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Supreme Court of Canada

Vaughan v. Glass, [1963] S.C.R. 609

Date: 1963-06-24

Dame Lona Marie Vaughan (Demanderesse) Appelante;

et

Dame Celeste Glass et al.(Défendeurs) Intimés.

Testament—Interprétation—Don «par souche»—Survivants—Usufruit—Substitution—Intention du testateur.

Le testament de la testatrice, décédée en 1909, contenait les deux clauses suivantes:

11. I leave and bequeath all my estate, bonds, stocks and ready money… unto my six children …,to be by them enjoyed in equal shares during their lifetime, they drawing the revenues, interest and dividends thereof respectively, without being obliged to make any inventory or to give security; and after their death, onto their children par souche; to be by my grandchildren, par souche, owned and enjoyed in full ownership, but the latter shall not have the right to ask for or to have any partition of my estate until after the demise of the last souche. In the event of any souche dying without legitimate issue, I will and direct that his or her share shall accrue to the other souches in equal shares.

12. I will and ordain that the said usufruct or enjoyment of my said children shall be inalienable and insaisissable and in the case of the female children not under marital control.

Deux seulement des enfants de la testatrice eurent des enfants. La demanderesse est la veuve et l'unique héritière de l'unique représentant, lui-même décédé en 1925, d'une de ceux deux souches. Les défendeurs

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sont les représentants de l'autre souche. À sa mort le mari de la demanderesse était en possession d'un cinquième de la succession, ayant reçu un sixième au décès de sa mère et le reste au décès d'une autre des enfants de la testatrice. Les quatre autres enfants de la testatrice sont décédés sans enfants subséquemment à la mort du mari de la demanderesse.

La demanderesse prétend que le testament contient deux libéralités conjointes soit un legs d'usufruit aux enfants et un legs de nue propriété aux petits-enfants par souche; qu'en conséquence elle a droit à la moitié de la succession au lieu d'un cinquième puisqu'il n'y a que deux groupes de petits-enfants. Le juge de première instance considéra qu'une substitution avait été créée, que le décès du mari de la demanderesse avait entraîné l'extinction au droit au bénéfice de l'accroissement subséquent, et donc que la demanderesse n'avait droit qu'au cinquième. Le dispositif de ce jugement fut confirmé par une décision majoritaire de la Cour du banc de la reine. La demanderesse en appela devant cette Cour.

Arrêt: L'appel doit être rejeté.

Il faut donner aux testaments une interpretation «fair and literal». La testatrice a créé une substitution fidéicommissaire distincte pour chaque souche représentée par chacun de ses enfants. Le décès du mari de la demanderesse en 1925 entraîna l'extinction de la souche représentée par sa mère; et conséquemment, l'accroissement pourvu dans la clause 11 ne pouvait après cette date bénéficier éventuellement qu'aux quatre autres enfants survivants de la testatrice. La prétention de la demanderesse à l'effet que seules les souches fertiles devaient profiter de l'accroissement n'est pas justifiée par le texte et de plus est incompatible avec la manifeste intention de la testatrice d'attribuer ses biens en ligne directe à ses descendants et non à leurs époux.

APPEL d'un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec1, confirmant le jugement du Juge Salvas. Appel rejeté.

John de M. Marler, C.R., et P. W. Gauthier, pour la demanderesse, appelante.

John L. O'Brien, CR., Charles J. Gélinas, CR., et John R. Hannan, pour les défendeurs, intimés.

Le jugement de la. Cour fut rendu par

Le Juge Fauteux:—L'appelante est l'unique héritière de James Frederick Judah Burnett, son époux, décédé le 21 avril 1925. Parmi les biens composant la succession de ce dernier se trouve la part de biens lui venant de la succession de sa grand-mère Sarah Caine. La quotité de cette part est l'objet de ce litige.

Décédée le 5 avril 1909, Sarah Caine laissa six enfants. Elle avait, par testament authentique en date du 20 mai

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1902, disposé de ses biens, incluant sa part de la communauté de biens avec feu son époux, Frederick Thomas Judah. Suivant ces dernières volontés, la testatrice, après avoir fait certains legs particuliers à chacun de ses enfants, disposa ainsi de tous ses immeubles, actions ou autres valeurs:

ELEVENTHLY.—I leave and bequeath all my real estate, bonds, stocks & ready money which I may possess at the time of my death, unto my six children Ida, Amy, Henry, Miriam, Frederick and Sarah, to be by them enjoyed in equal shares during their lifetime, they drawing the revenues, interest and dividends thereof respectively, without being obliged to make any inventory or to give security; and after their death, unto their children par souche; to be by my grandchildren, par souche, owned and enjoyed in full ownership; but the latter shall not have the right to ask for or to have any partition of my estate until after the demise of the last souche.

In the event of any souche dying without legitimate issue, I will and direct that his or her share shall accrue to the other souches in equal shares.

TWELFTHLY.—I will and ordain that the said usufruct or enjoyment of my said children shall be inalienable and insaisissable and in the case of the female children not under marital control.

Tous les enfants de la testatrice lui survécurent. Tous sont depuis décédés: Miriam en 1917, Ida en 1918, Frederick James en 1943, Amy en 1951, Henry en 1954 et Sarah en 1956. De tous les six, seules Miriam et Sarah eurent des enfants: la première, James Frederick Judah Burnett qui, comme déjà indiqué, devint l'époux de l'appelante et décéda le 21 avril 1925, et la seconde, trois enfants: Celeste, Ogden et Gordon Frederick Glass, tous trois intimés en cet appel.

L'appelante a poursuivi les trois intimés personnellement et les deux derniers également en leur qualité d'exécuteurs testamentaires.

Les autres intimés ès-qualité sont coexécuteurs du testament de Sarah Caine; les mis-en-cause sont héritiers de la succession de Frederick Thomas Judah, l'époux de Sarah Caine; enfin, le mis-en-cause ès-qualité est curateur aux substitutions qui auraient été créées par le testament de l'époux de cette dernière.

Par son action, l'appelante a demandé à ce qu'il soit ordonné aux défendeurs ès-qualité de procéder au compte et au partage de la succession de feu Sarah Caine et à ce qu'il soit déclaré qu'elle-même est propriétaire de la moitié

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et les défendeurs de l'autre moitié des biens de cette succession.

Toutes les parties ont comparu mais seuls les intimés contestent.

Tel qu'éventuellement arrêté et soumis par l'appelante et les intimés, la question à déterminer se limite à savoir si, comme elle le prétend, l'appelante est propriétaire de la moitié de la succession de Sarah Caine, ou simplement d'un cinquième, ainsi que le soumettent les intimés. Les parties s'accordent à reconnaître que le principe de la réponse à cette question se trouve dans les clauses 11 et 12 du testament de Sarah Caine. L'appelante, d'une part, soutient que la clause 11 comporte deux libéralités conjointes, savoir un legs d'usufruit aux enfants de la testatrice et un legs de nue propriété à ses petits-enfants par souche; la clause 12 étant invoquée par l'appelante au soutien de cette interprétation de la clause 11. Les intimés, d'autre part, soutiennent qu'aux termes de la clause 11, la testatrice a créé une substitution fidéicommissaire distincte pour chaque souche représentée par chacun de ses enfants. De plus et entre autres moyens additionnels, ils invoquent une loi de la Législature, 8 Geo. V. c. 139, où la justesse de leur interprétation aurait été implicitement reconnue et ils plaident chose jugée en s'appuyant sur un jugement, rendu en 1926 par feu M. le Juge Mercier dans une cause où la question fondamentale soulevée serait, de son essence, la même qu'en l'espèce, et suivant lequel le savant Juge, reconnaissant que la testatrice a créé une substitution, limita l'étendue des droits de l'appelante comme héritière de son époux, James Frederick Judah Burnett, à un cinquième des biens de la succession de Dame Sarah Caine.

En Cour supérieure, M. le Juge Salvas considéra que la clause 11 comporte deux libéralités distinctes et successives ayant pour objet la propriété des biens de la testatrice; que celle-ci y créa une substitution pour chacune des souches alors représentée par chacun de ses six enfants; que chacun d'eux reçoit une part de ses biens s'augmentant par accroissement, le cas échéant, en vertu du testament et de la loi (C.C. 933 et 868), avec charge de rendre cette part à ses propres enfants à son décès; qu'au décès de sa mère Miriam, l'époux de l'appelante fut immédiatement saisi de la pleine

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propriété de la part de sa mère—soit un sixième—et, au même temps, du droit éventuel à l'accroissement stipulé au testament, recevant cette part et ce droit de la testatrice elle-même; que le 8 mars 1918, Ida étant décédée sans postérité, cette souche s'est éteinte et sa part s'est ajoutée par accroissement à celles des cinq autres souches dont celle de Miriam alors représentée ou continuée par l'époux de l'appelante, James Frederick Judah Burnett, cette part étant ainsi portée de un sixième à un cinquième en pleine propriété; que l'époux de l'appelante ayant, le 21 avril 1925, prédécédé les quatre autres enfants survivant à la testatrice, sans laisser d'enfants, son décès entraîna l'extinction de la souche Miriam et partant la perte du droit au bénéfice de l'accroissement effectué subséquemment entre les souches survivantes. Le savant Juge en conclut que, seule héritière de James Frederick Judah Burnett, l'appelante a été, lors du décès de ce dernier, saisie en pleine propriété de la part déjà acquise par son époux dans la succession de Dame Sarah Caine, soit un cinquième des biens de cette succession. Dans ces vues sur le sens et l'effet des clauses 11 et 12, le Juge de première instance n'eut pas à considérer les autres moyens soulevés par les intimés. Il ordonna le partage, déclara l'appelante propriétaire d'un cinquième, réserva l'adjudication, si nécessaire, des conclusions accessoires de l'action; le tout, chaque partie payant ses frais.

Ce jugement fut porté en appel et le dispositif en fut confirmé par une décision majoritaire. Voici, en substance, les vues auxquelles se sont arrêtés les membres de la Cour2. Sur le sens et l'effet du testament, MM. les Juges Bissonnette et Owen partagent entièrement l'opinion du Juge de première instance alors que MM. les Juges Casey, Rinfret et Badeaux se prononcent—le premier, pour partie, et les deux autres, pour le tout—en faveur des prétentions de l'appelante. MM. les Juges Bissonnette, Casey et Badeaux acceptent comme bien fondée la défense de chose jugée alors que, par ailleurs, M. le Juge Rinfret exprime l'opinion contraire et que M. le Juge Owen ne juge pas nécessaire de se prononcer, vu son opinion sur l'interprétation et l'effet du testament. Ainsi donc et dans le résultat, l'appel fut renvoyé avec dépens. De là le pourvoi à cette Cour.

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La distinction entre l'essence de la constitution d'usufruit et celle de la constitution de substitution fidéicommissaire est clairement exposée aux autorités citées aux raisons de jugement de M. le Juge Bissonnette. Il n'y a pas lieu d'y revenir; sur cette question de droit, il n'y a, entre les parties, aucune controverse. C'est sur l'appréciation des dispositions précitées du testament qu'on se divise et où l'on prétend apercevoir, d'une part, la présence des éléments de l'usufruit et, d'autre part, ceux de la substitution. Dans Auger v. Beaudry3, le Comité Judiciaire du Conseil Privé a rappelé dans les termes suivants, à la page 1014, la méthode à suivre pour déterminer l'intention d'un testateur: «…it is now recognized that the only safe method of determining what was the real intention of a testator is to give the fair and literal meaning to the actual language of the will.» Retenant ce critère et après avoir anxieusement étudié les raisons données en Cour supérieure, en Cour d'Appel, à la lumière de l'argumentation des parties lors de l'audition, je dois dire, en toute déférence pour les tenants de l'opinion contraire, qu'il m'est impossible, à moins de faire une certaine violence au texte de la clause 11, de voir aux dispositions testamentaires précitées la constitution d'un simple usufruit. Au contraire et d'accord avec les raisons données par M. le Juge Salvas, élaborées par MM. les Juges Bissonnette et Owen, et auxquelles je ne puis utilement ajouter, je dirais plutôt que, suivant son texte même, la clause 11 comporte deux libéralités distinctes, successives et non simultanées, chaque enfant de la testatrice recevant, en premier ordre, sa quote-part des biens et un droit éventuel d'accroissement, avec charge, à son décès, de rendre à ses propres enfants recevant en second ordre. En somme, la testatrice a créé une substitution fidéicommissaire distincte pour chaque souche représentée par chacun de ses enfants.

Ainsi donc, et dès le décès de sa mère, Miriam, en 1917, James Frederick Judah Burnett fut, comme appelé, saisi de la pleine propriété de la part de celle-ci dans la succession de la testatrice, soit un sixième, et de plus, du droit éventuel à l'accroissement pourvu au deuxième paragraphe de la clause stipulant:

In the event of any souche dying without legitimate issue, I will and direct that his or her share shall accrue to the other souches in equal shares.

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Au décès subséquent d'Ida, célibataire, en 1918, cette part de Burnett fut, par suite de cette disposition, portée à un cinquième. Burnett décéda lui-même sans postérité en 1925 entraînant ainsi l'extinction de la souche Miriam. Cette souche et la souche Ida étant éteintes, l'accroissement pourvu en la clause 11 ne pouvait désormais bénéficier éventuellement qu'aux quatre autres enfants survivants de la testatrice. L'appelante argumente que cette clause relative à l'accroissement ne dit pas «In the event of any souche dying without legitimate issue surviving», mais simplement «In the event of any souche dying without legitimate issue». Elle en déduit une intention de la testatrice d'accorder le bénéfice d'accroissement aux souches fertiles avec le résultat que les biens doivent être partagés également entre les deux souches ayant cette qualification, soit la souche Miriam et la souche Sarah. Cette interprétation n'est pas, à mon avis, justifiée par le texte et est, au surplus, comme le signale M. le Juge Owen, incompatible avec la manifeste intention de la testatrice d'attribuer ses biens en ligne directe à ses descendants et non à leurs époux.

Dans ces vues sur le sens et l'effet des dispositions du testament, il ne paraît pas utile de poursuivre la considération du litige pour décider du bien ou mal fondé des autres moyens invoqués de la part des intimés.

Je renverrais l'appel avec dépens.

Appel rejeté avec dépens.

Procureurs de la demanderesse, appelante: Howard, Cate, Ogilvy, Bishop, Cope, Porteous & Hansard, Montréal.

Procureurs des défendeurs, intimés: Lajoie, Gelinas, Lajoie, Bourque & Lalonde, Montréal.



1 [1962] B.R. 187.

2 [1962] B.R. 187.

3 [1920] A.C. 1010, 48 D.L.R. 356.

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