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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Carson, 2018 CSC 12, [2018] 1 R.C.S. 269

Appel entendu : 3 novembre 2017

Jugement rendu : 23 mars 2018

Dossier : 37506

 

Entre :

Bruce Carson

Appelant

 

et

 

Sa Majesté la Reine

Intimée

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 49)

La juge Karakatsanis (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Moldaver, Wagner, Gascon, Brown et Rowe)

 

Motifs dissidents :

(par. 50 à 84)

La juge Côté

 

 

 

 

 


R. c. Carson, 2018 CSC 12, [2018] 1 R.C.S. 269

Bruce Carson                                                                                                    Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                           Intimée

Répertorié : R. c. Carson

2018 CSC 12

No du greffe : 37506.

2017 : 3 novembre; 2018 : 23 mars.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

                    Droit criminel — Fraude envers le gouvernement — Trafic d’influence — Éléments de l’infraction — Acceptation par l’accusé d’un bénéfice pour une autre personne en contrepartie de l’aide qu’il devait fournir à une société en se servant de ses contacts au sein du gouvernement pour promouvoir la vente d’un produit — L’aide qu’il avait promis de donner se rapportait‑elle à un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement? — Sens d’« un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » — Les éléments de l’infraction sont‑ils établis? — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 121(1) a)(iii), 121(1)d)(i).

                    C était auparavant conseiller principal au cabinet du premier ministre. Un an après avoir quitté ce poste, il a accepté de se servir de ses contacts au sein du gouvernement pour aider H2O Professionals Inc. à vendre des systèmes de traitement de l’eau à des Premières Nations. En échange, H2O a promis de verser une commission à sa petite amie de l’époque. Après avoir conclu cette entente, C a parlé à des représentants du gouvernement afin de promouvoir l’achat des produits de H2O. Il a tenté de convaincre Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC) de mettre sur pied un projet dans le cadre duquel AINC financerait l’achat des produits de H2O pour les mettre à l’essai dans des collectivités des Premières Nations. Les sous‑alinéas 121(1)a)(iii) et 121(1)d)(i) du Code criminel  érigent en infraction le trafic d’influence concernant un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement. C a été accusé de trafic d’influence sur le fondement de l’al. 121(1)d). Au procès, il a soutenu que l’aide qu’il avait fournie ne concernait pas un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement. La juge du procès lui a donné raison et l’a acquitté au motif que la décision d’acheter les systèmes de traitement de l’eau que vendait H2O revenait non pas au gouvernement, mais aux Premières Nations. La majorité de la Cour d’appel a accueilli l’appel. Elle a annulé l’acquittement, consigné un verdict de culpabilité et renvoyé l’affaire à la juge du procès pour qu’elle détermine la peine.

                    Arrêt (la juge Côté est dissidente) : Le pourvoi est rejeté.

                    La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Brown et Rowe : En criminalisant le trafic d’influence, l’al. 121(1) d) du Code criminel  cherche à préserver à la fois l’intégrité du gouvernement et l’apparence d’intégrité du gouvernement. Il contribue ainsi à faire en sorte que l’activité gouvernementale soit dictée par l’intérêt public, en plus de favoriser la confiance en notre processus démocratique. L’alinéa 121(1)d) crée une infraction liée au comportement. L’infraction est consommée dès que l’accusé exige un bénéfice en échange de sa promesse d’user de son influence concernant un sujet d’affaires qui a trait au gouvernement. Il n’est pas nécessaire que l’accusé ait réellement de l’influence auprès du gouvernement, qu’il entreprenne des démarches pour user de son influence ou qu’il réussisse à influencer le gouvernement pour être reconnu coupable de cette infraction. Les éléments constitutifs de l’infraction qui sont pertinents sont les suivants : l’accusé doit avoir ou prétendre avoir de l’influence auprès du gouvernement, d’un ministre ou d’un fonctionnaire; il doit exiger, accepter ou offrir ou convenir d’accepter, directement ou indirectement, pour lui‑même ou pour une autre personne, une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature; en contrepartie d’une collaboration, d’une aide, d’un exercice d’influence ou d’un acte ou d’une omission; concernant la conclusion d’affaires avec le gouvernement ou un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement.

                    L’infraction prévue au sous‑al. 121(1)d)(i) requiert que l’influence promise concerne réellement un sujet d’affaires qui a trait au gouvernement. Le simple fait de prouver que l’accusé a accepté un bénéfice en échange de la promesse d’influencer le gouvernement ne suffit pas pour établir l’infraction. Néanmoins, l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » doit recevoir une interprétation large. Si on lit les termes de cette expression dans leur contexte global, en suivant leur sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de loi et l’intention du législateur, un sujet d’affaires a trait au gouvernement s’il dépend d’une intervention du gouvernement ou s’il pourrait être facilité par le gouvernement, compte tenu de son mandat. Les sujets d’affaires ayant trait au gouvernement englobent les opérations commerciales financées à même les deniers publics pour lesquelles le gouvernement pourrait imposer ou modifier les conditions de manière à favoriser un vendeur par rapport à d’autres. L’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » ne doit pas viser uniquement les sujets d’affaires qui pourraient être facilités par celui‑ci dans le cadre de sa structure opérationnelle actuelle. L’infraction vise les promesses d’exercer de l’influence pour que l’on modifie ou élargisse des programmes gouvernementaux.

                    L’aide promise par C concernait un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement. Le gouvernement fédéral a le pouvoir de fournir des services, y compris de l’eau potable, dans les réserves des Premières Nations. Le gouvernement aurait donc pu faciliter la vente des produits de H2O aux Premières Nations. Bien qu’au moment où l’infraction a été commise, les Premières Nations aient pu acheter des systèmes comme celui de H2O avec les fonds fournis par le gouvernement sans obtenir l’obtention préalable de celui‑ci, le gouvernement aurait pu modifier son mode de fonctionnement, sa formule ou ses conditions de financement, ou encore lancer de nouveaux projets pilotes d’une manière favorable à H2O. De plus, C croyait de toute évidence, au moment où il a conclu l’entente, que le gouvernement pouvait faciliter la vente des produits de H2O aux Premières Nations. En exigeant un bénéfice en échange de sa promesse d’user de son influence auprès du gouvernement au profit de H2O, C a miné l’apparence d’intégrité du gouvernement, ce qui correspond exactement au type d’actes que le sous‑al. 121(1)d)(i) vise à interdire.

                    La juge Côté (dissidente) : Il est un principe fondamental du droit criminel qu’il ne saurait y avoir responsabilité criminelle s’il manque un élément de l’actus reus au moment de l’infraction reprochée. Pour établir l’infraction prévue à l’al. 121(1)d), le ministère public doit démontrer l’existence d’un lien réel avec les affaires du gouvernement, en tant qu’élément distinct de l’infraction. Il y a lieu de définir étroitement cet élément en fonction des structures opérationnelles du gouvernement en place au moment de l’infraction.

                    L’objet de l’al. 121(1)d) est le maintien de l’intégrité du gouvernement. Cette disposition ne vise pas à protéger la perception d’intégrité du gouvernement, qui est l’unique objet sous‑tendant l’al. 121(1)c). Le quid pro quo requis pour toutes les infractions prévues à l’art. 121, à part celles prévues aux al. 121(1)b) et c), est l’élément de corruption qui est susceptible de miner l’intégrité du gouvernement. Cette exigence dénote le souci du législateur relatif à l’intégrité réelle du gouvernement. Inversement, l’al. 121(1)c) (et vraisemblablement l’al. 121(1)b), disposition correspondante) vise à préserver l’intégrité du gouvernement et l’apparence d’intégrité. Aucune contrepartie n’est requise pour que ces infractions soient établies.

                    Afin de prouver l’infraction prévue à l’al. 121(1)d), le ministère public doit établir, en tant qu’élément distinct de l’infraction, que le sujet d’affaires visé par l’entente a réellement trait au gouvernement. Le sujet d’affaires doit avoir trait au gouvernement dans les faits; il ne suffit pas que les parties à l’entente croient que le sujet d’affaires a trait au gouvernement. Cette interprétation est étayée par le sens ordinaire, de même qu’une analyse téléologique et contextuelle, de l’al. 121(1)d). Cette approche donne plein effet aux termes de la disposition par laquelle le législateur a défini très soigneusement le lien requis avec le gouvernement. Ce lien assure une interprétation cohérente des infractions prévues à l’art. 121. Toutes les autres infractions prévues à l’art. 121 qui n’intègrent pas par renvoi les sous‑al. 121(1)a)(iii) et (iv) exigent que le sujet d’affaires en question se rapporte réellement au gouvernement. L’objet de l’al. 121(1)d) confirme que l’infraction exige un lien réel avec les affaires du gouvernement. L’alinéa 121(1)d) vise à protéger l’intégrité du gouvernement en criminalisant les ententes malhonnêtes qui poseraient, si elles étaient menées à bien, un risque réel pour l’intégrité. Il n’existe aucun risque de ce genre dans les situations où le sujet d’affaires en cause n’a pas réellement trait au gouvernement.

                    La portée de l’al. 121(1)d) devrait se limiter aux sujets d’affaires qui dépendent d’une quelconque approbation ou intervention du gouvernement à l’intérieur des structures opérationnelles gouvernementales en place. L’alinéa 121(1)d) crée une infraction liée au comportement qui vise à prévenir les actes susceptibles de causer un préjudice considérable, soit en l’espèce la conclusion d’une entente malhonnête. En conséquence, l’al. 121(1)d) n’exige aucune action autre que l’entente elle‑même. Il s’ensuit que le lien, quel qu’il soit, entre le sujet d’affaires visé et le gouvernement doit exister au moment où l’entente est conclue. Lorsque le gouvernement a intentionnellement mis hors de sa portée opérationnelle certains sujets d’affaires, on ne peut affirmer que ceux‑ci constituent des sujets d’affaires du gouvernement simplement parce que le gouvernement pourrait, ultérieurement, reprendre le contrôle sur ceux‑ci. Un sujet d’affaires n’aura trait au gouvernement que si les structures opérationnelles en place au moment où l’entente est conclue sont telles qu’il dépend d’une quelconque approbation ou intervention du gouvernement.

                    L’entente intervenue entre C et H2O ne se rapportait pas à un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement. Le sujet d’affaires visé par l’entente était la vente aux Premières Nations de systèmes de traitement de l’eau au point d’utilisation. La juge du procès n’a aucunement invoqué la preuve relative aux projets pilotes ou au Protocole pour les systèmes décentralisés d’eau potable et de traitement des eaux usées dans les collectivités des Premières nations. Le ministère public n’a pas cherché à faire déclarer coupable C pour le motif qu’il avait accepté d’exercer son influence afin que l’on modifie les politiques gouvernementales. Étant donné que le gouvernement fédéral avait, au moment où l’entente a été conclue, accordé aux Premières Nations une autonomie complète quant à l’achat de systèmes de traitement de l’eau au point d’utilisation, on ne peut affirmer que l’entente concerne un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement.

Jurisprudence

Citée par la juge Karakatsanis

                    Arrêts mentionnés : R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128; États‑Unis d’Amérique c. Dynar, [1997] 2 R.C.S. 462; R. c. Giguère, [1983] 2 R.C.S. 448; R. v. Cogger, [1997] 2 R.C.S. 845; R. c. O’Brien (2009), 249 C.C.C. (3d) 399; Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673; R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391; Conférence des juges de paix magistrats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2016 CSC 39, [2016] 2 R.C.S. 116; Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455; R. c. Katigbak, 2011 CSC 48, [2011] 3 R.C.S. 326; R. c. Morin, [1992] 3 R.C.S. 286; R. c. Cassidy, [1989] 2 R.C.S. 345.

Citée par la juge Côté (dissidente)

                    R. c. Malmo‑Levine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571; R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128; R. c. Cogger, [1997] 2 R.C.S. 845; R. c. Giguère, [1983] 2 R.C.S. 448; R. c. Greenwood (1991), 5 O.R. (3d) 71.

Lois et règlements cités

Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 24(1) , 121 , 660 , 676(1) , 686(4) b)(ii).

Loi constitutionnelle de 1867 , art. 91(24) .

Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien , L.R.C. 1985, c. I‑6, art. 4 .

Loi sur les Indiens , L.R.C. 1985, c. I‑5, art. 73(1) f), k).

Doctrine et autres documents cités

Gillies, Peter. Criminal Law, 4th ed., Sydney, LBC Information Services, 1997.

Sullivan, Ruth. Statutory Interpretation, 3rd ed., Toronto, Irwin Law, 2016.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Simmons, Pardu et Miller), 2017 ONCA 142, 347 C.C.C. (3d) 164, [2017] O.J. No. 1223 (QL), 2017 CarswellOnt 5574 (WL Can.), qui a annulé l’acquittement prononcé par la juge Warkentin, 2015 ONSC 7127, 25 C.R. (7th) 352, [2015] O.J. No. 6007 (QL), 2015 CarswellOnt 17540 (WL Can.), et consigné une déclaration de culpabilité. Pourvoi rejeté, la juge Côté est dissidente.

                    Patrick McCann et Yael Wexler, pour l’appelant.

                    Roger Shallow, pour l’intimée.

                    Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Brown et Rowe rendu par

                    La juge Karakatsanis —

I.               Vue d’ensemble

[1]                              En criminalisant le trafic d’influence, l’al. 121(1) d) du Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46 , cherche à préserver à la fois l’intégrité du gouvernement et l’apparence d’intégrité du gouvernement. Il contribue ainsi à faire en sorte que l’activité gouvernementale soit dictée par l’intérêt public, en plus de favoriser la confiance en notre processus démocratique. Le présent pourvoi concerne l’interprétation des sous‑al. 121(1)a)(iii) et 121(1)d)(i), qui érigent en infraction le trafic d’influence concernant un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement.

[2]                              L’appelant, Bruce Carson, a accepté de se servir de ses contacts au sein du gouvernement pour aider la société H2O Professionals Inc. à vendre des systèmes de traitement de l’eau à des Premières Nations. En échange, H2O a promis de verser à sa petite amie de l’époque une commission sur toutes les ventes de ces systèmes aux Premières Nations. Après la conclusion de cette entente, M. Carson a parlé à des représentants du gouvernement au ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC) afin de promouvoir l’achat des produits de H2O en vue de leur utilisation dans les collectivités des Premières Nations.

[3]                              Il a été accusé de trafic d’influence sur le fondement de l’al. 121(1) d) du Code criminel . Au procès, il a soutenu que l’aide qu’il avait fournie ne « concerna[it] [pas] [. . .] un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement ».

[4]                              La juge du procès lui a donné raison et l’a acquitté au motif que la décision d’acheter les systèmes de traitement de l’eau que vendait H2O revenait non pas au gouvernement, mais aux Premières Nations. La Cour d’appel a accueilli l’appel et a substitué un verdict de culpabilité à l’acquittement qui avait été prononcé.

[5]                              À mon avis, l’infraction prévue à l’al. 121(1)d) requiert que l’influence promise concerne réellement un sujet d’affaires qui a trait au gouvernement. De plus, un sujet d’affaires a trait au gouvernement s’il dépend du gouvernement ou s’il pourrait être facilité par celui‑ci, compte tenu de son mandat. L’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » englobe donc les opérations commerciales financées à même les deniers publics pour lesquelles le gouvernement pourrait imposer ou modifier les conditions de manière à favoriser un vendeur par rapport à d’autres. Les gouvernements ne sont pas des entités statiques : les lois, les politiques et les structures qui circonscrivent la portée de l’activité gouvernementale évoluent constamment. La notion de « sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » ne doit pas être considérée strictement en fonction des structures opérationnelles et de financement gouvernementales déjà en place.

[6]                              En l’espèce, l’aide promise par M. Carson concernait un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement. Même si les Premières Nations n’avaient pas besoin de l’approbation du gouvernement pour acheter les systèmes vendus par H2O, AINC aurait pu faciliter cet achat, par exemple en modifiant ses conditions de financement au profit de H2O. AINC aurait également pu participer à des projets pilotes portant sur des systèmes de traitement de l’eau dans des collectivités des Premières Nations et financer ces projets, ce qu’il avait fait à quelques reprises. D’ailleurs, M. Carson a essayé de convaincre le gouvernement de lancer un projet pilote pour faire la promotion des produits de H2O.

[7]                              En exigeant un bénéfice en échange de sa promesse d’user de son influence auprès du gouvernement au profit de H2O, M. Carson a miné l’apparence d’intégrité du gouvernement, ce qui correspond exactement au type d’actes que le sous‑al. 121(1)d)(i) vise à interdire.

[8]                              Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

II.            Les faits

[9]                              L’appelant était auparavant conseiller principal au cabinet du premier ministre. Un an après avoir quitté ce poste, il a négocié une entente avec H2O, une société qui vend des systèmes de traitement de l’eau au point d’utilisation et des systèmes d’adoucisseur d’eau. L’entente stipulait que des commissions seraient versées à la petite amie de M. Carson à l’époque sur toutes les ventes à des Premières Nations de systèmes de traitement de l’eau au point d’utilisation. L’entente précisait qu’elle toucherait cette commission, peu importe que les systèmes soient payés par les Premières Nations ou par le gouvernement du Canada. L’appelant a exigé cette commission en échange de sa promesse d’utiliser ses contacts au sein du gouvernement pour aider H2O à vendre ses produits aux Premières Nations.

[10]                          Après avoir conclu cette entente, M. Carson a communiqué avec des dirigeants des Premières Nations, des représentants du gouvernement à AINC ainsi que des ministres du cabinet et des membres de leur personnel au sujet des produits de H2O. AINC l’a informé qu’il offrait aux Premières Nations des fonds qui pouvaient servir à l’achat de systèmes de traitement de l’eau au point d’utilisation. Les Premières Nations jouissaient cependant d’une autonomie complète pour décider de l’affectation de ces fonds. Cela dit, AINC participait parfois à des projets pilotes portant sur des systèmes de traitement de l’eau et il finançait ces projets. M. Carson a tenté de convaincre AINC de mettre sur pied un projet dans le cadre duquel AINC financerait l’achat des produits de H2O pour les mettre à l’essai dans des collectivités des Premières Nations.

[11]                          M. Carson a été accusé de fraude envers le gouvernement, une infraction à l’al. 121(1) d) du Code criminel .

III.          Décisions des juridictions inférieures

A.            Cour supérieure de justice de l’Ontario, 2015 ONSC 7127, 25 C.R. (7th) 352

[12]                          Au procès, M. Carson a admis qu’il était une personne ayant de l’influence auprès du gouvernement et qu’il avait exigé un bénéfice pour sa petite amie en contrepartie de l’utilisation de ses contacts au sein du gouvernement pour aider H2O à vendre ses systèmes de traitement de l’eau à des collectivités des Premières Nations. Il a toutefois nié que l’aide qu’il avait fournie « concerna[it] [. . .] un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement ». En première instance, la juge Warkentin lui a donné raison sur ce point et l’a acquitté.

[13]                          Pour décider si l’aide fournie par M. Carson à H2O « concerna[it] [. . .] un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement », la juge du procès a examiné le rôle que jouait AINC dans le financement des systèmes de traitement de l’eau au point d’utilisation à l’intérieur des réserves.

[14]                          Elle a conclu que la structure de financement d’AINC permettait aux collectivités des Premières Nations de se procurer de façon autonome des systèmes de traitement de l’eau au point d’utilisation, comme ceux vendus par H2O, sans obtenir l’approbation d’AINC (par. 34). Les collectivités des Premières Nations pouvaient le faire en puisant dans des fonds de fonctionnement et d’entretien qu’AINC leur fournissait chaque année sur la base d’une formule. Compte tenu de la nature des systèmes de traitement de l’eau de H2O, ils n’auraient pas pu être financés par le biais du volet de financement des « dépenses en immobilisations » d’AINC, dont les propositions de financement doivent être approuvées par AINC. AINC contribuait également à l’occasion au financement de projets pilotes portant sur des technologies de traitement de l’eau. La juge du procès a conclu qu’un exemple de projet pilote auquel les technologies de H2O auraient pu être associées était une amorce de partenariat entre AINC et le ministère de l’Environnement de la province de l’Ontario pour mettre à l’essai des technologies d’approvisionnement en eau potable dans certaines collectivités des Premières Nations.

[15]                          Comme les Premières Nations n’avaient pas à obtenir l’approbation d’AINC pour se procurer les systèmes vendus par H2O et comme AINC n’achetait pas ces systèmes directement pour les Premières Nations, la juge du procès a conclu que l’aide offerte par M. Carson à H2O ne « concerna[it] [pas] [. . .] un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » (par. 95). Elle a par conséquent jugé que les agissements de M. Carson échappaient à l’application de l’al. 121(1) d) du Code criminel .

B.            Cour d’appel de l’Ontario, 2017 ONCA 142, 347 C.C.C. (3d) 164

[16]                          S’exprimant au nom de la majorité de la Cour d’appel, la juge Pardu a fait droit à l’appel. La majorité a conclu que la juge du procès avait commis une erreur de droit en interprétant si étroitement l’al. 121(1)d) qu’elle en avait effectivement limité la portée aux opérations auxquelles le gouvernement est partie. Selon l’interprétation de la majorité, l’acte répréhensible que cette infraction est censée réprimer est le fait d’accepter un bénéfice en échange de l’exercice d’influence auprès du gouvernement. Les juges majoritaires ont expliqué que [traduction] « le fait d’user de son influence auprès de représentants du gouvernement “pour favoriser la vente des produits de traitement de l’eau [de H2O] auprès des bandes des Premières Nations” est un “sujet d’affaires ayant trait au gouvernement” » (par. 50). La majorité a annulé l’acquittement et a rendu un verdict de culpabilité.

[17]                          La juge Simmons, dissidente, a estimé que la juge du procès n’avait pas commis d’erreur de droit en concluant qu’il n’avait pas été démontré que les agissements de M. Carson tombaient sous le coup de l’al. 121(1) d) du Code criminel . La conclusion de la juge du procès suivant laquelle il n’y avait pas de « sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » était confirmée par sa conclusion qu’AINC n’avait pas le pouvoir d’acheter ou d’approuver l’achat des produits de H2O. La juge Simmons aurait rejeté l’appel.

IV.         Analyse

A.            Interprétation

[18]                          L’alinéa 121(1)d) dispose :

                    121 (1) Commet une infraction quiconque, selon le cas :

. . .

d) ayant ou prétendant avoir de l’influence auprès du gouvernement ou d’un ministre du gouvernement, ou d’un fonctionnaire, exige, accepte ou offre, ou convient d’accepter, directement ou indirectement, pour lui‑même ou pour une autre personne, une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature en contrepartie d’une collaboration, d’une aide, d’un exercice d’influence ou d’un acte ou d’une omission concernant :

 

(i) soit une chose mentionnée aux sous‑alinéas a)(iii) ou (iv),

(ii) soit la nomination d’une personne, y compris lui‑même, à une charge;

Les sous‑alinéas 121(1)a)(iii) et (iv) sont ainsi libellés :

(iii) soit la conclusion d’affaires avec le gouvernement ou un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement,

(iv) soit une réclamation contre Sa Majesté ou un avantage que Sa Majesté a l’autorité ou le droit d’accorder . . .

[19]                          L’appelant, M. Carson, a admis avoir de l’influence auprès du gouvernement. Il a également admis avoir exigé un bénéfice pour une autre personne en contrepartie de l’aide qu’il devait fournir à H2O en se servant de ses contacts au sein du gouvernement pour promouvoir la vente des systèmes de traitement de l’eau d’H2O à des Premières Nations. La seule question en litige en l’espèce est celle de savoir si l’aide qu’il a promise concernait « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement ».

[20]                          Cette question générale en soulève deux plus précises. La première intéresse le rôle que joue l’expression « concernant [. . .] un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » dans l’infraction prévue à l’al. 121(1)d). Pour que l’infraction soit établie, l’influence promise doit-elle être réellement liée à un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement? La seconde question se rapporte à la portée de « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement ». À quel point cette expression doit‑elle recevoir une interprétation large?

[21]                          L’appelant affirme que la juge du procès a interprété à juste titre l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » comme ne visant pas les affaires dans lesquelles le gouvernement n’a pas d’intérêt direct, étant donné que ces questions n’ont pas d’incidence sur l’intégrité du gouvernement. Suivant cette logique, l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » ne s’étend pas aux affaires menées avec des entités comme les Premières Nations qui reçoivent des deniers publics si le gouvernement n’a pas le pouvoir d’approuver l’opération en cause. Cette interprétation a pour effet de limiter la portée de l’infraction aux ententes qui concernent des affaires dépendant d’une quelconque approbation ou intervention du gouvernement dans le cadre d’activités gouvernementales en cours.

[22]                          L’intimée, Sa Majesté la Reine, soutient que l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » doit être interprétée de façon large pour préserver l’intégrité du gouvernement et l’apparence d’intégrité du gouvernement. De l’avis du ministère public, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont interprété à bon droit la disposition en question en considérant qu’elle criminalisait [traduction] « le fait pour une personne d’accepter un bénéfice en échange de sa promesse d’user de son influence auprès du gouvernement » (jugement de la Cour d’appel, par. 35). M. Carson est donc coupable de l’infraction prévue à l’al. 121(1)d) du simple fait qu’il a exigé un bénéfice en contrepartie de l’exercice de son influence auprès du gouvernement au profit d’H2O. Le ministère public fait valoir qu’en tout état de cause, la coordination et l’encadrement assurés par AINC dans les projets pilotes financés par le gouvernement en l’espèce font en sorte que l’aide promise par l’appelant répondait à la définition de « sujet d’affaires ayant trait au gouvernement ».

[23]                          Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’influence promise doit être réellement liée à un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement pour que l’infraction soit établie. En conséquence, les éléments constitutifs de l’infraction qui nous intéressent en l’espèce sont les suivants :

1.                           l’accusé doit avoir ou prétendre avoir de l’influence auprès du gouvernement, d’un ministre ou d’un fonctionnaire;

2.                           il doit exiger, accepter ou offrir ou convenir d’accepter, directement ou indirectement, pour lui‑même ou pour une autre personne, une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature;

3.                           en contrepartie d’une collaboration, d’une aide, d’un exercice d’influence ou d’un acte ou d’une omission;

4.                           concernant la conclusion d’affaires avec le gouvernement ou un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement.

[24]                          Je conclus également que l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » doit recevoir une interprétation large. Un sujet d’affaires a trait au gouvernement s’il dépend d’une intervention du gouvernement ou s’il pourrait être facilité par celui‑ci, compte tenu de son mandat. Ainsi, l’al. 121(1)d) vise les promesses d’exercer de l’influence pour que l’on modifie ou élargisse des programmes gouvernementaux.

(1)           Quel rôle joue l’expression « concernant [. . .] un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » dans cette infraction?

[25]                          Dans l’arrêt R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128, les juges majoritaires de la Cour ont qualifié l’infraction créée par la disposition voisine, l’al. 121(1)c), de crime lié au comportement parce qu’elle criminalise certains actes sans qu’il soit nécessaire que le comportement de l’accusé cause effectivement un préjudice (par. 22). À l’instar de l’al. 121(1)c), l’al. 121(1)d) prévoit une infraction liée au comportement. Il érige en infraction le trafic d’influence concernant un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement. Il n’est pas nécessaire que l’accusé ait réellement de l’influence auprès du gouvernement, qu’il entreprenne des démarches pour user de son influence ou qu’il réussisse à influencer le gouvernement pour être reconnu coupable de cette infraction. D’ailleurs, le texte de l’al. 121(1)d) vise en termes exprès quiconque « ayant ou prétendant avoir de l’influence auprès du gouvernement ». L’infraction est consommée dès que l’accusé exige un bénéfice en échange de sa promesse d’user de son influence concernant un sujet d’affaires qui a trait au gouvernement.

[26]                          Bien que l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » doive être interprétée de façon large, je ne puis retenir la conclusion de la majorité de la Cour d’appel que le ministère public a reprise à son compte dans les observations qu’il a formulées devant notre Cour et suivant laquelle l’infraction est établie dès lors que l’accusé accepte un bénéfice en échange de sa promesse d’user de son influence auprès du gouvernement (jugement de la Cour d’appel, par. 35). Il faut donner un sens à la condition voulant que l’influence promise « concern[e] [. . .] un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement ». Il y a d’ailleurs lieu de présumer que cette expression a délibérément été insérée dans la disposition législative qui décrit l’infraction (R. Sullivan, Statutory Interpretation (3e éd. 2016), p. 43 et 136‑138). Comme le souligne la juge Côté, si le législateur souhaitait simplement criminaliser le trafic d’influence auprès du gouvernement indépendamment de la question de savoir si l’influence promise est réellement liée à un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement, il aurait pu omettre la mention du sous‑al. 121(1)a)(iii) et déclarer que l’infraction s’applique à

                    quiconque ayant ou prétendant avoir de l’influence auprès du gouvernement ou d’un ministre du gouvernement, ou d’un fonctionnaire, exige, accepte ou offre, ou convient d’accepter, directement ou indirectement, pour lui‑même ou pour une autre personne, une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature en contrepartie de l’exercice de cette influence. [Souligné dans l’original; par. 66.]

[27]                          De plus, une interprétation contextuelle du sous‑al. 121(1)a)(iii) et de l’al. 121(1)d) appuie la conclusion selon laquelle l’influence promise doit être réellement liée à un sujet d’affaires qui a trait au gouvernement. Les autres infractions prévues au par. 121(1) ne criminalisent que les actes qui ont un lien réel avec le gouvernement. Pour qu’une de ces infractions soit établie, il faut que l’une des personnes en cause travaille pour le gouvernement (ou soit liée à une personne qui l’est) ou qu’elle ait présenté une soumission en vue d’obtenir un contrat du gouvernement. En revanche, l’al. 121(1)d) criminalise les ententes conclues entre des personnes qui n’ont peut‑être aucun lien avec le gouvernement, étant donné que cette infraction peut être commise par une personne qui prétend simplement avoir de l’influence auprès du gouvernement. L’interprétation harmonieuse de l’al. 121(1)d) et des autres infractions prévues au par. 121(1) indique que l’aide promise doit porter dans les faits sur un sujet d’affaires qui dépend du gouvernement ou que le gouvernement pourrait faciliter.

[28]                          Comme je vais l’expliquer ci‑après, cette disposition a pour objet de préserver à la fois l’intégrité du gouvernement et l’apparence d’intégrité du gouvernement. Cet objet est certes large, mais il ne saurait écarter le libellé explicite de la disposition, lequel exige que l’influence promise soit liée à un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement. En fait, cette exigence fait cadrer la portée de l’infraction avec son double objectif. Comme l’auteur de l’infraction peut être quelqu’un qui n’a aucune influence auprès du gouvernement, cette exigence établit un lien entre la conduite de l’individu qui ne fait pas partie du gouvernement et le gouvernement. Elle garantit que les ententes ayant si peu à voir avec le gouvernement qu’elles ne risquent pas de miner la confiance du public envers le gouvernement n’engagent pas la responsabilité criminelle. Par conséquent, j’estime que, même si l’infraction est consommée à la conclusion de l’entente, l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » qualifie la nature de l’influence promise par l’accusé. Il est donc essentiel que l’entente « concerne » réellement un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement.

[29]                          Bref, lorsque le trafic d’influence concerne un sujet d’affaires qui n’a pas trait en réalité au gouvernement, l’infraction prévue à l’al. 121(1)d) n’est pas établie. Or, si l’accusé croit subjectivement que l’influence promise concerne un sujet d’affaires qui a trait au gouvernement, mais que l’infraction ne peut pas être établie, uniquement parce que le sujet d’affaires n’a pas trait en réalité au gouvernement, le juge peut déclarer l’accusé coupable de tentative de commettre l’infraction prévue à l’al. 121(1)d) (Code criminel , par. 24(1)  et art. 660 ; voir également États‑Unis d’Amérique c. Dynar, [1997] 2 R.C.S. 462, par. 74). D’ailleurs, l’impossibilité de commettre l’un des éléments essentiels de l’infraction n’est pas un obstacle à une déclaration de culpabilité pour tentative de commettre cette infraction au sens du par. 24(1)  du Code criminel  (Dynar, par. 67). En ce qui concerne l’infraction prévue à l’al. 121(1)d), les règles de droit applicables à la tentative empêchent donc les personnes payées pour user de leur influence concernant un sujet d’affaires qu’elles croient avoir trait au gouvernement d’échapper à leur responsabilité criminelle.

(2)           Quelle est la portée de l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement »?

[30]                          Étant donné la conclusion selon laquelle l’infraction prévue à l’al. 121(1)d) n’est établie que lorsque l’influence promise est réellement liée à un sujet d’affaires qui a trait au gouvernement, une seconde question se pose : Quelle est la portée de l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement »?

[31]                          Suivant l’interprétation que la juge du procès lui a donnée, l’expression « concernant [. . .] la conclusion d’affaires avec le gouvernement ou un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » ne viserait que les opérations auxquelles le gouvernement était partie ou celles qu’il avait le pouvoir d’approuver dans le cadre de ses activités en cours (par. 97). Elle a donc procédé à un examen approfondi des agissements de l’appelant et des activités d’AINC.

[32]                          Comme je vais l’expliquer, je crois que la juge du procès a interprété de façon trop étroite l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement ». En lisant les termes de cette expression dans leur contexte global, en suivant leur sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de loi et l’intention du législateur, je conclus qu’un sujet d’affaires a trait au gouvernement s’il dépend d’une intervention du gouvernement ou s’il pourrait être facilité par le gouvernement, compte tenu de son mandat.

[33]                          En ce qui concerne tout d’abord les termes de la disposition qui nous intéresse, la juxtaposition au sous‑al. 121(1)a)(iii) de l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » et de l’expression « la conclusion d’affaires avec le gouvernement » indique que la première doit être différente de la seconde. « [L]a conclusion d’affaires avec le gouvernement » suppose que le gouvernement est directement partie à l’opération. Par exemple, dans l’affaire R. c. Giguère, [1983] 2 R.C.S. 448, la signature de contrats avec le gouvernement a été considérée comme une conclusion d’affaires avec celui‑ci (p. 463). Comme la Cour d’appel l’a reconnu à juste titre dans le cas qui nous occupe, [traduction] « [p]our que la seconde expression ait un sens, elle doit avoir une portée plus large que la première expression, qui concerne des opérations commerciales auxquelles le gouvernement est directement partie » (par. 34).

[34]                          Il n’est pas nécessaire en l’espèce de décider si le mot « affaires » peut recevoir une acception non commerciale. L’expression « un sujet d’affaires » doit englober à tout le moins des affaires commerciales. D’ailleurs, dans l’arrêt R. c. Cogger, [1997] 2 R.C.S. 845, l’obtention de subventions gouvernementales pour des entreprises a été considérée comme un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement au sens du sous‑al. 121(1)a)(iii) (par. 2-3 et 30).

[35]                          Dans la présente affaire, M. Carson a promis d’influencer le gouvernement à l’égard d’une opération commerciale, en l’occurrence la vente par H2O de systèmes de traitement de l’eau au point d’utilisation à des Premières Nations. La seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si cette opération commerciale a trait au gouvernement.

[36]                          L’interprétation étroite que la juge du procès donne du sous‑al. 121(1)a)(iii) et de l’al. 121(1)d) cadre mal avec la formulation large de ces dispositions. Les mots « concernant » et « ayant trait à », tout comme le mot « any » (tout) dans la version anglaise de la disposition, sont des termes généraux dont la signification ne semble pas se limiter aux opérations qui nécessitent l’approbation du gouvernement. L’emploi de mots aussi généraux donne à penser qu’une opération commerciale pour laquelle l’approbation du gouvernement n’est pas requise a tout de même trait au gouvernement si cette opération pourrait être facilitée par le gouvernement, compte tenu de son mandat.

[37]                          La nature de l’infraction prévue à l’al. 121(1)d) étaye elle aussi une interprétation large de l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernent ». Comme je l’ai expliqué plus haut, l’al. 121(1)d) crée une infraction liée au comportement qui criminalise le trafic d’influence même dans les cas où l’accusé ne fait rien de plus par la suite pour influencer le gouvernement. Ainsi, une interprétation restrictive de l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » qui intéresse exclusivement la question de savoir si l’accusé aurait pu parvenir à influencer le gouvernement compte tenu des activités actuelles de ce dernier cadre mal avec la nature de cette infraction.

[38]                          L’objet général de la disposition discrédite lui aussi l’interprétation de la juge du procès. À l’instar de l’al. 121(1)c), l’al. 121(1)d) vise à préserver à la fois l’intégrité du gouvernement et l’apparence d’intégrité du gouvernement (Giguère, p. 462; Hinchey, par. 13 et 16; R. c. O’Brien (2009), 249 C.C.C. (3d) 399 (C.S.J. Ont.), par. 52). Même les gens qui n’ont aucune véritable influence auprès du gouvernement et ceux qui ne font rien pour l’influencer peuvent être reconnus coupables de cette infraction, ce qui démontre que celle‑ci ne vise pas seulement à préserver l’intégrité du gouvernement. Comme la jurisprudence de notre Cour portant sur l’indépendance judiciaire ou sur l’impartialité de la fonction publique le démontre, l’apparence d’intégrité, d’impartialité et d’indépendance a un lien avec l’intégrité, l’impartialité et l’indépendance réelles (en ce qui concerne l’indépendance judiciaire et la crainte de partialité, voir, p. ex., Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, p. 689; R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, p. 140-141; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3, par. 131 et 133; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, par. 69; Conférence des juges de paix magistrats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2016 CSC 39, [2016] 2 R.C.S. 116, par. 45; pour ce qui est de l’impartialité des représentants du gouvernement, voir, p. ex., Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455, p. 470). Par conséquent, l’objet général de l’al. 121(1)d) est incompatible avec une interprétation étroite de l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement ». L’intégrité du gouvernement et l’apparence d’intégrité du gouvernement sont mises à mal lorsque des gens sont payés pour convaincre le gouvernement de faciliter des opérations au profit de quelqu’un, et ce, même si l’approbation du gouvernement n’est pas nécessaire pour que l’opération se matérialise.

[39]                          Une interprétation large de l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » s’accorde par ailleurs avec le fait que l’al. 121(1)d) se trouve dans l’article du Code criminel  qui érige en infractions les « Fraudes envers le gouvernement ». Les infractions prévues à cet article visent les comportements malhonnêtes des membres du gouvernement et des gens qui peuvent tenter de les influencer. Les comportements criminalisés par cet article risquent de priver les citoyens d’une véritable démocratie fondée sur la liberté d’accès au gouvernement. La corruption et le trafic d’influence auprès du gouvernement, réels ou apparents, sont susceptibles de nuire à l’intégrité et à la transparence qui sont essentielles à la démocratie. Lorsqu’une personne accepte un bénéfice en échange de sa promesse d’influencer le gouvernement pour qu’il modifie ses politiques ou sa structure de financement, elle bafoue l’idée que la prise de décision gouvernementale ne devrait pas être l’objet d’un commerce (voir l’arrêt Giguère, p. 464). L’interprétation du sous‑al. 121(1)a)(iii) — incorporé à l’al. 121(1)d)(i) — en harmonie avec les dispositions qui l’entourent tend à indiquer que l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » devrait recevoir une interprétation large et téléologique.

[40]                          Pour ces motifs, l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » n’englobe pas uniquement les affaires à l’égard desquelles le gouvernement exerce directement une fonction d’approbation. Il s’agit notamment d’un sujet d’affaires relativement auquel le gouvernement pourrait jouer un rôle même s’il ne le fait pas au moment où l’infraction est commise. Un sujet d’affaires a trait au gouvernement s’il dépend d’une intervention du gouvernement ou s’il pourrait être facilité par celui‑ci, compte tenu de son mandat. Il englobe donc les achats financés par le gouvernement pour lesquels celui‑ci pourrait imposer ou modifier des conditions susceptibles de favoriser la conclusion d’une opération donnée. Comme l’avocat de l’appelant l’a reconnu devant notre Cour, l’al. 121(1)d)(i) englobe les ententes par lesquelles l’accusé qui, ayant ou prétendant avoir de l’influence auprès du gouvernement, accepte un bénéfice en contrepartie de l’exercice de son influence pour modifier la structure opérationnelle d’un organisme afin de faciliter une opération ou d’obtenir un résultat déterminé.

[41]                          En résumé, l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » ne doit pas viser uniquement les sujets d’affaires qui dépendent d’une quelconque intervention du gouvernement ou qui pourraient être facilités par celui‑ci dans le cadre de sa structure opérationnelle actuelle. Bien que cette expression doive être interprétée de façon large, cela ne veut pas dire que l’al. 121(1)d) a une portée illimitée. Nous n’avons pas à fixer les contours exacts de l’expression en l’espèce, mais elle écarterait clairement les affaires qui n’ont aucun lien plausible avec le mandat du gouvernement. De plus, le fait qu’une entité reçoit des fonds du gouvernement pour une fin tout à fait étrangère au sujet d’affaires en question ne suffit pas pour démontrer qu’une opération commerciale conclue avec cette entité est un « sujet d’affaires ayant trait au gouvernement ». Ce n’est pas parce que les Premières Nations reçoivent des fonds du gouvernement que toutes les opérations commerciales conclues avec elles sont des « sujet[s] d’affaires ayant trait au gouvernement ». Toutefois, rappelons que, pour l’application de l’al. 121(1)d), les règles de droit applicables à la tentative d’infraction empêchent les personnes payées pour user de leur influence concernant un sujet d’affaires qu’elles croient avoir trait au gouvernement, même si ce n’est pas le cas, d’échapper à leur responsabilité criminelle.

B.            Application

[42]                          Comme je l’ai expliqué ci‑dessus, la juge du procès a interprété trop étroitement la portée du sous‑al. 121(1)a)(iii) qui est incorporé au sous‑al. 121(1)d)(i). Selon son interprétation, l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » ne s’applique qu’aux achats pour lesquels l’approbation du gouvernement est nécessaire selon la structure d’activité gouvernementale existante. Elle a donc évalué les activités d’AINC d’un point de vue statique. Étant donné que, selon sa structure au moment de l’infraction, AINC n’achetait pas directement le type de système de traitement des eaux que vendait H2O, et comme les Premières Nations n’avaient pas besoin de son approbation pour acheter ces systèmes, la juge du procès a acquitté M. Carson. L’erreur de droit qu’elle a commise dans l’interprétation de la disposition en litige l’a amenée directement à conclure que la promesse de M. Carson d’influencer le gouvernement ne concernait pas « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » (par. 97).

[43]                          En appel, un tribunal peut annuler le verdict initial et « consigner un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction dont, à son avis, l’accusé aurait dû être déclaré coupable, et [. . .] renvoyer l’affaire au tribunal de première instance en lui ordonnant d’infliger une peine justifiée en droit » (Code criminel , sous‑al. 686(4)b)(ii)). Il ne peut toutefois le faire que lorsque le juge du procès a tiré toutes les conclusions de fait nécessaires pour justifier une déclaration de culpabilité hors de tout doute raisonnable (R. c. Katigbak, 2011 CSC 48, [2011] 3 R.C.S. 326, par. 50; R. c. Morin, [1992] 3 R.C.S. 286, p. 294; R. c. Cassidy, [1989] 2 R.C.S. 345, p. 354-355).

[44]                          En l’espèce, M. Carson croyait de toute évidence, au moment où il a conclu l’entente, que le gouvernement pouvait faciliter la vente des produits de H2O aux Premières Nations. De plus, la juge du procès a tiré les conclusions de fait nécessaires pour conclure que l’influence dont M. Carson avait promis d’user concernait un « sujet d’affaires ayant trait au gouvernement », si l’on interprète avec justesse cette expression. Il appert d’ailleurs de ses conclusions de fait que l’aide promise par M. Carson concernait la vente de systèmes de traitement de l’eau de H2O aux Premières Nations, vente qui aurait pu être facilitée par une intervention du gouvernement, compte tenu du mandat d’AINC. En arrivant à cette conclusion, je suis consciente de l’autonomie dont jouissent les Premières Nations lorsqu’il s’agit de se prononcer sur l’opportunité d’effectuer ou non ces achats, avec leurs propres fonds ou avec les fonds généraux fournis par AINC. La conclusion suivant laquelle le gouvernement aurait pu faciliter l’achat des produits de H2O par les Premières Nations ne diminue en rien cette autonomie.

[45]                          Au procès, M. Carson a admis [traduction] « qu’il était une personne ayant de l’influence auprès du gouvernement du Canada au moment de l’infraction reprochée et qu’il avait exigé un bénéfice pour [sa petite amie de l’époque] en contrepartie de son aide en vue d’utiliser ses contacts au sein du gouvernement au nom de H2O » (par. 11). Il a également admis qu’il était « motivé à faire la promotion de H2O et de ses produits pour que sa petite amie [. . .] puisse obtenir un bénéfice en touchant une part des profits de la vente des systèmes de traitement de l’eau de H2O à des collectivités des Premières Nations » (par. 9).

[46]                          Même si M. Carson n’a pas admis que l’aide qu’il avait promise concernait un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement, des sources constitutionnelles et législatives démontrent que c’était le cas. En effet, selon ces sources, le gouvernement fédéral, de façon générale, et tout particulièrement AINC, a le pouvoir de fournir des services, y compris de l’eau potable, dans les réserves des Premières Nations (voir Loi constitutionnelle de 1867 , par. 91(24) ; Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien , L.R.C. 1985, c. I-6, art. 4 ; Loi sur les Indiens , L.R.C. 1985, c. I‑5, al. 73(1) f) et k)). Le gouvernement aurait donc pu faciliter la vente des produits de H2O aux Premières Nations et l’aide promise par M. Carson concernait un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement.

[47]                          Ces sources constitutionnelles et législatives suffisent pour disposer du pourvoi. Dans la plupart des cas, il n’y aura pas lieu de tenir un long procès pour décider si l’accusé est coupable de l’infraction prévue à l’al. 121(1)d). Cela dit, les conclusions de fait de la juge du procès établissent clairement que l’aide promise par M. Carson concernait un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement, au sens qu’il convient de lui donner. AINC finance certaines installations hydrauliques dans les réserves, ainsi que des projets pilotes liés à l’approvisionnement des réserves en eau potable. Au moment où l’infraction a été commise, les Premières Nations auraient pu acheter des systèmes décentralisés comme celui de H2O avec les fonds fournis par AINC sans obtenir l’obtention préalable de celui‑ci. AINC aurait cependant pu modifier son mode de fonctionnement, sa formule ou ses conditions de financement, ou encore lancer de nouveaux projets pilotes d’une manière favorable à H2O. D’ailleurs, la juge du procès a conclu que M. Carson avait tenté de mettre sur pied un projet pour mettre à l’essai les produits de H2O avec le financement et l’approbation d’AINC.

[48]                          Dans ces circonstances, et selon une application juste du droit, le bénéfice exigé par M. Carson était la contrepartie de sa promesse d’exercer son influence concernant un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement. N’eût été l’interprétation trop étroite donnée par la juge du procès à la portée de l’expression « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement », M. Carson aurait été reconnu coupable. La Cour d’appel n’a pas commis d’erreur en substituant un verdict de culpabilité à l’acquittement prononcé par la juge du procès.

V.            Dispositif

[49]                          Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi. M. Carson est coupable de trafic d’influence, une infraction à l’al. 121(1) d) du Code criminel . À l’instar des juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Ontario, je suis d’avis que l’acquittement devrait être annulé, qu’un verdict de culpabilité devrait être consigné et que l’affaire devrait être renvoyée à la juge du procès pour détermination de la peine.

                    Version française des motifs rendus par

[50]                          La juge Côté (dissidente) — Ce pourvoi porte sur l’interprétation juste de l’al. 121(1) d) du Code criminel , L.R.C. 1985, c. C-46 , qui vise à protéger l’intégrité du gouvernement en criminalisant le trafic d’influence à l’égard d’un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement, en contrepartie de tout bénéfice que ce soit.

[51]                          La seule question que notre Cour doit trancher en l’espèce est celle de savoir si M. Carson, qui admet avoir convenu d’exercer son influence auprès du gouvernement en vue d’obtenir un bénéfice, l’a fait concernant « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement ». À mon avis, la réponse est non.

[52]                          Il est un principe fondamental du droit criminel qu’il ne saurait y avoir responsabilité criminelle en l’absence d’un acte ou d’une omission accompagné d’une faute (R. c. Malmo‑Levine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571, par. 227, la juge Arbour, dissidente, mais non sur ce point). L’actus reus et la mens rea doivent tous deux être établis. Bien qu’il ne fasse aucun doute que M. Carson avait une intention coupable, il ne suffit pas d’établir la mens rea, en soi, pour prouver l’infraction. Si, comme dans le cas qui nous occupe, il manque un élément de l’actus reus au moment de l’infraction reprochée, le défendeur ne peut être déclaré coupable. À mon humble avis, mes collègues ont laissé l’intention criminelle de M. Carson éclipser les lacunes relatives à l’établissement d’un élément central de l’actus reus.

[53]                          Pour établir l’infraction prévue à l’al. 121(1)d), le ministère public doit démontrer l’existence d’un lien réel avec les affaires du gouvernement, en tant qu’élément distinct de l’infraction. Il y a lieu de définir étroitement cet élément en fonction des structures opérationnelles du gouvernement en place au moment de l’infraction.

[54]                          Étant donné que le gouvernement fédéral avait, au moment où l’entente entre M. Carson et H2O Professionals Inc. a été conclue, accordé aux Premières Nations une autonomie complète quant à l’achat de systèmes de traitement de l’eau au point d’utilisation, le sujet d’affaires même relativement auquel M. Carson a convenu d’exercer son influence, on ne peut affirmer que l’entente concerne un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement.

[55]                          Pour ces motifs, j’accueillerais le pourvoi.

I.               L’objet de l’al. 121(1)d) est de préserver l’intégrité du gouvernement

[56]                          Une lecture contextuelle de l’al. 121(1)d) et de la jurisprudence pertinente m’amène à conclure que l’objet qui sous‑tend cette disposition est le maintien de l’intégrité du gouvernement. Contrairement à mes estimés collègues, je ne crois pas que cette disposition vise à protéger la perception d’intégrité du gouvernement, qui, d’après les motifs de la Cour dans R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128, et R. c. Cogger, [1997] 2 R.C.S. 845, est l’unique objet sous‑tendant l’al. 121(1)c).

[57]                          Par souci de commodité, je reproduis le texte complet du par. 121(1) ci‑dessous :

                    121 (1) Commet une infraction quiconque, selon le cas :

                        a) directement ou indirectement :

                                (i) soit donne, offre ou convient de donner ou d’offrir à un fonctionnaire ou à un membre de sa famille ou à toute personne au profit d’un fonctionnaire,

                                (ii) soit, étant fonctionnaire, exige, accepte ou offre ou convient d’accepter de quelqu’un, pour lui‑même ou pour une autre personne,

                        un prêt, une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature que ce soit en considération d’une collaboration, d’une aide, d’un exercice d’influence ou d’un acte ou omission concernant :

                                (iii) soit la conclusion d’affaires avec le gouvernement ou un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement,

                                (iv) soit une réclamation contre Sa Majesté ou un avantage que Sa Majesté a l’autorité ou le droit d’accorder,

                        que, de fait, le fonctionnaire soit en mesure ou non de collaborer, d’aider, d’exercer une influence ou de faire ou omettre ce qui est projeté, selon le cas;

                        b) traitant d’affaires avec le gouvernement, paye une commission ou une récompense, ou confère un avantage ou un bénéfice de quelque nature, directement ou indirectement, à un employé ou à un fonctionnaire du gouvernement avec lequel il traite, ou à un membre de sa famille ou à toute personne au profit de l’employé ou du fonctionnaire, à l’égard de ces affaires, à moins d’avoir obtenu le consentement écrit du chef de la division de gouvernement avec laquelle il traite;

                        c) pendant qu’il est fonctionnaire ou employé du gouvernement, exige, accepte ou offre ou convient d’accepter d’une personne qui a des relations d’affaires avec le gouvernement une commission, une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature, directement ou indirectement, pour lui‑même ou pour une autre personne, à moins d’avoir obtenu le consentement écrit du chef de la division de gouvernement qui l’emploie ou dont il est fonctionnaire;

                        d) ayant ou prétendant avoir de l’influence auprès du gouvernement ou d’un ministre du gouvernement, ou d’un fonctionnaire, exige, accepte ou offre, ou convient d’accepter, directement ou indirectement, pour lui‑même ou pour une autre personne, une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature en contrepartie d’une collaboration, d’une aide, d’un exercice d’influence ou d’un acte ou d’une omission concernant :

                                (i) soit une chose mentionnée aux sous‑alinéas a)(iii) ou (iv),

                                (ii) soit la nomination d’une personne, y compris lui‑même, à une charge;

                        e) donne, offre ou convient de donner ou d’offrir, directement ou indirectement, à un ministre du gouvernement ou à un fonctionnaire ou à quiconque au profit d’un ministre ou d’un fonctionnaire, une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature en contrepartie d’une collaboration, d’une aide, d’un exercice d’influence ou d’un acte ou d’une omission du ministre ou du fonctionnaire concernant :

                                (i) soit une chose mentionnée aux sous‑alinéas a)(iii) ou (iv),

                                (ii) soit la nomination d’une personne, y compris lui‑même, à une charge;

                        f) ayant présenté une soumission en vue d’obtenir un contrat avec le gouvernement :

                                (i) soit donne, offre ou convient de donner ou d’offrir, directement ou indirectement, à une autre personne qui a présenté une soumission, à un membre de la famille de cette autre personne ou à quiconque au profit de cette autre personne, une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature en contrepartie du retrait de la soumission de cette autre personne,

                                (ii) soit exige, accepte ou offre ou convient d’accepter, directement ou indirectement, d’une autre personne qui a présenté une soumission, une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature, pour lui‑même ou pour une autre personne, en contrepartie du retrait de sa propre soumission.

[58]                          La Cour a déjà reconnu que l’art. 121, dans l’ensemble, « a été adopté dans le but important de préserver l’intégrité du gouvernement » (Hinchey, par. 13). Ce n’est qu’en interprétant l’al. 121(1)c) que la Cour a reconnu que l’objectif de cette disposition n’est pas « simplement de préserver l’intégrité du gouvernement mais aussi de préserver l’apparence d’intégrité » (Hinchey, par. 16 (soulignement omis); voir aussi Cogger, par. 20). On a dit de cet objectif qu’il est le « rôle spécial » de l’al. 121(1)c) (Hinchey, par. 16).

[59]                          Cette distinction nette entre l’objet de l’al. 121(1)c) (et vraisemblablement de l’al. 121(1)b), disposition correspondante) et celui des autres dispositions de l’art. 121 a été soulignée dans Cogger. Dans cette décision, la juge L’Heureux‑Dubé s’est fondée sur cette distinction même pour rejeter l’argument de l’intimé selon lequel l’al. 121(1)a) exige que la personne qui reçoit le bénéfice l’accepte à titre d’employé du gouvernement, et non à un autre titre :

                        L’intimé invoque pourtant l’arrêt récent Hinchey, précité, au soutien de son interprétation. Franchement, je ne crois pas que cette affaire lui soit d’un grand secours. Premièrement, cet arrêt portait sur une disposition différente du Code (al. 121(1)c)) qui, du moins à première vue, avait potentiellement une application illimitée. Même les motifs des juges minoritaires, exposés par le juge Cory, avaient pour prémisse le fait qu’en l’absence d’une interprétation plus stricte tant de l’actus reus que de la mens rea, une conduite innocente pourrait être criminalisée. En l’espèce, il n’y a aucun risque que des actes innocents soient visés. De fait, il est clair que, contrairement à ce qui est le cas pour l’al. 121(1)c), pour qu’une personne soit visée par l’al. 121(1)a), son intégrité véritable doit avoir été compromise. Pour qu’il y ait eu perpétration d’une infraction prévue à l’al. 121(1)a), l’accusé doit avoir consenti à traiter avec le gouvernement pour le compte d’une autre personne moyennant contrepartie. Contrairement à ce que prétend l’intimé, il n’est pas nécessaire que le fonctionnaire croie que son intégrité est compromise. Au contraire, son intégrité est compromise dès qu’il se livre, en retour de la contrepartie, à l’activité prohibée; Greenwood, précité, à la p. 456. Comme l’indique l’arrêt Hinchey, l’al. 121(1)c) est ostensiblement différent, en ce qu’il n’est pas nécessaire que la personne qui reçoit le bénéfice fasse quoi que ce soit d’autre; cet alinéa s’attache d’abord à la perception d’intégrité. [Je souligne; soulignement dans l’original omis; par. 20.]

[60]                          En effet, l’al. 121(1)c) a ceci d’unique, contrairement aux autres dispositions de l’art. 121, qu’il n’exige pas la présence d’une contrepartie. Tout ce qu’il exige, c’est qu’un employé du gouvernement ou un fonctionnaire accepte un bénéfice d’une personne « qui a des relations d’affaires avec le gouvernement ». Dans la même veine, l’al. 121(1)b) érige ainsi en infraction le fait pour une personne « traitant d’affaires avec le gouvernement » de conférer un bénéfice à un employé ou à un fonctionnaire du gouvernement avec lequel il traite :

                    121 (1) Commet une infraction quiconque, selon le cas :

. . .

                        b) traitant d’affaires avec le gouvernement, paye une commission ou une récompense, ou confère un avantage ou un bénéfice de quelque nature, directement ou indirectement, à un employé ou à un fonctionnaire du gouvernement avec lequel il traite, ou à un membre de sa famille ou à toute personne au profit de l’employé ou du fonctionnaire, à l’égard de ces affaires, à moins d’avoir obtenu le consentement écrit du chef de la division de gouvernement avec laquelle il traite;

                        c) pendant qu’il est fonctionnaire ou employé du gouvernement, exige, accepte ou offre ou convient d’accepter d’une personne qui a des relations d’affaires avec le gouvernement une commission, une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature, directement ou indirectement, pour lui‑même ou pour une autre personne, à moins d’avoir obtenu le consentement écrit du chef de la division de gouvernement qui l’emploie ou dont il est fonctionnaire;

Selon les al. 121(1)b) et c), aucune contrepartie n’est requise pour que l’infraction soit établie.

[61]                          Le quid pro quo requis pour toutes les autres infractions prévues à l’art. 121 est l’élément de corruption qui est susceptible de miner l’intégrité du gouvernement. Cette exigence dénote le souci du législateur relatif à l’intégrité réelle du gouvernement. Inversement, son absence des al. 121(1)b) et c) dénote l’unique préoccupation du législateur, aux termes de ces deux dispositions, quant à l’apparence d’irrégularité dans les situations où il n’y a aucun élément de corruption. Cette interprétation s’accorde avec la distinction analytique entre les deux objets qu’a décrite notre Cour dans Hinchey :

                    Pour un gouvernement, il y a intégrité véritable lorsque ses employés ne donnent prise à aucune forme de corruption. Par contre, il n’est pas nécessaire qu’il y ait corruption pour qu’il soit porté atteinte à l’apparence d’intégrité. [Soulignement omis; par. 17.]

[62]                          Pour ces motifs, je suis d’avis que l’al. 121(1)d) vise à protéger l’intégrité du gouvernement en criminalisant les ententes malhonnêtes qui poseraient, si elles étaient menées à bien, un risque réel pour l’intégrité.

[63]                          En tout respect, je ne suis pas d’accord avec l’avis de ma collègue, exprimé au par. 38 de ses motifs, selon lequel le fait que l’al. 121(1)d) criminalise la conduite d’une personne prétendant avoir de l’influence auprès du gouvernement implique nécessairement que la disposition a un double objectif qui comprend, à son avis, celui de préserver l’apparence d’intégrité du gouvernement. J’estime qu’en criminalisant le comportement de personnes qui ont ou prétendent avoir une telle influence, le législateur voulait préciser qu’il n’est pas nécessaire de se demander si une personne a réellement eu de l’influence auprès du gouvernement ou si elle a simplement dit en avoir. L’entente malhonnête concernant des affaires du gouvernement présente en soi un risque pour l’intégrité du gouvernement. Tout comme il n’est pas nécessaire d’établir si l’accusé avait l’intention de mener à bien l’entente, il n’est pas non plus nécessaire d’établir si ce dernier avait l’influence nécessaire pour atteindre son but. L’alinéa 121(1)d) prévoit une infraction liée au comportement, et il est inutile d’aller au‑delà de l’entente.

[64]                          De plus, je signale brièvement que, pour les motifs exposés ci‑dessus, je ne peux souscrire au raisonnement du juge Dickson dans R. c. Giguère, [1983] 2 R.C.S. 448, où il affirme, dans son analyse de ce qui est maintenant l’al. 121(1)d), que c’est l’intégrité de la personne ayant ou prétendant avoir de l’influence auprès du gouvernement qui est en cause (p. 459). Lorsqu’il a adopté l’al. 121(1)d), le législateur souhaitait protéger l’intégrité du gouvernement. Il n’a aucun intérêt à protéger l’intégrité de personnes qui prétendent avoir de l’influence auprès du gouvernement et qui n’ont manifestement aucun lien avec lui.

II.            L’infraction prévue à l’al. 121(1)d) n’est établie que si le sujet d’affaires en question a réellement trait au gouvernement

[65]                          Le sens ordinaire de l’al. 121(1)d) m’amène à conclure qu’afin de prouver l’infraction prévue à cet alinéa, le ministère public doit établir, en tant qu’élément distinct de l’infraction, que le sujet d’affaires visé par l’entente a réellement trait au gouvernement. Je veux dire par là que le sujet d’affaires doit avoir trait au gouvernement dans les faits, et non pas simplement que les parties à l’entente croient que le sujet d’affaires a trait au gouvernement. Cette interprétation est également étayée par une analyse téléologique et contextuelle.

[66]                          Premièrement, cette approche donne plein effet aux termes de la disposition. Lorsqu’il a rédigé l’al. 121(1)d), le législateur a défini très soigneusement le lien requis avec le gouvernement. S’il avait voulu que l’infraction soit établie lorsque l’accusé convient d’accepter un bénéfice en contrepartie de la promesse d’exercer de l’influence concernant un sujet d’affaires gouvernemental, peu importe si celui‑ci est réellement un sujet d’affaires du gouvernement, le législateur aurait pu omettre le renvoi aux sous-al. 121(1)a)(iii) et (iv) et prévoir simplement que l’infraction s’applique à « quiconque ayant ou prétendant avoir de l’influence auprès du gouvernement ou d’un ministre du gouvernement, ou d’un fonctionnaire, exige, accepte ou offre, ou convient d’accepter, directement ou indirectement, pour lui‑même ou pour une autre personne, une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature en contrepartie de l’exercice de cette influence ». Dans ce cas, il ne serait pas nécessaire de mentionner expressément la conclusion d’affaires avec le gouvernement, un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement, une réclamation contre Sa Majesté ou un avantage que Sa Majesté a l’autorité ou le droit d’accorder.

[67]                          Deuxièmement, cette interprétation s’appuie sur une analyse contextuelle de la disposition qui tient compte des autres infractions prévues à l’art. 121. En effet, toutes les autres infractions prévues à l’art. 121 qui n’intègrent pas par renvoi les sous‑al. 121(1)a)(iii) et (iv) exigent que le sujet d’affaires en question se rapporte réellement au gouvernement.

[68]                          L’alinéa 121(1)b) érige en infraction le fait qu’une personne traitant d’affaires avec le gouvernement confère un bénéfice à un fonctionnaire du gouvernement. Dans la même veine, l’al. 121(1)c) érige en infraction le fait qu’un fonctionnaire du gouvernement accepte un bénéfice d’une personne ayant des relations d’affaires avec le gouvernement. Dans ces cas, les relations d’affaires courantes avec le gouvernement ont certainement un lien réel avec les affaires du gouvernement.

[69]                          Dans la même veine, l’al. 121(1)f) criminalise le fait d’offrir un bénéfice à une personne ayant présenté une soumission en vue d’obtenir un contrat avec le gouvernement en contrepartie du retrait de sa soumission, et le fait pour cette personne d’accepter un tel bénéfice dans cette situation. Dans un tel cas, la présentation en soi d’une soumission en vue d’obtenir un contrat avec le gouvernement et, inversement, son retrait, ont certainement un lien réel avec les affaires du gouvernement.

[70]                          Si l’on considérait que l’al. 121(1)d) et l’al. 121(1)e), l’autre alinéa qui incorpore par renvoi les sous‑al. 121(1)a)(iii) et (iv), n’exigent pas que le sujet d’affaires visé par l’entente ait réellement trait au gouvernement, les infractions qu’ils créent s’appliqueraient de façon bien différente et auraient une portée beaucoup plus large que les autres infractions prévues à l’art. 121. Ainsi, le fait d’exiger que le sujet d’affaires ait réellement trait au gouvernement assure une interprétation cohérente des infractions prévues à l’art. 121.

[71]                          Les mots utilisés au sous‑al. 121(1)a)(iv), que l’al. 121(1)d) reprend par renvoi, appuient cette interprétation. En renvoyant au sous‑al. 121(1)a)(iv), l’al. 121(1)d) érige en infraction le trafic d’influence concernant « une réclamation contre Sa Majesté ou un avantage que Sa Majesté a l’autorité ou le droit d’accorder ». Ce libellé suggère un lien objectif avec le gouvernement lorsqu’une réclamation existe contre Sa Majesté ou lorsque celle‑ci a le pouvoir précis d’accorder un certain bénéfice.

[72]                          Finalement, l’objet de l’al. 121(1)d) confirme que l’infraction exige un lien réel avec les affaires du gouvernement. Comme il a été expliqué ci‑dessus, l’al. 121(1)d) vise à protéger l’intégrité du gouvernement en criminalisant les ententes malhonnêtes qui poseraient, si elles étaient menées à bien, un risque réel pour l’intégrité. Il n’existe aucun risque de ce genre dans les situations où le sujet d’affaires en cause n’a pas réellement trait au gouvernement.

[73]                          L’intertitre précédant le par. 121(1), « Fraudes envers le gouvernement », appuie lui aussi une interprétation qui reconnaît la place centrale du gouvernement dans ces infractions. La préoccupation sous‑jacente du législateur est que le gouvernement lui‑même puisse être victime de fraude, de sorte que sa propre intégrité risque d’être compromise. Il ne saurait en être ainsi lorsqu’il n’existe aucun lien avec les affaires réelles du gouvernement.

III.          La portée de l’al. 121(1)d) est définie par renvoi aux structures opérationnelles existantes du gouvernement

[74]                          Après avoir établi que, pour obtenir une déclaration de culpabilité fondée sur l’al. 121(1)d), le ministère public doit démontrer que le sujet d’affaires visé a réellement trait au gouvernement, il me reste à définir ce qui constitue un « sujet d’affaires ayant trait au gouvernement ». À l’instar de la juge du procès et de l’appelant, j’estime que la portée de l’al. 121(1)d) devrait se limiter aux sujets d’affaires qui dépendent d’une quelconque approbation ou intervention du gouvernement à l’intérieur des structures opérationnelles gouvernementales en place (2015 ONSC 7127, 25 C.R. (7th) 352, par. 97).

[75]                          L’alinéa 121(1)d) crée une infraction liée au comportement qui vise à prévenir les actes susceptibles de causer un préjudice considérable, soit en l’espèce la conclusion d’une entente malhonnête (voir Hinchey, par. 22, citant R. c. Greenwood (1991), 5 O.R. (3d) 71, p. 81-82; P. Gillies, Criminal Law (4e éd. 1997), p. 32). En conséquence, l’al. 121(1)d) n’exige aucune action autre que l’entente elle‑même, qui constitue l’élément essentiel de l’infraction. L’infraction prend corps au moment où l’entente est conclue.

[76]                          Il s’ensuit que le lien, quel qu’il soit, entre le sujet d’affaires visé et le gouvernement doit exister au moment où l’entente est conclue. C’est pour cette raison que je rejette la proposition de ma collègue selon laquelle l’al. 121(1)d) « ne doit pas être considér[é] strictement en fonction des structures opérationnelles et de financement gouvernementales déjà en place » et comprend « les opérations [. . .] dont le gouvernement pourrait imposer ou modifier les conditions de manière à favoriser un vendeur par rapport à d’autres » (par. 5 (en italique dans l’original)). Dans de tels cas, l’intégrité de la prise de décision gouvernementale en ce qui a trait au sujet d’affaires sur lequel on cherche à exercer une influence ne sera menacée que si des changements sont apportés par la suite aux structures opérationnelles gouvernementales. À mon avis, pareille interprétation relève de la conjecture et a une portée trop large. Lorsque le gouvernement a intentionnellement mis hors de sa portée opérationnelle certains sujets d’affaires, on ne peut affirmer que ceux‑ci constituent des sujets d’affaires du gouvernement simplement parce que le gouvernement pourrait, ultérieurement, reprendre le contrôle sur ceux‑ci.

[77]                          Je suis plutôt d’avis, après avoir reconnu que l’al. 121(1)d) énonce une infraction liée au comportement, qu’un sujet d’affaires n’aura trait au gouvernement que si les structures opérationnelles en place au moment où l’entente est conclue sont telles qu’il dépend d’une quelconque approbation ou intervention du gouvernement.

IV.         La vente aux Premières Nations de systèmes de traitement de l’eau au point d’utilisation ne représentait pas un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement

[78]                          M. Carson a reconnu qu’au moment de l’infraction reprochée, il était une personne ayant de l’influence au sein du gouvernement du Canada et qu’il a exigé un bénéfice pour son amie en contrepartie de l’utilisation de ses contacts au gouvernement pour aider H2O à vendre aux Premières Nations des systèmes de traitement de l’eau au point d’utilisation (jugement de première instance, par. 11 et 22‑23). Comme je l’ai déjà indiqué, la seule question en litige dans le présent pourvoi est celle de savoir si l’entente conclue se rapportait à « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement ». À mon avis, la réponse est non.

[79]                          Le sujet d’affaires visé par l’entente était la vente aux Premières Nations de systèmes de traitement de l’eau au point d’utilisation. Cela ressort clairement des conclusions de la juge du procès, qui indiquent que l’amie de M. Carson avait été nommée représentante exclusive de H2O [traduction] « pour la vente aux Premières Nations de systèmes de traitement de l’eau au point d’utilisation » et qu’elle avait droit à une commission et à d’autres bénéfices relativement à toutes ces ventes (par. 23).

[80]                          Il est certain que les conclusions de fait de la juge du procès n’« établissent [pas] clairement » que l’aide promise par M. Carson concernait un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement, comme le soutient ma collègue au par. 47 de ses motifs. En fait, elles établissent tout le contraire. La juge du procès a conclu, sur la foi du témoignage de représentants d’Affaires indiennes et du Nord Canada (« AINC »), que la structure opérationnelle en place au moment où l’entente est intervenue entre M. Carson et H2O était telle que les Premières Nations disposaient d’une « complète autonomie » concernant l’achat de ces systèmes de traitement de l’eau au point d’utilisation (par. 32, 34 et 38). La juge Simmons a réaffirmé cette conclusion dans ses motifs dissidents aux par. 84 et 101 (2017 ONCA 142, 347 C.C.C. (3d) 164) :

                          [traduction] La juge du procès a expliqué en détail ces conclusions dans le contexte de l’objet de l’art. 121, soit de préserver l’intégrité du gouvernement. Elle a conclu que le gouvernement n’exerçait pas l’activité de procurer des systèmes de traitement de l’eau aux collectivités des Premières Nations, et qu’il n’avait pas non plus le pouvoir d’approuver l’achat de ces systèmes. En fait, les collectivités des Premières Nations étaient indépendantes du gouvernement par rapport aux tiers vendeurs comme H20. Elle a affirmé ce qui suit :

                        Compte tenu de mes conclusions selon lesquelles il ne s’agissait pas d’affaires avec le gouvernement, il s’ensuit que l’intégrité du gouvernement n’était pas mise en question. Je reconnais cependant que le législateur voulait que l’al. 121(1)d) [. . .] s’applique de façon à préserver l’intégrité du gouvernement. Il se peut également que le public ait l’impression, en observant le comportement [de l’intimé], que celui‑ci compromet, à tout le moins, en tant que personne ayant de l’influence auprès du gouvernement, l’intégrité du gouvernement et que son comportement donne lieu à une apparence de malhonnêteté comme il a été décrit [. . .] dans O’Brien.

                        Cependant, la différence entre l’affaire O’Brien et la présente affaire est que l’intégrité du gouvernement n’a jamais été mise en question en l’espèce parce que peu importe les tentatives [de l’intimé] visant à persuader les représentants d’AINC d’acheter des systèmes de traitement de l’eau de H2O, les représentants d’AINC ne se livraient pas à l’activité de procurer ces systèmes de traitement de l’eau aux collectivités des Premières Nations.

                        [L’intimé] semble avoir cru à tort que le gouvernement, particulièrement AINC, pouvait aider H2O à vendre ses produits de traitement de l’eau aux collectivités des Premières Nations. Soit il n’a jamais compris, soit il a choisi d’ignorer les renseignements qu’il a reçus de ses contacts à AINC et à [l’Assemblée des Premières Nations], selon lesquels ce n’était pas avec ces entités qu’il devait faire affaires. Si j’avais conclu qu’AINC avait le pouvoir d’approuver l’achat de systèmes de traitement de l’eau de H2O ou de les acheter lui‑même, au‑delà du financement fourni aux Premières Nations, le comportement [de l’intimé] aurait été jugé répréhensible et je l’aurais déclaré coupable de l’accusation de fraude envers le gouvernement, infraction prévue à l’al. 121(1)d).

                        Cependant, on ne peut prendre part à « la conclusion d’affaires avec le gouvernement » ou à une action concernant « un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement » ni nuire à l’intégrité du gouvernement lorsque ce dernier n’est pas l’entité avec laquelle il faut faire affaires pour obtenir le bénéfice visé. En l’espèce, la preuve appuie seulement une conclusion, soit que les collectivités des Premières Nations étaient indépendantes du gouvernement en ce qui a trait à la conclusion d’affaires avec H2O. [Souligné dans l’original par la juge Simmons.]

. . .

                          Selon ma lecture de ses motifs, la juge du procès a conclu qu’il n’y avait pas de sujet d’affaires ayant trait au gouvernement dans la présente affaire parce qu’AINC n’avait pas le pouvoir d’approuver l’achat de systèmes de traitement de l’eau de H20 ou de les acheter lui‑même. [Je souligne; texte entre crochets ajouté par la juge Simmons.]

En conséquence, l’achat par les Premières Nations de systèmes de traitement de l’eau au point d’utilisation ne constituait pas un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement au moment où l’infraction a pris forme, c’est‑à‑dire au moment où l’entente a été conclue.

[81]                          Puisque le ministère public ne peut contester les conclusions de fait du juge du procès lors d’un appel formé contre un acquittement (par. 676(1)  du Code criminel ), il serait inapproprié que la Cour invoque des faits relatifs au Protocole pour les systèmes décentralisés d’eau potable et de traitement des eaux usées dans les collectivités des Premières nations ou à des projets pilotes pour déclarer M. Carson coupable. La juge du procès a rejeté les arguments fondés sur le Protocole puisqu’ils n’étaient pas [traduction] « étayés par la preuve » (par. 93). Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont estimé que cette conclusion n’était pas erronée (par. 51). En outre, la juge du procès a conclu que la preuve liée aux projets pilotes était « quelque peu obscure » (par. 40) et a évité de les invoquer ou de les analyser plus à fond lorsqu’elle a tiré sa conclusion. De toute manière, comme l’a signalé la juge Simmons, les représentants d’AINC ont indiqué, dans leurs témoignages, qu’[traduction] « il revenait en dernier ressort aux bandes des Premières Nations d’agir en participant » à un projet pilote envisagé « ou en y donnant suite » (par. 78).

[82]                          De plus, je tiens à souligner que, même si l’al. 121(1)d) peut viser les « promesses d’exercer de l’influence pour que l’on modifie ou élargisse des programmes gouvernementaux » (motifs de la juge Karakatsanis, par. 24), ces faits ne correspondent pas à ceux de l’espèce. Lorsqu’il a formulé son argument, le ministère public n’a pas cherché à faire déclarer coupable M. Carson pour le motif qu’il avait accepté d’exercer son influence afin que l’on modifie les politiques gouvernementales concernant la vente aux Premières Nations de systèmes de traitement de l’eau au point d’utilisation. Sa thèse au procès était que dans le cadre des structures opérationnelles existantes, le gouvernement était partie à ces achats, c’est‑à‑dire qu’une relation d’affaires triangulaire unissait la Couronne, les collectivités des Premières Nations et H2O (jugement de première instance, par. 54). En conséquence, je suis d’avis que la juge du procès n’a ni envisagé cette autre thèse ni tiré les conclusions de fait nécessaires pour déclarer M. Carson coupable sur ce fondement.

[83]                          Lors de l’audience devant la Cour, s’est posée la question de savoir si les agissements de M. Carson pourraient constituer une tentative pour l’application du par. 24(1)  du Code criminel . Dans sa réponse sommaire à cette question, l’avocat de M. Carson a fait valoir que l’infraction de tentative n’avait pas été établie en l’espèce puisque l’absence de participation et de contrôle du gouvernement à l’égard du sujet d’affaires visé rendait la tentative juridiquement impossible et que, par conséquent, il manquait certains éléments de l’infraction dans les circonstances. Je m’abstiendrai de trancher cette question en l’espèce. La question n’a pas été soulevée devant les tribunaux d’instance inférieure, et le ministère public a confirmé devant la Cour que l’infraction de tentative ne faisait pas partie de sa théorie de la cause dans la présente affaire.

V.            Conclusion

[84]                          Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir l’acquittement de M. Carson.

                    Pourvoi rejeté, la juge Côté est dissidente.

                    Procureurs de l’appelant : Fasken Martineau DuMoulin, Ottawa.

                    Procureur de l’intimée : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

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