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                                                  COUR SUPRÊME DU CANADA

 

 

Référence : R. c. McCrimmon, 2010 CSC 36, [2010] 2 R.C.S. 402

 

Date :  20101008

Dossier :  32969

 

Entre :

Donald Russell McCrimmon

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

‑ et ‑

Directeur des poursuites pénales du Canada,

British Columbia Civil Liberties Association,

Association canadienne des libertés civiles et

Criminal Lawyers’Association of Ontario

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram :  La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell

 

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 27)

 

Motifs concordants :

(par. 28 à 34)

 

Motifs dissidents :

(par. 35 à 62)

 

La juge en chef McLachlin et la juge Charron (avec l’accord des juges Deschamps, Rothstein et Cromwell)

 

Le juge Binnie

 

 

Les juges LeBel et Fish (avec l’accord de la juge Abella)

 

 

 

______________________________


R. c. McCrimmon, 2010 CSC 36, [2010] 2 R.C.S. 402

 

Donald Russell McCrimmon                                                                                              Appelant

 

c.

 

Sa Majesté la Reine                                                                                                              Intimée

 

et

 

Directeur des poursuites pénales du Canada,

Association des libertés civiles de la

Colombie-Britannique, Association

canadienne des libertés civiles et Criminal Lawyers’

Association of Ontario                                                                                                   Intervenants

 

Répertorié : R. c. McCrimmon

 

2010 CSC 36

 

No du greffe : 32969.

 

2009 : 12 mai; 2010 : 8 octobre.

 


Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.

 

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

 

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droit à l’assistance d’un avocat — Interrogatoire sous garde — Présence de l’avocat — Nouvelle possibilité de consulter l’avocat — Non‑disponibilité de l’avocat choisi par l’accusé — Consultation par l’accusé de l’avocat de garde au lieu de l’avocat de son choix — Ni l’un ni l’autre des avocats n’étaient présents pendant l’interrogatoire de la police — Demandes répétées de l’accusé de consulter de nouveau un avocat — Déclarations incriminantes faites pendant l’interrogatoire — Y a‑t‑il eu violation du droit de l’accusé à l’assistance d’un avocat? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 10b) .

 

M a été arrêté pour huit agressions commises contre cinq femmes au cours des deux mois précédant son arrestation.  Une fois informé des motifs de son arrestation et de son droit à l’assistance d’un avocat, il a dit vouloir parler à un avocat.  Après que la police eut tenté en vain de joindre l’avocat de son choix, M a accepté la suggestion de la police de communiquer avec l’aide juridique et il a parlé brièvement avec l’avocat de garde.  Au cours de l’interrogatoire de police qui a suivi, il a répété plusieurs fois qu’il voulait parler à un avocat et avoir un avocat présent.  Ses demandes ont été refusées.  Finalement, M a fait des déclarations incriminantes.  Le tribunal de première instance et la Cour d’appel ont rejeté ses objections fondées sur la Charte  quant à l’admissibilité des déclarations.

 


Arrêt (les juges LeBel, Fish et Abella sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté.

 

La juge en chef McLachlin et les juges Deschamps, Charron, Rothstein et Cromwell : Pour les motifs exposés dans le pourvoi connexe R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310, l’al. 10 b )  de la Charte  n’exige pas la présence, sur demande, de l’avocat de la défense lors d’un interrogatoire sous garde.  De plus, le fait de ne pas accorder à M la possibilité de consulter l’avocat de son choix avant l’interrogatoire ou le refus d’accéder à ses demandes de consultation supplémentaire au cours de l’interrogatoire n’a entraîné aucune violation de l’al. 10b).  Bien que M ait indiqué qu’il préférait parler à un avocat en particulier, c’est à bon droit que la police lui a demandé s’il voulait communiquer avec l’avocat de garde lorsque l’avocat de son choix n’était pas immédiatement disponible.  M a accepté, a exercé son droit à l’assistance d’un avocat avant l’interrogatoire et s’est dit satisfait de la consultation.  Il a aussi indiqué, au début de l’interrogatoire, qu’il était au courant de ses droits.  Dans les circonstances, la police n’était plus tenue de suspendre l’interrogatoire jusqu’à ce que l’avocat choisi par M soit disponible.  Par conséquent, il n’y a pas eu violation de l’al. 10b) avant l’interrogatoire.

 


Il n’y a pas eu non plus de violation lorsque la police a continué l’interrogatoire malgré la déclaration de M qu’il ne voulait pas discuter des événements en question avant d’avoir consulté son avocat.  Comme il est expliqué dans Sinclair, la police peut accorder au détenu plusieurs possibilités de consulter un avocat.  Elle n’est toutefois tenue par la Constitution de le faire que si des changements au cours de l’interrogatoire font qu’il est nécessaire de les accorder pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) de fournir au détenu des conseils juridiques sur son droit de choisir de coopérer ou non à l’enquête policière.  Il n’y a pas eu, au cours de l’interrogatoire, de changement de circonstances objectivement discernable qui aurait donné à M le droit de consulter de nouveau un avocat.  Lorsque la police l’a pressé de donner sa version des événements, M a souligné l’absence de son avocat, exprimant son sentiment d’être vulnérable sans être représenté par un avocat et son ignorance du droit, et il a répété qu’il ne parlerait pas en l’absence de son avocat.  Le fait que M a déclaré qu’il se sentait vulnérable et qu’il ignorait tout du droit, considéré isolément, pourrait sans doute indiquer qu’il était peut‑être désorienté quant à ses choix et son droit de garder le silence.  Toutefois, il ressort clairement de l’examen de l’ensemble des circonstances que M comprenait qu’il avait le droit de garder le silence.  La police a confirmé à maintes reprises qu’il appartenait à M de choisir de parler ou de se taire.  D’après les interjections de M au cours de l’interrogatoire, il est manifeste qu’il comprenait ce qu’on lui disait.  De plus, lorsqu’il a apprécié le caractère volontaire des déclarations, le juge du procès a correctement pris en compte toute répercussion que pourrait avoir sur M le refus de la police de faciliter d’autres contacts avec un avocat.  Il n’existe aucune raison d’intervenir dans la conclusion du juge du procès que les déclarations étaient volontaires ou dans sa décision de rejeter la demande fondée sur la Charte .

 


Le juge Binnie : M n’a pas été privé de l’exercice de son droit à l’assistance d’un avocat garanti par l’al. 10b).  Pour les motifs exposés dans une dissidence dans l’arrêt connexe Sinclair, le détenu a droit à une ou plusieurs autres possibilités de recevoir des conseils d’un avocat au cours d’un interrogatoire sous garde si sa demande cadre avec l’objet du droit garanti par l’al. 10b) (c.‑à‑d. satisfaire à un besoin d’assistance juridique et non retarder la pression policière ou s’y soustraire temporairement), et une telle demande est raisonnablement justifiée par les circonstances objectives qui étaient apparentes ou auraient dû l’être pour la police lors de l’interrogatoire.  M remplit le premier volet du test, mais pas le second.  Rien dans la transcription de l’interrogatoire n’indique que M ait tenté de revendiquer son droit prévu par l’al. 10b) à d’autres fins que celle d’obtenir une assistance juridique utile.  Par contre, rien dans la transcription ne donne à penser que ses demandes étaient raisonnablement justifiées par les circonstances objectives.  M n’est pas en mesure de désigner un moment auquel ou une question relativement à laquelle une autre consultation pouvait être considérée comme raisonnablement justifiée.  Ses déclarations incriminantes sont survenues lorsque le policier lui a montré une photographie d’une des victimes et lui a rapporté en partie la version de cette dernière.  Le tournant, lorsqu’il est arrivé, a semblé se produire tout naturellement.  Rien dans l’échange qui a suivi ou ailleurs dans la transcription ne donne à penser que M s’est vu refuser à tort son droit à l’assistance d’un avocat.

 


Les juges LeBel, Fish et Abella (dissidents) : Puisque les détenus n’ont aucune obligation juridique de collaborer avec les enquêteurs pendant leur interrogatoire, on ne peut guère affirmer qu’ils contrecarrent, sans droit, les tentatives persistantes de la part de la police de les empêcher d’exercer leur droit constitutionnel à l’assistance d’un avocat.  En outre, le droit de consulter un avocat ne dépend pas de la conclusion étroite et restrictive d’un enquêteur de la police qu’il existe un changement manifeste ou important du risque.  Une interprétation téléologique de l’al. 10b) doit donner plus de poids au rôle de l’avocat — dans notre système de justice en général et dans le contexte particulier des interrogatoires sous garde.  C’est la restriction du droit à l’assistance d’un avocat, et non l’exercice de ce droit, qui doit être justifiée sur le plan constitutionnel.  Enfin, qualifier d’« entretien à des fins d’enquête » l’interrogatoire mené avec acharnement d’un suspect détenu ne change pas sa véritable nature et son seul but.  Un interrogatoire mené avec acharnement correspond à une tentative des policiers qui détiennent l’entier contrôle physique du détenu d’obtenir une déclaration incriminante de ce dernier en ignorant systématiquement sa volonté expresse et son intention déclarée de ne pas leur parler.  La police ne peut empêcher un détenu de consulter un avocat et, tout en poursuivant son interrogatoire, priver d’effet la revendication par le détenu de son droit de garder le silence.

 

En l’espèce, M a demandé, au cours d’un très long interrogatoire, à consulter un avocat, mais cela lui a été refusé.  La transcription de l’interrogatoire démontre, à l’évidence, que, dès le départ et jusqu’au moment où il passe aux aveux, M a clairement exprimé son désir non seulement de parler avec un avocat, mais aussi de se faire expliquer par celui‑ci la situation et les accusations.  Durant tout son interrogatoire, il a demandé à plusieurs reprises qu’on le laisse parler à son avocat, qu’on mette un terme à l’interrogatoire et qu’on le ramène à sa cellule.  Ces demandes ont été systématiquement rejetées par un enquêteur de la police déterminé à arracher des aveux, malgré le recours sans équivoque et répété de M à son droit de garder le silence.  La police a de ce fait violé les droits garantis à celui‑ci par l’al. 10 b )  de la Charte .  Comme la conduite attentatoire du policier était grave et a eu une incidence sérieuse sur les droits garantis à M par la Charte , les déclarations obtenues doivent être écartées conformément au par. 24(2).  La tenue d’un nouveau procès s’impose donc.

 

Jurisprudence

 

Citée par la juge en chef McLachlin et la juge Charron

 


Arrêts appliqués : R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310; R. c. Willier, 2010 CSC 37, [2010] 2 R.C.S. 429; arrêts mentionnés : R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3; R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138; R. c. Brydges, [1990] 1 R.C.S. 190.

 

Citée par le juge Binnie

 

Arrêt appliqué : R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310.

 

 

Citée par les juges LeBel et Fish (dissidents)

 

R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310; R. c. Willier, 2010 CSC 37, [2010] 2 R.C.S. 429; R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353; R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494.

 

Lois et règlements cités

 

Charte canadienne des droits et libertés , art. 7 , 10 b ) , 24(2) .

 

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Huddart, Frankel et Neilson), 2008 BCCA 487, 262 B.C.A.C. 193, 441 W.A.C. 193, [2008] B.C.J. No. 2567 (QL), 2008 CarswellBC 2813, qui a confirmé une décision du juge Wingham, 2006 CarswellBC 3754.  Pourvoi rejeté, les juges LeBel, Fish et Abella sont dissidents.


Gil D. McKinnon, c.r., et Christopher J. Nowlin, pour l’appelant.

 

Mary T. Ainslie, pour l’intimée.

 

David Schermbrucker et Christopher Mainella, pour l’intervenant le Directeur des poursuites pénales du Canada.

 

Warren B. Milman et Michael A. Feder, pour l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique.

 

Jonathan C. Lisus, Alexi N. Wood et Adam Ship, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

 

P. Andras Schreck et Candice Suter, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario.

 

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Deschamps, Charron, Rothstein et Cromwell rendu par

 

La Juge en chef et la juge Charron

 


I.       Aperçu

 

[1]     Le présent pourvoi, ainsi que les pourvois connexes, R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310, et R. c. Willier, 2010 CSC 37, [2010] 2 R.C.S. 429, précisent la nature et les limites du droit à l’assistance d’un avocat garanti par l’al. 10 b )  de la Charte canadienne des droits et libertés .  M. McCrimmon a été arrêté pour huit agressions commises contre cinq femmes au cours des deux mois précédant son arrestation.  Une fois informé des motifs de son arrestation et de son droit à l’assistance d’un avocat, il a dit vouloir parler à un avocat.  Après que la police eut tenté en vain de joindre l’avocat de son choix, il a accepté de communiquer avec l’aide juridique et a parlé à l’avocat de garde pendant environ cinq minutes.  Au cours de l’interrogatoire de police qui a suivi, il a répété plusieurs fois qu’il voulait parler à un avocat et avoir un avocat présent. Ses demandes ont été refusées.  Finalement, il a fait des déclarations incriminantes.  Le tribunal de première instance et la Cour d’appel ont rejeté ses objections fondées sur la common law et la Charte  quant à l’admissibilité des déclarations.

 

[2]     M. McCrimmon plaide maintenant devant la Cour que la police a porté atteinte de trois façons aux droits que lui garantit l’al. 10b) : en ne suspendant pas l’entretien sous garde jusqu’à ce qu’il ait consulté l’avocat de son choix, en lui niant le droit d’avoir un avocat présent à l’entretien et en refusant à plusieurs reprises d’accéder à sa demande de consultation supplémentaire avec un avocat au cours de l’interrogatoire.  Il ne se pourvoit pas contre la décision sur le caractère volontaire, mais il invite la Cour à statuer que le juge du procès, en ne reconnaissant pas qu’il y a eu violation de l’al. 10b), a miné sa conclusion que ses déclarations étaient volontaires.


 

[3]     Pour les motifs exposés dans Sinclair, nous rejetons l’argument de M. McCrimmon selon lequel l’al. 10b) exige la présence, sur demande, de l’avocat de la défense lors d’un interrogatoire sous garde.  De plus, nous convenons avec les tribunaux d’instance inférieure que le fait de ne pas lui accorder la possibilité de consulter l’avocat de son choix avant l’interrogatoire ou le refus d’accéder à ses demandes de consultation supplémentaire au cours de l’interrogatoire ne constituait pas une violation de l’al. 10b).  Comme nous l’avons expliqué dans Sinclair, la police peut accorder au détenu plusieurs possibilités de consulter un avocat.  Elle n’est toutefois tenue par la Constitution de le faire que si des changements au cours de l’interrogatoire font qu’il est nécessaire de les accorder pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) de fournir au détenu des conseils juridiques sur son droit de choisir de coopérer ou non à l’enquête policière.  En l’absence de tels changements, il vaut mieux continuer d’examiner selon la règle des confessions les allégations d’incapacité ou d’intimidation subjectives.

 

[4]     En l’espèce, il n’y a pas eu de changement de circonstances qui aurait donné droit à une nouvelle consultation avec l’avocat.  De plus, lorsqu’il a apprécié le caractère volontaire des déclarations, le juge du procès a correctement pris en compte toute répercussion que pourrait avoir sur M. McCrimmon le refus de la police de faciliter d’autres contacts avec un avocat.  Nous ne voyons aucune raison d’intervenir dans la conclusion du juge du procès que les déclarations étaient volontaires ou dans sa décision de rejeter la demande fondée sur la Charte .

 

[5]     Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.

 


II.      Les faits

 

[6]     Le samedi 3 décembre 2005, M. McCrimmon a été arrêté chez lui par la GRC pour huit agressions commises contre cinq femmes au cours des quelques mois précédant son arrestation.  Il les aurait fait monter dans sa voiture au centre‑ville de Chilliwack, en Colombie‑Britannique, puis les aurait agressées après les avoir conduites dans un endroit isolé.  Deux des plaignantes ont allégué qu’il les avait droguées avec ce qui s’est avéré être du chloroforme.  Il a été accusé notamment de voies de fait, d’agression sexuelle, de voies de fait causant des lésions corporelles, de séquestration et d’administration d’une substance délétère dans l’intention de causer des lésions corporelles.

 


[7]     Dès le départ, l’agente Laurel Mathew a informé M. McCrimmon des motifs de son arrestation, de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat et de son droit de garder le silence.  Elle lui a dit qu’il pouvait appeler l’avocat de son choix et qu’il avait le droit de communiquer avec un avocat de l’aide juridique par l’entremise du service téléphonique disponible 24 heures sur 24 à cette fin.  M. McCrimmon a déclaré vouloir parler à un avocat.  L’agente Mathew l’a amené au détachement de la GRC à Chilliwack, où il a fourni le nom d’un avocat de Vancouver, John Cheevers, à qui il voulait parler.  L’agente Mathew a appelé Me Cheevers à son bureau, mais elle n’a pas pu le joindre et lui a laissé un message sur le répondeur.  Elle n’a pas essayé de trouver son numéro de téléphone à la maison; M. McCrimmon ne lui a pas non plus demandé de le faire.  Voici ce qu’il a dit à l’agente Mathew : [traduction] « Je ne sais pas s’il va rappeler. [. . .] Comme je l’ai déjà dit, j’ai fait appel à lui une seule fois [. . .] Je ne connais personne d’autre.  Je n’ai jamais vraiment eu affaire à des avocats auparavant. »  L’agente Mathew lui a demandé s’il voulait appeler un avocat de l’aide juridique, ce à quoi il a répondu : [traduction] « Bien, oui, c’est sûr, mais je préférerais M. Cheevers. »  Il a ensuite parlé en privé à l’avocat de garde pendant environ cinq minutes.  À la fin de la conversation, il a confirmé qu’il était satisfait de la consultation et qu’il avait compris les conseils de l’avocat de garde.

 

[8]     À 17 h 15, le sergent Allan Proulx, un spécialiste des interrogatoires, a amené M. McCrimmon dans une salle d’entretien équipé d’un système d’enregistrement audio et vidéo et il a parlé avec lui pendant environ trois heures et vingt minutes.  Dès le début de l’entretien, M. McCrimmon a confirmé avoir parlé avec un avocat de l’aide juridique, révélant le conseil reçu selon lequel il n’était pas tenu de dire quoi que ce soit à la police.  Le sergent Proulx lui a confirmé qu’il avait le droit de garder le silence, l’a averti que tout ce qu’il dirait pourrait être retenu contre lui, puis a commencé l’entretien à des fins d’enquête.

 


[9]     Lorsque le sergent Proulx a abordé les événements faisant l’objet de l’enquête, M. McCrimmon a déclaré ne pas vouloir en discuter avant d’avoir parlé à son avocat (d.a., vol. III, p. 37), tout en ajoutant qu’il ne voyait pas d’objection à parler avec le sergent (d.a., vol. III, p. 39).  Ce dernier a indiqué à M. McCrimmon qu’en fin de compte c’était à lui de décider s’il voulait parler ou se taire, mais qu’il ne pouvait avoir son avocat présent dans la salle d’entretien.  Au bout de dix minutes, après que le sergent Proulx lui eut expliqué la nature incriminante d’une preuve génétique potentielle, M. McCrimmon a redemandé à parler à son avocat.  Le sergent Proulx a refusé de donner suite à sa demande, déclarant comprendre que M. McCrimmon avait déjà exercé son droit à l’assistance d’un avocat en parlant à un avocat de garde et qu’il s’était dit satisfait des conseils reçus.  M. McCrimmon n’a pas contesté ces faits, mais a demandé qu’on le ramène dans sa cellule, indiquant qu’il n’allait pas répondre à d’autres questions.  Le sergent Proulx lui a dit qu’il n’était pas obligé de répondre aux questions, mais que c’était son travail en tant que policier de lui fournir les faits (d.a., vol. III, p. 46).

 

[10] Le sergent Proulx a encore tenté de convaincre M. McCrimmon de lui parler des événements faisant l’objet de l’enquête, entrecoupant ses propos de remarques sur ce que la police savait des événements et mentionnant des déclarations de témoins.  Devant l’insistance du sergent pour connaître sa version des faits, M. McCrimmon a souligné l’absence de son avocat, son sentiment d’être [traduction] « vulnérable sans être représenté par un avocat » et son ignorance « des choses juridiques » (d.a., vol. III, p. 51).  M. McCrimmon a réaffirmé qu’il ne parlerait pas en l’absence de son avocat, déclarant : [traduction] « vous finirez par entendre ce que j’ai à dire, avec mon avocat », et a ajouté « je suis catégorique sur ce point » (d.a., vol. III, p. 53 et 55).  Le sergent Proulx a confirmé que M. McCrimmon avait le droit d’exercer son droit au silence et qu’il n’avait pas besoin de [traduction] « le répéter sans cesse [. . .] pour l’exercer » (p. 55).

 


[11] Le sergent Proulx s’est alors livré à de longs monologues destinés, de toute évidence, à établir de bons rapports avec M. McCrimmon et à lui soutirer des renseignements.  Revenant ensuite sur les infractions reprochées, il a relaté d’autres détails connus de la police, incitant M. McCrimmon à commencer à donner sa version des événements.  Lorsque le sergent Proulx lui a montré des photographies des femmes agressées (d.a., vol. III, p. 87), M. McCrimmon a dit avoir envie de vomir et a été amené aux toilettes, où il a vomi.  À ce moment-là, deux heures après le début de l’entretien, M. McCrimmon a commencé à admettre qu’il était impliqué dans les crimes faisant l’objet de l’enquête, après que le sergent Proulx lui a montré des photographies prises avec la caméra de surveillance d’un magasin.  Il a par la suite fait une série de déclarations l’incriminant dans ces crimes.  L’entretien s’est terminé vers 20 h 24 et M. McCrimmon a été reconduit à sa cellule.

 

III.    L’historique judiciaire

 

[12] Lors d’un voir‑dire préalable au procès, tenu devant la Cour provinciale de la Colombie‑Britannique, M. McCrimmon a soutenu que ses déclarations n’étaient pas volontaires et qu’elles étaient donc inadmissibles.  Il a subsidiairement sollicité leur exclusion en vertu du par. 24(2), invoquant l’atteinte aux droits qui lui sont garantis par l’art. 7 et l’al. 10 b )  de la Charte .  Il n’a présenté aucune preuve au voir‑dire.

 


[13] Le juge du procès a rejeté ces arguments et admis les déclarations en preuve (2006 CarswellBC 3756).  Il a estimé que la police n’avait pas abusé de ses techniques d’interrogatoire avec M. McCrimmon, n’ayant ni contrevenu à la règle des confessions ou porté atteinte à son droit au silence conféré par l’art. 7  de la Charte .  En particulier, il a rejeté la thèse selon laquelle les questions auxquelles M. McCrimmon était soumis équivalaient à un interrogatoire serré qui, combiné au fait que ses nombreuses demandes de parler à un avocat ont été ignorées, engendrait une atmosphère d’oppression.  Au contraire, [traduction] « la preuve indique que M. McCrimmon a été traité avec respect depuis son arrestation jusqu’à la fin de son entretien avec le sergent Proulx » (par. 28).  Le juge a donc statué que les déclarations étaient volontaires.  Il a en outre conclu que les droits garantis à M. McCrimmon par l’al. 10 b )  de la Charte  ont été respectés lorsqu’il a consulté l’avocat de l’aide juridique.  Il a rejeté la thèse que le refus d’accorder une autre possibilité de consulter un avocat contrevient à l’al. 10b) ou à l’art. 7, car selon la preuve M. McCrimmon a parfaitement compris ses droits.

 

[14] En fin de compte, au procès, M. McCrimmon a plaidé coupable à deux des huit chefs et a été reconnu coupable de deux autres chefs d’accusation d’agression sexuelle et de deux chefs d’accusation connexes d’administration d’une substance délétère (2006 CarswellBC 3754).

 

[15] M. McCrimmon a porté en appel devant la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique la conclusion du juge du procès sur le caractère volontaire et sa décision fondée sur la Charte .  Dans un jugement unanime, le juge Frankel a confirmé le caractère volontaire des déclarations de M. McCrimmon et, tout comme le juge du procès, a estimé que l’allégation de violation de l’art. 7 ne pouvait donc être retenue (2008 BCCA 487, 262 B.C.A.C. 193).  Il a aussi rejeté l’argument que le juge du procès a commis une erreur en écartant l’allégation de violation de l’al. 10b), concluant que M. McCrimmon n’avait pas le droit de parler à l’avocat de son choix avant d’être questionné par le sergent Proulx parce qu’il avait déjà exercé son droit à l’assistance d’un avocat en parlant à un avocat de l’aide juridique et qu’il s’était déclaré satisfait des conseils reçus.  Le juge Frankel a en outre rejeté la prétention de M. McCrimmon selon laquelle l’al. 10b) exige de la police qu’elle s’abstienne de lui poser des questions après qu’il a demandé à parler de nouveau à un avocat, statuant que l’al. 10b) ne conférait pas un tel droit.

 


IV.    Analyse

 

[16] Comme nous l’avons mentionné dès le départ, nous rejetons pour les motifs exposés dans Sinclair l’argument de M. McCrimmon selon lequel l’al. 10b) exige la présence, sur demande, de l’avocat de la défense lors d’un interrogatoire sous garde.  Il reste à trancher les questions suivantes :

 

(1)               La police a‑t‑elle porté atteinte aux droits de M. McCrimmon en ne suspendant pas l’entretien jusqu’à ce qu’il ait la possibilité de consulter l’avocat de son choix, M. Cheevers?

 

(2)               Subsidiairement, la police a‑t‑elle porté atteinte aux droits garantis par l’al. 10 b )  de la Charte  à M. McCrimmon en refusant d’accéder à ses demandes répétées de consulter de nouveau un avocat?  Dans l’affirmative, le fait pour le juge du procès de ne pas reconnaître qu’il y a eu violation de l’al. 10b) mine-t-il sa conclusion que les déclarations sont volontaires selon la règle des confessions?

 

A.     La police a‑t‑elle violé l’al. 10b)  de la Charte  en privant M. McCrimmon de son droit à l’assistance de l’avocat de son choix?

 


[17]                     Comme il a été expliqué dans Willier, le droit à l’assistance de l’avocat de son choix est un aspect de la garantie de l’al. 10 b )  de la Charte .  Lorsque le détenu choisit d’exercer le droit à l’assistance d’un avocat en parlant à un avocat en particulier, l’al. 10b) lui assure une possibilité raisonnable de communiquer avec l’avocat de son choix.  Si l’avocat choisi n’est pas immédiatement disponible, le détenu a le droit de refuser de communiquer avec un autre avocat et d’attendre un délai raisonnable pour que l’avocat de son choix soit disponible.  Dans la mesure où le détenu fait preuve d’une diligence raisonnable dans l’exercice de ces droits, la police a l’obligation de suspendre les questions ou toute tentative de soutirer des éléments de preuve du détenu, jusqu’à ce qu’il ait la possibilité de consulter l’avocat de son choix.  Si l’avocat choisi ne peut être disponible dans un délai raisonnable, le détenu est censé exercer son droit à l’assistance d’un avocat en communiquant avec un autre avocat, sinon l’obligation qui incombe à la police d’interrompre l’entretien est suspendue : R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3; R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138.

 

[18]                     Ce qui constitue un délai raisonnable dépend de l’ensemble des circonstances, notamment de facteurs comme la gravité de l’accusation et l’urgence de l’enquête. Il faut aussi tenir compte de l’objet de la garantie.  Le droit à l’assistance d’un avocat en cas d’arrestation ou de détention vise à ce que les détenus puissent bénéficier immédiatement de conseils juridiques sur les droits et obligations que leur reconnaît la loi, en particulier le droit de garder le silence.  Comme l’a si bien fait remarquer le juge Lamer (plus tard Juge en chef) dans R. c. Brydges, [1990] 1 R.C.S. 190, p. 206 :

 

Il n’arrive pas toujours qu’un accusé se soucie, dès qu’il est placé en détention, de retenir les services de l’avocat qui le représentera éventuellement à son procès, si procès il y a.  L’une des raisons majeures d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat après avoir été placé en détention tient plutôt à la protection du droit de ne pas s’incriminer.  C’est précisément la raison pour laquelle les policiers ont l’obligation de cesser de questionner la personne détenue jusqu’à ce qu’elle ait eu une possibilité raisonnable d’avoir recours à l’assistance d’un avocat.


C’est aussi en raison de ce besoin immédiat de consulter un avocat que les renseignements sur l’existence des régimes d’avocats de garde et d’aide juridique et sur la possibilité d’y recourir doivent faire partie de la mise en garde normalement donnée en application de l’al. 10b) lors de l’arrestation ou de la mise en détention (Brydges).  Quant à la personne détenue, qui a un besoin immédiat de conseils juridiques, elle doit faire preuve d’une diligence raisonnable en conséquence (Ross, p. 10‑11).

 

[19]                     En l’espèce, nous approuvons la décision des tribunaux d’instance inférieure de rejeter l’argument de M. McCrimmon selon lequel il a été privé de son droit à l’assistance de l’avocat de son choix d’une manière qui constitue une atteinte aux droits qui lui sont garantis par l’al. 10b).  Certes, M. McCrimmon a indiqué qu’il préférait parler à Me Cheevers, mais c’est à bon droit que la police lui a demandé s’il voulait communiquer avec l’aide juridique lorsque Me Cheevers n’était pas immédiatement disponible.  M. McCrimmon a accepté, a exercé son droit à l’assistance d’un avocat avant l’entretien et s’est dit satisfait de la consultation.  Il a aussi indiqué, au début de l’entretien, qu’il était au courant de ses droits.  Dans les circonstances, la police n’était plus tenue de suspendre l’interrogatoire jusqu’à ce que Me Cheevers soit disponible.

 

[20]                     Nous sommes donc d’avis de répondre par la négative à la première question et nous concluons à l’absence d’atteinte aux droits de M. McCrimmon en ce qui concerne le choix de son avocat.

 


B.      La police a‑t‑elle contrevenu à l’al. 10b)  de la Charte  en refusant d’accéder aux demandes répétées de M. McCrimmon de consulter de nouveau un avocat?

 

[21]                     Dans Sinclair, nous avons expliqué que la règle de l’occasion unique de consulter un avocat ne permet pas dans tous les cas de réaliser l’objet de l’al. 10b).  Une interprétation téléologique, fondée sur des principes, du droit à l’assistance d’un avocat garanti par l’al. 10b) suppose que les détenus doivent pouvoir parler de nouveau à un avocat au cours d’un interrogatoire sous garde si, « par suite d’un changement de circonstances, cette mesure est nécessaire pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) de la Charte de fournir au détenu des conseils juridiques quant à son choix de coopérer ou non à l’enquête policière » (Sinclair, par. 53).  Bien que nous ayons indiqué dans Sinclair que les catégories de situations où un changement de circonstances donnerait au détenu le droit de consulter de nouveau un avocat ne sont pas limitatives, nous avons dégagé trois situations actuellement reconnues où l’al. 10b) exige que le détenu ait de nouveau le droit de consulter un avocat : nouvelles procédures concernant le détenu, changement du risque couru par le détenu et raison de croire que les premiers renseignements fournis sont insuffisants.  Il s’agit alors de se demander si, en l’espèce, il y a eu un changement de circonstances de cette nature qui fait qu’il était nécessaire  d’accorder à M. McCrimmon une autre possibilité de consulter un avocat pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b).

 


[22]                       Comme nous l’avons déjà mentionné au sujet du droit à l’assistance de l’avocat de son choix, il n’y a pas eu violation de l’al. 10b) avant l’entretien.  Nous estimons aussi qu’il n’y a pas eu de violation lorsque le sergent Proulx a continué à parler à M. McCrimmon malgré la déclaration de celui‑ci, dès que la discussion s’est engagée sur les événements en question, qu’il ne voulait pas en discuter avant d’avoir consulté son avocat (d.a., vol. III, p. 37).  C’est alors que le sergent Proulx a confirmé avec M. McCrimmon qu’il avait bien compris qu’il lui revenait de décider s’il voulait parler ou non, mais que lui‑même avait beaucoup de renseignements à fournir et qu’il voulait mieux le connaître (d.a., vol. III, p. 39).  Environ dix minutes plus tard, M. McCrimmon a déclaré qu’il voulait parler à un avocat, a indiqué qu’il ne répondrait pas à d’autres questions avant d’avoir parlé à son avocat et a demandé qu’on le ramène dans sa cellule (d.a., vol. III, p. 46).  Le sergent Proulx lui a expliqué que sa tâche était de mieux le comprendre et de le mettre au courant des faits.  Ensuite, l’échange s’est pour ainsi dire transformé en un long monologue, où le sergent Proulx a continué à parler de l’enquête policière relative aux événements et a tenté d’établir de bons rapports avec M. McCrimmon dans le but de l’amener à donner sa version des faits.  Au cours de cette partie de l’entretien, il n’y a pas eu de changement de circonstances objectivement discernable qui donnerait à M. McCrimmon le droit de consulter de nouveau un avocat.

 


[23]                       Le sergent Proulx s’est alors mis à révéler progressivement à M. McCrimmon les éléments de preuve accumulés contre lui.  Comme nous l’avons déjà mentionné, lorsque la police l’a pressé de donner sa version des événements, M. McCrimmon a souligné l’absence de son avocat, exprimant son sentiment d’être vulnérable sans être représenté par un avocat et son ignorance des [traduction] « choses juridiques », et il a répété qu’il ne parlerait pas en l’absence de son avocat (d.a., vol. III, p. 51‑55).  Comme nous l’avons indiqué dans Sinclair, la révélation graduelle au détenu d’éléments de preuve l’incriminant ne fait pas renaître, à elle seule, le droit de consulter un avocat prévu à l’al. 10b).  Toutefois, si les faits nouveaux qui surgissent au cours de l’enquête tendent à indiquer que le détenu est peut-être désorienté quant à ses choix et son droit de garder le silence, c’est une situation qui peut donner le droit de consulter de nouveau un avocat selon l’al. 10b).

 

[24]                       Le fait que M. McCrimmon a déclaré qu’il se sentait vulnérable et qu’il ignorait tout du droit, considéré isolément, pourrait sans doute indiquer une telle désorientation.  Toutefois, il ressort clairement de l’examen de l’ensemble des circonstances que M. McCrimmon comprenait qu’il avait le droit de garder le silence.  Le sergent Proulx a confirmé à maintes reprises qu’il appartenait à M. McCrimmon de choisir de parler ou de se taire.  D’après les interjections de M. McCrimmon au cours de l’entretien, il est manifeste qu’il comprenait ce qu’on lui disait.  Comme l’a affirmé le juge du procès à l’occasion du voir-dire, [traduction] « [i]l discernait clairement les questions qui pourraient le mettre en péril et a indiqué qu’il ne désirait pas répondre à ces questions » (par. 46).

 

[25]                       Nous concluons qu’il n’y a pas eu de changement de circonstances au cours de l’interrogatoire qui nécessiterait une nouvelle consultation avec un avocat.

 


[26]                       Par conséquent, nous rejetons l’autre argument de M. McCrimmon selon lequel le fait que le juge du procès n’a pas reconnu qu’il y a eu atteinte au droit à l’assistance d’un avocat a miné sa conclusion que la déclaration était volontaire.  Il importe d’ajouter, toutefois, comme nous l’avons noté dans Sinclair, que la poursuite d’un entretien alors que le détenu a déclaré à maintes reprises qu’il désirait mettre un terme à l’entretien et parler à un avocat peut soulever un doute raisonnable quant au caractère volontaire de toute déclaration faite ultérieurement.  Cependant, il ressort clairement de ses motifs que le juge du procès a pris en compte tous les facteurs pertinents avant de conclure au caractère volontaire des déclarations, notamment toute répercussion subjective que pourrait avoir sur M. McCrimmon le refus d’accéder à ses demandes de pouvoir parler à un avocat.  Par conséquent, nous ne voyons aucune raison d’intervenir dans la conclusion du juge du procès à propos du caractère volontaire.

 

V.     Dispositif

 

[27]                       Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer les déclarations de culpabilité prononcées contre M. McCrimmon.

 

Version française des motifs rendus par

 

[28]                       Le juge Binnie Je suis d’accord avec la Juge en chef et la juge Charron pour conclure qu’il y a lieu de rejeter le présent pourvoi.  Il ressort des faits que l’appelant n’a pas été privé de l’exercice de son droit à l’assistance d’un avocat garanti par l’al. 10 b )  de la Charte canadienne des droits et libertés .

 


[29]                       J’arrive à cette conclusion par une voie quelque peu différente.  Selon moi, le droit garanti à M. McCrimmon par l’al. 10b) ne s’est pas trouvé épuisé lorsqu’il a reçu les conseils « passe-partout » de l’avocat de garde de l’aide juridique, qui, selon M. McCrimmon, lui [traduction] « a simplement dit de ne rien dire » (d.a., vol. III, p. 11).  Pour les motifs exposés dans ma dissidence dans l’arrêt connexe R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310, à mon avis, le détenu a droit à une ou plusieurs autres possibilités de recevoir des conseils d’un avocat au cours d’un entretien sous garde si sa demande cadre avec l’objet du droit garanti par l’al. 10b) (c.-à-d. satisfaire à un besoin d’assistance juridique et non retarder la pression policière ou s’y soustraire temporairement), et une telle demande est raisonnablement justifiée par les circonstances objectives qui étaient apparentes, ou auraient dû l’être, pour la police lors de l’interrogatoire (Sinclair, par. 80).  M. McCrimmon remplit le premier volet du test, mais pas le second.

 

[30]                       Rien dans la transcription de l’interrogatoire n’indique que M. McCrimmon ait tenté de revendiquer son droit prévu par l’al. 10b) à d’autres fins que celle d’obtenir une assistance juridique utile.  Dans les 34 premières pages de l’entretien long de 115 pages, le policier a parlé de tout sauf des infractions, y compris ses propres problèmes conjugaux (réels ou inventés), sans doute pour établir une certaine relation de confiance avec le détenu.  C’est seulement à la page 34 que le policier, après avoir dit [traduction] « il y a toujours deux facettes à une même histoire », commence à parler des allégations concernant des travailleuses du sexe qui auraient été agressées.  À ce moment-là, M. McCrimmon dit : [traduction] « je veux parler à mon avocat » (d.a., vol. III, p. 37 (je souligne)), demande qu’il a réitérée quelques minutes plus tard.  J’estime comme mes collègues que la police, ayant attendu pendant un temps raisonnable et ayant déployé des efforts raisonnables pour communiquer avec l’avocat choisi par M. McCrimmon, n’était pas tenue d’attendre que celui-ci soit disponible.  M. McCrimmon s’était auparavant déclaré satisfait des conseils donnés par l’avocat de garde.  Ses nouvelles demandes ont cependant coïncidé avec le moment où on est entré dans le vif du sujet et il est tout à fait plausible qu’elles cadrent avec l’objet de l’al. 10b).

 


[31]                       Par contre, rien dans la transcription ne donne à penser que ses demandes étaient « raisonnablement justifiée[s] par les circonstances objectives » (Sinclair, par. 80).  Aux pages 35 et 37, M. McCrimmon dit qu’il veut avoir [traduction] « la possibilité d’avoir [son] avocat présent » et le policier lui répond qu’[traduction] « il y a une règle de droit qui dit que cela n’arrive pas ».  Suivent des questions générales sur ses relations avec les travailleuses du sexe.  M. McCrimmon déclare : [traduction] « Je n’ai rien à dire » à plusieurs reprises, comprenant parfaitement son droit au silence.  À la page 48, il réclame encore une fois la présence de son avocat, puis de nouveau à la p. 50, mais à la p. 52, le policier lui dit : [traduction] « tu n’as pas besoin de le répéter constamment » et l’entretien se poursuit pendant environ deux heures sans d’autres demandes de consultation avec un avocat.  Le fait que l’agent lui a demandé de ne pas « le répéter constamment » a pu contribuer à le dissuader de faire d’autres demandes, mais M. McCrimmon n’est en mesure de désigner nulle part dans le reste de l’interrogatoire un moment auquel ou une question relativement à laquelle une autre consultation pouvait être considérée comme « raisonnablement justifiée par les circonstances objectives qui étaient apparentes, ou auraient dû l’être, » pour le policier : Sinclair, par. 80.

 

[32]                       M. McCrimmon ne fait ses déclarations incriminantes initiales qu’à la p. 77, après que le policier a longuement bavardé avec lui au sujet de différentes races de chiens, de [traduction] « l’affaire Willy Pickton », du chômage, des deuxièmes mariages, de l’usage de stupéfiants, du vol à l’étalage, etc.  Les questions difficiles ayant été éludées, ce qui a pu mettre M. McCrimmon plus à l’aise, le tournant, lorsqu’il est arrivé, a semblé se produire tout naturellement.  Le policier a montré à M. McCrimmon une photographie d’une des victimes.  Il a ensuite rapporté en partie la version de cette victime, et l’échange suivant a eu lieu :


 

[traduction]

 

Policier :                   . . . elle nous raconte ça, elle te désigne du doigt, elle a pointé dans ta direction à partir de la voiture, bon, elle dit c’est le type qui m’a conduite à la rivière, elle décrit exactement l’endroit, et il m’a fait ça, il m’a fait ça, tu vois.  D’accord, donc . . .

 

McCrimmon :           C’est faux, c’est faux.

 

Policier :                   Bon, alors quelle est la vérité?

 

McCrimmon :           Elle m’a volé mon portefeuille.

 

Policier :                   D’accord, alors parle‑moi de ça, qu’est-ce qui s’est passé?  Elle te vole?

 

McCrimmon :           Elle essaye de me voler, je l’ai surprise en train de voler mon portefeuille.

 

Policier :                   Dans la voiture?

 

McCrimmon :           Dans la voiture.

 

Policier :                   Et comment tu l’as empêchée?

 

McCrimmon :           Je l’ai frappée. [d.a., vol. III, p. 80]

 

D’autres déclarations incriminantes suivent au long des 37 pages suivantes.

 

[33] Rien de tout cela ne donne à penser que M. McCrimmon s’est vu refuser l’accès raisonnable à un avocat au cours de l’interrogatoire.

 

[34] J’estime par conséquent, moi aussi, qu’il y a lieu de rejeter le pourvoi.

 


Version française des motifs des juges LeBel, Fish et Abella rendus par

 

Les juges LeBel et Fish (dissidents) —

 

I.       Aperçu

 

[35] Nous sommes en désaccord avec la Juge en chef et la juge Charron, qui estiment que les déclarations incriminantes faites par M. McCrimmon à la police n’ont pas été obtenues dans des conditions qui portent atteinte à son droit à l’assistance d’un avocat garanti par l’al. 10 b )  de la Charte canadienne des droits et libertés .  Au cours d’un très long interrogatoire, M. McCrimmon a demandé à consulter un avocat, mais cela lui a été refusé.  La police a ainsi violé ses droits garantis par l’al. 10 b )  de la Charte .  Nous estimons que les déclarations ainsi obtenues doivent être écartées conformément au par. 24(2) et que, de ce fait, un nouveau procès s’impose.

 

[36] À notre avis, l’interprétation du droit à l’assistance d’un avocat garanti par l’al. 10b) qui ressort des motifs de nos collègues ne prend en compte ni le texte de l’al. 10b) lui‑même, ni l’objectif général du droit à l’assistance effective d’un avocat prévu par la Charte .  Nous réitérons qu’une interprétation téléologique de l’al. 10b) doit donner plus de poids au rôle de l’avocat — dans notre système de justice en général et dans le contexte particulier des interrogatoires sous garde.  À ce chapitre, nous nous reposons sur les commentaires que nous avons émis dans R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310.

 


[37] Notre préoccupation particulière en l’espèce, comme dans les pourvois connexes Sinclair et R. c. Willier, 2010 CSC 37, [2010] 2 R.C.S. 429, porte sur la question de l’exercice effectif du droit à l’assistance d’un avocat par des détenus qui sont soumis à un interrogatoire mené avec acharnement et sans pause même après avoir invoqué clairement et à maintes reprises leur droit au silence ou leur droit à l’assistance d’un avocat.  Ces deux droits, ainsi que leur exercice effectif, font partie intégrante des protections que la Charte  accorde au détenu avant le procès.  Le droit à l’assistance d’un avocat revêt un caractère fondamental qui lui donne une portée nécessairement large.  S’il est vrai que le conseil de simplement garder le silence, donné au départ, peut suffire au début de l’interrogatoire, des conseils et une assistance plus poussés peuvent s’avérer nécessaires au fur et à mesure que l’interrogatoire progresse.

 

[38] Nous ne partageons pas l’opinion de nos collègues selon laquelle il est acceptable d’ignorer les demandes répétées de recourir à l’assistance d’un avocat que formule un détenu afin de faire respecter son droit au silence, au motif qu’un acquiescement à celles‑ci ferait indûment obstacle à la bonne marche de l’entretien à des fins d’enquête.  Le droit de consulter un avocat, selon nous, ne dépend pas de la conclusion étroite et restrictive d’un enquêteur de la police qu’il existe un changement manifeste ou important du risque.  Nous ne croyons pas non plus que la présence ou l’absence de l’un ou l’autre des facteurs décrits par notre collègue le juge Binnie constitue de façon similaire une telle condition préalable.

 


[39] C’est la restriction du droit à l’assistance d’un avocat, et non l’exercice de ce droit, qui doit être justifiée sur le plan constitutionnel.  Nous réitérons notre opposition à toute restriction du droit garanti par l’al. 10b) qui n’est pas justifiée sur le plan constitutionnel, c’est‑à‑dire toute restriction dont la nécessité n’a pas été établie par le ministère public ou qui dépendrait de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par l’enquêteur.

 

[40] De plus, un interrogatoire, sans égards à sa désignation, demeure un interrogatoire.  Qualifier d’« entretien à des fins d’enquête » l’interrogatoire mené avec acharnement d’un suspect détenu ne change pas sa véritable nature et son seul but.  Un  « entretien » est une conversation entre deux ou plusieurs participants consentants qui sont libres de quitter quand bon leur semble.  Par contre, un interrogatoire mené avec acharnement correspond à une tentative des policiers — qui détiennent alors l’entier contrôle physique du détenu — d’obtenir une déclaration incriminante en ignorant systématiquement sa volonté expresse et son intention déclarée de ne pas leur parler.  Ce procédé nous préoccupe en l’espèce, comme ce fut le cas dans Sinclair.

 

[41] La question décisive consiste à savoir si la police peut empêcher un détenu de consulter un avocat et, tout en poursuivant son interrogatoire, priver d’effet la revendication par le détenu de son droit de garder le silence.  Notre réponse catégorique à cette question demeure : « Non, elle ne peut pas. »

 

[42] Puisque les détenus n’ont aucune obligation juridique de collaborer avec les enquêteurs pendant leur interrogatoire, on ne peut guère affirmer qu’ils contrecarrent, sans droit, les tentatives persistantes de la part de la police de les empêcher d’exercer leur droit constitutionnel à l’assistance d’un avocat.  La police n’est pas investie, en vertu de la common law ou de la Constitution, d’un droit lui donnant un accès sans entraves à un détenu afin de l’interroger jusqu’à l’obtention d’aveux.


 

[43] Cette affaire démontre une fois de plus pourquoi le droit à l’assistance d’un avocat n’est pas épuisé dès son exercice initial.  Elle illustre aussi l’importance du rôle de l’avocat, même dans le cadre relativement étroit d’un interrogatoire.

 

[44] Ayant réitéré notre point de vue sur l’objet, la portée et le rôle de l’al. 10b), nous passons maintenant à l’application de ces principes aux faits du dossier de M. McCrimmon.

 

II.      Application

 

A.     La violation de l’al. 10b)

 

[45] Comme nous l’avons indiqué dans Sinclair, il nous paraît important d’examiner la chronologie des demandes répétées de M. McCrimmon de consulter son avocat et de ses affirmations successives de son droit de garder le silence.

 


[46] La police a arrêté M. McCrimmon à son domicile à 11 h 37 le 3 décembre 2005 et l’a amené au détachement de la GRC à Chilliwack.  On l’a gardé dans une cellule de détention provisoire pendant près de cinq heures avant de le conduire dans une salle pour l’y interroger. L’agente Laurel Mathew, qui l’avait arrêté, a témoigné au procès que M. McCrimmon avait voulu exercer son droit à l’assistance d’un avocat et avait à cette fin appelé un avocat de l’aide juridique.  À sa demande, un agent a essayé de joindre par téléphone un avocat de Vancouver que M. McCrimmon souhaitait consulter.  Cet avocat n’a pas rappelé.

 

[47] Le sergent Allan Proulx, membre de l’équipe chargée d’enquêter sur les crimes graves a mené l’interrogatoire de M. McCrimmon.  Il a commencé par les plaisanteries habituelles, pour tenter d’établir de bons rapports avec M. McCrimmon.  Ils ont parlé de la façon dont ils avaient été élevés, de leurs histoires de famille, ainsi que des antécédents professionnels de M. McCrimmon, de son désir de jouer au sein de la LCF et de son amitié avec un certain Marco.

 

[48] Au bout d’un certain temps, le sergent Proulx a indiqué qu’il voulait donner à M. McCrimmon l’occasion de [traduction] « donner [sa] version des faits » (d.a., vol. III, p. 28).  Notant que le problème tenait à une « absence d’explications » (d.a., vol. III, p. 52), le sergent Proulx a indiqué qu’il était dans l’intérêt de M. McCrimmon d’en fournir une (d.a., vol. III, p. 53) :

 

[traduction]

 

Proulx :              Ne laisse pas des gens s’exprimer à ta place, Russ, être ta voix, c’est ce qui, c’est ce qui est en train de se passer.  Tu laisses d’autres gens être ta voix . . .

 

McCrimmon :    C’est bien, parce que ma voix . . .

 

Proulx :              Tu sais que tu laisses ces gens . . .

 

McCrimmon :    Sera entendue à la fin, avec mon avocat.  C’est tout ce que j’ai à dire.

 

Proulx :              Je suis simplement, tu sais ce que . . .

 


McCrimmon :    Je sais, je sais ce que vous dites mais vous savez quoi, jusqu’à ce qu’un avocat me représente . . .

 

Proulx :              Oui, c’est important.

 

McCrimmon :    C’est dans mon intérêt parce que je, je, non, je, euh, je ne vais rien dire de plus.  Et je n’essaie pas d’être un trou du cul. [Je souligne.]

 

[49] Le sergent Proulx a présenté à M. McCrimmon les renseignements dont la police disposait au sujet de l’infraction.  Au début, M. McCrimmon réussissait parfaitement à repousser les questions de l’agent — répliquant tantôt par [traduction] « Je n’ai rien à dire », tantôt par « Je ne vais pas répondre à cette question » (d.a., vol. III, p. 41).

 

[50] Ces réponses n’ont cependant pas découragé le sergent Proulx.  Il a continué à recommander à M. McCrimmon d’expliquer [traduction] « pourquoi » ces infractions s’étaient produites (d.a., vol. III, p. 45).  Il a ensuite montré à M. McCrimmon des éléments matériels de preuve — surtout les traces d’ADN trouvées dans sa voiture — qui l’impliquaient directement dans les infractions faisant l’objet de l’enquête.  M. McCrimmon a alors immédiatement réitéré son désir de parler à un avocat (d.a., vol. III, p. 45) :

 

[traduction]

 

Proulx :              Tu ne sais pas pourquoi?

 

McCrimmon :    Non.

 

Proulx :              O.K.  Parce qu’elles [les traces d’ADN des victimes] n’ont jamais été là, ou?

 


McCrimmon :    Ah, je n’ai rien à dire à ce sujet.  Je, je veux vraiment parler à un avocat, s’il vous plaît.

 

Proulx :              O.K., eh bien, tu l’as déjà fait.

 

McCrimmon :    Ouais.

 

Proulx :              O.K., tu l’as déjà fait.

 

McCrimmon :    En fait, l’avocat de garde, je n’ai pas parlé à mon propre avocat.

 

M. McCrimmon a aussi réaffirmé sa décision d’exercer son droit au silence et a demandé qu’on le ramène à sa cellule.  En tout, M. McCrimmon a exprimé au moins six fois, pendant une discussion correspondant à plus de huit pages de transcription, son désir de consulter un avocat.  Aucune de ces six demandes n’a été prise en considération.

 

[51] Après une série de longs monologues du sergent Proulx, M. McCrimmon a commencé à céder (d.a., vol. III, p. 78).  Peu après, il s’est effondré complètement et est passé aux aveux.

 

[52] La transcription de l’interrogatoire démontre, à l’évidence, que, dès le départ et jusqu’au moment où il passe aux aveux, M. McCrimmon a clairement exprimé son désir non seulement de parler avec un avocat, mais aussi de se faire expliquer par celui‑ci la situation et les accusations (d.a., vol. III, p. 10) :

 

[traduction]

 

Proulx :              O.K. euh, et toi, on t’a remis un document aussi avec, avec tout ça?

 


McCrimmon :    Oui, et quand j’ai parlé à l’aide juridique on me l’a remis aussi, donc.

 

Proulx :              Oh, d’accord.  Bon, donc on t’a remis ce document et je, et je ne peux pas me rappeler comme ça les noms mais on va parler de ça aussi un peu, donc.  C’est pas que les noms soient très importants mais simplement pour que tu comprennes que tu, tu as été arrêté pour euh, pour plusieurs de ces voies de fait à l’endroit, à l’endroit, euh; de travailleuses du sexe, si on peut dire et euh, je pense qu’au moins une d’entre elles, euh, il y a voies de fait causant des lésions corporelles, donc c’est, euh, en quelque sorte une chose distincte, il y a voies de fait, et puis il y a voies de fait causant et il y a voies de fait graves, donc il y a divers degrés de euh, de voies de fait.

 

McCrimmon :    Je suis sûr que l’avocat va m’expliquer ça.

 

[53] Et plus tard (d.a., vol. III, p. 50) :

 

[traduction]

 

Proulx :              . . .  D’accord.  On a donc maintenant une version d’une personne qui, pour qui c’est M. UNTEL, elle ne te connaît pas, elle donne une description de toi, elle donne une description de ton véhicule et je crois que dans certains cas elle réussit exceptionnellement bien sur les deux plans.  Bien, donc c’est notre travail en tant que policiers de nous démerder, bon qu’est‑ce qui fait que cette personne est crédible, qu’est‑ce qui fait que sa version est véridique, c’est . . .

 

McCrimmon :    C’est là que mon avocat va entrer en jeu.

 

Proulx :              Oui, mais je te dis, c’est comme ça, c’est comme ça que ça marche, tu comprends?

 

McCrimmon :    Tout à fait.

 

Proulx :              O.K.

 

McCrimmon :    Mais euh, non je vais simplement, je vais laisser mon avocat s’occuper de ça . . .


[54] Ce type d’échanges s’est poursuivi au sujet de chaque nouvel élément de preuve incriminant que le sergent Proulx a présenté à M. McCrimmon.

 

[55] Durant tout son interrogatoire, M. McCrimmon a demandé à plusieurs reprises qu’on le laisse parler à son avocat, qu’on mette un terme à l’interrogatoire et qu’on le ramène à sa cellule.  Ces demandes ont été systématiquement rejetées par un enquêteur de la police déterminé à arracher des aveux, malgré le recours sans équivoque et répété de M. McCrimmon à son droit de garder le silence.

 

[56] Par conséquent, il y a eu atteinte au droit à l’assistance d’un avocat que  l’al. 10b) garantit à M. McCrimmon.  Nous passons donc à la question de la réparation appropriée.

 

B.     Exclusion de la déclaration en application du par. 24(2)

 

[57] Pour déterminer si l’utilisation d’éléments de preuve obtenus en violation de la Charte  est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, le tribunal doit prendre en compte trois facteurs :

 

(1)               la gravité de la conduite de l’État portant atteinte à la Charte ;

 

(2)               l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte ;

 

(3)               l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond.


Voir R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, et R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494.

 

[58] Notre analyse dans Sinclair s’applique également dans la présente affaire.  Nous estimons néanmoins nécessaire d’ajouter les observations suivantes.

 

[59] Le sergent Proulx s’est fondé sur sa compréhension du droit tel qu’il existait à l’époque.  Il agissait donc de bonne foi.  Mais, tout comme le policier qui a mené l’interrogatoire dans Sinclair, le sergent Proulx a agi comme s’il avait droit à la déclaration de M. McCrimmon — comme s’il avait le droit d’obtenir sa version des faits.  Le sergent Proulx n’a donc pas seulement refusé à M. McCrimmon l’exercice de son droit à l’assistance de son avocat.  Ce faisant, il a aussi refusé de façon explicite d’accepter et de respecter la volonté exprimée par M. McCrimmon d’exercer le droit au silence que lui garantit la Constitution.

 

[60] La conduite du policier, qui portait atteinte aux droits constitutionnels du détenu, était donc grave et elle a eu une incidence sérieuse sur les droits garantis à M. McCrimmon par la Charte .

 

[61] En conséquence, nous sommes d’avis d’écarter la déclaration de M. McCrimmon en application du par. 24(2)  de la Charte .

 


III.    Dispositif

 

[62] Pour ces motifs, et pour les motifs exposés dans Sinclair, il y aurait lieu d’accueillir le pourvoi et d’ordonner un nouveau procès.

 

Pourvoi rejeté, les juges LeBel, Fish et Abella sont dissidents.

 

Procureur de l’appelant : Gil D. McKinnon, Vancouver.

 

Procureur de l’intimée : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Vancouver.

 

Procureur de l’intervenant le Directeur des poursuites pénales du Canada : Service des poursuites pénales du Canada, Winnipeg.

 

Procureurs de l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique : McCarthy Tétrault, Vancouver.

 

Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : McCarthy Tétrault, Toronto.

 

Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario : Schreck & Greene, Toronto.


 

 

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