R. c. Wise, [1992] 1 R.C.S. 527
James Henry Wise Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
Répertorié: R. c. Wise
No du greffe: 22050.
1991: 25 juin; 1992: 27 février.
Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, Stevenson et Iacobucci.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Fouilles, perquisitions et saisies abusives ‑‑ Surveillance électronique ‑‑ Dispositifs de surveillance ‑‑ Installation sans autorisation par la police d'un dispositif de surveillance électronique dans l'automobile de l'accusé afin de surveiller ses allées et venues ‑‑ L'utilisation du dispositif viole‑t‑elle le droit de l'accusé à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives? ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 8.
Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Admissibilité de la preuve ‑‑ Déconsidération de l'administration de la justice ‑‑ Installation sans autorisation par la police d'un dispositif de surveillance électronique dans l'automobile de l'accusé afin de surveiller ses allées et venues ‑‑ Violation du droit de l'accusé à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives ‑‑ L'utilisation de la preuve ainsi obtenue est‑elle susceptible de déconsidérer l'administration de la justice? ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 24(2).
Droit criminel ‑‑ Surveillance électronique ‑‑ Dispositifs de surveillance ‑‑ Installation sans autorisation par la police d'un dispositif de surveillance électronique dans l'automobile de l'accusé afin de surveiller ses allées et venues ‑‑ L'utilisation du dispositif viole‑t‑elle la garantie contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives reconnue à l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés? ‑‑ Dans l'affirmative, l'utilisation de la preuve ainsi obtenue est‑elle susceptible de déconsidérer l'administration de la justice au sens de l'art. 24(2) de la Charte?
L'appelant a été accusé d'avoir commis un méfait à l'égard d'un bien. Le ministère public a tenté d'introduire la preuve de ses allées et venues, obtenue grâce à un dispositif de surveillance électronique (une "balise") dissimulé dans sa voiture. Depuis un certain temps, l'appelant faisait l'objet de surveillance par la police qui le soupçonnait d'être impliqué dans une récente affaire de meurtre qu'elle croyait reliée à une série de meurtres similaires. Le 14 juillet 1987, la police a obtenu un mandat l'autorisant à perquisitionner au domicile de l'appelant et à fouiller son véhicule, mais elle n'a découvert aucun indice permettant de le relier à l'un des homicides. Elle avait fait remorquer l'automobile de l'appelant au poste afin de procéder à la fouille. Pendant qu'elle s'y trouvait encore, mais après l'expiration du mandat, les policiers ont installé la balise. Le 15 août, date de l'infraction reprochée, les policiers ont pu retracer l'automobile de l'appelant grâce à la balise et ils ont placé sous surveillance un véhicule stationné dans une entrée de cour, qui ressemblait à celui de l'appelant. Environ deux heures plus tard, les policiers ont entendu un grand bruit causé par l'effondrement d'une tour de télécommunications. Peu de temps après, les policiers ont vu un autre véhicule, appartenant effectivement à l'appelant, sortir d'un chemin situé dans un champ voisin. Le 26 août, la police a obtenu un mandat l'autorisant à fouiller le véhicule de l'appelant. En y passant l'aspirateur, on a découvert des fragments de métal fondus semblant provenir des haubans de la tour de télécommunications. La surveillance électronique s'est poursuivie constamment jusqu'à la mi‑novembre, date à laquelle l'accusé a été arrêté pour méfait. Le juge du procès a écarté tous les éléments de preuve obtenus grâce à la balise pour le motif qu'ils avaient été obtenus en violation du droit à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives reconnu à l'appelant par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il a acquitté l'appelant. La Cour d'appel a annulé l'acquittement et ordonné la tenue d'un nouveau procès.
Arrêt (les juges La Forest, Sopinka et Iacobucci sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.
Le juge en chef Lamer et les juges Gonthier, Cory et Stevenson: L'installation de la balise à l'intérieur du véhicule de l'appelant constitue une fouille abusive au sens de l'art. 8 de la Charte. Comme la surveillance subséquente du véhicule déjouait une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, elle constitue également une fouille et, en l'absence d'autorisation préalable, elle est contraire à l'art. 8. Cependant, la fouille constitue une intrusion simplement minimale. L'attente en matière de respect de la vie privée dans un véhicule à moteur est beaucoup moindre que celle qui existe à l'intérieur de la résidence ou du bureau. De même, le dispositif était rudimentaire et imprécis. Il constituait un prolongement très rudimentaire de la surveillance visuelle et était fixé au véhicule de l'appelant et non à l'appelant lui‑même. La police a également cru de bonne foi qu'en installant le dispositif, elle protégeait le public, compte tenu de la série d'homicides qui avaient été commis dans le secteur rural où vivait l'appelant.
L'utilisation de la preuve en l'espèce n'est pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. La preuve portant sur l'emplacement de l'automobile ne compromettrait pas l'équité du procès. Il s'agit d'une preuve matérielle et non d'une preuve obtenue en mobilisant l'accusé contre lui‑même. La police n'a exercé aucune contrainte ni eu recours à aucun subterfuge pour forcer l'appelant à monter dans son automobile et la conduire. La balise a simplement aidé la police a recueillir une preuve qu'elle avait obtenue, en grande partie, en observant le véhicule. La police a également agi de bonne foi dans cette affaire. Elle avait des motifs raisonnables et probables de fouiller le véhicule de l'appelant lorsqu'elle a installé la balise. Bien que la poursuite de la surveillance électronique après la découverte des fragments de métal soit difficilement justifiable, la police a obtenu les éléments de preuve quant à l'emplacement du véhicule à l'intérieur d'un délai de 30 jours qui ne constituait pas un délai abusif pour poursuivre la surveillance, compte tenu particulièrement de son obligation de protéger la communauté contre celui qu'on soupçonnait être l'auteur d'une série de meurtres. Une menace de violence et un sentiment d'urgence persistaient manifestement en l'espèce. De plus, l'infraction reprochée ici est grave. La preuve relative aux fragments de métal devrait être admise pour les mêmes raisons.
Les juges Sopinka et Iacobucci (dissidents): L'installation du dispositif de surveillance dans l'automobile de l'appelant constitue une fouille abusive au sens de l'art. 8 de la Charte. Il n'est pas nécessaire de se demander si la surveillance elle‑même violerait l'art. 8. L'utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Les policiers ont sciemment commis une intrusion illégale. Même s'ils soupçonnaient l'appelant d'avoir commis une infraction plus grave, le simple soupçon ne saurait servir à racheter des violations de la Charte. Il n'y a aucune différence appréciable entre la présente affaire et l'affaire R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3.
Le juge La Forest (dissident): L'installation du dispositif de surveillance dans la voiture de l'appelant constitue une intrusion illégale et viole les droits à la vie privée que lui confère l'art. 8 de la Charte. L'utilisation du dispositif pour surveiller ses déplacements viole également l'art. 8. Chacun s'attend raisonnablement au respect de sa vie privée, non seulement dans ses communications, mais aussi dans ses déplacements, et ce, même lorsqu'il circule sur la voie publique. Il ne s'agit pas ici d'un cas où des policiers surveillent des routes à des fins de réglementation ou d'observation. Il s'agit ici de suivre les déplacements d'une personne. Il existe une différence importante entre prendre le risque que nos activités soient observées par d'autres personnes et le risque que des agents de l'État, sans autorisation préalable, surveillent nos moindres déplacements. Il est constitutionnellement inadmissible de permettre à l'État de justifier la surveillance électronique non autorisée d'une personne donnée en invoquant simplement le fait que cette personne se trouvait dans une situation où elle pouvait être observée par d'autres citoyens. La réponse à la question de savoir si la personne dont les déplacements ont été surveillés clandestinement avait, dans des circonstances données, une attente raisonnable quant au respect de sa vie privée ne doit pas dépendre de la mesure dans laquelle cette personne a pris des mesures pour soustraire ses activités à la vue d'autrui.
La surveillance électronique clandestine des déplacements d'une personne fait peser sur sa vie privée une menace d'une telle gravité qu'elle exige une autorisation judiciaire préalable. Un mandat de perquisition ne sera ordinairement décerné qu'à la condition qu'on démontre objectivement l'existence d'un motif raisonnable et probable de le décerner et, de façon générale, cela devrait être exigé de ceux qui cherchent à utiliser des dispositifs de surveillance électronique à des fins de filature. Étant donné que, dans la mesure où il est soumis à un contrôle approprié, ce moyen de surveillance est moins envahissant que la surveillance électronique audio ou magnétoscopique, il peut être possible d'établir qu'il y aurait lieu, dans certaines circonstances, d'habiliter les officiers de justice à accepter une norme moins rigoureuse, tel le "motif solide" de soupçonner, si l'on peut établir par ailleurs que ce pouvoir est nécessaire pour enrayer certains types de crimes dangereux ou pernicieux.
Les éléments de preuve obtenus au moyen du dispositif de surveillance devraient être écartés en vertu du par. 24(2) de la Charte. Ces éléments de preuve n'auraient pas existé n'eût été le dispositif, puisqu'on avait perdu de vue l'accusé. Puisque la violation en l'espèce a été envahissante et s'est déroulée sur une longue période, elle est grave. La surveillance électronique s'est poursuivie jour et nuit pendant de nombreux mois. La violation n'est pas atténuée par la bonne foi des policiers. Les policiers savaient pertinemment qu'ils devaient posséder un mandat pour fouiller la voiture, que celui qu'ils avaient obtenu ne leur permettait pas d'agir comme ils l'ont fait, et même qu'il était expiré. Les policiers n'avaient aucun motif raisonnable et probable d'agir; ils ont agi sur la foi d'un simple soupçon. Les conséquences à long terme de l'utilisation d'éléments de preuve obtenus en pareilles circonstances sur l'intégrité de notre système de justice l'emportent sur le tort que pourrait causer l'acquittement de l'accusé en l'espèce.
Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Distinction d'avec l'arrêt: R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3; arrêts mentionnés: United States c. Knotts, 460 U.S. 276 (1983); R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Jacoy, [1988] 2 R.C.S. 548; R. c. Debot, [1989] 2 R.C.S. 1140; R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138; R. c. Pohoretsky, [1987] 1 R.C.S. 945; R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233; R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425; R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613; R. c. Genest, [1989] 1 R.C.S. 59; R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30; R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495.
Citée par le juge Sopinka (dissident)
R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3.
Citée par le juge La Forest (dissident)
R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3; Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Moran (1987), 36 C.C.C. (3d) 225; R. c. Wong, [1990] 3 R.C.S. 36; R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111; Cardwell c. Lewis, 417 U.S. 583 (1974); R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30; United States c. Knotts, 460 U.S. 276 (1983); R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495; R. c. Jacoy, [1988] 2 R.C.S. 548; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425; R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138; R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3; R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755; Olmstead c. United States, 277 U.S. 438 (1928); R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 10b), 24(2).
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 387(3).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 430(4).
Constitution des État-Unis, Quatrième amendement.
Doctrine citée
Gutterman, Malvin. "A Formulation of the Value and Means Models of the Fourth Amendment in the Age of Technologically Enhanced Surveillance" (1988), 39 Syracuse L. Rev. 647.
Hentoff, Nat. "Profiles: The Constitutionalist", The New Yorker, March 12, 1990, p. 45.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1990), 40 O.A.C. 103, 49 C.R.R. 163, qui a accueilli l'appel interjeté par le ministère public contre l'acquittement de l'appelant par le juge Smith de la Cour de district relativement à une accusation de méfait à l'égard d'un bien. Pourvoi rejeté, les juges La Forest, Sopinka et Iacobucci sont dissidents.
J. Bruce Carr‑Harris et Carole J. Brown, pour l'appelant.
Susan Chapman, pour l'intimée.
Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Gonthier, Cory et Stevenson rendu par
//Le juge Cory//
Le juge Cory ‑‑ J'ai lu avec beaucoup d'intérêt les motifs convaincants de mon collègue le juge La Forest, mais en toute déférence, je ne puis souscrire aux conclusions qu'il a tirées.
Les questions en litige
Le ministère public intimé a reconnu que l'installation d'une balise constituait une fouille abusive en violation de l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Compte tenu de cette reconnaissance, la question principale est de savoir si la preuve obtenue grâce à la fouille abusive devrait être écartée en vertu du par. 24(2) de la Charte. Toutefois, la preuve en question résulte non seulement de l'installation de la balise, mais encore de la surveillance exercée à l'aide de celle‑ci. Avant de procéder à l'analyse fondée sur le par. 24(2), il faut répondre à la question préliminaire suivante:
L'utilisation de la balise constitue‑t‑elle une fouille abusive en violation de l'art. 8 de la Charte?
L'analyse
1.La surveillance du véhicule exercée au moyen d'une balise constitue‑t‑elle une fouille abusive pour les fins de l'article 8?
a)Introduction
De toute évidence, l'art. 8 de la Charte garantit le droit général à la protection contre les fouilles ou perquisitions abusives dans les cas où la personne qui en fait l'objet s'attend raisonnablement à ce que sa vie privée soit respectée. Afin d'établir si la surveillance exercée au moyen d'une balise constitue une fouille, il faut d'abord se demander s'il existe une attente raisonnable à ce que la vie privée soit respectée dans le contexte de l'activité surveillée. Si l'activité de la police a pour effet de déjouer une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, elle constitue alors une fouille.
b)L'attente moindre en matière de respect de la vie privée à l'intérieur d'un véhicule à moteur
L'attente en matière de respect de la vie privée à l'intérieur d'un véhicule ne peut avoir l'importance que lui prête mon collègue. Au nom de la sécurité et du bien‑être de la société, les véhicules à moteur et leurs conducteurs sont assujettis à de nombreux règlements, conditions et exigences légales. L'utilisation d'un véhicule à moteur est réglementée dans presque tous ses aspects. Ainsi, diverses lois et divers règlements viennent prescrire notamment le côté de la route sur lequel on peut conduire une automobile, la vitesse à laquelle on peut rouler, les endroits où on peut doubler un véhicule, les arrêts obligatoires, la bonne condition mécanique du véhicule, les endroits où il est possible de stationner son véhicule et ils viennent également prescrire ou interdire l'installation de certains accessoires.
Afin que tous soient en sécurité, il est essentiel que les conducteurs réussissent un examen avant de recevoir leur permis de conduire, que des programmes de promotion de la sobriété au volant (appelés RIDE) soient mis sur pied afin de décourager la conduite en état d'ébriété et que la vitesse et la condition mécanique des véhicules soient contrôlées. Ces différentes mesures ne portent pas atteinte de façon abusive aux libertés civiles fondamentales. En fait, ce sont plutôt des règles de bon sens qui visent à protéger la société en général. La surveillance et le contrôle raisonnables des véhicules et de leurs conducteurs sont essentiels. En l'absence de ces mesures, les véhicules deviennent inévitablement des instruments de mutilation, de mort et de destruction.
La société exige et espère, donc, une certaine protection contre les conducteurs ivres ou dangereux ou encore contre ceux qui commettent des excès de vitesse. Afin d'obtenir cette protection, la société est disposée à accepter et même à exiger un niveau raisonnable de surveillance de chaque véhicule à moteur. Ces facteurs permettent de souligner que, bien qu'il subsiste une certaine attente en matière de respect de la vie privée lorsqu'on circule en automobile, cette attente est manifestement moindre que celle qui existe à l'intérieur de la résidence ou du bureau.
c)La nature du dispositif utilisé en l'espèce et son intrusion minimale
Il faut se rappeler la nature rudimentaire et même simpliste du dispositif de surveillance utilisé en l'espèce. Il ne permettait pas d'obtenir une image des déplacements ou de la position du véhicule. Il ne permettait pas non plus de capter ou d'enregistrer les conversations à l'intérieur du véhicule. En fait, ce dispositif ne permettait que d'établir approximativement l'emplacement du véhicule. De toute évidence, on ne pouvait pas dire qu'il permettait de situer un véhicule en tout temps.
Le dispositif consistait en un émetteur radio de faible puissance. Selon la force du signal, il était possible de déterminer approximativement l'emplacement de l'objet sur lequel avait été apposée la balise. Les déplacements dans la direction de l'émetteur et le réglage de la commande d'amplification HF permettaient d'établir avec plus de précision l'emplacement du véhicule. Mais le dispositif ne pouvait indiquer si l'objet repéré était à droite, à gauche, en avant ou en arrière du récepteur du signal.
En l'espèce, la preuve a démontré que le dispositif était utilisé de façon intermittente pour appuyer la surveillance visuelle de l'automobile de l'appelant entreprise le 17 juillet 1987, et particulièrement pour tenter de situer le véhicule dans le cas où on le perdrait de vue. Puisque le dispositif ne permettait pas de situer le véhicule avec précision, il fallait le surveiller en tout temps afin de connaître son emplacement approximatif.
D'ailleurs, la nuit au cours de laquelle la tour a été détruite, le dispositif n'arrivait pas à repérer le véhicule de l'appelant. Cette même nuit, la police a perdu de vue le véhicule de l'appelant et a tenté, en utilisant la balise, de le retrouver. À l'"aide" de la balise, la police a surveillé une automobile ressemblant à celle de l'appelant. Alors qu'ils étaient occupés à observer ce véhicule qui, en fait, n'était pas celui de l'appelant, les policiers ont entendu s'écrouler de la tour de Bell Canada et ils ont alors vu le véhicule même de l'appelant quitter un champ avoisinant. Cet incident illustre la nature rudimentaire et imprécise de la balise.
On a mentionné précédemment que l'attente des automobilistes en matière de respect de la vie privée est moindre. En outre, le non-respect de l'attente qui subsiste à cet égard par suite de l'utilisation du dispositif en question est minime. La balise en cause ici était un prolongement très rudimentaire de la surveillance visuelle. Il faut également se rappeler qu'elle était fixée au véhicule de l'appelant et non à l'appelant lui‑même. Un tel dispositif est très différent, tant dans son fonctionnement que dans son incidence sur la personne, de la caméra vidéo cachée ou du dispositif de surveillance électronique qui intercepte clandestinement les communications privées.
Avant d'étudier quelle devrait être au Canada la position à l'égard des dispositifs de surveillance des véhicules, il peut être intéressant d'examiner le point de vue adopté par la Cour suprême des États‑Unis. On devrait se garder d'y voir une indication qu'il faut suivre aveuglément la jurisprudence américaine. Celle‑ci doit plutôt être examinée pour l'enseignement qu'elle fournit et pour l'aide qu'elle est susceptible d'apporter dans le cadre de notre étude.
d)Le point de vue américain
Aux États‑Unis, on a statué que la surveillance d'un véhicule sur une voie publique au moyen d'une balise n'était pas une "fouille" ou une "saisie" aux fins du Quatrième amendement, puisqu'elle ne déjoue aucune attente légitime en matière de respect de la vie privée. Dans l'arrêt United States c. Knotts, 460 U.S. 276 (1983), la Cour suprême a statué (aux pp. 281 et 282:
[traduction] La personne qui circule en automobile sur la voie publique n'a aucune attente raisonnable en matière de respect de sa vie privée au cours de ses déplacements d'un endroit à l'autre. Lorsque [le messager] a emprunté la voie publique, il a volontairement fait comprendre à quiconque se donnait la peine de regarder qu'il circulait sur une route particulière dans une direction particulière, qu'il faisait des arrêts, et il indiquait sa destination finale lorsqu'il laissait la voie publique pour pénétrer dans une propriété privée.
. . .
La surveillance visuelle exercée à partir d'endroits publics le long de la route [du messager] ou près des locaux [de l'accusé] aurait suffi à révéler tous ces éléments à la police. En l'espèce, le fait que les officiers aient à la fois exercé une surveillance visuelle et utilisé une balise pour signaler la présence de l'automobile [du messager] au récepteur de la police ne change rien à la situation.
Cette décision, il est vrai, a été critiquée jusqu'à un certain point, en premier lieu, parce qu'elle suppose l'existence d'une équivalence entre la surveillance visuelle et l'amélioration scientifique de la surveillance et, en deuxième lieu, parce qu'elle ne reconnaît pas l'existence du droit au respect de la vie privée lorsqu'on se déplace en automobile. Néanmoins, la décision démontre clairement que les automobilistes doivent, tout au moins, avoir une attente manifestement moindre quant au respect de leur vie privée.
e)La protection du public
En l'espèce, les faits sont importants. Ils montrent que la police a cru de bonne foi qu'en installant la balise, elle protégeait le public. Une série d'homicides avaient été commis dans le secteur rural où vivait l'appelant, et ce dernier était un suspect. Voici une liste des homicides en question:
1)24 sept. 1975 ‑Lillian Rouson est décédée lors de l'incendie d'une ferme près de Morrisburg,
2)8 janv. 1981 ‑Kenneth Murphy est décédé lors de l'incendie d'une ferme dans le canton de Finch,
3)18 nov. 1983 ‑Archie Collision est décédé lors de l'incendie de sa cabane en bois rond située près de Kempenfeldt,
4)25 nov. 1983 ‑Harold Davidson a été tué d'un coup de feu dans la cuisine de sa maison de ferme près de Brinston,
5)16 ou 17 mai 1987 ‑Keith Johnston a été tué d'un coup de feu provenant d'un fusil de gros calibre dans une ferme près de Monkland,
6)14 juillet 1987 ‑John King a apparemment été tué d'un coup de feu avant que sa maison ne soit incendiée à Moorewood.
On remarque que les quatre plus récents meurtres ont été commis au cours d'une période de quatre ans, et les deux derniers dans un intervalle de deux mois. Outre les homicides commis, la police avait reçu l'enregistrement d'un appel anonyme au cours duquel on avait menacé de commettre d'autres meurtres. Elle croyait que l'appelant était l'auteur de cet appel. Ce dernier était le principal suspect dans le cas des meurtres de Keith Johnston et de John King.
La police a pu convaincre un juge de paix de l'existence de motifs raisonnables et probables justifiant l'obtention d'un mandat l'autorisant à perquisitionner la résidence de l'appelant et ses dépendances et à fouiller son automobile. Le mandat décerné relativement à l'enquête sur le meurtre a été exécuté entre 17 h 30, le 14 juillet, et 7 h 30, le 15 juillet 1987. Le véhicule de l'appelant a été remorqué jusqu'au poste de la Police provinciale de Winchester où l'unité d'identification a pu l'examiner. Le véhicule est demeuré à cet endroit jusqu'au 16 juillet. Au cours de cette période, on s'est arrangé pour installer le dispositif de surveillance dans le siège arrière. Dans ce contexte, la police avait tous les motifs de croire qu'en installant ce dispositif, elle ne se contentait pas d'enquêter sur les deux meurtres, mais elle agissait aussi pour protéger les résidents de cette communauté rurale.
f)La nature de la fouille en l'espèce
On a reconnu ici à juste titre que l'installation de la balise à l'intérieur du véhicule constituait une fouille contrevenant aux dispositions de l'art. 8 de la Charte. Comme la surveillance du véhicule de l'appelant exercée au moyen d'une balise déjouait une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, cette activité de la police constituait également une fouille. Sans autorisation préalable, une telle fouille est à première vue abusive et, par conséquent, contraire à l'art. 8. Puisque l'installation et l'utilisation de la balise n'avaient fait l'objet d'aucune autorisation préalable, la surveillance violait le droit de l'appelant, prévu à l'art. 8, à la protection contre les fouilles et perquisitions abusives. En même temps, toutefois, le droit moindre au respect de la vie privée, conjugué à l'utilisation d'un dispositif rudimentaire, fait de la fouille une intrusion simplement minimale. Cette intrusion minimale et le besoin urgent de protéger la communauté fournissent le contexte dans lequel l'analyse fondée sur le par. 24(2) doit être faite.
Par ailleurs, toute distinction entre l'installation de la balise et la surveillance subséquente semble artificielle. La surveillance est le prolongement de l'installation. Elle est le but et l'objectif de l'installation et ne peut en être dissociée. C'est l'installation du dispositif, jointe à son utilisation subséquente pour surveiller le véhicule, qui constitue la fouille abusive. Il est par conséquent nécessaire, dans le contexte de l'ensemble de la fouille abusive, de déterminer si la preuve obtenue devrait néanmoins être utilisée.
2.La preuve devrait‑elle être utilisée?
Voici le texte du par. 24(2) de la Charte:
24. . . .
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
Rappelons‑nous que notre Cour joue un rôle limité dans la révision des décisions rendues par les cours d'appel provinciales à l'égard du par. 24(2) de la Charte. Dans l'arrêt R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755, le juge Lamer (maintenant Juge en chef) écrit, à la p. 783:
Je souligne qu'en l'absence d'erreur manifeste quant aux principes ou aux règles de droit applicables, ou en l'absence de conclusion déraisonnable, il n'appartient pas vraiment à notre Cour de réviser les conclusions tirées par les tribunaux d'instance inférieure en vertu du par. 24(2) de la Charte et de substituer son opinion à celle de la Cour d'appel . . .
Par conséquent, une révision ne conviendrait que si la Cour d'appel a tiré une conclusion déraisonnable ou a appliqué les mauvais principes.
De quels principes devons‑nous alors tenir compte? Ces principes, le juge Lamer, maintenant Juge en chef, les a énoncés dans l'arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265. Il a divisé en trois groupes les facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer l'admissibilité de la preuve en vertu du par. 24(2):
(1) l'effet de l'utilisation de la preuve sur l'équité du procès,
(2) la gravité de la violation et
(3) l'effet de l'exclusion sur la considération dont jouit l'administration de la justice.
On a souligné que le par. 24(2) visait non pas à remédier à l'inconduite de la police, mais plutôt à éviter que l'administration de la justice ne soit déconsidérée davantage par l'utilisation d'éléments de preuve obtenus irrégulièrement. Ces facteurs devront être appliqués à deux aspects de la preuve, soit l'emplacement de l'automobile de l'appelant et les fragments de métal trouvés dans son véhicule et semblant provenir des haubans de la tour détruite.
La preuve obtenue à l'égard des déplacements de l'automobile
I. Les facteurs qui portent atteinte à l'équité du procès
On a qualifié l'équité du procès de facteur décisif. Pour déterminer le caractère équitable, il faut examiner la nature de la preuve obtenue. On conclura rarement à l'iniquité lorsqu'une preuve matérielle obtenue par suite d'une violation de la Charte est utilisée. Par contre, l'utilisation d'une preuve qu'on obtient en mobilisant l'accusé contre lui‑même, telle une confession, rendra généralement le procès inéquitable. Aux pages 284 et 285 de l'arrêt Collins, précité, le juge Lamer écrit:
Selon moi, il est clair que les facteurs pertinents à l'égard de cette détermination comprennent la nature de la preuve obtenue par suite de la violation et la nature du droit violé, plutôt que la façon dont ce droit a été violé. Une preuve matérielle obtenue d'une manière contraire à la Charte sera rarement de ce seul fait une cause d'injustice. La preuve matérielle existe indépendamment de la violation de la Charte et son utilisation ne rend pas le procès inéquitable. Il en est toutefois bien autrement des cas où, à la suite d'une violation de la Charte, l'accusé est conscrit contre lui‑même au moyen d'une confession ou d'autres preuves émanant de lui. Puisque ces éléments de preuve n'existaient pas avant la violation, leur utilisation rendrait le procès inéquitable et constituerait une attaque contre l'un des principes fondamentaux d'un procès équitable, savoir le droit de ne pas avoir à témoigner contre soi‑même. Ce genre de preuve se trouvera généralement dans le contexte d'une violation du droit à l'assistance d'un avocat. C'est ce qu'illustrent nos arrêts Therens, précité, et Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383. L'utilisation d'une preuve auto‑incriminante obtenue dans le contexte de la négation du droit à l'assistance d'un avocat compromettra généralement le caractère équitable du procès même et elle doit en général être écartée.
La nature de la preuve: est‑elle matérielle ou a‑t‑elle été obtenue en mobilisant l'accusé contre lui‑même?
Comment doit‑on qualifier la preuve relative à l'emplacement du véhicule de l'appelant? On a conclu que la preuve était "matérielle" dans les cas où elle renvoie à des objets tangibles. Par exemple, dans les arrêts R. c. Jacoy, [1988] 2 R.C.S. 548, et R. c. Debot, [1989] 2 R.C.S. 1140, on a statué que des stupéfiants constituaient une preuve matérielle. Dans l'arrêt R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138, on a conclu que des armes constituaient une preuve matérielle. Dans tous ces cas, la preuve matérielle a été admise même si elle avait été obtenue suite à une fouille ou à une perquisition abusive.
Par contre, la preuve obtenue en mobilisant l'accusé contre lui‑même renvoie généralement à une preuve qui émane de l'accusé suite à une violation de l'al. 10b) de la Charte. Dans l'arrêt R. c. Pohoretsky, [1987] 1 R.C.S. 945, on a conclu que des échantillons de sang prélevés sur l'accusé constituaient une preuve obtenue en le mobilisant contre lui‑même. Dans l'arrêt R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233, on a jugé que les déclarations faites par l'accusé constituaient une preuve obtenue en le mobilisant contre lui‑même. On a jugé, dans l'arrêt R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3, que la comparution obligatoire à une séance d'identification tenue par la police constituait une preuve obtenue en mobilisant l'accusé contre lui‑même. Dans cette affaire, on affirme, à la p. 16:
. . . l'utilisation de tout élément de preuve qu'on n'aurait pas pu obtenir sans la participation de l'accusé à la constitution de la preuve aux fins du procès est susceptible de rendre le procès inéquitable.
En l'espèce, je suis d'accord avec la Cour d'appel pour dire que les déplacements de l'automobile constituaient une preuve matérielle. La police n'a exercé aucune contrainte ni eu recours à aucun subterfuge pour forcer l'appelant à monter dans son automobile et la conduire. Au contraire, ce dernier a agi de plein gré. Il a lui‑même décidé de conduire son automobile et il a également décidé de son itinéraire et de son comportement au volant. Le déplacement d'un objet peut être transitoire, mais il n'en est pas moins réel. Le déplacement d'un corps terrestre est prévisible et, souvent, il est prévu. Ce déplacement est transitoire mais réel. La route migratoire des troupeaux de caribous est transitoire, mais elle est vitale et réelle aux yeux de ceux qui en dépendent pour leur nourriture et leurs vêtements. Le déplacement d'un véhicule à moteur est également réel. On pourrait conclure que la preuve ici en cause a été obtenue en mobilisant l'accusé contre lui‑même si la police l'avait forcé, ou peut‑être entraîné par la ruse, à utiliser son véhicule et à suivre un trajet préétabli pour se rendre à des destinations qu'elle aurait choisies.
On a reconnu que la surveillance visuelle des véhicules à moteur exercée par la police était acceptable. De plus, on convient qu'il est permis de l'améliorer à l'aide de jumelles. De même, le recours à la balise en question ici ne fait qu'améliorer la surveillance visuelle. L'installation et l'utilisation de la balise n'ont aucunement affecté l'itinéraire de l'automobile. Elles ont simplement accru la capacité de la police d'observer ses déplacements.
Dans l'arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, le juge La Forest a conclu qu'il y avait une nette différence entre la preuve qu'un accusé a été forcé de créer, qui ne devrait pas être admissible, et la preuve existante, que l'accusé a simplement été forcé de situer ou d'identifier, qui, elle, devrait être admise. Il expose ainsi son point de vue, aux pp. 552 et 553:
Je soulignerais d'abord que je ne crois pas qu'en faisant cette distinction, le juge Lamer a voulu établir une ligne de démarcation stricte entre une preuve matérielle obtenue d'une manière contraire à la Charte et tous les autres types de preuve qui peuvent être obtenus ainsi. [. . .] Je crois que cela indique clairement que le juge Lamer avait à l'esprit la distinction beaucoup plus générale entre la preuve que l'accusé a été forcé de créer et celle qu'il a été forcé simplement à situer ou à identifier. . .
Une violation de la Charte qui force l'accusé éventuel à créer une preuve a nécessairement pour effet de fournir à la poursuite une preuve qu'elle n'aurait pu obtenir autrement. Il s'ensuit que sa preuve contre l'accusé se trouve nécessairement renforcée par suite de la violation. C'est exactement le genre de préjudice que le droit de ne pas s'incriminer ainsi que les droits comme celui à l'assistance d'un avocat visent à prévenir. Par contre, lorsque la violation de la Charte a simplement pour effet de situer ou d'identifier une preuve déjà existante, la valeur ultime de la preuve de la poursuite n'est pas nécessairement renforcée de cette façon. Le fait que la preuve existait déjà signifie qu'elle aurait pu être découverte de toute façon. Dans ce cas, l'accusé n'est pas obligé, au procès, de faire face à une preuve à laquelle il n'aurait pas été obligé de faire face si ses droits garantis par la Charte avaient été respectés. Dans ces circonstances, c'est l'exclusion plutôt que l'utilisation de la preuve qui déconsidérerait l'administration de la justice.
et à la page 555:
La seule réserve qui doit être apportée à l'analyse précédente a trait à la différence entre la preuve qui existe indépendamment et qui pourrait avoir été découverte sans le témoignage forcé et la preuve qui existe indépendamment et qui aurait été découverte sans le témoignage forcé. Comme je l'ai déjà reconnu à maintes reprises dans les présents motifs, il y aura des situations où la preuve dérivée sera tellement dissimulée ou inaccessible qu'elle ne pourra pratiquement pas être découverte sans l'aide de l'auteur du méfait. À toutes fins pratiques, l'utilisation ultérieure de cette preuve ne pourrait se distinguer de l'utilisation ultérieure d'un témoignage préalable au procès obtenu par contrainte. [Souligné dans l'original.]
Dans cette affaire, mon collègue a mentionné que la preuve "créée" compromettrait l'équité du procès et devrait être écartée alors que la preuve "située" ne compromettrait l'équité du procès que si la preuve ne pouvait pratiquement pas être découverte sans l'aide de l'accusé.
En l'espèce, le recours à la balise a simplement aidé la police a recueillir une preuve qu'elle avait obtenue, en grande partie, en observant le véhicule. Il est difficile de dire, à partir de la transcription, quelle preuve a été obtenue à l'aide de la balise et qu'est‑ce que cette observation du véhicule a permis de recueillir. Compte tenu de la nature rudimentaire de la balise, il semble que la preuve essentielle a été obtenue grâce à l'observation directe. Quoi qu'il en soit, la preuve portant sur le déplacement du véhicule n'était certainement pas une preuve qui ne pouvait "pas être découverte". Il s'ensuit qu'on ne peut affirmer que l'utilisation de la preuve portant sur l'emplacement de l'automobile compromet l'équité du procès.
II. Les facteurs qui se rapportent à la gravité de la violation
En l'espèce, j'ai conclu que l'utilisation de la preuve ne compromettrait pas l'équité du procès. Comment alors la violation devrait‑elle être évaluée? À la page 285 de l'arrêt Collins, précité, le juge Lamer cite l'extrait suivant des motifs rédigés par le juge Le Dain dans l'affaire R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, à la p. 652:
La gravité relative d'une violation de la Constitution a été évaluée en fonction de la question de savoir si elle a été commise de bonne foi ou par inadvertance ou si elle est de pure forme, ou encore s'il s'agit d'une violation délibérée, volontaire ou flagrante. Un autre facteur pertinent consiste à déterminer si cette violation a été motivée par l'urgence de la situation ou par la nécessité d'empêcher la perte ou la destruction de la preuve.
En l'espèce, la police a‑t‑elle agi de mauvaise foi ou s'agit‑il de violations volontaires et flagrantes des droits garantis par la Charte?
a)La bonne foi
On a conclu à la mauvaise foi dans les cas où il y avait eu mépris flagrant des droits garantis par la Charte à un accusé ou lorsque plus d'un droit garanti par la Charte avait été violé (voir R. c. Greffe, précité, et R. c. Genest, [1989] 1 R.C.S. 59). On a conclu à la bonne foi dans les cas où la violation découlait du fait que la police s'était appuyée sur une loi ou avait suivi une procédure subséquemment jugée contraire à la Charte (voir R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, et R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495).
La Cour d'appel a statué que la police avait agi de bonne foi. Je partage cet avis. La police a réussi à obtenir un mandat l'autorisant à perquisitionner la résidence de l'appelant et ses dépendances et à fouiller son automobile. On peut, par conséquent, en déduire qu'elle avait des motifs raisonnables et probables de fouiller le véhicule de l'appelant. Ces motifs raisonnables et probables ne disparaissent pas du simple fait que la police a été incapable de recueillir des éléments de preuve au cours d'un bref délai.
La police a effectivement gardé l'automobile et y a installé une balise après l'expiration du mandat. Le policier qui a installé le dispositif a témoigné qu'il ne s'était pas rendu compte que le mandat avait expiré la veille de l'installation. Bien que ce témoignage démontre une certaine insouciance de la part de la police, il n'en ressort aucune mauvaise foi. Le temps consacré à la surveillance à l'aide de la balise est d'une plus grande importance. Bien que la tour de télécommunications ait été détruite le 15 août et que les fragments de métal aient été découverts le 27 août, la surveillance électronique s'est poursuivie constamment jusqu'à la mi‑novembre, date à laquelle l'accusé a été arrêté pour méfait. Il n'y a aucun doute que la police avait, envers la communauté, la responsabilité d'enquêter soigneusement sur les meurtres. Le fait d'avoir poursuivi la surveillance électronique après le 27 août est tout de même difficilement justifiable. Néanmoins, la police a effectivement obtenu les éléments de preuve quant à l'emplacement du véhicule dans les 30 jours à partir du début de la surveillance électronique, à un moment où elle avait établi des motifs de procéder à la fouille. Il ne s'agissait pas, en l'occurrence, d'un délai abusif pour poursuivre la surveillance, compte tenu particulièrement de l'obligation de la police de protéger la petite communauté contre celui qu'on soupçonnait être l'auteur d'une série de meurtres.
b)La menace de violence et l'urgence de la situation
En l'espèce, une menace de violence et un sentiment d'urgence persistaient manifestement. La communauté rurale relativement petite dans laquelle résidait l'appelant avait connu une série d'homicides non résolus. On soupçonnait l'accusé d'avoir commis ces crimes et, d'ailleurs, il était le principal suspect dans au moins deux cas. Il existait des éléments de preuve le reliant aux meurtres. En outre, il y avait eu un appel anonyme au cours duquel on avait menacé de commettre d'autres meurtres. La police soupçonnait l'appelant d'être l'auteur de cet appel. Ce dernier possédait un lourd casier judiciaire faisant état notamment de déclarations de culpabilité pour vol qualifié, introduction par effraction, vol et possession d'armes offensives. Ces facteurs ont dû pousser la police à entreprendre et à poursuivre la surveillance de l'accusé. Elle avait le devoir d'enquêter sur les crimes commis et de protéger la communauté.
Dans ces circonstances, la police aurait manqué à son devoir si elle n'avait pas observé les déplacements de l'appelant. On peut facilement imaginer l'indignation et le mécontentement qui auraient gagné la communauté si la police n'avait pas surveillé l'appelant.
La question qui se pose alors est la suivante: comment cette surveillance devait‑elle être exercée? Tous conviennent que c'est tout à fait à bon droit que la police a surveillé l'appelant et son automobile sans arrêt, jour et nuit. On convient également que cette surveillance pouvait être améliorée à l'aide de jumelles. On affirme pourtant que l'installation de ce dispositif de surveillance rudimentaire, le lendemain de l'expiration du mandat de perquisition, et la surveillance subséquente sont exagérées et empêchent l'utilisation de la preuve conformément au par. 24(2). J'estime qu'il s'agit là d'une point de vue quelque peu étrange.
À mon avis, les actes accomplis par la police en l'espèce n'étaient pas de nature à pouvoir être qualifiés d'"actes accomplis de mauvaise foi". Il n'y a pas eu recours à la violence, à la force, à la contrainte ou à des menaces physiques. L'insouciance dont on a fait preuve relativement à la date d'expiration du mandat et à la poursuite prolongée de la surveillance ne justifient pas, en l'occurrence, l'exclusion de la preuve.
Je ne crois pas non plus que cette conclusion soit contraire aux principes établis dans l'arrêt R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3. Dans cette affaire, la police avait fouillé le terrain entourant la résidence de l'accusé sans mandat et sans motifs raisonnables et probables qui lui auraient permis d'obtenir un mandat de perquisition. On y a statué que les stupéfiants trouvés subséquemment au cours d'une perquisition légale de la maison devraient être exclus. On a également conclu que lorsque la police n'a que des soupçons et aucun moyen légal d'obtenir d'autres éléments de preuve, elle ne devrait pas importuner le suspect.
La situation en l'espèce est très différente. Il faut se rappeler que la police avait réellement des motifs raisonnables et probables de fouiller le véhicule de l'appelant lorsqu'elle a installé la balise. En outre, la perpétration des deux plus récents homicides dans la communauté, conjuguée à la menace d'autres meurtres proférée par téléphone, a fait naître un sentiment d'urgence réel qui a motivé le comportement de la police. Qui plus est, l'atteinte à la vie privée a eu lieu non pas dans une résidence ou un bureau, mais dans un véhicule à moteur.
III. L'effet de l'exclusion
Dans l'arrêt Collins, précité, le juge Lamer a fait remarquer que si des éléments de preuve sont écartés en raison d'une violation anodine, particulièrement lorsque l'accusation est très grave, il peut en résulter pour l'administration de la justice une déconsidération plus grande que si ces mêmes éléments de preuve étaient utilisés. Il a ensuite fait observer que si l'utilisation d'éléments de preuve rend le procès inéquitable, ceux‑ci doivent être écartés, peu importe la gravité de l'infraction.
En l'espèce, l'accusation ne semble pas extrêmement grave. Mais lorsqu'on se rappelle que la destruction de la tour a causé des dommages de plus d'un million de dollars, on constate alors que l'infraction est très grave. La violation de l'art. 8 en ce qui concerne l'automobile de l'accusé, bien que non anodine, était certainement moins grave que ne le seraient la violation du droit à l'assistance d'un avocat garanti par l'al. 10b) ou encore la fouille d'une personne ou la perquisition d'une résidence ou d'un bureau. Compte tenu de la nature de l'accusation et de la violation de la Charte, j'estime que l'utilisation de la preuve n'est pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
Les fragments de métal
La surveillance à la fois électronique et visuelle du véhicule de l'appelant, que la police a effectuée, lui a fourni les motifs nécessaires pour obtenir un deuxième mandat l'autorisant à fouiller l'automobile de l'appelant. Cette fouille a permis à la police de découvrir des fragments de métal semblant provenir des haubans de la tour. Les renseignements recueillis lors de cette fouille ont été obtenus grâce aux renseignements découlant de la première violation de la Charte, qui a été commise lors de l'installation de la balise. Par conséquent, la preuve obtenue lors de la deuxième fouille est reliée à la violation initiale de la Charte. On établira son admissibilité en fonction des mêmes facteurs et principes que ceux examinés pour déterminer l'admissibilité de la preuve concernant les déplacements du véhicule. Il s'ensuit que cette preuve est également admissible. Quoi qu'il en soit, on peut affirmer que les fragments de métal sont plus "matériels" que les déplacements du véhicule. Encore une fois, l'utilisation de la preuve ne compromettrait pas l'équité du procès. Et la violation n'est pas grave au point de justifier en soi l'exclusion de la preuve. Compte tenu de l'ensemble des circonstances, la preuve relative aux fragments de métal devrait être admise au même titre que la preuve portant sur les déplacements du véhicule de l'appelant.
Résumé
En résumé, l'installation à l'intérieur du véhicule du dispositif de surveillance électronique une fois le mandat expiré et la surveillance subséquente des déplacements de ce véhicule constituaient une fouille abusive contrairement à l'art. 8 de la Charte. Cependant, les éléments de preuve relatifs à l'emplacement du véhicule de l'appelant et aux fragments de métal trouvés dans son automobile sont admissibles conformément au par. 24(2) de la Charte.
Les textes législatifs à venir
Je conviens avec mon collègue qu'il serait préférable que l'installation de dispositifs de surveillance et la surveillance subséquente de véhicules soient régis par des dispositions législatives. Je conviens également qu'il s'agit là d'un moyen de surveillance moins envahissant que la surveillance audio ou magnétoscopique. Par conséquent, une norme plus souple, comme le "motif solide" de soupçonner, permettrait d'obtenir d'une autorité indépendante, comme un juge de paix, l'autorisation d'installer un dispositif et de surveiller les déplacements d'un véhicule.
Dispositif
En définitive, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
Version française des motifs rendus par
//Le juge La Forest//
Le juge La Forest (dissident) ‑‑ Ce pourvoi soulève la question générale de savoir si, et dans quelles circonstances, l'installation sans autorisation par la police d'un dispositif de surveillance électronique dans l'automobile d'un particulier et son utilisation aux fins de surveiller subrepticement ses allées et venues contreviennent à l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, lequel protège l'individu contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Le pourvoi soulève également la question de savoir s'il y a lieu, en conformité avec le par. 24(2) de la Charte, d'écarter la preuve ainsi obtenue pour le motif qu'elle est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
Les faits
L'appelant a été accusé d'avoir commis un méfait à l'égard d'un bien, contrairement au par. 387(3) (maintenant le par. 430(3)) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34. Afin d'établir sa culpabilité, le ministère public a tenté d'introduire la preuve de ses allées et venues, obtenue grâce à un dispositif de surveillance électronique (une "balise") dissimulé dans sa voiture. Une balise est un poste émetteur, ordinairement à piles, qui émet périodiquement des signaux pouvant être captés par un récepteur. Résumons brièvement le contexte et la manière dont le dispositif a été installé.
Depuis un certain temps, l'appelant faisait l'objet d'une surveillance par la Police provinciale de l'Ontario (la Police provinciale) qui le soupçonnait d'être impliqué dans une récente affaire de meurtre à Morewood (Ontario) qu'elle croyait reliée à une série de meurtres similaires ayant eu lieu dans la région. Dans le cadre de son enquête pour meurtre, la Police provinciale a, le 14 juillet 1987, demandé la délivrance d'un mandat l'autorisant à perquisitionner au domicile de l'appelant et à fouiller son véhicule, en faisant valoir les motifs suivants: des policiers avaient aperçu l'appelant alors qu'il se dirigeait vers son domicile au volant de son automobile, peu après le meurtre; les policiers avaient remarqué la présence, sur le siège arrière de la voiture, de jumelles, d'une paire de gants de travail et d'un imperméable en plastique qui semblait avoir servi; sous la voiture, on avait aperçu de la terre et de la végétation (de la phléole des prés, une plante commune dans la région) semblable à celle trouvée sur le terrain de la victime; la voix de l'appelant ressemblait à celle d'une personne qui, dans un enregistrement, prétendait être le meurtrier, même si la voix de cette dernière semblait déguisée et n'avait pu être identifiée positivement; l'appelant était au nombre des suspects relativement à certains des homicides précédents; enfin, il possédait un lourd casier judiciaire faisant état d'introductions par effraction, de vols qualifiés, de vols et d'infractions relatives à des armes offensives. La police a obtenu le mandat demandé et a effectué la perquisition et la fouille, mais n'a découvert, au domicile de l'accusé ou dans son véhicule, aucun indice permettant de le relier à l'un des homicides.
Conformément au mandat, la police avait fait remorquer l'automobile de l'appelant au poste afin de procéder à la fouille. Puis, plus de trente heures après l'expiration du mandat, les policiers ont installé à l'intérieur du véhicule de l'appelant un dispositif de surveillance électronique. La "balise" a été dissimulée dans le caoutchouc mousse du siège arrière, ce qui l'a endommagé légèrement. Cette installation, a conclu le juge du procès, a été effectuée sur la foi d'un [traduction] "simple soupçon" et, naturellement, sans autorisation judiciaire. La voiture a ensuite été rendue à l'appelant.
La balise émettait un signal radio pouvant être capté sur une distance de trois kilomètres par un récepteur à balayage de la police. Il s'agissait d'un dispositif assez rudimentaire qui, aux dires de son installateur, n'indiquait qu'une localisation générale. Mais c'était sans compter l'ingéniosité des policiers qui, à l'aide d'une antenne glissée par la fenêtre de leur voiture, ont pu suivre le signal dans une direction précise. Grâce à une surveillance visuelle constante, le dispositif a ainsi permis à la police de suivre l'appelant à la trace jour et nuit. Le juge du procès a conclu que les policiers avaient utilisé le dispositif de façon constante pendant de nombreux mois et, plus particulièrement, pendant le mois qui a précédé la perpétration de l'infraction reprochée en l'espèce, tant pour suivre les déplacements du véhicule que pour le localiser à l'arrêt.
Le 15 août 1987, date de l'infraction reprochée, les policiers avaient perdu de vue le véhicule de l'appelant mais ont pu le retracer grâce à la balise. Après s'être rendus à l'endroit indiqué, ils ont placé sous surveillance un véhicule stationné dans une entrée de cour, qui ressemblait à celui de l'appelant. Environ deux heures plus tard, les policiers de l'équipe de surveillance ont entendu un grand bruit, comme un fracas métallique. C'était le bruit de l'effondrement d'une tour de télécommunications de Bell Canada, d'une valeur supérieure à deux millions de dollars. Peu de temps après, les policiers ont vu un autre véhicule, appartenant effectivement à l'appelant et paraissant identique à celui qu'ils surveillaient, sortir d'un chemin situé dans un champ voisin d'où était venu le bruit. Le second véhicule a, par la suite, été localisé à la résidence de l'appelant.
Le 26 août 1987, la Police provinciale a aperçu l'appelant à bord de sa voiture dans un champ où il s'était arrêté dans l'espoir d'échapper à l'étroite surveillance policière. Les policiers ont alors procédé à une fouille sans mandat du véhicule et de la personne de l'appelant, mais en vain. Plus tard au cours de la soirée, la police a obtenu un mandat l'autorisant à fouiller le véhicule de l'appelant. En y passant l'aspirateur, on a découvert des fragments de métal fondus semblant provenir des haubans de la tour de télécommunications de Bell. Le 13 novembre 1987, l'appelant était accusé de méfait à l'égard d'un bien de plus de 1 000 $, savoir la tour de Bell.
L'appelant a demandé, par requête préliminaire, que soit écartée la preuve relative à ses allées et venues le 15 août 1987, pour le motif que cette preuve avait été obtenue en violation des droits que lui garantit l'art. 8 de la Charte. Le juge du procès a accueilli la requête de l'appelant et a refusé d'utiliser les éléments de preuve obtenus directement ou indirectement grâce au dispositif de surveillance électronique. En conséquence, il a acquitté l'appelant. La Cour d'appel de l'Ontario a accueilli l'appel du ministère public, annulé l'acquittement et ordonné un nouveau procès.
Les décisions des tribunaux d'instance inférieure
Cour de district de l'Ontario, 26 septembre 1988
Le juge du procès, le juge Smith de la Cour de district, s'est prononcé sur trois points différents. Dans un premier temps, il s'agissait de savoir si l'installation et l'utilisation d'un dispositif de surveillance électronique constituait une "fouille" au sens de l'art. 8 de la Charte. Il a conclu par l'affirmative, rejetant les arguments du ministère public selon lesquels le fait qu'une personne circule sur la voie publique équivaut à une invitation manifeste à l'observation et que le dispositif de surveillance, en l'espèce, n'a servi généralement qu'à faciliter la surveillance visuelle. Il s'est exprimé ainsi:
[traduction] La personne qui utilise sa propre automobile a, tout au moins à l'occasion, une attente raisonnable quant au respect de sa vie privée. Lorsque la police déjoue cette attente comme cela s'est produit en l'espèce, c'est que la police a effectivement fouillé le véhicule, non seulement en installant le dispositif mais aussi en le suivant à la trace pendant un mois entre le moment de l'installation et celui où l'accusé aurait perpétré l'infraction.
Le juge du procès a ensuite examiné le caractère raisonnable de la fouille. En statuant que la police n'avait aucun motif raisonnable et probable d'utiliser le dispositif de surveillance, le juge du procès a conclu que si la police soupçonnait l'appelant d'être relié aux homicides, ce soupçon ne s'était jamais transformé en raison de croire qu'il était l'assassin. Plus précisément, a‑t‑il conclu, c'est en se fondant sur ce simple soupçon que les policiers ont agi. Selon son interprétation, l'installation du dispositif de surveillance dans la voiture de l'appelant s'expliquait par la volonté de la police [traduction] "de surveiller ses allées et venues pour voir s'il allait tenter de commettre un acte similaire". Or la Charte, a‑t‑il statué, interdit à la police de s'immiscer dans la vie privée d'un particulier pour voir s'il s'apprête à commettre un acte illégal.
Le juge du procès a estimé que la fouille, constituée par l'installation et l'utilisation du dispositif de surveillance, avait été continue et ininterrompue. Il n'a pas souscrit à l'argument du ministère public voulant que le dispositif n'ait servi qu'à faciliter la surveillance visuelle. Il a plutôt conclu qu'il avait servi de dispositif de surveillance et constitué [traduction] "une fouille continue que les policiers ont effectuée sans motif raisonnable et probable puisqu'ils ne faisaient que soupçonner que Wise était l'auteur d'un crime". Pour ces motifs, il a conclu que l'installation et l'utilisation du dispositif de surveillance constituaient une fouille abusive et, ainsi, une violation des droits que garantit à l'appelant l'art. 8 de la Charte.
Le juge du procès s'est enfin demandé s'il y avait lieu d'écarter, en application du par. 24(2) de la Charte, les éléments de preuve obtenus grâce au dispositif de surveillance. En concluant que l'utilisation de ces éléments de preuve était susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, il a souligné la gravité et le caractère continu de la violation de la Charte. La fouille abusive, a‑t‑il fait remarquer, a duré vingt‑quatre heures par jour pendant plus d'un mois avant la perpétration de l'infraction reprochée. Il a estimé que la violation avait été préméditée et qu'elle n'avait pas eu lieu dans une situation d'urgence. Il a également fait remarquer que, puisque les éléments de preuve contestés n'existaient pas avant la violation de la Charte, l'accusé avait été contraint de créer une preuve contre lui-même.
En pareilles circonstances, de conclure le juge du procès, l'utilisation de la preuve recueillie serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, car elle priverait l'accusé d'un procès équitable et reviendrait à absoudre judiciairement une conduite policière inacceptable. En tirant cette conclusion, il a souligné que le critère applicable est celui de la personne raisonnable, objective et bien informée de toutes les circonstances, dans une société où l'humeur courante est raisonnable. Or cette personne, a‑t‑il jugé, estimerait que l'administration de la justice serait déconsidérée si les éléments de preuve contestés étaient utilisés.
En conséquence, le juge du procès a conclu que tous les éléments de preuve obtenus directement ou indirectement grâce au dispositif de surveillance électronique devaient être écartés. Aussi a‑t‑il acquitté l'appelant.
Cour d'appel de l'Ontario (1990), 49 C.R.R. 163
En appel, le ministère public a reconnu que l'installation du dispositif de surveillance électronique constituait une atteinte au droit que l'art. 8 garantit à l'appelant. Vu cette reconnaissance, la Cour d'appel s'est restreinte dans ses motifs à la question du par. 24(2). Examinant le critère d'admissibilité énoncé par notre Cour dans l'arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, la Cour d'appel a dit, aux pp. 165 et 166:
[traduction] Que les éléments de preuve obtenus soient concluants ou non, il ne fait aucun doute que sans eux, aucune charge ne peut être retenue contre l'accusé. Nous croyons que si les policiers ont agi délibérément, ils l'ont fait de bonne foi après avoir constaté l'inefficacité d'autres méthodes d'enquête. La vive inquiétude qu'éprouvait la population devant la vague de meurtres qui sévissait dans la région était compréhensible et il était raisonnable, tant à des fins d'enquête que de prévention de la criminalité, de suivre les déplacements de l'intimé dans sa voiture. Le dispositif s'est avéré nécessaire pour garder le contact avec cette voiture. À notre avis, les éléments de preuve recueillis n'ont pas été obtenus en mobilisant l'accusé contre lui-même au sens où on l'entend dans l'arrêt Collins. Tout ce qu'il a fait, c'est de son propre gré et il est allé là où il le voulait. De plus, la preuve obtenue doit être considérée comme matérielle, ce qui, suivant l'arrêt Collins, est un important facteur d'admissibilité.
Pour ces motifs, la cour a refusé de conclure que l'utilisation de cette preuve était susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. En conséquence, elle a accueilli l'appel, annulé l'acquittement et ordonné un nouveau procès.
Un avis de pourvoi devant notre Cour a, par la suite, été produit au nom de l'appelant.
Analyse
Application de l'art. 8 à l'installation
Soulignons d'abord que le ministère public a reconnu que l'installation du dispositif de surveillance dans la voiture de l'appelant constituait, dans les circonstances de l'espèce, une violation de l'art. 8. À mon avis, c'est à juste titre que le ministère public a reconnu cela. La violation résultait d'une combinaison de faits: le dispositif a été installé à l'intérieur de la voiture, de légers dommages ont été causés (déplacement du caoutchouc mousse dans le coussin du siège) et l'installation a été faite sans mandat de perquisition. Cette installation constituait une intrusion illégale. En agissant ainsi, la police a effectué une fouille abusive. Les renseignements obtenus étant le produit de cette fouille illégale, c'est grâce à son acte illégitime que l'État en a pris possession.
Toutes ces considérations sont amplement étayées par le récent arrêt de notre Cour, R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3. Dans cette affaire, des policiers avaient effectué sans mandat, dans le cadre d'une enquête en matière de stupéfiants, une perquisition périphérique d'une résidence et, grâce à ce qu'ils y avaient observé, entendu et senti, ils avaient pu deviner ce qui se passait dans la maison. La Cour a conclu, à l'unanimité, que la police n'avait pas le droit de pénétrer sur le terrain entourant la résidence et qu'il y avait eu perquisition abusive. La majorité des juges ont rejeté, en conformité avec le par. 24(2) de la Charte, les éléments de preuve obtenus grâce à cette perquisition. Il est vrai que cet arrêt visait le domicile qui est le principal rempart contre l'atteinte à la vie privée, mais d'autres lieux étroitement liés à la vie ou aux affaires d'un particulier jouissent également de la protection de l'art. 8; voir, par exemple, les arrêts Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, R. c. Moran (1987), 36 C.C.C. (3d) 225, R. c. Wong, [1990] 3 R.C.S. 36. Même si je suis disposé à reconnaître que l'attente en matière de respect de la vie privée qu'on a lorsqu'on est à l'intérieur d'une voiture est moindre que celle qu'on a lorsqu'on est dans son domicile, il n'en reste pas moins que l'automobile occupe une place si importante dans notre vie quotidienne qu'on est immédiatement porté à considérer que l'intérieur du véhicule mérite d'être protégé contre l'intrusion de l'État; voir, dans ce contexte, l'arrêt Cardwell c. Lewis, 417 U.S. 583 (1974), à la p. 591. En l'espèce, les circonstances n'avaient rien d'urgent et la police a agi sans autorisation. Le mandat était expiré et, de toute façon, il n'autorisait pas ce type de fouille.
Application de l'art. 8 à la surveillance
Ayant reconnu que la façon dont le dispositif de surveillance avait été installé constituait une fouille abusive, le ministère public a fait valoir qu'il n'était pas nécessaire de considérer dans quelle mesure l'utilisation de dispositifs de surveillance électronique viole généralement l'art. 8 et qu'il n'y avait donc pas lieu que la Cour examine cette question. Je ne suis pas de cet avis. L'utilisation de ce genre de dispositifs de surveillance installés dans des automobiles soulève d'importantes questions auxquelles le Parlement devra un jour apporter des solutions et je crois qu'il serait utile que notre Cour fournisse certaines indications sur la constitutionnalité de l'utilisation de dispositifs de surveillance électronique. Cela est d'autant plus important en l'absence de tout texte législatif applicable. De plus, la reconnaissance par le ministère public masque le fait que deux méthodes différentes d'atteinte à la vie privée sont en cause, soit l'intrusion dans la voiture de l'appelant et la surveillance électronique de ses déplacements, toutes deux étant susceptibles d'avoir des répercussions sur la question de savoir si les éléments de preuve obtenus devraient être écartés en vertu du par. 24(2); pour une situation comparable, voir R. c. Thomson, [1990] 2 R.C.S. 1111, aux pp. 1150 à 1152 de même que 1182 et 1183. Je remarque également que c'est ainsi qu'ont été présentés les arguments de l'appelant et que la question a été pleinement débattue par les deux parties. Abordons maintenant cette question.
J'estime qu'il est manifeste, compte tenu des arrêts de notre Cour R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, et Wong, précité, que l'utilisation d'un dispositif de surveillance électronique constitue une fouille ou perquisition au sens de la Charte. Dans l'arrêt Wong, la Cour à la majorité affirme, aux pp. 43 et 44, qu'il serait superflu d'entreprendre une analyse détaillée de la question de savoir si une surveillance magnétoscopique exercée subrepticement par l'État constitue une perquisition, une fouille et une saisie au sens de l'art. 8. Elle ajoute:
Dans l'arrêt Duarte, cette Cour a conclu que la surveillance électronique audio non autorisée constitue une violation de l'art. 8 de la Charte. Il serait erroné de limiter les effets de cette décision à cette technologie particulière. Il faudrait plutôt conclure que les principes énoncés dans l'arrêt Duarte embrassent tous les moyens actuels permettant à des agents de l'État de s'introduire électroniquement dans la vie privée des personnes, et tous les moyens que la technologie pourra à l'avenir mettre à la disposition des autorités chargées de l'application de la loi. [Je souligne la troisième phrase.]
Le même raisonnement s'applique ici. Certes, à la différence des méthodes de surveillance audio et magnétoscopique employées dans les arrêts Duarte et Wong, le dispositif de surveillance ne révèle que les allées et venues d'une personne et ne permet pas d'intercepter et d'enregistrer des communications privées. Toutefois, il serait étonnant que ce domaine échappe à la protection de la Charte. Chacun s'attend raisonnablement au respect de sa vie privée, non seulement dans ses communications, mais aussi dans ses déplacements. Ce principe est d'ailleurs clairement énoncé dans le passage suivant tiré de la p. 47 de l'arrêt Wong, précité:
Dans son roman futuriste classique 1984, George Orwell dresse le portrait sinistre d'une société dont les citoyens ont toutes les raisons de croire que chacun de leurs mouvements est assujetti à la surveillance magnétoscopique électronique. On ne pourrait trouver contraste plus frappant avec nos attentes en matière de vie privée dans une société libre comme la nôtre. [Je souligne.]
Cette conception repose sur un raisonnement qu'a fort bien exposé le professeur Melvin Gutterman dans son article "A Formulation of the Value and Means Models of the Fourth Amendment in the Age of Technologically Enhanced Surveillance" (1988), 39 Syracuse L. Rev. 647. Il dit, à la p. 706:
[traduction] S'il est normal, dans divers contextes publics, d'être observé fortuitement, nous aurions par contre toutes les raisons d'être choqués par des regards insistants. Dans ces activités publiques, nous ne nous attendons pas à être identifiés personnellement et soumis à une surveillance intensive, mais nous cherchons plutôt à passer inaperçus. La capacité de se déplacer librement, sans la supervision constante de l'État, est une importante source de liberté individuelle dont il faut tenir compte. Or, la crainte d'être systématiquement observé, même dans les endroits publics, détruit ce sentiment de liberté. Le juge Douglas a reconnu l'importance de cette valeur relative à la protection de la vie privée dans une société démocratique: la liberté de mouvement, a‑t‑il dit, est aussi dangereuse pour un tyran que la liberté d'exprimer des idées ou le droit de se réunir, et c'est pourquoi elle est contrôlée dans la majorité des pays.
Je dois avouer que je trouve tout à fait révoltant que, dans une société libre, les policiers ou d'autres agents de l'État puissent, à leur entière discrétion et sur la foi d'un simple soupçon, installer une balise dans la voiture d'une personne pour en suivre les mouvements jour et nuit pendant des périodes prolongées.
Comme je l'ai dit dans l'arrêt Duarte, précité, à la p. 44, je suis conscient de la nécessité que les policiers surveillent les gens qu'ils soupçonnent. Je me rends compte également qu'il est vital que les policiers aient accès, lorsque cela est raisonnable, à des dispositifs électroniques dans l'exécution de leur lourde tâche que représentent l'application de la loi et la découverte du crime. Cependant, la Cour est confrontée non pas à l'obligation désagréable d'avoir à interdire complètement l'utilisation de balises, mais simplement à celle d'imposer un contrôle judiciaire. Ce que je n'accepte pas, c'est que les policiers ou autres agents de l'État aient le pouvoir de recourir à du matériel électronique leur permettant, à leur gré et sans l'autorisation d'un juge ou d'une tierce partie indépendante, de savoir en tout temps où se trouve une personne. Notre Cour a, pour la première fois, exposé sa position à cet égard dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., précité, et l'a réaffirmée depuis à maintes reprises, notamment en ce qui a trait aux dispositifs de surveillance électronique; voir les arrêts Duarte et Wong. Dans l'arrêt Duarte, la Cour justifie ainsi sa position, à la p. 44:
Cette protection s'explique par la conscience du fait que, si l'État était libre de faire, à son entière discrétion, des enregistrements électroniques permanents de nos communications privées, il ne nous resterait rien qui vaille de notre droit de vivre libre de toute surveillance. La surveillance électronique est à ce point efficace qu'elle rend possible, en l'absence de réglementation, l'anéantissement de tout espoir que nos communications restent privées.
Ceci s'applique également à la surveillance de nos moindres mouvements. Le fait que, dans un cas particulier, la police puisse justifier ses actes après coup n'a aucune importance. Le problème, c'est que la société n'aurait aucun moyen de savoir combien de situations ne sont pas justifiables. Pour contrôler la police, et plus généralement le pouvoir étatique, dans ce contexte, il doit y avoir examen préalable par une tierce partie indépendante, bien qu'il ne soit pas indispensable, comme l'a souligné le juge Dickson dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., que ce soit un membre du pouvoir judiciaire qui l'effectue.
Je suis parfaitement conscient qu'en l'absence de dispositions législatives, comme celles que renferme le Code criminel en matière de surveillance audio, la police pourrait être empêchée de recourir à ces méthodes modernes de découverte du crime. Mais il n'appartient pas à la Cour de concevoir des moyens d'aider la police à recourir à ces dispositifs électroniques. Ce point a également été précisé dans l'arrêt Wong, où l'on dit, à la p. 57:
Ces propos sont tout à fait conformes à mes motifs antérieurs dans l'arrêt R. c. Landry, [1986] 1 R.C.S. 145, à la p. 187 et dans l'arrêt R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833, à la p. 891, quant aux rôles respectifs des tribunaux et du législateur lorsqu'il s'agit de droits et de libertés protégés par la Charte. Comme je l'ai affirmé dans ces arrêts, il n'est pas du ressort des tribunaux, à titre de protecteurs de nos droits fondamentaux, d'élargir la possibilité de porter atteinte à ces libertés personnelles. Il appartient au législateur de porter atteinte aux droits fondamentaux s'il estime que cela est nécessaire pour la protection du public dans un système pénal bien équilibré.
La Cour parlait alors de surveillance magnétoscopique, mais le même principe s'applique en l'espèce. Elle ajoute, plus loin, à la p. 57:
C'est au législateur et à lui seul qu'il revient d'établir les conditions dans lesquelles les organismes d'application de la loi peuvent avoir recours à la technologie de surveillance magnétoscopique pour combattre la criminalité. Il en est de même pour toute nouvelle technologie que les progrès de la science mettront à la disposition de l'État dans les années à venir. Tant que le législateur n'aura pas, dans sa sagesse, prévu expressément un code régissant une technologie attentatoire particulière, les tribunaux devraient s'abstenir d'élaborer des procédures autorisant l'utilisation de cette technologie.
Voir également l'arrêt R. c. Kokesch, précité, à la p. 28.
Je dois dire à ce stade que j'attache peu d'importance au fait que la balise installée dans la présente affaire soit un dispositif plutôt rudimentaire. Comme nous l'avons vu, les policiers ont pu, grâce à leur remarquable ingéniosité, repérer en tout temps l'endroit où se trouvait l'appelant. Mais, cela mis à part, combien de temps encore faudra‑t‑il, en cette ère d'explosion technologique, avant qu'on ne mette au point un dispositif capable de suivre à la trace chacun de nos mouvements pendant des périodes indéterminées, et ce, même sans surveillance visuelle? La protection que la loi nous accorde contre l'écoute électronique, nous la devons au fait que les tribunaux des États‑Unis, dont s'inspirent largement nos dispositions, ont eu la sagesse d'interdire cette forme de surveillance électronique dès les premiers stades de son développement. Il est donc temps de commencer à réglementer l'utilisation des dispositifs de surveillance électronique au moment où ils n'en sont qu'à leurs débuts et avant que les autorités chargées d'appliquer la loi ne commencent à les utiliser couramment.
La question de la voie publique
L'argument sans doute le plus intéressant qu'on ait avancé dans ce pourvoi est la prétention du ministère public qu'il n'y a pas eu, en l'espèce, violation d'une attente raisonnable de l'appelant quant au respect de sa vie privée puisque le dispositif de surveillance n'a servi qu'à suivre ses allées et venues sur la voie publique. Avant d'aller plus loin, il convient peut‑être de rappeler qu'il ne s'agit évidemment pas d'un cas où des policiers surveillent des routes ou d'autres endroits publics, au moyen d'appareils électroniques ou autres, à des fins de réglementation ou d'observation. Comme nous l'avons vu, il est question ici d'une tentative de suivre les déplacements d'une personne grâce à un dispositif installé dans sa voiture, ce qui est complètement différent.
Le ministère public a formulé ainsi dans son mémoire sa position sur cet aspect du pourvoi:
[traduction] Il n'y a aucune preuve que le véhicule de l'appelant a fait l'objet, grâce à la balise, d'une surveillance dans une propriété privée invisible de la rue ou dans une propriété où il n'était pas un intrus. De plus, aucun enregistrement électronique permanent n'a été fait des propos ou des activités de l'appelant. On soutient, en toute déférence, qu'en circulant sur la voie publique, l'appelant faisait volontairement comprendre à quiconque se donnait la peine de regarder qu'il circulait sur une route particulière dans une direction particulière, et qu'il indiquait sa destination finale lorsqu'il laissait la voie publique pour pénétrer dans une propriété privée. [Je souligne.]
Le ministère public s'appuie à cet égard sur l'arrêt de la Cour suprême des États‑Unis, United States c. Knotts, 460 U.S. 276 (1983). L'affaire Knotts concernait une accusation de complot en vue de fabriquer des substances contrôlées. Une surveillance visuelle avait permis de repérer l'endroit où les suspects se procuraient les produits chimiques nécessaires à la fabrication de ces substances. Un dispositif de surveillance électronique, semblable à celui utilisé en l'espèce, avait été placé à l'intérieur d'un contenant de cinq gallons de chloroforme qu'avait finalement acheté un associé de l'accusé. Ce dispositif de surveillance avait permis de suivre le contenant qu'un coaccusé avait transporté dans sa voiture jusqu'au dernier endroit où il avait été localisé, près d'une cabane dans les bois. À compter de ce moment, la police avait apparemment cessé de se fier au dispositif et avait exercé, pendant trois jours, une surveillance visuelle de la cabane qui avait finalement abouti à l'arrestation de l'accusé. La cour a jugé que l'utilisation d'un dispositif électronique pour suivre les déplacements d'un individu entre le moment où il emprunte la voie publique et sa destination ultime ne violait pas le Quatrième amendement.
La surveillance en cause dans cette affaire était beaucoup plus limitée que dans le présent cas. Elle consistait uniquement à suivre un coaccusé sur la voie publique au moment où il était en possession d'un article précis, soit le contenant, à l'égard duquel les policiers avaient des raisons de soupçonner qu'une infraction était sur le point d'être commise. L'atteinte à la liberté personnelle de l'individu y était moindre qu'en l'espèce. Ici, la balise a été installée dans l'automobile personnelle de l'appelant, permettant ainsi de surveiller en tout temps, pendant des mois, ses moindres déplacements, peu importe l'activité à laquelle il pouvait se livrer. Même dans l'arrêt Knotts, la cour, aux pp. 283 et 284, a remis à plus tard l'examen de la situation qui aboutirait à [traduction] "la surveillance vingt‑quatre heures par jour d'un citoyen [. . .] à l'insu du pouvoir judiciaire ou sans sa supervision". La cour s'est néanmoins dite d'avis qu'il n'y a pas d'attente en matière de respect de la vie privée chez celui qui s'engage sur la voie publique. Voici ce qu'elle affirme, aux pp. 281 et 282:
[traduction] La personne qui circule en automobile sur la voie publique n'a aucune attente raisonnable en matière de respect de sa vie privée au cours de ses déplacements d'un endroit à l'autre. Lorsque Petschen a emprunté la voie publique, il a volontairement fait comprendre à quiconque se donnait la peine de regarder le fait qu'il circulait sur une route particulière dans une direction particulière, qu'il faisait des arrêts, et il indiquait sa destination finale lorsqu'il laissait la voie publique pour pénétrer dans une propriété privée.
Bien que les opinions de cette cour aient assurément droit à notre plus grand respect, je n'hésite pas à adopter une conception plus rigoureuse du droit de l'État de porter atteinte à la liberté de mouvement du citoyen et, d'après mon analyse, la voie proposée par l'arrêt Knotts est tout à fait incompatible avec les principes énoncés dans des décisions antérieures de notre Cour. Tant dans l'arrêt Duarte que dans l'arrêt Wong, la Cour a clairement rejeté la méthode de "l'analyse fondée sur le risque", c'est‑à‑dire l'argument selon lequel le risque qu'un agent de l'État enregistre électroniquement les propos ou les actes d'une personne n'est qu'une variante du risque que cette personne divulgue ces propos ou ces actes à autrui. Je n'ai aucun doute que les policiers ont le droit, comme tous les autres gens, d'observer nos allées et venues lorsque nous sortons en public, et je crois également qu'ils peuvent améliorer la qualité de leurs observations visuelles en se servant d'instruments comme des jumelles. Ce type d'observation ne constitue pas une menace grave ou fondamentale pour la vie privée de l'individu. Mais les arrêts Duarte et Wong soulignent tous deux la possibilité que la surveillance électronique incontrôlée entraîne la suppression de toute vie privée ainsi que le danger que, par voie de conséquence, elle fait peser sur l'autonomie individuelle et l'organisation d'une société libre. Ces deux arrêts font ressortir que des menaces de ce genre pour la vie privée "ne sont pas du même ordre de grandeur" et "présentent pour les individus et la société des dangers différents"; voir Duarte, à la p. 48. Le point crucial est qu'il existe en effet une différence qualitative entre le risque que nos déplacements dans une voiture soient observés par autrui, y compris les autorités, et le risque que notre véhicule fasse l'objet d'une surveillance à l'aide d'un dispositif qui permettra d'en suivre les moindres déplacements. Cette proposition est au c{oe}ur de l'arrêt Wong. C'est comme si on avait, à bord de l'auto, un agent de l'État qui signalerait constamment l'emplacement de la voiture. La question que l'on doit se poser est donc de savoir "si, en vertu des normes applicables au respect de la vie privée auxquelles on peut s'attendre dans une société libre et démocratique, les agents de l'État devaient se conformer aux exigences de la Charte au moment de commettre l'intrusion en cause"; voir Wong, aux pp. 45 et 46. J'estime qu'en l'espèce il faut répondre par l'affirmative.
Les arrêts Wong et Duarte sont fondés sur la notion selon laquelle il existe une distinction cruciale entre le fait de s'exposer au risque que d'autres personnes découvrent notre présence ou surprennent notre conversation et celui de s'exposer au risque beaucoup plus pernicieux que cette présence ou ces propos soient enregistrés électroniquement à la seule discrétion de l'État. Si l'on transpose cette notion pour l'appliquer à la technologie en cause en l'espèce, il s'ensuit nécessairement qu'il existe une différence importante entre prendre le risque que nos activités soient observées par d'autres personnes et le risque que des agents de l'État, sans autorisation préalable, surveillent nos moindres déplacements. Dans les deux cas, il est constitutionnellement inadmissible de permettre à l'État de justifier la surveillance électronique non autorisée d'une personne donnée en invoquant simplement le fait que cette personne se trouvait dans une situation où elle pouvait être observée par d'autres citoyens. Sanctionner les intrusions de l'État pour ce motif, c'est refuser de voir que la menace pour la vie privée inhérente à la vie en société, dans laquelle nous sommes soumis à l'observation normale d'autrui, n'est rien en comparaison avec la menace que représente pour la vie privée le fait de permettre à l'État de surveiller électroniquement nos moindres déplacements. L'article 8 de la Charte vise à protéger la vie privée et non la solitude.
À mon sens, la réponse à la question de savoir si la personne dont les déplacements ont été surveillés clandestinement avait, dans des circonstances données, une attente raisonnable quant au respect de sa vie privée ne doit pas dépendre de la mesure dans laquelle cette personne a pris des mesures pour soustraire ses activités à la vue d'autrui. Si tel devait être le cas, les conséquences dans la cohue de la vie moderne seraient inacceptables. Nous serions effectivement dépouillés de notre droit à la protection contre la surveillance électronique dès lors que nous quittons notre demeure, puisqu'il suffit de réfléchir un instant pour se rendre compte que beaucoup, sinon la majorité, de nos occupations quotidiennes se déroulent inévitablement à la vue d'autrui. Que les agents de l'État puissent, de ce seul fait, se livrer en toute impunité à la surveillance électronique de nos allées et venues est tout simplement impensable dans une société libre et ouverte comme la nôtre.
Le professeur Gutterman a bien résumé cette position dans l'article précité, aux pp. 706 et 707:
[traduction] La protection de la vie privée n'est assurée que si l'intéressé contrôle la divulgation de ses déplacements; sans ce contrôle, nous devrions nous résoudre à vivre en ermite. La vie en société exige forcément la divulgation de renseignements privés à des fins précises, mais sans pour autant sacrifier le caractère privé de nos activités quotidiennes. Pour restreindre cette liberté, il faudrait une justification plus forte que l'invocation machinale de "l'exposition à la vue du public". La cour ne doit pas oublier la dissidence qu'avait très éloquemment exprimée le juge Brennan en évoquant la dimension entièrement nouvelle que confèrent à la surveillance les moyens électroniques: "[i]ls la rendent plus envahissante, moins ciblée, plus odieuse dans une société libre. En fait, la surveillance électronique rend la police omnisciente, et l'omniscience de la police est l'un des instruments les plus efficaces de la tyrannie."
Comme je l'ai souligné précédemment, la surveillance électronique clandestine des déplacements d'une personne fait peser sur sa vie privée une menace d'une telle gravité qu'elle exige une autorisation judiciaire préalable. Et comme nous l'enseigne l'arrêt Hunter c. Southam, précité, un mandat autorisant à effectuer une fouille ou une perquisition ne sera ordinairement décerné qu'à la condition que ceux qui le sollicitent démontrent objectivement l'existence d'un motif raisonnable et probable de le décerner. Je ne vois pas pourquoi il n'en irait pas ainsi, tout au moins de façon générale, lorsque quelqu'un cherche à utiliser des dispositifs de surveillance électronique à des fins de filature. Étant donné que, dans la mesure où il est soumis à un contrôle approprié, ce moyen de surveillance est moins envahissant que la surveillance électronique audio ou magnétoscopique, on pourrait établir qu'il y a lieu, dans certaines circonstances, d'habiliter un officier de justice à accepter une norme moins rigoureuse, tel le "motif solide" de soupçonner dont se réclamaient les policiers en l'espèce, si l'on peut établir par ailleurs que ce pouvoir est nécessaire pour enrayer certains types de crimes dangereux ou pernicieux. Dans un extrait de l'arrêt Hunter c. Southam, cité plus bas, on envisage la possibilité de modifier la norme dans certains cas, et un assouplissement de la norme a été approuvé dans le cas de l'entrée au pays, même sans autorisation judiciaire, dans l'arrêt R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495. Cependant, cela ne devrait pas être permis en l'absence de motifs convaincants.
La présente affaire comporte un autre aspect qu'il convient de souligner. Il semblerait en effet que les policiers se souciaient autant ici d'assurer la protection du public contre un individu qu'ils croyaient dangereux que de découvrir l'auteur de crimes antérieurs. Or, l'arrêt Hunter c. Southam, précité, nous apprend qu'il peut exister des cas où l'existence d'un danger pour quelqu'un peut justifier l'assouplissement de la norme. Le juge Dickson, plus tard Juge en chef, fait observer, à p. 168 de cet arrêt:
L'histoire confirme la justesse de cette exigence comme point à partir duquel les attentes en matière de la vie privée doivent céder le pas à la nécessité d'appliquer la loi. Si le droit de l'État ne consistait pas simplement à appliquer la loi comme, par exemple, lorsque la sécurité de l'État est en cause, ou si le droit du particulier ne correspondait pas simplement à ses attentes en matière de vie privée comme, par exemple, lorsque la fouille ou la perquisition menace son intégrité physique, le critère pertinent pourrait fort bien être différent.
Le juge Dickson parlait alors de la norme objective qu'applique un officier de justice. La police a elle aussi le pouvoir d'agir sans mandat lorsque c'est nécessaire pour protéger une personne ou un bien. Mais à mon avis, cela ne lui permet pas d'effectuer des fouilles ou des perquisitions, et notamment de la surveillance électronique d'un suspect, parce qu'elle croit qu'un certain individu peut être dangereux et qu'il peut par conséquent un jour ou l'autre causer quelque part un préjudice, même grave, à autrui.
Il peut parfois être difficile d'accepter qu'une personne ‑‑ même dangereuse ‑‑ puisse échapper aux rigueurs de la loi parce que les organismes chargés de l'appliquer doivent se conformer à des normes constitutionnelles. Mais tel est le prix de la liberté. Ne nous leurrons pas en pensant qu'il s'agit ici de simples formalités. Avec la vigueur qu'on lui connaît bien, le juge Brennan, éminent juriste américain, a dénoncé cette conception erronée au cours d'une entrevue radiophonique en 1987:
[traduction] "Franchement", dit le juge Brennan en élevant la voix, "vous des médias devriez avoir honte de qualifier de "formalités" les dispositions et les garanties du Bill of Rights. Elles n'en sont pas. Elles constituent le fondement même de la société dans laquelle nous vivons. C'est parce que nous jouissons de ces garanties que nous sommes tels que nous sommes et la raison d'être de notre cour est de veiller à ce que ces garanties soient scrupuleusement respectées. Il ne s'agit pas de formalités! Et si abominable que puisse parfois être la personne qui en bénéficie, les garanties doivent être sauvegardées, même si, dans l'immédiat, cela permet à un individu très déplaisant de s'en tirer. C'est pour notre protection à tous que ces garanties existent."
Voir "Profiles: The Constitutionalist", The New Yorker, 12 mars 1990, p. 45, à la p. 65.
Voilà donc le contexte dans lequel il faut se demander s'il y a lieu d'écarter les éléments de preuve en vertu du par. 24(2).
Application du par. 24(2) de la Charte
Considérations générales
Dans l'arrêt R. c. Collins, précité, le juge Lamer, maintenant Juge en chef, a énoncé, aux pp. 283 et 284, un certain nombre de critères à examiner pour déterminer si les éléments de preuve obtenus en violation d'un droit garanti par la Charte doivent être écartés pour le motif qu'ils tendent à déconsidérer l'administration de la justice. Les voici:
‑quel genre d'éléments de preuve a été obtenu?
‑quel droit conféré par la Charte a été violé?
‑la violation de la Charte était‑elle grave ou s'agissait‑il d'une simple irrégularité?
‑la violation était‑elle intentionnelle, volontaire ou flagrante, ou a‑t‑elle été commise par inadvertance ou de bonne foi?
‑la violation a‑t‑elle eu lieu dans une situation d'urgence ou de nécessité?
‑aurait‑on pu avoir recours à d'autres méthodes d'enquête?
‑les éléments de preuve auraient‑ils été obtenus en tout état de cause?
‑s'agit‑il d'une infraction grave?
‑les éléments de preuve recueillis sont‑ils essentiels pour fonder l'accusation?
‑existe‑t‑il d'autres recours?
Le juge Lamer a regroupé ensuite ces facteurs en trois grandes catégories: (1) ceux qui portent atteinte à l'équité du procès, (2) ceux qui se rapportent à la gravité de la violation, et enfin (3) ceux qui se rapportent à l'effet sur la considération dont jouit l'administration de la justice. Il a ajouté que l'incidence de la preuve sur l'équité du procès étaient le facteur le plus important à prendre en considération sous le régime du par. 24(2). Voir également R. c. Jacoy, [1988] 2 R.C.S. 548, aux pp. 558 et 559.
Le juge du procès et la Cour d'appel ont exprimé des opinions divergentes sur l'application des facteurs précités à l'espèce. La Cour d'appel a souligné, pour sa part, que même si la police avait agi délibérément, elle l'avait fait de bonne foi et seulement après avoir constaté l'inefficacité d'autres méthodes d'enquête. Vu que la police enquêtait sur l'auteur possible d'une série de meurtres, la cour a estimé que la méthode utilisée était raisonnable tant aux fins de l'enquête qu'à celles de la prévention du crime. La cour s'est dite d'avis que les éléments de preuve recueillis n'avaient pas été obtenus en mobilisant l'accusé contre lui-même dans la mesure où celui‑ci n'avait pas été contraint par la police de faire quoi que ce soit, mais s'était plutôt rendu en automobile partout où il le voulait.
Le juge du procès a, quant à lui, mis l'accent sur le fait que l'action de la police constituait une violation planifiée et continue des droits de l'appelant, qui s'est poursuivie vingt‑quatre heures par jour pendant au moins un mois. À son avis, la police avait agi non pas en se fondant sur un motif raisonnable et probable, mais sur la foi d'un simple soupçon. Il a également estimé que les éléments de preuve avaient été obtenus en mobilisant l'accusé contre lui-même en ce sens que c'est l'appelant qui a produit la preuve en faisant fonctionner le dispositif lorsqu'il se servait de sa voiture.
Avant d'aller plus loin, j'aimerais à nouveau attirer l'attention sur le double aspect que revêt, en l'espèce, la violation du droit garanti par l'art. 8. Pour installer la balise comme ils l'ont fait, les policiers ont dû pénétrer dans la voiture et y causer un dommage (quoique mineur), et ce, à un moment où ils n'agissaient pas en vertu d'un mandat. Ce geste a constitué une intrusion illégale qui, par surcroît, a été commise dans un lieu où l'appelant s'attendait raisonnablement au respect de sa vie privée. C'est sur cet aspect de la violation que la Cour d'appel s'est concentrée. Comme nous l'avons vu cependant, la violation de l'art. 8 a également consisté à utiliser la balise pour surveiller chacun des déplacements de l'appelant. C'est sur ce second aspect que le juge du procès a fait porter son analyse. À mon avis, les deux aspects valent d'être pris en considération. Examinons maintenant les différents facteurs selon le regroupement suggéré dans l'arrêt Collins.
Équité du procès ‑ Le genre de preuve
En examinant les facteurs qui portent atteinte à l'équité du procès, le juge Lamer a souligné l'importance d'établir une distinction entre preuve matérielle et preuve obtenue en mobilisant l'accusé contre lui-même. Bien qu'il ne fasse pas de doute que cette distinction soit utile dans de nombreux contextes, elle soulèverait de graves problèmes d'équité du procès si on en faisait une règle immuable, et je ne crois pas que c'est ce que le juge Lamer avait à l'esprit. J'ai eu l'occasion d'aborder cette question en traitant des problèmes relatifs à la preuve dérivée dans l'arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, aux pp. 548 à 563. Voici ce que j'ai affirmé, aux pp. 552 et 553:
Je soulignerais d'abord que je ne crois pas qu'en faisant cette distinction, le juge Lamer a voulu établir une ligne de démarcation stricte entre une preuve matérielle obtenue d'une manière contraire à la Charte et tous les autres types de preuve qui peuvent être obtenus ainsi. Il n'a pas simplement affirmé que l'utilisation d'une preuve matérielle ne porterait généralement pas atteinte à l'équité du procès de l'accusé; il a affirmé, à la p. 284, qu'elle ne porterait généralement pas atteinte à l'équité du procès parce qu'elle "existe indépendamment de la violation de la Charte" (je souligne). De même, en ce qui concerne les confessions "ou d'autres preuves émanant" de l'accusé, il a souligné qu'elles "n'existaient pas avant la violation" (je souligne). Je crois que cela indique clairement que le juge Lamer avait à l'esprit la distinction beaucoup plus générale entre la preuve que l'accusé a été forcé de créer et celle qu'il a été forcé simplement à situer ou à identifier. En d'autres termes, il avait à l'esprit le genre de distinction que j'ai tenté d'établir entre un témoignage forcé et une preuve dérivée de ce témoignage. [Souligné dans l'original.]
Le fait que la preuve existait déjà signifie qu'elle aurait pu être découverte de toute façon. Ce qui n'est pas le cas lorsque la preuve n'aurait pas existé n'eût été la violation de la Charte. J'ai ajouté, à la p. 553 de l'arrêt Thomson Newspaper:
Une violation de la Charte qui force l'accusé éventuel à créer une preuve a nécessairement pour effet de fournir à la poursuite une preuve qu'elle n'aurait pu obtenir autrement. Il s'ensuit que sa preuve contre l'accusé se trouve nécessairement renforcée par suite de la violation.
J'ai poursuivi en disant que c'est exactement le genre de préjudice que le droit de ne pas s'incriminer et le droit à un avocat visent à prévenir. Je me suis reporté à plusieurs arrêts, en particulier les arrêts R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138, et R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3, qui appuient cette façon d'aborder le par. 24(2) dans d'autres contextes.
Or en l'espèce, la distinction entre preuve matérielle et preuve obtenue en mobilisant l'accusé contre lui-même ne paraît pas d'une grande utilité et n'est d'ailleurs pas facile à établir. En effet, les éléments de preuve recueillis n'ont pas vraiment été obtenus en mobilisant l'accusé contre lui‑même, en ce sens que ce dernier n'a jamais été incité par la police à créer une preuve contre lui‑même. Cependant, comme le fait remarquer le juge du procès, l'appelant était, par suite de l'emploi du dispositif de surveillance, susceptible de créer une preuve contre lui‑même chaque fois qu'il sortait en voiture. Cette preuve n'aurait pas existé n'eût été le dispositif de surveillance, puisqu'on avait perdu de vue l'accusé. En somme, une grande partie de la preuve obtenue contre l'accusé repose sur le fait qu'il a été suivi, par des moyens inconstitutionnels, jusqu'à l'endroit où le crime a été commis. Il me semble, par conséquent, que ce facteur joue en faveur de l'appelant.
La gravité de la violation
J'aborde maintenant la deuxième catégorie de facteurs, ceux qui se rapportent à la gravité de la violation. En l'espèce, il n'y a pas de doute que la violation est grave. Bien que la police ait manifestement agi de bonne foi, la violation a été si envahissante et s'est déroulée sur une période si longue qu'il est impossible, à mon avis, d'en venir à une autre conclusion. On pourrait noter que, dans le cas qui nous occupe, la fouille paraît résulter d'un mépris systématique des droits de l'appelant. La police a d'ailleurs tenu une conférence de presse où elle a failli identifier l'appelant comme suspect (son nom a été révélé dans la presse le lendemain) même si elle a admis qu'il n'y avait pas alors suffisamment de preuve contre lui pour l'arrêter. Il n'est pas surprenant qu'à compter de ce moment, il ait été pourchassé par les médias.
L'intrusion dans l'automobile de l'appelant, résultant d'un mépris total de ses droits, même après qu'un mandat de perquisition n'eut pas permis de découvrir des éléments de preuve est, en soi, un acte grave. Le juge Sopinka s'est exprimé, dans l'arrêt Kokesch, précité, en des termes qui s'appliquent également à la présente affaire. Il y dit, à la p. 29:
Sur le plan de la vie privée, qui est la valeur essentielle protégée par l'art. 8 de la Charte, cette intrusion illégale dans une propriété privée n'est ni anodine ni minime. Même avant l'adoption de la Charte, les particuliers avaient le droit de s'attendre à ce que leur environnement soit protégé contre des fonctionnaires fureteurs, à moins que ceux‑ci ne satisfassent aux conditions requises pour exercer leurs pouvoirs légaux: voir les arrêts Eccles c. Bourque, [1975] 2 R.C.S. 739; et Colet c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 2. L'élévation de cette protection au niveau constitutionnel indique son enracinement profond dans notre culture juridique.
Si une intrusion limitée aux environs d'une résidence est inacceptable, on peut assurément en dire autant de l'intrusion dans l'automobile d'un particulier.
Je passe maintenant à la question de savoir si la police a agi de bonne foi ou si elle a commis une violation flagrante. J'ai dit précédemment que les policiers avaient "manifestement agi de bonne foi". Je suis conscient qu'ils étaient confrontés à une situation difficile. Pendant plusieurs années, il y avait eu, dans la région, une série de meurtres dont l'accusé avait été soupçonné. Entre le 17 mai et la date à laquelle a été obtenu le mandat, soit quelque deux mois plus tard, une salle des nouvelles avait reçu un appel téléphonique anonyme dans lequel on revendiquait la responsabilité du meurtre le plus récent et on affirmait que [traduction] "il y en aurait encore beaucoup d'autres". La police possédait des éléments de preuve circonstancielle pouvant être considérés comme reliant l'accusé à plusieurs des meurtres antérieurs et voulait empêcher la perpétration d'un nouveau crime. Mais comme l'a fait observer le juge Sopinka dans l'arrêt Kokesch, à la p. 30, il faut, pour déterminer si une violation de l'art. 8 a été commise de "bonne foi" ou si elle était "flagrante", se rappeler qu'il s'agit là de termes techniques dans les affaires relatives au par. 24(2). Or, l'une des premières questions que l'on doit poser à cet égard est celle de savoir si la police avait des motifs raisonnables et probables. Cela est souligné dans l'arrêt Kokesch et est traité longuement dans l'arrêt R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755, aux pp. 795, 796 et 799. En l'espèce, le juge du procès a conclu que les policiers n'avaient aucun motif raisonnable et probable pour agir, ce qu'ils ont d'ailleurs eux‑mêmes admis. Mais ils prétendent, et c'est précisément l'argument que la police a fait valoir dans l'affaire Kokesch, à la p. 31, où la preuve a été rejetée, qu'ils avaient des "motifs solides".
À la page 28 de l'arrêt Kokesch, ainsi que dans la jurisprudence qui y est citée, on reconnaît le principe selon lequel "l'inexistence d'autres méthodes d'enquête, admissibles sur le plan constitutionnel, n'est ni une excuse ni une justification pour utiliser des méthodes d'enquête inadmissibles sur le plan constitutionnel". La police pourrait peut‑être bien être excusée pour le motif qu'elle croyait avoir le droit de recourir à un dispositif de surveillance électronique, même si le fait que le Code criminel prohibe l'usage sans autorisation et limite la durée d'emploi de dispositifs électroniques plus reconnus, aurait dû la faire réfléchir. Mais là où la police n'a aucune excuse, c'est quant à la façon dont le dispositif a été installé. Il me semble aller de soi que chacun sait ou devrait savoir qu'on n'a pas le droit de pénétrer dans l'automobile d'autrui et d'y causer des dommages. En l'occurrence, les policiers savaient pertinemment qu'ils devaient posséder un mandat pour fouiller la voiture, que celui qu'ils avaient obtenu ne leur permettait pas d'agir comme ils l'ont fait, et même qu'il était expiré. Pour reprendre les propos tenus par le juge Sopinka dans l'arrêt Kokesch, précité, à la p. 32:
Ou bien les policiers savaient que c'était une intrusion, ou bien ils auraient dû le savoir. Dans l'un ou l'autre cas, on ne peut pas dire qu'ils ont agi "de bonne foi", au sens où on l'entend dans la jurisprudence fondée sur le par. 24(2).
Je conclus donc que la violation de la Charte était très grave et qu'elle n'est pas atténuée par la bonne foi des policiers.
Déconsidération de la justice
En dernier lieu, il me faut examiner les facteurs relatifs à la question de savoir si l'utilisation des éléments de preuve contestés est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, et au fait que l'accusé ne peut être déclaré coupable sur le fondement des autres éléments de preuve. La gravité de l'infraction faisant l'objet de l'enquête milite à coup sûr en faveur de leur utilisation étant donné non seulement que les policiers voulaient obtenir des éléments de preuve, mais encore qu'ils se souciaient réellement d'empêcher la perpétration d'un nouveau crime. Cependant, la gravité du crime et les propensions de l'accusé ne doivent pas être considérées comme une garantie d'admissibilité. Tout indique en effet, tant dans l'arrêt Greffe, précité, que dans l'arrêt Kokesch, que l'accusé était, de l'avis de la Cour, sûrement coupable d'un crime grave et qu'il continuerait, s'il en avait l'occasion, à se livrer à des activités illégales. En tout état de cause, il ne faut pas oublier que les limites dûment imposées au pouvoir de la police s'appliquent à toutes les étapes du processus d'application de la loi. Comme l'a dit le juge Dickson dans l'arrêt Hunter c. Southam, précité, aux pp. 167 et 168:
Le droit de l'État de déceler et de prévenir le crime commence à l'emporter [. . .] lorsque les soupçons font place à la probabilité fondée sur la crédibilité. [Je souligne.]
Dans une société libre, on ne saurait permettre à la police d'effectuer une fouille ou perquisition envahissante comme celle effectuée en l'espèce sur la foi d'un simple soupçon, et même d'un fort soupçon. Cela est clairement inadmissible dans une société libre et est, à mon avis, susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
Les policiers n'avaient, en l'espèce, aucun motif raisonnable et probable d'agir; eux‑mêmes ne croyaient pas en avoir, ce qu'a d'ailleurs confirmé la conclusion du juge du procès. Il se peut qu'à un moment donné ils aient eu des motifs suffisamment raisonnables et probables pour justifier la délivrance d'un mandat les autorisant à perquisitionner au domicile de l'appelant et à fouiller son véhicule, et, en fait, ils ont pu obtenir ce mandat. Cependant, étant donné que cette perquisition et cette fouille n'ont pas permis de relier l'appelant au crime, cela a eu pour effet d'annihiler certains des motifs invoqués par la police. Par exemple, la police avait émis l'hypothèse que la paire de gants de travail trouvée sur le siège arrière avait servi à perpétrer le crime et qu'on y découvrirait peut‑être des traces de peinture rouge provenant de la porte latérale du garage de la maison de King, qui venait d'être repeinte et qui avait été forcée. Or on n'a trouvé aucune trace de peinture. Il me semble que pousser plus loin l'investigation, après que la perquisition et la fouille n'eurent abouti à rien, revenait à agir sur la foi d'un simple soupçon. (Il est vrai qu'au moment où le dispositif de surveillance a été installé, certains tests effectués sur les éléments de preuve recueillis à la résidence de l'appelant n'étaient pas encore terminés; toutefois, la surveillance a continué même une fois que ces tests se furent révélés négatifs.) Dans ces circonstances, il était loisible à la police de poursuivre la surveillance de l'appelant mais, faute d'autres indices, elle n'avait pas de motif suffisant pour installer le dispositif de surveillance dans sa voiture.
Les policiers n'auraient pas dû, notamment, pénétrer dans l'automobile de l'appelant et ainsi porter atteinte à sa vie privée, afin de recueillir des éléments de preuve. Comme je l'ai dit précédemment, ce n'était là qu'une manifestation de leur mépris total de la prudence et du soin élémentaires avec lesquels ils doivent mener leurs enquêtes. Comme je l'ai souligné, ils ont pratiquement révélé au public que l'appelant était l'auteur probable des homicides multiples, sans même avoir de motifs raisonnables et probables de le faire. Comme l'a fait observer le juge Sopinka dans l'arrêt Kokesch, précité, à la p. 35:
Notre Cour ne peut donner à penser qu'elle tolère une conduite illégale délibérée destinée à passer outre les limites légales et constitutionnelles du pouvoir de la police de s'immiscer dans la vie privée. Comme le juge en chef Dickson l'affirmait dans l'arrêt Genest, précité, à la p. 92: "il ne s'agit pas d'une atteinte mineure ou de pure forme". La violation de l'art. 8 de la Charte qui est survenue en l'espèce doit être considérée comme flagrante, et la déconsidération du système judiciaire qui résulterait nécessairement de l'utilisation de la preuve contestée ne peut être compensée par la déconsidération hypothétique que pourrait entraîner son exclusion.
Notre Cour a, à maintes reprises, fait ressortir l'importance, tant pour la protection des citoyens que pour celle de l'État et même des autorités chargées d'appliquer la loi, du respect des règles constitutionnelles et légales qui régissent l'application de la loi. Ces règles permettent jusqu'à un certain point de tenir compte de circonstances urgentes, qui n'existaient pas en l'espèce. Considérant l'ensemble de l'affaire, je ne puis m'empêcher de penser que les policiers, en l'espèce, ont fait montre de l'excès de zèle contre lequel le juge Brandeis nous a il y a longtemps mis en garde. [traduction] "Les plus grands dangers pour la liberté résident dans les empiétements insidieux de la part d'hommes zélés, de bonne volonté mais inconscients"; voir l'arrêt Olmstead c. United States, 277 U.S. 438 (1928), à la p. 479, cité dans l'arrêt R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, aux pp. 436 et 437.
Je conclus alors que les conséquences à long terme de l'utilisation d'éléments de preuve obtenus en pareilles circonstances sur l'intégrité de notre système de justice l'emportent sur le tort que pourrait causer l'acquittement de l'accusé en l'espèce. La fin ne justifie pas les moyens. Nous devons respecter nos valeurs constitutionnelles et ne pas les troquer contre des gains à court terme. Je me reporte de nouveau à l'observation précitée du juge Brennan selon laquelle, bien qu'il faille en payer le prix, c'est à nous tous que profite le respect rigoureux de nos valeurs constitutionnelles.
Dispositif
Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir le verdict d'acquittement.
Version française des motifs des juges Sopinka et Iacobucci rendus par
//Le juge Sopinka//
Le juge Sopinka (dissident) ‑‑ J'ai pris connaissance des motifs de jugement rédigés par mes collègues, les juges La Forest et Cory, et je souscris à la conclusion à laquelle a abouti le juge La Forest. Je suis d'avis de trancher le pourvoi sur la base de motifs plus limités et de réserver à une autre occasion l'examen de la question plus générale de savoir si la surveillance électronique clandestine du genre de celle dont il est question dans la présente affaire peut être exercée seulement en conformité avec une autorisation judiciaire préalable requise par la loi.
Comme mes collègues le soulignent tous les deux, le ministère public a reconnu tout à fait à bon droit que l'installation du dispositif de surveillance dans l'automobile de l'appelant constitue une fouille ou une saisie abusives au point de violer l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Les faits ressemblent tellement à ceux de l'affaire R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3, qu'il serait difficile, voire impossible, d'aboutir à une conclusion différente en ce qui concerne la violation de l'art. 8. Dans les deux cas, une intrusion commise par des policiers, que ceux‑ci savaient ou auraient dû savoir illégale, leur a permis de surveiller les activités d'un suspect et de découvrir éventuellement des éléments de preuve incriminants. Dans les deux cas, le lien entre l'intrusion, la surveillance et la découverte des éléments de preuve est suffisant pour conclure que ces éléments ont été obtenus d'une façon contraire à la Charte. Il n'est pas nécessaire ici, comme il ne l'était pas non plus dans l'affaire Kokesch, de se demander si la surveillance elle‑même, en l'absence d'intrusion, violerait l'art. 8. Bien que je convienne avec mon collègue le juge La Forest qu'il est souhaitable de légiférer dans ce domaine, je m'abstiens d'exprimer une opinion quant à la forme que cette législation devrait revêtir. Je ne suis pas prêt à dire à l'avance s'il faudra obtenir préalablement une autorisation judiciaire ou si un simple pouvoir conféré par la loi suffira.
Je conviens avec mon collègue le juge La Forest que l'utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice et, conformément au par. 24(2) de la Charte, ils devraient être écartés. J'estime que nous attribuerions à l'arbitre de cette question un degré trop élevé de subtilité si nous tentions d'établir une distinction entre la présente affaire et l'affaire Kokesch. Je ne crois pas qu'il existe une différence suffisante entre le fait de pénétrer dans des lieux privés (autres que la résidence elle‑même) et le fait de causer illégalement des dommages au siège d'une voiture pour justifier une conclusion différente. Le fait important aux fins de la Charte est l'intrusion illégale commise sciemment par les policiers. Je ne considère pas non plus comme une différence importante le fait que les policiers, en l'espèce, soupçonnaient l'appelant d'avoir commis une infraction plus grave. Le simple soupçon demeure seulement un soupçon et il ne saurait servir à racheter des violations de la Charte en raison de la nature de l'infraction dont on soupçonne l'existence.
Je suis d'avis de trancher le pourvoi de la façon proposée par le juge La Forest.
Pourvoi rejeté, les juges La Forest, Sopinka et Iacobucci sont dissidents.
Procureurs de l'appelant: Scott & Aylen, Ottawa.
Procureur de l'intimée: Le procureur général de la province de l'Ontario, Toronto.