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                                                  COUR SUPRÊME DU CANADA

 

 

Référence : R. c. Pickton, 2010 CSC 32, [2010] 2 R.C.S. 198

 

Date :  20100730

Dossier :  33288

 

Entre :

Robert William Pickton

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

 

Traduction française officielle

 

Coram :  La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell

 

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 36)

 

Motifs concordants en partie : (par. 37 à 88)

 

La juge Charron (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Deschamps, Abella, Rothstein et Cromwell)

 

Le juge LeBel (avec l’accord des juges Binnie et Fish)

 

 

 

______________________________


R. c. Pickton, 2010 CSC 32, [2010] 2 R.C.S. 198

 

Robert William Pickton                                                                                                       Appelant

 

c.

 

Sa Majesté la Reine                                                                                                              Intimée

 

Répertorié : R. c. Pickton

 

2010 CSC 32

 

No du greffe : 33288.

 

2010 : 25 mars; 2010 : 30 juillet.

 

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.

 

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

 


Droit criminel — Procès — Procès équitable — Exposé au jury — Accusé inculpé de plusieurs chefs de meurtre au premier degré — Ministère public soutenant que l’accusé a effectivement abattu d’un coup de feu les victimes — Directive du juge du procès aux jurés leur indiquant qu’ils devaient rendre un verdict d’acquittement s’ils avaient un doute raisonnable quant à la question de savoir si l’accusé avait abattu ou non les victimes — Directive ultérieure du juge du procès indiquant aux jurés, à la suite d’une question de ces derniers durant leurs délibérations, qu’ils pouvaient conclure que l’accusé était le tueur s’il avait « autrement participé activement » à l’infliction de la mort aux victimes — Accusé déclaré coupable de meurtre au deuxième degré — La réponse du juge du procès à la question du jury a‑t‑elle compromis l’équité du procès et provoqué un déni de justice? — Est‑ce que les directives dans leur ensemble, y compris la réponse à la question du jury, ont exposé correctement aux jurés les règles de droit sur les divers fondements permettant d’imputer la responsabilité criminelle en l’espèce?

 


L’accusé a été inculpé de plusieurs chefs de meurtre au premier degré après la découverte, par la police, de fragments des corps des victimes sur sa propriété.  Pendant toute la durée du procès, le ministère public a maintenu que l’accusé avait effectivement abattu d’un coup de feu les femmes en question.  La défense a soutenu pour sa part que le ministère public n’avait pas réussi à démontrer que l’accusé était le seul auteur des faits reprochés, laissant entendre que d’autres individus, excluant l’accusé, pouvaient avoir été impliqués.  Le quatrième et dernier jour de l’exposé des directives au jury, la défense a demandé au juge du procès d’instruire explicitement le jury conformément à la thèse de chacune des parties.  Le ministère public a consenti à cette demande et le juge du procès a dit aux jurés, relativement aux chefs à l’égard desquels la preuve démontrait manifestement que la victime était décédée d’un coup de feu, que s’ils concluaient que l’accusé avait abattu les victimes, ils devaient conclure que le ministère public avait fait la preuve de l’identité du tueur.  Par contre, s’ils avaient un doute raisonnable quant à la question de savoir si l’accusé avait abattu ou non les victimes, ils devaient alors rendre un verdict d’acquittement.  En réponse à une question des jurés le sixième jour des délibérations, le juge du procès leur a donné comme nouvelle directive qu’ils pouvaient également conclure que l’accusé était le tueur s’il avait « autrement participé activement » à l’infliction de la mort aux victimes.  Au terme d’un long procès, le jury a rendu un verdict de culpabilité de meurtre au deuxième degré pour chacun des chefs d’accusation.  L’accusé a interjeté appel des déclarations de culpabilité, faisant valoir que, en revenant sur la directive sur le  « véritable tireur » le sixième jour des délibérations, le juge du procès avait compromis l’équité du procès et provoqué un déni de justice.  La Cour d’appel a, dans une décision majoritaire, rejeté les prétentions de l’accusé et confirmé les déclarations de culpabilité.  Le juge dissident aurait ordonné la tenue d’un nouveau procès, au motif que l’omission du juge du procès d’exposer au jury les règles de droit concernant l’aide et l’encouragement à la perpétration d’une infraction et la manière dont elles pouvaient s’appliquer en l’espèce équivalait à un déni de justice.

 

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

 


La juge en chef McLachlin et les juges Deschamps, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell : C’est à bon droit que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu qu’aucun déni de justice n’avait entaché ce procès.  Bien que le ministère public ait plaidé que l’accusé était le seul auteur des actes reprochés, le dossier révélait que d’autres formes de responsabilité pouvaient également s’appliquer.  Non seulement la thèse de la défense elle‑même soulevait la question de l’implication d’autres personnes, mais les propres déclarations de l’accusé à la police — lesquelles laissaient entendre que d’autres personnes étaient impliquées, sans pour autant l’exclure lui‑même — rendaient à elles seules nécessaire la formulation au jury par le juge du procès de directives sur les fondements de responsabilité possibles qui n’étaient évoqués ni dans la thèse du ministère public ni dans celle de la défense.  Dans son exposé aux jurés, le juge du procès leur a expliqué les conséquences qu’aurait toute conclusion selon laquelle d’autres personnes ont pu participer à la perpétration des infractions sur la question de la responsabilité criminelle de l’accusé.  L’essentiel du message contenu dans les directives sur les autres suspects était qu’il importait peu que l’accusé ait agi seul ou avec d’autres; dès lors qu’il avait « participé activement » à l’infliction de la mort aux victimes, et qu’il avait en conséquence joué un rôle concret dans ces actes, on pouvait conclure à sa responsabilité criminelle.  La réponse contestée à la question posée par le jury était compatible avec cette directive et, par conséquent, l’argument voulant que la défense ait été pour ainsi dire prise au dépourvu par la tournure des événements n’est pas appuyé par le dossier.

 

En outre, indépendamment de la position commune des avocats à ce sujet, le juge du procès n’aurait pas dû accepter d’inclure la directive sur le « véritable tireur » dans son exposé.  Non seulement cette directive était erronée en droit, mais c’est son ajout qui, compte tenu des faits, aurait pu entraîner un déni de justice.  Cette directive invitait le jury à acquitter l’accusé sur la base d’un doute factuel qui, en droit, ne le disculpait pas nécessairement.  Le juge du procès a à bon droit donné de nouvelles directives au jury en modifiant la directive sur le véritable tireur pour qu’elle inclue la possibilité que l’accusé ait « autrement participé activement à l’infliction de la mort à cette personne », de sorte que la directive concorde avec celles concernant les autres suspects et réponde à la preuve et aux principales questions en litige dans le procès.


Dans leur ensemble, les directives ont effectivement fourni aux jurés les explications dont ils avaient besoin pour examiner comme il se doit les autres fondements de responsabilité.  La présente affaire n’a jamais porté sur la question de savoir si l’accusé avait joué un rôle mineur dans le meurtre des victimes.  Elle a toujours porté sur la question de savoir s’il les avait effectivement tuées ou non.  Vu la preuve accablante indiquant que l’accusé avait participé activement à l’infliction même de la mort aux victimes, seul ou de concert avec d’autres personnes, et l’exposé au jury dans son ensemble, les expressions « agi de concert avec » et « participé activement à l’infliction de la mort aux victimes » évoquaient de façon concise les autres fondements de responsabilité qu’il était réaliste d’envisager dans le cadre de ce procès.  Bien que le juge du procès aurait pu donner des directives plus complètes au jury au sujet des divers modes de participation susceptibles de permettre de conclure à la responsabilité criminelle, notamment en ce qui concerne les règles de droit relatives à l’aide et à l’encouragement, il n’y a eu ni erreur de droit, car le juge a correctement exposé au jury les éléments essentiels que le ministère public devait prouver pour établir la culpabilité relativement aux meurtres, ni déni de justice, car le raisonnement du jury ne pouvait être faussé.  L’omission de donner une directive sur l’aide et l’encouragement ne pouvait qu’être à l’avantage de l’accusé.

 


Les juges Binnie, LeBel et Fish : Les jurés n’ont pas été adéquatement informés des principes juridiques qui leur auraient permis d’examiner des éléments de preuve concernant l’aide et l’encouragement que l’accusé aurait prodigués à un tireur inconnu, en tant qu’autre moyen d’imputer au premier la responsabilité des meurtres, mais la disposition réparatrice prévue à l’al. 686(1)b)(iii) du Code criminel  s’applique.  Il existait une preuve accablante de la participation de l’accusé aux meurtres et, quel que soit l’angle sous lequel on considère sa participation, il était nécessairement l’auteur des meurtres ou il avait aidé ou encouragé quelqu’un d’autre à les commettre.  Du reste, un jury ayant reçu des directives adéquates aurait vraisemblablement déclaré l’accusé coupable de meurtre au premier degré et non de meurtre au second degré.

 

En ce qui concerne les infractions fondées sur un lien de causalité comme le meurtre, il peut exister une différence entre la causalité factuelle — la cause scientifique (« n’eut été ») du décès — et la causalité juridique, c’est‑à‑dire la question de savoir si l’accusé doit être tenu criminellement responsable des conséquences qui ont résulté.  La notion de responsabilité des participants codifiée à l’art. 21  du Code criminel  permet souvent de combler le vide qui, autrement, pourrait exister entre la causalité factuelle et la causalité juridique.  Mais le juge du procès conserve néanmoins l’obligation d’expliquer aux jurés — le juge des faits — les principes juridiques appropriés et la façon de les appliquer à la preuve présentée au procès, pour éviter les incertitudes non pertinentes en droit qui, sans cela, pourraient surgir.

 

Même si, en définitive, la responsabilité juridique à l’égard de l’infraction est la même, qu’il s’agisse de l’auteur de l’infraction ou d’une personne qui a aidé à sa perpétration ou l’a encouragée, les conclusions de fait requises et les principes juridiques applicables diffèrent.  En matière d’aide ou d’encouragement à la perpétration d’une infraction, l’analyse porte principalement sur l’intention dans laquelle l’aide ou l’encouragement a été fournie.  Au vu du dossier en l’espèce, de nombreux actes d’aide ou d’encouragement auraient pu être invoqués à l’encontre de l’accusé pour retenir sa responsabilité criminelle à l’égard des meurtres, et ces mêmes actes auraient également pu apporter la preuve nécessaire au titre de l’intention.


Comme il n’y avait aucune preuve de l’existence de plus d’une cause effective de décès, une directive concernant une « action concertée » par l’accusé et une ou plusieurs autres personnes devait clairement indiquer aux jurés que, s’ils avaient un doute raisonnable quant à la perpétration par l’accusé lui‑même des meurtres en question, ils devaient être convaincus, hors de tout doute raisonnable, qu’il avait à tout le moins aidé ou encouragé quelqu’un d’autre à les commettre.  Tant la directive générale que la version modifiée du passage de l’exposé au jury concernant le « véritable tireur » étaient de nature à induire en erreur, en plus d’être erronées en droit.  Les mots « ou qu’il a autrement participé activement » n’expliquaient pas adéquatement le lien de causalité requis entre les actes de l’accusé et le décès des victimes pour établir sa responsabilité en tant qu’auteur des infractions.  Les mots « ou qu’il a autrement participé activement à l’infliction de la mort à la victime » ont eu pour effet de donner de manière inadmissible aux jurés la possibilité de conclure que l’accusé avait agi en aidant ou en encourageant quelqu’un d’autre à perpétrer les infractions, sans leur fournir de directives additionnelles sur cette forme de responsabilité.

 

Enfin, une preuve de faits similaires est admissible non seulement pour démontrer qu’un accusé a commis personnellement, en tant qu’auteur, chacune des infractions qu’on lui reproche, mais également pour soulever la possibilité qu’il les ait commises en aidant ou en encourageant quelqu’un d’autre à les perpétrer.  Cependant, les comportements similaires requis doivent présenter un lien suffisant avec ces deux possibilités pour tous les chefs d’accusation.

 


Jurisprudence

 

Citée par la juge Charron

 

Distinction d’avec l’arrêt : R. c. Ranger (2003), 178 C.C.C. (3d) 375; arrêts mentionnés : R. c. Rose, [1998] 3 R.C.S. 262; R. c. Thatcher, [1987] 1 R.C.S. 652.

 

Citée par le juge LeBel

 

Arrêt examiné : R. c. Suzack (2000), 141 C.C.C. (3d) 449; distinction d’avec les arrêts : R. c. Thatcher, [1987] 1 R.C.S. 652; Miller c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680; arrêts mentionnés : R. c. Bernardo (1997), 121 C.C.C. (3d) 123; Chow Bew c. The Queen, [1956] R.C.S. 124; R. c. Harder, [1956] R.C.S. 489; R. c. Sparrow (1979), 51 C.C.C. (2d) 443; R. c. Isaac, [1984] 1 R.C.S. 74; R. c. Nette, 2001 CSC 78, [2001] 3 R.C.S. 488; R. c. Mena (1987), 34 C.C.C. (3d) 304; R. c. McMaster, [1996] 1 R.C.S. 740; R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411; R. c. Mercer, 2005 BCCA 144, 202 C.C.C. (3d) 130, autorisation de pourvoi refusée, [2005] 2 R.C.S. x; R. c. Perrier, 2004 CSC 56, [2004] 3 R.C.S. 228; R. c. Van, 2009 CSC 22, [2009] 1 R.C.S. 716; R. c. Trochym, 2007 CSC 6, [2007] 1 R.C.S. 239.

 

Lois et règlements cités

 

Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , art. 21 , 229 , 231(5) , 686(1) b)(iii).

 


POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (le juge en chef Finch et les juges Donald et Low), 2009 BCCA 299, 272 B.C.A.C.

252, 459 W.A.C. 252, [2009] B.C.J. No. 1251 (QL), 2009 CarswellBC 3826, qui a confirmé les déclarations de culpabilité prononcées contre l’accusé.  Pourvoi rejeté.

 

Gil D. McKinnon, c.r., Patrick McGowan et Marilyn Sandford, pour l’appelant.

 

Gregory J. Fitch, c.r., et John M. Gordon, c.r., pour l’intimée.

 

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Deschamps, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell rendu par                                                                                                          

 

La juge Charron

 

1.  Aperçu

 


[1]                              La police a commencé à s’intéresser à Robert William Pickton au début de l’année 2001 lorsqu’un groupe d’intervention a entrepris de prélever des échantillons pour établir le profil génétique des femmes portées disparues dans la partie est du centre‑ville de Vancouver.  Toutes les femmes portées disparues étaient des travailleuses du sexe toxicomanes qui avaient fréquemment travaillé dans ce secteur.  M. Pickton exploitait un abattoir de porcs à côté de sa résidence sur la propriété familiale située à Port Coquitlam, à l’est de Vancouver.  L’enquête s’est soldée par la découverte, sur la propriété de M. Pickton, de fragments des corps de bon nombre des femmes en question.  Certains de ces restes humains ont été retrouvés dans des seaux déposés dans un congélateur de son atelier, d’autres dans une poubelle de la porcherie située près de l’abattoir, d’autres ailleurs sur la propriété.

 

[2]                              M. Pickton a été accusé de 27 chefs de meurtre au premier degré.

 

[3]                              Dans des décisions préalables au procès, le juge du procès a annulé un des chefs et en a séparé 20 autres.  Au terme d’un long procès sur les six autres chefs de meurtre au premier degré, le jury a rendu un verdict d’acquittement relativement aux accusations de meurtre au premier degré, mais un verdict de culpabilité de meurtre au deuxième degré pour chacun des six chefs d’accusation.

 

[4]                              Le ministère public a eu gain de cause dans son appel interjeté à la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique à l’encontre de l’ordonnance de séparation des chefs d’accusation et des six acquittements de meurtre au premier degré.  La Cour d’appel a ordonné à l’unanimité la tenue d’un nouveau procès sur les 26 chefs d’accusation de meurtre au premier degré.  Cette décision n’a pas été portée en appel et il a été sursis à son exécution en attendant que soit connu le sort final de l’appel de M. Pickton.

 


[5]                              M. Pickton a interjeté appel de ses déclarations de culpabilité de meurtre au deuxième degré.  Son appel portait essentiellement sur la question de savoir si les réponses du juge du procès à une question posée par le jury avaient eu pour effet de compromettre l’équité du procès en introduisant à cette étape finale du procès, comme l’a affirmé la défense, un fondement de responsabilité nouveau et imprécis ouvrant la voie à une déclaration de culpabilité.  M. Pickton a fondé cette prétention sur les faits suivants.

 

[6]                              Pendant toute la durée du procès, le ministère public a maintenu que M. Pickton avait effectivement tué, ou abattu d’un coup de feu, les six femmes en question.  La défense a soutenu pour sa part que le ministère public n’avait pas réussi à démontrer que M. Pickton était le seul auteur des faits reprochés, laissant entendre que d’autres individus, excluant M. Pickton, pouvaient avoir été impliqués.  Le quatrième et dernier jour de l’exposé des directives au jury, la défense a demandé au juge du procès d’instruire explicitement le jury conformément à la thèse défendue respectivement par chacune des parties en ajoutant ce qu’on a appelé la directive sur le « véritable tireur ».  Le ministère public a consenti à cette demande et le juge du procès a par conséquent adressé la directive suivante au jury relativement aux trois premiers chefs, qui se rapportaient chacun à une victime qui, comme les deux avocats l’ont reconnu, était décédée par suite d’un coup de feu à la tête (le ministère public s’est fondé sur une preuve de faits similaires pour démontrer que les trois autres femmes avaient elles aussi été assassinées par M. Pickton) :

 

[traduction]  Si vous concluez que M. Pickton a abattu [nom de la victime], vous devez conclure que le ministère public a fait la preuve [du troisième élément, l’identité du tueur].  Par contre, si vous avez un doute raisonnable quant à la question de savoir si l’accusé a abattu ou non la victime, vous devez alors rendre un verdict d’acquittement relativement à cette accusation de meurtre.  [Je souligne.]

 


M. Pickton a plaidé qu’en revenant plus tard sur cette directive le sixième jour des délibérations, le juge du procès a provoqué un déni de justice en expliquant aux jurés qu’ils pouvaient également conclure qu’il était le tueur s’il avait [traduction] « autrement participé activement » à l’infliction de la mort aux victimes.

 

[7]                              Le juge Low, avec l’appui du juge en chef de la Colombie‑Britannique, le juge Finch, a rejeté l’argument de M. Pickton (2009 BCCA 299, 272 B.C.A.C. 252).  Bien que la thèse du ministère public ait été que M. Pickton était le seul auteur des actes reprochés, le dossier révélait que d’autres fondements de la responsabilité avaient également été en cause pendant tout le procès.  C’était donc à bon droit que le juge du procès avait expliqué au jury à différentes reprises dans ses directives qu’il n’était pas nécessaire de conclure que M. Pickton avait agi seul pour le déclarer coupable des infractions qui lui étaient reprochées.  Le fait que les jurés aient demandé au juge du procès s’ils pouvaient conclure que M. Pickton était le meurtrier s’ils inféraient qu’il avait [traduction] « agi indirectement » s’explique par les contradictions dans l’exposé du juge du procès entre ces directives sur les autres suspects et la directive sur le véritable tireur.  Le juge du procès avait eu raison de corriger ces contradictions et, suivant les juges majoritaires, dans l’ensemble, les directives qu’il avait données au sujet de la question des participants à l’infraction étaient adéquates.

 

[8]                              Le juge Donald, dissident, aurait ordonné la tenue d’un nouveau procès au motif que l’omission du juge du procès d’exposer au jury les règles de droit concernant l’aide et l’encouragement à la perpétration d’une infraction et la manière dont elles pouvaient s’appliquer en l’espèce équivalait à un déni de justice auquel la disposition réparatrice prévue au sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , ne pouvait pas s’appliquer.

 


[9]                              Devant notre Cour, M. Pickton reprend le même argument selon lequel il y a eu déni de justice, en s’appuyant sur la dissidence du juge Donald.

 

[10]                          À mon avis, c’est à bon droit que les juges majoritaires ont conclu qu’aucun déni de justice n’avait entaché ce procès.  Il est incontestable que le juge du procès aurait pu donner des directives plus complètes au jury au sujet des divers modes de participation susceptibles d’engager une responsabilité criminelle, notamment en ce qui concerne les règles de droit relatives à l’aide et à l’encouragement.  Avec le recul et d’un point de vue légaliste, il est facile d’affirmer que c’est ce qu’il aurait probablement dû faire.  Toutefois, pour déterminer si les directives au jury étaient suffisantes, il faut tenir compte de l’ensemble de la preuve et du procès.  Il n’y a rien de mal, surtout dans le cas de procès longs ou complexes, à ce que le juge du procès et les avocats limitent les questions sur lesquelles le jury est appelé à se prononcer en s’en tenant à ce qui est effectivement et véritablement en litige dans le procès, à condition que, tout compte fait, le jury reçoive les directives nécessaires pour en arriver à un verdict juste et approprié.

 


[11]                          En fait, la présente affaire n’a jamais porté sur la question de savoir si M. Pickton avait joué un rôle mineur dans le meurtre des victimes.  Elle a toujours porté sur la question de savoir s’il les avait effectivement tuées ou non.  En conséquence, le jury a reçu des directives qui obligeaient le ministère public à prouver que M. Pickton avait « participé activement » à l’infliction de la mort aux six femmes et, par conséquent, qu’il avait joué un rôle concret dans ces actes.  Comme je l’ai déjà dit, d’un point de vue légaliste, les directives en question ne tenaient pas compte de tous les modes possibles de participation.  Toutefois, en limitant ainsi les fondements de responsabilité, elles favorisaient indûment la défense.  M. Pickton soutient malgré tout qu’un déni de justice a été commis.  Son argument repose sur le fait que le juge du procès a finalement soustrait à l’examen du jury la directive qu’il leur avait d’abord donnée au sujet du véritable tireur.  Cet argument doit à mon avis être rejeté.  Non seulement la directive sur le véritable tireur était erronée en droit, mais c’est son ajout qui, compte tenu des faits, aurait pu entraîner un déni de justice.  Cette directive invitait le jury à acquitter M. Pickton sur la base d’un doute factuel qui, en droit, ne le disculpait pas nécessairement.  C’est donc à bon droit que le juge du procès a finalement corrigé cette erreur en adressant de nouvelles directives appropriées au jury.

 

[12]                          De plus, compte tenu de la preuve présentée au procès, le défaut de donner des directives au sujet de la responsabilité de M. Pickton pour aide ou encouragement à la perpétration des infractions ne pouvait que jouer en sa faveur.  Bien qu’imparfaites, les directives, dans leur ensemble, exposaient de façon adéquate aux jurés les principes de droit applicables aux faits de l’espèce.  Je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer les déclarations de culpabilité.

 

2.  Analyse

 


[13]                          Rappelons que la principale question en litige dans le pourvoi est de savoir si, compte tenu de l’exposé principal et du procès dans son ensemble, la réponse que le juge du procès a donnée à la seule question posée par le jury a eu pour effet de modifier les [traduction] « balises », pour reprendre le terme employé par l’avocat de M. Pickton, et de compromettre ainsi l’équité du procès.  À titre subsidiaire, il y a lieu de se demander si les directives, dans leur ensemble et y compris la réponse donnée à la question posée par le jury, ont exposé correctement aux jurés les règles de droit sur les divers fondements de la responsabilité criminelle.

 

[14]                          Aux paragraphes 6 à 118, le juge Low décrit de façon très détaillée les éléments de preuve présentés au procès.  Aucun de ces éléments n’est en litige dans le pourvoi.  Pour situer les questions en litige dans leur contexte factuel, il suffira de rappeler brièvement les points saillants de la preuve tels que les parties les ont présentés dans leur mémoire respectif.

 

[15]                          Voici comment le ministère public résume la preuve présentée contre M. Pickton :

 

[traduction]  Suivant la preuve, M. Pickton fréquentait le secteur est du centre‑ville de Vancouver et utilisait les services offerts par des travailleuses de l’industrie du sexe.  Il réussissait à les convaincre de quitter leur secteur de travail habituel pour le suivre jusqu’à sa ferme de Port Coquitlam, située à une trentaine de kilomètres de là, en leur offrant des drogues, de l’argent supplémentaire ou les deux. Une arme à feu dont le calibre et les caractéristiques correspondent à celle utilisée pour tuer trois des femmes en question a été retrouvée dans la buanderie de la maison mobile où il habitait.  M. Pickton vivait depuis 1997 dans cette maison mobile, qui se trouvait à l’extrémité nord de sa ferme de 17 acres.  Divers dispositifs de contrainte, dont certains portaient des empreintes génétiques correspondant à l’ADN de M. Pickton, ont été découverts dans sa chambre et dans un sac de sport se trouvant dans le grenier de son atelier, qui était l’une des dépendances situées dans la partie nord de sa propriété dont Pickton se servait pour ses activités quotidiennes.  Des effets personnels et des empreintes génétiques de quatre des six victimes ont été retrouvés un peu partout dans la maison mobile de M. Pickton.  Tous ces éléments de preuve, y compris les restes humains retrouvés, se trouvaient dans un rayon de 70 mètres de sa maison mobile.

 

M. Pickton était boucher de métier.  Il possédait les outils de travail nécessaires et il abattait chaque semaine des porcs dans l’abattoir situé dans sa ferme.  L’état des restes de trois des victimes (crânes, mains et pieds sectionnés) ne laissait aucun doute : ils avaient été tranchés en utilisant une méthode similaire à celle qu’utilisait M. Pickton pour abattre les gros porcs, notamment en sectionnant le crâne à la verticale à l’aide d’une scie et en enlevant les mains et les pieds suivant un procédé connu sous le nom de désarticulation.


M. Pickton a raconté à Andrew Bellwood qu’il attirait chez lui des prostituées du secteur est du centre‑ville de Vancouver, qu’il avait des relations sexuelles avec elles, les immobilisait avec des menottes, les étranglait avec un fil métallique, les dépeçait dans son abattoir et se débarrassait de leurs restes, notamment en les remettant à une usine d’équarrissage.  M. Pickton livrait régulièrement des barils d’abats de porc à une usine d’équarrissage située près du secteur est du centre‑ville de Vancouver.  On a récupéré de la tête du lit de M. Pickton du fil électrique isolé qui avait été noué et qui pouvait servir à étrangler.  M. Pickton n’a pas fait mention d’autres individus en décrivant ce scénario.

 

Un témoin oculaire, Lynn Ellingsen, a expliqué qu’elle avait accompagné M. Pickton un soir jusqu’au secteur est du centre‑ville de Vancouver où il avait engagé une prostituée qu’il avait ensuite ramenée à la ferme.  Plus tard le même soir, Mme Ellingsen avait vu M. Pickton éviscérer la femme dans son abattoir.  Mme Ellingsen a identifié cette femme comme la victime visée dans le cinquième chef.

 

M. Bellwood et Mme Ellingsen ont fait des déclarations à la police dans lesquelles ils ont relaté cet aveu et les faits constatés de visu avant la découverte des premiers restes des victimes dans la partie nord de la ferme, où habitait M. Pickton.

 

Dans sa déclaration officielle à la police, M. Pickton a admis qu’il était le « grand chef » responsable de la mort des femmes portées disparues, mais a affirmé que d’autres personnes étaient également impliquées dans ces meurtres.  Son allusion à l’implication d’autres personnes n’excluait pas en soi sa propre participation aux meurtres.  M. Pickton a admis à un policier infiltré dans sa cellule qu’il était un tueur en série, qu’il avait assassiné quarante‑neuf femmes et qu’il avait prévu en tuer une de plus pour « arrondir à cinquante ».  Il a confié à l’agent qu’il s’était débarrassé des restes de ses victimes en les livrant à une usine d’équarrissage.  Il a admis qu’il s’était fait prendre parce qu’il avait « bâclé le travail à la fin ».  Les victimes dont les têtes, les mains et les pieds ont été récupérés dans les dépendances de sa propriété étaient les trois victimes les plus récentes.

 

[16]                          De son côté, M. Pickton a exposé dans son mémoire l’essentiel de la défense présentée au procès :

 


[traduction]  La défense a répondu à la preuve présentée par le ministère public en tentant de démontrer que la ferme de M. Pickton bourdonnait d’activité et que d’autres personnes connues ou inconnues (Dinah Taylor, Pat Casanova) s’étaient servies de la propriété de M. Pickton pour tuer les femmes sans que M. Pickton soit criminellement impliqué.  M. Pickton n’a pas témoigné, mais il a fait entendre 31 témoins.  La défense a soutenu que les déclarations que M. Pickton avait faites à la police ne constituaient pas des aveux fiables qu’il avait tué qui que ce soit.  En fait, M. Pickton avait obtenu une note peu élevée à des tests d’intelligence verbale, répétait simplement à la police les accusations qui lui avaient été exposées au cours d’un interrogatoire qui avait duré 12 heures pour essayer de détourner l’attention de la police de sa propriété et pour diminuer les répercussions de l’enquête sur ses proches.  La défense a fait valoir que les aveux que M. Pickton avait faits au policier infiltré dans sa cellule témoignaient de ses efforts peu subtils pour impressionner son compagnon de cellule.  La défense soutenait que Mme Ellingsen et M. Bellwood, au sujet desquels le juge du procès avait fait une solide mise en garde de type Vetrovec, étaient des consommateurs de drogues chroniques, bien ancrés dans un mode de vie criminel, et que leur témoignage était invraisemblable et peu fiable en plus de ne pas être corroboré par le reste de la preuve.  La défense soutenait que la preuve criminalistique n’appuyait pas la thèse du ministère public.

 

[17]                          Le ministère public a maintenu, pendant toute la durée du procès, que M. Pickton était le seul auteur des six meurtres.  La défense a sans relâche tenté de discréditer la thèse du ministère public en évoquant l’implication possible d’autres personnes, dont le nom était mentionné ou non, selon le cas, et dont M. Pickton ne faisait pas partie.  L’avocat de M. Pickton a fait des efforts considérables pour démontrer à quel point la théorie du seul auteur défendue par le ministère public avait imprégné chacune des étapes de l’instance et, dans le même ordre d’idées, à quel point la stratégie de la défense ressortait également à chacune de ces étapes, depuis l’exposé introductif de la défense au jury jusqu’aux observations de la défense au sujet de la question posée par le jury.

 


[18]                          Il est incontestable que la thèse du ministère public et celle de la défense imprègnent tout le dossier.  Le ministère public a constamment maintenu qu’une seule personne avait commis tous les meurtres allégués dans l’acte d’accusation et que cette personne était M. Pickton.  Pour sa part, la défense a nié énergiquement toute implication criminelle de M. Pickton.  La thèse du seul auteur défendue par le ministère public est peut‑être compréhensible, si l’on considère la solidité des éléments de preuve qui tendent à situer M. Pickton au cœur de cette scène macabre.  Elle répond aussi à la stratégie adoptée par la défense pour détourner de M. Pickton toute responsabilité criminelle et pour la reporter sur d’autres personnes.  La question qui se pose est toutefois celle de savoir si, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, le ministère public était lié par la thèse qu’il défendait.

 

[19]                          L’avocat de M. Pickton souligne que le pourvoi ne porte pas sur la question de savoir si le ministère public a le droit de modifier sa thèse ou sa stratégie au cours du procès.  Il reconnaît que, règle générale, le ministère public a ce droit.  Ainsi que le juge Binnie (dissident, mais non sur ce point) l’a fait observer dans R. c. Rose, [1998] 3 R.C.S. 262, au par. 27, « [l]’idée qu’il suffit que l’accusé réponde à la “thèse du ministère public” soulève aussi une difficulté pratique parce que la thèse du ministère public est une cible mobile qui se déplace suivant les événements survenant au cours du procès, y compris la teneur de l’exposé final de la défense au jury ».  L’avocat ne conteste pas non plus le principe suivant lequel [traduction] « le juge du procès a l’obligation de donner des directives au jury sur toutes les voies qui, selon la preuve, peuvent mener à la responsabilité, et ce, même si le ministère public décide de ne pas invoquer une voie donnée ».  Il admet que le juge du procès a, en principe, cette obligation (mémoire de l’appelant, par. 83).  Il soutient que la question qui se pose est de savoir si, eu égard aux circonstances de l’espèce, le prétendu changement de thèse du ministère public et la modification apportée par le juge du procès à ses directives à la suite de la question posée par le jury ont eu pour effet de compromettre l’équité du procès.  Il affirme en fait que la défense a été injustement prise au dépourvu par cette tournure des événements.


 

[20]                          L’avocat fait valoir que ce qui s’est passé en l’espèce a eu une incidence sur l’équité du procès, comme la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que c’était le cas dans l’affaire R. c. Ranger (2003), 178 C.C.C. (3d) 375.  Dans cette affaire, M. Ranger et un dénommé Kinkead étaient tous les deux accusés de meurtre relativement à l’agression de deux sœurs à coups de couteau.  Ils avaient toutefois été jugés séparément.  Au procès de M. Ranger, le ministère public a soutenu que l’accusé, qui avait fréquenté une des deux sœurs et qui était contrarié par son intention de quitter le pays, s’était rendu chez elle pour la tuer et s’était assuré pour ce faire du concours de M. Kinkead.  Dans la preuve soumise au jury, le ministère public cherchait à démontrer que Ranger et Kinkead se trouvaient tous les deux dans la maison et que l’un d’entre eux ou les deux avaient tué une des sœurs ou les deux.  La défense de M. Ranger reposait en partie sur un alibi.  Dans ses directives, le juge du procès avait indiqué aux jurés qu’ils pouvaient rendre un verdict de culpabilité contre M. Ranger même s’ils ne croyaient pas que ce dernier était présent au moment des meurtres, dès lors qu’ils étaient convaincus qu’il avait, d’une manière ou d’une autre, aidé ou encouragé M. Kinkead à commettre les meurtres.  Compte tenu de ce qui était ressorti au procès, la Cour d’appel a conclu qu’il était raisonnable de la part de l’avocat de la défense de comprendre que la condamnation de M. Ranger serait fondée sur la preuve qu’il se trouvait dans la maison au moment des meurtres.  En conséquence, en soumettant cette thèse supplémentaire au jury sans en informer au préalable la défense, le juge du procès avait compromis la possibilité pour Ranger de présenter une défense pleine et entière.

 


[21]                          Le juge Low a expliqué que [traduction] « l’affaire Ranger peut être distinguée de la présente affaire car, comme j’ai tenté de le démontrer, la défense savait en l’espèce que le jury serait appelé à se prononcer sur la thèse de la responsabilité à titre de coauteur » (par. 168).  Je souscris à l’analyse que le juge Low a faite du dossier et je me rallie à sa conclusion sur ce point.  L’argument de M. Pickton est fallacieux parce que la thèse de la défense elle‑même soulevait la question de l’implication d’autres personnes.  Pendant tout le déroulement du procès, la défense a, par l’approche qu’elle a adoptée, exhorté le jury à envisager la possibilité que d’autres personnes aient effectivement tué les victimes.  Cette stratégie signifiait que le juge du procès devrait inévitablement donner des directives au jury sur l’incidence éventuelle de cette possibilité sur la responsabilité criminelle de M. Pickton.  Ainsi que le juge Low le fait observer fort judicieusement :

 

[traduction]  L’équipe de la défense était composée de criminalistes chevronnés qui ne pouvaient pas ne pas être au courant pendant tout ce temps de la possibilité que la voie empruntée soit celle de la responsabilité à titre de coparticipant, même s’ils pouvaient souhaiter l’éviter en forçant le ministère public à s’en tenir à sa thèse du seul auteur.  Ils ne pouvaient pas non plus ignorer l’obligation que la loi imposait au juge du procès de donner des directives au jury sur toute possibilité de responsabilité à titre de participant révélée par la preuve.  Ils ne pouvaient limiter la cour de la même façon qu’ils espéraient limiter le ministère public.  L’examen du dossier le démontre amplement.  [par. 121]

 

[22]                          Il ressort par ailleurs des déclarations de M. Pickton lui‑même qu’il était nécessaire de donner au jury des directives sur les fondements de responsabilité possibles qui n’étaient évoqués ni dans la thèse du ministère public ni dans celle de la défense.  Ainsi que le juge Low le fait observer :

 


[traduction]  Tant dans la déclaration officielle qu’il a faite à la police que dans les affirmations faites au policier infiltré dans sa cellule, l’appelant a mentionné que d’autres personnes étaient impliquées.  Il n’a jamais dit, au cours de ces échanges, qu’il ne faisait pas partie des personnes impliquées.  La mention qu’il fait d’autres personnes doit être replacée dans le contexte de ses aveux quant à sa propre participation.  Il a déclaré aux agents qui l’interrogeaient qu’il était le « grand chef », le « cerveau » de l’opération, ce qui suppose que d’autres personnes étaient impliquées, mais pas qu’il en était lui‑même exclu.  Il a ajouté que d’autres personnes avaient participé, mais que ça n’avait « pas rapport ».  Il voulait vraisemblablement dire : « pas d’importance ».  Il a ajouté qu’il y avait beaucoup de gens qui « passaient par là » et qu’« il y a beaucoup d’autres personnes impliquées aussi ».  L’appelant a déclaré au policier qui s’était infiltré dans sa cellule qu’« une quinzaine d’autres personnes vont tomber [. . .] certaines vont y passer ».

 

Qu’on les prenne isolément ou qu’on les situe dans le contexte des aveux de l’appelant, ces déclarations permettaient également de conclure que l’appelant agissait de concert avec d’autres personnes, et ce, même si la défense affirme qu’elles permettent raisonnablement de douter qu’il était le meurtrier.  Pendant tout le procès, la nécessité d’exposer les règles de droit relatives aux participants à une infraction était évidente.  [Souligné dans l’original; par. 134‑135.]

 

[23]                          Le juge du procès n’a donc pas limité ses directives à la thèse du seul auteur défendue par le ministère public, mais il a expliqué au jury les conséquences qu’aurait toute conclusion selon laquelle d’autres personnes ont pu participer à la perpétration des infractions sur la question de la responsabilité criminelle de M. Pickton.  Je vais désigner ces directives de façon concise en les appelant « les directives sur les autres suspects ».  Le juge Low examine en détail les passages pertinents de l’exposé du juge au jury aux par. 140 à 144 et 156.  Il n’est pas nécessaire de reprendre cette analyse ici.  Qu’il suffise de signaler que les directives sur les autres suspects en question reprenaient pour l’essentiel la directive suivante que le juge du procès avait donnée au jury tout de suite après avoir expliqué les éléments constitutifs de l’infraction de meurtre au premier degré :

 

[traduction]

 


[8]  Commet une infraction la personne qui, seule ou avec une ou plusieurs autres personnes, accomplit personnellement tout ce qui est nécessaire pour constituer l’infraction.  Il n’est donc pas nécessaire que vous concluiez que M. Pickton a agi seul pour le déclarer coupable de l’infraction.  Vous pouvez conclure que M. Pickton a agi de concert avec d’autres personnes, et ce, même si vous ignorez l’identité de ces personnes.  Il suffit que vous soyez convaincus hors de tout doute raisonnable, après avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve, qu’il a participé activement à l’infliction de la mort à la victime.  Il ne suffit pas qu’il ait été simplement présent ou qu’il ait joué un rôle mineur.  La question que vous devez trancher est celle de savoir si vous êtes convaincus qu’il a été démontré qu’il a participé dans la mesure requise par la loi [pour] établir sa responsabilité criminelle.  [Je souligne.]

 


[24]                          Les directives sur les autres suspects ont été données en réponse à la preuve et aux principales questions soulevées au procès, et elles sont irréprochables en droit.  Mais surtout, en ce qui a trait à la question qui nous intéresse, il ressort du dossier que, pendant tout le procès, tant le ministère public que les avocats de la défense savaient que les jurés recevraient des directives en ce sens.  Bien que le libellé des versions antérieures diffère quelque peu de celui que l’on trouve au par. 8 reproduit ci‑dessus (voir l’analyse que l’on trouve aux par. 250 et 251 des motifs dissidents du juge Donald), l’essentiel du message contenu dans les directives sur les autres suspects auxquelles on s’attendait était le même : il importait peu que M. Pickton ait agi seul ou avec d’autres; dès lors qu’il avait « participé activement » à l’infliction de la mort aux victimes, et qu’il avait en conséquence joué un rôle concret dans ces actes, on pouvait conclure à sa responsabilité criminelle.  Comme nous le verrons plus loin, la réponse contestée à la question posée par le jury était compatible avec cette directive.  En réponse à la question de savoir s’ils pouvaient conclure que M. Pickton était le tueur s’ils déduisaient qu’il avait [traduction] « agi indirectement », les jurés ont en fin de compte reçu pour directive qu’ils pouvaient effectivement en arriver à cette conclusion à la condition de conclure qu’il avait [traduction] « autrement participé activement » à l’infliction de la mort aux victimes.  Le dossier n’appuie donc pas l’argument voulant que la défense ait été pour ainsi dire prise au dépourvu par la tournure des événements.

 

[25]                          Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que l’argument de M. Pickton selon lequel il y aurait eu déni de justice soit fondé sur la teneur de l’une quelconque des directives données au sujet des autres suspects.  Son argument que les [traduction] « balises » ont été injustement changées vers la fin du procès repose plutôt sur le fait que le juge du procès, en répondant comme il l’a fait à la question du jury, est en fait revenu sur une directive antérieure, la directive sur le « véritable tireur », qui visait le troisième élément constitutif de l’infraction, en l’occurrence l’identité du tueur.  Par souci de commodité, je répète ici la directive donnée au sujet du véritable tireur :

 

[traduction]  Si vous concluez que M. Pickton a abattu [nom de la victime], vous devez conclure que le ministère public a fait la preuve [du troisième élément, l’identité du tueur].  Par contre, si vous avez un doute raisonnable quant à la question de savoir si l’accusé a abattu ou non la victime, vous devez alors rendre un verdict d’acquittement relativement à cette accusation de meurtre.  [Je souligne.]

 


[26]                          Le juge Low a procédé à un examen assez approfondi des échanges entre les avocats et le juge du procès au sujet de cette directive (par. 145 à 150).  Il ressort de cet examen que le texte final de cette directive n’a été arrêté qu’au cours de discussions tenues entre les avocats et le juge du procès lors de la quatrième et dernière journée de l’exposé du juge au jury.  De toute évidence, la dernière partie de la directive sur le véritable tireur était incompatible avec les directives sur les autres suspects en plus d’être entièrement erronée en droit.  Bien que les avocats de la défense et de la poursuite aient pu être satisfaits de cette directive compte tenu de leur thèse respective, j’estime qu’il n’aurait jamais dû être suggéré au juge du procès que cette directive était appropriée compte tenu de la preuve présentée lors de ce procès.  En particulier, le juge Low a fait observer à juste titre, au par. 205 : [traduction] « le ministère public aurait dû s’opposer catégoriquement à ces paragraphes et [. . .] son défaut de le faire est la raison première de la question posée par le jury ».

 

[27]                          Indépendamment de la position commune des avocats à ce sujet, le juge du procès n’aurait pas dû accepter d’inclure cette directive dans son exposé.  Les discussions entre les avocats et le juge du procès au sujet de la teneur de l’exposé au jury peuvent s’avérer extrêmement utiles pour rédiger des directives au jury appropriées et elles devraient, pour cette raison, être encouragées.  Il n’en demeure pas moins que c’est au juge du procès qu’il incombe d’instruire le jury sur toutes les questions de droit pertinentes que soulève la preuve.  Dans certains cas, ces directives ne s’accordent ni avec la thèse défendue par le procureur du ministère public ni avec celle de l’avocat de la défense.

 

[28]                          En fin de compte, l’incompatibilité résultant de l’ajout de la directive sur le véritable tireur n’a échappé ni au jury ni au juge du procès.  Le sixième jour des délibérations, le jury a soumis la question suivante au juge du procès :

 

[traduction]  Lorsque nous examinons le troisième élément [l’identité du tueur] dans le cadre d’un ou de plusieurs des chefs d’accusation, pouvons‑nous répondre « Oui » si nous déduisons que l’accusé a agi indirectement?

 


Ainsi que le juge Low l’explique à fond, aux par. 184 à 206, après avoir entendu les observations des avocats sur la question, le juge du procès a fait un nouvel exposé au jury dans lequel il a essentiellement repris certaines des directives sur les autres suspects, de même que celle relative au véritable tireur.  Cependant, peu de temps après ce nouvel exposé, et ainsi qu’il l’a expliqué plus tard dans les motifs écrits de sa décision, le juge du procès a commencé à craindre que les paragraphes relatifs au véritable tireur soient incompatibles avec les directives sur les autres suspects et à craindre qu’ils ne répondent pas à la preuve et aux principales questions en litige dans le procès.  Le juge du procès a par conséquent demandé au jury de suspendre temporairement ses délibérations et, après avoir fait part de son intention aux avocats, il a donné de nouvelles directives au jury en modifiant la directive sur le véritable tireur pour qu’elle concorde avec celles concernant les autres suspects.  Le paragraphe corrigé, qui s’applique aux victimes mentionnées dans les trois premiers chefs, est ainsi libellé :

 

[traduction]  Si vous concluez que M. Pickton a abattu [nom de la victime] ou qu’il a autrement participé activement à l’infliction de la mort à cette personne, vous devez conclure que le ministère public a fait la preuve de cet élément.  Par contre, si vous avez un doute raisonnable quant à la question de savoir si l’accusé a participé activement à l’infliction de la mort à cette victime,  vous devez alors rendre un verdict d’acquittement.  [Je souligne.]

 

[29]                          M. Pickton a soutenu que la nouvelle directive était entachée de deux erreurs.  Premièrement, le juge du procès a commis une erreur de procédure en ne cherchant pas à s’enquérir du sens de la question du jury.  Deuxièmement, il a commis une erreur en modifiant la teneur de la directive sur le véritable tireur.  Le juge Low a écarté l’argument de M. Pickton suivant lequel la question du jury était ambiguë et il fallait en vérifier expressément le sens.  Je suis du même avis.  Ainsi que le juge Low le fait observer à juste titre :


 

[traduction]  . . . le juge du procès a à bon droit adopté une approche prudente dans ses échanges avec le jury pour éviter de s’immiscer dans les questions de fond abordées par le jury dans ses délibérations.

 

. . . Une telle demande de précisions aurait pu se traduire par une grave erreur.  Le juge a bien précisé au jury à la fin de la première nouvelle directive que, s’il ne leur avait pas donné les éclaircissements dont ils avaient besoin, ils pouvaient poser une autre question.  Il s’agissait d’un long procès qui a entraîné des coûts élevés pour le public.  Il était dans l’intérêt de tous les intéressés, y compris de l’appelant, de minimiser tout risque de compromettre l’intégrité du procès.  La prudence dont le juge du procès a fait preuve était la solution la plus sage dans les circonstances.  [par. 197‑198]

 

Le juge Low n’a relevé non plus aucune erreur de fond.  Il a conclu que [traduction] « le juge du procès a eu raison de déclarer que les trois paragraphes portant sur le véritable tireur étaient erronés en droit et qu’il devait les corriger » (par. 206).  Je suis du même avis.

 

[30]                          À propos de la principale question en litige dans le présent pourvoi, j’estime que, contrairement à ce que prétend l’appelant, la réponse du juge du procès à la question du jury n’a pas nui à l’équité du procès.

 


[31]                          La question qu’il nous reste à trancher est celle de savoir si les directives sur les autres suspects données à plusieurs reprises dans l’exposé au jury lui ont fourni les explications dont il avait besoin pour examiner correctement les autres fondements de responsabilité.  Le juge LeBel ne le croit pas.  Toutefois, après avoir conclu qu’il « existe au dossier une preuve accablante de la culpabilité de M. Pickton, et qu’aucun déni de justice n’a découlé de l’erreur commise dans les directives » (par. 39), il se dit d’avis d’appliquer la disposition réparatrice et de rejeter le pourvoi.  J’arrive au même résultat, mais par une voie différente.

 


[32]                          J’estime qu’il n’est pas nécessaire d’envisager l’application de la disposition réparatrice étant donné que, selon moi, les directives au jury sur les autres fondements de responsabilité étaient adéquates compte tenu de la preuve et des questions soulevées lors du procès.  Je partage l’avis de mon collègue selon lequel, au vu de la preuve, « le ministère public a présenté une preuve convaincante, voire accablante, de la participation de M. Pickton aux meurtres » (par. 86).  Précisons que cette preuve convaincante n’indiquait pas que M. Pickton avait joué un rôle mineur, mais qu’il avait participé activement à l’infliction même de la mort aux victimes, seul ou de concert avec d’autres personnes.  J’ajoute « ou de concert avec d’autres personnes » car je ne suis pas d’accord avec le juge LeBel lorsqu’il dit que la seule conclusion logique était « qu’une seule personne, soit celle qui tenait l’arme à feu, avait pu causer la mort de la victime mentionnée dans chaque chef d’accusation » (par. 41).  Il n’était pas vraiment manifeste, au vu de la preuve, que les six victimes étaient décédées d’un coup de feu à la tête, ou qu’une seule personne avait participé concrètement aux actes ayant causé leur mort.  Dans son récit à M. Bellwood, M. Pickton a indiqué qu’il immobilisait ses victimes avec des menottes et les étranglait, une version des faits étayée par le fil électrique susceptible de servir à cette fin qui a été récupéré de la tête de son lit.  Dans sa déclaration à la police, M. Pickton s’est décrit comme le « grand chef », ce qui sous‑entend la participation d’autres personnes.  Vu la nature de la preuve présentée sur la participation de M. Pickton et l’exposé au jury dans son ensemble, j’estime que les expressions « agi de concert avec d’autres personnes » et « participé activement à l’infliction de la mort » évoquaient de façon concise les autres fondements de responsabilité qu’il était réaliste d’envisager dans le cadre de ce procès.  Également, c’est à bon droit que le jury a été avisé qu’il pouvait déclarer M. Pickton coupable si le ministère public avait réussi à démontrer une telle participation, combinée à l’intention requise.

 


[33]                          Il me semble que, compte tenu de la preuve, le juge du procès aurait pu et, en rétrospective, aurait probablement dû donner au jury des directives au sujet de l’éventuelle responsabilité de M. Pickton pour avoir aidé ou encouragé quelqu’un à commettre les meurtres du fait, par exemple, qu’il a attiré les victimes à sa ferme, leur a fourni des drogues ou en a fait ses captives, comme le souligne mon collègue.  Cependant, je ne suis pas convaincue que, dans le cadre de la présente affaire, l’omission de donner ces directives supplémentaires constituait une erreur de droit.  Expliquer au jury les distinctions entre la participation d’un accusé en tant qu’auteur, coauteur ou personne ayant fourni aide ou encouragement n’aurait rien donné au procès.  Exiger la preuve que M. Pickton avait participé activement à l’infliction de la mort aux victimes, seul ou de concert avec d’autres personnes, écartait tout risque que le jury le déclare coupable sur le fondement d’actes qui n’engageaient pas sa responsabilité criminelle pour les meurtres.  Les directives sur les autres suspects, à la lumière de l’ensemble de l’exposé au jury, ont eu pour effet de rendre théoriques, sur le plan juridique, les distinctions entre ces divers modes de participation.  La question fondamentale n’est pas celle de savoir si le juge du procès a bien défini la nature de la responsabilité de M. Pickton.  Comme il a été si bien dit dans l’arrêt R. c. Thatcher, [1987] 1 R.C.S. 652, « [l]e paragraphe 21(1) a essentiellement pour but de placer la personne qui aide ou qui encourage sur le même pied que l’auteur de l’infraction » (p. 689).  La question déterminante est de savoir si le juge du procès a correctement exposé au jury les éléments essentiels que le ministère public devait prouver pour établir la culpabilité de l’accusé relativement aux meurtres.  De toute évidence, M. Pickton était coupable si le ministère public réussissait à prouver les éléments de l’infraction tels qu’ils ont été expliqués dans l’exposé au jury.  Je conclus qu’aucune erreur de droit n’a été commise.

 

[34]                          En toute déférence, je ne souscris pas non plus aux motifs du juge d’appel Donald selon lequel l’omission de donner au jury des directives supplémentaires sur les règles relatives à l’aide et à l’encouragement a causé un déni de justice.  Les directives données ne pouvaient pas fausser le raisonnement du jury.  Le fait de cibler étroitement l’autre fondement de responsabilité, exigeant du ministère public qu’il démontre la participation active de M. Pickton à l’infliction même de la mort aux victimes, a restreint l’éventail des actes pouvant fonder sa responsabilité criminelle, ce qui était tout à l’avantage de M. Pickton.  À mon avis, il n’est pas utile de faire des conjectures, dans le cadre du présent pourvoi, sur le surprenant verdict de meurtre au deuxième degré.  Comme je l’ai indiqué au début, le ministère public a réussi à faire infirmer en appel les six acquittements de meurtre au premier degré, et les questions soumises à la juridiction inférieure dans le contexte de cet appel n’ont pas été soulevées devant nous.

 

[35]                          Par conséquent, je conclus que les directives ont effectivement fourni aux jurés les explications dont ils avaient besoin pour examiner correctement les autres fondements de responsabilité.  Le droit n’exige rien de plus.

 

3.  Dispositif

 

[36]                          Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer les déclarations de culpabilité.


 

Version française des motifs des juges Binnie, LeBel et Fish rendus par

                                                                                                                                                           

 

Le juge LeBel

 

I.  Introduction

 

[37]                          La principale question en litige dans le présent pourvoi concerne le caractère adéquat des instructions données au jury à l’issue d’un long et bouleversant procès portant sur six chefs de meurtre, procès qui a duré près d’un an.  Il va de soi que nous devons contrôler soigneusement l’instruction de ce procès pour veiller à ce que justice soit rendue eu égard aux faits particuliers de l’affaire, mais il importe également de bien préciser et circonscrire le droit applicable en prévision de causes futures.  Les propos du juge d’appel Doherty dans l’arrêt R. c. Bernardo (1997), 121 C.C.C. (3d) 123 (C.A. Ont.), au par. 19, me viennent à l’esprit à cet égard : [traduction] « [C]’est peut‑être dans les procès fortement médiatisés et suscitant de vives émotions, intentés aux accusés les moins méritants, qu’un examen détaché et réfléchi de l’instruction du procès par une juridiction d’appel se révèle le plus important. »

 


[38]                          Selon l’interprétation qu’il convient de donner à cette notion, la question de la responsabilité en tant que « coauteur » de l’infraction ne se soulevait pas au vu de la preuve présentée au procès, mais d’autres formes de responsabilité des participants aux infractions se soulevaient.  L’emploi d’un vocabulaire différent pour désigner la directive, à savoir responsabilité des « autres suspects », ne constitue qu’une modification de pure forme, cosmétique, qui n’a pas pour effet de rectifier l’erreur qui a été commise ou de changer la réalité de ce qui s’est passé durant le procès.  Le nouvel exposé au jury — dans lequel le juge du procès a instruit les jurés qu’ils pouvaient conclure à la culpabilité de M. Pickton s’ils étaient convaincus que ce dernier était le véritable tireur ou qu’il avait [traduction] « autrement participé activement » aux meurtres — a clairement fait de la participation à l’infraction une autre route susceptible de mener à une déclaration de culpabilité.  En conséquence, toutefois, le juge du procès a alors commis une erreur en ne donnant pas aux jurés des directives complètes en matière d’aide et d’encouragement à la perpétration d’une infraction afin de bien baliser cette autre route susceptible de leur permettre de déclarer M. Pickton coupable des six meurtres qu’on lui reprochait.  Les expressions [traduction] « participation active », « agir de concert » ou « projet commun » n’exposent pas adéquatement à elles seules au juge des faits les règles de droit concernant la responsabilité des participants à une infraction.

 


[39]                          En toute déférence, je ne peux donc me rallier à l’opinion de ma collègue, la juge Charron, selon laquelle il est possible d’affirmer que, considérées globalement, les instructions du juge du procès aux jurés — y compris le nouvel exposé qu’il leur a fait en réponse à leur question le sixième jour des délibérations — ont exposé adéquatement les principes juridiques applicables aux faits de l’affaire.  La juge Charron conclut que « [l]es directives données ne pouvaient pas fausser le raisonnement du jury » (par. 34).  Il est certes hasardeux d’émettre des hypothèses sur le déroulement des délibérations du jury, mais le singulier verdict de culpabilité pour meurtre au second degré rendu par celui‑ci après qu’il ait posé sa question au juge pourrait bien être considéré comme une indication du caractère inadéquat des directives en l’espèce.  Toutefois, comme il existe au dossier une preuve accablante de la culpabilité de M. Pickton, et qu’aucun déni de justice n’a découlé de l’erreur commise dans les directives, j’appliquerais la disposition réparatrice prévue à l’art. 686  du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , je rejetterais le pourvoi et je confirmerais les déclarations de culpabilité.

 

II.  Aperçu des faits

 

[40]                          Bien que je souscrive au résumé des faits figurant dans les motifs de la juge Charron, il m’apparaît néanmoins nécessaire de revenir brièvement sur quelques faits particuliers ainsi que sur certains aspects du procès.  M. Pickton a été jugé sur six chefs de meurtre au premier degré.  Le procès lui‑même a duré près d’un an et, au total, 129 personnes ont témoigné, soit pour le ministère public, soit pour la défense.  M. Pickton n’a pas témoigné, mais le ministère public a invoqué des déclarations incriminantes qu’a faites celui‑ci dans sa déposition officielle à la police et, plus tard, à un agent d’infiltration dans une cellule du poste de police.  La défense a contesté la fiabilité et la crédibilité de ces déclarations, ainsi que la déposition de certains témoins importants du ministère public, et elle a relevé des éléments de preuve impliquant au moins deux autres personnes dans les meurtres.

 


[41]                          Je tiens à souligner que les deux avocats ont reconnu, d’entrée de jeu, que les victimes mentionnées dans les trois premiers chefs d’accusation étaient décédées par suite d’un seul coup de feu à la tête.  Il n’y avait aucune preuve que quelque autre chose ait pu causer ces décès ou y contribuer.  Le ministère public s’est appuyé sur une inférence de faits similaires en vue d’établir que les autres victimes avaient été assassinées de la même façon.  La conclusion logique de cette admission de fait — telle qu’elle a été présentée au jury — était donc qu’une seule personne, soit celle qui tenait l’arme à feu, avait pu causer la mort de la victime mentionnée dans chaque chef d’accusation, bien que d’autres personnes aient pu, à des degrés divers, être impliquées dans les circonstances entourant les infractions.

 

[42]                          Tout au long du procès, le ministère public a maintenu que M. Pickton était le [traduction] « seul auteur » des meurtres dans cette affaire, et a rejeté énergiquement l’idée que toute autre personne ait pu y participer.  Pour sa part, la défense a formulé la théorie que diverses personnes, à l’exclusion de M. Pickton, étaient impliquées.  À cette fin, elle a produit des éléments de preuve qui, espérait‑elle, discréditeraient la thèse du ministère public et susciteraient dans l’esprit des jurés un doute raisonnable quant à la question de savoir si M. Pickton avait lui‑même assassiné les femmes mentionnées dans les six chefs d’accusation.

 

[43]                          L’exposé oral au jury a duré quatre jours.  Le premier jour, le juge du procès a donné les instructions générales suivantes aux jurés, après avoir décrit les éléments de l’infraction :

 

[traduction]  Commet une infraction la personne qui, seule ou avec une ou plusieurs autres personnes, accomplit personnellement tout ce qui est nécessaire pour constituer l’infraction.  Il n’est donc pas nécessaire que vous concluiez que M. Pickton a agi seul pour le déclarer coupable de l’infraction.  Vous pouvez conclure que M. Pickton a agi de concert avec d’autres personnes, et ce, même si vous ignorez l’identité de ces personnes.  Il suffit que vous soyez convaincus hors de tout doute raisonnable, après avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve, qu’il a participé activement à l’infliction de la mort à la victime.  Il ne suffit pas qu’il ait été simplement présent ou qu’il ait joué un rôle mineur.  La question que vous devez trancher est celle de savoir si vous êtes convaincus qu’il a été démontré qu’il a participé dans la mesure requise par la loi pour établir sa responsabilité criminelle.

 


[44]                          Les éléments de l’infraction de meurtre au premier degré ont été énoncés ainsi :

 

[traduction] L’infraction de meurtre au premier degré comporte cinq éléments :

 

 

Élément 1 :  La personne mentionnée dans le chef d’accusation a été tuée au moyen d’un acte illégal.

 

Élément 2 :  La victime nommée a été tuée au moment et à l’endroit indiqués dans l’acte d’accusation.

 

Élément 3 :  L’accusé est le tueur de cette personne.

 

Élément 4 :  L’accusé avait l’intention de causer la mort de la victime ou de lui causer des lésions corporelles qu’il savait être de nature à causer sa mort, et il lui était indifférent que la mort s’ensuive ou non.

 

Élément 5 :  La mort de la victime nommée a été causée avec préméditation et de propos délibéré.

 

[45]                          Le troisième jour de l’exposé au jury, le juge du procès a donné des directives plus précises sur l’implication possible d’autres suspects dans les meurtres.  Il a prévenu les jurés qu’il n’avait pas à déterminer tous les aspects des événements dans cette affaire, ni à déterminer si une ou plusieurs autres personnes étaient impliquées dans les actes reprochés dans tous les chefs d’accusation ou dans l’un d’eux, pourvu qu’ils soient convaincus hors de tout doute raisonnable que M. Pickton avait commis toutes les infractions qu’on lui reprochait ou l’une d’elles.  Il leur a rappelé que M. Pickton pouvait être jugé criminellement responsable même s’ils concluaient que d’autres personnes avaient pu être impliquées, tant et aussi longtemps qu’ils étaient convaincus que l’accusé avait [traduction] « participé activement » au meurtre d’une ou plusieurs victimes.


 

[46]                          Le dernier jour de son exposé aux jurés, le juge du procès leur a donné de nouvelles instructions au sujet des éléments de l’infraction de meurtre se rapportant spécifiquement aux différents chefs d’accusation.  Dans le cas des trois premiers chefs, à l’égard desquels il avait été admis que chaque victime était décédée par suite d’un seul coup de feu à la tête, le juge du procès a donné la directive suivante en ce qui a trait à l’élément 3, qu’on a par la suite appelé la directive sur le « véritable tireur » :

 

[traduction]  Si vous concluez que M. Pickton a abattu [nom de la victime], vous devez conclure que le ministère public a fait la preuve de cet élément.  Par contre, si vous avez un doute raisonnable quant à la question de savoir si l’accusé a abattu ou non la victime, vous devez alors rendre un verdict d’acquittement relativement à cette accusation de meurtre.

 

[47]                          Le sixième jour de ses délibérations, le jury a posé la question suivante :

 

[traduction]  Lorsque nous examinons le troisième élément dans le cadre d’un ou de plusieurs des chefs d’accusation, pouvons‑nous répondre « Oui » si nous déduisons que l’accusé a agi indirectement?

 

[48]                          Le juge du procès a d’abord renvoyé le jury au par. 8 de ses directives initiales — reproduit précédemment — et à un autre extrait de celles‑ci où figurait la directive sur le « véritable tireur ».  Puis, après une courte période de réflexion,  il a rappelé les jurés et leur a donné, pour la deuxième fois, de nouvelles instructions.  Il leur a dit de remplacer le passage correspondant de leurs instructions écrites par le paragraphe suivant, qui modifiait la directive sur le « véritable tireur » à l’égard des chefs d’accusation 1 à 3 :


 

[traduction]  Si vous concluez que M. Pickton a abattu [nom de la victime] ou qu’il a autrement participé activement à l’infliction de la mort à cette personne, vous devez conclure que le ministère public a fait la preuve de cet élément.  Par contre, si vous avez un doute raisonnable quant à la question de savoir si l’accusé a participé activement à l’infliction de la mort à cette victime, vous devez alors rendre un verdict d’acquittement.  [Je souligne.]

 

[49]                          Trois jours plus tard, le jury a déclaré M. Pickton coupable de six chefs d’accusation de meurtre au deuxième degré.

 

[50]                          Bien que le ministère public et la défense puissent chacun faire valoir la position qu’ils jugent appropriée quant aux événements en cause, la thèse intermédiaire qui se dégage logiquement de l’ensemble de la preuve en l’espèce est la possibilité que, même si M. Pickton n’est pas nécessairement le « seul auteur » des six meurtres, il était néanmoins suffisamment impliqué dans les circonstances des infractions pour que sa responsabilité criminelle puisse être retenue à titre de participant à ces dernières.  La question qui se pose dans le présent pourvoi consiste alors à déterminer si, au regard de l’ensemble des directives, les mots « ou qu’il a autrement participé activement » au meurtre ont exposé adéquatement au jury les règles de droit concernant les participants aux infractions eu égard à la preuve présentée au procès. Je suis d’avis que non.

 

III.  Analyse

 

A.    Les différentes formes de responsabilité des participants aux infractions prévues au Code criminel 


 

[51]                          En règle générale, la responsabilité des participants aux infractions prévues au Code criminel  peut prendre deux formes, responsabilité primaire ou en tant qu’auteur de l’infraction (l’accusé commet réellement ou personnellement l’infraction) et responsabilité secondaire (aussi appelée responsabilité des participants), toutes deux codifiées à l’art. 21 du Code.  Que l’accusé soit déclaré coupable en tant qu’auteur de l’infraction ou que participants à celle‑ci, en droit le résultat est le même pour ce dernier : il est déclaré coupable de l’infraction substantielle.  Pour cette raison, on affirme parfois qu’il n’est « pas important » en droit de savoir si un accusé a commis le crime personnellement ou s’il a aidé ou encouragé une autre personne à le commettre : R. c. Thatcher, [1987] 1 R.C.S. 652, p. 694; Chow Bew c. The Queen, [1956] R.C.S. 124, p. 127.  C’est également pourquoi le ministère public n’est pas tenu de préciser dans l’acte d’accusation la nature de la participation de l’accusé à l’infraction : R. c. Harder, [1956] R.C.S. 489; Thatcher, p. 694.

 

[52]                          L’article 21  du Code criminel , qui codifie à la fois la responsabilité en tant que co‑auteur et la responsabilité en tant que participant, est ainsi rédigé :

 

21. (1)    Participent à une infraction :

 

a)  quiconque la commet réellement;

 

b)  quiconque accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre;

 

c)   quiconque encourage quelqu’un à la commettre.

 


(2) Quand deux ou plusieurs personnes forment ensemble le projet de poursuivre une fin illégale et de s’y entraider et que l’une d’entre elles commet une infraction en réalisant cette fin commune, chacune d’elles qui savait ou devait savoir que la réalisation de l’intention commune aurait pour conséquence probable la perpétration de l’infraction, participe à cette infraction.

 

[53]                          Il ressort clairement de l’art. 21 que la responsabilité d’un accusé ne saurait être écartée du seul fait qu’une ou plusieurs autres personnes pourraient également être jugées responsables de la même infraction.  Ainsi, suivant l’al. 21(1)a), lorsque tous les éléments d’une infraction ont été établis à l’égard d’une personne, celle‑ci verra sa responsabilité criminelle engagée à titre de coauteur, de même que toute autre personne à l’égard de laquelle tous ces éléments ont également été établis.  Dans le cas des al. 21(1)b) et c), même si tous les éléments de l’infraction n’ont pas été prouvés à son égard, un accusé sera déclaré coupable de cette infraction s’il a fourni aide ou encouragement à la personne qui l’a perpétrée, et s’il avait la mens rea requise.

 

[54]                          Par conséquent, dans les cas où comme, en l’espèce, un accusé est inculpé de meurtre, les règles de droit énoncées à l’art. 21 relativement à la participation aux infractions prévoient les différentes routes menant à une déclaration de culpabilité et font en sorte que l’accusé peut être déclaré coupable de meurtre en vertu de l’art. 229  du Code criminel , même si, suivant certaines formes de participation, il n’a pas causé réellement la mort de la victime selon la norme indiquée dans cet article.  Essentiellement, bien  qu’il soit possible que ce ne soit pas l’accusé lui‑même qui ait réellement tué la victime, il peut néanmoins être jugé responsable du meurtre.

 


B.  Directives relatives à la responsabilité des participants aux infractions

 

[55]                          Dans un procès devant juge et jury, les règles pertinentes à la responsabilité des participants aux infractions doivent être soigneusement expliquées aux jurés pour qu’ils puissent les appliquer adéquatement à la preuve, et elles doivent être exposées correctement dans les directives qui leur sont données.  Ces mesures sont particulièrement importantes lorsqu’il est possible que d’autres personnes aient participé à l’infraction, mais que cette participation n’est pas clairement définie, et que l’accusé est la seule personne jugée au procès.  Comme a affirmé le juge Martin dans R. c. Sparrow (1979), 51 C.C.C. (2d) 443 (C.A. Ont.), à la p. 458, propos cités favorablement dans R. c. Isaac, [1984] 1 R.C.S. 74, à la p. 81, et Thatcher, à la p. 688 :

 

[traduction]  Je suis d’avis qu’il convient aussi, lorsqu’un seul accusé est jugé et que la preuve indique que plus d’une personne a participé à la perpétration de l’infraction, de donner au jury des directives concernant les dispositions de l’art. 21 du Code, même si on ignore l’identité de tout autre participant et même si le rôle précis de chaque participant peut être incertain.

 

[56]                          L’arrêt Thatcher de notre Cour donne des indications sur les règles pertinentes en matière de responsabilité des participants aux infractions et sur la façon d’incorporer ces règles dans les directives au jury.  Dans l’affaire Thatcher, le juge du procès avait lu le texte du par. 21(1) au jury et avait expliqué comme suit le sens des termes « aider » ou « encourager » : [traduction] « encourager ou aider délibérément à commettre l’infraction ».  Il avait en outre signalé qu’il n’est pas nécessaire que l’auteur réel soit identifié.  Le juge avait  ensuite donné au jury la directive suivante :

 


[traduction]  Vous n’avez pas à vous préoccuper de la question de savoir si une autre ou d’autres personnes n’ont pas été accusées ou déclarées coupables de l’infraction de meurtre.  Vous n’avez pas non plus à vous préoccuper de la question de savoir si la personne qui a réellement commis le crime est connue.  Si vous êtes convaincus d’après les éléments de preuve que JoAnn Thatcher a été assassinée et que l’accusé a aidé ou encouragé à commettre le meurtre, il vous est loisible de le déclarer coupable de meurtre.  Mais encore une fois, si le ministère public ne vous a pas convaincus soit que Colin Thatcher a commis le meurtre soit que quelqu’un d’autre l’a fait avec l’aide et l’encouragement de Colin Thatcher, alors vous devez lui donner le bénéfice du doute et le déclarer non coupable. [p. 688]

 

[57]                          Dans l’arrêt Thatcher, notre Cour a conclu que, comme des éléments de preuve appuyaient la thèse fondée sur l’aide et l’encouragement à la perpétration de l’infraction, le juge avait eu raison de soumettre cette thèse au jury et sa directive était adéquate.  La Cour s’est ensuite demandée si l’omission du juge du procès de rattacher les règles de droit relatives à l’aide et à l’encouragement aux éléments de preuve présentés constituait une erreur dans cette affaire.  Elle a jugé que non et a affirmé ce qui suit :

 

Au lieu de séparer son exposé au jury en sections distinctes dans lesquelles il aurait passé en revue les éléments de preuve compatibles avec la possibilité que Thatcher ait personnellement commis le meurtre, que Thatcher ait commis le meurtre selon les termes du par. 21(1) et finalement, que Thatcher n’ait absolument pas commis le meurtre, le juge du procès a simplement examiné le témoignage de chaque témoin l’un après l’autre.  Je ne crois pas qu’il a commis une erreur en agissant ainsi.  De nombreux éléments de preuve du ministère public sont compatibles avec l’une ou l’autre de ses thèses et de nombreux éléments de preuve de la défense sont compatibles avec l’innocence de Thatcher ou avec sa culpabilité aux termes du par. 21(1).  Il n’incombe pas au juge du procès d’examiner les éléments de preuve d’une manière répétitive qui aurait seulement pour effet d’ennuyer le jury.  Je ne crois pas non plus que nous devrions présumer que les jurés ne sont pas suffisamment intelligents pour voir ce qui est évident : la présence d’une voiture du gouvernement à la maison de la victime, lorsqu’elle est combinée avec des éléments de preuve donnant à entendre que l’homme dans la voiture n’était pas Thatcher, peut indiquer que Thatcher a aidé ou encouragé; et ils peuvent certainement constater que l’élément de preuve d’alibi, si on y ajoute foi, peut entraîner une conclusion semblable lorsqu’il est combiné avec l’élément de preuve relatif à l’arme du crime.


En outre, il est évident que les deux thèses du ministère public ne constituent pas des points de vue juridiquement différents sur ce qui s’est produit.  Le paragraphe 21(1) a essentiellement pour but de placer la personne qui aide ou qui encourage sur le même pied que l’auteur de l’infraction.  Mettre l’accent sur la différence entre les thèses du ministère public pourrait donner au jury la fausse impression qu’il est vital que les jurés décident individuellement et collectivement de quelle manière la victime a été tuée.  [Je souligne; soulignement dans l’original supprimé; p. 689.]

 

[58]                          Trois principes ressortant de l’arrêt Thatcher sont pertinents en l’espèce.  Premièrement, si des éléments de preuve admis au procès étayent adéquatement une autre forme de responsabilité prévue à l’art. 21, une directive concernant cet article devrait être présentée au jury, même si l’identité de l’autre participant — ou des autres participants — est inconnue et même si le rôle précis de chaque participant peut demeurer incertain.  Deuxièmement, le juge du procès n’est pas tenu de rattacher les règles de droit aux éléments de preuve susceptibles d’étayer l’autre thèse, l’aide et l’encouragement à la perpétration de l’infraction, lorsque la preuve présentée par la poursuite se rapporte à l’une ou l’autre des formes de participation, et que celle présentée par la défense a trait à l’innocence ou à la culpabilité de l’accusé suivant les alinéas pertinents de l’art. 21.  Enfin, il n’est pas nécessaire que le jury soit unanime quant à la nature de la participation de l’accusé à l’infraction, dès lors que les jurés sont convaincus que l’accusé a soit commis lui‑même l’infraction, soit aidé et encouragé une autre personne à la commettre, pourvu qu’ils soient convaincus hors de tout doute raisonnable que l’accusé a fait l’une ou l’autre de ces choses.

 


[59]                          La distinction entre les faits du présent pourvoi et les faits de l’affaire Thatcher tient à ce que, selon ce qu’on prétend, les directives au jury en l’espèce ne portaient que sur deux formes possibles de responsabilité, la responsabilité en tant qu’auteur principal de l’infraction et la responsabilité en tant que coauteur de celle-ci.  La responsabilité de M. Pickton en tant que personne qui aurait aidé et encouragé une autre personne à commettre les infractions n’a donc pas vraiment été présentée au jury.  Par conséquent, on ne peut dire que les jurés ont été adéquatement informés des principes juridiques qui leur auraient permis, en tant que juges des faits, d’examiner des éléments de preuve concernant l’aide et l’encouragement que M. Pickton aurait prodigués à un tireur inconnu, en tant qu’autre moyen de lui imputer la responsabilité des meurtres.

 

[60]                          En ce qui concerne les infractions fondées sur un lien de causalité, comme le meurtre, la distinction qu’établit le Code criminel  entre le fait de commettre réellement l’infraction, prévu à l’art. 229, et le fait d’aider et d’encourager une personne à la commettre, prévu à l’art. 21, tient en partie à ce qu’il peut exister une différence entre la causalité factuelle et la causalité juridique du décès.  Selon les juges majoritaires de notre Cour dans R. c. Nette, 2001 CSC 78, [2001] 3 R.C.S. 488, la causalité factuelle s’entend plus exactement de la cause scientifique — « n’eût été » ou « sine qua non » — du décès, alors que, dans le cas de la causalité juridique, il s’agit de déterminer « si l’accusé devrait être tenu criminellement responsable des conséquences qui ont résulté » (par. 45).  Bien que la décision sur la responsabilité criminelle reposera en dernière analyse sur les principes de causalité juridique, une conclusion sur la cause factuelle du décès peut quand même éclairer le tribunal au sujet des formes de responsabilité susceptibles de s’appliquer eu égard à la preuve.

 


[61]                          Le jury ne procède pas à une analyse en deux temps en ce qui concerne la causalité factuelle et la causalité juridique.  L’opinion de la majorité dans l’arrêt Nette explique plutôt la démarche du juge comme suit : « dans son exposé au jury, le juge du procès essaie d’expliquer le lien de causalité requis, tant sur le plan factuel que sur le plan juridique, pour que l’accusé puisse être tenu criminellement responsable de la mort de la victime » (par. 46).  En conséquence, la notion de responsabilité des participants codifiée à l’art. 21  du Code criminel  permet souvent de combler le vide qui, autrement, pourrait exister entre la causalité factuelle et la causalité juridique.  Mais le juge du procès conserve néanmoins l’obligation d’expliquer aux jurés — le juge des faits — les principes juridiques appropriés et la façon de les appliquer à la preuve présentée au procès, pour éviter les incertitudes non pertinentes en droit qui, sans cela, pourraient surgir.

 

[62]                          Dans certains cas, bien qu’il soit évident qu’une ou plusieurs personnes autres que l’accusé ont participé à la perpétration de l’infraction, l’étendue de leur participation peut demeurer incertaine.  Si l’infraction est un meurtre, il peut être clair qu’une seule personne — l’accusé ou une autre personne ou plusieurs — a dans les faits causé la mort de la victime et que les autres personnes impliquées qui n’ont pas factuellement causé la mort de la victime ont néanmoins « aidé ou encouragé » la personne qui l’a fait, sans toutefois qu’il soit possible d’affirmer avec certitude quelle personne, l’accusé ou une autre personne, a réellement causé la mort.  Dans un tel cas, la loi a prévu que cette incertitude n’entraîne pas inévitablement l’acquittement de l’accusé.  Les principes de la causalité juridique entrent alors en jeu et permettent de conclure que l’accusé a commis le meurtre dans l’un ou l’autre cas (cause juridique).  Il importe peu alors qu’il en ait été l’auteur (cause factuelle principale) ou qu’il ait aidé ou encouragé quelqu’un à le commettre (cause juridique secondaire) : Thatcher, p. 690.


 

[63]                          Dans certaines circonstances, l’incertitude quant à la participation d’autres personnes — connues ou inconnues — en tant que coauteurs peut également s’avérer non pertinente sur le plan juridique.  La notion de responsabilité en tant que coauteur d’une infraction a été inscrite, dans les termes suivants, à l’al. 21(1) a) du Code criminel  : « Participent à une infraction : quiconque la commet réellement ».  Cette forme de responsabilité s’applique chaque fois que deux personnes ou plus « commettent réellement » une infraction, et elle rend chacune d’elles individuellement responsable de ce crime.  Elle s’applique également lorsque deux personnes ou plus forment le projet de commettre ensemble une infraction, sont présentes lorsque le crime est commis et contribuent à sa perpétration, et ce, même si tous les éléments essentiels de l’infraction ne peuvent être imputés à chacune de ces personnes (R. c. Mena (1987), 34 C.C.C. (3d) 304 (C.A. Ont.), p. 316).  Si le juge des faits est convaincu hors de tout doute raisonnable que tous les éléments du crime reproché à l’accusé ont été établis, il importe peu qu’une autre personne ait elle aussi commis ce crime.

 


[64]                          En ce qui a trait au meurtre — infraction qui, comme nous l’avons indiqué plus tôt, requiert l’existence d’un lien de causalité (l’acte prétendument illégal doit « avoir causé » la mort) —, le scénario classique dans lequel pourrait s’appliquer la responsabilité en tant que coauteur est la situation où deux personnes ou plus agressent la victime en même temps et la battent à mort : voir, par exemple, R. c. McMaster, [1996] 1 R.C.S. 740.  Dans un tel cas, comme on peut imputer à chacun des accusés tous les éléments de l’infraction de meurtre (l’actus reus au complet ainsi que la mens rea de l’infraction), et que seule la causalité factuelle peut demeurer incertaine (l’identité de la personne qui a porté le coup « fatal »), la notion de causalité juridique autorise l’incertitude relativement à l’acte qui a réellement causé la mort.  Les seules situations requérant l’établissement du « lien de causalité entre l’acte et la mort » sont le meurtre et l’homicide involontaire coupable de façon générale.  Il doit alors être démontré que les actes d’agression de chaque accusé à l’endroit de la victime ont constitué une « cause ayant contribué de façon appréciable » (pour l’homicide involontaire coupable ou le meurtre de façon générale) ou un « élément essentiel et substantiel du meurtre » (pour le meurtre au premier degré aux termes du par. 231(5)) : Nette, par. 73.

 

[65]                          La responsabilité d’une personne en tant que coauteur d’une infraction peut également être retenue à l’égard d’autres infractions que le meurtre, car l’art. 21 s’applique à toutes les infractions prévues au Code criminel .  De fait, bon nombre d’autres infractions n’exigeant pas l’existence d’un lien de causalité sont nettement plus susceptibles de faire intervenir la notion de « coauteur », puisque bien souvent ces infractions sont commises par plus d’une personne, par exemple le vol qualifié, l’enlèvement et l’introduction par effraction.  Dans ces cas, l’actus reus ou les actes constituant l’infraction peuvent se produire sur plusieurs minutes, plusieurs heures ou plusieurs jours, et divers éléments ou aspects de l’infraction peuvent être accomplis par différentes personnes (si une personne brise la fenêtre d’un logis et que cette personne et une autre s’y introduisent, toutes deux commettent la même introduction par effraction).  En conséquence, la responsabilité en tant que coauteur peut être imputée, sans égard au fait que les actes de chaque accusé soient accomplis successivement (l’un agissant en premier, l’autre agissant après lui, et l’actus reus de l’infraction n’étant complet qu’après les actes du second), ou que les actes soient concomitants (les deux accusés agissent en même temps, chacun accomplissant en totalité l’actus reus).


 

[66]                          Deux éléments doivent être établis pour que des voies de fait donnent éventuellement lieu à une accusation de meurtre ou d’homicide involontaire coupable : la victime doit effectivement décéder, et les voies de fait doivent constituer une « cause ayant contribué de façon appréciable » au décès.  Voilà pourquoi, dans les cas de meurtre ou d’homicide involontaire coupable, la responsabilité du coauteur dans la deuxième situation indiquée ci‑dessus (actes concomitants) est beaucoup plus susceptible de se rencontrer.  Si deux personnes commettent chacune des voies de fait contre la victime, il peut s’avérer difficile d’établir lesquelles des voies de fait ont causé la mort de la victime plutôt que des blessures.  En droit, il n’est pas nécessaire de déterminer qui a porté le « coup fatal » pour que la responsabilité de chacun des participants aux voies de fait soit retenue en tant que coauteur de l’infraction.  Une fois acquise la conclusion que les voies de fait commises par chacun des participants ont constitué une « cause ayant contribué de façon appréciable » au décès, il importe peu, relativement à la responsabilité du coauteur, que le décès résulte des voies de fait de l’un des participants ou d’une combinaison des voies de fait des deux.

 

[67]                          Toutefois, dans les cas où il est évident que la cause du décès de la victime n’a pu être que le fait d’une personne, et où aucune preuve n’indique qu’on a utilisé la force contre la victime avant son décès, alors, en l’absence de toute autre preuve, la seule conclusion logique est qu’il n’y a vraisemblablement qu’un seul auteur.  Les principes de la causalité en matière criminelle commandent une telle conclusion, puisqu’il est impossible d’affirmer qu’il existe une autre « cause ayant contribué de façon appréciable » au décès.  Dans une telle situation, la possibilité de responsabilité en tant que coauteur de l’infraction est écartée.


 

[68]                          Il existe, dans les décisions traitant des coauteurs, une certaine confusion relativement à la question de savoir si deux personnes ou plus constituent des coauteurs du fait qu’elles ont « agi de concert » dans le cadre d’un « projet commun » ou d’une « entente concertée ».  Cette confusion pourrait découler en partie d’une mauvaise interprétation des conclusions tirées dans des décisions tel l’arrêt R. c. Suzack (2000), 141 C.C.C. (3d) 449 (C.A. Ont.), et des principes qui s’en dégagent.  Dans cette affaire, l’accusé et un autre homme ont attaqué et battu la victime, et l’un d’eux a tiré les coups fatals.  Toutefois, chacun a dit que c’était l’autre qui avait fait feu.  La Cour d’appel a formulé les observations suivantes au sujet des termes employés par le juge du procès dans ses directives au jury :

 

[traduction]  Il ne fait aucun doute que, lorsque deux personnes possédant chacune l’intention requise agissent de concert dans la perpétration d’un crime, elles sont toutes deux coupables de ce crime.  Leur responsabilité peut être visée  par une ou plusieurs des dispositions du par. 21(1)  du Code criminel  : R. c. Sparrow (1979), 51 C.C.C. (2d) 443 (C.A. Ont.), p. 457‑458.  Le juge Trainor a dit au jury que, si MM. Suzack et Pennett avaient participé ensemble au meurtre tout en ayant l’intention requise, ils en étaient « responsables en tant qu’auteurs ».  Cela pourrait constituer une qualification erronée de leur responsabilité.  En effet, ils peuvent avoir été les auteurs de l’infraction ou bien avoir aidé ou encouragé l’auteur de celle‑ci, selon le rôle de chacun dans l’exécution du dessein commun : R. c. Simpson (1988), 38 C.C.C. (3d) 481 (S.C.C.), p. 488‑491.  Comme a affirmé le juge Griffiths dans R. c. Wood (1989), 51 C.C.C. (3d) 201 (C.A. Ont.), à la p. 220 :

 

En présence de la preuve d’une action concertée dans la perpétration de l’infraction, comme c’est le cas en l’espèce, il est alors loisible au jury de déclarer tous les accusés coupables soit comme auteurs de l’infraction, en vertu de l’al. 229a), soit comme participants ayant aidé ou encouragé, suivant l’art. 21 du Code, même si l’étendue de la participation de chacun aux actes de violence demeure incertaine.

 


Toutefois, je ne considère pas que l’erreur de terminologie commise par le juge Trainor revêt quelque importance que ce soit.  La question primordiale n’est pas de savoir s’il a qualifié correctement la nature de la responsabilité des appelants, mais de savoir s’il a donné au jury des directives appropriées quant aux éléments essentiels de l’infraction que le ministère public devait prouver pour établir la responsabilité conjointe à l’égard du meurtre dans un cas où le jury n’était pas en mesure de déterminer lequel des deux individus avait tiré les coups fatals.  [Je souligne; par. 152‑153.]

 

[69]                          Dans l’arrêt Suzack, la thèse de la responsabilité en tant qu’auteur de l’infraction et celle de la responsabilité en tant que personne ayant aidé ou encouragé quelqu’un à la commettre avaient toutes deux été soumises adéquatement au jury.  Pour cette raison, si l’une ou l’autre des formes de responsabilité était prouvée, il devenait [traduction] « inutile de qualifier la nature de [l]a participation » (par. 155) de l’accusé.  En outre, considérées ensemble, ces deux formes de responsabilité décrivaient [traduction] « la possible responsabilité de M. Suzack pour meurtre en tant que participant à un dessein commun [à savoir] commettre un meurtre » (par. 157).  Toutefois, l’arrêt Suzack indique en outre clairement que les expressions telles que « action concertée », « agir de concert », « dessein commun », « participation à un projet commun » et « participation conjointe » englobent vraiment toutes les formes de responsabilité — en tant qu’auteur de l’infraction, que coauteur de celle‑ci et que personne ayant aidé à sa perpétration ou l’ayant encouragée.  Ces expressions recouvrent toutes les formes de responsabilité des participants que prévoit le par. 21(1) et ne se limitent pas à celle prévue à l’al. 21(1)a).

 

C.  Application à l’espèce

 


[70]                          En l’espèce, relativement aux chefs 1 à 3, il a été admis que la cause factuelle du décès des victimes avait été un coup de feu à la tête.  Par conséquent, indépendamment de ce qui s’est produit avant ou après le meurtre de chacune des victimes, une seule personne a réellement tiré le projectile qui a causé leur mort.

 

[71]                          Il n’a été présenté aucune preuve de quelque autre « cause ayant contribué de façon appréciable » au décès des victimes, hormis les blessures par balle.  Rien dans la preuve admise au procès ne permettait d’inférer que deux individus, agissant de concert, auraient causé le décès de l’une ou l’autre des victimes mentionnées dans les six chefs et seraient devenus de ce fait coauteurs des infractions; un seul individu avait pu tirer le coup de feu ayant causé la mort de chaque victime.  Je suis d’accord avec l’appelant pour dire que nous ne nous trouvons tout simplement pas en présence d’une situation analogue à celle en cause dans l’affaire Miller c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680.  Aucun élément de preuve ne tend à indiquer qu’une personne aurait tenu l’arme à feu tandis qu’une autre appuyait sur la détente, et donc que deux personnes auraient participé à l’acte illégal ayant causé la mort.  La possibilité d’une responsabilité fondée sur d’autres formes de participation à ces meurtres ne pouvait donc pas découler de la notion de coauteur, mais plutôt de la notion de participation par aide ou encouragement à la perpétration des infractions.

 


[72]                          Dans la présente affaire, les juges majoritaires de la Cour d’appel ne semblent pas avoir considéré qu’il était nécessaire que le juge du procès donne des directives particulières au jury à propos des dispositions de l’art. 21.  Ils ont souligné que le par. 21(1) vise à « rendre juridiquement sans importance la différence entre le fait d’aider et d’encourager à commettre une infraction et le fait de la commettre personnellement » (2009 BCCA 299, 272 B.C.A.C. 252, au par. 221, citant les propos du juge en chef Dickson dans Thatcher), et que même si des directives sur la participation par aide ou encouragement étaient légalement requises, l’appelant avait vraisemblablement bénéficié de l’omission de les donner (par. 231).

 

[73]                          La faille dans ce raisonnement se retrouve dans l’absence de toute prise en compte du fait que la participation aux infractions, soit par aide soit par encouragement, n’avait pas été soumise au jury comme autre route susceptible de lui permettre de conclure à la responsabilité de l’accusé, et que la preuve n’étayait pas la thèse de la responsabilité de celui‑ci en tant que coauteur des infractions.  Bien qu’effectivement une directive distincte sur la responsabilité en tant que coauteur de l’infraction ne soit généralement pas nécessaire, puisque ses éléments sont les mêmes que ceux de la responsabilité en tant qu’auteur de l’infraction, la situation diffère dans le cas de la responsabilité des participants qui aident ou encouragent quelqu’un d’autre à commettre l’infraction.  Même si, en définitive, la responsabilité juridique à l’égard de l’infraction est la même, qu’il s’agisse de l’auteur de l’infraction ou d’une personne qui a aidé à sa perpétration ou l’a encouragée, les conclusions de fait requises et les principes juridiques applicables diffèrent.

 


[74]                          Le juge des faits devait décider, au regard de la preuve, si M. Pickton était responsable des meurtres soit parce qu’il était le tireur véritable soit parce qu’il aurait aidé une personne inconnue qui aurait été le véritable tireur.  Il n’était pas nécessaire que le jury considère la possibilité que M. Pickton et une autre personne aient tous deux causé la mort des victimes en tant que coauteurs des infractions, et il n’était pas utile de donner aux jurés des directives donnant ouverture à l’application de la responsabilité des participants, sans leur en exposer les principes pertinents eu égard à  la preuve.  La possibilité que M. Pickton ait pu uniquement aider et encourager l’auteur des meurtres était juridiquement pertinente à la lumière de la preuve au dossier dans la présente affaire.

 

[75]                          Par conséquent, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont, à mon avis, fait erreur en concluant que, dans le cadre de l’analyse relative à la responsabilité des participants, il n’y a [traduction] « aucune différence » entre, d’une part, le cas où deux individus font feu sur la victime et où l’analyse criminalistique ne permet pas d’attribuer le coup fatal à l’un ou à l’autre, et, d’autre part, le cas où deux individus agissent « de concert » pour attirer et tuer la victime, et où un seul a tenu l’arme à feu ayant causé la mort (par. 221).  Dans ce dernier cas, des directives devraient être données au jury sur l’aide et l’encouragement à la perpétration d’une infraction.

 

D.  Aide et encouragement

 

[76]                          Aux alinéas 21(1)b) et c), l’analyse porte principalement sur l’intention dans laquelle l’aide ou l’encouragement a été fournie.  L’acte ou l’omission invoqué doit avoir pour effet réel d’aider ou d’encourager et doit également avoir été accompli dans le dessein précis de faciliter ou d’encourager la perpétration de l’infraction par son auteur, et la personne qui aide ou encourage devait connaître l’intention de ce dernier de commettre le crime : R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411, par. 14, 16‑18.  Pour que l’accusé puisse être déclaré coupable de meurtre au premier degré parce qu’il a fourni aide ou encouragement à la perpétration d’un meurtre commis avec préméditation et de propos délibéré, il devait savoir que le meurtre allait être commis ainsi : Briscoe, par. 17.  La preuve de l’ignorance volontaire permettra de satisfaire à l’élément de connaissance nécessaire pour l’application de l’al. 21(1)b) ou c) : Briscoe, par. 21.

 


[77]                          Au vu du dossier en l’espèce, de nombreux actes d’aide ou d’encouragement auraient pu être invoqués à l’encontre de M. Pickton pour retenir sa responsabilité criminelle à l’égard des meurtres.  Mentionnons notamment les suivants : « avoir attiré » les victimes à sa ferme, leur avoir fourni des drogues ou en avoir fait ses captives, avoir encouragé une autre personne, l’assassin, en indiquant qu’il aiderait à démembrer les victimes et à disposer des cadavres afin de lui éviter d’être capturé.  Ces mêmes éléments de preuve auraient également pu permettre d’établir l’intention et la connaissance requises, y compris la connaissance de la nature des meurtres, c’est‑à‑dire qu’ils seraient commis avec préméditation et de propos délibéré.

 

[78]                          Pour une raison ou pour une autre, je tiens à le rappeler, la thèse de la participation aux infractions par voie d’aide ou d’encouragement n’a pas été soumise au jury par le juge du procès.  Il n’était pas loisible au jury de déclarer l’appelant coupable suivant les deux formes de responsabilité auxquelles la preuve donnait ouverture sur le plan juridique, à savoir que M. Pickton aurait lui‑même commis les meurtres ou aurait aidé et encouragé quelqu’un à le faire.  La thèse de la responsabilité à titre de coauteur des infractions était dépourvue de vraisemblance et, de ce fait, toute directive évoquant cette possibilité qui a pu être soumise au jury constituait une erreur.  Toute directive concernant une « action concertée » par M. Pickton et une ou plusieurs autres personnes devait clairement indiquer aux jurés que, s’ils avaient un doute raisonnable quant à la perpétration par M. Pickton lui‑même de chacun des meurtres en question, ils devaient être convaincus, hors de tout doute raisonnable, qu’il avait à tout le moins aidé et encouragé quelqu’un d’autre à les commettre.

 


[79]                          Tant la directive générale au par. 44 que la version modifiée du passage de l’exposé au jury concernant le « véritable tireur » étaient de nature à induire en erreur, en plus d’être erronées en droit, dans la mesure où elles donnaient ouverture à l’application de la notion de responsabilité des participants sans exposer les règles relatives à l’aide et à l’encouragement à la perpétration d’une infraction.  Quant à la modification de la directive sur le « véritable tireur », disons simplement que, en l’absence de la possibilité pour le jury de conclure à la responsabilité pour aide et encouragement à la perpétration des infractions, la seule directive qu’aurait pu donner le juge du procès à propos du troisième élément, relativement aux chefs 1 à 3, était — comme l’indiquaient ses directives initiales — que le jury devait conclure hors de tout doute raisonnable que M. Pickton était le « véritable tireur ».  Ces propos énonçaient correctement la notion de responsabilité en tant qu’auteur de l’infraction eu égard à la preuve présentée au procès.  L’insertion des mots [traduction] « ou qu’il a autrement participé activement à l’infliction de la mort » a eu pour effet de donner de manière inadmissible aux jurés la possibilité de conclure que M. Pickton avait agi en aidant et en encourageant quelqu’un d’autre à perpétrer les infractions, sans leur fournir de directives additionnelles sur cette forme de responsabilité.

 

[80]                          Les mots « ou qu’il a autrement participé activement » n’expliquaient pas adéquatement le lien de causalité requis entre les actes de l’appelant et le décès des victimes pour établir sa responsabilité en tant qu’auteur des infractions.  Comme il n’y avait, à l’égard d’aucun des chefs d’accusation, aucune preuve de l’existence de plus d’une cause effective de décès, les directives auraient dû indiquer clairement que les jurés ne pouvaient déclarer M. Pickton coupable des meurtres qu’à la condition d’être convaincus hors de tout doute raisonnable, eu égard à l’ensemble de la preuve, que ce dernier avait soit personnellement abattu les victimes, soit aidé et encouragé une autre personne à le faire.


 

E.  Preuve de faits similaires

 

[81]                          Une dernière remarque.  Il semble avoir régné, durant le procès, de l’incertitude quant à la question de savoir si une preuve de faits similaires aurait pu être invoquée au soutien d’une autre thèse — celle de la participation aux infractions par voie d’aide ou d’encouragement —, dans le cas où on aurait soumis au jury la question de la responsabilité de M. Pickton à l’égard des meurtres en tant que participant au sens de l’art. 21 (voir le mémoire de l’intimée, à la p. 53, note en bas de page 25, relativement à la possible applicabilité de l’arrêt R. c. Mercer, 2005 BCCA 144, 202 C.C.C. (3d) 130, autorisation de pourvoi refusée, [2005] 2 R.C.S. x).  Cette incertitude pourrait être à l’origine de la décision du ministère public de se fonder strictement sur la thèse du « seul auteur », puisque l’admission d’une preuve de faits similaires était cruciale pour obtenir une déclaration de culpabilité sur tous les chefs d’accusation, particulièrement les chefs 4 à 6.

 


[82]                          Cette question a été tranchée par le juge Low de la Cour d’appel, dans la décision de la majorité, lorsqu’il a conclu que l’admission — chef par chef — de la preuve de faits similaires ne se limitait pas à la responsabilité fondée sur l’existence d’un seul auteur.  Le juge Low a expliqué qu’une telle preuve [traduction] « était admissible en raison de la similitude des faits et des comportements établissant un lien entre l’appelant et les faits, similitude justifiant que l’on considère, pour chaque chef d’accusation, la preuve concernant tous les chefs ainsi que la preuve d’Ellingsen [un témoin] pour tous les chefs » (par. 177).  En outre, il a conclu qu’il n’était pas nécessaire de donner au jury des directives particulières à l’égard de ce type de preuve, et il a écarté en ces termes l’application de l’arrêt R. c. Perrier, 2004 CSC 56, [2004] 3 R.C.S. 228 :

 

[traduction]  L’établissement d’un tel lien [tel qu’on l’explique dans Perrier] ne s’est pas révélé nécessaire en l’espèce.  La preuve permettait de démontrer que l’appelant constituait la seule constante dans la suite de faits que j’ai décrite à plus d’une reprise dans les présents motifs.  Lorsqu’il a admis la preuve de faits similaires, le juge du procès était convaincu qu’il existait des éléments de preuve tendant à rattacher l’appelant aux six meurtres, point qui n’a pas été contesté par l’appelant, ni au procès ni en appel.  Personne n’a soulevé, pas même la défense, la possibilité qu’un groupe d’assassins soit responsable et que l’appelant ait participé à un ou à quelques‑uns des meurtres, mais pas aux autres.  La preuve étayait la thèse voulant que l’appelant ait commis chacun des meurtres ou qu’il ait participé activement à chacun d’eux (ou à au moins un d’eux) de concert avec une autre personne.  Je partage l’avis du ministère public selon lequel la preuve de faits similaires avait le même poids, quelle que soit la voie privilégiée par chaque membre du jury pour conclure à la responsabilité criminelle.  La question qui se posait dans l’affaire Perrier ne se pose pas en l’espèce.  [par. 181]

 

[83]                          À l’instar du juge Low, j’estime que la preuve de faits similaires est admissible non seulement pour démontrer qu’un accusé a commis personnellement, en tant qu’auteur, chacune des infractions qu’on lui reproche, mais également pour soulever la possibilité qu’il les ait commises en aidant ou en encourageant quelqu’un d’autre à les perpétrer.  Cependant, les comportements similaires requis doivent présenter un lien suffisant avec ces deux possibilités pour tous les chefs d’accusation.

 

F.  La disposition réparatrice

 


[84]                          Ayant conclu à l’existence d’une erreur sur une question de droit, je dois maintenant considérer l’application de la disposition réparatrice prévue au sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel .  Comme l’a souligné à maintes reprises notre Cour, la présence d’une erreur ne justifie pas toujours l’annulation d’un verdict de culpabilité par la cour d’appel (R. c. Van, 2009 CSC 22, [2009] 1 R.C.S. 716, par. 34).

 

[85]                          Il est possible que certaines erreurs soient si anodines ou si peu pertinentes à l’égard des questions en litige qu’elles risquent peu d’avoir influé de quelque façon que ce soit sur le verdict.  Par ailleurs, même dans le cas d’autres erreurs plus graves, la disposition s’appliquera également lorsque le dossier renferme une preuve accablante de la culpabilité de l’appelant et que, au vu de cette preuve, un jury ayant reçu des directives adéquates rendrait inévitablement un verdict de culpabilité (R. c. Trochym, 2007 CSC 6, [2007] 1 R.C.S. 239, par. 82). À mon avis, c’est le cas en l’espèce.  Comme il a été mentionné précédemment, des erreurs graves ont été commises relativement à une question cruciale au procès — la participation criminelle aux infractions — tant dans les directives données au jury que dans la réponse du juge à la question posée par ce dernier.  Néanmoins, c’est au regard du procès dans son ensemble qu’il faut évaluer l’incidence possible de ces erreurs.

 


[86]                          Le procès concernait essentiellement la participation de M. Pickton aux meurtres des six victimes.  Je n’entends pas revenir ici sur l’ensemble de la preuve produite par le ministère public au cours de ce très long procès.  Cependant, je suis d’avis, après examen du dossier, que le ministère public a présenté une preuve convaincante, voire accablante, de la participation de M. Pickton aux meurtres.  Quel que soit l’angle sous lequel on considère sa participation, il ressort de la preuve qu’il est nécessairement l’auteur des meurtres, ou qu’il a aidé ou encouragé quelqu’un à les commettre.  Il est inconcevable qu’un jury ayant reçu des directives adéquates ne l’aurait pas déclaré coupable de meurtre devant une preuve si solide de son implication.  Du reste, un tel jury aurait vraisemblablement déclaré M. Pickton coupable de meurtre au premier degré et non de meurtre au second degré.

 

[87]                          Certes, le procès a été long et difficile, — mais il a aussi été équitable.  En dépit des erreurs mentionnées précédemment, aucun déni de justice n’a découlé de l’instruction du procès.  Comme tout autre citoyen du pays, monsieur Pickton avait le droit d’être traité avec justice.  Il l’a été.  Il ne saurait demander davantage.

 

IV.  Dispositif

 

[88]                          Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais le pourvoi et je confirmerais les déclarations de culpabilité.

 

Pourvoi rejeté.

 

Procureur de l’appelant : Gil D. McKinnon, Vancouver.

 

Procureur de l’intimée : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Vancouver.

 

 

 

                                                                             

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