COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Alberta (Affaires autochtones et développement du Nord) c. Cunningham, 2011 CSC 37, [2011] 2 R.C.S. 670 |
Date : 20110721 Dossier : 33340 |
Entre :
Sa Majesté la Reine du chef de l’Alberta
(Ministre des Affaires autochtones et développement
du Nord) et Registraire, Metis Settlements Land Registry
Appelants
et
Barbara Cunningham, John Kenneth Cunningham,
Lawrent (Lawrence) Cunningham, Ralph Cunningham,
Lynn Noskey, Gordon Cunningham, Roger Cunningham,
Ray Stuart et Peavine Métis Settlement
Intimés
- et -
Procureur général de l’Ontario, procureur général du
Québec, procureur général de la Saskatchewan, East Prairie Métis Settlement,
Elizabeth Métis Settlement, Métis Nation of Alberta, Ralliement national
des Métis, Métis Settlements General Council, Aboriginal Legal Services
of Toronto Inc., Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes,
Association canadienne pour l’intégration communautaire, Gift Lake Métis
Settlement et Association des femmes autochtones du Canada
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell
Motifs de jugement : (par. 1 à 96) |
La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell) |
Alberta (Affaires autochtones et Développement du Nord) c. Cunningham, 2011 CSC 37, [2011] 2 R.C.S. 670
Sa Majesté la Reine du chef de l’Alberta
(Ministre des Affaires autochtones et Développement
du Nord) et Registraire, Metis Settlements Land Registry Appelants
c.
Barbara Cunningham, John Kenneth Cunningham,
Lawrent (Lawrence) Cunningham, Ralph Cunningham,
Lynn Noskey, Gordon Cunningham, Roger Cunningham,
Ray Stuart et Peavine Métis Settlement Intimés
et
Procureur général de l’Ontario, procureur général du
Québec, procureur général de la Saskatchewan, East
Prairie Métis Settlement, Elizabeth Métis Settlement,
Métis Nation of Alberta, Ralliement national des Métis,
Métis Settlements General Council, Aboriginal Legal
Services of Toronto Inc., Fonds d’action et d’éducation
juridiques pour les femmes, Association canadienne pour
l’intégration communautaire, Gift Lake Métis Settlement
et Association des femmes autochtones du Canada Intervenants
Répertorié : Alberta (Affaires autochtones et Développement du Nord) c. Cunningham
2011 CSC 37
No du greffe : 33340.
2010 : 16 décembre; 2011 : 21 juillet.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.
en appel de la cour d’appel de l’alberta
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droit à l’égalité — Programmes améliorateurs — La Metis Settlements Act de l’Alberta prévoit que l’inscription volontaire en vertu de la Loi sur les Indiens empêche d’avoir le statut de membre dans un établissement métis — La distinction est‑elle établie en raison de motifs énumérés ou analogues? — Le programme est‑il véritablement améliorateur? — La distinction tend‑elle à l’objet du programme améliorateur ou y contribue‑t‑elle? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 15(2) — Metis Settlements Act, R.S.A. 2000, ch. M‑14, art. 75, 90.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Liberté d’association — La Metis Settlements Act de l’Alberta prévoit que l’inscription volontaire en vertu de la Loi sur les Indiens empêche d’avoir le statut de membre dans un établissement métis — La loi enfreint‑elle la liberté d’association? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 2d) — Metis Settlements Act, R.S.A. 2000, ch. M‑14, art. 75, 90.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droit à la liberté — La Metis Settlements Act de l’Alberta prévoit que l’inscription volontaire en vertu de la Loi sur les Indiens empêche d’avoir le statut de membre dans un établissement métis — La loi enfreint‑elle le droit à la liberté? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 7 — Metis Settlements Act, R.S.A. 2000, ch. M‑14, art. 75, 90.
L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît trois peuples autochtones — les Indiens, les Métis et les Inuit. En Alberta, la relation entre le gouvernement et les Métis a évolué au point où ils ont entrepris des négociations portant principalement sur l’établissement de terres désignées pour les communautés métisses, sur l’octroi de l’autonomie gouvernementale à ces communautés et sur la protection et l’enrichissement de la culture et de l’identité des Métis. Les négociations ont aussi porté sur des dispositions législatives qui permettraient aux Métis de conserver leur identité propre, distincte de celle des Indiens. La Metis Settlements Act (« MSA ») a été adoptée par suite de ces négociations.
Les demandeurs étaient des membres formels d’une communauté métisse de l’Alberta qui a été établie et administrée conformément à la MSA. Ils ont choisi de s’inscrire à titre d’Indiens dans le but d’obtenir des soins médicaux en application de la Loi sur les Indiens. Or, la MSA prévoit que l’inscription volontaire en vertu de la Loi sur les Indiens empêche d’avoir le statut de membre dans un établissement métis. Leur appartenance à l’établissement métis a été révoquée en application de l’art. 90 de la MSA. Les demandeurs sollicitent un jugement déclarant que cette interdiction découlant des art. 75 et 90 de la MSA est inconstitutionnelle et porte atteinte aux droits à l’égalité, à la liberté d’association et à la liberté protégés par la Charte. La juge en cabinet a rejeté ces demandes. La Cour d’appel a accueilli l’appel puisqu’elle a conclu que ces dispositions étaient incompatibles avec le droit à l’égalité garanti par l’art. 15 de la Charte.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli et le jugement de la juge en cabinet est confirmé.
La demande fondée sur l’art. 15 doit être rejetée. La MSA constitue un programme améliorateur protégé par le par. 15(2) de la Charte. Le paragraphe 15(2) permet aux gouvernements d’aider un groupe — sans être paralysés par l’obligation de tous les aider — et d’adapter les programmes de façon à renforcer les avantages qu’ils confèrent, tout en veillant à ce que la protection offerte par le par. 15(2) contre l’accusation de discrimination ne soit pas utilisée de manière abusive à des fins étrangères à l’objet du programme améliorateur et à l’objectif d’égalité réelle. De par leur nature, les programmes améliorateurs confèrent à un groupe des avantages qui ne sont pas conférés à d’autres. Ces distinctions sont généralement protégées si elles tendent à la réalisation de l’objet du programme ou y contribuent, faisant ainsi la promotion de l’égalité réelle, même lorsque les groupes inclus et exclus ont une histoire semblable de désavantages et de marginalisation.
Lorsque le gouvernement s’appuie sur le par. 15(2), la première question à trancher est celle de savoir si la loi crée une distinction préjudiciable à l’égard du groupe de demandeurs fondée sur un des motifs énumérés au par. 15(1) ou sur un motif analogue. Si oui, il faut ensuite se demander si la distinction est justifiée au regard du par. 15(2). Pour l’établir, le gouvernement doit démontrer à la lumière des éléments de preuve que le programme est du type qui vise véritablement à améliorer la situation d’un groupe qui a besoin d’une aide amélioratrice afin d’accroître l’égalité réelle, qu’il y a une corrélation entre le programme et le désavantage dont est victime le groupe cible, et que l’État choisit des moyens rationnels pour atteindre l’objet améliorateur. S’il est satisfait à ces conditions, le par. 15(2) protège toutes les distinctions fondées sur un motif énuméré ou analogue qui tendent ou sont nécessaires à la réalisation de l’objet améliorateur, dans la mesure où elles sont justifiées par l’objet du programme améliorateur. Sinon, l’analyse reprend quant au par. 15(1) et, s’il est établi qu’il existe une discrimination réelle, quant à l’art. 1.
En l’espèce, et en tenant pour acquis que la distinction établie par la MSA entre les Métis et les Indiens inscrits constitue une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, la MSA constitue un programme véritablement améliorateur. Contrairement à un grand nombre de programmes améliorateurs, celui‑ci ne vise pas à conférer directement des avantages aux membres d’un groupe, mais plutôt à valoriser et à préserver l’identité, la culture et l’autonomie gouvernementale des Métis grâce à l’établissement d’une assise territoriale métisse. La corrélation entre le programme et le désavantage dont est victime le groupe cible, un des trois groupes qui forment les peuples autochtones du Canada reconnus à l’art. 35 de la Constitution, est manifeste.
Puisque l’interdiction qui est faite aux Métis qui sont aussi des Indiens inscrits de devenir des membres officiels des établissements métis tend et contribue à la réalisation de l’objet du programme améliorateur, le par. 15(2) protège la MSA contre une allégation de discrimination. Les Métis ont le droit d’avoir leur culture propre et le fait d’établir une distinction sur cette base reflète la Constitution et répond aux attentes légitimes des Métis. L’exclusion correspond aux distinctions historiques et sociales entre les Métis et les Indiens et elle respecte le rôle des Métis en ce qui a trait à la définition du peuple qu’ils forment. En outre, sans la distinction, il serait plus difficile de réaliser l’objet du programme. Le fait que certaines personnes peuvent s’identifier tant aux Métis qu’aux Indiens n’écarte pas la correspondance générale sous‑jacente à la distinction entre les deux groupes.
Le dossier ne fournit pas un fondement adéquat pour évaluer l’argument fondé sur l’al. 2d) invoqué par les demandeurs. La demande fondée sur l’art. 7 est aussi rejetée. Il n’est pas nécessaire de décider si le lieu de résidence est protégé par l’art. 7, car il n’a pas été démontré devant la juge en cabinet que les répercussions sur le droit à la liberté étaient contraires aux principes de justice fondamentale. Obliger les adultes autochtones qui pourraient autrement répondre à la définition d’Indien et de Métis à choisir à quel régime législatif ils souhaitent être assujettis — la Loi sur les Indiens ou la MSA — n’est pas exagérément disproportionné par rapport à l’intérêt qu’a l’Alberta à garantir une assise territoriale aux Métis.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : Alberta (Minister of International and Intergovernmental Relations) c. Peavine Metis Settlement, 2001 ABQB 165, [2001] 3 C.N.L.R. 1; R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483; Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396; Lovelace c. Ontario (1997), 33 O.R. (3d) 735, conf. par 2000 CSC 37, [2000] 1 R.C.S. 950; R. c. Powley, 2003 CSC 43, [2003] 2 R.C.S. 207; Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844.
Lois et règlements cités
Alberta-Metis Settlements Accord, 1989.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2d), 7, 15.
Constitution of Alberta Amendment Act, 1990, R.S.A. 2000, ch. C‑24, préambule.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 35, 52.
Loi modifiant la Loi sur les Indiens, L.C. 1985, ch. 27.
Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5.
Metis Betterment Act, R.S.A. 1955, ch. 202.
Metis Population Betterment Act, S.A. 1938, 2e sess., ch. 6, art. 2a) « Métis ».
Metis Settlements Act, R.S.A. 2000, ch. M-14, art. 0.1, 1j) « Métis », 75, 90, 91, 92, 93.
Proclamation royale (1763), L.R.C. 1985, app. II, no 1.
Transitional Membership Regulation, Alta. Reg. 337/90.
Doctrine citée
Alberta. Report of the MacEwan Joint Committee to Review the Metis Betterment Act and Regulations : Foundations for the Future of Alberta’s Metis Settlements. Edmonton : Alberta Municipal Affairs, 1984.
Alberta. Report of the Royal Commission Appointed to Investigate the Conditions of the Half‑Breed Population of Alberta. Edmonton : Department of Lands and Mines, 1936.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges McFadyen, Costigan et Ritter), 2009 ABCA 239, 8 Alta. L.R. (5th) 16, 457 A.R. 297, 457 W.A.C. 297, 310 D.L.R. (4th) 519, 194 C.R.R. (2d) 205, [2009] 9 W.W.R. 584, [2009] 3 C.N.L.R. 261, [2009] A.J. No. 678 (QL), 2009 CarswellAlta 952, qui a infirmé une décision de la juge Shelley, 2007 ABQB 517, 81 Alta. L.R. (4th) 28, 424 A.R. 271, 160 C.R.R. (2d) 185, [2008] 1 W.W.R. 507, [2007] 4 C.N.L.R. 179, [2007] A.J. No. 913 (QL), 2007 CarswellAlta 1103. Pourvoi accueilli.
Robert J. Normey et David N. Kamal, pour les appelants.
Kevin S. Feth, c.r., et Jeremy L. Taylor, pour les intimés.
Janet E. Minor et Mark Crow, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Isabelle Harnois, pour l’intervenant le procureur général du Québec.
Argumentation écrite seulement par P. Mitch McAdam et R. James Fyfe, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.
Richard B. Hajduk et Rodger C. Gibbs, pour l’intervenant East Prairie Métis Settlement.
Thomas R. Owen et Tara Rout, pour l’intervenant Elizabeth Métis Settlement.
Beverly J. M. Teillet, pour l’intervenante Métis Nation of Alberta.
Jason Madden, Clément Chartier, c.r., et Kathy L. Hodgson‑Smith, pour l’intervenant le Ralliement national des Métis.
Garry Appelt et Keltie L. Lambert, pour l’intervenant Métis Settlements General Council.
Jonathan Rudin et Mandy Wesley, pour l’intervenante Aboriginal Legal Services of Toronto Inc.
Dianne Pothier et Joanna L. Birenbaum, pour l’intervenant le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes.
Laurie Letheren et C. Tess Sheldon, pour l’intervenante l’Association canadienne pour l’intégration communautaire.
Sandeep K. Dhir et Lindsey E. Miller, pour l’intervenant Gift Lake Métis Settlement.
Mary Eberts, pour l’intervenante l’Association des femmes autochtones du Canada.
Version française du jugement de la Cour rendu par
La Juge en chef —
I. Aperçu
[1] L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît trois peuples autochtones — les Indiens, les Métis et les Inuit. Les demandeurs sont membres de l’établissement métis de Peavine, en Alberta; ils sont également des Indiens inscrits. La Metis Settlements Act, R.S.A. 2000, ch. M‑14 (« MSA »), ne permet pas aux Indiens inscrits de devenir des membres officiels de quelque établissement métis que ce soit, dont celui de Peavine. Les demandeurs sollicitent maintenant un jugement déclarant que cette interdiction porte atteinte aux droits à l’égalité, à la liberté d’association et à la liberté protégés par la Charte canadienne des droits et libertés, et est inconstitutionnelle.
[2] Je conclus que les demandeurs n’ont pas établi que les articles de la MSA ayant mené à leur exclusion de l’établissement de Peavine sont inconstitutionnels.
[3] Les demandeurs affirment que les dispositions de la MSA qui interdisent aux Métis étant Indiens inscrits de devenir membres de l’établissement de Peavine portent atteinte à leur droit à l’égalité protégé par l’art. 15 de la Charte. J’estime que le par. 15(2) de la Charte, qui autorise certaines inégalités dans le cadre de programmes destinés à améliorer la situation de groupes défavorisés, répond parfaitement à cette prétention. De par son objet et son effet, la MSA vise l’enrichissement de l’identité et de la culture des Métis ainsi que la promotion de leur autonomie gouvernementale en créant pour eux une assise territoriale. Le fait de refuser aux Indiens inscrits le statut de membre dans la nouvelle assise territoriale métisse tend à la réalisation de cet objet et y contribue et est, par conséquent, protégé par le par. 15(2). J’estime également que les demandeurs n’ont pas réussi à prouver que l’interdiction prévue par la MSA qui leur est faite d’obtenir le statut de membre de l’établissement porte atteinte à la liberté d’association protégée par l’al. 2d) de la Charte ou à la liberté protégée par l’art. 7 de la Charte.
[4] Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi et de confirmer le jugement de la juge en cabinet.
II. Historique et cadre du programme
[5] À l’origine, les Métis étaient les descendants des unions du dix‑huitième siècle entre des Européens — explorateurs, négociants en fourrures et pionniers — et des femmes autochtones, principalement dans les plaines canadiennes qui font maintenant partie du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta. En l’espace de quelques générations, les descendants de ces unions ont développé une culture distincte de celle de leurs ancêtres européens et indiens. Au début, les Métis étaient pour la plupart des nomades. Plus tard, ils ont érigé des établissements permanents axés sur la chasse, le commerce et l’agriculture. Les descendants francophones ont créé leur propre langue métisse dérivée du français. Les descendants anglophones parlaient l’anglais. De nos jours, les deux groupes sont collectivement appelés les Métis.
[6] Comme suite à la Proclamation royale de 1763 (reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 1), qui organisait les territoires acquis récemment par la Grande‑Bretagne et réservait certaines terres aux Indiens, la Couronne a adopté une pratique consistant à conclure des traités avec les bandes indiennes. Par conséquent, la plupart des Indiens des prairies sont soumis au régime d’un traité. En contrepartie de la cession de leurs terres traditionnelles à la Couronne, ils ont obtenu des réserves et d’autres avantages, comme le droit de chasser et de piéger le gibier sur les terres de la Couronne. Aujourd’hui, les Indiens sont régis par la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5, qui offre une variété d’avantages aux Indiens inscrits, qu’ils habitent ou non dans les réserves.
[7] La politique de la Couronne qui consistait à conclure des traités avec les Indiens, à établir des réserves et à leur conférer d’autres avantages en échange des terres ne s’appliquait pas aux Métis. Dans certaines régions, la Couronne a adopté un système de certificats d’argent selon lequel des terres étaient accordées à des Métis. Cependant, les communautés métisses n’ont pas obtenu de réserve ou d’assise territoriale collective; elles ne bénéficiaient pas des protections prévues par la Loi sur les Indiens ou par d’autres textes législatifs équivalents. Bien que largement reconnus comme formant un peuple autochtone culturellement distinct et vivant dans des communautés culturellement distinctes, les Métis voyaient leur histoire et leurs besoins uniques ignorés par le droit.
[8] Les gouvernements ont lentement pris conscience de cette lacune dans la loi. En 1934, le législateur albertain a créé la Commission Ewing, soit la « Royal Commission Appointed to Investigate the Conditions of the Half‑Breed Population of Alberta » (Commission royale chargée d’étudier la situation des Métis de l’Alberta). Celle‑ci devait examiner les problèmes de [traduction] « santé, l’éducation, le redressement et le bien‑être général du peuple [métis] » et formuler des recommandations à partir de ses enquêtes.
[9] Le rapport de la Commission Ewing (1936) a précisé que, pour ses propres fins, un « Métis » (ou « half-breed » en anglais) était [traduction] « une personne d’ascendance mixte blanche et indienne, qui mène la vie d’un Indien ordinaire, ce qui inclut un Indien non soumis au régime d’un traité », mais exclut les personnes d’ascendance mixte (indienne et blanche) qui se sont établies comme des agriculteurs et qui n’avaient pas besoin ou ne voulaient pas d’assistance publique (p. 4).
[10] La Metis Population Betterment Act, S.A. 1938, 2e sess., ch. 6, a été adoptée par suite des conclusions et des recommandations formulées par la Commission Ewing. Le terme « Métis » a été défini à l’al. 2a) de la Loi :
[traduction] . . . une personne d’ascendance mixte blanche et indienne, mais n’inclut pas un Indien ou un Indien non soumis au régime d’un traité tel que défini par la Loi des Indiens, soit le chapitre 98 des Statuts révisés du Canada de 1927.
[11] La loi, devenue la Metis Betterment Act, R.S.A. 1955, ch. 202, excluait toujours de la définition de « Métis » toute personne inscrite comme Indien au sens de la Loi sur les Indiens et élargissait cette exclusion de sorte qu’elle visait aussi toute personne pouvant s’inscrire comme Indien au sens de la Loi sur les Indiens : al. 2a).
[12] La Metis Betterment Act, qui accordait une certaine reconnaissance législative aux Métis, ne contraignait pas la province de l’Alberta à créer une assise territoriale pour les communautés métisses, non plus qu’à fournir un soutien adéquat pour la préservation de l’identité et de la culture distinctes des Métis. En outre, comme la loi précédente, elle continuait de nier toute forme d’autonomie gouvernementale aux Métis.
[13] Le paysage a radicalement changé en 1982, avec l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982. Pendant la période précédant la modification de la Constitution, les Indiens, les Inuit et les Métis se sont battus pour la reconnaissance constitutionnelle de leur statut et de leurs droits. L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 a enchâssé les droits autochtones existants, ancestraux ou issus de traités, et a reconnu trois groupes autochtones — les Indiens, les Inuit et les Métis. Pour la première fois, les Métis étaient reconnus comme un groupe distinct titulaire de droits.
[14] En prévision de l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982, la province de l’Alberta a formé un comité mixte composé de représentants du gouvernement et des Métis pour réviser la Metis Betterment Act et la réglementation. Le comité — composé du président, feu Grant MacEwan, choisi par les Métis et le gouvernement, ainsi que de deux représentants du gouvernement et des Métis respectivement — a préparé un rapport, daté du 12 juillet 1984, dans lequel il formulait ses conclusions et recommandations (Report of the MacEwan Joint Committee to Review the Metis Betterment Act and Regulations : Foundations for the Future of Alberta’s Metis Settlements (« rapport MacEwan »)).
[15] Le rapport MacEwan a défini un « Métis » comme étant simplement [traduction] « une personne d’ascendance autochtone qui s’identifie à l’histoire et à la culture des Métis » (p. 12) et a recommandé la prise de mesures législatives pour garantir aux communautés métisses de la province une assise territoriale et une autonomie gouvernementale. Le gouvernement albertain a accepté le principe de ces recommandations en autorisant la modification de la Constitution of Alberta Amendment Act, 1990, R.S.A. 2000, ch. C‑24.
[16] S’en est suivi une période de négociation entre les Métis de l’Alberta et le gouvernement albertain. Ces négociations ont porté principalement sur l’établissement de terres désignées pour les communautés métisses, sur l’octroi de l’autonomie gouvernementale à ces communautés et sur la protection et l’enrichissement de leur culture et de leur identité. Fait important pour la présente affaire, les négociations ont aussi porté sur des dispositions qui permettraient aux Métis de conserver leur identité propre, distincte de celle des Indiens.
[17] Ces négociations ont abouti le 1er juillet 1989 à la conclusion de l’Alberta-Metis Settlements Accord. L’année suivante, conformément à l’Accord, l’Alberta a consenti au Métis Settlements General Council un titre en fief simple sur les terres des huit communautés métisses et a adopté une série de lois visant à protéger les droits des Métis, y compris la MSA en cause en l’espèce.
[18] La constitution de l’Alberta — qui, conformément à la tradition britannique, n’est pas écrite — a été modifiée de manière à donner un statut constitutionnel aux modifications. Le préambule de la Constitution of Alberta Amendment Act, 1990 donne un aperçu important des objets de la loi :
[traduction]
ATTENDU QUE les Métis étaient présents quand la province de l’Alberta a été établie et qu’ils constituent, ainsi que les terres réservées à leur usage, un aspect propre à l’histoire et à la culture de la province;
ATTENDU QU’il est souhaitable que les Métis continuent d’avoir une assise territoriale pour assurer la préservation et l’enrichissement de leur culture et de leur identité et pour leur permettre d’atteindre une autonomie gouvernementale en application des lois de l’Alberta et que, à cette fin, Sa Majesté du chef de l’Alberta accorde un titre sur les terres au Métis Settlements General Council;
ATTENDU QUE Sa Majesté du chef de l’Alberta a proposé que les terres concédées soient protégées par la Constitution du Canada, mais que, d’ici là, il convient que les terres soient protégées par la constitution provinciale; . . .
[19] Le préambule de la MSA, ajouté en 2004, contient la déclaration d’objet suivante :
[traduction]
0.1 La présente loi :
a) reconnaît le désir exprimé dans la Constitution of Alberta Amendment Act, 1990, que les Métis continuent d’avoir une assise territoriale pour assurer la préservation et l’enrichissement de leur culture et de leur identité et pour leur permettre d’atteindre une autonomie gouvernementale en application des lois de l’Alberta;
b) réalise que la Couronne du chef de l’Alberta a concédé des terres au Metis Settlements General Council par lettres patentes et que ces terres sont protégées par une modification à la Constitution of Alberta et par la Metis Settlements Land Protection Act;
c) reconnaît que la présente loi, la Constitution of Alberta Amendment Act, 1990, la Metis Settlements Land Protection Act et la Metis Settlements Accord Implementation Act ont été adoptées en exécution de la résolution 18 de 1985 adoptée à l’unanimité par l’Assemblée législative de l’Alberta;
d) reconnaît que le gouvernement albertain et l’Alberta Federation of Metis Settlement Associations ont conclu l’Alberta-Metis Settlements Accord le 1er juillet 1989.
[20] La MSA définit « Métis » à ses propres fins comme étant [traduction] « une personne d’ascendance autochtone qui s’identifie à l’histoire et à la culture des Métis » (al. 1j)). Compte tenu des négociations qui l’ont précédé et du désir de protéger la culture et l’identité des Métis, la MSA a restreint les cas où les Indiens inscrits peuvent être reconnus comme membres des établissements. Suivant l’article 75, les personnes inscrites comme Indiens ou Inuit ne peuvent pas demander de devenir membres d’un établissement métis, à moins que certaines conditions soient réunies et que ce statut soit autorisé par un règlement de l’établissement. Comme cette disposition est au cœur de la présente affaire, j’en reproduis les extraits pertinents :
[traduction]
75(1) Un Indien inscrit en vertu de la Loi sur les Indiens (Canada) ou une personne inscrite à titre d’Inuk dans le cadre d’une entente sur les revendications territoriales ne peut pas demander le statut de membre ou être inscrit comme membre de l’établissement, sauf en cas d’application des paragraphes (2) ou (3.1).
(2) Un Indien inscrit en vertu de la Loi sur les Indiens (Canada) ou une personne inscrite à titre d’Inuk dans le cadre d’une entente sur les revendications territoriales peut être admis comme membre si
a) la personne était inscrite à titre d’Indien ou d’Inuk quand elle était âgée de moins de 18 ans;
b) la personne a vécu une bonne partie de son enfance dans la région de l’établissement;
c) au moins un des parents de la personne est, ou était au moment de son décès, membre de l’établissement;
d) la personne a été admise comme membre grâce à un règlement de l’établissement qui autorise expressément qu’elle en devienne membre.
(3) Si une personne inscrite à titre d’Indien en vertu de la Loi sur les Indiens (Canada) demande que son nom soit retiré du registre, elle ne peut plus invoquer le paragraphe (2) dans le but de devenir membre de l’établissement.
(3.1) Outre les circonstances énoncées au paragraphe (2), un Indien inscrit en vertu de la Loi sur les Indiens (Canada) ou une personne inscrite à titre d’Inuk dans le cadre d’une entente sur les revendications territoriales peut être admis comme membre de l’établissement s’il satisfait aux conditions énoncées dans une politique générale du conseil.
. . .
[21] De plus, la Transitional Membership Regulation, Alta. Reg. 337/90, a permis aux personnes inscrites sur la liste des membres d’un établissement au moment de l’entrée en vigueur de la MSA de conserver leur statut de membre même si elles étaient déjà inscrites ou qu’elles pouvaient s’inscrire comme Indiens en vertu de la Loi sur les Indiens. Les personnes qui se sont inscrites comme Indiens après l’entrée en vigueur de la MSA le 1er novembre 1990 n’étaient pas visées par ces dispositions préservant les droits acquis.
[22] L’article 90 de la MSA confirme que l’enregistrement volontaire en vertu de la Loi sur les Indiens exclut la possibilité de devenir membre d’un établissement métis, sauf si une politique générale du conseil prévoit le contraire :
[traduction]
90(1) Sauf si une politique générale du conseil prévoit le contraire, une personne renonce à son statut de membre dans un établissement si
a) elle s’inscrit volontairement comme Indien en vertu de la Loi sur les Indiens (Canada), ou
b) elle s’inscrit à titre d’Inuk dans le cadre d’une entente sur les revendications territoriales.
(2) Sur réception de la part du conseil de l’établissement d’un avis de cessation d’appartenance visée par le paragraphe (1), et après une vérification des faits qui est jugée nécessaire, le ministre doit retirer le nom de la personne visée de la liste des membres de l’établissement.
Aucune politique générale du conseil portant sur l’obtention du statut de membre dans un établissement pour les détenteurs du statut d’Indien n’a été adoptée.
[23] Le membre d’un établissement qui perd son statut en application de ces dispositions perd tous les droits qu’il possédait sur les terres de l’établissement, mais peut continuer de résider dans un établissement métis à moins d’en être expulsé. Les articles 91 et 93 prévoient ce qui suit :
[traduction]
91(1) Quand il cesse d’appartenir à un établissement ou que son statut de membre lui est retiré, le membre
a) perd les droits acquis lorsqu’il était membre de résider sur les terres cédées par lettre patente ou de les occuper, mais
b) ne perd pas le droit de résider sur les terres cédées par lettre patente sous le régime de la présente loi, de toute autre loi, d’une politique générale du conseil ou d’un règlement de l’établissement.
(2) Quand le membre cesse d’appartenir à un établissement, les droits acquis par le conjoint, le partenaire adulte interdépendant ou les enfants mineurs du membre de continuer à résider sur les terres cédées par lettre patente ne sont pas visés.
(3) Un conseil d’établissement et une personne qui a cessé d’être membre peuvent s’entendre sur l’indemnité à verser à l’ancien membre pour les améliorations apportées à la terre dont il était propriétaire et s’ils n’arrivent pas à s’entendre, l’un d’eux peut renvoyer l’affaire au tribunal d’appel.
. . .
93(1) La personne qui est autorisée à résider dans une région d’établissement en vertu de l’article 92 peut continuer de résider dans la région à moins que le conseil d’établissement, pour un motif valable, n’ordonne son expulsion de la région d’établissement.
(1.1) Un conseil d’établissement peut ordonner qu’une personne qui n’est pas autorisée à résider dans la région d’établissement en soit expulsée si elle refuse de partir à la demande du conseil.
(2) Aucune ordonnance ne peut être prononcée en application des paragraphes (1) ou (1.1), sauf si la personne visée a eu la possibilité de faire valoir au conseil la raison pour laquelle elle devrait pouvoir rester dans la région d’établissement.
[24] Alors que les Métis albertains participaient aux négociations en vue d’obtenir une assise territoriale, d’atteindre l’autonomie gouvernementale et d’obtenir du soutien pour leur culture et leur identité, la Loi sur les Indiens du Canada a subi une modification importante pour élargir la définition des personnes pouvant s’inscrire comme Indiens. En effet, dans la Loi modifiant la Loi sur les Indiens, L.C. 1985, ch. 27 (projet de loi C‑31), le législateur a rétabli le droit au statut d’Indien pour plusieurs membres d’établissements métis qui se l’étaient vu refuser, y compris les demandeurs. Avant cette modification, les femmes indiennes qui épousaient des Métis perdaient leur statut d’Indiennes et ne pouvaient pas le transmettre à leurs descendants. La nouvelle loi a corrigé en partie cette injustice en reconnaissant les descendants de ces unions et en leur donnant le choix de s’inscrire comme Indiens.
[25] Les demandeurs, membres de l’établissement métis de Peavine, ont choisi de s’inscrire à titre d’Indiens dans le but d’obtenir des soins médicaux en application de la Loi sur les Indiens. Ils l’ont fait après le délai prescrit par la Transitional Membership Regulation. Par conséquent, le registraire du registre des établissements métis a révoqué leur appartenance à l’établissement de Peavine, en application de l’art. 90 de la MSA. Les demandeurs ont intenté une poursuite en vue d’obtenir un jugement déclarant que l’art. 90 et sa disposition complémentaire, l’art. 75, vont à l’encontre des art. 7 et 15 et de l’al. 2d) de la Charte d’une façon qui ne peut être justifiée au sens de l’article premier, et sont par conséquent inopérants aux termes de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.
[26] Il est suggéré dans le présent litige que la manière dont l’inscription des Cunningham a été révoquée n’a pas été équitable d’un point de vue procédural. La liste que le Conseil de Peavine a soumise au registraire du registre des établissements métis pour qu’y soient révoqués les membres visés ne comprenait pas tous les membres qui avaient obtenu le statut d’Indiens inscrits, mais seulement les membres de la famille Cunningham. Au terme de procédures liées à la présente affaire (Alberta (Minister of International and Intergovernmental Relations) c. Peavine Metis Settlement, 2001 ABQB 165, [2001] 3 C.N.L.R. 1), le registraire a retiré les demandeurs de la liste des membres de l’établissement de Peavine le 10 mai 2001. Bien que le conseil ait été accusé de mauvaise foi et de motivations inappropriées, aucun examen judiciaire ou autre procédure n’a été entamé sur ce fondement. Il en découle que la Cour n’est pas saisie de la question de la manière dont la révocation a été faite.
III. Les décisions des cours de l’Alberta
A. La juge en cabinet
[27] La juge en cabinet Shelley a rejeté la demande formulée par les demandeurs (2007 ABQB 517, 81 Alta. L.R. (4th) 28). Elle a souscrit à leur point de vue selon lequel l’interdiction de devenir membre était fondée sur le motif analogue d’inscription à titre d’Indien. Elle a toutefois conclu que la MSA n’a pas porté atteinte au droit à l’égalité garanti au par. 15(1) de la Charte parce que les facteurs contextuels pertinents n’ont pas établi que les art. 75 et 90 ont entraîné le stéréotype ou désavantage requis pour établir l’existence d’une discrimination. Elle a convenu que ces dispositions pouvaient faire perdre aux demandeurs leur droit de résider dans l’établissement de Peavine sans pour autant que la Loi sur les Indiens ne leur confère d’avantages correspondants, et que même s’ils pouvaient continuer de résider sur les terres en vertu de l’art. 92, comme cela semblait déjà être le cas, ils n’auraient pas leur mot à dire sur le plan de l’administration de l’établissement non plus que le droit de vote. Cependant, ils pourraient se prévaloir des avantages que leur confère la Loi sur les Indiens à titre d’Indiens inscrits.
[28] Bien qu’elle n’ait pas effectué d’analyse relative au par. 15(2) de la Charte (sa décision a précédé l’arrêt R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483, qui en précisait les étapes), la juge en cabinet a conclu que l’objet et l’effet améliorateurs de la MSA appuyaient l’exclusion des Métis qui étaient inscrits comme Indiens prévue aux art. 75 et 90. À son avis, les objectifs qui consistent à enrichir la culture et l’identité des Métis ainsi qu’à préserver les droits fonciers et l’autonomie gouvernementale ont été atteints en partie grâce à l’exclusion des Indiens inscrits, sous réserve de toute politique générale du conseil. Certes, la perte du droit de participer à l’administration de la communauté métisse à laquelle ils avaient été associés pendant longtemps était une grave conséquence, mais cela était compensé par le fait que, en s’inscrivant à titre d’Indiens en vertu de la Loi sur les Indiens, les demandeurs avaient choisi de recevoir d’autres droits et avantages.
[29] La juge en cabinet a aussi rejeté la prétention des Cunningham concernant la violation de la liberté d’association garantie à l’al. 2d). Elle a affirmé que cette disposition de la Charte protège l’association dans l’unique but de protéger les libertés fondamentales, et non l’accès à un régime légal en particulier. Le privilège d’être membre d’un établissement n’existe pas indépendamment du régime législatif établi par la MSA. En outre, les demandeurs n’avaient pas établi l’existence d’une entrave substantielle à leur droit d’association, en ce sens que la MSA faisait en sorte qu’il leur était quasi impossible de réaliser des objectifs communs. C’était leur décision de s’inscrire à titre d’Indiens, et non un acte de l’État, qui a eu pour effet de les empêcher d’exercer leurs libertés fondamentales.
[30] Enfin, la juge en cabinet a conclu à l’absence d’atteinte à l’art. 7 de la Charte. Même si la MSA a restreint la liberté des demandeurs en compromettant leur droit de résider dans l’établissement de Peavine, l’atteinte n’était ni arbitraire ni exagérément disproportionnée, et par conséquent, elle n’était pas contraire aux principes de justice fondamentale visés par l’art. 7. Selon elle, [traduction] « [o]bliger les adultes autochtones qui pourraient autrement répondre à la fois à la définition d’Indien et à celle de Métis à choisir à quel régime législatif ils souhaitent être assujettis — la Loi sur les Indiens ou la MSA — n’est pas exagérément disproportionné par rapport à l’intérêt qu’a l’Alberta à garantir une assise territoriale aux Métis » (par. 130).
B. La Cour d’appel
[31] La Cour d’appel a conclu que les art. 75 et 90 étaient incompatibles avec le droit à l’égalité garanti par l’art. 15 de la Charte, et par conséquent invalides, et a ordonné l’inscription des demandeurs en tant que membres de l’établissement de Peavine (2009 ABCA 239, 8 Alta. L.R. (5th) 16).
[32] Comme la question de savoir si l’inscription à titre d’Indien constituait un motif de discrimination analogue à ceux énoncés au par. 15(1) de la Charte n’était pas contestée, la Cour d’appel, qui a rendu sa décision après le prononcé de l’arrêt Kapp, s’est ensuite penchée sur le par. 15(2) qui prévoit que les gouvernements peuvent adopter, et ce, sans violer l’art. 15, des programmes améliorateurs qui pourraient autrement être considérés comme conférant des avantages de façon inégale. Selon la cour, pour que l’exclusion des Indiens inscrits soit justifiée au sens où il faut l’entendre pour l’application du par. 15(2) du fait qu’elle a un objet améliorateur ou réparateur, elle doit être rationnellement liée à l’enrichissement et à la préservation de la culture et de l’autonomie gouvernementale des Métis ainsi qu’à l’obtention d’une assise territoriale pour ces derniers. Elle est d’avis que cela n’a pas été établi. Après avoir souligné que le fait de refuser le statut de membre à des personnes qui se sont identifiées à la culture métisse et qui ont vécu dans cette culture pendant toute leur vie ou la plus grande partie de leur vie était [traduction] « relativement arbitraire », la cour a conclu qu’« [i]l est difficile d’imaginer qu’une telle exclusion vise à enrichir et à préserver la culture, l’identité et l’autonomie gouvernementale des Métis » (par. 28). De plus, comme le statut des Métis repose sur l’ascendance autochtone, l’exclusion de membres va à l’encontre de l’objectif qui consiste à enrichir la culture métisse. Rien n’indiquait que les établissements étaient principalement occupés par des Indiens inscrits ou que le nombre d’Indiens inscrits tentant de devenir membres d’établissements porterait atteinte à l’objectif de la MSA. Enfin, le refus du statut de membre aux Indiens inscrits parce qu’ils se sont inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens revenait à punir un comportement — s’inscrire à titre d’Indiens — ce qui ne devrait pas être protégé par le par. 15(2). La cour a conclu que l’exclusion n’était pas rationnellement liée à l’atteinte de l’objectif législatif et qu’elle n’était pas sauvegardée par le par. 15(2).
[33] Revenant au par. 15(1), la Cour d’appel a conclu que la loi établissait un stéréotype selon lequel les gens comme les demandeurs étaient [traduction] « moins métis » parce qu’ils étaient inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens, d’une manière qui ne correspondait pas à leur situation véritable (par. 43). Elle a conclu que les demandeurs [traduction] « sont exposés à un désavantage unique et à des stéréotypes [. . .] ce qui donne lieu à une différence de traitement et à de la discrimination » (par. 45).
[34] La Cour d’appel a refusé de statuer sur la question de savoir si la liberté d’association garantie à l’al. 2d) avait été violée puisqu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve et d’arguments sur la question. Elle a également refusé de trancher la prétention fondée sur l’art. 7.
[35] Ayant souscrit à la thèse du gouvernement quant à l’objet du programme — promouvoir la culture métisse, la protéger et la distinguer de celle des Indiens, favoriser l’autonomie gouvernementale et protéger l’assise territoriale des Métis — la Cour d’appel a conclu qu’il n’existait pas d’objectif urgent et réel justifiant la violation du par. 15(1) de la Charte causée par l’interdiction qui est faite aux demandeurs et aux autres Indiens inscrits de devenir membre de l’établissement aux termes des art. 75 et 90 de la MSA. La promotion de la culture métisse ne pouvait pas servir d’objectif de ce type puisqu’il n’y avait aucun élément de preuve appuyant la thèse selon laquelle les dispositions visaient à protéger la culture métisse et à la distinguer de la culture indienne. L’objectif consistant à favoriser l’autonomie gouvernementale ne pouvait pas non plus servir d’objet parce que rien n’indiquait que les dispositions offrent aux établissements métis les moyens de contrôler l’appartenance.
[36] La Cour d’appel a ajouté que, si l’existence d’un objectif réel et urgent avait été établie, l’exclusion ne serait tout de même pas sauvegardée au regard de l’article premier parce que les art. 75 et 90 n’étaient pas rationnellement liés à l’objectif et ne constituaient pas une atteinte minimale. Selon la cour, l’exclusion absolue allait au‑delà de ce qui était nécessaire pour atteindre les objectifs consistant à distinguer la culture métisse de la culture indienne et à favoriser l’autonomie gouvernementale. Par conséquent, les dispositions relatives à l’appartenance ne pouvaient pas être sauvegardées au regard de l’article premier et l’appel a été accueilli.
IV. La prétention fondée sur le droit à l’égalité prévu à l’art. 15 de la Charte
[37] L’article 15 de la Charte est rédigé comme suit :
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.
(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.
A. L’objet du par. 15(2)
[38] L’article 15 de la Charte assure une protection contre les lois et les mesures gouvernementales discriminatoires. Son objectif est de renforcer l’égalité réelle, ce qu’il fait de deux manières.
[39] Premièrement, le par. 15(1) vise à empêcher la discrimination pour des motifs comme la race, l’âge et le sexe. Les lois et les actes gouvernementaux qui perpétuent un désavantage et un préjugé, ou qui imposent à certains individus ou groupes un traitement préjudiciable fondé sur des stéréotypes, violent le par. 15(1) et sont invalides, dans la mesure où ils ne sont pas justifiés au regard de l’article premier de la Charte : Kapp; Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396.
[40] Deuxièmement, le par. 15(2) vise à permettre aux gouvernements d’améliorer la situation des membres de groupes défavorisés ayant souffert de discrimination dans le passé dans le but de renforcer l’égalité réelle. Cet objectif est réalisé en confirmant la validité des programmes améliorateurs visant des groupes défavorisés particuliers, ce qui pourrait autrement contrevenir au par. 15(1) en excluant d’autres groupes. Il va de soi que ces programmes, en voulant aider un groupe, en excluent d’autres.
[41] Le paragraphe 15(2) a pour objet de prémunir les programmes améliorateurs contre les accusations de « discrimination à rebours ». Ces programmes ciblent des groupes défavorisés particuliers afin qu’ils soient admissibles à certains avantages, tout en en excluant d’autres. Au moment de la rédaction de la Charte, des programmes de promotion sociale étaient contestés aux États‑Unis au motif qu’ils étaient discriminatoires — un phénomène parfois appelé « discrimination à rebours ». Le principe sous‑jacent au par. 15(2) est que les gouvernements devraient pouvoir cibler certains membres d’un groupe défavorisé en raison de caractéristiques personnelles, tout en en excluant d’autres. Il reconnaît que les gouvernements peuvent avoir des objectifs particuliers qui consistent à améliorer la situation de certains membres du groupe. Le paragraphe 15(2) confirme, en outre, que les gouvernements ne sont peut‑être pas en mesure d’aider tous les membres d’un groupe défavorisé en même temps et qu’ils devraient pouvoir établir des priorités. Si les gouvernements étaient tenus d’avantager également tous les groupes désavantagés (ou tous les sous‑groupes de ceux‑ci), ils pourraient alors ne pas pouvoir utiliser des programmes ciblés pour atteindre des objectifs précis à l’égard de groupes précis. Le coût d’un traitement identique pour tous entraînerait une perte d’occasions réelles de réduire les désavantages et les préjugés.
B. Les étapes de l’analyse relative au par. 15(2)
[42] Dans Kapp, la Cour a énoncé le cadre d’analyse de base applicable aux causes où le gouvernement s’appuie sur le par. 15(2).
[43] Comme dans toutes les causes fondées sur l’art. 15, la première question à trancher est celle de savoir si la loi crée une distinction préjudiciable à l’égard du groupe de demandeurs fondée sur un des motifs énumérés au par. 15(1) ou sur un motif analogue.
[44] Si oui, et si le gouvernement se fonde sur le par. 15(2) pour défendre la distinction, il faut ensuite immédiatement se demander si la distinction est justifiée au regard du par. 15(2). Pour l’établir, le gouvernement doit démontrer que le programme est du type qui vise véritablement à améliorer la situation d’un groupe qui a besoin d’une aide amélioratrice afin d’accroître l’égalité réelle : Kapp, par. 41. Il doit y avoir une corrélation entre le programme et le désavantage dont est victime le groupe cible : Kapp, par. 49. Les tribunaux doivent examiner le programme pour déterminer si, au vu de la preuve, l’objet déclaré est véritable; une déclaration d’objet améliorateur sans plus ne saurait donner ouverture à la protection que confère le par. 15(2) contre une allégation de discrimination : Kapp, par. 49.
[45] S’il est satisfait à ces conditions, le par. 15(2) protège toutes les distinctions fondées sur un motif énuméré ou analogue qui « tendent et sont nécessaires » à la réalisation de l’objet améliorateur : Kapp, par. 52. Il ne faudrait pas interpréter le terme « nécessaires » qui figure dans cette phrase comme l’expression de l’exigence d’une preuve que l’exclusion est essentielle pour réaliser l’objet du programme améliorateur. Ce qu’il faut, c’est que, dans un sens général, la distinction contestée tende à la réalisation de l’objet du programme ou y contribue et que, en conséquence, elle favorise l’atteinte de l’objet d’ensemble de l’art. 15, soit l’égalité réelle. Une interprétation téléologique du par. 15(2) qui met l’accent sur l’égalité réelle suggère que des distinctions potentiellement discriminatoires sont permises dans la mesure où elles n’outrepassent pas l’objet du programme améliorateur. Pour qu’elle soit protégée, la distinction doit réellement tendre à la réalisation de l’objet améliorateur ou y contribuer, et ainsi être compatible avec l’objet de l’art. 15, soit de promouvoir l’égalité réelle.
[46] La question fondamentale est la suivante : jusqu’à quel point le par. 15(2) offre‑t‑il une protection contre une allégation de discrimination? Selon la réponse provisoire suggérée par Kapp et dont il a été question précédemment, la distinction doit tendre à la réalisation de l’objet améliorateur ou y contribuer. Ce ne sera pas le cas, par exemple, si l’État choisit des moyens irrationnels pour atteindre l’objet améliorateur. Ce critère pourra être peaufiné et étoffé au fur et à mesure que des causes se présenteront. Cela dit, aux fins du présent litige, cette réponse suffit.
[47] Si la distinction contestée n’est pas justifiée au regard du par. 15(2), l’analyse reprend quant au par. 15(1) pour déterminer si la distinction constitue une discrimination réelle, en perpétuant un désavantage ou un préjugé à l’égard du groupe exclu ou en lui appliquant des stéréotypes.
[48] S’il est établi au regard du par. 15(1) qu’il existe une discrimination réelle, la dernière question à trancher est celle de savoir si le gouvernement a démontré qu’elle est justifiée au regard de l’article premier de la Charte.
[49] Le paragraphe 15(2), interprété de cette manière, permet aux gouvernements d’aider un groupe — sans être paralysés par l’obligation de tous les aider — et d’adapter les programmes de façon à renforcer les avantages qu’ils confèrent, tout en veillant à ce que la protection offerte par le par. 15(2) contre l’accusation de discrimination ne soit pas utilisée de manière abusive à des fins étrangères à l’objet du programme améliorateur et à l’objectif d’égalité réelle.
[50] Cette interprétation du par. 15(2) cadre bien avec l’approche relative au programme améliorateur adoptée dans l’arrêt antérieur Lovelace c. Ontario (1997), 33 O.R. (3d) 735 (C.A. Ont.), conf. par 2000 CSC 37, [2000] 1 R.C.S. 950, qui a confirmé une distinction semblable quant à un avantage prévu par un programme améliorateur. Le programme améliorateur en cause dans Lovelace, comme en l’espèce, visait deux groupes autochtones différents — les bandes d’Indiens inscrits qui disposent de réserves d’une part, et les bandes d’Indiens non inscrits et les Métis qui ne disposent pas de réserves d’autre part. Il visait à améliorer la situation de l’un de ces groupes, les Indiens vivant sur les réserves, en y permettant l’établissement d’un casino. Comme en l’espèce, le groupe exclu — les Autochtones ontariens vivant hors réserve — a soutenu avoir été victime de discrimination contrairement à l’art. 15 de la Charte.
[51] Bien que l’arrêt Lovelace ait été rendu avant Kapp, la Cour d’appel de l’Ontario a effectué une analyse semblable pour l’essentiel à celle établie dans cette dernière affaire. La cour s’est d’abord demandé si le programme était un programme véritablement améliorateur. Après avoir confirmé qu’il l’était, elle s’est ensuite demandé si le fait de restreindre la participation aux profits tirés du programme relatif au casino aux Indiens vivant sur la réserve (membres des bandes inscrites de la réserve) était conforme à l’objet du programme. Elle a conclu qu’il l’était. L’objet du programme consistait à favoriser les Indiens vivant sur la réserve. Cet objet restreint correspondait aux différences historiques et sociales ainsi qu’en matière de gestion entre les groupes ciblés et les autres groupes autochtones. Il appuyait aussi l’objet du programme en améliorant la situation des Indiens vivant sur la réserve; la cour a fait remarquer que si le programme s’appliquait à tous les Autochtones ontariens, il n’atteindrait pas son objectif. Ces facteurs, conjugués à l’ampleur du projet, aux risques sociaux qui y sont inhérents ainsi qu’à son statut de projet pilote soutenaient la thèse selon laquelle l’objectif réel du programme consistait à améliorer la situation sociale et les conditions économiques du groupe ciblé — les bandes inscrites. Il n’a rien fallu prouver d’autre pour démontrer que le programme était autorisé par le par. 15(2) (p. 758-763).
[52] Dans le cadre d’un appel subséquent, la Cour (bien qu’elle ait analysé la question sous l’angle du par. 15(1) et utilisé le par. 15(2) comme guide d’interprétation seulement) a confirmé cette conclusion, soulignant que la distinction établie par le programme entre les membres de bandes inscrites dotées de réserves et les autochtones vivant hors réserve était conforme à l’objet qui sous‑tend l’art. 15 dans son ensemble, soit de garantir une égalité réelle. Malgré le désavantage commun des groupes inclus et exclus, la Cour a conclu dans Lovelace que les différences sociales et historiques entre les deux groupes, ainsi que la réalisation de l’objet du programme, appuyaient la distinction entre les Indiens et les Métis vivant hors réserve et ceux vivant dans la réserve. L’exclusion du programme relatif au casino des communautés autochtones qui ne sont pas des bandes inscrites en vertu de la Loi sur les Indiens a donc été confirmée.
[53] Cela nous amène aux propositions suivantes. De par leur nature, les programmes améliorateurs confèrent à un groupe des avantages qui ne sont pas conférés à d’autres. Ces distinctions sont généralement protégées si elles tendent à la réalisation de l’objet du programme ou y contribuent, faisant ainsi la promotion de l’égalité réelle. Il en est ainsi même lorsque les groupes inclus et exclus sont des groupes autochtones ayant une histoire semblable de désavantages et de marginalisation : Lovelace.
[54] Ces propositions, sur lesquelles nous reviendrons plus en détail ultérieurement, sont suffisantes pour trancher la question soulevée dans la présente affaire. Le litige en l’espèce porte sur un type particulier de programme améliorateur — un programme destiné à enrichir et à préserver l’identité, la culture et l’autonomie gouvernementale d’un groupe reconnu par la Constitution. Le groupe ciblé par le programme correspond précisément à un groupe identifié comme un des groupes qui forment les « peuples autochtones du Canada » définis à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’objet qui consiste à enrichir l’identité, la culture et l’autonomie gouvernementale des Métis à titre de groupe visé à l’art. 35 doit nécessairement permettre l’exclusion d’autres groupes visés par cette disposition puisqu’un élément essentiel de leur identité unique est qu’ils ne sont pas des « Indiens » ou des « Inuit ».
[55] Il est donc inutile que la Cour se penche longuement sur ce que devraient être les considérations qui entrent en ligne de compte pour juger de la façon dont les distinctions sont faites aux fins des programmes améliorateurs dans différents types de causes. Il est préférable que le droit évolue progressivement.
C. Application
1. La distinction est‑elle fondée sur un motif de discrimination énuméré ou analogue?
[56] Suivant le cadre d’analyse dans Kapp, il faut d’abord se demander si la distinction établie par la MSA entre les Métis et les Indiens inscrits constitue une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, donnant ainsi ouverture à la protection de l’art. 15. En l’absence d’une telle distinction, aucune demande fondée sur l’art. 15 ne peut être présentée.
[57] Le motif invoqué et appliqué par les instances inférieures est celui du statut d’Indien inscrit par opposition à celui d’Indien non inscrit ou de Métis. Ces instances ont jugé, sans se pencher très longuement sur la question, que ce motif était un motif analogue.
[58] Je m’abstiens de décider si l’inscription à titre d’Indien constitue un motif de discrimination analogue. La conclusion en ce sens de la juge de première instance n’a pas été contestée par la Couronne du chef de l’Alberta devant la Cour d’appel et les parties n’ont pas présenté la question en détail devant la Cour. Comme la cause a procédé suivant l’hypothèse que l’existence d’un motif analogue avait été établie, je tiendrai pour acquis que tel a été le cas et je vais examiner les autres aspects de l’art. 15 dans la mesure où ils s’appliquent en l’espèce.
2. Le programme est‑il un programme véritablement améliorateur?
[59] Pour être véritablement améliorateur, un programme doit être destiné à améliorer la situation d’un groupe ayant besoin d’aide : Kapp, par. 41. Il doit y avoir une corrélation entre le programme et le désavantage dont est victime le groupe cible : Kapp, par. 49. Il faut que le programme vise à promouvoir l’égalité réelle du groupe : Kapp, par. 16. Pour déterminer si ces conditions sont remplies, il faut d’abord examiner l’objet du programme et ensuite se demander s’il est en corrélation avec le désavantage dont est réellement victime le groupe cible.
[60] Je commence par l’objet du programme créé par la MSA. L’analyse qui suit établit que le programme vise à enrichir l’identité et la culture des Métis ainsi qu’à favoriser leur autonomie gouvernementale en créant pour eux une assise territoriale. Il s’agit d’un type particulier de programme améliorateur. En effet, contrairement à un grand nombre de programmes améliorateurs, celui‑ci ne vise pas à conférer directement des avantages aux membres d’un groupe, mais à renforcer l’identité des Métis en tant que groupe — un des trois groupes autochtones reconnus par la Constitution.
[61] L’objet d’un programme améliorateur doit être déterminé selon les règles d’interprétation législative, en fonction du libellé du texte législatif, de l’expression de l’intention du législateur, de l’historique législatif et de la situation historique et sociale des groupes touchés. Définir l’objectif du programme améliorateur de façon trop large ou trop restreinte fera dévier l’analyse.
[62] Suivant cette approche, je conclus que l’objet du programme établi par la MSA ne poursuit pas l’objectif général qui consiste à favoriser tous les Métis de l’Alberta, comme les demandeurs le prétendent, mais un objectif plus restreint qui consiste à créer une assise territoriale pour les Métis dans le but de préserver et d’enrichir leur identité, leur culture et leur autonomie gouvernementale, par opposition aux autres cultures indiennes environnantes et aux autres cultures qui rayonnent dans la province.
[63] Je vais d’abord examiner le libellé du texte législatif. Le préambule de la modification de la Constitution of Alberta Amendment Act souligne le désir de préserver la culture et l’identité [traduction] « propre[s] » aux Métis. Il y est indiqué que les terres mises de côté et destinées à être utilisées par les Métis constituent « un aspect propre à l’histoire et à la culture de la province ». Il stipule en outre qu’il est souhaitable « que les Métis continuent d’avoir une assise territoriale pour assurer la préservation et l’enrichissement de leur culture et de leur identité et pour leur permettre d’atteindre une autonomie gouvernementale ».
[64] La MSA reprend ces objectifs dans son préambule, lequel proclame que [traduction] « les Métis [devraient continuer] d’avoir une assise territoriale pour assurer la préservation et l’enrichissement de leur culture et de leur identité et pour leur permettre d’atteindre une autonomie gouvernementale en application des lois de l’Alberta ».
[65] Le libellé des dispositions de la MSA étaye le point de vue selon lequel l’objet du programme améliorateur consistait à favoriser les Métis, distincts des Indiens, en créant une assise territoriale qui permettrait de renforcer leur identité et leur culture propres ainsi que leur désir d’atteindre l’autonomie gouvernementale. Le titre de la loi, la « Metis Settlements Act », donne à penser que la loi ne vise pas à favoriser les Métis en général, mais à ériger des établissements (settlements en anglais). La loi comporte des dispositions détaillées régissant l’établissement d’une assise territoriale métisse et la gestion de cette dernière par les Métis.
[66] L’histoire de la lutte ayant mené à la MSA appuie cette interprétation de l’objet de la loi contestée. En effet, comme nous l’avons vu, cette dernière découle du processus de négociation entre les Métis de l’Alberta et la province et est l’aboutissement d’une lutte incessante visant à assurer la préservation des Métis. Ces derniers estimaient former l’un des trois groupes autochtones du Canada, mais cela n’a pas été reconnu avant l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982. Cependant, contrairement aux Indiens, ils ne jouissaient d’aucune terre leur permettant de renforcer leur identité et leur culture ou de se gouverner eux‑mêmes. Ils ne bénéficiaient pas non plus d’une protection conférée par une loi équivalente à la Loi sur les Indiens. En un mot, leur autochtonie n’était légalement ni reconnue ni protégée. Dans ce contexte, le programme améliorateur établi par la MSA apparaît comme une tentative d’offrir aux établissements métis de l’Alberta des protections semblables à celles dont bénéficient les diverses bandes indiennes depuis très longtemps.
[67] Depuis le début, la démarche qui a mené à l’adoption de la MSA reposait sur l’idée que les Métis, bien qu’ils soient autochtones, sont particuliers, différents des Indiens. La Commission Ewing créée en 1934 a été la première étape de cette démarche. Elle a été à l’origine de la reconnaissance du fait que les Métis sont distincts des autres groupes autochtones, notamment des Indiens, dans la Metis Population Betterment Act de 1938. La MSA, qui a été le fruit d’un examen de la Metis Betterment Act, elle‑même une conséquence de la reconnaissance du caractère distinct des Métis parmi les groupes autochtones par la Loi constitutionnelle de 1982, maintient l’insistance historique sur la nécessité de refuser aux Indiens le statut de membres dans les établissements métis. La disposition actuelle relative à l’accession au statut de membre tend moins à l’exclusion et est moins arbitraire que les dispositions équivalentes des lois précédentes, qui excluaient absolument tous les Indiens qui étaient inscrits et qui pouvaient s’inscrire. Cependant, la MSA maintient l’exigence d’un établissement métis distinct où, sous réserve de certaines exceptions limitées, les Indiens inscrits ne sont pas autorisés à vivre.
[68] La Loi constitutionnelle de 1982 a reconnu que les Métis forment un des trois groupes autochtones distincts, provoquant l’examen de la Metis Betterment Act et de la réglementation. Le comité MacEwan avait été conçu comme un partenariat, composé d’un président choisi conjointement et d’autant de commissaires métis que de commissaires non métis. La MSA était l’aboutissement des travaux du comité et des négociations qui se sont déroulées au cours des cinq années suivantes.
[69] En somme, le préambule, le libellé, l’historique législatif et le contexte social de la MSA ont pour effet conjugué d’étayer la conclusion selon laquelle la MSA n’est pas un programme d’avantages général, mais un régime unique qui vise à créer une assise territoriale pour les Métis dans le but de préserver et d’enrichir leur identité, leur culture et leur autonomie gouvernementale, par opposition à l’identité, à la culture et au mode de gouvernance des Indiens. En cherchant à atteindre cet objectif, la loi reflète le régime constitutionnel, qui reconnaît les Indiens, les Métis et les Inuit comme des groupes autochtones distincts avec des identités, des cultures et des droits distincts.
[70] Finalement, comme l’exige l’arrêt Kapp, il existe une corrélation entre le programme et le désavantage dont est victime le groupe cible. En l’espèce, la corrélation est manifeste. L’histoire des Métis en est une de lutte pour la reconnaissance de leur identité particulière, en tant que descendants mixtes d’Européens et d’Indiens. Pris entre deux identités et cultures dominantes, ils ont lutté pendant plus de deux siècles pour que leur identité, leur culture et leur autonomie gouvernementale particulières soient reconnues. Les modifications constitutionnelles de 1982 et, ensuite, l’adoption de la MSA indiquent qu’il est finalement temps de reconnaître que le peuple métis est un peuple particulier et distinct.
[71] Je conclus que la MSA, bien qu’elle soit particulière, constitue un programme véritablement améliorateur. Dans la mesure où les moyens pour réaliser l’objet choisi par le législateur tendent ou contribuent à la réalisation de cette fin, le par. 15(2) protège la MSA contre une allégation de discrimination.
3. La distinction tend‑elle ou contribue‑t‑elle à l’objet du programme améliorateur?
[72] L’objet de la MSA est de favoriser les membres d’un groupe reconnu et protégé par la Constitution, en valorisant son identité, sa culture et son autonomie gouvernementale. Pour réaliser cet objet, le législateur a empêché les Métis qui sont aussi des Indiens inscrits de devenir membres de l’établissement afin d’établir une assise territoriale métisse. La question est de savoir si cette distinction est rationnellement liée au programme, en ce sens qu’elle tend ou contribue à son objet.
[73] À mon avis, la distinction établie par la MSA en ce qui concerne le statut de membre entre les Métis et les Métis qui sont aussi des Indiens inscrits tend et contribue à l’objet du programme. Elle est étayée par des distinctions historiques entre la culture métisse et la culture indienne, par le fait que sans la distinction, il serait plus difficile de réaliser l’objet du programme, et par le rôle de l’établissement métis dans la définition de ceux qui peuvent accéder au statut de membre.
[74] Avant d’examiner ces questions de manière plus détaillée, je souligne que la juge en cabinet a conclu que l’exclusion des Indiens inscrits de l’établissement métis de Peavine favorisait la réalisation de l’objet qui consiste à enrichir la culture, l’identité et l’autonomie gouvernementale des Métis. La Cour d’appel, bien qu’elle ait accepté que la MSA constitue un programme véritablement améliorateur, a infirmé cette conclusion au motif qu’il n’y avait « aucune preuve » selon laquelle l’exclusion permettrait d’atteindre ces objectifs. À mon avis, la Cour d’appel a commis une erreur en demandant la preuve positive que la distinction contestée aura une incidence particulière. Comme il ressort clairement de l’arrêt Kapp, le gouvernement doit seulement démontrer qu’il était « raisonnable que l’État conclue que les moyens choisis pour réaliser son objectif améliorateur permettraient d’atteindre cet objectif » : Kapp, par. 49.
a) Correspondance entre la distinction et les différences historiques
[75] L’objet de la MSA, comme nous l’avons vu, est de promouvoir l’identité, la culture et l’autonomie gouvernementale des Métis en reconnaissance de leur statut particulier — ils sont des Autochtones, et pourtant, ils ne sont ni Indiens ni Inuit. Cet objet correspond aux différences historiques entre les Métis et les Indiens. Depuis leur émergence comme peuple distinct dans les Prairies canadiennes durant les années 1700, les Métis ont réclamé une identité fondée sur leur non‑indianité. Ils se sont toujours distingués des Indiens, l’autre groupe autochtone dominant dans leur territoire. Cependant, dans leur lutte pour préserver leur identité et leur culture particulières, les Métis craignent que le chevauchement et la confusion avec les cultures indiennes dominantes compromettent cette identité et cette culture. Leur droit d’avoir leur culture propre, distincte de la culture indienne, est confirmé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ainsi, le fait d’établir une distinction sur cette base, loin d’être irrationnel, reflète simplement la Constitution et répond aux attentes légitimes des Métis.
[76] La distinction faite dans la MSA entre les Métis et les Indiens inscrits respecte donc, en termes généraux, les différentes identités et protections dont jouit chacun des groupes que reconnaît la Constitution. Elle sert donc à enrichir l’identité métisse et à favoriser l’atteinte de l’objet du programme améliorateur. Le fait que certaines personnes peuvent s’identifier tant aux Métis qu’aux Indiens n’écarte pas la correspondance générale sous-jacente à la distinction entre les deux groupes.
b) Réalisation de l’objet du programme
[77] Accorder aux Métis qui sont aussi des Indiens inscrits le droit d’être membres des communautés établies en vertu de la MSA compromettrait l’objet du programme qui consiste à enrichir l’identité, la culture et l’autonomie gouvernementale des Métis et pourrait potentiellement vider de son sens l’objectif de la MSA qui consiste à préserver et à enrichir la culture, l’identité et l’autonomie gouvernementale distinctes des Métis.
[78] Accepter comme membres un grand nombre de Métis qui sont des Indiens inscrits pourrait compromettre les objectifs de préservation et d’enrichissement de la culture, de l’identité et de l’autonomie gouvernementale distinctives des Métis. Si les Indiens inscrits étaient membres des établissements métis, l’identité distinctive des Métis, avec l’importance historique accordée à la distinction qui existe entre leur identité et l’identité indienne, serait compromise. En outre, si les Indiens inscrits étaient membres des établissements métis, l’objectif qui consiste à atteindre une autonomie gouvernementale risquerait de ne pas se réaliser. Par exemple, les Indiens qui jouissent déjà du droit de chasser à l’extérieur des réserves pourraient avoir peu d’intérêt à promouvoir le droit des Métis de chasser à l’extérieur des terres désignées. Il en va de même pour d’autres avantages et privilèges. Comme la Loi sur les Indiens prévoit un régime d’avantages conférés aux Indiens inscrits, qu’il s’agisse des soins médicaux, du logement ou de l’exemption d’impôt, les Indiens inscrits qui sont membres d’établissements métis risquent d’être moins intéressés que les Métis n’ayant pas le statut d’Indien à se battre pour obtenir des avantages semblables.
c) Le rôle des Métis dans la définition de leur communauté
[79] L’exclusion des Indiens inscrits des nouveaux établissements métis dotés d’assises territoriales était l’aboutissement d’une longue période de consultation entre le gouvernement et les Métis. Accorder un certain respect au rôle des Métis tend à la réalisation de l’objet du programme améliorateur et y contribue. Certes, cela n’a pas pour effet de soustraire la sélection des bénéficiaires à l’examen fondé sur la Charte, mais cela vient appuyer l’existence d’un lien entre l’objet du programme et les moyens choisis pour le réaliser.
[80] Dans R. c. Powley, 2003 CSC 43, [2003] 2 R.C.S. 207, la Cour a été saisie de la tâche d’élaborer un test permettant d’identifier les droits des Autochtones métis visés à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ainsi que les titulaires de ces droits. Nous avons reconnu que le mot « Métis » à l’art. 35 « ne vise pas toutes les personnes d’ascendance mixte indienne et européenne, mais plutôt les peuples distincts qui, en plus de leur ascendance mixte, possèdent leurs propres coutumes, façons de vivre et identité collective reconnaissables et distinctes de celles de leurs ancêtres indiens ou inuits d’une part et de leurs ancêtres européens d’autre part » (par. 10; voir aussi par. 11). Nous avons aussi conclu que « [l]’inclusion des Métis à l’art. 35 traduit un engagement à reconnaître les Métis et à favoriser leur survie en tant que communautés distinctes » (par. 13).
[81] Bien que la présente affaire ne porte pas sur la définition des droits visés à l’art. 35, elle porte sur l’identification des conditions d’appartenance aux établissements métis afin d’établir une assise territoriale métisse. Les motifs de la Cour dans Powley laissent entendre que les communautés métisses elles‑mêmes ont un rôle important à jouer dans cet exercice. Nous avons écrit ce qui suit au par. 29 :
Étant donné que les communautés métisses continuent de s’organiser plus formellement et de revendiquer leurs droits constitutionnels, il est essentiel que les conditions d’appartenance aux communautés deviennent plus uniformes, de façon à permettre l’identification des titulaires de droits.
[82] L’auto‑organisation et l’uniformisation de la communauté métisse en Alberta, voilà précisément ce que l’Assemblée législative albertaine et les Métis de la province ont voulu obtenir en élaborant, en acceptant et en adoptant les conditions d’appartenance énoncées dans la MSA et contestées en l’espèce. Le rôle important que doivent jouer les Métis dans la définition des conditions d’appartenance à leur établissement ne signifie pas que cet exercice ne fera pas l’objet d’un examen au regard de la Charte. Cependant, il donne à entendre que les tribunaux doivent faire preuve de prudence et tenir dûment compte de la conception qu’ont les Métis des traits distincts de leur communauté en examinant les conditions d’appartenance en question.
d) Conclusion : la distinction tend à la réalisation de l’objet du programme améliorateur et y contribue
[83] J’estime que l’exclusion des Métis qui sont aussi des Indiens inscrits de quelque établissement que ce soit, dont celui de Peavine, tend et contribue à la réalisation de l’objet du programme améliorateur. Elle correspond aux distinctions historiques et sociales entre les Métis et les Indiens, elle appuie la réalisation de l’objet qui consiste à enrichir l’identité, la culture et l’autonomie gouvernementale des Métis et respecte le rôle des Métis en ce qui a trait à la définition du peuple qu’ils forment.
[84] Par conséquent, la distinction établie par la MSA entre les Métis et les Indiens inscrits n’outrepasse pas l’étendue de la protection offerte par le par. 15(2). Cette distinction correspond plutôt au type de programme améliorateur ciblé que les législatures devaient être autorisées à adopter grâce à l’art. 15. Le paragraphe 15(2) s’applique et l’exclusion des demandeurs d’un établissement métis n’est pas discriminatoire.
[85] L’argument avancé par les demandeurs pour la reconnaissance des identités multiples de nombreux Autochtones ne porte pas atteinte à cette conclusion. Les demandeurs prétendent que les peuples — particulièrement les peuples autochtones — peuvent, pour des raisons historiques, avoir des identités multiples et que la loi devrait respecter ces identités dans toute leur complexité.
[86] Il est clair que l’identité particulière de ces peuples, y compris celle de nombreux Métis, regroupe des éléments ethniques et culturels mixtes. Cependant, cela ne signifie pas que chaque programme doive reconnaître tous ceux qui prétendent faire partie d’un groupe ciblé par un programme améliorateur. La notion d’identité mixte est un thème récurrent de l’effort permanent de réconciliation des peuples autochtones et de la population générale au Canada. Cette notion est notamment évoquée dans les négociations sur les revendications territoriales entre des groupes indiens particuliers et le gouvernement. Les membres d’un groupe indien s’identifient souvent à d’autres groupes indiens pour des raisons historiques et culturelles. Il faut toutefois établir des distinctions pour arriver à des ententes. La situation des établissements métis est semblable. Pour préserver la culture et l’identité particulières des Métis et pour garantir l’efficacité de l’autonomie gouvernementale au moyen d’une assise territoriale pour les Métis, il est nécessaire de tracer une ligne de démarcation. Il en découle nécessairement que ce ne sont pas toutes les personnes qui sont des Métis au sens large — soit des personnes qui ont des ancêtres à la fois européens et indiens et qui s’identifient comme appartenant à la communauté métisse, comme l’envisage l’arrêt Powley — qui peuvent demander le statut de membre dans une communauté métisse en vertu de la MSA.
[87] Il convient ici de reprendre la conclusion formulée par le juge Iacobucci de la Cour dans Lovelace :
Il existe d’importantes différences entre les Premières nations constituées en bandes, les communautés métisses et les Premières nations non constituées en bandes, et, comme a dit le juge L’Heureux‑Dubé dans Corbiere, précité, au par. 94, « [l]a prise en compte, la reconnaissance et la confirmation des différences qui existent entre divers groupes d’une manière qui respecte et valorise leur dignité et leur différence sont des considérations non seulement légitimes, mais également nécessaires afin de garantir l’égalité réelle des droits dans la société canadienne. » [par. 90]
[88] Je conclus que la MSA constitue un programme améliorateur protégé par le par. 15(2) de la Charte. Par conséquent, la demande formulée par les demandeurs et fondée sur l’art. 15 doit être rejetée.
V. La prétention fondée sur la liberté d’association prévue à l’al. 2d) de la Charte
[89] La liberté d’association est garantie par l’al. 2d) de la Charte, qui est ainsi libellé :
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
. . .
d) liberté d’association.
[90] Les demandeurs soutiennent que les art. 75 et 90 de la MSA, qui empêchent leur réintégration à titre de membres de l’établissement métis de Peavine, portent atteinte à leur liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte.
[91] Le dossier ne fournit pas un fondement adéquat pour évaluer l’argument fondé sur l’al. 2d) invoqué par les demandeurs. Comme l’a indiqué la Cour d’appel de l’Alberta au par. 57 :
[traduction] La juge en cabinet ne disposait pas d’une preuve abondante sur cette question et, plus troublant encore est le fait que, à l’audience devant la juge en cabinet, cette question a seulement été soulevée en passant.
J’estime que, au vu du dossier dont nous disposons, aucune prétention valable fondée sur l’al. 2d) de la Charte n’a été soulevée.
VI. La prétention fondée sur le droit à la liberté garanti à l’art. 7 de la Charte
[92] Le droit des demandeurs de résider dans l’établissement de Peavine, bien qu’il ne soit pas aboli, a été restreint. Ils pourraient, à l’avenir, se voir refuser le droit de résider dans l’établissement. Les demandeurs soutiennent que cela porte atteinte à leur droit à la liberté garanti à l’art. 7 de la Charte, qui prévoit ce qui suit :
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.
[93] Il n’est pas évident que le droit de choisir son lieu de résidence soit visé par le droit à la liberté garanti à l’art. 7 de la Charte. Dans Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844, le juge La Forest, s’exprimant en son nom et en celui de deux autres juges de la Cour, a laissé entendre que ce l’était. Cependant, la question n’est toujours pas résolue.
[94] Il n’est pas nécessaire de décider si le lieu de résidence est protégé par l’art. 7, car, comme l’a conclu la juge en cabinet, il n’a pas été démontré que les répercussions sur le droit à la liberté étaient contraires aux principes de justice fondamentale, tel qu’il est exigé dans le cadre d’une demande fondée sur l’art. 7. L’atteinte n’est ni arbitraire ni exagérément disproportionnée, pour les motifs exposés dans le contexte de la demande fondée sur l’art. 15. Comme l’a dit la juge en cabinet, [traduction] « [o]bliger les adultes autochtones qui pourraient autrement répondre à la fois à la définition d’Indien et à celle de Métis à choisir à quel régime législatif ils souhaitent être assujettis — la Loi sur les Indiens ou la MSA — n’est pas exagérément disproportionné par rapport à l’intérêt qu’a l’Alberta à garantir une assise territoriale aux Métis » (par. 130).
[95] La demande fondée sur l’art. 7 est donc rejetée.
VII. Conclusion
[96] Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer la décision de la Cour d’appel et de confirmer la décision de la juge en cabinet. Les appelants n’ont pas sollicité d’ordonnance quant à leurs dépens devant la Cour, je ne les leur octroierais donc pas. Je suis d’avis de répondre comme suit aux questions constitutionnelles :
1. Est-ce que l’art. 75 ou l’art. 90 de la loi intitulée Metis Settlements Act, R.S.A. 2000, ch. M-14, ou ces deux articles, violent l’al. 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés?
Le dossier ne fournit pas le fondement nécessaire à l’examen de l’allégation des demandeurs relative à l’al. 2d); la Cour refuse donc de répondre à cette question.
2. Dans l’affirmative, cette violation constitue-t-elle, au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, une limite raisonnable, prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique?
Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.
3. Est-ce que l’art. 75 ou l’art. 90 de la loi intitulée Metis Settlements Act, R.S.A. 2000, ch. M‑14, ou ces deux articles, violent l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?
Non.
4. Dans l’affirmative, cette violation constitue-t-elle, au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, une limite raisonnable, prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique?
Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.
5. Est-ce que l’art. 75 ou l’art. 90 de la loi intitulée Metis Settlements Act, R.S.A. 2000, ch. M-14, ou ces deux articles, violent l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?
Non.
6. Dans l’affirmative, cette violation constitue-t-elle, au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, une limite raisonnable, prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique?
Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.
Pourvoi accueilli.
Procureur des appelants : Procureur général de l’Alberta, Edmonton.
Procureurs des intimés : Field, Edmonton.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec : Procureur général du Québec, Sainte‑Foy.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Procureur général de la Saskatchewan, Regina.
Procureurs de l’intervenant East Prairie Métis Settlement : Hajduk Gibbs, Edmonton.
Procureurs de l’intervenant Elizabeth Métis Settlement : Owen Law, Edmonton.
Procureurs de l’intervenante Métis Nation of Alberta : Pape Salter Teillet, Vancouver.
Procureurs de l’intervenant le Ralliement national des Métis : JTM Law, Toronto.
Procureurs de l’intervenant Métis Settlements General Council : Witten, Edmonton.
Procureur de l’intervenante Aboriginal Legal Services of Toronto Inc. : Aboriginal Legal Services of Toronto Inc., Toronto.
Procureur de l’intervenant le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes : Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, Toronto.
Procureur de l’intervenante l’Association canadienne pour l’intégration communautaire : ARCH Disability Law Centre, Toronto.
Procureurs de l’intervenant Gift Lake Métis Settlement : Field, Edmonton.
Procureur de l’intervenante l’Association des femmes autochtones du Canada : Law Office of Mary Eberts, Toronto.