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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. A.E., 2022 CSC 4

 

 

Appels entendus : 15 février 2022

Jugement rendu : 15 février 2022

Dossiers : 39699, 39703

 

Entre :

 

A.E.

Appelant

 

et

 

Sa Majesté la Reine

Intimée

 

- et -

 

Directrice des poursuites pénales

Intervenante

 

Et entre :

 

T.C.F.

Appelant

 

et

 

Sa Majesté la Reine

Intimée

 

- et -

 

Directrice des poursuites pénales

Intervenante

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal

 

Jugement unanime lu par :

(par. 1 à 6)

 

Le juge Moldaver

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 

A.E.                                                                                                                   Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée

et

Directrice des poursuites pénales                                                             Intervenante

‑ et ‑

T.C.F.                                                                                                                Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée

et

Directrice des poursuites pénales                                                             Intervenante

Répertorié : R. c. A.E.

2022 CSC 4

Nos du greffe : 39699, 39703.

2022 : 15 février.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.

en appel de la cour d’appel de l’alberta

                    Droit criminel — Agression sexuelle — Consentement — Accusés inculpés d’agression sexuelle et d’agression sexuelle armée après s’être tous deux livrés à une activité sexuelle de groupe avec la plaignante et une autre personne — Juge du procès rejetant le témoignage de la plaignante selon lequel elle n’avait pas consenti à l’activité sexuelle et acquittant les deux accusés des accusations d’agression sexuelle, mais déclarant l’un d’eux coupable d’agression sexuelle armée au motif que la plaignante n’avait pas consenti à l’utilisation d’une arme — Annulation des acquittements par la Cour d’appel et inscription par celle‑ci de déclarations de culpabilité pour agression sexuelle — Déclarations de culpabilité confirmées.

                    Droit criminel — Appels — Pouvoirs de la cour d’appel — Substitution d’une déclaration de culpabilité à un acquittement — Accusés acquittés des accusations d’agression sexuelle au procès — Annulation des acquittements par la Cour d’appel et inscription par celle‑ci de déclarations de culpabilité — Substitution des déclarations de culpabilité aux acquittements permise — Déclarations de culpabilité confirmées — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 686(4) b)(ii).

Jurisprudence

                    Arrêt appliqué : R. c. Cassidy, [1989] 2 R.C.S. 345; arrêts mentionnés : R. c. Barton, 2019 CSC 33, [2019] 2 R.C.S. 579; R. c. Hutchinson, 2014 CSC 19, [2014] 1 R.C.S. 346; Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729; R. c. M. (R.), 2020 ONCA 231, 150 O.R. (3d) 369.

Lois et règlements cités

Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 273.2b) , 686(4) b)(ii).

                    POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Martin, O’Ferrall et Pentelechuk), 2021 ABCA 172, 27 Alta. L.R. (7th) 1, 466 D.L.R. (4th) 226, [2021] A.J. No. 654 (QL), 2021 CarswellAlta 1181 (WL), qui a annulé les verdicts d’acquittement prononcés en faveur des accusés, inscrit des déclarations de culpabilité pour agression sexuelle et renvoyé les affaires pour détermination de la peine. Pourvois rejetés.

                    Andrea Serink et Alias Sanders, pour l’appelant A.E.

                    Balfour Q. H. Der, c.r., James F. McLeod et David A. S. Roper, pour l’appelant T.C.F.

                    Andrew Barg et Tom Spark, pour l’intimée.

                    Blair MacPherson, pour l’intervenante.

                    Version française du jugement de la Cour rendu oralement par

[1]               Le juge Moldaver — Nous sommes d’avis de rejeter les appels et de confirmer les déclarations de culpabilité prononcées contre A.E. et T.C.F. pour agression sexuelle. Le juge du procès a commis une erreur de droit, en ce qu’il a essentiellement appliqué un principe de « consentement général donné à l’avance » (R. c. Barton, 2019 CSC 33, [2019] 2 R.C.S. 579, par. 99). Le consentement doit viser l’activité sexuelle en question, il doit exister au moment où l’activité sexuelle a lieu et il peut être révoqué à tout moment (Barton, par. 88; R. c. Hutchinson, 2014 CSC 19, [2014] 1 R.C.S. 346, par. 17). Le juge du procès a omis de tenir compte de la portée du consentement de la plaignante à l’activité sexuelle et ne s’est pas demandé si elle avait révoqué son consentement. En conséquence, la décision du juge du procès portant que la plaignante avait subjectivement consenti à l’activité sexuelle en question ne commandait pas la déférence.

[2]               Comme l’a énoncé notre Cour dans R. c. Cassidy, [1989] 2 R.C.S. 345, afin de substituer une déclaration de culpabilité en cas d’appel d’un acquittement, « toutes les conclusions nécessaires pour justifier un verdict de culpabilité doivent avoir été tirées explicitement ou implicitement, ou ne pas être en cause » (p. 354‑355). Il est satisfait en l’espèce au critère établi dans l’arrêt Cassidy, ce qui permet de substituer une déclaration de culpabilité à l’acquittement conformément au sous‑al. 686(4)b)(ii) du Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46 . Les conclusions explicites et implicites du juge du procès démontrent que tant A.E. que T.C.F. ont continué les interactions sexuelles avec la plaignante, et que A.E. les a intensifiées même après que celle‑ci a crié « Non », sans prendre quelque mesure que ce soit pour vérifier si elle révoquait son consentement. Plus particulièrement, A.E. a donné des claques sur les fesses de la plaignante, et T.C.F. a continué à se livrer à une activité sexuelle avec celle-ci et lui a ordonné de lui faire une fellation. Dans les circonstances, l’affirmation de T.C.F. suivant laquelle il avait une croyance sincère mais erronée au consentement est dépourvue de vraisemblance et n’est pas appuyée par la prise de quelque mesure raisonnable que ce soit (Code criminel , al. 273.2b) ; Barton, par. 122). Enfin, vu notre conclusion portant qu’il est satisfait en l’espèce au critère établi dans Cassidy, nous n’avons pas à commenter l’énoncé du critère relatif à la substitution d’une déclaration de culpabilité à un acquittement qu’a fait le juge Martin de la Cour d’appel, au par. 91 de ses motifs.

[3]               Pour ce qui est des allégations de partialité soulevées par A.E., nous sommes toutes et tous d’avis que rien de ce qu’il avance ne remettait en question l’intégrité et l’impartialité de la Cour d’appel de l’Alberta dans la présente affaire.

[4]               L’appelant A.E. demande en outre à la Cour de suspendre sa déclaration de culpabilité pour agression sexuelle en application de l’arrêt Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729, au motif qu’il s’agit d’une infraction moindre et incluse visée par la déclaration de culpabilité prononcée contre lui pour agression sexuelle armée. Nous ne pouvons faire droit à cette prétention. Dans les circonstances de la présente affaire, les infractions portent sur différents sous‑ensembles de faits et visent différentes formes de préjudice (voir R. c. M. (R.), 2020 ONCA 231, 150 O.R. (3d) 369, par. 52). De façon plus particulière, l’accusation d’agression sexuelle armée vise les blessures subies par la plaignante par suite de l’utilisation de la brosse à dents, ainsi que le risque élevé que cela entraînait.

[5]               Nous soulignons que la Cour d’appel de l’Alberta a traité d’autres questions en obiter, notamment la responsabilité de T.C.F. quant à l’agression sexuelle armée; la question de savoir si l’enregistrement clandestin constituait une fraude viciant le consentement; et celle de savoir si un consentement à l’activité sexuelle peut être donné dans des situations comportant des préjudices corporels intentionnels. Dans les circonstances, il n’est pas nécessaire que nous examinions ces questions.

[6]               En conséquence, les appels des déclarations de culpabilité sont rejetés et les affaires sont renvoyées à la Cour du Banc de la Reine en vue de la détermination de la peine.

                    Jugement en conséquence.

                    Procureurs de l’appelant A.E. : Serink Law Office, Calgary; Alias Sanders, Calgary.

                    Procureurs de l’appelant T.C.F. : Der Barristers, Calgary.

                    Procureur de l’intimée : Alberta Crown Prosecution Service — Appeals and Specialized Prosecutions Office, Calgary.

                    Procureur de l’intervenante : Service des poursuites pénales du Canada, Yellowknife.

 

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