[47] Yugraneft a raison de dire que si un texte législatif sur la prescription est ambigu, il sera interprété de façon à favoriser la poursuite de l’action. Toutefois, je ne suis pas d’accord avec elle pour dire que la Loi est ambiguë en l’espèce. Le législateur a clairement indiqué ailleurs que lorsqu’il veut que le terme « jugement » englobe les sentences arbitrales étrangères, il le dit en termes exprès. Par exemple, dans la REJA, il a explicitement inclus les sentences arbitrales dans la définition de [traduction] « jugement » (al. 1(1)b)). En l’absence de tels termes exprès, on ne peut dire qu’un « jugement » englobe une sentence arbitrale étrangère. Par conséquent, il n’y a qu’une seule interprétation possible, pas deux. Une demande de reconnaissance et d’exécution d’une sentence arbitrale étrangère est une demande d’ordonnance de réparation au sens de l’art. 3.
[48] De plus, appliquer un délai de prescription de 10 ans pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères rendrait le régime de prescription incohérent. En Alberta, les sentences arbitrales des États accordant la réciprocité sont assujetties à une prescription de six ans (REJA, par. 2(1)). Il serait illogique d’accorder aux sentences arbitrales étrangères des États n’accordant pas la réciprocité un traitement plus favorable que celui réservé aux sentences des États avec lesquels l’Alberta a délibérément conclu un accord de réciprocité pour l’exécution des jugements. Il faut éviter une telle interprétation (voir : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 27).
[49] L’application du délai de prescription prévu à l’art. 3 est conforme au régime général des règles de prescription de l’Alberta. Cet article prévoit aussi un traitement plus généreux pour les sentences étrangères que pour les sentences nationales; il est donc conforme à l’art. III de la Convention. La prescription prévue à l’art. 3 de la Limitations Act est subordonnée à la règle de la possibilité de découvrir le dommage, ce qui n’est pas le cas pour le délai prévu à l’art. 51 de l’Arbitration Act régissant les sentences nationales. Cela tient amplement compte des difficultés pratiques auxquelles font face les créanciers d’une sentence étrangère, lesquels peuvent avoir besoin de temps pour découvrir que le débiteur de la sentence possède des biens en Alberta.
D. La demande de reconnaissance et d’exécution de Yugraneft est‐elle prescrite en vertu de l’art. 3 de la Limitations Act?
[50] Ayant conclu que la demande de reconnaissance et d’exécution de Yugraneft est assujettie à l’art. 3 de la Limitations Act, il reste la question de savoir si la demande était prescrite lorsqu’elle a été déposée le 27 janvier 2006. Comme je l’ai déjà mentionné, le délai de prescription de deux ans prévu à l’al. 3(1)a) est soumis à la règle de la possibilité de découvrir le dommage. Ce n’est que si les conditions de cette règle sont remplies que le délai de prescription commence à courir. Aux termes de l’art. 3, une demande de réparation doit être présentée dans les deux années suivant la date à laquelle le demandeur
[traduction] a appris ou, eu égard aux circonstances, aurait dû apprendre :
(i) que le préjudice visé par la demande a été subi,
(ii) que le préjudice est attribuable à la conduite du défendeur, et
(iii) que le préjudice, en supposant que le défendeur en soit responsable, justifie l’introduction d’une instance, . . .
En l’espèce, le préjudice consiste en [traduction] « l’inexécution d’une obligation » (Limitations Act, sous-al. 1e)(iv)), soit le refus de Rexx de se conformer à la sentence arbitrale et de verser 952 614,43 $US à Yugraneft.
[51] Ni Yugraneft ni Rexx n’ont présenté d’observations au sujet du point de départ du délai de prescription en l’espèce. Les deux parties semblent avoir tenu pour acquis que si notre Cour décide que l’art. 3, et non l’art. 11, s’applique à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales étrangères, la demande de Yugraneft serait prescrite. Pour les motifs qui suivent, je crois qu’elles ont raison.
[52] Pour déterminer si une procédure est prescrite, il faut savoir quand le préjudice a été subi. Dans le cas de l’inexécution d’une obligation, il faut savoir quand elle a eu lieu.
[53] Dans le contexte d’une procédure de reconnaissance et d’exécution d’une sentence arbitrale étrangère, si l’on suppose que l’inexécution a eu lieu à la date où la sentence a été rendue, Yugraneft aurait introduit sa demande en Alberta environ 16 mois après l’expiration du délai de deux ans. Toutefois, je ne crois pas que la date de la sentence puisse normalement être considérée comme la date de l’inexécution de l’obligation de payer.
[54] La Loi type prévoit qu’une partie à l’arbitrage a trois mois, à compter de la date à laquelle elle reçoit communication de la sentence, pour présenter aux tribunaux locaux une demande d’annulation d’une sentence (par. 34(3) — voir annexe A). Au moins jusqu’à l’expiration de ce délai, la sentence arbitrale peut ne pas avoir acquis le caractère définitif nécessaire pour permettre la présentation d’une demande de reconnaissance et d’exécution aux termes de la Convention. S’il subsiste une possibilité d’annulation d’une sentence, celle‐ci peut être considérée comme n’étant pas « devenue obligatoire » aux termes de l’al. V(1)e) de la Convention (Blackaby et Partasides, p. 649‐650). Le même raisonnement s’applique quand une demande d’annulation de la sentence est en cours. Ainsi, si une sentence est prononcée dans un État ayant adopté la Loi type, ou dans un État ayant des dispositions analogues sur l’annulation d’une sentence arbitrale, le créancier de la sentence ne pourrait savoir et n’aurait aucune raison de penser qu’une demande de reconnaissance et d’exécution peut être présentée le jour même où la sentence est prononcée. Dans ces circonstances, le délai de prescription en vertu de l’art. 3 de la Limitations Act ne commencera pas à courir tant que ne sera pas écartée la possibilité que la sentence soit annulée par les tribunaux du pays où elle a été prononcée.
[55] Il semble que ce soit le cas en l’espèce. La Russie a adopté la Loi type, mais rien au dossier dont dispose la Cour n’indique que la Russie a modifié l’art. 34 au moment où elle a adopté la Loi type (Sentence du tribunal d’arbitrage commercial international de Russie (traduction anglaise), d.a., vol. 2, p. 84). Par conséquent, les tribunaux d’un État partie à la Convention auraient le droit de refuser de reconnaître et d’exécuter la sentence dont il est question en l’espèce jusqu’à l’expiration du délai d’appel de trois mois ou, si un appel a été interjeté, jusqu’à l’issue de l’appel.
[56] Par conséquent, je suis d’avis que, pour l’application de la Limitations Act, les obligations de Rexx en vertu de la sentence ne se sont cristallisées que trois mois après la date à laquelle la sentence a été communiquée à Yugraneft. La sentence a été rendue le 6 septembre 2002 et Yugraneft n’a fourni aucune indication qu’elle a reçu communication de la sentence après cette date. Ainsi, l’inexécution de l’obligation de payer Yugraneft n’aurait eu lieu que le 6 décembre 2002. Cela laisse croire que Yugraneft disposait de deux ans après le 6 décembre 2002 pour introduire une demande contre Rexx en Alberta, ce qui signifie que son action, introduite le 27 janvier 2006, était manifestement prescrite.
[57] Il faut aussi savoir, dans le contexte de la reconnaissance et de l’exécution des sentences arbitrales étrangères, si l’inexécution de l’obligation de payer du débiteur de la sentence a lieu au moment où la sentence devient définitive ou seulement au moment où le refus de payer devient évident pour le créancier de la sentence. À mon avis, l’obligation de payer devient exigible à la date de l’expiration de la période d’appel ou, si un appel a été interjeté, à la date de la décision dans l’appel. À cette date, le défaut de paiement constitue une inexécution de l’obligation. Par conséquent, il y a eu préjudice et les conditions énoncées aux sous‐al. 3(1)a)(i) et (ii) sont remplies.
[58] Cependant, selon le sous‐al. 3(1)a)(iii), le délai de prescription ne commence à courir que si le demandeur a appris ou aurait dû apprendre que le préjudice [traduction] « justifie l’introduction d’une instance ». Dans certaines situations, une demande de reconnaissance et d’exécution peut ne pas être immédiatement « justifiée » et il sera alors loisible aux tribunaux de retarder le début du délai de prescription en conséquence.
[59] Dans Novak c. Bond, [1999] 1 R.C.S. 808, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) a fait remarquer que la règle de la possibilité de découvrir le dommage est le fruit d’une longue tendance, en matière de prescription, en faveur d’une approche qui met en équilibre les intérêts des demandeurs et des défendeurs. Les justifications traditionnelles à l’imposition d’un délai de prescription sur les actions s’articulaient autour des intérêts du défendeur : a) le besoin de certitude quant aux droits et obligations juridiques; b) le besoin de minimiser le risque que les éléments de preuve nécessaires en défense se détériorent avec le temps; et c) le souci d’assurer que les défendeurs ne fassent pas l’objet d’une action tardive parce que le demandeur n’a pas agi avec célérité (par. 64). Cependant, au fil du temps, les tribunaux, les commissions de réforme du droit et les législateurs se sont rendus compte que cette approche était unilatérale et qu’il fallait effectuer un « examen plus contextuel de la situation réelle des parties » (par. 65). Par conséquent, la juge McLachlin a écrit ce qui suit au par. 66 :
Les lois contemporaines sur la prescription des actions visent donc à établir un équilibre entre les justifications traditionnelles axées sur la protection du défendeur — la certitude, la preuve et la diligence — et la nécessité de faire preuve d’équité envers le demandeur compte tenu des circonstances qui lui sont propres. Comme l’a dit le juge Major dans l’arrêt [Murphy c. Welsh, [1993] 2 R.C.S. 1069], « [u]n régime de prescription doit tenter d’établir un équilibre entre les intérêts des deux parties » (p. 1080).
[60] Selon le sous‐al. 3(1)a)(iii), le délai de prescription ne commence à courir qu’une fois que le demandeur a appris ou aurait dû apprendre que le préjudice justifie l’introduction d’une instance. Par conséquent, l’al. 3(1)a) fait en sorte que le régime créé par la Limitations Act met en équilibre les intérêts des demandeurs et des défendeurs. Toutefois, tout comme la disposition correspondante de la Limitation Act de la Colombie‐Britannique en cause dans Novak c. Bond, le par. 3(1) examine la conduite du demandeur en fonction d’une norme « objective ». Selon le par. 6(4) de la Loi de la Colombie‐Britannique, le délai de prescription ne court qu’à compter du jour où les faits portés à la connaissance du demandeur sont tels qu’une [traduction] « personne raisonnable [. . .] serait d’avis que ces faits font voir » que le demandeur a) était en mesure d’intenter une action et b) que l’action pouvait raisonnablement être accueillie. Le paragraphe 3(1) de la Loi de l’Alberta ne fait pas référence à une « personne raisonnable » et ses critères de la possibilité de découverte ne sont pas identiques à ceux énoncés au par. 6(4) de la Loi de la Colombie‐Britannique. Toutefois, il soumet les éléments de connaissance à un test objectif : le demandeur doit apprendre ou [traduction] « aurait dû apprendre » l’existence des éléments qui déclenchent le délai de prescription. Par conséquent, la connaissance présumée, en plus de la connaissance réelle, déclenchera le délai de prescription.
[61] Le sous‐alinéa 3(1)a)(iii) permet donc aux tribunaux de tenir compte de certains aspects de la situation du créancier de la sentence qui amèneraient une personne raisonnable à conclure que ce créancier ne pouvait pas savoir si l’introduction d’une instance était justifiée en Alberta. Par exemple, il n’est pas rare que les parties à un arbitrage international détiennent des biens dans plusieurs États ou plusieurs provinces au sein d’un État fédératif. On ne peut présumer qu’un créancier est au courant de tous les endroits où peuvent se trouver des biens du débiteur de la sentence. Si le créancier n’est pas au courant que le débiteur possède des biens dans un État en particulier, et qu’il n’a aucune raison de l’être, on ne peut s’attendre à ce qu’il sache qu’une demande de reconnaissance et d’exécution est justifiée dans cet État. Par conséquent, je suis d’avis que la demande de reconnaissance et d’exécution ne serait justifiée en Alberta qu’à compter du moment où le créancier de la sentence apprend, en faisant preuve de diligence raisonnable, que le débiteur possède des biens dans cette province.
[62] Quoi qu’il en soit, Yugraneft ne pourrait en l’espèce justifier un délai pour cette raison. Le contrat intervenu entre Yugraneft et Rexx le 1er octobre 1998 indique que Rexx était désignée comme une société albertaine (contrat no 157, d.a., vol. 2, p. 41). Il ne faudrait pas s’attendre à ce que le créancier de la sentence soit au courant de tous les endroits dans le monde où le débiteur pourrait avoir des biens. Toutefois, on ne peut en dire autant de l’État où le débiteur est enregistré et où se trouve son siège social. Dans ces circonstances, Yugraneft n’a pas dit et ne pouvait pas dire qu’elle ne savait ou qu’elle n’aurait pas pu savoir qu’une demande était justifiée en Alberta à l’expiration du délai d’appel de trois mois après avoir reçu communication de la sentence (ou avant).
[63] Je n’ai donc aucune difficulté à conclure que, même en considérant la règle de la possibilité de découvrir le dommage prévue à l’al. 3(1)a) de la Limitations Act, l’instance engagée par Yugraneft est prescrite.
E. L’argument fondé sur l’ordre public
[64] En plus d’affirmer que la demande de Yugraneft est prescrite, Rexx a aussi fait valoir que l’exécution de la sentence devrait être refusée pour des raisons d’ordre public (Convention, al. V(2)b)), soutenant qu’elle était entachée de fraude. Vu ma conclusion concernant le délai de prescription applicable, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur cette question et je m’abstiendrai de le faire.
VI. Conclusion
[65] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi, avec dépens.
ANNEXE A
Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage
commercial international
Article 5. Domaine de l’intervention des tribunaux
Pour toutes les questions régies par la présente Loi, les tribunaux ne peuvent intervenir que dans les cas où celle‐ci le prévoit.
Article 34. La demande d’annulation comme recours
exclusif contre la sentence arbitrale
1) Le recours formé devant un tribunal contre une sentence arbitrale ne peut prendre la forme que d’une demande d’annulation conformément aux paragraphes 2 et 3 du présent article.
. . .
3) Une demande d’annulation ne peut être présentée après l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la partie présentant cette demande a reçu communication de la sentence ou, si une demande a été faite en vertu de l’article 33, à compter de la date à laquelle le tribunal arbitral a pris une décision sur cette demande.
4) Lorsqu’il est prié d’annuler une sentence, le tribunal peut, le cas échéant et à la demande d’une partie, suspendre la procédure d’annulation pendant une période dont il fixe la durée afin de donner au tribunal arbitral la possibilité de reprendre la procédure arbitrale ou de prendre toute autre mesure que ce dernier juge susceptible d’éliminer les motifs d’annulation.
Article 35. Reconnaissance et exécution
1) La sentence arbitrale, quel que soit le pays où elle a été rendue, est reconnue comme ayant force obligatoire et, sur requête adressée par écrit au tribunal compétent, est exécutée sous réserve des dispositions du présent article et de l’article 36.
2) La partie qui invoque la sentence ou qui en demande l’exécution doit en fournir l’original ou une copie. Si ladite sentence n’est pas rédigée dans une langue officielle du présent État, le tribunal peut demander à la partie d’en produire une traduction dans cette langue.
Article 36. Motifs du refus de la reconnaissance
ou de l’exécution
1) La reconnaissance ou l’exécution d’une sentence arbitrale, quel que soit le pays où elle a été rendue, ne peut être refusée que :
a) Sur la demande de la partie contre laquelle elle est invoquée, si ladite partie présente au tribunal compétent auquel est demandée la reconnaissance ou l’exécution la preuve :
i) Qu’une partie à la convention d’arbitrage visée à l’article 7 était frappée d’une incapacité; ou que ladite convention n’est pas valable en vertu de la loi à laquelle les parties l’ont subordonnée ou, à défaut d’une indication à cet égard, en vertu de la loi du pays où la sentence a été rendue; ou
ii) Que la partie contre laquelle la sentence est invoquée n’a pas été dûment informée de la désignation d’un arbitre ou de la procédure arbitrale, ou qu’il lui a été impossible pour une autre raison de faire valoir ses droits; ou
iii) Que la sentence porte sur un différend non visé dans le compromis ou n’entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu’elle contient des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire, étant entendu toutefois que, si les dispositions de la sentence qui ont trait à des questions soumises à l’arbitrage peuvent être dissociées de celles qui ont trait à des questions non soumises à l’arbitrage, seule la partie de la sentence contenant des décisions sur les questions soumises à l’arbitrage pourra être reconnue et exécutée; ou
iv) Que la constitution du tribunal arbitral, ou la procédure arbitrale, n’a pas été conforme à la convention des parties ou, à défaut d’une telle convention, à la loi du pays où l’arbitrage a eu lieu; ou
v) Que la sentence n’est pas encore devenue obligatoire pour les parties, ou a été annulée ou suspendue par un tribunal du pays dans lequel, ou en vertu de la loi duquel elle a été rendue; ou
b) Si le tribunal constate que :
i) L’objet du différend n’est pas susceptible d’être réglé par arbitrage conformément à la loi du présent État; ou que
ii) La reconnaissance ou l’exécution de la sentence serait contraire à l’ordre public du présent État.
2) Si une demande d’annulation ou de suspension d’une sentence a été présentée à un tribunal visé au paragraphe 1 a) v du présent article, le tribunal auquel est demandée la reconnaissance ou l’exécution peut, s’il le juge approprié, surseoir à statuer et peut aussi, à la requête de la partie demandant la reconnaissance ou l’exécution de la sentence, ordonner à l’autre partie de fournir des sûretés convenables.
ANNEXE B
Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences
arbitrales étrangères
Article premier
1. La présente Convention s’applique à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales rendues sur le territoire d’un État autre que celui où la reconnaissance et l’exécution des sentences sont demandées, et issues de différends entre personnes physiques ou morales. Elle s’applique également aux sentences arbitrales qui ne sont pas considérées comme sentences nationales dans l’État où leur reconnaissance et leur exécution sont demandées.
2. On entend par « sentences arbitrales » non seulement les sentences rendues par des arbitres nommés pour des cas déterminés, mais également celles qui sont rendues par des organes d’arbitrage permanents auxquels les parties se sont soumises.
3. Au moment de signer ou de ratifier la présente Convention, d’y adhérer ou de faire la notification d’extension prévue à l’article X, tout État pourra, sur la base de la réciprocité, déclarer qu’il appliquera la Convention à la reconnaissance et à l’exécution des seules sentences rendues sur le territoire d’un autre État contractant. Il pourra également déclarer qu’il appliquera la Convention uniquement aux différends issus de rapports de droit, contractuels ou non contractuels, qui sont considérés comme commerciaux par sa loi nationale.
Article III
Chacun des États contractants reconnaîtra l’autorité d’une sentence arbitrale et accordera l’exécution de cette sentence conformément aux règles de procédure suivies dans le territoire où la sentence est invoquée, aux conditions établies dans les articles suivants. Il ne sera pas imposé, pour la reconnaissance ou l’exécution des sentences arbitrales auxquelles s’applique la présente Convention, de conditions sensiblement plus rigoureuses, ni de frais de justice sensiblement plus élevés, que ceux qui sont imposés pour la reconnaissance ou l’exécution des sentences arbitrales nationales.
Article V
1. La reconnaissance et l’exécution de la sentence ne seront refusées, sur requête de la partie contre laquelle elle est invoquée, que si cette partie fournit à l’autorité compétente du pays où la reconnaissance et l’exécution sont demandées la preuve :
a) Que les parties à la convention visée à l’article II étaient, en vertu de la loi à elles applicable, frappées d’une incapacité, ou que ladite convention n’est pas valable en vertu de la loi à laquelle les parties l’ont subordonnée ou, à défaut d’une indication à cet égard, en vertu de la loi du pays où la sentence a été rendue; ou
b) Que la partie contre laquelle la sentence est invoquée n’a pas été dûment informée de la désignation de l’arbitre ou de la procédure d’arbitrage, ou qu’il lui a été impossible, pour une autre raison, de faire valoir ses moyens; ou
c) Que la sentence porte sur un différend non visé dans le compromis ou n’entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu’elle contient des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire; toutefois, si les dispositions de la sentence qui ont trait à des questions soumises à l’arbitrage peuvent être dissociées de celles qui ont trait à des questions non soumises à l’arbitrage, les premières pourront être reconnues et exécutées; ou
d) Que la constitution du tribunal arbitral ou la procédure d’arbitrage n’a pas été conforme à la convention des parties, ou, à défaut de convention, qu’elle n’a pas été conforme à la loi du pays où l’arbitrage a eu lieu; ou
e) Que la sentence n’est pas encore devenue obligatoire pour les parties ou a été annulée ou suspendue par une autorité compétente du pays dans lequel, ou d’après la loi duquel, la sentence a été rendue.
2. La reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale pourront aussi être refusées si l’autorité compétente du pays où la reconnaissance et l’exécution sont requises constate :
a) Que, d’après la loi de ce pays, l’objet du différend n’est pas susceptible d’être réglé par voie d’arbitrage; ou
b) Que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence serait contraire à l’ordre public de ce pays.
Article XI
Les dispositions ci‐après s’appliqueront aux États fédératifs ou non unitaires :
a) En ce qui concerne les articles de la présente Convention qui relèvent de la compétence législative du pouvoir fédéral, les obligations du gouvernement fédéral seront les mêmes que celles des États contractants qui ne sont pas des États fédératifs;
b) En ce qui concerne les articles de la présente Convention qui relèvent de la compétence législative de chacun des États ou provinces constituants, qui ne sont pas, en vertu du système constitutionnel de la fédération, tenus de prendre des mesures législatives, le gouvernement fédéral portera le plus tôt possible, et avec son avis favorable, lesdits articles à la connaissance des autorités compétentes des États ou provinces constituants;
c) Un État fédératif Partie à la présente Convention communiquera, à la demande de tout autre État contractant qui lui aura été transmise par l’intermédiaire du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, un exposé de la législation et des pratiques en vigueur dans la fédération et ses unités constituantes, en ce qui concerne telle ou telle disposition de la Convention, indiquant la mesure dans laquelle effet a été donné, par une action législative ou autre, à ladite disposition.
ANNEXE C
Limitations Act, R.S.A. 2000, ch. L‐12
[traduction]
Interprétation
1 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
a) « réclamation » Un fait générateur d’une instance civile par laquelle le demandeur cherche à obtenir une ordonnance de réparation.
b) « demandeur » La personne qui cherche à obtenir une ordonnance de réparation.
c) « défendeur » Une personne contre qui une ordonnance de réparation est demandée.
d) « obligation » Toute obligation prévue par la législation.
e) « préjudice »
(i) Un préjudice personnel,
(ii) des dommages matériels,
(iii) une perte économique,
(iv) l’inexécution d’une obligation, ou
(v) en l’absence de l’une ou l’autre forme de préjudice ci‐dessus, le manquement à une obligation.
f) « législation » La législation en vigueur dans la Province, ce qui comprend :
(i) les lois,
(ii) les précédents judiciaires,
(iii) les règlements.
g) « disposition applicable en matière de prescription » Un délai de prescription ou une disposition prescrivant l’envoi d’un avis et ayant valeur de délai de prescription.
h) « personne souffrant d’une incapacité »
(i) Un adulte représenté au sens de l’Adult Guardianship and Trusteeship Act ou une personne visée par un certificat d’incapacité en vertu de la Public Trustee Act, ou
(ii) un adulte incapable d’exercer son jugement de façon raisonnable relativement aux faits d’une réclamation.
i) « ordonnance de réparation » Un jugement ou une ordonnance rendu par un tribunal dans une instance civile enjoignant au défendeur de se conformer à une obligation ou de verser des dommages‐intérêts pour la violation d’un droit, à l’exclusion :
(i) d’une déclaration des droits et obligations, des relations juridiques ou du statut personnel,
(ii) de l’exécution d’une ordonnance de réparation,
(iii) du contrôle judiciaire de la décision, de l’acte ou de l’omission d’une personne ou d’un office dans l’exercice d’un pouvoir conféré par une loi ou un règlement,
(iv) d’un bref d’habeas corpus.
j) « droit » Tout droit prévu par la loi.
k) « garantie » Un droit sur un bien qui garantit l’exécution d’une obligation, notamment un paiement.
Application
2(1) La présente loi s’applique lorsqu’un demandeur cherche à obtenir une ordonnance de réparation dans le cadre d’une instance introduite le 1er mars 1999 ou après cette date, indépendamment de la date de la cause d’action.
. . .
Délais de prescription
3(1) Sous réserve de l’article 11, le défendeur qui invoque la présente loi comme moyen de défense est exonéré de toute responsabilité à l’égard de la demande si le demandeur ne cherche pas à obtenir une ordonnance de réparation :
a) dans les deux années suivant la date à laquelle il a appris ou, eu égard aux circonstances, aurait dû apprendre :
(i) que le préjudice visé par la demande a été subi,
(ii) que le préjudice est attribuable à la conduite du défendeur, et
(iii) que le préjudice, en supposant que le défendeur en soit responsable, justifie l’introduction d’une instance;
ou
b) dans les 10 années suivant la date à laquelle la cause d’action a pris naissance,
selon le délai qui expire en premier.
. . .
Jugement ordonnant le paiement d’une somme d’argent
11 Si, dans les 10 années suivant la date à laquelle la cause d’action a pris naissance, le demandeur ne présente pas une demande de réparation à l’égard d’une réclamation fondée sur un jugement ou une ordonnance prévoyant le paiement d’une somme d’argent, le défendeur, en invoquant la présente loi comme moyen de défense, est exonéré de toute responsabilité à l’égard de la réclamation.
Conflit de lois
12(1) Les règles de prescription de l’Alberta s’appliquent à toute instance introduite, ou que l’on cherche à introduire, en Alberta dans laquelle un demandeur cherche à obtenir une ordonnance de réparation.
(2) Par dérogation au paragraphe (1), lorsqu’une instance visée au paragraphe (1) serait instruite et jugée selon le droit d’un autre ressort, et que les règles de prescription de ce ressort prévoient un délai de prescription plus court que celui prévu par la loi de l’Alberta, ce délai de prescription plus court s’applique.
ANNEXE D
Arbitration Act, R.S.A. 2000, ch. A‐43
[traduction]
Application de la Loi
2(1) La présente loi s’applique à tout arbitrage effectué en vertu d’une convention d’arbitrage ou autorisé ou exigé par un texte législatif sauf si, selon le cas :
a) l’application de la présente loi est exclue par une convention des parties ou par des règles de droit,
b) la partie 2 de la Loi sur l’arbitrage commercial international s’applique à l’arbitrage.
. . .
Délais de prescription
51(1) À l’égard des délais de prescription, la loi s’applique à l’arbitrage comme s’il constituait une action et qu’une question en litige présentée au cours de l’arbitrage constituait une cause d’action.
(2) S’il annule une sentence, met fin à un arbitrage ou déclare nul l’arbitrage, le tribunal judiciaire peut ordonner que la période allant du début de l’arbitrage à la date de l’ordonnance ne soit pas comprise dans le calcul du délai dans lequel une action peut être intentée pour une cause d’action qui constituait une question en litige faisant l’objet de l’arbitrage.
(3) Une requête en vue de l’exécution d’une sentence ne peut être présentée :
a) plus de deux ans après la date à laquelle la sentence est communiquée au requérant,
b) plus de deux ans après l’expiration de tous les délais d’appel,
selon la plus tardive de ces dates.
ANNEXE E
Reciprocal Enforcement of Judgments Act, R.S.A. 2000, ch. R‐6
[traduction]
Interprétation
1(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
a) « Cour » La Cour du Banc de la Reine;
b) « jugement » Un jugement ou une ordonnance d’un tribunal dans une instance civile, portant condamnation au paiement d’une somme d’argent. S’entend en outre d’une sentence arbitrale qui, selon les lois de l’État où elle a été rendue, est devenue exécutoire de la même manière qu’un jugement rendu par un tribunal de cet État, à l’exclusion d’une ordonnance de paiement d’une somme d’argent à titre d’aliments en faveur d’un conjoint ou ex‐conjoint ou d’un partenaire interdépendant adulte ou ex‐partenaire interdépendant adulte ou d’un enfant, ou d’une ordonnance rendue contre le père putatif d’un enfant non encore né pour subvenir aux besoins de la mère de l’enfant;
. . .
Ordonnance d’enregistrement
2(1) Lorsqu’un jugement a été rendu par un tribunal d’un État accordant la réciprocité, le créancier du jugement peut, dans les six ans de la date de ce dernier, demander à la Cour du Banc de la Reine de faire enregistrer le jugement au greffe de la Cour. La Cour peut alors ordonner l’enregistrement du jugement.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelante : Burns, Fitzpatrick, Rogers & Schwartz, Vancouver.
Procureurs de l’intimée : Burnet, Duckworth & Palmer, Calgary.
Procureurs de l’intervenante ADR Chambers Inc. : B C F, Montréal.
Procureurs de l’intervenant le Congrès d’arbitrage canadien : Heenan Blaikie, Ottawa.
Procureurs de l’intervenant l’Institut de médiation et d’arbitrage du Québec : Fraser Milner Casgrain, Montréal.
Procureurs de l’intervenante London Court of International Arbitration : Ogilvy Renault, Montréal.