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COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Furey, 2022 CSC 52

 

Appel entendu : 2 décembre 2022

Jugement rendu : 2 décembre 2022

Dossier : 40038

 

 

Entre :

 

Sa Majesté le Roi

Appelant

 

et

 

David Edward Furey

Intimé

 

 

Traduction française officielle

Coram : Les juges Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et O’Bonsawin

 

Jugement unanime lu par :

(par. 1 à 7)

La juge Karakatsanis

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 

 

 

 

Sa Majesté le Roi                                                                                             Appelant

c.

David Edward Furey                                                                                           Intimé

Répertorié : R. c. Furey

2022 CSC 52

No du greffe : 40038.

2022 : 2 décembre.

Présents : Les juges Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Jamal et O’Bonsawin.

en appel de la cour d’appel de terre-neuve-et-labrador

                    Droit criminel — Preuve — Admissibilité — Ouï‑dire — Déclaration extrajudiciaire — Fiabilité — Accusé déclaré coupable de plusieurs infractions découlant d’altercations avec deux plaignants — Appel formé par l’accusé contre les déclarations de culpabilité au motif que la juge du procès a commis une erreur en admettant une déclaration extrajudiciaire faite par un des plaignants, qui est mort de causes non reliées aux infractions avant le procès, afin d’établir la véracité de son contenu — Conclusion des juges majoritaires de la Cour d’appel portant que la juge du procès a appliqué un mauvais principe de droit dans l’appréciation du seuil de fiabilité de la déclaration et la détermination de l’admissibilité de celle‑ci — Annulation par les juges majoritaires des déclarations de culpabilité et nouveau procès ordonné par ceux‑ci — Conclusion de la juge dissidente portant que la juge du procès n’a commis aucune erreur en appliquant la méthode d’analyse raisonnée à la preuve par ouï‑dire et en admettant la déclaration — Déclarations de culpabilité rétablies.

Jurisprudence

                    Arrêts mentionnés : R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787; R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520; R. c. U. (F.J.), [1995] 3 R.C.S. 764; R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35, [2017] 1 R.C.S. 865; R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador (les juges Welsh, White et Knickle), 2021 NLCA 59, 476 D.L.R. (4th) 197, [2021] N.J. No. 338 (QL), 2021 CarswellNfld 424 (WL), qui a annulé les déclarations de culpabilité prononcées contre l’accusé et ordonné un nouveau procès. Pourvoi accueilli.

                    Arnold Hussey, c.r., pour l’appelant.

                    Jason Edwards, pour l’intimé.

                    Version française du jugement de la Cour rendu oralement par

[1]                              La juge Karakatsanis — Nous sommes d’avis que l’appel devrait être accueilli. La juge du procès n’a pas commis d’erreur en admettant la preuve par ouï‑dire lors du voir‑dire.

[2]                              Toutefois, nous tenons à souligner que la nécessité de recevoir une preuve par ouï‑dire n’est jamais importante au point où l’exigence du seuil de fiabilité de la méthode d’analyse raisonnée peut être sacrifiée. L’admission d’une preuve par ouï‑dire non fiable contre un accusé compromet l’équité du procès, crée le risque de déclarations de culpabilité erronées et mine l’intégrité du processus judiciaire (R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, par. 47‑49).

[3]                              La Cour a reconnu que la nécessité et la fiabilité — qui constituent la méthode d’analyse raisonnée applicable à la preuve par ouï‑dire — « vont de pair »; en particulier, « si la preuve est suffisamment fiable, l’exigence de nécessité peut être assouplie » (R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520, par. 72). De fait, « [p]ar souci de recherche de la vérité, il [peut se révéler] nécessaire d’admettre quant au fond [une] déclaration en raison de sa très grande fiabilité » (Khelawon, par. 86, citant R. c. U. (F.J.), [1995] 3 R.C.S. 764).

[4]                              Cependant, la Cour n’a jamais dit que la fiabilité s’assouplit à mesure que s’accroît la nécessité. Bien que les indices de fiabilité requis pour répondre à certaines préoccupations précises concernant le ouï‑dire puissent varier selon les circonstances de chaque cas (Khelawon, par. 78), le seuil de fiabilité doit être établi dans tous les cas. Comme l’a affirmé notre Cour dans R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35, [2017] 1 R.C.S. 865, « la norme du seuil de fiabilité demeure toujours élevée — la déclaration doit être suffisamment fiable pour écarter les dangers spécifiques du ouï‑dire qu’elle présente » (par. 32, se référant à Khelawon, par. 49). D’ailleurs, dans les cas où la Cour a considéré des déclarations extrajudiciaires de déclarants décédés, nous avons invariablement insisté sur des « garantie[s] circonstancielle[s] de fiabilité » (R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, p. 937‑938), ou « un autre moyen suffisant de [. . .] vérifier [la preuve] » (Khelawon, par. 105). Par conséquent, dans tous les cas, quel que soit le degré de nécessité, de tels éléments de preuve doivent respecter l’exigence du seuil de fiabilité afin d’être admissibles.

[5]                              Cela dit, nous ne considérons pas que les motifs de la juge du procès reposent sur un seuil de fiabilité assoupli. Au contraire, ils révèlent qu’elle a appliqué le seuil de fiabilité décrit par la Cour dans l’arrêt Bradshaw, au par. 31. Elle a fait remarquer que la déclaration était enregistrée sur bande‑vidéo, [traduction] « raisonnablement contemporaine aux événements, et avait été faite aux policiers sans hésitation » (motifs du voir‑dire, par. 28‑29, reproduits dans d.a., vol. I, p. 12). La juge du procès a également considéré la preuve corroborante, et elle a estimé que les explications différentes quant à la teneur de la déclaration « sembl[aient] peu vraisemblables » (par. 44). Sur la base de ces considérations, elle a conclu « qu’un contre-interrogatoire contemporain, quoique préférable comme dans tous les cas, contribuerait vraisemblablement peu au processus de détermination de la véracité de ce que [le déclarant] a dit dans sa déclaration » (par. 46).

[6]                              En conséquence, nous sommes convaincus que les motifs de la juge du procès, considérés dans leur ensemble, indiquent qu’elle a appliqué adéquatement le droit relatif à l’admission de la preuve par ouï‑dire, et n’a pas assoupli le seuil de fiabilité minimal. Nous sommes d’accord avec la juge dissidente de la Cour d’appel pour dire que les éléments mentionnés dans les derniers paragraphes des motifs de la juge du procès ne minent pas sa conclusion précédente selon laquelle le seuil de fiabilité a été établi.

[7]                              Pour ces motifs, nous accueillons le pourvoi, annulons l’ordonnance de la Cour d’appel et rétablissons les déclarations de culpabilité prononcées contre l’intimé.

                    Jugement en conséquence.

                    Procureur de l’appelant : Crown Attorneys’ Office, Dept. of Justice and Public Safety, Clarenville (T.‑N.‑L.).

                    Procureur de l’intimé : Legal Aid NL, St. John’s.

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